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Points de vue - Page 435

  • Des mous et des dieux...

    Juste pour casser l'ambiance et pour briser l'unanimisme, toujours un peu inquiétant, de la bonne presse à propos du film Des hommes et des dieux, de Xavier Beauvois, nous reproduisons cette tribune de Marie-Thérèse Bouchard, signalée par Novopress.

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    Des mous et des dieux
     
    Pour ceux qui ne veulent plus jamais entendre Le Lac des Cygnes de la même manière, il y a Des Hommes et des Dieux. Ce film sublime, rythmé par un tempo plus lent qu'un larghetto esthétique, nous offre une splendide leçon de vie, aussi cruelle que les flammes de l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie. Où l'on apprend non sans un étonnement de païen christianisé de loin que le meilleur moyen de conserver sa vie est de la perdre sur terre pour la retrouver dans les Cieux. Où l'on décide donc de se rêver autrement que comme adorateur de la religion de la mort. Où le martyre de moines est donné comme un exemple à un peuple qui se déteste déjà. Où l'apologie de l'islam dépasse l'entendement, dans un contexte qui se veut un hommage à ceux qui ont choisi la disparition, espérant trouver la lumière dans un tombeau.

    Il y a dans Des Hommes et des Dieux, l'amour de la vie des autres mais un détachement complet concernant la sienne, ce à quoi on reconnaît les grands hommes, ceux qui ne craignent pas la mort, mais l'accueillent à bras ouverts après avoir réalisé une tâche qui les dépasse et qui dure après leur trépas. Les religieux, vaches à lait du bled, sont morts pour avoir refusé l'aide d'un Etat corrompu et se sont donc fait massacrer par des forces anarchistes tout aussi corrompues. On saisira la nuance chez saint Jean, qui lui, a assuré une réelle mission, contrairement à nos amis en soutane, fournisseurs officiels de godasses aux miséreux de l'Atlas et serreurs de paluches des terroristes venus gentiment dans un monde pacifique leur réclamer des médicaments la veille de la naissance d'Issa. Non pas que je remette une seconde en question la haute voltige spirituelle de ces gens, je ne suis qu'une salope mortelle, quand je suis en danger, je cours ; mais je me permets de me demander si mourir ainsi a pu servir à répandre le message du Christ en terre musulmane. Tendre la joue gauche peut impressionner des peuples déjà civilisés ; tendre la joue gauche devant des bourrins à kalache est une marque de faiblesse. Ici, point de christianisme civilisationnel, car la civilisation n'aurait pas même le temps d'éclore dans ce dolorisme mêlant beauté des chœurs et beauté de l'âme admirant la faucheuse. Le christianisme qu'il nous reste, ce christianisme identitaire auquel nos tripes se raccrochent est celui des cathédrales qui s'imposent, des chants grégoriens jaillissant des poitrines, faisant éclater le verre, des Stentor vainqueurs plutôt que des martyrs heureux de leur sort, heureux d'une mort cinégénique et inutile. Notre civilisation chrétienne a pu le rester grâce aux fracasseurs de crânes de Maures, nullement grâce aux moines tendant le rectum à Mahomet dans une logique d'amour de l'autre et de respect de sa domination. Le christianisme, c'est l'alliance du profane et du sacré en permanence, ici est sa seule voie de salut. L'église est belle quand, contre ses murs rebondissent les notes de Bach et de Haendel, jamais l'église n'est plus laide que lorsque retentissent les voix chevrotantes des textes débiles des chrétiens débordant d'amour pour quiconque, sauf pour le blanc qui fait la manche sur le parvis de « la maison de Dieu ».

    Cette religion, virile, pure comme le cristal, mystérieuse pour des générations d'étudiants en musicologie, philologie, philosophie, est devenue l'égérie de Télérama quand elle offre au monde des septuagénaires prêts à mourir par solidarité envers les blédards d'outre-Méditerrannée qui n'attendent d'eux que du Doliprane payé par la Versaillaise en quête de bonnes actions mensualisées.
     
    Marie-Thérèse Bouchard ( Blog Marie-Thérèse Bouchard, 3 octobre 2010)
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  • Le grand désenchantement...

    Nous reproduisons ci-dessous des extraits de l'entretien accordé au Monde magazine par le philosophe Bernard Stiegler et publié le 26 novembre 2010. Il analyse le grand désenchantement qui accable notre société... 

     

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    "Nous vivons dans une société jetable. La jetabilité généralisée résulte d'une économie fondée sur ce que l'Autrichien Joseph Schumpeter appelait la« destruction créatrice» et qui a conduit à une obsolescence structurelle et chronique des marchandises - mais aussi des producteurs, des appareils de production et des consommateurs, qui se sentent jetables eux-mêmes et perdent le sentiment d'exister. Tout le système repose sur la fabrication de marchandises sans réelle valeur d'usage parce que sans durabilité. Pour que la consommation continue et que les usines tournent, on a voué tout ce qui constituait le monde à devenir déchet, êtres humains compris, produisant du même coup le sentiment que le monde est devenu, au sens propre, « immonde ». Les hommes, les employés, les contrats de travail, les conjoints, et jusqu'aux produits financiers, sont « poubellisés ». Ce modèle toxique, qui pollue les environnements aussi bien physiques que mentaux, a installé une infidélité systémique, c'est-à-dire un désengagement et un désinvestissement généralisés. Comme le consommateur jette le produit immédiatement passé de mode, le spéculateur jette l'entreprise sur laquelle, tel un pirate, il fait une« opération ». Le capitalisme, qui était fondé sur l'investissement, s'auto détruit par ce désinvestissement structurel et ruineux, c'est-à-dire producteur d'insolvabilité - ce qu'a rendu évident la crise des subprimes. Le problème est que l'autodestruction du capitalisme est aussi la destruction du monde lui-même."

