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Points de vue - Page 43

  • Wakanda...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue publié sur le site Idiocratie et consacré à Black Panther - Wakanda forever la dernière production en date des studios Marvel, instruments du soft power américain...

     

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    Wakanda

    Le ridicule ne tue pas, sauf entre les mains des Etats. Là, il devient assurément une arme létale, d’autant plus mortelle qu’elle se confond avec un instrument de divertissement, partagé par la planète entière. En 1990, le politologue Joseph Samuel Nye théorise le concept de softpower et le définit comme la capacité d’un Etat à obtenir ce qu’il souhaite d’un autre Etat, ou à faire en sorte que cet autre Etat veuille la même chose que lui sans le contraindre. A la différence de la propagande, qui ne s’embarrasse pas de subtilité et qui est le fait d’un gouvernement, le softpower prend les formes les plus diverses et est construit par de multiples acteurs, étatiques ou non. A l’ère de l’information de masse, le cinéma est un instrument privilégié du softpower et la franchise de films MCU – pour Marvel Cinematic Universe – produite par les studios Marvel, propriété de Walt Disney, constitue sans nul doute le navire amiral de la flotte de guerre culturelle hollywoodienne. En un peu plus de vingt ans et plus de trente films, la franchise Marvel a rapporté plus de trente milliards de dollars et rendu la planète accro aux super-humains bodybuildés en collants. Après avoir essoré les superstars comme Spiderman ou Iron Man, les studios Marvel doivent désormais aller piocher parmi les seconds couteaux, tout en s’efforçant d’être dans l’air du temps. Depuis quelques années déjà, la mode est à la cancel culture et le fond de l’air est woke. La Panthère noire (« Black Panther » en version originale), super-héros créé par le scénariste Stan Lee et le dessinateur Jack Kirby et apparu pour la première fois dans le 52e opus des aventures des Fantastic Four en juillet 1966, était donc le candidat parfait pour incarner le nouveau super-symbole conscientisé de l’ère Trump. 

    Le softpower américain est un instrument économique, géopolitique et idéologique, soigneusement calibré pour répondre aux attentes du public américain. En 1954, quand le magazine de comics Jungle Tales présente le héros « Waku, le prince Bantu », son éditeur, Atlas Comics (nom utilisé par Marvel Comics à l'époque), suit avec précision l’actualité du moment et le combat pour les droits civiques. En 1966, l’héritier de Waku, rebaptisé « Black Panther », s’adresse directement aux lecteurs noirs américains en mettant en scène ce super-héros qui règne sur le Wakanda, royaume imaginaire situé en Afrique, très avancé technologiquement, seul endroit au monde possédant des mines de vibranium, métal extrêmement rare aux propriétés fantastiques. Dans les années 1960, cette Panthère Noire rencontre un tel succès auprès du lectorat afro-américain qu’elle aurait même inspiré le nom du Black Panther Party, créé en octobre 1966. Cinquante ans plus tard, la Panthère noire a donc logiquement repris du service pour coller à une autre actualité, celle de #metoo et Black lives Matter. Et le pari de Marvel a été payant. Le film Black Panther, sorti en 2018, a été un succès planétaire. Il a coûté 200 millions de dollars et en a rapporté 1,3 milliard et son protagoniste principal est devenu une icône pop culture du nouveau combat pour les droits civiques dans le climat de tensions ethniques et de violences qui a marqué le mandat de Donald Trump.

    En 2022, Marvel tente de rééditer l’excellente opération commerciale du premier film. Malheureusement, l’acteur principal, Chadewick Boseman, interprète du roi T’Challa, souverain du Wakanda, alias The Black Panther, est tragiquement décédé en août 2020 d’un cancer du côlon. Qu’à cela ne tienne, le nouvel opus de Black Panther sera non seulement un film de super-héros afro-américains mais également dominé par les femmes. Et les nouveaux ennemis du Wakanda sont les anciennes puissances coloniales qui tentent de lui voler son vibranium. Nous ne gâcherons pas la surprise des quelques lecteurs qui n’auraient pas encore vu Black Panther : Wakanda Forever (c’est le titre) en révélant que l’on apprend dès le début du film le nom de cette odieuse nation sans foi ni loi : la France. La toute première scène du film montre les forces spéciales françaises qui tentent de s’attaquer à une base avancée du Wakanda… au Mali. Confrontés aux fières guerrières wakandaises, les soldats de l’ancienne puissance coloniale sont facilement vaincus et capturés et amenés pieds et poings liés face à l’assemblée des Nations-Unies devant laquelle ils sont forcés de se mettre à genoux. 

    Avec beaucoup de cynisme et fort peu de nuance, les studios Marvel s’efforcent de séduire un public soucieux de saupoudrer la bûche de Noël hollywoodienne d’une pincée de conscientisation ethno-différentialiste et soi-disant anticoloniale. L’industrie du cinéma a la mémoire courte évidemment et on se souviendra qu’il y a vingt ans, en 2003, c’est un autre héros de comics, Captain America, qui traitait les Français de lâches, pour avoir eu l’audace de refuser de soutenir l’intervention de l’Oncle Sam en Irak. Bien sûr, en refourguant aussi grossièrement leur clinquante camelote, les studios Marvel insultent la mémoire des 58 soldats français, tués au cours des opérations Serval et Barkhane au Mali, dont le sacrifice a permis d’éviter la contagion islamiste dans toute l’Afrique de l’ouest et au Mali de conserver son intégrité territoriale, mais Marvel estime peut-être que la présence des mercenaires de Wagner est préférable à celle des soldats français au Mali…Le softpower des studios Marvel n’est, certes, pas directement responsable de la mort de 58 soldats français au Mali mais pour des raisons bassement mercantiles, dissimulées derrière le politiquement correct le plus lourdaud qui soit, il insulte la mémoire de ceux qui sont morts entre autre pour que les films de merde de la Marvel puissent être projetés dans les salles de cinéma de Tombouctou, tant que les islamistes d’AQMI n’ont pas encore mis la main dessus. Souhaitons aux maliens de trouver leur bonheur avec les miliciens de Wagner maintenant que l’odieuse ex-puissance coloniale a plié bagage.

