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Points de vue - Page 79

  • (In)dépendance(s)...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Duranthon, cueilli sur Geopragma et consacré à la question de l'indépendance nationale. Jean-Philippe Duranthon est haut-fonctionnaire et membre fondateur de Geopragma.

     

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    (In)dépendance(s)

    Au moment où certains, grâce à Joe Biden, découvrent l’évidence, à savoir que les États font prévaloir leurs intérêts sur les liens qu’ils ont noués avec leurs alliés, il peut être utile de réfléchir au concept d’indépendance nationale.

          La notion a bien sûr une connotation militaire : est indépendant le pays qui peut se défendre seul contre des attaques ennemies. A cet égard la France peut se prévaloir d’une armée aguerrie, de matériels modernes et d’un « parapluie » nucléaire : peu d’États peuvent en dire autant. Mais pour certaines opérations, la surveillance par drone par exemple, elle dépend de ses alliés américains ; par ailleurs, selon certaines études récentes elle ne serait pas en mesure de soutenir longtemps un conflit de haute intensité sans faire appel à eux [1] ; enfin, l’appartenance à l’OTAN, où les États-Unis ont clairement plus de poids que les autres membres, réduit singulièrement son autonomie. Notre indépendance militaire ne va donc pas sans une certaine dépendance.

          Mais le pays pourra-t-il continuer à maîtriser les technologies de pointe, à mener à bien les programmes de R&D et à se doter des matériels de dernière génération ? Cette question dépasse bien sûr le seul domaine militaire et concerne l’ensemble de l’économie, sous ses diverses composantes. La prospérité économique repose en effet sur  des grands programmes industriels nécessitant des investissements rarement à la portée d’un seul État et dont le temps de retour excède les attentes d’un marché de plus en plus court-termiste : la solution réside dans des conglomérats industriels multinationaux dont on ne sait plus bien s’ils sont dominés par une logique industrielle ou nationale-bureaucratique mais où l’on constate que chacun est sous la dépendance des autres ; l’impossibilité d’exporter des matériels français comportant des composants venant d’entreprises de pays faisant des choix différents en matière de contrôle des exportations (États-Unis, Allemagne) l’a clairement montré. Mais la prospérité économique suppose aussi des innovations qui sont souvent le fait de start up constituées autour d’entrepreneurs dynamiques, sachant maîtriser le fonctionnement dit « agile » et capables de séduire des investisseurs aimant le risque : il n’est pas certains que les efforts récents consentis pour transformer la France en une start-up nation suffisent à empêcher les jeunes pousses de se tourner vers des fonds américains, chinois ou moyen-orientaux qui les placent sous leur dépendance.

          Les choix industriels ont à l’évidence une importance capitale. A cet égard la décision de diminuer la part du nucléaire dans le mix énergétique au profit de celle du solaire et de l’éolien consiste à préférer des technologies aux mains d’industriels généralement asiatiques et dépendant de terres rares inconnues dans nos contrées à une filière dont nous maîtrisons toutes les étapes : cela ne va pas dans le sens d’une indépendance énergétique accrue. L’étrange abandon, en catimini de surcroît, du programme Astrid de réacteur à neutrons rapides, qui aurait permis de quasiment se débarrasser de la problématique des déchets nucléaires, concourt à la même évolution mettant l’approvisionnement énergétique du pays sous la dépendance de tiers.

          Mais le débat ne concerne pas que les pouvoirs publics : il est à cet égard frappant de constater que les grands capitalistes français investissent dans le luxe et l’art contemporain « globalisé » alors que leurs homologues américains investissent dans les technologies d’avenir, énergétiques, numériques ou spatiales. Or, s’il ne suffit pas d’acquérir un sac pour perdre son indépendance, être l’usager des GAFA, forcé de surcroît, faute de vraie concurrence, oblige à communiquer une foultitude de données qui placent les consommateurs européens sous la dépendance d’entreprises d’un pays étranger et peut-être, à travers elles, de leurs services de renseignement, le RGPD n’y changeant pas grand-chose.

          Un autre risque de dépendance technologique résulte des opérations de M&A réalisées à l’échelle mondiale qui découpent et redécoupent à l’envi les périmètres des entreprises pour générer de nouvelles synergies et des gains de structure ou d’échelle : il peut en résulter un transfert d’une entité stratégique. Les turbines Arabelle, qui équipent les centrales nucléaires terrestres ou embarquées et qui sont passées entre des mains américaines en 2014 lorsque GE a acheté la division énergie d’Alstom, sont emblématiques d’une telle perte d’indépendance, alors étrangement acceptée par les pouvoirs publics.

          C’est en fait la mondialisation qui est, de manière plus générale, en cause, même s’il ne s’agit pas ici de nier ses bienfaits, pour le pouvoir d’achat des consommateurs des pays clients comme pour l’emploi et le développement économique des pays producteurs. Les tergiversations et palinodies auxquelles la crise sanitaire a donné lieu pour de simples masques et tests, puis l’actuelle pénurie de semi-conducteurs, montrent les conséquences d’une division internationale du travail non construite ni maîtrisée et révèlent que l’interdépendance théorique entre pays n’est qu’un synonyme de la désindustrialisation et peut cacher une dépendance à sens unique. Aucune réflexion sérieuse n’a été menée pour déterminer les technologies et les produits qu’un pays doit conserver pour demeurer indépendant : le fait que la tâche soit malaisée ne la rend pas moins nécessaire.

          La diplomatie bilatérale ou multilatérale, bien sûr, n’a pas les mêmes conséquences puisqu’elle repose sur des bases volontaires. Mais la « démocratie planétaire », consistant à traiter de manière équivalente tous les États, indépendamment de leur population, leur richesse, leur poids géopolitique, place chaque pays sous la dépendance d’une « pensée mondiale » dont on ne sait pas trop qui la forme ou la manipule. A cet égard le poids pris par certaines ONG peu soucieuses d’avoir pour elles-mêmes la transparence qu’elles exigent des autres et dont on sait les liens avec certains intérêts publics ou privés, peut faire douter que les débats soient tous fondés sur une indépendance réelle de tous les intervenants.