    [...]  

    "La jetabilité résulte d'un devenir pulsionnel du consommateur et du spéculateur. Le consommateur pulsionnel voit toute son énergie libidinale (son désir) canalisée vers les objets obsolescents. Ces objets ne sont donc pas investis: ils sont détruits. L'objet d'un véritable désir est au contraire protégé, voire sanctifié - comme c'est le cas de l'objet de culte aussi bien que de l'objet de l'amour filial ou érotique et de tout processus d'idéalisation, c'est-à-dire de toutes les formes de savoir. Au contraire, la canalisation du désir par l'organisation de la consommation engendre de la déception et conduit à la destruction du désir. Le désir véritable, c'est ce qui transforme les pulsions par l'éducation, l'engagement affectif, la sublimation dans le travail, la création, les activités sociales et citoyennes. Dans les sociétés fondées sur le renouvellement constant de marchandises jetables, le désir ne doit plus s'investir dans ses objets: il doit être réduit à ses dimensions purement pulsionnelles. Ainsi se généralise l'infidélité. Tout est fait pour rendre obsolète le moindre objet sitôt apparu sur le marché. Un symbole effroyable de cette infidélité organisée par le tout-consommation est l'histoire dMem, un petit garçon de 8 ans adopté en Russie par une Américaine qui, . après quelques mois, ne l'ayant pas trouvé conforme à son fantasme, l'a abandonné seul dans un avion avec une lettre adressée aux autorités russes, disant qu'elle n'en voulait plus." 

     [...]

    "[La bêtise systémique est liée] à ce que j'appelle la« prolétarisation généralisée ». La prolétarisation, c'est historiquement la perte du savoir du travailleur face à la machine qui a absorbé ce savoir. Aujourd'hui, la prolétarisation, c'est la standardisation des comportements à travers le marketing et les services, et la mécanisation des esprits par l'extériorisation des savoirs dans des systèmes tels que ces « esprits» ne savent plus rien de ces appareils de traitement de l'information qu'ils ne font plus que paramétrer : c'est précisément ce que montre la mathématisation électronique de la décision financière. Or cela affecte tout le monde: employés, médecins, concepteurs, intellectuels, dirigeants. De plus en plus d'ingénieurs participent à des processus techniques dont ils ignorent le fonctionnement, mais qui ruinent le monde. Ainsi s'installe une véritable « bêtise systémique» qui règne aux plus hauts niveaux des Etats, des partis, des organisations internationales et des multinationales. Prenons l'exemple d'Alan Greenspan, ancien patron de la Réserve fédérale américaine (Fed), dont l'incurie a tant contribué à la crise de 2007. Il a expliqué benoîtement à la Chambre des représentants de Washington qu'il ne savait pas comment marchait le système. Il est très inquiétant de voir le plus haut responsable du secteur bancaire mondial reconnaître son ignorance et révéler son incompétence. Le même Greenspan a contribué à la désignation de Bernard Madoff - un des plus grands escrocs de l'histoire - à la tête du Nasdaq. Nous sommes là devant un exemple majeur de la« bêtise systémique », où la perte d'intelligence du système par ceux qui le dirigent induit une dilution des responsabilités."

    [...] 

    "Pour le psychanalyste Donald Winnicott, le soin que la mère consacre à son enfant vise essentiellement à donner à sa progéniture toutes les raisons de croire que « la vie vaut la peine d'être vécue ». Et il affirme que son propre métier de thérapeute consiste à rendre le sentiment que la vie vaut la peine d'être vécue aux personnes qui viennent le consulter, et dont il pose qu'elles ont « perdu le sentiment d'exister ». Or, relisant ces lignes en 2009,je me suis subitement souvenu que ce sont ces mêmes mots que Richard Durn avait écrits dans son journal intime en 2002, peu de temps avant d'assassiner huit conseillers municipaux de Nanterre: il annonçait qu'il allait devoir commettre quelque chose de mal pour « avoir au moins une fois dans [sa] vie le sentiment d'exister ».Aujourd'hui, ce sentiment d'inexistence, très largement répandu, se transforme en sentiment d'impuissance qui frappe des populations entières face à une sphère politique et managériale totalement décervelée. Cet extrême « désenchantement », pour reprendre un terme que Marcel Gauchet emprunte à Max Weber, est le résultat de la perte de savoirs induite par la prolétarisation généralisée: les travailleurs n'ont plus de savoir-faire, les consommateurs n'ont plus de savoir-vivre, les concepteurs et les décideurs n'ont plus de savoir théorique, c'est-à-dire critique - et ils sont les complices, volontaires ou non, d'escrocs et de mafieux qui exploitent cette situation d'incurie."

    Propos recueillis par Frédéric Joignot (Le Monde magazine, 27 novembre 2010)

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  • La bataille contre le système

    Nous reproduisons ici un texte de Pierre Vaudan, intitulé La bataille contre le système, publié par le site De Defensa, animé par Philippe Grasset. Nous vous recommendons vivement sa lecture. 

     

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    La bataille contre le Système

    Récemment, un ami ulcéré par une situation dont j’ignore encore aujourd’hui le détail, s’était plongé dans La Guerre de guérilla du Che avec une énergie combattante. Je lui avais alors humblement fait remarquer que l’hyper-puissance technologique et communicationnelle du Système rendait désormais impossible toute révolution par des moyens classiques, fussent-ils aussi honorablement inspirés que ceux du Che, et qu’il fallait plutôt réfléchir à la rédaction d’un nouveau manuel de guérilla qui viserait non plus à l’affrontement armé, mais à un travail de termites en quelque sorte, avec pour objectif l’effondrement du Système sur lui-même, sa dissolution. Pragmatique, il me demanda de lui donner l’ABC de ce nouveau manuel, ce dont je fus bien incapable. Mais cela devait amorcer le texte ci-dessous, où figurent quelques pistes.