    Des idiots (Idiocratie, 21 janvier 2023)

     

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  • Guerre en Ukraine : c’est reparti comme en 1939 !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy, cueilli sur Polémia et consacré aux nouveaux risques d'escalade dans le conflit russo-ukrainien...

    Ancien haut-fonctionnaire, Michel Geoffroy a publié le Dictionnaire de Novlangue (Via Romana, 2015), en collaboration avec Jean-Yves Le Gallou, et deux essais, La Superclasse mondiale contre les Peuples (Via Romana, 2018), La nouvelle guerre des mondes (Via Romana, 2020), Immigration de masse - L'assimilation impossible (La Nouvelle Librairie, 2021) et dernièrement Le crépuscule des Lumières (Via Romana, 2021).

     

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    Chars Leopard 2 polonais susceptibles d'être fournis à l'Ukraine

     

    Guerre en Ukraine : c’est reparti comme en 1939 !

    La guerre russo-ukrainienne est une catastrophe. On l’a assez dit dans ces colonnes. Pour cette raison, tous ceux qui la font se prolonger prennent devant l’histoire une responsabilité écrasante. Comme ceux qui nous ont menés à la guerre mondiale en 1939.

    Une catastrophe

    Cette guerre est une catastrophe car on voit bien, au bout d’un an, qu’aux destructions et aux pertes civiles et militaires croissantes s’ajoute le torpillage durable de l’économie européenne.

    En effet, les sanctions prétendument antirusses nous frappent au premier chef en nous privant de sources d’énergie bon marché. Et en nous rendant dépendants du gaz de schiste que les États-Unis, dont l’économie se porte au contraire très bien, nous vendront cher.

    La guerre russo-ukrainienne consacre aussi l’américanisation de la diplomatie européenne. Et aussi, bien sûr, elle confirme la soumission de la France à l’OTAN. Une France qui a perdu toute « autonomie stratégique », qui était pourtant déjà un pâle succédané de l’indépendance nationale gaullienne.

    Car cette guerre est bien une guerre de l’OTAN contre la Russie et, plus fondamentalement, une guerre de l’État profond nord-américain contre l’avènement du monde multipolaire. C’est donc une guerre contre la majorité de la population mondiale et les civilisations qui l’incarnent.

    C’est dire qu’on nous embarque dans une guerre perdue d’avance.

    Prolonger la guerre, mais au profit de qui ?

    Si on pouvait à la rigueur admettre, au début du conflit, qu’il était légitime d’apporter une assistance à l’Ukraine « agressée » – bien que ce pays ne soit ni membre de l’OTAN ni membre de l’UE –, après bientôt un an de conflit cette attitude apparaît non seulement absurde mais suicidaire.

    A fortiori lorsque Mme Merkel affirme maintenant que les accords de Minsk – qu’elle a pourtant contresignés avec la France – avaient pour seul objet de permettre à l’Ukraine de gagner du temps pour se préparer à affronter militairement la Russie…

    Livrer toujours plus d’armes contribue évidemment à alimenter le parti de la guerre ukrainien en lui faisant croire que cette assistance otanienne lui permettra de vaincre la Russie sur le champ de bataille. Ce qui ne s’est jamais vérifié jusque-là, et pour cause, puisque l’armée ukrainienne a pour l’essentiel été écrasée mi-2022.

    Pourquoi en irait-il autrement demain, alors que toutes les affirmations des généraux de plateau télévision ont jusqu’à présent été démenties par les faits ?

    Et qui peut donc avoir intérêt à prolonger un conflit que l’Ukraine n’est manifestement plus en mesure de gagner ? Certainement pas nous.

    Un scénario sud-vietnamien

    En Ukraine, l’OTAN se trouve en réalité engagée dans un scénario sud-vietnamien, ce qui n’a rien de fortuit puisque cette organisation est dirigée par les États-Unis, qui commettent toujours les mêmes erreurs, sur le dos des autres.

    Comme au Viet Nam, on achemine donc toujours plus de matériel et d’hommes (ici des mercenaires et des « instructeurs ») en Ukraine, comme si la solution était technique et logistique, alors qu’elle est, comme toujours, politique et civilisationnelle. On adopte donc une logique impolitique de fuite en avant, qui ne peut conduire qu’au désastre.

    Les dirigeants de l’OTAN tiennent d’ailleurs, selon cette ligne absurde, des propos ahurissants. Comme M. Stoltenberg lorsqu’il affirme que, quelle que soit l’issue du conflit (tiens, il se pourrait donc que l’Ukraine ne gagne pas ?), on ne pourrait plus avoir de relations normales avec la Russie[1]. Mais il est vrai que, pour les États-Unis, on ne discute pas avec un adversaire : on le diabolise, on le détruit ou on exige sa reddition inconditionnelle, c’est l’esprit du puritanisme.

    Cette logique vietnamienne a cependant toutes les chances de se terminer ici comme là-bas, demain comme hier. C’est-à-dire par un enlisement militaire, et l’abandon final des Ukrainiens à leur sort, comme autrefois les Sud-Vietnamiens. Ou les Afghans.

    Pousser la Russie à bout

    La décision de contribuer de plus en plus à l’équipement militaire et financier de l’Ukraine nous conduit en outre fatalement à la cobelligérance de fait, donc à affronter militairement la Russie.

    Ce dont les Russes n’ont pas manqué d’avertir les Européens. Mais ceux-ci font la sourde oreille, habitués qu’ils sont aux mensonges et rodomontades de leurs propres politiciens : ils croient qu’il en va de même de tous les autres !

    Pourtant, les responsables russes, en général, parlent sérieusement, comme ils l’ont démontré depuis février 2022.

    Dès lors, qui peut sérieusement croire qu’affronter la Russie nous serait profitable ? Qui peut croire que fermer toutes les voies de discussion avec la Russie va nous apporter la paix ? Qui peut croire que nous ayons le moindre intérêt à pousser la Russie dans ses dernières extrémités ?