          Dans ce jeu international, l’Europe tient une place particulière. Elle est une condition d’indépendance pour que ses pays membres puissent avoir un peu de poids face aux États-Unis et à la Chine. Mais elle est aussi un facteur de dépendance dont l’actualité récente fournit maints exemples. La difficulté à obtenir la prise en compte du nucléaire dans la « taxonomie » des activités « vertes » dans le même temps où le gaz, qui émet 40 fois plus de CO2, y serait inclus ressemble furieusement à une volonté de remettre en cause le modèle énergétique français et à faire de l’allemand, malgré les échecs de l’energiewende, désormais reconnus par tous, le parangon. Le Green Deal bruxellois revient à priver les États de la possibilité de définir eux-mêmes la politique énergétique qu’ils comptent mener pour atteindre les objectifs climatiques qu’ils se sont fixés conjointement. Dans un autre domaine, l’arrêt rendu le 15 juillet dernier par la Cour de Justice de l’Union Européenne interdit aux États de décider la durée de travail de leurs militaires, remettant en cause un élément basique de leur souveraineté, voire de leur légitimité.

          Le problème est que, si les États ont accepté de se placer ainsi sous la dépendance des institutions européennes, il n’en est pas résulté le gain attendu : l’Europe n’a toujours aucun poids dans les débats internationaux, et le récent pied de nez offert par la nouvelle internationale anglo-saxonne dévoilant l’AUKUS au moment où l’Europe annonçait sa stratégie pour la région indo-pacifique en est une illustration lumineuse.

          L’indépendance, les ados le savent, est aussi une question financière. Or l’endettement de la France est élevé, proche de 120 % du PIB, et croissant ; le besoin de financement de l’Etat sur les marchés sera l’an prochain de peu inférieur à 300 Md€, ce qui place le pays à la merci d’une remontée des taux et de modifications des marchés financiers rendant plus malaisés les refinancements. D’autre part, les créances sur l’État français sont, selon l’Agence France Trésor, détenues pour 51 % par des non-résidents : le pays est donc sous la dépendance, au moins partielle, d’étrangers. Enfin, l’accroissement de notre déficit extérieur fait qu’en vingt ans notre position extérieure nette, c’est-à dire la différence entre la valeur de ce que les Français détiennent à l’étranger et celle de ce que les étrangers détiennent en France, est passée de – 40 à – 695 Md€ ; cela signifie que, « ne vendant pas assez de produits à l’export pour payer ses importations, (la France) se vend pour maintenir son train de vie » [2] ; se vend, donc se place sous la dépendance des détenteurs de capitaux étrangers, publics ou privés.

          De même, avec le quantitative easing aux États-Unis puis en Europe, les politiques économiques nationales dépendent désormais entièrement du bon vouloir des banques centrales qui, en achetant des titres publics et privés, permettent le financement des divers « quoi qu’il en coûte » nationaux. Dès lors, si la BCE bénéficie d’une indépendance que son statut lui reconnaît expressément, les gouvernements européens sont dans la dépendance de la même BCE dont l’action, voire seulement les déclarations, conditionne leur politique.

          Par ailleurs, la part du dollar dans les transactions internationales est telle que les États-Unis ont pu en faire le support, ou le prétexte, d’une extra-territorialisation de leur règles juridiques aboutissant à ce que leurs choix politiques, les embargos notamment, s’imposent aux entreprises étrangères et à ce que celles-ci sont justiciables des tribunaux américains, dont elles dépendent désormais au moins autant que de ceux de leur pays.

          Enfin, l’indépendance suppose une certaine autonomie de la vie intellectuelle, une capacité à ne pas suivre aveuglément les modes étrangères, la volonté de défendre les principes qui fondent la communauté nationale et de montrer ses acquis. Or le Global art fait la part belle aux artistes anglo-saxons et désormais chinois et l’idéologie woke ainsi que la cancel culture, bien qu’elles n’aient pas grand-chose à voir avec la tradition intellectuelle française et qu’elles ne concernent guère les principaux problèmes auxquels le pays est confronté, irriguent désormais les débats dans les universités françaises et s’invitent dans celui de l’élection présidentielle.

          Ces quelques réflexions montrent que :

    • l’indépendance est loin de n’être qu’une question militaire ; s’en soucier suppose une réflexion de plus grande ampleur et devrait mobiliser non seulement les pouvoirs publics mais aussi les détenteurs de capitaux, voire les intellectuels et « influenceurs » de toutes natures ;
    • il est illusoire de rechercher une indépendance absolue et générale ; l’important est de choisir ses dépendances, de déterminer dans quels domaines les dépendances sont acceptables, et de qui l’on accepte de dépendre.

          Si l’on rapproche cette analyse de nos récents malheurs à Kaboul et à Cambera, la morale de l’histoire est que l’Histoire n’a pas de morale. Les relations internationales ne sont pas guidées par les grands sentiments, mais par les intérêts et par la capacité des différents protagonistes à défendre leurs intérêts respectifs. La France, depuis bien des décennies, et à part quelques moments de lucidité, veut l’ignorer. Puissent les évènements récents lui ouvrir les yeux et la faire agir avec moins de naïveté.

    Jean-Philippe Duranthon (Geopragma, 27 septembre 2021)

    Notes :

    [1] Voir “A strong allied stretched thin, an overview of French defense capabilities from a burdensharing perspective”, Rand Corporation, juin 2021.

    [2] Jean-Marc Daniel, Les Echos du 15 septembre 2021.

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  • Face au bloc anglo-saxon, n’est-il pas temps pour la France de changer de politique étrangère ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François Chauvancy cueilli sur le site Theatrum Belli et consacré à ce que révèle la crise des sous-marins australiens. Ancien officier général de l'Armée de Terre, François Chjauvancy est un spécialiste des questions stratégiques et a enseigné dans plusieurs universités.

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    Face au bloc anglo-saxon, n’est-il pas temps pour la France de changer de politique étrangère ?