    La narrative

    1. Les démocraties libérales représentent la forme la plus élevée et indépassable des formes possibles d’organisation sociale. Il n’y a pas d’alternative.

    2. Les valeurs occidentales sont le fruit d’un héritage historique obtenu de haute lutte après des siècles de barbarie. Ces valeurs sont les plus élevées qui soient, les plus respectueuses et bénéfiques pour les collectivités et les individus.

    3. L’Occident est soucieux de permettre à tous les peuples de la terre de sortir de la pauvreté et d’accéder à la liberté grâce à la promotion de son modèle démocratique.

    4. L’Occident œuvre pour la paix dans le monde.

    5. L’évolution de notre civilisation tend toujours vers le mieux.

    6. Le capitalisme et son économie de marché ne sont pas parfait, mais ils sont perfectibles et sont de toute façon le seul modèle viable, il n’y a pas d’alternative.

    Les quelques énoncés ci-dessus sont a priori indiscutables. Ils résument à peu de chose près le regard que portent sur eux-mêmes les Occidentaux. L’homos-occidentalus moyen adhère à ces “évidences” avec l’intime conviction d’être le dépositaire d’un héritage glorieux, convaincu que “sa” civilisation est lumière dans les ténèbres du monde.

    Il est persuadé que cette conviction est le fruit de sa raison, d’une libre pensée nourrie de sa propre observation et de son analyse.

    Or ces énoncés sont au mieux contestables, au pire faussaires.

    Car si le glorieux héritage invoqué ici n’est bien sûr pas sans fondement, l’Occident est aujourd’hui prisonnier d’un Système (américaniste, occidentaliste, anglo-saxon comme on voudra, mais que par commodité nous ne nommeront ici que par le terme générique de « Système ») qui instrumentalise désormais ses idéaux dont il ne conserve que les slogans après en avoir détruit la substance.

    Passage en revue.

    La narrative à l’épreuve du réel

    • La démocratie-libérale, modèle indépassable

    Dans l’écrasante majorité des démocraties occidentales, le régime en place, idéal sur le papier, est un leurre où deux ailes d’un parti unique simulent l’affrontement des idées. Le peuple est donc l’otage d’un simulacre de démocratie. Dans les faits, chaque camp gouverne sous la dictature des marchés, se pliant aux lois d’un Système régi par les seules lois darwiniennes de l’économie.

    • Les valeurs occidentales sont les plus élevées qui soient

    C’est faire peu de cas des ravages de la colonisation et de l’esclavagisme, ces deux sanglantes mamelles qui ont permis hier à l’Occident de financer son industrialisation et qui lui permettent, aujourd’hui encore, de financer son train de vie puisque toutes deux n’ont fait qu’évoluer sans disparaître. Grâce à la globalisation, le Système permet en effet aujourd’hui à l’Occident de faire travailler ses esclaves dans leur pays d’origine, et l’OMC, le FMI ou la BM assurent la poursuite d’une colonisation sans faille des pays en voie de développement par un mécanisme d’endettement forcé.

    • L’Occident soucieux de la pauvreté et de la liberté des peuples

    Là encore, les faits démentent la narrative puisque l’Occident continue à piller les richesses naturelles des pays pauvres tout en leur refusant un commerce équitable, ce qui a pour effet premier de bloquer leur développement et d’accroître leur pauvreté. Les multinationales ont fait main-basse sur “l’agro-business”, affamant des régions entières pour maximaliser leur profit (prise en otage des paysans grâce aux OGM, monocultures intensives, rachat de concessions d’eau qu’on laisse à l’abandon pour forcer l’achat d’eau en bouteilles etc. etc Notons encore que l’essentiel des capitaux qui tournent autour de l’agro-business sont spéculatifs.). Le Système maintient ainsi artificiellement et à dessein l’essentiel de la planète dans la pauvreté pour garantir sa richesse. De plus, puisqu’il se pense universaliste, le Système est un formidable destructeur de cultures. Il assimile, nivelle, dissous les identités et les spécificités culturelles, les dilue, les absorbe, les digère, les uniformise, les reformate.

    • L’Occident œuvre pour la paix dans le monde

    Rien n’est plus faux. Les seules boucheries de masse perpétrées depuis 20 ans sur cette planète (Irak-Afghanistan) l’on été et le sont encore au nom de la démocratie et des droits de l’homme par les armées occidentales, du Système donc. Dans des pays d’Afrique sub-saharienne où le sous-sol est riche en hydrocarbures, le Système et ses groupes pétroliers fomentent ou entretiennent des guerres pour endetter et donc asservir les pays concernés et empêcher par tous les moyens un scénario de type bolivien. Au Proche-Orient, la tête de pont occidentale en territoire barbare, Israël donc, est soutenue dans toutes ses boucheries depuis 60 ans par le Système. Dans sa nouvelle doctrine nucléaire, Washington menace même les pays qu’il jugera “proliférateurs” de frappes nucléaires préventives, même si ces derniers ne disposent pas de l’arme atomique (1). En clair, puisque la menace nucléaire iranienne est un conte, le Système est désormais théoriquement prêt à faire usage de l’arme atomique pour imposer son modèle aux récalcitrants trop turbulents.

