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Points de vue - Page 68

  • Cet effondrement généralisé qui menace la société française...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Sébastien Laye et Jean-Baptiste Giraud, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la dégradation alarmante de la situation dans notre pays. Sébastien Laye est économiste et Jean-Baptiste Giraud journaliste et auteur de Dernière crise avant l'Apocalypse (Ring, 2021).

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    «L'effondrement généralisé menace la société française»

    Quand on parle d'effondrement dans le débat intellectuel français, d'aucuns imaginent les thèses de collapsologie de Pablo Sevigne et Raphaël Stevens. Pourtant, le thème du déclin et même de l'effondrement des civilisations est avant tout un sujet historique et anthropologique: qu'on se souvienne des thèses de Gibbon sur le déclin de l'Empire romain- un spectre de l'écroulement qui a hanté ses contemporains- ou de celles de Spengler dans Le Déclin de l'Occident. On songera aussi à l'effarement d'un Stefan Zweig qui assistera impuissant à l'écroulement de «sa» civilisation européenne.

    Or, le tableau que nous pourrions dresser de la France, sur la base de nombreux signaux faibles, se rapproche de celui brossé par Spengler. Houellebecq, Onfray, Debray ou Zemmour reprennent d'ailleurs certains des éléments critiques que l'on retrouvait chez Spengler. Vous qui lisez ces lignes, consciemment ou inconsciemment, savez déjà de quoi il est question ici, comme les 75% de Français qui estiment que la France est en déclin, d'après l'enquête «Fractures françaises» réalisée par l'institut Ipsos pour Le Monde parue en septembre 2021.

    Notre pays n'était déjà pas réputé pour la rigueur et l'efficacité de son administration, la poigne de ses commerciaux, ou l'excellence de son sens de l'organisation. Les milliers de drames individuels dont ont été victimes les supporters anglais ou espagnols au Stade de France samedi 28 mai, qualifiés «d'incidents» par Gérald Darmanin, n'en sont qu'une nouvelle preuve.

    Depuis quelques mois - on peut arbitrairement fixer le point de «départ» à la sortie non déclarée de la pandémie, et à la levée des mesures de restriction - de nombreux signaux faibles permettent d'anticiper un possible, et peut-être malheureusement probable, grand effondrement collectif.

    Grand, non qu'il soit glorieux, mais parce qu'il menace d'être généralisé. Le blocage logistique d'une partie de la Cité entraînera de facto l'anomie de tout le reste, par un effet désormais largement documenté de contamination impossible à juguler.

    Pendant la pandémie, un peu partout dans le monde, les systèmes de santé se sont effondrés. Bruyamment dans certains pays, avec des malades du Covid qui mourraient dans des ambulances sur des parkings, sous des tentes, ou parfois comme dans plusieurs pays d'Amérique du Sud et en Inde, chez eux, sans une once d'oxygène à respirer, non pour pouvoir les sauver mais simplement pour rendre leur agonie (une lente et inexorable asphyxie) un peu moins horrible. En France, et dans d'autres pays occidentaux (les Italiens n'ont pas oublié), le tri opéré entre ceux que l'on allait essayer de sauver et ceux qui étaient de toute manière condamnés est la signature parfaite de l'effondrement. Brutalement, la croyance que l'hôpital et les médecins pouvaient soigner et sauver s'effondrait. Les proches, parfois, les malades eux-mêmes, se sont entendus dire qu'ils étaient condamnés. Et que rien ne serait tenté pour tenter de les sauver, quoi qu'il en coûte.

    Deux ans plus tard, l'hôpital, encore lui, est au bord du grand effondrement. De nombreux professionnels de santé clament dans le désert que le système de santé français n'a pas remonté la pente. Partout sur le territoire, des services d'urgence saturés refusent des cohortes de malades. Des enfants, des personnes âgées, mais aussi des hommes et des femmes de tous âges, sont morts ces derniers mois parce qu'ils n'ont pas été pris en charge, ou mal, ou trop tardivement, dans une situation d'urgence, par un système de santé «à bout de souffle». Au moment où des centaines, des milliers d'infirmiers, de médecins, arracheront simultanément leur blouse, et partiront en claquant la porte, les malades n'auront d'autre recours que d'appeler au secours leurs proches pour les sortir de là. Du moins, ceux qui ont la chance d'en avoir.