    Comme en 1939

    Pour la France, l’histoire recommence malheureusement, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Nous voici en effet revenus en 1939.

    Comme en 1939, la France ne maîtrise plus sa politique. Hier, elle était à la remorque d’une Grande-Bretagne qui décidait brusquement d’arrêter l’expansionnisme allemand à Dantzig, après l’avoir laissé faire partout depuis 1936[2]. Aujourd’hui, la France est à la remorque de l’OTAN et de Bruxelles, c’est-à-dire des États-Unis et de l’Allemagne, dans une logique d’affrontement avec la Russie, une nation en pleine expansion, sûre d’elle-même et de son bon droit, comme autrefois le Reich.

    Comme en 1939, une classe politique incapable et cynique nous conduit à la guerre, sans nous avoir donné les moyens de gagner : qu’il s’agisse de guerre économique, sanitaire ou militaire. Et évidemment sans consulter le peuple français, une fois encore.

    Comme en 1939, on veut nous faire mourir pour un pays instable, avec lequel nous n’avons aucun intérêt vital en jeu et pour des frontières artificielles. Au nom de prétendues « valeurs » que l’on se garde pourtant d’invoquer dans d’autres conflits.

    Comme en 1939, on nous abreuve de bobards hallucinants qui empêchent toute appréciation raisonnable de la situation.

    Et comme en 1939, la gauche bourgeoise – c’est un pléonasme politique français – est d’autant plus va-t-en-guerre qu’elle a placé ses économies et ses enfants bien en sécurité, à l’étranger.

    Celui qui ignore les leçons de l’histoire se condamne à la revivre, dit-on.

    C’est le sort qui nous attend dans les plaines d’Ukraine, si on ne se réveille pas à temps.

    Michel Geoffroy (Polémia, 22 janvier 2023)

     

    Notes :

    [1] « Rien ne sera plus comme avant. Même si les armes se taisent en Ukraine, il ne faut pas attendre que nos relations se normalisent avec la Russie. »

    [2] Techniquement, en 1939, c’est la Grande-Bretagne qui annonce que la France déclare la guerre à l’Allemagne, avant même le gouvernement français ! Le Premier ministre Paul Reynaud va même signer un accord secret avec la Grande-Bretagne, à l’insu du cabinet, aux termes duquel la France subordonne les conditions dans lesquelles elle fait la guerre à l’accord du gouvernement britannique…

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  • Emmanuel Macron, image de la déraison occidentale...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy, cueilli sur Polémia et consacré à la déraison qui règne aujourd'hui au sommet des états occidentaux....

    Ancien haut-fonctionnaire, Michel Geoffroy a publié le Dictionnaire de Novlangue (Via Romana, 2015), en collaboration avec Jean-Yves Le Gallou, et deux essais, La Superclasse mondiale contre les Peuples (Via Romana, 2018), La nouvelle guerre des mondes (Via Romana, 2020), Immigration de masse - L'assimilation impossible (La Nouvelle Librairie, 2021) et dernièrement Le crépuscule des Lumières (Via Romana, 2021).

     

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    Emmanuel Macron, image de la déraison occidentale

    Pour la majorité de la population mondiale, l’Occident – c’est-à-dire l’espace formaté et dominé par les États-Unis – désigne le monde des fous : des fous qui croient par exemple que des hommes peuvent être enceints, qu’il est légitime d’euthanasier les malades ou qu’il faut arrêter de faire des enfants pour « sauver la planète ». Mais pour le reste du monde, l’Occident regroupe aussi les acteurs étatiques irrationnels. Des États et des gouvernements, et donc des interlocuteurs, non fiables. Qu’est-ce qu’un acteur étatique irrationnel ? Un État ou un gouvernement qui ne se soucie pas du bien de sa population. Et qu’est-ce qu’un État qui ne se soucie pas de protéger sa population ? Un État qui n’est pas souverain. Un acteur étatique irrationnel est aussi un acteur idéologique : il sacrifie sa population et son territoire à des idées abstraites, comme l’URSS à ses débuts.

    Les États européens ont perdu leur souveraineté

    Au XXIe siècle l’Occident regroupe en effet les États qui ont perdu leur souveraineté et qui sont devenus sujets des États-Unis, le seul État souverain qui subsiste dans cet espace, avec Israël [1] ; avec, bien sûr, des nuances dans la sujétion puisque les pays anglo-saxons sont encore, un petit peu, souverains en Occident.

    La France fut en Europe le premier acteur étatique irrationnel, puisque depuis 1789 son gouvernement obéit non pas à l’intérêt public mais à des « valeurs » abstraites auxquelles le pays est prié de se soumettre, même si elles vont à l’encontre de son intérêt concret [2].

    L’Union européenne n’est pas un État – sinon, de fait, le 51e État américain – mais, néanmoins, une entité également irrationnelle puisqu’elle obéit non pas à l’intérêt des nations et des peuples européens qui la composent mais à des valeurs dogmatiques : avant tout, le libre-échange, le sans-frontiérisme, la non-discrimination et l’écologie radicale. On le voit par exemple sur les questions migratoires où l’on a tout sacrifié aux prétendues valeurs « d’accueil » et d’ouverture des frontières.

    Les pays membres de la zone euro ont donc doublement perdu leur souveraineté : d’une part en transférant des attributions étatiques à l’Union européenne, d’autre part parce que celle-ci s’aligne en tout sur les États-Unis, comme on le voit avec le conflit russo-ukrainien et vis-à-vis de la Chine, ou sur une idéologie mondialiste.

    Les Européens ont ainsi déconstruit l’instrument principal de la souveraineté dans l’histoire : la puissance étatique, et se sont livrés au pouvoir économique et financier mondialisé et libéré de toute entrave.