    Le 4 juillet 1999, au grand déplaisir des militaires britanniques présents à Tirana (Albanie), les militaires français dont je faisais partie comme adjoint à la cellule « communication » de l’AFOR, une opération humanitaire de l’OTAN sous commandement britannique (moins d’une centaine de personnels sur 8 000 militaires) trinquaient chaleureusement avec les représentants des États-Unis à leur ambassade pour célébrer leur fête nationale. Très clairement, les relations particulières et historiques entre la France et les États-Unis s’exprimaient dans cette célébration de la défaite du Royaume-Uni lors de la guerre d’indépendance. Le ferions-nous aujourd’hui ?

    En effet, la trahison, car la dénonciation du contrat sur les sous-marins vendus par la France n’est pas qu’un « simple coup de poignard dans le dos », de l’Australie, sinon des États-Unis et du Royaume-Uni, constitue l’affirmation d’un nouvel acteur international, le « bloc anglo-saxon ». En perte de puissance, cet ensemble civilisationnel reconstitue sa cohérence. Il vise à réorganiser les relations internationales en établissant pour son seul profit un nouveau rapport de forces au niveau mondial, certes pour répondre à la menace chinoise mais aussi pour retrouver une puissance sinon une hégémonie que le Royaume-Uni hier, les États-Unis aujourd’hui ont perdue.

    Après avoir manœuvré pour demeurer le leader de l’Occident, le monde anglo-saxon s’érige désormais comme un acteur indépendant qui conduit la France à redéfinir une politique étrangère plus pragmatique et moins confiante dans ses alliés.

    Une stratégie des Anglo-saxons visant à garder le leadership des relations internationales

    Depuis 1945, succédant au Royaume-Uni, les États-Unis ont conduit les relations internationales de l’Occident. Ils ont entraîné derrière eux notamment les démocraties européennes au modèle politique similaire. Pourtant les Anglo-saxons ont multiplié les entorses à la souveraineté de leurs alliés. Aujourd’hui, face à la remise en cause de l’hégémonie américaine, le monde anglo-saxon fédère ses intérêts stratégiques pour affirmer son unité dans le jeu des relations internationales au prix d’une trahison qui redonne en particulier au Royaume-Uni un rôle à la hauteur de ses ambitions et au détriment de la France.

    Les entorses au respect dû à leurs alliés ou leurs partenaires ont été nombreuses.

    Elles ont bénéficié d’une grande complaisance notamment de la part des européens en termes de rétorsion, situation qui exprime bien la faiblesse ou la soumission des États de l’Union européenne. Ainsi, les relations transatlantiques ont été l’objet de nombreuses tensions avec les États-Unis comme les lois d’extraterritorialité ou les normes ITAR qui soumettent au veto de Washington toute exportation de matériel d’armement contenant un composant américain. L’exportation du Rafale a été retardée pendant trois ans jusqu’à ce que l’unique pièce américaine soit remplacée. L’espionnage a aussi été de rigueur. E. Snowden a dénoncé en 2013 l’ampleur des renseignements collectés par les services secrets américains et britanniques : programme PRISM de collecte des informations en ligne, espionnage des câbles sous-marins de télécommunications intercontinentales, du Conseil européen à Bruxelles, de l’ONU. Les dirigeants européens y compris la chancelière Merkel ont été écoutés par la NSA. Les multiples critiques de l’ancien président américain Donald Trump à l’encontre de l’Europe pendant quatre ans ont aussi accru les tensions entre les États-Unis et leurs alliés européens.

    De fait, les principales puissances de l’ancien empire britannique ont recréé une unité de vue stratégique.

    Jusqu’à aujourd’hui, le monde anglo-saxon a soutenu un occident conforme à sa vision du monde et à ses ambitions. Désormais, dans une approche civilisationnelle, une unité de vue stratégique s’affirme sans complexe au détriment même de ses alliés les plus fidèles. Outre le fait que cet objectif a été favorisé par une culture et une langue communes, celle-ci étant d’ailleurs imposée à leurs alliés dans l’OTAN et donc les opérations, l’Union européenne ou à l’ONU, elle a été renforcée notamment par cette organisation du renseignement anglo-saxon depuis plus de soixante-dix ans au sein des « five-eyes only » qui réunit États-Unis, Australie, Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande et Canada. Cette convergence des intérêts s’exprime désormais avec ce pacte de l’AUKUS qui, certes, vise d’abord à faire face aux ambitions régionales de Pékin mais prévoit aussi une collaboration en matière de cyberdéfense, d’intelligence artificielle et de technologies quantiques.

    Enfin, le pacte AUKUS et l’affaire des sous-marins vendus par la France à l’Australie ont concrétisé la fondation d’un acteur international aux valeurs et aux intérêts partagés.

    Les États-Unis reconstituent un front uni sous leur autorité malmenée depuis plusieurs années. L’Australie se repositionne sous la protection américaine. Le Royaume-Uni, un passager clandestin, peut revendiquer une puissance retrouvée par ce succès diplomatique. Dans son histoire, la culture « anglaise » qui irrigue ces États a rarement eu l’ambition de coopérer dans la défense d’intérêts communs qui ne soient pas dans leur approche civilisationnelle. Le rôle des États-Unis est connu. L’Australie est fortement liée au Royaume-Uni et aux États-Unis rejetant aujourd’hui la stratégie franco-australienne lancée en 2012 qui devait lui donner une certaine liberté d’action dans la zone indo-pacifique. Cependant, le rôle du Royaume-Uni doit être mis en exergue et la France ne doit pas oublier la stratégie immuable de la « perfide Albion ». Les entraves britanniques pour affaiblir l’Union européenne, y compris dans le domaine de la défense, ont été systématiques. Elles ont été poursuivies après le Brexit pour modifier des conditions pourtant acceptées, certes encouragées par la complaisance de l’Union européenne toujours à la recherche de compromis bien souvent à son détriment. Dans le domaine de l’armement, peut-on oublier le fiasco de la construction en commun de porte-avions (Cf. La Tribune du 10 février 2014) entre la France et le Royaume-Uni, affaire qui rappelle bien étrangement ce qui vient de se passer avec l’Australie, symbolisant cette naïveté bien française de faire confiance au monde anglo-saxon ? Le choix britannique du F-35B américain confirmera la préférence indéfectible donnée à ce lien avec les États-Unis. Enfin, peut-on se fier aux affirmations du Premier ministre britannique le 19 septembre sur son « indéfectible amitié pour la France », chacun sachant que ses propos sont rarement fiables ? Enfin, la préméditation du pacte AUKUS et la duplicité de l’Australie ont été confirmées. Dès mars 2020, le Premier ministre australien organisait la trahison (Cf. Le Figaro du 21 septembre 2021).