    • L’évolution de notre civilisation tend toujours vers le mieux

    Certes, à l’intérieur de la civilisation occidentale, on ne torture plus physiquement, on n’emprisonne plus les gens pour leurs idées (José Bové soutiendrait toutefois le contraire). Mais le Système opère un contrôle de plus en plus inquisiteur sur les individus sous couvert de sécurité, et l’on voit les prémices d’une répression soft mais grandissante de toute pensée non-conformiste à mesure que les contradictions du Système apparaissent. L’illusion de la liberté, et finalement de la vie pourrait-on dire, ne provient essentiellement que de l’accès d’apparence libre mais en réalité imposé (comment y échapper ?) à toutes les formes de saturations sensorielles. Simulacre d’exaltation par une sur-stimulation des sens donc, mais qui ne s’adresse toutefois jamais qu’à “nos passions tristes”. Ce qui caractérise le mieux la civilisation occidentale aujourd’hui, est le constat de la perte complète du sens. Intuitivement, on pourrait avancer que la raison n’a finalement jamais réussi à combler le vide laissé par le meurtre de Dieu (1789 : naissance de la seconde civilisation occidentale). Dans le Système occidentaliste, l’individu lutte en permanence contre une sensation de vertige, de vide, qu’il est sensé combler par un acte d’achat répété jusqu’à l’hystérie et/ou la nausée (Ô mon Dieu, mais quand va donc enfin sortir la nouvelle version du dernier MacdoPhoooone ?). En définitive, l’homo-occidentalus ne sait plus vraiment pourquoi il vit.

    • Le capitalisme n’est pas parfait, mais il est perfectible et de toute façon, il n’y a pas d’alternative.

    Arrivé désormais à sa pleine maturité, le système capitaliste dans sa version néo-libérale se révèle une machine monstrueuse, nihiliste à l'extrême, anthropophage dans sa nature profonde. Les licenciements de masse font s’envoler les actions des entreprises; les catastrophes naturelles sont considérées comme des aubaines pour relancer l'économie; le principe de précaution est sacrifié aux exigences du profit immédiat; c’est le règne du court terme ; la privatisation et la manipulation du vivant n'est qu'une perspective de plus d'enrichissement ; on préfère laisser crever des millions d’Africains plutôt que de baisser le prix des trithérapies. Au final, le capitalisme dans sa version ultime corrompt tout ce qu'il embrasse, de l’esprit à la biosphère, se dévorant finalement lui-même à coups d’OPA agressives, imposant aux sociétés qui lui sont soumises la décadence des mœurs, le desséchement de la pensée et de l'âme, le meurtre de l’environnement. Comme l’écrit Esther Vivas, «Le capitalisme a démontré son incapacité de satisfaire les besoins fondamentaux de la majorité de la population mondiale (un accès à la nourriture, un logement digne, des services publics d’éducation et de santé de bonne qualité) tout comme son incompatibilité absolue avec la préservation de l’écosystème (destruction de la biodiversité, changement climatique en cours).» En ce sens, le capitalisme est tout simplement une dynamique destructrice du vivant. Même dans sa “zone de privilège”, l’Occident donc, le capitalisme ne gouverne que par la violence : docilisation des masses par la précarisation ; paupérisation ; enfermement des individus dans les dettes pour achever de verrouiller leur dépendance au Système. Mais le capitalisme s’avère aussi incapable de résoudre ses contradictions (à qui vendre mes voitures puisque je mets mes acheteurs potentiels au chômage pour délocaliser et produire à moindre coûts etc…). Là encore, la narrative se fait d’autant plus agressive qu’il faut masquer une impasse de plus en plus visible.

    La manipulation des psychologies

    Et pourtant, l’Occident ne se pense qu’au travers de l’image parfaite et honorable dont il s’est doté comme une entreprise se dote d’une identité visuelle, de ce masque de vertu dessiné par sa machine de communication et qui est si prompt à se sentir outragé par la barbarie de l’“autre”.

    Comment est-ce possible ?

    C’est là qu’entre en jeu la fantastique puissance communicationnelle du Système. Un machine non pas de propagande (le propagandiste sait qu’il trompe), mais de création d’une réalité virtuelle.

    La distinction est importante. Car le Système ne peut fonctionner que sous certaines conditions, dont l’une des principales est la sujétion volontaire des masses au Système. En l’absence de cette sujétion volontaire, le Système serait en effet contraint de révéler sa nature profonde, qui est totalitaire, et s’exposerait alors à être contesté, puis combattu, ce qui serait contre-productif, donc contraire aux buts du Système.

    Or, là où la propagande s’attaque à la pensée et tente d’asséner des mensonges mille fois répétés pour en faire des vérités (cf Goebbels), la machine à réalité virtuelle du Système manipule la psychologie. C'est-à-dire le point de contact le plus intime entre le Système et l’individu. L’élément subtil par lequel l’individu perçoit, ressent le Système, et par lequel le Système touche au plus profond de l’individu.

    Et seule la manipulation de la psychologie peut susciter la sujétion volontaire recherchée.

    C’est pourquoi nonobstant une poignée de marionnettistes, tout ce qui fait la communication du Système, c'est-à-dire l’élite politique mais aussi, bien sûr, la presse-Pravda, les plumitifs du prêt-à-penser, le tout Hollywood et ses avatars, croit généralement au caractère indiscutable des énoncés cités en préambule, croit en la pureté intrinsèque du Système (n’est pas meilleur menteur que celui qui croit dire la vérité…).

    Chacun des hérauts du Système défend donc la réalité virtuelle ainsi créée avec d’autant plus de hargne qu’il lui est vital d’y croire pour son équilibre psychologique justement, au point qu’on peut même soutenir qu’il désire intensément être trompé, par paresse, conformisme et peur de l’inconnu bien sûr, par crainte de perdre ses privilèges sûrement, par angoisse du vide sans doute.

