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Points de vue - Page 434

  • Les doigts dans la marmite diplomatique...

    Nous reproduisons ci-dessous la chronique hebdomadaire de Philippe Randa consacrée à Wikileaks et publié sur son blog.

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    Les doigts dans la marmite diplomatique...

    C’est Ben Laden qui ne doit pas être content ! La vedette lui est désormais ravie par Julian Assange, fondateur du site Wikileaks qui défraie les médias du Monde entier. C’est lui qui fait désormais trembler l’"Empire du Bien”… Ses publications de documents font moins de morts – aucun à ce jour –, mais tout autant sinon plus de ravages, semble-t-il, que les sanglants attentats des barbus de l’Oumma (communauté des musulmans).
    Le bi-mensuel Flash infos magazine lui a consacré sa dernière une. Il n’est pas le seul. Aucun media n’a passé sous silence les “faits et méfaits” de monsieur Assange, reconnaissons-le. Mais peu on fait remarquer comme Nicolas Gauthier dans son éditorial, qu’on attend toujours ces fameuses révélations contre lesquelles les gouvernements du Monde entier mettent en garde tout à chacun.
    Elles vont peut-être venir… mais celles qui ont été publiées par les grands quotidiens sélectionnés par le fondateur de Wikileaks pour trier et commenter les 400 000 documents mis à leur disposition ne sont que l’aveu de ce dont on se doutait concernant entre autres les pratiques de l’American way of life en Irak : utilisation de la torture, morts de civils irakiens, bavures des milices privées, pouvoir d’influence de l’Iran (l’actuel Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, soutenu par Washington, ayant dû être adoubé à Téhéran avant de commencer à former un nouveau cabinet)…
    Plus nouveau, mais tout aussi évident, les jugements émis par la diplomatie américaine sur les dirigeants européens. Silvio Berlusconi aimerait la galante compagnie… et Nicolas Sarkozy serait un perpétuel excité. L’un et l’autre ne serait guère “crédibles” comme chef d’État. Si ce sont les Américains qui le disent !
    Plus cocasse sans doute est l’officialisation que l’Arabie Saoudite ait voulu pousser à la guerre contre l’Iran. C’est sans doute le plus grave pour l’Oncle Sam qui tente de convaincre que les musulmans formeraient un bloc uni, obsédés par l’éradication de toutes les autres religions. Nombre d’islamophobes de circonstances y ont trouvé l’espoir d’exister politiquement. Patatras ! Les musulmans sont aussi divisés que les chrétiens, les haines entre branches rivales sont aussi tenaces qu’entre catholiques et protestants autrefois, voire encore actuellement… et le mépris des unes pour les autres vaut bien souvent celui des askénazes pour les sépharades, n’en déplaisent aux obsédés du fumeux “complot juif”.
    D’où les pressions pour empêcher les hébergements du site Wikileaks dans chaque pays. Chassé des serveurs d’Amazon basés aux États-Unis, le nouveau ministre chargé de l’Industrie, de l’Énergie et de l’Économie numérique Éric Besson a demandé l’expulsion du site web du territoire français.
    Dans la patrie auto-proclamée des Droits de l’homme, si prompte à dénoncer les atteintes à la liberté d’expression chez les autres, il fallait oser. Il a osé. Éric Besson est l’homme qui ose. Tout.
    Rappelons tout de même que personne ne met en doute l’authenticité des documents publiés par Julian Assange. Au contraire… et c’est même parce qu’ils sont vrais qu’ils font si peur à nos gouvernants, pris ainsi les doigts dans la marmite de leurs mensonges, exactions, bavures, stupidités, jugements à l’emporte-pièce et autres amabilités diplomatiques…
    Et plus encore de leur incompétence à protéger leurs vilains secrets. Car si un site internet peut se procurer ainsi de tels secrets d’État, nombre de services secrets en sont probablement tout aussi capables. Ce n’est donc pas cela qui est grave pour eux, c’est que ces secrets soient ainsi connus de leurs peuples, c’est-à-dire des électeurs.
    Quant à l’initiative d’Éric Besson, elle est pour le moins dangereuse pour sa respectabilité, si tant est qu’il lui en reste encore beaucoup… Et le danger d’un effet boomerang d’une telle initiative n’est pas à écarter.
    En effet, l’hébergeur français OVH, sommé d’expulser le site Wikileaks n’est pas officiellement son hébergeur, mais simplement “le prestataire technique de la solution technique que le client a demandé”. OVH a donc décidé de saisir le juge des référés “afin qu’il se prononce sur la légalité ou pas de ce site sur le territoire français”, rappelant, à cette occasion, que “ce n’est pas au monde politique ni à OVH de demander ou décider la fermeture, ou pas, d’un site, mais à la justice.
    Et chacun sait la Justice est indépendante du pouvoir politique qui n’a pas à lui donner d’ordre. Enfin, c’est que les gouvernements affirment, à moins que parmi les 400 000 documents de Wikileaks, on apprenne le contraire. Improbable, bien sûr.