    Des gouvernements aveuglés

    Un acteur étatique irrationnel est un danger pour les autres États, surtout à l’âge nucléaire, car il ne peut jamais mener de realpolitik. Il ne fait qu’ajouter à l’imprévisibilité du monde, ce qui peut conduire les autres à prendre de mauvaises décisions.

    Or la dissuasion nucléaire repose sur un principe de rationalité : à savoir que l’ampleur des destructions provoquées par cette arme ne peut que dissuader un État d’y avoir recours, sauf à courir le risque de sa propre vitrification. Mais justement un État irrationnel ou un gouvernement idéologisé peut courir ce risque.

    On l’a vu avec la folle politique de sanctions à l’encontre de la Russie pratiquée par l’Union européenne, à l’instigation des États-Unis.

    Les Russes ne pensaient certainement pas que les Européens seraient prêts à sacrifier leur industrie et le bien-être de leur population en se coupant des sources d’énergie bon marché, sous prétexte de « sanctionner » la Russie.

    De même, les Russes ne pensaient pas que les Européens fourniraient toujours plus d’armes, de crédits et de mercenaires à l’Ukraine, au risque de les entraîner dans un statut de cobelligérance contre la fédération de Russie.

    Mais le propre des acteurs étatiques ayant perdu leur souveraineté est de sacrifier leur intérêt national. C’est en cela qu’ils sont irrationnels.

    L’Occident belliqueux

    Dans l’histoire, les acteurs étatiques irrationnels ont donc été les plus belliqueux car ils n’hésitaient pas à verser le sang de leur population, sans limite. La guerre est leur lot : guerre civile et guerre étrangère, comme l’a démontré la Révolution française.

    Les États-Unis en sont un autre exemple car, si d’un côté ils représentent un État souverain, donc soucieux de son intérêt national, d’un autre côté ils ont aussi un gouvernement messianique qui prétend imposer sa domination au reste du monde.

    De fait, les États-Unis ont été les plus belliqueux du monde malgré leur courte histoire et malgré une population largement isolationniste.

    D’autant plus que leur insularité de fait les protège des conséquences des guerres qu’ils ont menées partout, comme autrefois la Grande Bretagne.

    Macron, exemple type du dirigeant irrationnel

    Emmanuel Macron est l’image même du dirigeant irrationnel occidental produit par le Système.

    Il parle rarement de la France et des Français, sinon en mal, mais ne cesse d’invoquer l’Union européenne ou de prétendues « valeurs » pour justifier son action – ou le plus souvent son inaction –, preuve de son approche idéologique de la réalité.

    Adepte du « en même temps », il adopte aussi une ligne toujours fluctuante car elle ne s’appuie pas sur le socle de l’intérêt national, qu’il ne connaît pas. Comme le relevait son ancien ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, « quand vous entendez Macron, sur tous les problèmes, il vous dit une chose puis une autre. Un coup dans le zig, un coup dans le zag [3] ». Une telle attitude est évidemment incompatible avec toute diplomatie cohérente.

    Emmanuel Macron est avant tout un communicant et non pas un homme d’État : il croit que la com’ permet de tout résoudre, avec la complicité des médias.

    Mais s’il est peu crédible en interne car il est manifeste que son action est avant tout destructrice, il apparaît aussi comme un interlocuteur non fiable sur le plan international. Cela explique qu’avec lui la voix de la France est de plus en plus inaudible.

    Dans la crise russo-ukrainienne, la France macronienne est donc hors-jeu, alors qu’elle était pourtant partie aux accords de Minsk. Au point que les deux belligérants ont inventé un verbe pour (dis)qualifier le président français : macroner, c’est-à-dire parler dans le vide. Quel aveu !

    Avant qu’il ne soit trop tard

    Dans le monde polycentrique et risqué qui se met en place, les sujets européens de l’oncle Sam se trouvent donc dans une situation de plus en plus catastrophique.

    Leurs gouvernements ne les protègent plus de grand-chose car ils ont perdu leurs moyens d’agir dans presque tous les domaines. Et de toute façon ils évoluent dans un monde imaginaire – celui des médias et des « valeurs » – et obéissent à des pouvoirs qui ne se trouvent plus en Europe.

    En outre leur attitude belliqueuse vis-à-vis des puissances émergentes nous conduit à la guerre, mais sans nous y préparer. Exactement comme l’a fait la gauche française en 1939.

    En d’autres termes, ces gouvernements irrationnels ont abandonné les Européens, comme les Français.

    Ils ne sont donc plus légitimes et il devient de moins en moins rationnel de continuer à leur obéir.

    Michel Geoffroy (Polémia, 12 janvier 2023)

     

    Notes :

    [1] Il est intéressant de remarquer que les États véritablement souverains n’ont pas abandonné la peine de mort pour certains crimes.

    [2] Mais pas celui de la bourgeoisie, puisque depuis 1789 la gauche en France est avant tout bourgeoise.

    [3] Interview à Challenges, janvier 2023

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  • Guerre en Ukraine : trois scenarios pour 2023...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Bernard Pinatel cueilli sur Geopragma et consacré aux scénarios d'évolution de la guerre en Ukraine. Officier général en retraite et docteur en sciences politiques, Jean-Bernard Pinatel a déjà publié plusieurs essais dont Carnet de guerres et de crises 2011-2013 (Lavauzelle, 2014).

     

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    Guerre en Ukraine : trois scenarios pour 2023 et les facteurs déterminants qui les sous-tendent

    Dans « Foreign Affairs » du 4 janvier 2023[i], Barry Ross Posen, professeur de sciences politiques internationales au MIT et directeur du programme études de sécurité du MIT infléchit son évaluation de situation concernant la guerre en Ukraine : « En juillet, j’ai fait valoir que la guerre était dans l’impasse. Compte tenu des succès subséquents de l’Ukraine dans la libération du territoire dans et autour des villes de Kherson et Kharkiv, mon évaluation était clairement prématurée. Mais il convient de noter que l’Ukraine a obtenu ces succès pendant la période où les forces de la Russie étaient à leur plus faible et son leadership à ses plus pauvres moments. Malgré les progrès de Kiev, la triste vérité demeure qu’à l’époque et à l’heure actuelle, le rapport entre les pertes russes et les pertes ukrainiennes est de un pour un, selon les estimations des États-Unis. La campagne de bombardements contre les infrastructures énergétiques ukrainiennes, qui a commencé en octobre, force l’Ukraine et ses alliés à détourner leurs ressources vers la défense de la population urbaine du pays, vulnérable aux intempéries en l’absence d’électricité. Et le retrait des forces russes de la ville de Kherson en novembre a sauvé des unités capables de destruction et les a libérés pour l’action ailleurs« .

