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Points de vue - Page 66

  • La navrante crise russo-ukrainienne...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Gérard Dussouy, cueilli sur Polémia et consacré à la crise ukrainienne. Professeur émérite à l'Université de Bordeaux, Gérard Dussouy est l'auteur de plusieurs essais, dont Les théories de la mondialité (L'Harmattan, 2011) et Contre l'Europe de Bruxelles - Fonder un Etat européen (Tatamis, 2013).

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    La navrante crise Russo-Ukrainienne

    Quels que soient les sentiments ou les affinités que l’on peut éprouver envers l’Ukraine ou la Russie, et quelles que soient les responsabilités que l’on peut imputer à l’une ou à l’autre dans la crise qui les voit s’affronter,  leur différend est lourd de conséquences pour elles-mêmes et pour l’Europe. Le risque principal est l’enlisement dans un schéma géopolitique de type « néo-Guerre froide » dans lequel les Américains et certains dirigeants européens timorés cherchent à l’entraîner. L’esprit de croisade des Démocrates américains est toujours de mise, comme on le constate avec Biden. Mais surtout, en raison de la nouvelle polarisation mondiale sur le Pacifique, les Etats-Unis maintenant obsédés par la Chine entendent conserver le contrôle de l’Europe et empêcher, à tout prix, son éventuel rapprochement avec la Russie. Leur opposition virulente au gazoduc germano-russe de la Baltique en est la parfaite illustration.

    Russie et Europe, dos à dos, face au reste du monde

    Le bouleversement des rapports de forces mondiaux, et par conséquent des positionnements des États les uns par rapport aux autres, est total. Il concerne la Russie et l’Europe de la même manière. En effet, c’est toute l’organisation de l’espace planétaire qui a été transformée par le déplacement du centre du monde depuis l’Atlantique Nord vers le Pacifique Nord. Une translation qui est à mettre en rapport, bien entendu, avec la compétition pour l’hégémonie qui a débuté entre les États-Unis et la Chine. Et au milieu de laquelle les États européens ne sont plus que des enjeux, parce qu’aucun d’entre eux, pas même la Russie, ne peut prétendre à la puissance globale. Par ailleurs, les changements profonds, qu’ils soient démographiques ou culturels, qui affectent la géographie humaine mondiale, lancent à tous les Européens, de l’Est comme de l’Ouest, des défis communs immenses pour les décennies qui viennent.

    De sorte que la nouvelle configuration mondiale fait des deux voisins que sont l’Europe et la Russie, deux « alliés naturels » face au reste du monde. Il se trouve que la topologie géopolitique (c’est-à-dire la position des États dans le système spatial mondial) s’associe maintenant- c’est la nouveauté- à la topographie géopolitique (c’est-à-dire la continuité territoriale, et l’absence d’obstacles naturels) pour suggérer à tous les Européens un réalisme politique qui dépasse les idéologies et les ethnocentrismes.

    Le jeu mondial est, désormais, entre les mains des USA et de la Chine. Les États européens, Russie comprise, malgré tout le mérite de son président, ne sont plus que des puissances petites ou moyennes, au mieux des puissances régionales. La comparaison est écrasante comme le montrent ces quelques chiffres (SIPRI) de 2019 : 19 390 milliards de dollars de PIB pour les USA, 12 014 pour la Chine et 1527 milliards pour la Russie ; 600 milliards de dollars pour le budget militaire américain, 216 milliards pour le chinois et 69 milliards pour le russe. Ce même budget est de 57 milliards de dollars pour la France et de 41 milliards pour l’Allemagne. Si l’économie germanique est brillante, celle de la France l’est moins et celle de la Russie encore moins

    Au fond, pour faire image, l’Europe et la Russie sont face au reste du monde comme deux duellistes de l’ancien temps qui se retrouvent entourés de spadassins, lesquels en veulent à chacun d’eux. Il ne leur reste plus qu’à s’entendre, et dos à dos, à se défendre mutuellement, sachant que tout mauvais coup porté par l’un des deux à l’autre se retournerait contre lui-même. C’est déjà ce qui arrive à cause de l’Ukraine.

    Comment sortir de l’impasse ?

    L’impasse actuelle incombe aux deux parties en présence. D’un côté, il y a l’incurie diplomatique et stratégique de l’Union européenne et de tous les dirigeants des États européens, tous incapables de mener une véritable réflexion géopolitique. Au lieu de faire de l’Ukraine un « pont » entre l’Europe et la Russie, ils en ont fait une pomme de discorde aux dépens des Ukrainiens eux-mêmes. Car il ne fallait pas présenter l’association de l’Ukraine à l’UE comme une victoire sur la Russie, et emboiter le pas des États-Unis en laissant entendre que cette association était l’antichambre à une adhésion à l’Otan! Une organisation qui devrait avoir été dissoute depuis belle lurette, à la suite de celle du Pacte de Varsovie. Du côté de la Russie, le complexe ancien de l’encerclement perdure et les maladresses occidentales ne font qu’aviver un nationalisme épidermique, tandis que l’on a du mal à cerner les préjugés et les arrière-pensées de Moscou dans tout ce qui a trait à l’Europe. Cette crise est assez désespérante parce qu’elle est avant tout d’origine idéologique et qu’elle défie la rationalité géopolitique. Elle renvoie aux querelles nationalistes du siècle dernier sur des enjeux passablement dérisoires dans le nouveau contexte mondial.