     
    Philippe Randa (7 décembre 2010)



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  • Jean Parvulesco, l'inconnu séditieux

    Nous reproduisons ici l'article, publié par Causeur, que Ludovic Maubreuil, critique de cinéma de la revue Eléments et responsable du blog Cinématique, a consacré à l'écrivain Jean Parvulesco à l'occasion de sa disparition.

     

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    Jean Parvulesco, l'inconnu séditieux

    C’était au temps du train Corail entre Lille et Paris, plus de deux heures trente si ma mémoire est bonne, assez en tous cas pour faire en un aller-retour, un sort aux romans qui résistent et aux essais qui ne se laissent pas faire, à ces œuvres énigmatiques ne se livrant jamais au lecteur dilettante. Avec un certain orgueil, j’étais alors impatient de cerner la philosophie d’Abellio, si séduisante mais si difficile à saisir, et pour cela, pistais le moindre commentaire de texte. Chez un bouquiniste, j’avais déniché Le soleil rouge de Raymond Abellio d’un certain Jean Parvulesco, trouvé à l’intérieur d’un livre de cuisine ouvert par erreur. Un signe, à n’en pas douter. Hélas, ne comprenant pas un traître mot au verbiage que j’identifiai immédiatement comme une belle fumisterie, le livre rouge et bleu, par la fenêtre du compartiment, s’envola en rase campagne ; j’en ai encore honte aujourd’hui.

    Mystique et affabulateur de génie

    Il y a six ou sept ans pourtant, je suis revenu vers l’œuvre de Jean Parvulesco, cette fois avec un tout autre état d’esprit. Mon orgueil ayant subi pas mal de revers, je ne désirais plus de clés bien ouvragées, de solutions définitives ou d’exégèses réglées, mais déprimé par la morne bassesse de la vie littéraire, je cherchais une sorte d’antidote à ce qui me semblait irréversiblement mou, triste, banal et sans issue. À tout prendre, il me fallait revenir à ce qui m’avait toujours paru le moins lisible possible et Parvulesco faisait partie de ce cercle-là !
    En quelques romans, je fus conquis, c’est-à-dire sauvé. Même si tout ce que cet étonnant mystique roumain racontait dans ses singuliers romans eschatologiques était pure affabulation, si les complots auxquels il faisait allusion et les rites expiatoires dont il dressait méticuleusement la liste, n’existaient pas, cet univers me ravissait littérairement. Lui au moins offrait un verbe ardent, inespéré, royalement hors-sujet. Lui au moins permettait d’envisager, selon sa propre terminologie, la défaite du si puissant non-être, qui n’avait soumis qu’en apparence, ou du moins que temporairement, l’Etre.

    Dans un article paru en 2008 dans Spectacle du Monde, Michel Marmin observe que Parvulesco « pour dévoiler, à l’instar de Balzac, l’envers de l’histoire contemporaine, car c’est bien de quoi il est question, récapitule et précipite toutes les formes du roman occidental, du roman arthurien au roman d’espionnage, et ne s’interdit aucune divagation onirique, fantastique ou érotique. » Cette langue qui témoigne d’une absence insensée d’assujettissement aux règles en vigueur, cette langue tout en circonvolutions limpides qui donnent l’impression d’être enfin dans le secret des dieux tout en se perdant aux enfers, cette langue-là est en effet comme une sorte de réaction chimique qui dissout instantanément la compartimentation de la post-littérature, la rend caduque à tout jamais et permet enfin de dépasser son absence d’attaches comme ses ersatz d’audace, pour en rêver immédiatement une autre.