    En bref, le monde anglo-saxon a l’objectif stratégique aujourd’hui de retrouver collectivement une puissance perdue face aux nouvelles puissances, sans doute pour ne pas dépendre de décisions multilatérales par exemple des Européens dont l’efficacité est souvent mise en échec. Cette situation apparue brutalement impose une analyse de ses conséquences.

    L’unité du monde occidental fracturée par cette stratégie anglo-saxonne

    La nouvelle stratégie au premier abord concentrée sur la zone indo-pacifique n’est que le long aboutissement d’une dégradation de l’unité de l’Occident que ce soit dans les domaines économiques, militaires, juridiques. Cette dégradation est désormais actée avec la signature du pacte stratégique de l’AUKUS. Celui-ci consacre la distanciation entre le monde anglo-saxon et le monde occidental « européo-centré » qui paie lourdement ses faiblesses géopolitiques. Pour sa part, la France se trouve mise en échec dans son ambition d’être un acteur majeur de la sécurité internationale notamment dans la zone indo-pacifique.

    La création de l’AUKUS crée une fracture dans le monde occidental en faisant évanouir l’illusion de la défense d’intérêts communs au sein de la zone indo-pacifique.

    Toutes les démocraties occidentales ont pourtant senti le danger de la montée en puissance de la Chine dans cette région. Cette convergence aurait dû conduire à une forte coopération. Au contraire, le bloc anglo-saxon a créé une fracture stratégique. En 2011, Obama avait lancé l’axe indo-pacifique qui a été prolongé par une stratégie développée par D. Trump en 2018. Le Quad ou dialogue quadrilatéral pour la sécurité (Cf. The Quad in the Indo-Pacific : What to Know), sans être une alliance, a été mis en place et comprend les États-Unis, l’Australie, l’Inde et le Japon. Il vise à s’opposer à l’expansionnisme chinois. La France refuse cependant de s’y associer mais publie sa propre vision stratégique (Cf. Ministère des armées, « La France et la sécurité en Indo-pacifique », 2019).

    En mars 2020, Downing Street avait publié pour sa part la « revue intégrée de défense, de sécurité et de politique étrangère » qui dressait les priorités du Royaume-Uni pour les dix prochaines années. L’importance géopolitique désormais centrale de la zone indo-pacifique, et sur les conséquences à en tirer était soulignée, et le pays devait y renforcer considérablement sa présence. Faisant suite au pacte AUKUS, le Premier ministre rappelle donc  la « nouvelle manifestation de l’engagement britannique de long terme dans la zone indo-pacifique et de sa volonté d’aider un de ses plus anciens alliés à préserver la stabilité régionale. »

    Pour sa part, le Premier ministre australien a justifié sa décision pour ce nouveau pacte et pour la dénonciation du marché d’armement en raison d’une part d’un intérêt limité de la France pour les enjeux stratégiques de la région, d’autre part de besoins militaires n’étant plus les mêmes. Il s’appuie par ailleurs sur des problèmes techniques et des retards de mise en oeuvre du marché. Cela ressemble pourtant bien à une campagne de désinformation préparant ce coup de Trafalgar si l’on se réfère au calendrier politique de l’opération qui se dévoile peu à peu. Le jour même de la déclaration de l’annulation du contrat le 15 septembre, un courrier de satisfaction australien était reçu par Naval Group selon le porte-parole du ministère des armées français.

    L’Union européenne est pour sa part peu impliquée collectivement dans l’Indo-pacifique.

    Comment s’étonner que d’Obama à Biden en passant Trump, les États-Unis n’ont cessé de montrer leur désintérêt pour un acteur international aussi peu crédible en termes de sécurité ? L’Union européenne n’est pas réellement affaiblie dans cette crise car elle n’existe pas dans la zone indo-pacifique. Elle n’a pas été informée de la signature du pacte de sécurité AUKUS et ses membres ont été particulièrement silencieux face à l’affront fait à la France. Seule Ursula von der Leyen a exprimé clairement un mécontentement européen. Pourtant, le manque de fiabilité de l’allié américain devrait faire réagir l’Union européenne. L’abandon brutal de l’Afghanistan par les États-Unis suite aux accords de février 2020 à Doha signés uniquement entre Talibans et Américains, sans consultation de leurs alliés, qu’ils fassent partie de l’OTAN et/ou de l’Union européenne, a été le dernier signal d’alerte après bien d’autres. Les capacités militaires restreintes britanniques sont désormais focalisées sur l’Indo-pacifique et devraient peu participer à une défense de l’Europe. Reste le débat renouvelé sur une force de réaction rapide européenne (Cf. Mon interview sur RT du 3 septembre 2021) pour assurer une défense militaire crédible y compris dans l’espace hors-européen. L’interview de Josep Borrel publiée le 14 septembre (Cf. Le Monde, « Une Europe de la défense plus forte est dans l’intérêt de l’OTAN ») prend ainsi une autre dimension avec l’annonce du pacte AUKUS ce 15 septembre.

    Puissance moyenne mais non négligeable, la France doit modérer son anglophilie.

    La diplomatie française a-t-elle subi un échec dans la vente des douze sous-marins ? Certes, la déconvenue est forte mais que peut-on faire contre la trahison d’alliés de longue date ? Surtout, comment comprendre que les diplomates n’aient rien vu venir ? De même, la DGSE n’a-t-elle pas cette mission de renseignement y compris envers les alliés ? Certes on n’espionne pas les alliés mais la DGSE est-elle si naïve ? Nous pouvons en douter d’autant qu’elle est aux ordres du pouvoir politique … (Cf. Le Monde du 26 juin 2015)

    Sans doute que la diplomatie, à force d’être « diplomate » s’illusionnait sur le fair-play anglo-saxon, valorisant les dirigeants démocrates américains par opposition aux Républicains. Ainsi, s’opposer à Bush et à Trump et porter au pinacle B. Obama puis J. Biden était sans doute enthousiasmant mais c’est bien Obama qui, en 2013, a rendu l’action militaire française impossible contre Bachar Al Assad et J. Biden qui, sans consulter ses alliés, a quitté l’Afghanistan laissant aussi bien l’OTAN que ses alliés face à la débâcle du retrait.