    On constate d’ailleurs que ces dociles communicateurs ne combattent jamais avec autant de rage toute contestation de Leur Vérité, que lorsqu’ils en suspectent tout à coup malgré eux l’éventuelle fausseté (l’exemple nous est donné ici par la violence avec laquelle sont traités ceux qui contestent la version officielle des attentats du 11 Septembre.)

    L’individu sous perfusion permanente

    A l’heure de l’hyper-technologie, la puissance du flux communicationnel du Système est désormais telle qu’il est bien difficile d’y résister, et impossible d’y échapper.

    La télévision est bien sûr le principal vecteur des valeurs du Système, de sa réalité virtuelle donc. Là où l’on fait globalement sans cesse l’éloge des valeurs de l’Occident, de la justesse de ses croisades, des bienfaits du libre-marché, et c’est là aussi que directement ou implicitement on désigne l’ennemi, on caricature l’autre et les valeurs de l’autre, le barbus fanatique, l’insondable et menaçant bridé, le nègre sauvage et sanguinaire.

    Or un français de plus de 4 ans passe, par exemple, en moyenne 3,36 heures devant sa télévision chaque jour. C'est-à-dire qu’en un an, il reste assis à fixer une petite boîte diffusant les messages du Système durant…. 54 jours sans discontinuer, soit presque… deux mois jours et nuits par an.

    Dans la presse, considérée généralement comme plus critique, les valeurs citées en préambule ne sont jamais fondamentalement remises en question (sauf éditos alibis s’entend). Ajoutons donc à cela le temps de lecture. Et puis les messages publicitaires qui jonchent les rues et célèbrent les vertus du consumérisme, de la joie de posséder, c'est-à-dire qui célèbrent la plus haute vertu proposée par le Système, l’orgasme marchand : l’achat.

    Bref, l’individu moyen est quotidiennement soumis aux stimuli du Système et à sa réalité virtuelle. Il est sous perfusion quasi permanente.

    L’avantage de la réalité virtuelle sur la propagande, c'est-à-dire l’avantage de manipuler les psychologies plutôt que la pensée est donc évident. Car au lieu d’avoir des individus qui ânonnent sans y croire les vertus d’un système en le honnissant (cf ex-URSS), l’homo-occidentalus fait l’apologie du Système en étant persuadé de le faire de son plein gré en fonction d’un raisonnement libre, juste et bon.

    L’individu se confond avec le Système qui a pénétré sa psychologie (2).

    La liberté dans les interstices des rouages

    Reste que cette manipulation en profondeur, malgré son caractère apparemment soft puisqu’elle vise une sujétion non contrainte, reste d’une violence terrible pour les psychologies. Difficile en effet de faire croire sans conséquences sur le long terme que le noir est blanc, que le bas est en haut, que la bassesse puisse être vertu.

    Instinctivement, nombreux sont donc ceux qui ressentent intuitivement un malaise au spectacle de cette réalité virtuelle : “on sent bien que quelque chose cloche, mais quoi…”

    C’est que le réel, un peu comme lorsque l’image d’une télévision est secouée par des parasites, fait régulièrement irruption dans la narrative du Système, sans que celui-ci puisse l’empêcher.

    Crise économique majeure qui oblige le Système à se sauver lui-même en reportant la dette des spéculateurs sur les peuples ; boucherie puis débandade militaires masquées en opération de libération et en victoire (Irak), manipulations trop grossières sur les buts de guerre (cf. la fable des armes de destructions massives irakiennes) ; le réel entre parfois trop brutalement en contradiction avec la narrative du Système et en démasque au moins brièvement la supercherie.

    Nombreux sont donc ceux qui, en proie à ce malaise, y cherchent une explication et sont donc réceptifs à d’autres informations, dissidentes ou alternatives comme on voudra, que le Système, et c’est là sa principale faiblesse, ne peut pas filtrer sans se désavouer lui-même puisqu’il s’affirme comme un espace de liberté. En ce sens, on constate que la narrative du Système est en même temps sa prison.

    L’on pourrait donc caricaturer en disant que la vraie liberté se situe aujourd’hui dans les interstices des rouages du Système, dans ces espaces que le Système est contraint de laisser ouverts s’il veut lui-même fonctionner.

    Internet est truffé de ces espaces là. Il est bien sûr un outil formidable de communication au Service du Système, mais sa nature ubuesque a aussi ouvert une faille béante dans sa narrative car, pour la première fois, l’information échappe au contrôle du Système.

    De plus en plus de sites dissidents gagnent ainsi en audience et jouent un rôle “d’éveilleur” que le Système ne peut combattre frontalement. La presse-Pravda tente bien sûr désespérément de jouer l’opposition entre le mythe d’une info vérifiée, professionnelle, sérieuse contre le tout et n’importe-quoi qu’Internet produirait essentiellement. Mais c’est un baroud d’honneur.

    Vers l’esprit de résistance

    Et c’est là que l’on discerne les premières clés d’un nouveau manuel de guérilla possible, qui obéit grosso modo aux règles de la guerre de 4ème génération, c'est-à-dire ce que l’on appelle la guerre du faible au fort. Une guerre de harcèlement donc où, passez-moi l’expression, une poignée de moustiques peut efficacement s’employer à piquer le cul de l’éléphant jusqu’à le pousser à la faute, ou à le rendre fou. Les principes sont anciens (retourner les armes de l’adversaire contre lui, exploiter les failles dans sa défense, susciter la discorde chez l’ennemi), mais les moyens nouveaux.