    Avec De Roux, Ronet, Melville, Rohmer

    Mais après tout, qui connaît aujourd’hui Jean Parvulesco, décédé ce 21 novembre, à part quelques révolutionnaires gaulliens, quelques occultistes guénoniens, quelques tantristes lecteurs de Julius Evola ? Si une brève notice bio-bibliographique vient de paraître sur le site du Magazine Littéraire, cette revue n’a jamais daigné rendre compte de ses travaux.
    Pourtant, la silhouette de cet inconnu séditieux se profile auprès de tout ce que le siècle dernier a compté d’individus hors du commun et d’œuvres subversives, auprès d’Heidegger et d’Evola, Dominique de Roux et Ezra Pound, Maurice Ronet et Paul Gégauff. C’est Jean-Pierre Melville lui-même qui joue son rôle dans À bout de souffle et plusieurs films de Rohmer, à certains moment-clés, le font apparaître…
    Aujourd’hui, j’ai enfin compris pourquoi j’ai jeté ce livre par la fenêtre d’un train Corail, il y a presque dix-huit ans de cela : pour que quelqu’un le trouve sur la berge d’un ruisseau ou au milieu d’un sentier perdu, et remonte la piste. Pour que cette écriture un jour ou l’autre l’électrise et que cette parole inouïe, au sens figuré comme au sens propre, lui fasse comprendre que rien n’est joué.

    Ludovic Maubreuil (Causeur, 5 décembre 2010) 

     

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  • Un Etat qui se délite...

    L'Etat, en France, se délite... Philippe Bilger, magistrat et homme libre, en livre un nouvel exemple dans ce texte consacré au tribunal de grande instance de Bobigny, tiré de son blog Justice au singulier, que nous vous invitons à consulter régulièrement.

       

     

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    Quatre jours à Bobigny

    Récemment, je suis allé durant quatre jours au tribunal de grande instance de Bobigny pour être ministère public dans une affaire criminelle concernant trois accusés dont l'un ne se voyait reprocher qu'un délit et était détenu pour une autre cause. A l'issue des débats, ce dernier a été acquitté tandis que les deux autres ont été condamnés aux peines requises.

    Ce n'est pas le procès que j'ai envie de raconter même si, mené dans une atmosphère tendue mais courtoise et sans incident, il m'a donné l'impression parfois que certains jurés se vivaient moins comme des juges objectifs et sereins que comme des serviteurs de tel ou tel communautarisme.

    Ce qui m'a frappé dans ce palais de justice, ce n'est pas la population qui y déambulait, africains, maghrébins ou européens, ni la survenue d'événements significatifs qui auraient mérité une attention particulière.

    A dire le vrai, j'ai surtout ressenti, partout où je suis passé et notamment dans le secteur où mon activité me conduisait, sur le plan matériel comme un délabrement à la fois insinuant et irrésistible, une morosité crépusculaire, une dégradation nette. D'autant plus triste qu'elle semblait fatale et à l'abri de toute intervention humaine. J'étais venu à Bobigny quelques mois auparavant et j'ai retrouvé certains travaux dans le même état d'inachèvement avec un escalier métallique et des protections en plastique immuables. Je n'évoque même pas le bureau destiné à l'avocat général aux assises qui le laissait dans une obscurité presque totale puisque la plupart des lampes étaient mortes. Je glisse sur l'état honteux des toilettes où, si le président de la cour d'assises ne s'en était pas mêlé, des malheureux, dans le noir complet, se seraient perdus et cognés aux murs. On aboutit à cette leçon qu'au moins dans ces domaines, Paris est une réussite !

    Constatant à Bobigny un tel état des lieux, dont je veux bien croire qu'il ne mettait pas en péril forcément l'administration de la justice mais clairement son apparence, son image et la confiance dans la fiabilité de sa gestion, je ne pouvais pas m'empêcher de songer au livre blanc 2010 sur l'état de la justice en France publié par l'Union syndicale des magistrats (Le Parisien, marianne2, nouvelobs.com). Plus de 165 juridictions avaient été visitées et un inventaire de toutes les difficultés, des financières aux matérielles, des judiciaires aux infiniment basiques, était dressé qui montrait à quel point, avant même le fond de la justice, ses possibilités de fonctionnement élémentaire et de décence quotidienne étaient affectées. Michèle Alliot-Marie, devant un tel tableau, l'avait jugé "ridicule" et manifestait qu'elle aurait dû s'appliquer à elle-même cet adjectif. Heureusement, Michel Mercier l'a pris au sérieux et ce serait un axe fondamental de son action que de "se contenter" de favoriser une restauration, sur tous les plans, de ces lieux en péril. 