    Il en est de même pour les relations entre la France et le Royaume-Uni. Il est en effet temps pour une partie de l’élite française de modérer son anglophilie et donc son aveuglement. Il est vrai que lorsque la France peut commémorer Trafalgar, une défaite navale française et non une victoire comme Austerlitz, tout est dit. Or, ces relations bilatérales ont toujours été empreintes d’hypocrisie et notre histoire commune le prouve. Que ce soit l’économie ou les contrats d’armements, « Britain first » a toujours été la règle pour le Royaume-Uni. Peut-on dans ce cas faire confiance aux Britanniques pour un engagement commun pour ce grand projet de corps expéditionnaire franco-britannique lancé en 2010 et dans lequel les forces armées françaises sont très engagées ?

    La réalité de cette nouvelle fracture occidentale est désormais une faiblesse grave. L’AUKUS et le contrat dénoncé des sous-marins français remettent ou devraient remettre en cause notre stratégie.

    La nécessité de reconstruire une politique étrangère conforme à nos intérêts

    Félicitons-nous du geste symbolique du rappel pour consultation de nos ambassadeurs en Australie et aux États-Unis. Certes, dans nos calculs diplomatiques, toujours dans le ménagement de nos alliés même déloyaux, l’ambassadeur de France au Royaume-Uni a été « oublié ». Témoignage encore de notre aveuglement sinon d’une anglophilie illusoire et persistante. Un nouveau rapport de force s’est installé avec ce bloc anglo-saxon dont il faut extraire des conclusions pour notre politique étrangère et la défense aussi de notre souveraineté dans le Pacifique. La France doit retrouver sa place de puissance, notamment à travers les organisations que ce soit l’OTAN ou l’Union européenne. Elle doit enfin renforcer sa puissance militaire dans la zone indo-pacifique.

    Renforcer la singularité française

    Le bloc anglo-saxon prétend défendre la paix et la sécurité face à la Chine sans finalement rendre de compte. L’AUKUS montre à l’évidence que la France notamment n’est pas un allié suffisamment fiable pour l’associer à cette stratégie. Affichons donc désormais nettement que nous ne nous impliquerons pas dans une quelconque action internationale engagée par ce bloc en cette zone indo-pacifique (Cf. Mon interview du 16 septembre 2021 sur RT). Une diplomatie active vers d’autres d’acteurs régionaux doit être entreprise sans nier le fait qu’elle sera entravée par le bloc anglo-saxon. La France a des relations privilégiées avec l’Inde. Poursuivons avec d’autres Etats asiatiques.

    Cela ne signifie pas que la menace chinoise soit ignorée. Elle existe mais proposer une voie moins anglo-saxonne mais déterminée qui s’appuie sur une force militaire crédible, notamment navale sans doute à accroître, peut inciter des États à rejoindre une alliance spécifique ou à améliorer des partenariats sous la forme de relations bilatérales. La duplicité du bloc anglo-saxon est suffisamment visible et persistante pour inciter des États à se tourner vers un État plus fiable d’autant qu’il peut mobiliser une entité économique et politique, pourquoi pas militaire comme l’Union européenne. Ce que le bloc anglo-saxon a accompli aujourd’hui se reproduira demain, ne nous faisons aucune illusion.

    Reconfigurer les alliances et engager l’Union européenne dans la zone indo-pacifique

    Afin d’avoir une influence sur les relations internationales, il est donc temps pour la France de redevenir cet allié exigeant tel que le général de Gaulle l’était dans cette logique de la troisième voie. Elle peut agir notamment au sein du conseil de sécurité des Nations unies. Les cinq membres permanents constituent désormais trois entités : un bloc des États autoritaires (Chine et Russie), un bloc anglo-saxon (Etats-Unis et Royaume-Uni) et la France qui peut aussi bien défendre les intérêts français que les intérêts de l’Union européenne.

    Concernant la défense de l’Europe, le président Macron avait évoqué la mort cérébrale de l’OTAN. Il s’agit aujourd’hui de prendre nos responsabilités dans l’OTAN et de diminuer l’emprise anglo-saxonne. Instrumentalisant des alliés peu méfiants et tellement heureux du retour des Etats-Unis à des relations apaisées, la décision d’inscrire la Chine comme une menace dans le communiqué final du sommet de l’OTAN du 14 juin 2021 à Bruxelles (Cf. Le Monde du 16 juin 2021) peut aujourd’hui être interprétée comme l’anticipation du pacte AUKUS du 15 septembre. Or, la Chine ne devient une menace pour l’OTAN que lorsqu’elle se déploie ou agit dans la zone géographique définie par le traité de l’Atlantique Nord (articles 6 et 14). Ainsi, si elle en a la volonté, seule l’Union européenne est légitime en termes de sécurité pour agir hors de cette zone. Ce n’est en revanche pas une mission de l’OTAN et la France doit s’y opposer.

    Enfin la France est-elle capable de provoquer cette distanciation avec les Anglo-saxons et d’entraîner derrière elle des Etats européens, y compris dans la zone indo-pacifique ? Nos intérêts économiques sont convergents notamment dans le domaine maritime et la protection de nos voies de communication. L’Union européenne peut à ce titre avoir un rôle sécuritaire. La création d’une réelle force navale dans le cadre de la coopération renforcée, donc avec les États qui veulent bien s’engager, serait un projet marquant et significatif. Elle pourrait s’appuyer du point de vue logistique notamment sur les territoires français du Pacifique.

    Renforcer nos moyens militaires dans l’Indo-Pacifique

    En effet, la France doit réorganiser sa sécurité dans cette zone : diplomatie, moyens navals, terrestres, aériens et sans aucun doute renseignement et guerre de l’information. En son temps, l’Australie a bien tenté de déstabiliser la Nouvelle-Calédonie dont l’avenir sera clarifié le 12 décembre 2021. N’étant plus intégrée dans la stratégie anglo-saxonne de containment, donc en première ligne, la France est désormais en seconde ligne dans l’objectif de défendre ses intérêts de souveraineté et en limitant à ce seul objectif ses engagements notamment militaires par exemple dans le cas d’exercices militaires communs.