    Cette analyse est importante à plusieurs titres : elle confirme les analyses stratégiques de plusieurs géopoliticiens français ou étrangers notamment ceux de GEOPRAGMA, (dont la pensée reste libre de tout appartenance) car elle minimise les succès ukrainiens que nos analystes de plateaux TV considéraient comme décisifs et qui les autorisaient à pronostiquer la défaite de la Russie.

    A l’orée de 2023 l’évolution de la réflexion de cet influenceur important de la pensée stratégique des élites américaines est l’occasion de rappeler les facteurs déterminants qui se sont dégagés de ces 10 mois de guerre et qui décideront de l’évolution de ce conflit.

    Ils limitent le champ des scénarios plausibles sur la poursuite de ce conflit en 2023.

    Les facteurs déterminants qui se sont révélés au cours de ces 10 mois de guerre :

    1. Les russes, par sous-évaluation des capacités ukrainiennes et de l’héroïsme de ses soldats et probablement pour devancer une attaque de leur part prévue au printemps, se sont lancés le 24 février 2022 dans cette « opération spéciale » avec des forces limitées (environ 100 000 hommes) et un commandement décentralisé (3 corps d’Armée) sur un front très étendu (1000 km). Avec ces forces ils n’avaient, comme je l’ai déclaré le 5 mars sur LCI, ni la capacité de s’emparer de Kiev ni de conquérir toute l’Ukraine que la majorité des consultants TV désignait alors comme l’objectif de la Russie, mettant même en garde contre une extension du conflit aux pays voisins.

    2. Ce qui a été proclamé à l’Ouest comme de grandes victoires ukrainiennes ne sont en réalité que des replis opératifs des forces russes de l’oblats de Kharkiv et de la rive Ouest du Dniepr à Kherson.  En effet, les russes ne pouvaient conserver ces territoires avec des effectifs aussi limités sans s’exposer à des contre-attaques victorieuses de la part de Kiev.

    3. Même si les pertes ukrainiennes[ii] sont égales et probablement supérieures à celles avouées par les autorités de 100 000 hommes soit 10 000 hommes en moyenne par mois de guerre, il est exagéré d’en attribuer autant aux forces russes. En effet l’Ukraine a mobilisé environ un million d’hommes et en a envoyé au front 500 000 ce qui constitue un taux de pertes très élevé de 20%, inconnu depuis la seconde guerre mondiale (par comparaison dans ses OPEX, la quatrième génération du feu, la France a perdu depuis 1969 en moyenne un homme par mois et 350 par mois durant la guerre d’Algérie 1954-1962).

    En outre, 100 000 russes hors de combat signifierait que le taux de perte des forces russes serait de l’ordre de 75% des effectifs engagés en prenant en compte les forces du Donbass et les milices Wagner (50 000 h) ce qui est évidemment irréaliste. En appliquant le même taux qu’a subi l’Ukraine, les pertes des forces engagées du côté russe sont probablement plus proches de 30-40 000 hommes.  Cette évaluation est corrélée par le nombre de prisonniers de part et d’autre.  Les russes affirment détenir plus de 6000 ukrainiens et miliciens, chiffres corroborés par les ONG qui ont été autorisées à les rencontrer alors que Kiev garde un silence total sur le nombre de prisonniers russes. Un indice toutefois, le seul échange de prisonniers médiatisé a porté le 22 septembre sur 215 prisonniers ukrainiens et étrangers contre 55 prisonniers russes. On retrouve ce rapport de 1 à 4 qui reflète probablement mieux les pertes russes par rapport aux pertes ukrainiennes.

    4. Les Russes qui ont une population 4 fois plus importante que celle de l’Ukraine, disposent encore de réserves mobilisables même après le rappel de 300 000 réservistes alors que les ukrainiens ont atteint leurs limites.

    5. Le remplacement des matériels détruits et la maintenance opérationnelle est facilitée côté russe mais constitue un casse-tête pour l’Ukraine. En effet, la Russie possède la deuxième industrie d’armement exportatrice du monde derrière celle des Etats-Unis, loin devant la France troisième (deux fois et demie en valeur source SIPRI). Elle est donc capable de remplacer les matériels perdus et les munitions utilisées à l’identique ou par des matériels d’une génération plus récente (ex les 200 chars lourds T90M[iii]) tout en pouvant obtenir des munitions et des matériels de même type chez les pays amis équipés des mêmes armements.

    En revanche, depuis le 24 février, le soutien des pays occidentaux à l’Ukraine confronte ses forces à un double défi quantitatif et qualitatif.

    Le problème quantitatif vient de la consommation de munitions par l’Ukraine qui tire en une semaine la quantité d’obus et de missiles que les Etats-Unis produisent actuellement en un mois. Ces cadences de tir entrainent de plus une usure rapide des matériels : 50% des obusiers américains serait en maintenance ou hors service ; la précision des canons César français décroit avec leur usage intensif. A cela s’ajoute le fait que les pays de l’OTAN sont incapables de remplacer nombre pour nombre les matériels détruits au combat sans mettre à nu leurs forces car leurs industries d’armement ne sont pas capables d’augmenter rapidement leurs cadences…

    L’aspect qualitatif provient du fait que les pays anglo-saxons et européens ne peuvent remplacer les matériels détruits avec les mêmes matériels de fabrication soviétique des années 80 qui équipaient majoritairement l’armée ukrainienne au début du conflit ce qui entraine une hétérogénéité des matériels à soutenir. De plus les pays de l’OTAN envoient des matériels très différents qui accroissent à chaque envoi l’hétérogénéité du parc ukrainien de matériels ce qui impacte directement leur maintien en condition opérationnelle (MCO). En effet la maintenance des obusiers américains n’a rien de comparable avec celui de nos canons César ; de même celle des engins blindés à roue de transport de troupe VAB et les AMX-10RC canon qui sont actuellement remplacés dans nos régiments par les matériels du programme Scorpion, n’a rien de commun avec celle des blindés anglo-saxons ou allemands. Tout cela accumulé pose aux ukrainiens des problèmes de maintien en condition difficilement surmontables et plusieurs sources indiquent que le taux de disponibilité de leurs matériels est inférieur à 50%.