    Autre chose m'étonne au sujet du tribunal de Bobigny. Je sais bien qu'à la tête des juridictions le triumvirat - président, procureur et greffier en chef - ne favorise pas l'efficacité et la cohérence. Je connais le président Philippe Jeannin qui a fait son stage comme auditeur de justice quand j'étais affecté au parquet de Bobigny, il y a longtemps. J'ai suivi son parcours et il a été notamment un très bon président de la Chambre de l'instruction à Paris. Je ne l'imagine pas rester insensible devant ce que j'ai décrit. Le plus surprenant c'est que le procureur François Molins, qui n'a sans doute pas été pour rien dans l'acceptation résignée de ce lent et mélancolique délitement, s'est retrouvé directeur de cabinet de MAM puis, paraît-il sur la suggestion étrange de Jean-Louis Nadal, de Michel Mercier. J'espère qu'il traitera la justice en général autrement que Bobigny en particulier.

    Il n'y aucune fatalité pour que, sur le plan judiciaire comme sur d'autres, la Seine-Saint-Denis soit laissée à une forme d'abandon matériel et social. Certes, ce que j'ai vu à Bobigny est fragmentaire et limité et n'a rien à voir par exemple avec Sevran, où, Cité des Beaudottes, "les dealers contrôlent les habitants". Il n'empêche qu'on ne peut continuer à appréhender des difficultés tellement préoccupantes, lancinantes et structurelles qu'elles sortent de l'ordinaire, par des moyens et selon des modalités usuels. Pourquoi ne pas prendre exemple sur la nomination du préfet Lambert ? En face de telles carences, pourquoi la Justice ne nommerait-elle pas en urgence des "proconsuls" avec un mandat d'un an et toute latitude et tous pouvoirs pour remettre en état de marche des juridictions où il est miraculeux d'observer que, malgré des contextes aussi lourds, la qualité de la justice n'a pas sombré ? Ils seraient jugés à l'expiration de leur mission.

    En cas d'échec, il ne faudrait pas les "bombarder" directeurs de cabinet !

    Philippe Bilger (Justice au singulier, 3 décembre 2010) 

     

     

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  • Comment va le monde ?...

    Comment va le monde ?... Hervé Juvin, auteur d'un essai intitulé Le renversement du monde, nous donne une réponse passionnante en une vingtaine de minutes dans un entretien avec Realpolitik. Une pensée libre qui sort des sentiers battus... A écouter !


    Le renversement du monde
    envoyé par realpolitiktv. - L'actualité du moment en vidéo. 

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  • Sarko l’Américain, ou les fausses confidences de Wikileaks...

    Nous reproduisons ici un excellent point de vue de Jean-Philippe Immarigeon, mis en ligne par De Defensa, consacré à l'américanolâtrie de notre président et à sa politique d'alignement sur les Etats-Unis... Auteur d'un Sarko l'Américain (Bourin, 2007) particulièrement clairvoyant, Jean-Philippe Immarigeon a aussi écrit deux essais critiques sur les Etats-Unis, American Parano (Bourin, 2006) et L'imposture américaine (Bourin, 2009), qui méritent tout particulièrement d'être lus ! 

     

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    Sarko l’Américain, ou les fausses confidences de Wikileaks

    On savait la fascination du président français pour une Amérique qu’il connaît d’ailleurs bien peu, et le peu qu’il connaît bien mal, représentation de clichés éculés et désormais dépassés, quand ils n’ont pas été toujours faux. De ce point de vue Wikileaks ne nous apprend pas grand chose. Le Monde vient de faire une synthèse instructive de ces fausses confidences. Par delà le portrait limpide d’un bonhomme d’un simplisme consternant qui voit dans l’Amérique autoritaire et paternaliste (ce en quoi il n’a pas tort, et c’est ce qui est intéressant dans son américanolâtrie) le substitut freudien d’un père parti quand il avait quatre ans et qui ne lui a jamais dit ni d’aller ranger sa chambre ni d’aller finir ses devoirs, il y a la confirmation que l’alignement de la France sur les Etats-Unis relève au mieux d’un parti-pris idéologique, au pire d’un caprice d’adolescent immature préoccupé à mettre bas, pour exister, un héritage gaullien trop grand pour lui.