    Le secteur de l'énergie aussi est menacé d'effondrement. Pas celui des hydrocarbures, car l'offre demeure pour l'instant abondante, et au final, pour le pétrole comme pour le gaz, ce n'est qu'une question de prix. En revanche, l'arrêt de près de la moitié des réacteurs nucléaires d'EDF pour raisons de sécurité, une situation à laquelle jamais le réseau électrique français n'a été confronté, crée les conditions pour qu'un ou plusieurs black-out surviennent l'hiver prochain. La France est le pays d'Europe ou le MWh est vendu le plus cher sur le marché de l'électricité, alors que nous sommes censés produire l'électricité la moins chère au monde grâce au nucléaire ! Il y a comme un bug ou plutôt, le big bug est devant nous. Sauf si Enedis parvient à imposer au gouvernement un système de délestages tournants, privant des millions d'abonnés d'électricité pendant trente minutes au moins simultanément, aux heures de pointe. En effet, en l'état actuel des capacités de production françaises, et des perspectives d'importation, le réseau électrique français ne tiendra pas. Il manquera au minimum 10 GW de capacités pour affronter les pics de consommation de l'hiver prochain. RTE en est contraint à étudier (Les Echos-13 avril 2022) un scénario surréaliste consistant à raccorder au réseau des milliers de groupes électrogènes diesel, groupes qui servent normalement à alimenter des équipements sensibles en cas de défaillance... du réseau. Ils pourraient apporter entre 6 et 10 GW, très ponctuellement. Mais si le réseau s'effondre quand même, qui alimentera ces équipements sensibles, privés de leurs bouées de sauvetage, mobilisées pour un naufragé beaucoup trop gros pour être sauvé de la noyade ?

    Dans l'automobile, où la France a encore une partition à jouer en Europe, les grands patrons multiplient les tribunes et les conférences pour dire que leur secteur, qui représente des millions d'emplois, mais permet tout simplement aussi la mobilité individuelle de milliards d'habitants et arme toutes les chaînes logistiques du monde en véhicules de toutes tailles, est menacé d'effondrement. À cause de la chasse au moteur thermique et de la folie des normes, de l'équation impossible du tout électrique (sujet à relier au paragraphe précédent), de la pénurie de composants électroniques, de la cherté de certains matériaux rares et moins rares...

    Dans les télécoms, le déploiement à marche forcée de la fibre place la France loin devant tous les autres pays occidentaux, avec près de 70 % de foyers éligibles au haut débit. Mais à quel prix ! En réalité, selon le gendarme des télécoms, la fibre n'atteint pas un foyer éligible sur cinq. Le taux de panne mensuel (oui, mensuel), atteint par endroits 3%, selon le sénateur Patrick Chaize. Les délais de rétablissement sont fixés en semaines voire en mois. La plupart des armoires techniques sont transformées en «plats de spaghettis» auxquels plus personne ne comprend rien, et les déconnexions sauvages sont le lot commun de bien des abonnés. Enfin, le réseau fibre français est constitué de près de... 500 000 kilomètres de réseau aérien. À la prochaine grosse tempête, les abonnés privés d'Internet se compteront par millions, dont dans le lot nombre d'applications civiles ou industrielles hautement sensibles, car totalement dépendantes d'Internet. La communauté d'agglomération de Paris-Saclay, qui héberge entre autres Polytechnique et des laboratoires du CEA, vient de porter plainte contre les opérateurs de téléphonie, tellement le déploiement de la fibre y est catastrophique. Nos territoires ruraux sont de facto abandonnés, le télétravail tant vanté y étant chaotique du fait de ces problèmes d'infrastructure.

    Dans les secteurs du tourisme, de l'hôtellerie, et de la restauration, les patrons n'attendent pas l'été avec la satisfaction de savoir qu'ils vont enfin pouvoir faire passer leurs comptes de résultat dans le vert, et ainsi faire face aux dizaines de milliards d'euros de PGE qui leur ont permis de garder la tête hors de l'eau pendant la pandémie. Non ! Il manque au bas mot 300 000 employés dans le secteur. Les hôtels ferment des étages entiers. Les restaurants deux, parfois trois jours par semaine, faute de personnel. Les compagnies aériennes annulent des vols par milliers.