    Il s’agit d’attaquer le Système dans sa narrative, de le marquer à la culotte, de le démasquer, d’en révéler au jour le jour les supercheries, les sophismes, les manipulations. L’objectif étant bien sûr de discréditer le Système et ses zélateurs par la mise en concurrence acharnée de sa réalité virtuelle et du réel.

    Ce combat en est au stade embryonnaire pour l’instant, et il est prévisible que le Système cherchera la parade par des astuces technologiques ou législatives.

    Mais au final, le combat est engagé. Et l’on pourrait dire que le champ de bataille se situe aujourd’hui dans cet espace infime et gigantesque à la fois que constitue le doute, la malaise que fait ressentir aux psychologies la manipulation du Système. Ce malaise est comme une faille qu’il faut élargir pour que s’y engouffre le réel. Ensuite, il appartiendra au dormeur de se réveiller en acceptant le vertige du réel, pour que puisse naître en lui l’esprit de résistance, le désir du combat.

    En attendant le coup de pouce de l’Histoire

    Aujourd’hui, le Système est profondément malade de ses contradictions. La supercherie est de plus en plus difficile à masquer. Les crises se multiplient et les seuls remèdes que sont capables de proposer les élites du Système sont de nature cosmétique bien sûr. Car le Système ne peut ni ne veut être réformé en profondeur, car ce serait admettre sa faiblesse, son inadéquation au réel. La seule préoccupation du Système est donc de protéger sa narrative, d’imposer à tous le déni du réel. Alors une crise succède à une autre crise, qui en abrite elle-même cent autres. Car le réel est là, comme un volcan, qui couve sous la cendre.

    Nous l’avons dit, la narrative du Système est en même temps sa prison. Sa force est donc sa faiblesse. Il est contraint de sauver les apparences, et sauver les apparences, c'est-à-dire la réalité virtuelle, lui impose des limitations terribles de ses capacités. Par exemple, sa machine de guerre, capable de renvoyer n’importe quel pays à l’âge de pierre, peut être réduite à l’impuissance à cause de cette narrative justement. En Afghanistan, on observe ainsi que les bavures, dès qu’elles sont connues, ont pour premier effet de compromettre les opérations en cours en obligeant le Système à clouer son aviation au sol, au moins le temps de faire oublier les crimes, de rétablir la narrative. S’en suit une suite interminable de surge qui ont tous ont la prétention d’être “la grande opération finale” et qui s’achèvent systématiquement en fantastiques ratages. De par les contraintes de la narrative, l’hyper-puissance militaire devient donc souvent impuissance avec, là encore, un désordre permanent qui s’installe. La hiérarchie militaire du Système se retrouve alors à hésiter sans cesse entre le désir d’atomiser les talibans, ou celui de les intégrer au gouvernement.

    C’est que le Système s’avère désormais lui aussi incapable de résoudre ses contradictions. Le Système est en crise car la structure même du Système le conduit inéluctablement vers la crise.

    Toutes les conditions sont donc réunies pour l’effondrement final. Mais à notre avis, seul un événement majeur pourra permettre aux peuples d’Occident de se libérer définitivement du Système. Un événement qui ne peut être qu’une fracture, un schisme, coup d’envoi de la dernière phase de l’effondrement attendu, à l’implosion, à la dissolution.

    Or il se trouve que la crise du Système rencontre aujourd’hui une autre crise, celle des Etats-Unis, matrice du Système justement. C’est là en effet que le monstre a été conçu, nourri, là où il a pris son envol, a déployé ses ailes.

    Notre thèse est donc que cet événement majeur tant attendu, le schisme, la fracture, pourrait prendre la forme d’une fracture transatlantique à la faveur de l’effondrement en cours de la puissance américaine.

    L’effondrement du Système américaniste et/ou occidentaliste qui enchaîne les esprits et les nations depuis la fin de la Seconde guerre mondiale pourrait donc être, pour l’Europe et l’Occident en général, le moment tant attendu de sa vraie libération, de sa renaissance.

    Encore faudra-t-il que suffisamment de dormeurs se soient réveillés d’ici là pour prendre les commandes de ce nouveau départ, et éviter que l’Histoire ne bégaie.

    C’est à notre sens l’enjeu du combat d’aujourd’hui.

     

    Pierre Vaudan (De Defensa, 26 novembre 2010)

     

    Notes

    (1) «J’estime que le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) contient un message très ferme tant pour l’Iran que la Corée du Nord, a déclaré le secrétaire à la Défense américain, Robert Gates en présentant la nouvelle doctrine nucléaire américaine. Ce qui signifie que si vous acceptez de jouer selon les règles nous entreprendrons la mise en œuvre de certaines obligations envers vous; si vous devenez des “proliférateurs”, alors toutes les options sont sur la table.»

    (2) On sait que la CIA a expérimenté (faut-il parler au passé ?) des techniques de torture psychologique qui consistent à asséner de manière répétée des chocs sensoriels aux individus pour “laver leur psychologie”. Non pas pour y inscrire des messages nouveaux (ça c’était la technique obsolète du lavage de cerveau), mais pour en faire en quelque sorte une page blanche qui puisse être dès lors ouverte et réceptive à de nouvelles perceptions (cf Naomi Klein, La Stratégie du choc).

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  • La crise et ses responsables...

    Le film enquête de Charles FergusonInside job, actuellement sur les écrans, lève le voile sur la crise de 2008 et ses responsables directs. Evidemment, ce n'est qu'une mise en cause du fonctionnement du système et non pas du système libéral lui-même. Néanmoins, c'est efficace et instructif...