    6. Un nouvel élément qui vient d’être révélé par le Président du Nigéria : le détournement vers la contrebande d’armes d’une partie des équipements livrées par les occidentaux à l’Ukraine. Ce fait dramatique ne peut plus être occulté[iv] et soulève des questions éthiques et stratégiques auxquelles il n’est pas facile de remédier même si les Etats-Unis s’attachent à mettre en place pour 2033 des mécanismes pour le limiter[v] . Ce révélateur de la corruption endémique en Ukraine et les conséquences sur les ressortissants et les intérêts européens en Afrique est de nature à fragiliser le soutien que les populations et certains dirigeants européens apportent à cette guerre.

    7. Enfin, du fait du délai consenti pour l’application des sanctions et malgré le sabotage de Nord Stream 1 et 2 par les anglais le 26 septembre, les états européens ont importé de Russie les dix premiers mois de 2022 des produits énergétiques pour une valeur de 181 milliards d’euros, soit une augmentation en valeur de 38 % par rapport à l’année précédente[vi] et, malgré cela, les prix de l’énergie flambent en Europe. Les leaders européens prennent conscience qu’ils ne pourront se passer du gaz russe sans accepter un accroissement considérable du prix de l’énergie avec les conséquences en termes économiques et sociaux qui fragilisent leur pouvoir et mettent à mal la cohésion de l’Union Européenne.

    Les scénarios pour demain

    Il est aujourd’hui évident que la Russie reprendra l’offensive début 2023 avec des forces deux à trois fois plus importantes que celles engagées le 24 février 2022. La question que tous les analystes se posent est avec quel but de guerre et quelles chances de réussite ? Les enseignements tirés des 10 premiers mois de guerre permettent d’écarter le scénario d’une défaite russe que souhaite la majorité des commentateurs peu avertis de la chose militaire et qui trop souvent prennent leurs désirs pour la réalité.

    Le scénario coréen.

    Pour les consultants qui défilent sur les plateaux TV, ce conflit ne peut se terminer que par la victoire de l’Ukraine ou par une solution diplomatique qui lui permettrait de recouvrer tout le territoire perdu y compris la Crimée.  Il apparait plus conforme au déroulement de cette guerre d’envisager une situation dans lequel le conflit continue sans victoire ni paix. C’est le scénario Coréen. Poutine a compris que la poursuite de la guerre va couter à la Russie de plus en plus cher en hommes et à son économie car les occidentaux sont en mesure d’accélérer la fabrication d’armes et de munitions et la division des Républicains américains sur le soutien à l’Ukraine laisse le champ libre aux démocrates pour accroitre leur soutien à Zelenski. La diplomatie russe ayant obtenu l’assurance de plusieurs pays européens qu’ils s’opposeront à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN, Poutine considère que le risque de voir Odessa devenir une base OTAN et la flotte américaine en mer Noire est limité au moins pour les cinq années à venir. Cette assurance est basée sur la prise de conscience d’une partie des leaders européens et de la majorité de la population que ce sont leurs pays qui auront à supporter les conséquences économiques et sociales du prolongement de cette guerre et le soutien à l’Ukraine « quoi qu’il en coûte » est largement remis en cause. En conséquence Poutine limite ses buts de guerre et utilise ses nouvelles forces pour terminer la conquête des 4 oblats de Louhansk, Donetsk, Zaporijjia et Kherson et place ses unités en défensive à leurs frontières. Les Ukrainiens usent leurs forces, déjà fortement éprouvées, en lançant des offensives sur ces défenses qui sont hachées par l’artillerie russe. Et petit à petit fin 2023 s’installe une situation de « non-guerre armée » de part et d’autre d’une « nouvelle frontière » qui n’est pas reconnue par l’Ukraine et par les occidentaux…et on se retrouve dans la situation Coréenne qui perdure depuis 74 ans.

    Le scénario : un pont trop loin

    Avec ses nouvelles forces et pour ne pas laisser le temps aux occidentaux d’ajouter à la guerre économique qu’ils mènent à la Russie, la mise sur pied d’une « économie de guerre » dans leurs pays (accroissement de plusieurs points du PIB des dépenses d’armement, passage aux 3 X 8 dans les industries de défense), Poutine décide de terminer la conquête des 4 oblasts qu’il a annexés juridiquement et de lancer simultanément une offensive pour s’emparer d’Odessa et rejoindre la province autonome de Transnistrie en annexant les oblasts de Mikolaïv et d’Odessa. Cette relance de l’agression russe resoude le camp occidental et il devient évident même chez les leaders politiques favorables à la Russie que Poutine a perdu la tête et qu’il faut donner un coup d’arrêt à la Russie car, après avoir conquis Odessa, rien ne dit qu’il ne foncera pas à nouveau sur Kiev. Les pays européens accroissent leur cobelligérance et une véritable légion étrangère composée de volontaires des pays européens et équipée des derniers matériels les plus performants rejoint l’Ukraine qui reçoit massivement les équipements de défense anti-aérienne pour rendre l’utilisation de l’espace aérien très couteux par la Russie. Des contre-attaques vigoureuses nord-sud mettent à mal les lignes de ravitaillement terrestres russes vers Odessa tandis que des sous-marins occidentaux pénètrent en mer Noire et coulent les navires de ravitaillement russe. La fin de l’année 2024 marque l’échec de cette offensive et la Russie est contrainte de se replier à l’Est du Dniepr.