    Quant aux agriculteurs, tous les maux s'abattent simultanément sur leurs têtes, au pire moment. Pénurie d'eau et explosion du prix des intrants pour les céréaliers, explosion du prix du gaz pour les maraîchers qui cultivent sous serre à la mi-saison et en hiver, pénurie de main-d’œuvre pour ramasser fruits et légumes qui pourrissent sur pied. Des pandémies qui n'en finissent pas, dont une colossale et dramatique grippe aviaire, sans doute la «plus grave de l'histoire pour l'agriculture française», pandémie dont on ne parle pas ou trop peu pour des raisons aisées à deviner. Une grippe porcine menace à nos portes, avec des foyers découverts en Allemagne.

    La place nous manque pour faire la liste exhaustive de tous ces signaux faibles d'un effondrement prochain, et en tout cas déjà bien entamé.

    A-t-on retenu les leçons de la menace d'effondrement du système financier et bancaire en 2009 ? Les banques centrales seront-elles capables (et en auront-elles les moyens ?), une fois encore, de réagir, en cas de nouveau grippage de la mécanique, avec la nouvelle priorité de lutte contre l'inflation ?

    L'explosion des incivilités, des vols, de la délinquance, niés par un ministre dont les services produisent pourtant des monceaux de statistiques qui disent exactement le contraire, n'est-il pas un autre signal faible d'un possible retour à la loi de la jungle... ou du Far-West ?

    Le pire n'est jamais certain. L'accumulation de ces signaux faibles, en réalité de plus en plus visibles pour qui veut bien se donner la peine de les regarder, doit nous conduire à en tirer les conclusions qui s'imposent.

    Soit l'État, qui est en train de disparaître sous nos yeux, cédera la place demain à une nouvelle hiérarchie des normes et des pouvoirs, plus proche et accessible des citoyens, plus respectueuse de la liberté individuelle, pleinement garante des droits et des devoirs de chacun. Il s'agira ainsi pour la société civile de reprendre la main face à l'État et aux politiques.

    Soit nous avons déjà les deux pieds enfoncés bien profond dans les sables mouvants d'une période durablement et profondément trouble, caractérisée par un individu seul face à l'État (et écrasé par sa bureaucratie) qui cédera à l'individualisme forcené, déjà bien ancré dans notre société et dans les mentalités, mais qui atteindra son paroxysme.

    Il faut lire et écouter Spengler de même qu'il faut lire et écouter les (trop rares) politistes et économistes réalistes qui nous rappellent des réalités auxquelles nous avons peut-être trop tendance à opposer notre déni: que notre capacité d'innovation s'essouffle, que les perspectives d'ascension sociale pour nos jeunes sont quasiment nulles, que le dialogue entre cultures n'est pas si facile en France, que les droits de l'Homme ne sont pas si aisément transposables dans d'autres cultures, que le demos est aussi un ethnos, et que la civilisation française classique du XXe siècle mourra aussi inéluctablement que d'autres modèles.

    C'est déjà arrivé. Rien n'empêche aujourd'hui que cela n'arrive encore une fois demain.

    Sébastien Laye et Jean-Baptiste Giraud (Figaro Vox, 8 juin 2022)

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  • Guerre en Ukraine : quelle voie de sortie ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Renaud Girard cueilli sur Geopragma et consacré aux perspectives, encore lointaines, de sortie dans le conflit ukrainien. Grand reporter au Figaro, Renaud Girard est membre du comité d'orientation stratégique de Geopragma.

     

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    Guerre en Ukraine : quelle voie de sortie ?

    Comment arrêter la guerre fratricide d’Ukraine, déclenchée il y a trois mois par la Russie ? Il faut se rendre compte que ce conflit a déjà fait au minimum 20000 morts chez les Russes et un chiffre approchant chez les Ukrainiens. Les destructions sont gigantesques et pas seulement à Marioupol. Plus de six millions d’Ukrainiens, principalement des femmes, des enfants et des vieillards, ont quitté leur pays.