    Comment en sortir, alors même que l’on est, peut-être, à la veille d’un nouvel affrontement ? Avec les provocations et les surenchères des uns et des autres et les interférences internationales cela semble possible. Pour éviter sinon le pire, mais pour empêcher tout au moins une nouvelle déchirure du continent européen, il serait judicieux que les protagonistes les plus concernés recherchent le compromis sur la solution la plus équitable et la plus efficace possible.

    D’une part, il serait temps que l’Ukraine admette, et les Européens avec elle,  le retour de la Crimée à la Russie, à laquelle elle a toujours appartenu depuis qu’elle l’a reconquise sur les Turcs. En dépit du caprice, au milieu du siècle dernier, du potentat soviétique, ukrainien d’origine, Nikita Khrouchtchev. Dans cette même perspective l’Union européenne se devrait de tempérer le président ukrainien et de conditionner l’adhésion de l’Ukraine à son espace, tout en rejetant son entrée dans l’Otan, à un accord avec la Russie, avec laquelle, dans le même temps les termes du partenariat existant, mais presque lettre morte, seraient revus. D’autre part, et en contrepartie, les Européens sont en droit d’attendre de la Russie plus de clarté sur la façon dont elle appréhende ses rapports avec eux-mêmes, et plus de rigueur dans les engagements commerciaux. Elle a d’ailleurs tout à y gagner sachant que ses ressources financières sont limitées et que sa dépendance de la Chine dans ce domaine se paiera, tôt ou tard, au prix fort. La garantie assurée d’un approvisionnement énergétique continue des Européens est en la matière une clause attendue.

    Cependant, toute grande perspective géopolitique et tout espace de négociations ont, en toutes circonstances, leur pierre d’achoppement ; en l’occurrence le Donbass. Car c’est sur cette région frontalière et binationale que se cristallisent les inimitiés. Etant donné que l’Ukraine a refusé la solution fédérale ou celle d’un statut spécifique et qu’une rectification des frontières est considérée comme impraticable ou comme dangereuse à envisager, les protagonistes vont avoir du mal à trouver une issue à leur différend. On ne peut que le regretter car c’est la constitution d’un grand espace européen, dont il est légitime d’attendre des solutions aux immenses problèmes qui n’ont pas fini de se poser, qui est mise entre parenthèses ou même écartée.

    Si heureusement rien d’irréparable n’arrive, il reste à espérer dans les temps qui viennent un changement positif dans les perceptions mutuelles,  lui-même dicté par le renversement du monde. À l’européanité renouvelée de la Russie, imposée par la montée en puissance de la Chine et de tout l’Orient, répondrait alors l’abandon de la représentation occidentalo-centrée du monde des Européens de l’Ouest.

    Gérard Dussouy (Polémia, 11 février 2022)

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  • Le salut du peuple, la loi suprême...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une nouvelle vidéo d'Ego Non qui évoque la figure de Fichte au travers de ses fameux « Discours à la nation allemande », œuvre capitale dans la tradition politique allemande.

     

                                          

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  • Les États-Unis et le dilemme de la politique étrangère polonaise...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels consacré à l'alliance entre la Pologne et les Etats-Unis, qui devient de plus en plus contre-nature pour le gouvernement polonais conservateur.

    Historien, spécialiste de l'antiquité romaine et président de la société Oswald Spengler, David Engels, qui vit en Pologne, est devenu une figure de la pensée conservatrice en Europe et est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a également dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020).

     

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    Trimarium

     

    Les États-Unis et le dilemme de la politique étrangère polonaise

    On constate toujours avec étonnement que le point de vue des conservateurs polonais sur les États-Unis est complètement différent de celui des Français ou des Allemands, même et surtout dans le contexte de la crise russo-ukrainienne actuelle. Il s’agit peut-être d’un truisme, mais il ne faut pas l’oublier, surtout en ces temps de plus en plus difficiles pour la Pologne et la région du Trimarium en matière de politique étrangère, mais y réfléchir activement. La situation géopolitique de départ est connue de tous : la Pologne étant coincée entre l’Allemagne et la Russie, sa stratégie a toujours consisté à se tourner vers des alliés périphériques capables de fournir une garantie de survie politique contre ces deux voisins surpuissants, sans avoir eux-mêmes d’intérêts territoriaux. Dans l’habillage pratique de cette doctrine, on constate toutefois que ces puissances extérieures étaient généralement, en raison de l’évolution historique, celles qui montraient certes un intérêt pragmatique pour la survie de la Pologne, mais dont l’idéologie entravait de fait le conservatisme polonais plutôt qu’elle ne le favorisait.

    Un premier exemple est sans aucun doute l’alliance avec Napoléon, toujours appréciée aujourd’hui, qui a certes rendu de grands services en rétablissant la Pologne en tant qu’État vassal de la France et en annulant partiellement les « partages », mais dont la politique réelle reposait précisément sur ces « valeurs révolutionnaires » qui, à long terme, devaient saper les valeurs spirituelles fondamentales non seulement de la société polonaise, mais aussi de toute autre société européenne.