    Passons sur les considérations peu amènes sur la vie privée cascadante de Nicolas, qui lui aurait barré toute carrière politique outre-Atlantique. Sur le fond et des sujets plus essentiels pour la nation, on a confirmation que, quelque soient ses protestations ultérieures, nous aurions eu Sarkozy président de la République dès 2003, l’armée française se rejouerait un remake de la Bataille d’Alger à Sadr City et dans les faubourgs de Bagdad. L’opposition résolue de nos généraux, au diapason de l’opinion publique, aura dissuadé le nouvel élu de trop insister par la suite. Mais ses visites aux Etats-Unis et ses entretiens avec les cercles les plus néoconservateurs, notamment à l’automne 2006 où il taxa d’arrogant le refus de la France et se répandit contre son pays et sa diplomatie, n’étaient ni innocentes ni protocolaires. Cela n’empêchait pas le candidat Sarkozy d’affirmer crânement le 14 janvier 2007 que «Jacques Chirac a fait honneur à la France quand il s’est opposé à la guerre en Irak, qui était une faute», puis, une fois élu, que «La France était, grâce à Jacques Chirac, et demeure hostile à cette guerre.»

    Mais il y a la guerre d’Afghanistan, qu’un chef d’état-major français qualifiait de merdier dans lequel la France n’avait rien à faire, quelques semaines à peine avant que Sarkozy ne nous y replonge. Et il a décidé cela en négation de son engagement vis-à-vis des électeurs, pris entre les deux tours de l’élection présidentielle, là où les paroles comptent. Souvenons-nous, c’était le 26 avril 2007 sur France 2 : «La présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisif. – (Arlette Chabot) Même s’il faut poursuivre une présence pour empêcher les Talibans de revenir au pouvoir… ? – Je vous ai dit qu’elle était ma réponse […] Le président de la République (Chirac) a pris la décision de rapatrier nos forces spéciales et un certain nombre d’éléments. C’est une politique que je poursuivrai. Et de toute manière si vous regardez l’histoire du monde, aucune armée étrangère n’a réussi dans un pays qui n’était pas le sien. Aucune, quelque soit l’époque, quel que soit le lieu.» Il ne s’agissait pas seulement de poursuivre la politique de son prédécesseur, il s’agissait d’expliquer pourquoi cette guerre est historiquement une ânerie.

    Or ce qu’indiquent les documents diplomatiques américains, c’est que Nicolas Sarkozy nous mentait effrontément pour être élu, et avait déjà pris la décision de faire au moins cette guerre-là pour plaire à Washington. Si nous étions adeptes des grands mots, celui de forfaiture s’imposerait. Et concernant l’Iran, dossier dans lequel la France joue les va-t’en-guerre avec d’autant plus d’aisance qu’elle n’a plus les moyens nécessaires à une participation, même symbolique, à une action contre la Perse, le mot duplicité s’impose. Qui affirmait le 26 février 2007 sur BFM TV son opposition à une intervention, précisant que : «quand on voit ce qui se passe avec l’Irak, qui peut croire que c’est une perspective crédible ?», ajoutant que les Etats-Unis étaient dans une « impasse » ?

    Concernant l’OTAN, les militaires français, qui ne cachaient pas leur perplexité devant la perspective d’une réintégration, peuvent désormais s’épargner le ridicule de trouver, a posteriori et sur ordre, des justifications controuvées. Les documents américains montrent que Nicolas Sarkozy l’avait décidée avant même son élection, qu’il n’était même pas question pour lui d’en discuter. La conséquence, bien visible, est double : d’une part aucune contrepartie n’a été obtenue puisque les Américains, à qui le candidat avait fait cette promesse, n’ont rien lâché, le fait étant par avance acquis. Mais les dictateurs chinois, libyens et autres, qui profitent des piètres talents de négociateur du président français, agissent de même depuis mai 2007. D’autre part, Nicolas Sarkozy n’a même pas fait semblant d’ouvrir un débat sur la question, et il ne faut pas s’étonner qu’aujourd’hui les Français cherchent les raisons de leur retour dans l’OTAN.