    La France a identifié mais d’une manière dogmatique les défis sécuritaires en Indo-pacifique qui ne pouvaient être surmontés que par la voie de la coopération, avec une vision pacifique pour bénéficier de la prospérité économique de la région. Cette approche s’appuyait bien entendu sur un autre dogme, celui du multilatéralisme qui ne doit pas faire oublier ce que la France représente. Elle possède la deuxième zone économique exclusive au monde (11 millions de km²) après celle des États-Unis, pour l’essentiel située dans le Pacifique (67 %) et dans l’océan Indien (26 %), contrôle 465 422 km² (avec la Terre Adélie) en océan Indien et dans le Pacifique. 200 000 expatriés sont présents dans les États de l’Indo-Pacifique. En 2017, 33,7 % de ses exportations hors Union européenne étaient destinées à cette région et 41% de ses importations en provenaient.

    Comme l’évoquait le document « La France et la sécurité en Indo-pacifique » (2019), l’établissement d’une relation de confiance entre la France et ses partenaires constituait « un préalable nécessaire aux contrats d’armement qui engagent les parties sur une longue durée et impliquent pour l’importateur un investissement budgétaire, technique et humain souvent élevé. L’objectif recherché est de créer un lien étroit, destiné à s’inscrire dans la durée afin de créer des conditions favorables à la conclusion d’accords commerciaux structurants pour la relation bilatérale ». L’échec est donc flagrant et elle ne peut plus compter sur des alliés peu fiables qui n’hésiteront pas à faire disparaître la France de cette zone d’avenir s’ils en ont l’opportunité.

     

    Pour conclure, agir comme une puissance

    La trahison des Anglo-saxons a déchiré le voile de l’illusion qui satisfaisait nombre d’Etats. En paraphrasant ce qu’exprimait jadis un homme politique, « Quand on a des alliés comme cela, on n’a pas besoin d’ennemi ». Il faudra sans aucun doute une longue période avant que la confiance ne revienne. Dans l’immédiat, il est temps de comprendre que nous avons des ennemis, des adversaires, des compétiteurs. Il est temps de changer de paradigme et de modèle géopolitique pour faire face aux nouvelles menaces dans notre environnement.

    La France doit revoir ses alliances et avoir plus le souci de ses intérêts nationaux que des intérêts internationaux pour lesquels elle se sent concernée par solidarité comme elle l’a fait pour l’Afghanistan. Ses moyens sont limités mais loin d’être négligeables. Si elle a la volonté et la capacité de persuasion d’entraîner dans une stratégie constructive ses partenaires européens, sinon même asiatiques, elle peut constituer un bloc qui peut modérer les ambitions de puissance aussi bien du bloc anglo-saxon que de la Chine tout en préservant ses intérêts et ceux de l’Union européenne.

    François Chauvancy (Theatrum Belli, 22 septembre 2021)

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  • La dissociété, morcellement de la société...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une nouvelle vidéo d'Ego Non qui évoque la question de la dissolution de la société moderne autour des réflexions de Marcel de Corte, philosophe belge aristotélicien.

     

                                            

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  • Réquiem pour la démocratie libérale...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels, cueilli sur Tysol.fr,  qui nous rappelle que la démocratie libérale occidentale est une fiction destinée à masquer la réalité oligarchique du pouvoir...

    consacré au glissement autoritaire de nos sociétés à travers l'exemple de la dénonciation des opposants au « passe sanitaire » comme « parasites sociaux »...

    Historien, spécialiste de l'antiquité romaine, David Engels, qui est devenue une figure de la pensée conservatrice en Europe, est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a également dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020).

     

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    Réquiem pour la démocratie libérale

    La mort de la démocratie libérale est de plus en plus souvent invoquée, que ce soit de manière apotropaïque par ses partisans, que ce soit avec une certaine satisfaction par ses opposants. Pourtant, la démocratie libérale n'a jamais existé ; en fait, elle est une contradictio in adiectum.

    Tout d'abord, il est très douteux que le mot « démocratie » puisse vraiment s'appliquer aux sociétés occidentales modernes telles qu'elles ont évolué depuis la Révolution française, car le système des partis parlementaires n'a pas grand-chose à voir avec le concept réel de démocratie. À l'origine, la « démocratie » signifiait la tentative de faire exercer le pouvoir non seulement pour le peuple, mais aussi par le peuple, et ce non pas de manière de plus en plus indirecte à travers des étapes complexes de délégation de pouvoir, mais directement, à savoir par des plébiscites et par l'élection directe de tous les magistrats ou, mieux encore, par leur désignation par le sort, comme dans le cas de la démocratie attique. Nous, en revanche, en essayant de mettre en œuvre le concept polybien de la « constitution mixte », nous avons créé un système parlementaire de représentation qui, par le mécanisme des partis, par l'invention du politicien professionnel et par la délégation du pouvoir politique du peuple aux parlements et des parlements à diverses formes d'exécutifs et d'institutions internationales, ressemble le plus à une oligarchie. En outre, si l'on considère également qu'en raison de la polarisation sociale croissante et de l'érosion de l'État-nation classique, le pouvoir réel est plus susceptible de se trouver entre les mains des Big Tech, des Big Data et des Big Business qu'entre celles des politiciens, la marge de manœuvre réelle du peuple pour façonner la politique quotidienne se réduit encore plus.