    Le bilan humain est donc déjà très lourd. On en n’est pas encore aux 100000 morts provoqués par l’invasion de l’Irak par les anglo-saxons il y a dix-neuf ans. Mais c’est un chiffre qu’on pourrait très bien atteindre un jour si le conflit se poursuivait à l’intensité actuelle. 

    Économiquement, les perspectives sont également sombres. Elles le sont pour les belligérants, mais aussi pour de nombreuses nations, en Europe et en dehors, qui sont pénalisées par l’interruption de leur commerce avec eux.

    L’Ukraine était devenue une superpuissance agricole, capable de nourrir quatre cents millions de personnes à travers le monde. Aujourd’hui elle a beaucoup de mal à exporter ses céréales. Ses débouchés sur la Mer Noire, les ports d’Odessa et de Mykolaev, subissent le blocus de la flotte russe de Sébastopol. Les exportations se font actuellement, au compte-goutte, par voie ferrée, via la Pologne, ce qui oblige à un pénible transbordement de wagon à wagon. L’écartement des rails n’est pas le même dans l’ancien empire russe qu’en Europe occidentale. 

    De nombreux pays d’Afrique (Egypte, Algérie, etc.) nourrissaient leurs populations grâce aux céréales ukrainiennes. Ce n’est plus possible. Le renchérissement des produits agricoles va créer des phénomènes de famine sur le Continent Noir.

    Une catastrophe économique se profile également pour la Russie. Elle a perdu des centaines de milliers d’ingénieurs du secteur de la high-tech, qui ont fui le pays dès le début de l’« opération militaire spéciale » de Poutine. Elle ne peut plus importer, depuis l’Occident, ou depuis les nations asiatiques alliées des Américains, les puces électroniques et les pièces détachées indispensables au fonctionnement de son industrie. Elle ne peut plus exporter une grande partie de son gaz et de son pétrole à ses clients européens habituels.

    En raison des sanctions qu’ils ont adoptées, les pays européens, obligés d’acheter du gaz de schiste américain liquéfié, vont payer des factures énergétiques astronomiques. Ils vont perdre aussi leurs débouchés commerciaux en Russie. Le marché russe représentait le quart des ventes de véhicules Renault. 

    Avec ses sanctions, l’Union européenne (UE) se tire une balle dans le pied, tout en avantageant commercialement les Américains, qui n’ont jamais entretenu de liens commerciaux importants avec le marché russe. Si les sanctions étaient politiquement efficaces contre les autocraties, cela aurait un sens. Mais l’histoire a prouvé qu’elles ne l’étaient pas. Les sanctions internationales n’ont nullement affaibli les régimes de Castro, Saddam Hussein, Khamenei, ou Kim Jong-un. Elles les ont renforcés. Il n’y a hélas aucune chance aujourd’hui pour que les sanctions fassent plier la Russie.

    Comme, en Occident, l’UE est la première pénalisée par cette guerre, elle devrait tout faire pour trouver une voie de sortie. Elle ne pourra pas compter sur ses alliés anglo-saxons. Ils sont indifférents à ce que le conflit se prolonge : il a permis à Boris Johnson de sauver son poste de premier ministre et à Joe Biden d’accroître la vassalisation politique et militaire de ses alliés européens.

    L’UE ne pourra pas compter sur la Russie non plus. La seule chose qui importe à Poutine est de sauver son régime. Peu importe que les Russes souffrent, l’important est que l’autocratie survive. Le président russe joue la montre, attendant la lassitude des pays européens et le retour des Trumpistes à Washington.

    Les Ukrainiens ne prendront pas non plus d’initiative de paix, car ils refusent, de manière compréhensible, de faire des concessions territoriales à l’agresseur, estimant qu’elles ne feraient que renforcer, dans le futur, son appétit.

    Il reste une étroite voie de sortie, qui est celle de l’Onu. Elle a été utile dans l’évacuation des soldats ukrainiens piégés dans l’usine Azovstal de Marioupol. La France pourrait saisir le Conseil de sécurité pour qu’un corridor naval strictement civil soit institué, depuis Odessa jusqu’au Bosphore. Asseoir à la même table les Ukrainiens et les Russes pour refaire de la Mer Noire un lac de paix est un défi relevable. Lever les sanctions empêchant les Russes d’utiliser les ports européens pour vendre leurs propres céréales ne représente pas un coût politique exorbitant. 