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    "La dépression mondiale, dont le coût s'élève à plus de 20 000 milliards de dollars, a engendré pour des millions de personnes la perte de leur emploi et leur maison. Au travers d'enquêtes approfondies et d'entretiens avec des acteurs majeurs de la finance, des hommes politiques et des journalistes, le film retrace l'émergence d'une industrie scélérate et dévoile les relations nocives qui ont corrompu la politique, les autorités de régulation et le monde universitaire. Narré par l'acteur oscarisé Matt Damon, le film a été tourné entre les Etats-Unis, l'Islande, l'Angleterre, la France, Singapour et la Chine."


    Inside Job Bande Annonce du film
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  • De la mélancolie française...

    A l'occasion de la sortie au Livre de poche de Mélancolie française d'Eric Zemmour, nous reproduisons la présentation qu'avait fait Alain de Benoist de son auteur pour l'hebdomadaire jeune-conservateur allemand Junge Freiheit en avril dernier.

     

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    Le phénomène Zemmour

    En dépit du « politiquement correct », il y a encore beaucoup d’anticonformistes en France, mais le seul anticonformiste que connaissent tous les Français, c’est Eric Zemmour. Peu connu il y a encore quelques années, il a aujourd’hui acquis une visibilité et donc une audience considérables depuis qu’il participe régulièrement à des émissions de télévision très populaires, comme « On n’est pas couché », de Laurent Ruquier. On l’entend maintenant aussi tous les matins sur la chaîne de radio RTL, commentant l’actualité du jour dans une émission intitulée « Z comme Zemmour ».

     

    Zemmour est un esprit libre. A la télévision, il tient tête aux fausses gloires et aux imposteurs – les échanges se terminant le plus souvent en affrontements. Et surtout, il aborde les sujets brûlants, ce qui suscite des polémiques et lui vaut des menaces. Le 6 mars dernier, par exemple, il déclare que « les Français issus de l’immigration sont plus contrôlés par la police parce que la plupart des trafiquants sont noirs ou arabes ». C’est aussitôt un tollé. Plusieurs plaintes sont lancées contre lui et Le Figaro, qui l’emploie comme chroniqueur depuis 1995, envisage même de le licencier. Dans la presse, on lui fait aussitôt dire que « tous les Noirs et Arabes sont des trafiquants », ce qu’il n’a évidemment jamais dit. Il a seulement dit la vérité : si la grande majorité des immigrés ne sont pas des délinquants, la majorité des délinquants (de 70 à 80 %) sont d’origine immigrée.

     

    Eric Zemmour est né en 1958 dans la banlieue parisienne, dans une famille juive originaire d’Algérie (son nom signifie « olivier » en berbère). Ses premiers livres étaient consacrés à Edouard Balladur et Jacques Chirac, mais l’ouvrage qui l’a fait connaître est Le premier sexe (2006), dans lequel il dénonçait l’indistinction des sexes et la féminisation de la société, suivi en 2008 d’un roman intitulé Petit frère, dans lequel il s’en prenait au communautarisme et à l’« angélisme antiraciste ». Tout récemment, il a aussi publié Mélancolie française, un essai qui réinterprète toute l’histoire de France comme celle d’un long déclin, mais exalte la notion d’Empire. La France, dit Zemmour, ne s’est jamais remise de Waterloo !

     

    Gaulliste et « bonapartiste », résolument anti-libéral sur le plan économique, conservateur sur le plan sociétal, il se déclare hostile à l’idéologie des droits de l’homme et, comme Alain Finkielkraut, estime que l’antiracisme a aujourd’hui pris le relais de l’intolérance communiste : « A la sacralisation des races de la période nazie a succédé la négation des races. C’est aussi ridicule dans les deux cas ». Concernant l’immigration, qu’il compare à un « tsunami démographique », il est favorable à l’assimilation, qu’il juge toutefois « névrotique ». Notant qu’il ne s’exprime jamais sur Israël, certains de ses adversaires le présentent comme le porte-parole de cette fraction de la communauté juive qui estime que l’antiracisme conduit à l’antisionisme. Il y a en tout cas désormais un phénomène Zemmour !

     

    Alain de Benoist

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  • Contre l'homogénéisation planétaire !

    Dans notre rubrique archives, nous mettons en ligne un éditorial de Robert de Herte (alias Alain de Benoist), dans la revue Eléments (n°100, mars 2001), consacré au localisme.

     

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    L'heure de la micropolitique
     