    Deuxièmement, nous devons discuter de la signification du mot « libéral » et du soupçon que son idéal a peu à voir avec la réalité pratiquée aujourd'hui. Si l'on entend par « libéral » la volonté d'assurer la plus grande liberté possible à l'individu, il faut alors se demander si cette liberté n'existait pas dans une bien plus large mesure au cours des siècles passés qu'aujourd'hui, où un procéduralisme juridique presque maniaque tue dans l'œuf toute initiative, ou plutôt, la réserve à une élite jalousement protégée et à son soutien légaliste. De plus, la surveillance de plus en plus étroite de nos données par l'État et l'économie nous transforme en un peuple transparent, et l'introduction de systèmes de crédit social dystopiques comme ceux en Chine n'est pas seulement possible en Europe, mais est déjà devenue réalité à travers des initiatives comme le passeport covid : sans que nous nous en rendions compte, le prétendu libéralisme occidental s’est transformé en économie planifiée numérique polycentrique. En outre, en ce qui concerne les prétendues « valeurs » libérales, certaines questions gênantes se posent. Car s'il doit être « libéral » d'orienter sa propre vie selon des valeurs morales individuelles arbitraires et relativistes, qui doivent seulement répondre à la condition préalable de ne pas limiter la liberté d'autrui (ou, pour reprendre les termes de Kant, de pouvoir devenir une loi générale), la vacuité de l'idée de « valeurs libérales » apparaît rapidement. En effet, en fin de compte, un tel concept de liberté ne fait que déplacer le dilemme de la prise de décision morale des anciennes communautés de solidarité pré-modernes tels que la famille, l'église, la guilde ou le village vers le législateur étatique. Ce dernier, cependant, est de plus en plus influencé par une attitude résolument anti-traditionnelle et ne compte plus accompagner l’évolution sociopolitique, mais la diriger. Ainsi, en favorisant systématiquement les minorités les plus diverses et contestables tout en critiquant directement ou indirectement les modes de vie traditionnels et majoritaires, le « libéralisme » défendu par l'État moderne correspond de plus en plus à une tentative d’« ingénierie sociale » radicale de gauche. Au terme de cette évolution se trouve, comme on le voit déjà aujourd'hui, l'idéal d'un individualisme extrême et hédoniste-matérialiste, qui n'autorise que d’infimes variations sur le thème de plus en plus étroit de la prétendue « diversité » : ainsi, la réalité quotidienne résultant de cette politique semble collectiviste plutôt que véritablement libérale et a remplacé la liberté réelle et la diversité des styles de vie, comme le connaissait encore le passé pré-révolutionnaire, par un conformisme uniforme, comme le soupçonnait déjà Tocqueville.

    De cette brève clarification des termes, qui devrait faire comprendre que les « démocraties libérales » actuelles ne sont en réalité ni libérales ni démocratiques dans le sens où l’on l’entend généralement, mais cachent une gouvernement élitaire de plus en plus matérialiste et collectiviste, découlent quelques conséquences naturelles.

    D'une part, cette évolution, qui s'est fortement accélérée au cours des deux dernières décennies, va certainement se poursuivre encore plus rapidement à l'avenir, rendant ainsi progressivement claires les conséquences ultimes de nos choix politiques, et ce même pour les citoyens qui, pendant longtemps, ont naïvement préférer fermer les yeux face aux réalités. Malheureusement pour nous, il sera probablement bientôt trop tard, du moins pour l'Europe occidentale, pour procéder à des corrections de trajectoire significatives de manière organique et pacifique, car l’enchevêtrement entre politique, grandes entreprises, médias et experts est devenu tel que les pires extrêmes semblent d'abord devoir être atteints avant qu'une véritable remise en question puisse commencer.

    D'autre part, il s'ensuit que tout mouvement dédié à la lutte contre ces conditions ne doit pas être mené au nom d'une simple restitution d'un statu quo illusoire, comme celui des années 1980 ou 1990, qui, rétrospectivement, semblent si enviables seulement parce que les problèmes ancrés dans le système des partis parlementaires ainsi que dans le libéralisme de masse y étaient encore à peu près compensés par un dernier vestige de décence et de moralité enraciné fermement dans l’époque pré-révolutionnaires. Une fois de plus, cela ne fait que démontrer la véracité du fameux paradoxe de Böckenförde, selon lequel l'État moderne vit sur base de conditions préalables qu'il ne peut garantir lui-même - et que, faut-il ajouter, il combat même activement actuellement, sciant ainsi la branche sur laquelle il est assis… et nous tous avec lui.

    Une véritable alternative ne peut donc pas venir, pour le dire exagérément, de l'esprit du « conservatisme », car il ne reste plus grand-chose qui vaille la peine d'être conservé, mais plutôt de celui de la « réaction », dans le sens d'un retour conscient à des cadres et à des conditions politiques d'un tout autre type, et qui doivent bien sûr être adaptés aux réalités de la modernité. Mais cela ne peut se faire, comme je l'ai déjà expliqué avec un collectif d'auteurs venant de toute l'Europe dans mon livre « Renovatio Europae », que par un mouvement politique auquel j'ai donné le nom d'« Hespérialisme ». Ce n'est qu’en combinant le patriotisme culturel occidental avec le désir d'un lien renouvelé avec la transcendance chrétienne qu'il peut y avoir un espoir de survie pour notre civilisation. Et de ce point de vue, le seul point de départ possible pour une Europe alternative ne réside pas dans les États-nations post-révolutionnaires ou même dans les institutions internationales modernes, mais plutôt dans les formes pré-modernes d'Etats et de sociétés comme, par exemple, le « Sacrum Imperium » ou la République polono-lituanienne qui ont tous combiné subsidiarité, pluralisme politique, résilience, patriotisme, tolérance, sécurité juridique avec un ancrage transcendant.

    David Engels (Tysol.fr, 15 septembre 2021)

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  • Libéralisme contre libéralisme...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré à la montée en puissance du capitalisme totalitaire.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

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    Libéralisme contre libéralisme

    Libéralisme et capitalisme ont eu partie liée. Ce n’est plus le cas. En Europe comme ailleurs, un capitalisme totalitaire devient la première menace qui pèse sur nos démocraties et restreint nos libertés.

    Un vieux clivage

    Pour deux siècles, Benjamin Constant avait fixé le cadre du débat ; « la liberté politique est la liberté des Anciens, la liberté de l’individu est la liberté des Modernes ». Entre anciens et modernes, entre souverainistes et mondialistes, entre tenants de l’autonomie des Nations à faire leurs lois et à respecter leurs mœurs, et apôtres de l’universalisme du droit et des droits, s’est résumé le débat politique qui nous a si longtemps tenus éveillés. Mais voilà qu’une autre ligne de fracture vient transformer en profondeur le débat. Au vieil affrontement entre le libéralisme politique, celui de la liberté des peuples, exprimé par le principe majoritaire et le suffrage universel accordé à tous les citoyens, et le libéralisme de l’individu, celui des libertés individuelles, exprimé par l’État de droit et les droits de l’Homme, oublieux du citoyen, succède l’affrontement entre le libéralisme et le capitalisme. Un capitalisme sorti des mœurs et des lois, des frontières et des Nations est devenu la plus grande menace qui pèse sur nos libertés publiques comme privées.