    Ce n’est pas tant que nos troupes soient sous commandement US, sans que notre président n’ait son mot à dire lorsqu’il s’agit de virer et remplacer celui qui commande à nos troupes en Afghanistan, qui est grave : c’est l’adoption inutile et à contretemps des standards américains, technologiques bien sûr malgré leur échec après 30 ans de RMA et de TransformationD>, mais aussi bureaucratiques qui assèchent nos forces d’un millier d’officiers désormais ronds-de-cuirs qui font défaut sur le terrain.

    Que dire alors du Livre Blanc de 2008 rédigé par une commission Mallet dont les membres furent sélectionnés en proportion de leur allégeance atlantiste, commande du prince où l’on invente un concept stratégique de résilience tiré de la psychanalyse de salon ? Discours dont on réalise la vacuité et l’inanité malgré une littérature acrobatique qui tente d’y mettre de la consistance, qui a rouvert la voie à une résurgence de l’extrême droite, mélangeant délibérément guerre étrangère et sécurité intérieure, voyant derrière chaque Beur des quartiers un Taliban en puissance ; discours que l’armée ne peut accepter sans devoir un jour intervenir sur le territoire national, alors qu’elle sait que, historiquement et constitutionnellement, elle ne le peut pas.

    Ceci étant dit, ou plutôt redit, et comme je l’avais écrit il y a trois ans dans mon Sarko l’Américain, l’avantage du personnage est sa consternante prévisibilité, à l’image de tous ceux qui se coulent dans le déterministe le plus étriqué. Il en avait donné un avant-goût six mois avant son élection, dans un retentissant entretien paru dans Philosophie Magazine, où il définissait la liberté uniquement sous l’angle de la transgression (ce en quoi il n’est finalement qu’un gamin de banlieue…) : il vient de récidiver la semaine dernière, en faisant du « non » systématique le signe du caractère responsable. Dès lors que la politique d’une vieille nation millénaire semble être rabaissée au rang de travaux pratiques du premier cours de première année de psychanalyse appliquée, l’étape suivante de cet homme qui se cherche encore la soixantaine venant sera, après la recherche du géniteur, celle du meurtre du père. « Ce sera le jour où Nicolas Paul Stéphane Sarkozy de Nagy-Bocsa trouvera la force et le courage de dire en notre nom à tous : Merde à l’Amérique ! ». Dans l’intervalle, Wikileaks aura été utile, non pour nous apprendre quoique ce soit que nous ne sachions déjà, mais pour nous confirmer que, depuis mai 2007, la France perd du temps, et que dans ce monde qui bouge trop vite, ce retard risque de lui être fatal.

    Jean-Philippe Immarigeon (De Defensa, 3 décembre 2010) 

     

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  • Des hommes, des dieux et des commentaires...

    La publication du texte de Marie-Thérèse Bouchard, Des mous et des dieux, consacré au film de Xavier Beauvois, Des hommes et des dieux, n'a pas laissé certains de nos lecteurs indifférents !... Nous publions ci-dessous une belle réponse de Claude Bourrinet.

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    Evidemment, aimer un film que le grand public semble consacrer n’est pas de bon aloi. Des navets récoltent trop souvent les lauriers d’une notoriété frauduleuse. Mais cette fois-ci, le bon goût est au rendez-vous, et, beaucoup plus rare, la spiritualité la plus exigeante. Et ce qui en résulte, c’est une émotion exempte de démagogie, de facilités cynique, de ce machiavélisme qui fait pleurer Margot. Qu’en aurait fait Hollywood ? L’art du cinéma authentique consiste à nous confronter à la vérité. Par le mensonge de l’art, précisément, mais à condition qu’il soit aussi généreux qu’un conteur qui dit le conte, qui entre dans l’âme en respectant les yeux et les oreilles.

    Là, nous sommes vraiment face à Dieu, et avec les hommes.

    Xavier Beauvois avait fait un pari, très risqué. Celui d’être lui-même, de rendre franchement la réalité vécue d’une tragédie. C’était un défi presque irréalisable, car, de fraîche mémoire, le sacrifice consenti de moines cisterciens-trappistes dans un pays qui reste encore si douloureusement présent dans notre Histoire, aurait pu clapoter dans le docu-fiction, le facsimilé de reportage racoleur, l’enquête réaliste mensongère, qui cache autant de roublardise qu’un journaliste du petit écran. Là, on est en plein dans le monde, tel qu’il est, et largement au-delà, dans l’éternité, qui est peut-être la seule réalité.