    Scénario 3 : la nucléarisation du conflit

    Poutine a perdu espoir d’atteindre ses objectifs minima par des moyens classiques : conquérir et défendre les 4 oblasts annexés et obtenir une neutralisation de l’Ukraine qui éviterait de voir Odessa devenir une base OTAN. En effet les livraisons d’armes des pays anglo-saxons, la formation des soldats ukrainiens et l’engagement de plus en plus nombreux de combattants venus d’Occident bloque l’avancée de ses troupes dans le Donetsk. Les pays occidentaux multiplient l’envoi de nouveaux systèmes de défense aérienne en Ukraine, atténuant l’impact des frappes stratégiques de la Russie, ainsi que de son aviation d’appui au sol. Les Etats-Unis autorisent l’Ukraine à déplacer ses lance-roquettes M142 HIMARS vers le sud et à cibler les ports, les bases et les dépôts russes en Crimée. La flotte russe subit des attaques en mer Noire et plusieurs de ses bâtiments sont coulés. Le pont de Crimée est à nouveau endommagé grandement. M. Poutine considère alors que les intérêts vitaux de la Russie sont en jeu. Il déploie ses armements nucléaires non stratégiques et fait exploser une arme nucléaire en altitude au-dessus de l’Ile aux serpents en signe d’ultime avertissement. Il lance aux occidentaux un ultimatum : arrêtez et revenez à la table de négociations ou vous aurez à faire face à l’utilisation d’armes nucléaires non stratégiques sur le théâtre des opérations. Il est évident que ce scénario peut constituer la suite du scénario deux.

    En conclusion

    Les décisions de Washington dans son soutien à Zelenski et la perception par les leaders européens des risques que l’Europe encourt en poussant Poutine dans ses retranchements et leur décision de découpler ou non leur action en Ukraine de celle des anglo-saxons déterminera la désescalade de cette guerre en 2023 ou sa montée aux extrêmes. La position des leaders européens est d’autant plus essentielle que, dans cette guerre, les européens, l’Ukraine et la Russie apparaissent être les « dindons de la farce anglo-saxonne » qui veut affaiblir la Russie avec le sang des Ukrainiens et, en restaurant une guerre plus chaude que froide, interdire toute alliance économique entre l’Europe et la Russie pour éviter qu’elle devienne la première puissance économique mondiale du XXIème siècle. Cette guerre fait reculer le monde multipolaire que nous appelons de nos vœux et nous ramène dans la deuxième moitié du XXème siècle dans un monde dominé par un duopole  USA-URSS remplacé désormais par USA-Chine, alliée de la Russie.  En rejetant ainsi la Russie dans les bras de Pékin, nous nous dirigeons comme des somnambules vers cet affrontement de l’Heartland contre le Rimland, annoncé par les géo-politologues Halford Mackinder (1861-1947) et Nicholas Spikman (1893-1943) d’autant que la prolongation de ce conflit accroit les risques de sa nucléarisation ce qui serait dramatique pour l’Europe alors que  les vraies menaces pour l’avenir de nos sociétés sont le dérèglement climatique, l’immigration massive et l’islam radical.

    Jean-Bernard Pinatel (Geopragma, 15 janvier 2023)

     

    Notes

    [i] https://www.foreignaffairs.com/ukraine/russia-rebound-moscow-recovered-military-setbacks?utm_medium=newsletters&utm_source=fatoday&utm_campaign=The%20New%20Industrial%20Age&utm_content=20230104&utm_term=FA%20Today%20-%20112017

    [ii] On entend par perte, les tués, les blessés graves qui ne reprendront pas le combat et les prisonniers

    [iii] https://www.lefigaro.fr/international/guerre-en-ukraine-la-russie-envoie-200-de-ses-chars-les-plus-modernes-des-t-90m-dans-le-donbass-20221208

    [iv] Muhammadu Buhari, président du Nigéria – la première puissance économique africaine en termes de PIB nominal et la deuxième en termes de PIB à parité du pouvoir d’achat – a déclaré récemment que des armes en provenance du conflit ukrainien se déversent à flot continu dans la région du bassin du lac Tchad.

    Le chef d’Etat nigérian a lancé cet appel dans son discours d’ouverture du 16ème Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT), qui s’est déroulé dans la ville d’Abuja, la capitale du Nigéria. « Ce mouvement illégal d’armes dans la région a intensifié la prolifération des armes légères et de petit calibre qui continue de menacer notre paix et notre sécurité collectives dans la région », a ajouté Muhammadu Buhari dans son discours. Au point que même certains représentants de régimes occidentaux avaient fini récemment par admettre timidement cette réalité.

    [v] https://www.jmu.edu/news/cisr/2022/10/28-wra.shtml

    [vi] Eurostat

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  • Démographie, immigration, grand Remplacement, … Rendez-vous en 2100 !

    Nous reproduisons ci-dessous un texte  cueilli sur le site de Dextra consacré à la question démographique...

     

    Enfants européens.jpg

    Démographie, immigration, grand Remplacement,… Rendez-vous en 2100 !

    Le 15 novembre dernier naissait le 8 milliardième être humain. Pour rappel, nous étions 1 milliard en 1800, 2 milliards en 1927, 3 milliards en 1960, 4 milliards en 1974, 5 milliards en 1987, 6 milliards en 1999 et 7 milliards en 2011. Tout semble indiquer que nous courons vers la surpopulation ! Et pourtant, dans la dernière édition de World Prospect de juillet 2022, les Nations Unies ont estimé, avec une probabilité de 95%, qu’en 2100 la population mondiale ne se situerait qu’entre 8,9 et 12,4 milliards.

    Le taux de croissance démographique mondiale a atteint son sommet en 1965 (2%), il a diminué de moitié depuis et pourrait même devenir négatif dès 2100. A partir de cette date la population mondiale commencerait à baisser.