    Le jour où Russes et Ukrainiens accepteront de parlementer sur des dossiers techniques d’intérêt commun (exportations céréalières, gazoducs, etc.), une lumière apparaîtra au bout du tunnel.

    Renaud Girard (Geopragma, 2 juin 2022)

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  • Peut-on encore sauver la civilisation européenne ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une intervention de David Engels à Radio Poznan dans laquelle il donne son point de vue sur le devenir de la civilisation européenne.

    Historien, essayiste, enseignant chercheur à l'Instytut Zachodni à Poznan après avoir été professeur à l'Université libre de Bruxelles, David Engels est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a  également dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020).

     

                                            

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  • Le temps… Arme de guerre !

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue cueilli sur le site de Dextra et consacré au temps maîtrisé face à l'immédiateté. Dextra est un laboratoire d’idées qui veut "former des militants à la colonne vertébrale solide, futurs citoyens des communautés de demain, seuls capables d’apporter des réponses concrètes aux problèmes de notre temps et de bâtir une nouvelle civilisation sur les ruines de celle qui vient de s’écrouler".

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    Le temps… Arme de guerre

    Dans ce monde de vitesse, d’instantanéité, de bruit, on en vient à se tromper sur l’étalon temporel que doit être notre regard sur l’univers. Tout va vite, tout va fort, les médias dans un brouhaha permanent nous matraquent d’injonction en injonction, une actualité chassant l’autre ; toujours vitale, toujours essentielle, toujours déterminante : Avant-hier le covid (déjà avant-hier!), hier les élections, aujourd’hui l’Ukraine et demain ? Chaque événement qui chasse le précédent semble prendre encore un peu plus de place dans nos vies, repoussant peu à peu dans la périphérie et jusqu’au néant notre capacité de jugement et d’abstraction propre à tout Homme civilisé. Le nez dans l’actualité, nous sommes tentés d’oublier la perspective, la capacité d’ordonner le monde non pas avec nos sentiments, mais avec notre raison. Nous devenons peu à peu des bêtes de foire, dans des cages de plus en plus étroites et ne fonctionnant plus que par l’injonction du fouet ou de la gamelle. Pris par la frénésie compulsive et soumis à l’injonction sentimentale, nous voilà ballotés jour après jour agissant à chaque fois persuadés de faire ce qu’il faut : un jour faisant des réserves de papiers toilette, le lendemain de pâtes ou brandissant réellement ou virtuellement un drapeau ukrainien, moldovalaque ou pachtoun selon l’actualité du moment…

    Prenons le temps….

    Faisons un pas de côté, contemplons un instant ce troupeau docile courir en tous sens, la tête dans le postérieur du mouton de devant, persuadé qu’il va bientôt voir la lumière et qu’il est garant de la vérité, du bien du beau, du vrai… Changeons de dimensions. Dimanche dernier, ou dimanche de la semaine prochaine ne sont que ce qu’ils sont : des jours qui s’enchaînent aux jours comme le temps depuis le début de l’humanité. Le monde continue à tourner et les quelques remaniements à venir, tout dommageables qu’ils soient ne sont qu’anecdote et poussière à l’échelle de l’humanité.

    Remettre en perspective, retrouver le temps long. Abandonner le chahut de l’autoroute vrombissante pour chercher à construire dans un paisible chemin de traverse. Laisser le chaos au chaos, pour enfin revenir à ce qui fait la richesse de l’homme : La transmission.

    Le temps est une arme à double tranchant. Elle peut accélérer l’érosion comme permettre à des racines profondes de pousser – et ainsi, ne pas geler – . Laissons la fureur et l’hystérie aux commentateurs spécialistes tout autant de médecine que de politique internationale, de sociologie partisane comme de philosophie ou de littérature. Refusons cette injonction à la vitesse, à la frénésie à l’occupation de l’espace, pour nous recentrer sur nos frontières intérieures, familiales, territoriales. Changeons notre regard, le temps pouvant être synonyme de vieillesse, comme de sagesse. Vivre et transmettre, plutôt que survivre et végéter.