    Un autre exemple est l’alignement de l’État national polonais nouvellement fondé après la fin de la Première Guerre mondiale sur les puissances occidentales de l’Entente, qui poursuivaient également une idéologie résolument antichrétienne, internationaliste et ploutocratique — un alignement qui a également été tenté pendant la Seconde Guerre mondiale, mais qui s’est finalement soldé par la mutilation territoriale et deux générations de domination soviétique.

    L’alliance actuelle avec les États-Unis s’inscrit également dans cette continuité, et il est à craindre que les conséquences négatives ne se révèlent que lorsqu’il sera trop tard.

    Certes, l’image idéalisée que de nombreux Polonais ont des États-Unis semble à mille lieues de telles craintes, d’autant plus qu’elle a été apparemment confirmée par la présidence de Donald Trump et sa courte lune de miel avec le gouvernement polonais actuel. Du point de vue polonais, les États-Unis sont considérés comme le modèle ultime d’un ordre républicain axé sur la liberté, profondément enraciné dans la foi chrétienne et animé d’une volonté farouche de liberté individuelle ; deux facteurs qui semblent s’accorder de la plus belle des manières avec les convictions religieuses (catholiques) de la Pologne et la tradition polonaise du « liberum veto ». Il est également compréhensible que les États-Unis soient devenus, à l’époque de la dictature communiste, une image idéale de prospérité, de démocratie et de liberté et qu’ils semblent représenter, du point de vue polonais, un modèle de réussite très envié en raison de leur comparaison pratique avec les conditions désastreuses du socialisme réellement existant.

    Mais les États-Unis du XXIe siècle n’ont plus grand-chose à voir avec une telle vision idéale, dépassée de plusieurs générations, comme l’ont déjà critiqué au XXe siècle de nombreux intellectuels occidentaux, qui ne connaissaient pas les États-Unis par contraste avec le communisme réel, mais plutôt par l’examen critique des conséquences réelles de l’américanisation (et qui, en fait, n’ont fait que confirmer les craintes lucides de Tocqueville au XIXe siècle…). Déjà à l’époque, il était évident, même pour la France, que l’anglicisation de la langue conduirait à un recul de la langue maternelle, que le capitalisme ultralibéral des États-Unis conduirait à une dictature de quelques grands oligopoles, que l’américanisation de la culture (et notamment de la gastronomie) conduirait à un déclin inquiétant des développements culturels propres, et que la transposition naïve et souvent ignorante et égocentrique de ses propres critères démocratiques à des États non occidentaux conduirait à une série ininterrompue de désastres en matière de politique étrangère, dont les conséquences sont que non seulement les États-Unis, mais aussi de nombreux États européens, aujourd’hui, sont considérés sous un jour extrêmement défavorable partout dans le monde.

    Entre-temps, cette évolution s’est enrichie d’autres phénomènes inquiétants. Un regard impartial sur la réalité de la vie aux États-Unis montre à quel point ces derniers sont tombés sous l’emprise de cette idéologie autodestructrice que l’on a souvent qualifiée de « politiquement correcte » ou de « wokisme », et qui atteint un sommet sans précédent sous la présidence de Joe Biden.

    Aujourd’hui, les États-Unis ne sont plus synonymes de liberté individuelle, de démocratie et de joie de vivre, mais plutôt d’imposition impitoyable du multiculturalisme, de l’idéologie LGBTQ, de la transformation des structures démocratiques en structures oligarchiques, de l’immigration de masse, de la déchristianisation, du capitalisme de casino, de la condamnation de leur propre passé historique, de la persécution de la masculinité prétendument toxique et de bien d’autres choses encore.

    Il ne faut donc pas se faire d’illusions : dans les circonstances politiques actuelles en tout cas, une alliance avec les États-Unis devient de plus en plus contre-nature pour le gouvernement polonais conservateur, et la garantie de la survie politique de l’État polonais devrait être payée au prix fort, à savoir par l’abandon de l’autonomie culturelle intérieure, ce qui n’est guère moins grave. Mais il ne faut en aucun cas lire ces remarques comme un appel à se détacher du partenariat de longue date avec les États-Unis ou même à se soumettre à l’un des deux voisins immédiats, car d’une part, l’idéologie dominante actuelle en Allemagne (et dans l’UE) n’est guère différente de celle des États-Unis, tandis que, d’autre part, le prétendu conservatisme russe n’est guère plus qu’un paravent pour une oligarchie fragile, dont le prétendu « amour » pour la culture occidentale chrétienne s’est manifesté il y a quelques semaines à peine en faisant venir par avion des dizaines de milliers de migrants musulmans dans les forêts biélorusses pour les envoyer contre la frontière polonaise.