    Le capitalisme est sorti de son lit. C’est ce que l’incroyable accumulation de richesse par les géants du numérique américain dit aussi bien que l’ascension, puis la chute, des magnats du numérique et des réseaux en Chine. C’est ce que signifie le privilège insolent du capital, désormais immune du politique, à l’abri du vote comme des décisions gouvernementales, au titre des accords internationaux de libre-échange signés par l’Union européenne qui protègent le capital et son rendement au point de faire porter sur le contribuable le coût de toute décision, par exemple sociale ou environnementale, qui porterait atteinte au rendement attendu d’un investissement. Et c’est ce que nous disent à la fois le grand désordre qui s’étend aux États-Unis, et le grand retour au patriotisme économique qui secoue la Chine et fait rendre gorge à ceux qui ont cru édifier leur fortune sans le peuple, ou contre lui. Qui a dit que l’égalité devait fixer des limites à la liberté économique ?

    Le communisme en a rêvé, les GAFAM l’ont fait

    Que s’est-il passé ? Ni révolution dans la rue, ni coup d’État à sensation, mais un changement de nature de ce que nous appelons encore démocratie sans mesurer à quel point le mot s’est vidé de son sens. C’est le numérique qui a donné au capitalisme ce caractère totalitaire que les limites des Nations, des ressources et des organisations lui interdisaient de prendre. Deux révolutions sont passées sous silence :

    D’abord, le fait que les techniques de traitement de masse de données pratiquement infinies rendent possible la planification intégrale ; ce que les régimes communistes avaient échoué à faire, faute de moyens techniques adéquats, Amazon ou Google peuvent le faire, mais alors que les régimes socialistes affirmaient le faire au bénéfice du peuple Amazon ou Google le font au bénéfice de leurs seuls actionnaires.

    Ensuite, le fait que la maîtrise de l’information acquise du fait de l’Intelligence artificielle et des algorithmes permet de fabriquer l’opinion, de susciter des états de conscience, bref, de modifier la perception du Bien et du Mal dans un sens unique et facile à identifier — à condition de s’en tenir à distance. Le numérique permet au capital de fabriquer la vérité — d’imposer sa vérité. Résumons en quelques mots ; tout ce qui vient de l’État est mal, tout ce qui vient du privé est Bien.

    Les milliardaires du Net font le Bien de l’humanité ; leurs fondations et les ONG qu’ils financent, généralement avec l’argent accumulé dans des paradis fiscaux ou acquis en ruinant les classes moyennes de leur pays d’origine, ne peuvent être mises en cause. La justice n’a rien à voir avec le capital et les revenus ; les pauvres doivent tout à la charité des riches. D’ailleurs qui n’est pas ému par la bonté d’âme des Soros, Gates et cie ? Les exemples criants de manipulations d’opinion sont partout. Citons seulement les coûts écologiques de ces voyages dans l’espace dont les Branson, Musk et cie semblent faire leur nouveau jouet — et dont personne ne dénonce les impacts désastreux. Citons encore la volonté, affichée par Gates, Bezos et quelques autres, de lancer l’exploitation du Groenland et des terres australes, piétinant un consensus que l’on croyait acquis sur la préservation de ces terres vierges et surtout, fragiles.

    Et citons encore l’extraordinaire impunité dont bénéficient des opérateurs modernes d’une censure dont l’arbitraire n’a d’égale que la partialité, mais dont aucun gouvernement, en dehors de la Chine, n’est parvenu à leur imposer les sanctions qui sauveraient cette condition de la démocratie ; la liberté d’opinion. Pour conclure ; nous vivons un nouveau temps des « robber barrons », ces Vanderbilt, Pierpont Morgan et autres bâtisseurs d’empires par le crime et la fraude, mais pardonnés parce qu’ils construisaient des bibliothèques ! Mais à quand la loi sur l’enrichissement sans cause, qui brisera leurs empires ?

    L’économie emportée par un capitalisme intégral est devenue totalitaire. Elle a plus à voir avec la croyance qu’avec l’économie, la société et bien sûr, la politique. Et c’est bien en cela que cette économie du capitalisme est totalitaire ; elle avale tout ce qui n’est pas elle. L’extension du domaine du marché à tout ce qui vit, de la reproduction humaine à la lutte contre les pandémies, comme l’illustre l’indécente fortune accumulée par les big pharma sous prétexte du Covid, est spectaculaire ; comme est spectaculaire la constitution de monopoles privés qui remplacent les monopoles d’État.

    Pour sortir de cette situation qui menace plus encore que les libertés, la vie elle-même, la première solution est de rendre aux populations leurs biens communs, des autoroutes à La Poste et des chemins de fer aux hôpitaux ; à eux d’en devenir associés propriétaires, à eux de décider de leurs conditions d’exploitation et du rendement qu’ils en attendent. La seconde est d’affirmer la priorité de l’indépendance stratégique, et de la décliner dans tous les secteurs où l’intérêt de la Nation est en jeu. La dernière appelle une tout autre dimension. Celle du sacré. Et comment ne pas paraphraser Heidegger ; face à l’être de la technique déchaîné par la cupidité privée, pouvons-nous faire autre chose que créer les conditions pour qu’à nouveau, le sentiment du sacré nous emplisse de respect, de crainte et de retenue ?

    Hervé Juvin  (Site officiel d'Hervé Juvin, 15 septembre 2021)

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  • Point final au féminisme...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une intervention de Julien Rochedy dans laquelle il évoque la question du féminisme.

    Publiciste et essayiste, Julien Rochedy est une figure montante de la mouvance conservatrice et identitaire. Auteur d'un essai intitulé Nietzsche l'actuel, il publie un nouveau livre, L'amour et la guerre - Répondre au féminisme.

     

                                             

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