    Dextra (Dextra, 25 mai 2022)

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  • Vers la fin de la Fête des mères...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Mathieu Bock-Côté publié dans le Figaro Vox et consacré au remplacement de la Fête des mères, dans certaines écoles, par la "fête des gens qu'on aime"...

    Québécois, Mathieu Bock-Côté est sociologue et chroniqueur et est déjà l'auteur de plusieurs essais comme Le multiculturalisme comme religion politique (Cerf, 2016), Le nouveau régime (Boréal, 2017) ou L'empire du politiquement correct (Cerf, 2019).

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    Fête des mères ou fête des gens qu’on aime ?

    La presse nous apprenait cette semaine que, dans un nombre croissant d’écoles françaises, la Fête des mères est remplacée par une étrangement nommée « fête des gens qu’on aime ». La raison donnée est souvent la même : la Fête des mères serait discriminatoire à l’endroit des enfants issus de familles monoparentales ou homoparentales, ou, plus encore, pour ceux qui seraient victimes de maltraitance parentale. Pourquoi dès lors enfermer l’amour dans une figure exclusive à laquelle tous n’auraient pas accès ?

    Derrière ce pragmatisme sentimental revendiqué, se dévoile un tout autre mouvement, que nous avons pris l’habitude d’associer à la déconstruction. Il s’agit, au nom de la diversité, d’effacer tous les symboles culturels ou anthropologiques clairement marqués, pour les remplacer par des termes plus généraux, souvent flottants, et même insaisissables, jugés plus « inclusifs » et moins contraignants. C’est dans cet esprit qu’en 2019, en France, certains ont voulu, sans y parvenir cette fois, substituer à la référence au père et à la mère la référence aux parents 1 et 2. La modernité avancée culmine à la fois dans le mythe de l’indifférenciation des sexes et de l’interchangeabilité des fonctions.

    En fait, il ne s’agit plus seulement de s’en prendre à la mère, mais à la figure même de la femme. On le voit notamment avec la radicalisation de l’idéologie trans, qui vide le référent femme de toute dimension corporelle objective, pour permettre à tous ceux qui se « ressentent femme » de s’identifier légalement ainsi. C’est ce qu’on appelle l’autodétermination de genre. La novlangue diversitaire s’y met : on n’utilise plus le terme «femme », mais celui de « personne avec un utérus », ou encore, de «corps qui accouche ». Dans certains hôpitaux britanniques, on ne parle
    plus du vagin mais du « trou d’en avant » (sic) et les maternités sont renommées services périnataux. La femme est « décorporée », transformée en idée spectrale, pour que tous ceux qui le souhaitent puissent se l’approprier.

    Je ne peux m’empêcher de noter qu’il y a quelque malveillance à associer la sublime figure de la mère à un symbole d’exclusion. Cela dit, ce mouvement d’indifférenciation dépasse largement la seule question de l’identité sexuelle. On se souvient ainsi que la Commission européenne, il y a quelques mois à peine, avait proposé d’en finir avec la référence à Noël, jugée discriminatoire pour les populations non chrétiennes s’installant en Europe. Peut-être est-ce aussi pour cela qu’une partie de la classe politique sacrifie aisément la référence à la France pour se vouer exclusivement à la République, comme si la première était trop charnelle, à la différence de la seconde, qui serait déchargée d’un substrat identitaire trop particulier ?

    Le régime diversitaire aseptise la culture, il la désymbolise, comme s’il était pris d’une ivresse nihiliste. Rien ne doit lui résister. Il repose en quelque sorte sur une anthropologie de l’indifférencié, et, finalement, sur une forme de culte du néant, comme si l’homme, arrivé au terme de la déconstruction, pouvait retrouver sa liberté originelle, antérieure à toute formation culturelle, antérieure à toute incarnation aussi, comme s’il pouvait ainsi renaître en se donnant le rôle de démiurge, pour recommencer le monde à zéro, en lui prêtant la signification qu’il souhaite, sans être orienté par un héritage dont il se sera enfin débarrassé.