    Le but de ces lignes est plutôt de montrer au lecteur à quel point la Pologne, à l’exception de ses alliés actuels d’Europe centrale, Hongrie en tête, est effectivement seule dans la politique mondiale, et que même ses partenaires traditionnels comme les États-Unis exigeront au mieux un prix élevé pour leur soutien, quand ils ne le refuseront pas purement et simplement dans le pire des cas — ce qui est également une expérience douloureuse de la politique polonaise aux XVIIIe, XIXe et XXe siècles. Il semble donc essentiel de porter un regard pragmatique et délibérément pessimiste sur la réalité, afin de pouvoir calculer froidement, au-delà des espoirs naïfs et des idéalisations, les conséquences positives et négatives que les différentes constellations d’alliances peuvent réellement offrir, le prix qu’elles exigeraient et la stabilité réelle qu’elles peuvent développer à long terme. Le fait que tous les partenaires potentiels ne puissent donc être considérés qu’avec un grand scepticisme ne permet de tirer qu’une seule conclusion : la Pologne doit modifier son orientation unilatérale vers les États-Unis dans la mesure où elle doit rechercher d’urgence d’autres partenaires qui, même s’ils ont moins d’importance militaire pratique, peuvent créer un climat de politique étrangère dans lequel la Pologne est accueillie avec sympathie et respect, même en dehors des sentiers battus du contexte Est-Ouest, car le soft power continuera à avoir une grande importance au XXIe siècle.

    Il faut donc tout d’abord penser à intensifier les relations avec les «puissances moyennes» modernes qui n’ont jusqu’à présent guère été prises en compte dans la politique étrangère polonaise, comme le Japon, la Corée du Sud, l’Inde, le Brésil, le Mexique et bien d’autres. Un autre point essentiel est le développement urgent du système d’alliance de Visegrád et de l’idée de Trimarium, qui ont tous deux été régulièrement mis en avant depuis maintenant une génération comme l’objectif ultime de la politique européenne polonaise, mais qui n’ont en réalité que peu de succès à leur actif, et dont l’essence même semble menacée par les récentes élections en République tchèque. Il est donc plus urgent que jamais de doter cette alliance de structures solides, tant sur le plan du contenu que sur le plan institutionnel, afin de pouvoir garantir la poursuite d’objectifs communs, même en dehors des situations de politique intérieure, et de mettre enfin en place cette coopération économique et politique des États du Trimarium qui, face à la menace actuelle non seulement de l’Est, mais aussi de l’Ouest, a un besoin urgent d’être intensifiée par la cohésion. La fenêtre d’opportunité pour une telle politique étrangère autonome de la Pologne se rétrécit de plus en plus au fur et à mesure que le conflit avec l’Union européenne et la République fédérale d’Allemagne s’intensifie – d’autant plus que la prochaine « Conférence sur l’avenir de l’Europe » pourrait donner lieu à des développements susceptibles de marginaliser encore davantage la position actuelle de la Pologne en Europe. Il ne reste plus qu’à espérer que le gouvernement polonais, actuellement fortement ébranlé par les désaccords sur la politique Covid, dispose encore de l’énergie et de la clairvoyance nécessaires pour tirer profit de la dernière année de majorité gouvernementale qui s’annonce…

    David Engels (Visegrád Post, 10 février 2022)

     

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  • Les Européens de souche existent-ils ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une vidéo réalisée par Thaïs d'Escufon et consacré à la question des Européens de souche. Porte-parole talentueuse et courageuse du mouvement Génération identitaire, Thaïs d'Escufon développe désormais une activité de publiciste sur les réseaux sociaux.

     

                                            

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  • Sahel : et maintenant, que faire ?...

    Nous reproduisons ci-dessous l'éditorial de Bernard Lugan au numéro de février de sa revue L'Afrique réelle, consacré à l'échec politique de l'engagement français au Mali, et écrit avant l'expulsion de l'ambassadeur de France par les "autorités" maliennes.

    Historien et africaniste, Bernard Lugan a publié de nombreux ouvrages, dont Histoire de l'Afrique (Ellipses, 2009), Atlas historique de l'Afrique (Rocher, 2018), Esclavage, l'histoire à l'endroit (L'Afrique réelle, 2020), Pour répondre aux « décoloniaux », aux islamo-gauchistes et aux terroristes de la repentance (L'Afrique réelle, 2021) et Comment la France est devenue la colonie de ses colonie (L'Afrique réelle, 2022).

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    Sahel : et maintenant, que faire ?

    Au Sahel, la France s’arc-boute sur l’idéologie démocratique désormais vue en Afrique comme une forme de néocolonialisme. Résultat, après la Centrafrique, elle va être « éjectée » du Mali alors que ses soldats y tombent pour assurer la sécurité de populations abandonnées par leur propre armée... Les incessantes manifestations de Bamako, les convois français bloqués « spontanément » par des civils au Burkina Faso ou au Niger, ainsi que les déclarations enflammées de responsables politiques locaux, appellent donc à un total changement de paradigme qui doit déboucher sur un désengagement rapide.