    A l'époque de la modernité, la politique a été pensée de façon essentiellement institutionnelle ou constestataire de l'institution. Le pouvoir central était l'enjeu des pratiques et des luttes politiques. Quand les mécontents étaient trop nombreux, on assistait à des mouvements de colère, voire à des insurrections. Aujourd'hui, on assiste à une implosion. On ne se mobilise plus, on se détourne. Non seulement les pouvoirs officiels sont de plus en plus impuissants, mais l'abstention ne cesse de progresser. D'autant plus coupés du peuple qu'ils veulent être " proches de lui ", les politiciens ont beau assurer de façon pathétique leur " souci de transparence ", leurs programmes n'intéressent plus.
    Ceux qui ne comprennent pas que le monde a changé s'en désolent. Voyant s'effacer leur paysage familier, ils éprouvent un sentiment de dissolution. Ils confondent la fin d'un monde - le leur - et la fin du monde. Ils oublient que l'histoire est ouverte, et que ce qui se défait annonce des recompositions nouvelles. Comme la vague, dit Michel Maffesoli, qui avance alors qu'elle paraît reculer.
    Il ne faut pas en effet se tromper sur ce mouvement de retrait, en l'interprétant par exemple comme une " désertion " de type classique. Il s'agit en effet d'une nouvelle secessio plebis. Comme parfois chez l'individu, le corps ne suit plus. Mais ici, c'est du corps social qu'il s'agit. Dans un mouvement de sédition instinctive, ce corps social se dérobe à la conscience de l'institution, de la puissance sociétale. Il ne se reconnait plus dans l'institué, dans la classe politique. Ce n'est pas qu'il est devenu indifférent à tout. C'est seulement qu'il a compris que la vraie vie est ailleurs.
    Cette dynamique est déroutante parce que, contrairement à ce que l'on voyait autrefois, elle ne se finalise pas. Elle n'est pas guidée par de vastes théories, et ne se fixe pas de grands objectifs à atteindre. Les grandes notions abstraites (patrie, classe, progrès, etc.) à la lumière desquelles on avait voulu changer le monde pour le rendre meilleur, avec pour seul effet de le rendre pire, apparaissent désormais comme vides de sens. L'Histoire (avec une majuscule) est désertée au profit des histoires particulières, les " grands récits " au profit des narrations locales. Après quinze siècles de doctrines qui prétendaient dire comment le monde devait être, on en revient à l'idée que le monde doit être pris tel qu'il est. Il ne faut pas avoir peur de ce mouvement, de ce foisonnement à la fois opaque et prometteur.
    La mondialisation, qui constitue désormais le cadre de notre histoire, n'est pas moins paradoxale. D'un côté, elle est unidimensionnelle, semblant provoquer partout l'extinction de la diversité sous toutes ses formes. De l'autre, elle entraîne une fragmentation inédite. Ce faisant, elle restitue la possibilité d'un mode de vie " autopoïétique ", fondé sur l'auto-organisation à tous les niveaux, et d'abord la possibilité d'un type de pratique démocratique qui était devenu impossible dans des ensembles unitaires trop grands.
    L'action locale permet en effet d'envisager un retour à une démocratie directe, de type organique et communautaire. Une telle démocratie, prenant en compte aussi bien le moment de la délibération que celui de la décision, implique d'abord une large participation. Elle repose ensuite sur les notions de subsidiarité et de réciprocité. Subsidiarité : que les collectivités puissent le plus possible décider par elles-mêmes pour ce qui les concerne, en ne déléguant au niveau supérieur que la part de pouvoir qu'elles ne peuvent exercer. Réciprocité : que le pouvoir de décider donné à quelques-uns soit assorti du pouvoir donné à tous de contrôler ceux qui décident. Une telle démarche répond à la définition du pouvoir donné par Hannah Arendt, non comme une contrainte, mais comme un pouvoir de faire et d'agir ensemble. Elle revient à penser la vie politique à partir de la notion d'autosuffisance, en cherchant à créer les conditions de cette autosuffisance à tous les niveaux : familles élargies ou recomposées, communautés de quartier, de villes et de régions, comités locaux, systèmes intercommunaux, écosystèmes et marchés locaux.
    La Révolution de 1789, consacrant les droits de l'individu indépendamment de toute appartenance communautaire, a voulu mettre fin au système des associations, auquel elle reprochait de faire écran entre l'individu et l'Etat souverain. Rousseau n'était pourtant pas hostile au régime associatif, dont Tocqueville devait faire après lui l'un des outils de la liberté. Au XIXe siècle, le modèle de la représentation n'a cessé d'être concurrencé par celui de l'association. " L'idée proudhonienne du fédéralisme, rapporte Joël Roman, fut explicitement proposée en opposition à la représentation politique, et le mouvement ouvrier naissant se retrouva davantage dans la notion d'association." (La démocratie des individus, Calmann-Lévy, 1988, p. 129). Ce modèle a par la suite inspiré les expériences les plus diverses (conseillistes, communautaires et coopératives). Il renaît aujourd'hui, avec une portée nouvelle.
    La notion de communauté est directement liée à celle de démocratie locale. En même temps qu'une réalité humaine immédiate, la communauté est un instrument de création de l'imaginaire social. C'est à partir d'elle qu'il est possible aujourd'hui de recréer le collectif. La dimension collective associe ceux qui ont une cause à faire valoir en commun : appartient à ma communauté celui qui, dans la vie de tous les jours, ets confronté aux mêmes problèmes que moi. Mettre l'accent sur les communautés revient à réhabiliter les " matries " charnelles, concrètes, à côté de la patrie abstraite, surplombante, anonyme et lointaine. Ce réenracinement dynamique, ouvert, n'est pas de l'ordre de la régression, de la clôture ou du sur-place. Il privilégie les notions de réciprocité, d'entraide, de solidarités de proximité, d'échanges de services et d'économies parallèles, de valeurs partagées. La résistance à l'homogénéisation planétaire ne peut se faire qu'au niveau local.
    Penser globalement, agir localement : tel est le mot d'ordre de la micropolitique. Il s'agit d'en finir avec l'autorité et l'expertise qui viennent d'en haut, édictant à partir du sommet de la pyramide des règles générales, en même temps qu'avec une société où la richesse augmente au même rythme que se défait le lien social. Contre la mentalité d'assistance et l'Etat-Providence, il s'agir de travailler à la reconstitution de réseaux de réciprocité, à la resocialisation du travail autonome, à l'apparition de nouvelles " niches " sociales, à la multiplication des " noeuds " au sein des " réseaux ". Il s'agit de faire réapparaître l'" homme habitant " (Pierre George) par opposition à l'homme qui n'est que producteur ou consommateur. Il s'agit de remettre le local au centre, et le global à la périphérie. Retour au lieu, au paysage, à l'écosystème, à l'équilibre. La vraie vie est ailleurs !
     
    Robert de Herte (Eléments n°100, mars 2001)
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