    L’être humain a toutefois besoin de vivre dans un monde structuré, et la déconstruction, qui arrive à son terme, exige une reconstruction inversée de l’ordre social et symbolique. Le point d’aboutissement de cette logique est déjà connu : on trouve aujourd’hui des femmes de naissance, s’identifiant désormais comme homme, sans avoir subi d’opération de changement de sexe et qui prétendent accoucher. En 2022, dans le monde occidental, il est désormais considéré comme possible qu’un homme soit « enceint » et qu’il accouche. Il serait même urgent de combler le « vide juridique » entourant leur statut. Plus encore, ceux qui contesteront cette possibilité seront comme il se doit suspectés de transphobie.

    On comprend ainsi la nature de ce vaste mouvement qui va de l’abolition de la Fête des mères à la reconnaissance de la possibilité pour un homme d’accoucher. L’abolition du monde symbolique qui était traditionnellement le nôtre conduit moins à l’extinction du sens qu’à son renversement. La marge devient la norme, et la norme la marge. On devine la réaction de certains : cet effacement de la Fête des mères est bête, mais ne faudrait-il pas se garder de surinterpréter sa signification ? Cette prudence est une forme sophistiquée d’aveuglement. Quand la figure de la mère est effacée, quand l’idée même de la femme est déconstruite, c’est bien le signe que la révolution culturelle écrase tout sur son passage. Encore faut-il savoir la nommer pour y résister.

    Mathieu Bock-Côté (Figaro Vox, 28 mai 2022)

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  • L'immonde autocratie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Maxime Tandonnet, cueilli sur son blog personnel et consacré à la pratique autocratique du pouvoir telle qu'elle s'est installée au sein de la Ve République depuis plusieurs années, pour atteindre son paroxysme avec Emmanuel Macron.

    Ancien haut-fonctionnaire, spécialiste des questions d'immigration, et désormais enseignant, Maxime Tandonnet a été conseiller à l’Élysée sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Il a donné un témoignage lucide et éclairant de cette expérience dans Au cœur du volcan (Flammarion, 2014). Il a également publié des biographies d'André Tardieu (Perrin, 2019) et de Georges Bidault (Perrin, 2022).

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    L'immonde autocratie

    Il est des circonstances exceptionnelles, dans l’histoire, où l’intuition d’un homme ou d’une femme bouleverse le cours du destin. Elles sont connues: la rencontre de Jeanne et du Dauphin, le 18 Brumaire qui met un terme au chaos révolutionnaire, ou l’Appel du 18 juin. Les héros n’ont d’ailleurs aucun intérêt à s’éterniser – ou s’institutionnaliser – car la durée leur est généralement défavorable et ternit la mémoire de leur exploit.

    Pour le reste, le bien d’une communauté nationale est toujours, toujours le fruit d’un dialogue entre plusieurs visions ou sagesses. Les grands Capétiens qui ont fait la France ne décidaient rien seuls. Les choix décisifs pour le pays s’effectuaient à l’issue d’interminables débats au Conseil du roi, entouré des plus grands esprits d’une époque. Toute bonne décision est le fruit d’une délibération prenant en compte un cadre historique, institutionnel, les mentalités dominantes, le respect des principes collectifs et des traditions nationales ou diplomatiques, la volonté de préserver l’unité.

    La République parlementaire avait de gigantesques défauts, notamment l’instabilité gouvernementale: encore que celle-ci était largement de surface et couvrait la permanence d’hommes d’Etat qui revenaient d’un ministère à l’autre. Avec ses faiblesses, elle se prêtait – mieux qu’aujourd’hui – à l’impératif de dialogue et de concertation d’où sont sorties de grandes politiques, par exemple le développement des libertés sous la IIIe République ou les conditions des Trente glorieuses sous la IVe.

    La France, au fil des décennies depuis l’instauration de la Ve République, a fait naufrage dans l’autocratie. Le processus est de long terme: l’actuel occupant de l’Elysée n’en est pas l’inventeur, même s’il en est le produit et désormais l’incarnation paroxystique. Cela signifie qu’elle remet son destin, non pas à la délibération d’une équipe consciente des nécessités de l’intérêt général, mais aux seuls soubresauts psychologiques d’un individu.