    Le fond du problème est que le Mali, le Burkina Faso et le Niger, Etats faillis aux armées incompétentes, accusent la France de « néocolonialisme », alors que ses soldats font la guerre à leur place… Or, si guerre il y a, c’est parce que ces trois pays ont, comme je ne cesse de le dire depuis des années (voir mon livre Les guerres du Sahel des origines à nos jours), toujours refusé de prendre en compte les revendications de leurs minorités ethniques, Touareg ou Peul, sur lesquelles se sont opportunément greffés les jihadistes. C’est en effet sur les braises des quatre guerres touareg du Mali qu’ont su souffler ces derniers. Sans parler des humiliations permanentes subies par les pasteurs peul. De toute évidence, le rôle de Barkhane n’était pas de régler ces questions ethno-politiques inscrites dans plusieurs siècles d’histoire. 

    En réalité, ceux qui dénoncent la France ont choisi de le faire afin de flatter leurs opinions publiques. Nous sommes en présence d’une entreprise de défausse rendue d’autant plus facile que l’accusation de néo-colonialisme est toujours prompte à échauffer des esprits gangrenés par la rente mémorielle et encouragés par l’ethno-masochisme des élites françaises. Une situation dangereuse pour les populations locales car, de cette dénonciation de la France ne sort aucune proposition, aucune alternative, en dehors d’épanchements de bile momentanés qui font bien rire les mercenaires russes…

    Voilà donc la France devenue bouc-émissaire permettant aux élites locales qui ont systématiquement pillé leurs pays respectifs de cacher six décennies de corruption, de détournements, d’incapacité politique, en un mot d’incompétence. Regardons la réalité en face :

    - Est-ce la faute de la France si, au Mali, au Burkina Faso et au Niger, le désastre est total, si les crises alimentaires sont permanentes, si l'insécurité est généralisée et si la pauvreté atteint des niveaux sidérants ?

    - Est-ce la faute de la France si les armées locales s’enfuient devant les groupes armés après avoir pillé ceux qu’elles étaient censées protéger ?

    Face au ressentiment antifrançais, l’urgence est donc de laisser les faillis face à leurs responsabilités. D’autant plus que la « françafrique » est un fantasme, la France n’ayant, ni économiquement, ni stratégiquement, ni politiquement, de véritables intérêts dans la région. 

    Bernard Lugan (L'Afrique réelle, 1er février 2022)

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  • Le brouhaha médiatique autour de l’Ukraine est une guerre de diversion...

    Nous reproduisons ci-dessous une tribune libre de Jean-Luc Basle pour le Centre français de recherche sur le renseignement consacrée à la crise ukrainienne.

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    Le brouhaha médiatique autour de l’Ukraine est une guerre de diversion

    Son objet ? Détourner l’attention du public des propositions d’architecture européenne de sécurité que la Russie a soumises le 15 décembre aux États-Unis et à l’OTAN. Le brouhaha est si intense que Volodymyr Zelensky, président de l’Ukraine, a demandé au cours de sa conférence de presse du 28 janvier d’y mettre fin arguant que ses rumeurs ruinent l’économie du pays. Depuis la chute de l’Union soviétique en décembre 1991, douze nations ont rejoint l’OTAN. Cette expansion est perçue comme un encerclement par les autorités russes, comme le montre la carte ci-jointe. Vladimir Poutine a décidé qu’il était temps d’y mettre fin et a envoyé les propositions susmentionnées aux autorités occidentales. Elles sont inacceptables du point de vue américain puisqu’elles remettent en question les acquis des dernières décennies. Ce serait l’impasse si Emmanuel Macron, en tant que président de la France mais aussi en tant que président de l’Union européenne, n’avait pas pris langue avec Vladimir Poutine le 28 janvier, reconnaissant ainsi qu’il prenait au sérieux les propositions de son homologue russe, ignorant le brouhaha ambiant. 

    Sécurité indivisible ou porte ouverte

    La réponse américaine, remise à Moscou le 26 janvier, oppose une fin de non-recevoir au projet russe, mais n’en contient pas moins des contre-propositions relatives aux missiles nucléaires à moyenne portée, et aux manœuvres militaires des deux parties — propositions qui ne satisfont pas les Russes. Le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov l’a fait savoir. Pour justifier leur projet d’architecture, les Russes s’appuient sur le principe de l’indivisibilité de la sécurité qui stipule que la sécurité d’une nation ne peut se faire au détriment d’une autre — principe inscrit dans les déclarations d’Istanbul de 1999 et d’Astana de 2010 signées par les membres de l’Organisation pour la sécurité et la coopération (OSCE) en Europe dont les États-Unis, la Russie, l’Ukraine, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, etc. À ce principe, les États-Unis en opposent un autre, celui de la « porte ouverte » qui donne à toute nation le droit de s’allier à toute autre nation sans égard à l’impact d’une telle alliance sur une ou plusieurs autres nations — principe inscrit dans l’Acte final d’Helsinki et la Charte de Paris pour une nouvelle Europe.