    L’image est une éthique, en effet, et ses mouvements, son rythme, son cadrage. Quelques panoramiques sur les âpres collines du Nord Atlas, paysages filmés, nous dit-on, au Maroc, mais si semblables à ceux de l’Algérie, violente terre qui reste comme une boule au creux du ventre. On partage le regard, le sublime, l’extase. Et puis ce sont les interstices misérables de maisons jamais finies, les ruelles boueuses, les escaliers ruinés, les murs effrités, et la chaude communauté nord africaine, si massive, dans le Bien comme dans le Mal.

    Et ce sont encore des couloirs fuligineux, des cellules en désordre, la pauvreté assumée, une existence vouée au travail qui rapproche des hommes, à la prière qui offre à Dieu.

    L’art subtil du film est d’interpénétrer les deux, insensiblement, par touches successives, comme autant de tableaux d’un chemin de croix, avec la fin prévisible, l’holocauste accepté. On suit, on partage, on comprend ces hommes dont la chair hésite face aux couteaux. La sauvage tuerie du début, l’égorgement de Croates sur un chantier, comme les moutons qu’on saigne à l’Aïd, nous rappelle à la réalité nue, celle de la mort annoncée. Les hommes sont des êtres pour la mort. C’est dire que l’horizon de tout être, peu ou prou, reste la disparition irrémédiable, et la fin d’un corps qui nous est toujours à nous-mêmes présent, même s’il nous est parfois source d’embarras. Car de lui naît le désir, et d’abord de vivre, de voir la lumière du jour, l’appel de l’aube, la fermeture du soir. Et y compris le ronflement en est le souvenir lors même que le sommeil semble nous en éloigner.

    Toute notre société nous conseille de le sauvegarder, ce corps. Ses plaisirs, ses sophismes, ses vérités mêmes persuadent qu’il n’est pas de plus grand bien que la vie. Et c’est bien sûr vrai. Mais qu’est une vie qui se prend comme centre ?

    L’intérêt du film provient en effet de la découverte progressive de l’inanité d’une existence qui se suffirait à elle-même. La lâcheté, la réticence à mourir, la peur de la douleur, la frayeur devant des hommes en armes, redoutables guerriers sans pitié, d’une religion qui se veut ennemie, des tortionnaires, des terroristes enfin, tout cela ramène à l’humain tremblement des chairs, à l’angoisse qui serre la poitrine et fait vaciller la voix. Car ces moines ne sont pas des héros. Nulle faconde. Petit à petit, nous nous sentons comme eux, à leur place, et sans doute partisans de ceux qui veulent fuir. Et soudain, l’évidence : une vie ne vaut rien sans autre chose, qui la transfigure. Bien sûr, ce sont là des mots, et il faut être croyant pour placer Jésus Christ au centre du questionnement. La réponse aux questions n’est d’ailleurs jamais capturée, comme dans des filets, par de hardis pêcheurs sûrs de leur technique. Au contraire, elle vient d’elle-même, et ce n’est pas l’une des moindres surprises du film qu’elle surgit dans la joie. Après, tout peut arriver. L’existence paraît légère, la liberté rend fort.

    Philosopher, c’est apprendre à mourir, disait Socrate. Le film « Les hommes et les dieux » nous transporte en pleine Antiquité. Ou plutôt, c’est le problème éternel de l’homme qui se pose, de donner sens à sa vie.

    Par là peut naître la vraie fraternité. Non celle qui orne les plateaux télé, mais celle qui vient de l’épreuve, et d’une rencontre entre des hommes qui croient en quelque chose. On songe aux face à face homériques, aux échanges de dons entre héros. Le sang peut ainsi être ce don, pour que s’entrevoit, au moins, deux religions que d’aucuns voudraient qu’elles s’entretuent. Les Talibans sont d’un côté comme de l’autre, et trouvent leur bonheur dans le massacre. Trop de malentendus sont attisés pour des intérêts douteux. Les Islamistes, comme les fondamentalistes chrétiens, prospèrent sur des montagnes de morts. Les très belles images d’amitié entre chrétiens et musulmans plaident pour l’inverse. Je crois profondément que les civilisations, par leurs religions, leurs traditions, peuvent se retrouver par le haut. La contemplation, le sacré, la beauté, l’acceptation de l’humaine condition, exactement le contraire de la civilisation de consommation actuelle, sont les valeurs qui sauveront le monde.

    Claude Bourrinet (2 décembre 2010) 

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