    La faute suprême est de penser que le parcours politique de ce dernier qui l’a porté à la fonction suprême est la garantie d’une intelligence supérieure qui lui servira de boussole pour guider le pays. Non, l’intelligence, celle qui permet de percevoir les enjeux historiques d’une époque et les décisions optimales qui s’en dégagent, n’a strictement aucun rapport. Sa réussite elle est plutôt le fruit d’une exceptionnelle mégalomanie et de la désinhibition, c’est-à-dire l’ambition maladive de s’asseoir sur le trône et l’absence de surmoi (ou de conscience) qui libère de tout scrupule à tuer le père, à trahir ses amis et à ériger le mensonge, les manipulations et l’hypocrisie en système de pouvoir.

    L’autocratie à la française est un mode de pouvoir qui substitue, comme critère essentiel des choix à accomplir, la vanité d’un individu au sens de l’intérêt général. Elle débouche sur des politiques qui exaltent l’apparence, la surface des choses, la mise en valeur de l’image du chef, au détriment de l’avenir collectif: d’où l’augmentation vertigineuse de la dette publique, l’effondrement scolaire ou industriel du pays, l’indifférence aux phénomènes de désintégration qui se manifestent par l’explosion des violences. L’autocrate ne s’intéresse pas (ou peu) au long terme, mais au coup d’éclat qui fait parler de lui, le montre en provocateur audacieux, le met en valeur, sublime sa personne, quel qu’en soit l’incohérence ou les effets délétères. Son objectif essentiel est la « trace » qu’il laissera.

    Ce mode d’exercice du pouvoir – l’autocratie – s’appuie sur le culte de la personnalité, l’exaltation médiatique et obsessionnelle d’un visage. Il favorise la courtisanerie, l’obséquiosité d’un cercle d’hommes et de femmes prêts à se prosterner pour bénéficier de la lumière qui en émane. Elle se fonde sur une logique de servitude volontaire, consiste à attiser, manipuler les émotions collectives, notamment la peur, pour les convertir en allégeance au sauveur ou protecteur national. Le mythe du sauveur – comme celui du « bouc émissaire »- est de toutes les formes de propagande, la plus fertile.

    La question centrale n’est pas la Constitution de 1958. Son application à la lettre (article 5, 20, 21), ne conduit pas forcément à l’autocratie. Elle tient plutôt à l’état de la société, son narcissisme croissant (« l’ère du vide » de Lipovetski 1983), sa dépolitisation et sa surmédiatisation, son déclin intellectuel qui la pousse à l’exaltation obtuse plutôt qu’à l’esprit critique, à un certaine certaine tradition française sensible au plumage du paon … Toujours est-il que de décennie en décennie, la sublimation d’un individu l’emporte sur les choix d’intérêt général et de long terme.

    Il ne fait (à mes yeux) aucun doute que ce mode de gouvernement fondé sur la vanité au détriment du bien commun contribue fortement au déclin de la France sur le long terme: désindustrialisation accélérée, effondrement scolaire, désœuvrement généralisé, ou chômage de masse, fragmentation de la société et violence, appauvrissement, explosion de la dette collective, désorganisation et déclin des grands services publics.

    Comment en sort-on? La meilleure solution est d’en sortir par la voie démocratique. Dans trois semaines, les Français ont une occasion inespérée de lancer un message puissant contre la dérive autocratique de leur système politique en refusant d’élire « une majorité présidentielle absolue ». En soi, cela ne réglera pas tous les problèmes évidemment. Mais le refus d’une majorité absolue marquerait un coup d’arrêt et le début d’une prise de conscience. Aucun risque d’aggraver l’impuissance publique: elle est déjà totale, masquée par une débauche d’exubérance narcissique.

    Cependant, rien ne permet de parier que cette prise de conscience est en voie de se produire. Il peut tout autant ne rien se passer du tout pendant de longues années, la poursuite d’un grand naufrage dans un monde d’exaltation vaniteuse, de mensonges et de courtisanerie, tandis que le déclin se poursuit inexorablement. Mais en l’absence de solution démocratique, un soulèvement populaire est tôt ou tard à redouter: il suffit parfois de peu de chose, une étincelle dans le baril de poudre.

    Maxime Tandonnet (Blog de Maxime Tandonnet, 25 mai 2022)

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