    L’Ukraine : un pion dans l'échiquier mondial

    Alors que l’objectif de Vladimir Poutine est l’établissement d’un nouvel ordre européen, les dirigeants et médias occidentaux concentrent leur attention sur l’Ukraine. La Russie serait sur le point d’envahir l’Ukraine. Cela a été répété à satiété et Joe Biden l’a évoqué dans sa conférence de presse du 19 janvier, menaçant en ce cas la Russie de sanctions économiques. C’est un leitmotiv dans les chancelleries et médias qui s’appuie sur la présence de 100 000 soldats russes à cent kilomètres de la frontière, photos[1] à l’appui. Les Russes ont pris soin de faire savoir en de nombreuses occasions qu’ils n’avaient aucunement l’intention d’envahir l’Ukraine. La seule raison qui les inciterait à le faire serait pour venir en aide aux russophones du Donbass si Kiev lançait une attaque, ce que le président Zelenski se garde bien de faire sachant que ses forces armées ne sont pas en mesure de la mener à bien.

    Ces mêmes médias oublient de rappeler que la situation actuelle émane de la Révolution Maïdan de février 2014 — un coup d’État ourdi par les États-Unis. Victoria Nuland, sous-secrétaire d’État pour l’Europe et l’Eurasie s’en est d’ailleurs vanté en précisant qu’elle avait dépensé cinq milliards de dollars[2] à cet effet. Les Occidentaux accusent aujourd’hui la Russie de vouloir reprendre le contrôle de l’Ukraine, après avoir récupéré la Crimée en mars 2014. Cette révolution n’eut pas l’heur de plaire aux Ukrainiens russophones, majoritaires dans la province du Donbass. L’imposition de l’ukrainien comme langue officielle fut la goutte qui fit déborder le vase, incitant les républiques de Donetsk and Louhansk à faire sécession. Pour l’éviter, la Russie, l’Ukraine, l’Allemagne et la France formèrent un quatuor, rapidement baptisé « Normandy format ». En février 2015, ils signèrent les Accords de Minsk par lesquels les Ukrainiens s’engageaient à rédiger une nouvelle constitution accordant une large autonomie aux républiques sécessionnistes. Sept ans plus tard, aucun accord n’est intervenu entre les parties. Les États-Unis ont fait pression sur la Russie pour que celle-ci s’insère dans ce processus ce qu’elle a refusé de faire.

    L’Ukraine est liée à la Russie. Kiev fut un temps la capitale de la Russie. C’est en raison de ce lien étroit que le politologue américain d’origine polonaise, Zbigniew Brzezinski, se référant au géographe anglais Halford Mackinder, écrira dans Le Grand échiquier que la domination de la Russie passe par l’Ukraine. « Sans l’Ukraine, écrit-il, la Russie cesse d’être un empire eurasien ». Or, l’objectif des néoconservateurs est l’établissement d’un nouvel ordre mondial qui présuppose la soumission de la Russie. L’Histoire montrera que Brzezinski s’est trompé. Ce n’est pas la Russie qui s’est effondrée mais l’Ukraine — aujourd’hui en banqueroute.

    Pour ce faire, ils ont poursuivi une politique d’encerclement de la Russie. Aux douze membres fondateurs de l’Alliance atlantique, créé en avril 1949 pour faire face à la menace soviétique, se joindront la Hongrie, la Pologne, la République tchèque en 1999, puis en 2004 ce sera le tour de la Bulgarie, de la Lituanie, de la Slovaquie, de la Slovénie, de l’Estonie, et de la Lettonie — ces deux derniers ayant une frontière commune avec la Russie. En outre, la déclaration de Bucarest d’avril 2008 entrouvre les portes de l’OTAN à la Géorgie et à l’Ukraine — cette déclaration provoquera la guerre de Géorgie d’août 2008 qui se soldera par le contrôle des républiques d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie par la Russie. Cette déclaration surprend, non seulement par la menace qu’elle fait peser sur la Russie mais aussi par l’inclusion d’une nation corrompue, l’Ukraine,[3] dans la liste des nations susceptibles d’adhérer à l’Alliance atlantique et à ses valeurs démocratiques. Pour atteindre leur objectif, les Occidentaux ont prêté 35 milliards de dollars à l’Ukraine par l’intermédiaire du Fonds monétaire international, de l’Union européenne et des États-Unis, sans compter les livraisons d’armement qui s’élèvent à un demi-milliard de dollars pour les seuls États-Unis — montant qui devrait croître prochainement, si l’on en croit les déclarations de certains sénateurs américains.

    Les sanctions

    Les sanctions présument un coup d’État russe, une opération sous faux drapeau, voire une invasion pure et simple de l’Ukraine. Quelles seraient-elles ? L’exclusion du système SWIFT[4], la limitation d’achats de gaz et de pétrole russes et l’annulation d’un contrat d’approvisionnement par le biais d’un gazoduc, nouvellement terminé, Nord Stream II.[5] Ces sanctions sont inapplicables et ne font l’unanimité ni au Congrès, ni en Europe. Le 14 janvier, des sénateurs démocrates ont eu recours, avec l’accord du président Biden, à une procédure d’obstruction[6] que par ailleurs ils désapprouvent, pour s’opposer à un projet républicain de sanctions qu’ils trouvaient excessif. Les Européens qui règlent leurs achats de gaz et de pétrole par le biais de SWIFT ne peuvent accepter que la Russie en soit exclue. Cela les obligerait à adopter un système parallèle lent, coûteux et moins sûr pour régler leurs factures de gaz et de pétrole. Ils dépendent de la Russie à 40% pour leurs approvisionnements en gaz et à 20% pour leur approvisionnement en pétrole. La décision d’Angela Merkel d’arrêter les centrales nucléaires dans des délais très brefs a créé une dépendance accrue de l’industrie et des foyers allemands à l’égard de la Russie. Le Qatar, contacté par les États-Unis, ne peut satisfaire les besoins européens sans pénaliser ses clients asiatiques. Ironie de l’histoire, un gazoduc qui devait relier l’Iran à l’Europe en 2017, a été annulé à la suite des sanctions américaines frappant ce pays. Un autre gazoduc qui devait relier le Qatar à l’Europe, en passant par l’Arabie saoudite et la Syrie, n’a jamais vu le jour. Dans une récente étude[7], le think-tank Bruegel conclut que l’Europe peut survivre à une brève et forte interruption de son alimentation en gaz, mais ne peut tolérer un arrêt prolongé.

    En résumé, les sanctions divisent plus qu’elles ne rallient à la cause néoconservatrice. Elles sont une menace plus virtuelle que réelle, inapplicables dans les faits, faisant tout autant, voire plus de tort à l’Europe qu’à la Russie, comme le passé l’a démontré.

    Que veut Vladimir Poutine et pourquoi maintenant ?

    La sécurité pour son pays. Il l’a expliqué dans de nombreux discours et conférences de presse. Dans celle du 17 juin 2016, il souligne que les missiles américains installés en Roumanie dirigés contre l’Iran, pourraient tout aussi bien l’être contre la Russie. Il ajoute que ces missiles Tomahawk dont la portée leur permet d’atteindre Moscou en quelques minutes, peuvent être indifféremment équipés de charges conventionnelles ou nucléaires. S’adressant aux journalistes occidentaux, il leur demande « Comment puis-je savoir de quelle charge ils sont équipés s’ils se dirigent vers nous ? ». Puis il ajoute, quelque peu énervé : « Que puis-je dire d’autre pour vous convaincre du climat d’insécurité dans lequel nous vivons ? »

    Poutine souhaite une aire géographique de sécurité autour de la Russie dépourvue de missiles — une aire semblable à celle dont jouissent les États-Unis. Les médias ont déformé ses propos en parlant de « sphère d’influence » laissant entendre que son objectif réel était la domination de l’Europe — oubliant ou ignorant que les États-Unis jouissent d’une telle aire depuis la doctrine Monroe[8] — aire qu’ils n’ont cessé d’élargir. L’objectif de Poutine est légitime. Le chef de la Marine allemande, l’amiral Kay-Achim Schönbach, l’a reconnu. Son franc-parler lui a valu de démissionner. Des chefs d’État aussi prestigieux que Bismarck, Metternich ou le cardinal de Richelieu, artisans de l’équilibre des forces en présence, seraient d’accord. C’est aussi dans ce sens qu’il faut comprendre la remarque de Vladimir Poutine quand il dit que la chute de l’Union soviétique fut la plus grande catastrophe du XXe siècle parce qu’elle rompit l’équilibre des forces qui assurait la paix en mettant fin à la destruction mutuellement assurée — pilier de la Guerre froide. Sa remarque n’a rien d’un quelconque regret idéologique ou puéril, comme le laissent entendre les médias occidentaux — sentiment au demeurant étranger à ce dirigeant hyper-rationnel peu sujet aux états d’âme.

    Poutine a bien choisi son moment pour agir. Les États-Unis sortent affaiblis de la guerre en Afghanistan. Le slogan de Joe Biden, « l’Amérique est de retour », n’a guère convaincu. Son programme de revitalisation et de rééquilibrage de l’économie s’est perdu dans les méandres du Congrès, sans espoir de retour. Le dollar — l’un des piliers de la puissance américaine — est fragilisé par la politique des États-Unis. Sa valeur tient pour partie à la bonne santé de l’économie américaine. Or non seulement, la dette publique est financée à 40% par la création monétaire et les investisseurs étrangers, mais la position extérieure nette[9] des États-Unis est négative. Elle s’élève à 15 420 milliards, soit 67% du produit intérieur brut, et rend potentiellement le dollar vulnérable aux aléas de la politique mondiale.

    Dans son discours du 1er mars 2018, Poutine regrettait de ne pas être écouté. Il le sera désormais car il s’en est donné les moyens. L’économie russe est sortie de la dépression qu’elle a connue sous Eltsine. Elle est peu endettée et dispose d’importantes réserves de change. Avec des ressources dérisoires — le budget de la défense est le dixième du budget américain — Poutine a construit une défense moderne[10] à la pointe de la technologie. Les liens qu’il entretient avec la Chine et l’Inde, accroissent sa stature internationale, et son appartenance à l’Organisation de la coopération de Shanghai — une alliance économique, politique et militaire qui rassemble neuf Etats dont la Chine, l’Inde, et l’Iran, soit 40% de la population mondiale avec un produit intérieur brut égal à près de 30% du total mondial — le sort d’un isolement supposé.

    Fin de partie

    Dans un récent article,[11] Ross Douthat, journaliste du New York Times, note qu’après « une génération de mauvaises décisions, le temps est venu [pour les États-Unis] d’entamer une retraite digne et décente (de la scène mondiale). » Deux journalistes de Politico[12] vont plus loin en recommandant la création d’une zone de sécurité pan-européenne dépourvue de missiles balistiques, la limitation des troupes auprès des frontières, l’engagement de ne pas admettre l’Ukraine et la Géorgie dans l’OTAN pendant les 20 à 25 prochaines années, et la neutralité de l’Ukraine.

    Quand vous devez faire appel à votre concurrent, voire votre ennemi, comme le fit Anthony Blinken qui appela son homologue chinois Wang Yi le 27 janvier pour lui demander de l’aide dans le conflit qui l’oppose à la Russie, et quand le même jour, votre adjointe en la personne de Victoria Nuland se permet de menacer ce dit concurrent s’il ne vient pas à votre aide, vous savez ou devriez savoir que vous avez perdu la partie.

    Avec son projet d’architecture européenne, Vladimir Poutine a sifflé la fin de la partie qui a débuté en décembre 1991. Il pose un dilemme aux États-Unis. S’ils acceptent sa proposition, ils renoncent à l’hégémonie. S’ils la refusent, ils s’exposent aux mesures de rétorsion technico-militaires annoncées par Poutine qui n’en a pas précisé la nature. Ce faisant, le dirigeant russe s’est enfermé dans son propre dilemme, car il doit réagir fermement si les Américains refusent d’adhérer à ses propositions au risque de perdre toute crédibilité sur la scène internationale. En tant que joueur d’échec, il a prévu le coup d’après. Quel sera-t-il ? Personne ne le sait, mais il se doit d’être dissuasif pour convaincre les États-Unis de sa détermination, sans être excessif pour ne pas susciter une escalade qui pourrait se révéler tragique.

    C’est la fin d’une histoire — l’histoire d’une nation, les États-Unis, qui fit rêver le monde entier mais non la fin de l’Histoire, comme le croyait Francis Fukuyama. Le monde n’est pas unipolaire, comme le voulaient les néo-conservateurs, mais multipolaire, comme le souhaitent la Russie, la Chine, l’Inde et bien d’autres nations. Aux dirigeants américains de le comprendre et de l’accepter… Le brouhaha médiatique n’est qu’une diversion destinée à détourner l’attention du public, à décrédibiliser un dirigeant russe, et à saborder son projet en le présentant comme l’assaillant d’une nation sans défense, et ainsi préserver le statu quo. 

    Emmanuel Macron semble avoir compris le jeu des Américains. Attendons de voir ce que donneront ses contacts avec Vladimir Poutine, et de quelle autorité il jouira auprès de ses collègues européens dans les prochaines semaines en raison de la proximité de l’élection présidentielle en France. Si, à cette initiative de la France, s’ajoute une avancée dans les négociations qui se tiendront prochainement à Berlin entre les quatre membres du « Normandy format », il est permis d’espérer une résolution pacifique de la crise, une résolution pan-européenne, sinon globale. L’approche française n’est certes pas du goût de Washington, mais compte-tenu du traitement accordé à la France dans l’affaire AUKUS[13], cela ne devrait guère inquiéter Paris.

    Jean-Luc Basle (Centre français de recherche sur le renseignement, 2 février 2022)

     

    Notes :

    [1] Démonstration a été faite que les photos utilisées pour démontrer le rassemblement de troupes russes sont truquées : « A ‘Pathogenetic’ Conflict – There is no Russian Invasion Threat to Ukraine », 25 Janvier 2022.

    [2] Ukraine : Interviewer Victoria Nuland ou comment ne rien comprendre à la crise.

    [3] Transparency International le classe au 117e rang en 2020 (sur 180 nations analysées).

    [4] Service de messageries extrêmement efficace qui certifie les ordres interbancaires de transfert de fonds.

    [5] Certains vont plus loin, comme le sénateur Roger Wicker qui envisage l’usage d’armes nucléaires, ou Evelyn Farkas, sous-secrétaire d’Etat adjointe à la Défense de 2012 à 2015, qui le laisse entendre. A ces violences verbales, certains analystes russes répondent par des propos tout aussi agressifs.

    [6] Filibuster.

    [7] Can Europe survive painlessly without Russian gas? Bruegel – Jan. 27, 2022.

    [8] Message du président James Monroe au Congrès en 1823 dans lequel il s’oppose à toute intervention militaire européenne dans les Amériques.

    [9] La position extérieure nette d’une nation représente la différence entre son actif et son passif financier. Une position nette négative représente une dette vis-à-vis de l’étranger.

    [10] “Russia’s Military, once creaky, is modern and lethal”, 27 janvier 2022.

    [11] “How to Retreat from Ukraine”, New York Times, Jan. 22, 2022

    [12] “How to Get What We Want from Putin, by Thomas Graham and Rajan Menon”, Politico, January 10, 2022

    [13] Alliance tripartie, Australie, Grande-Bretagne, Etats-Unis, de septembre 2021 pour contrer la Chine, qui s’est soldé pour la France par l’annulation de son contrat de fourniture de sous-marins à l’Australie d’un montant de 40 milliards de dollars.

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