    Que se passe-t-il ? Il se passe que toutes les peuplades de la Terre sont en train d’opérer leur transition démographique : la limitation volontaire des naissances. Toutes ? Oui toutes ! Déjà plus des deux tiers de l’humanité vivent aujourd’hui dans un pays où le taux de fécondité est inférieur au seuil de renouvellement (2,1 enfants par femme).

    La première surprise est venue de l’Amérique Latine, de l’Asie, du Moyen-Orient et du Maghreb où le taux de fécondité a baissé bien plus vite que prévu (à l’exception d’un épisodique rebond dans les pays ayant participé au « Printemps arabe »).

    L’autre surprise est venue de l’Afrique intertropicale où la baisse de fécondité est réelle mais plus lente que prévue. Ce retard s’explique par un taux d’urbanisation de la population plus faible qu’ailleurs dans le monde et un moindre accès aux moyens techniques de contraception. Mais même au fin fond de la brousse les mentalités sont en train de changer.

    Cette chute brutale de la fécondité des pays du Sud est accélérée par les moyens techniques de notre époque, et le mode de vie qui va avec, et est donc beaucoup plus rapide, même en Afrique intertropicale, que celle observée en Europe et en Amérique du Nord au XIXème et XXème siècle.

    Les projections démographiques sont toujours incertaines car elles ne peuvent anticiper les imprévus de l’Histoire : la Peste Noire, l’extermination des indiens d’Amérique, les deux Guerres Mondiales, le baby-boom, la politique de l’enfant unique en Chine, l’effondrement de l’URSS, la politique nataliste de la Hongrie, les catastrophes naturelles, la production massive d’enfants par utérus artificiel, … La seule affirmation qu’il soit possible de faire est que, si aucun imprévu ne vient perturber significativement la dynamique en cours, les dés sont jetés et nous savons à quoi ressemblera la population mondiale en 2100 :

    Ainsi, jusqu’en 2100, la population mondiale va continuer d’augmenter à cause de l’inertie démographique : beaucoup d’adultes en âge d’avoir des enfants sont nés lorsque la fécondité était encore forte, ce qui entraîne un nombre élevé de naissances. Parallèlement, les personnes âgées ou très âgées sont peu nombreuses à l’échelle mondiale et le nombre de décès est faible. La démographie mondiale est comme une bicyclette ayant bénéficié d’un formidable élan et qui, bien que pédalant de moins en moins vite, accélère encore pour quelques temps grâce à son impulsion initiale avant de finalement ralentir.

    A cette époque, l’Océanie comptera 0,7% de la population mondiale, l’Amérique du Nord 4%, l’Europe un peu plus de 5%, l’Amérique du Sud 6%, l’Afrique 38% et l’Asie 46%.

    L’ensemble des peuples du monde devrait avoir un taux de fécondité convergent à 1,85 enfant par femme en moyenne. De sorte que, personne n’ayant plus de surplus démographique, nous pouvons imaginer que les phénomènes migratoires (hors catastrophes naturelles, climatiques, guerres, …) devraient être fortement réduit, voir inexistant.

    De même, les phénomènes de remplacement et d’hybridation de certaines populations (notamment les européens vivant dans des pays multi-ethniques) pourraient se figer à un certain stade et ne plus progresser, ou à la marge.

    Les communautés maintenant un fort taux de natalité, pour des raisons culturelles et/ou religieuses, pourraient, et ce très rapidement, devenir surreprésentées dans les pays où elles se trouvent. Des exemples actuels existent déjà avec les juifs orthodoxes en Israël ou les amish dans certaines régions des Etats-Unis et d’Amérique Latine.

    L’inquiétude principale réside dans le vieillissement extrêmement rapide des pays du Sud où la transition démographique est beaucoup plus resserrée dans le temps. En France, la fécondité a mis 150 ans pour passer de 5 à 2,5 enfants par femme. Le même phénomène a pris 18 ans en Chine et a eu lieu dans les années 1972 à 1990, avec des moyens de contraceptions plus rudimentaires que ceux actuels.

    Beaucoup des pays du Sud ont vu leur solidarité traditionnelle se dissoudre dans le mode de vie moderne sans qu’un système de solidarité intergénérationnel ne viennent prendre le relais.

    La perspective de la fin de notre siècle peut nous paraître lointaine. Nous en sommes pourtant déjà au quart et les enfants naissants actuellement ont toutes les chances de la voir. 2100, c’est demain.

    Il y aurait énormément de conclusions politiques à tirer de ces perspectives. Nous n’en retiendrons qu’une seule : les pays qui souhaitent conserver leur identité ont raison de se « préserver » même si ce choix politique présente un désavantage concurrentiel momentané (Japon, Europe de l’Est, …) car à long terme les pays aux politiques immigrationnistes (Europe de l’Ouest, Etats-Unis, …) n’auront plus les avantages d’une main d’œuvre bon marché mais n’auront plus que les désavantages d’une société multi-ethniques.

    Et pour les communautés souhaitant conserver leur identité et qui sont piégées dans ces pays multi-ethniques, la conclusion est la même : faire preuve de patience et maintenir une fécondité plus forte que les autres. Les dynamiques qui nous défavorisent actuellement ne dureront pas toujours.

    Dextra (Dextra, 3 janvier 2023)

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  • Quel avenir aux empires ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre de Lauzun cueilli sur Geopragma et consacré à la question des empires. Membre fondateur de Geopragma, Pierre de Lauzun a fait carrière dans la banque et la finance.

     

    Empire.jpg

    Quel avenir aux empires ?

    Nous sommes tellement convaincus que la démocratie à l’occidentale est l’étape finale de l’histoire que nous n’envisageons pas un instant que celle-ci puisse aller dans un autre sens. Cela résulte du fait que la démocratie étant sacralisée dans nos sociétés comme le bien par excellence, on ne voit d’alternative que dans ce qui parait être le mal absolu, et qu’on croit être l’opposé exact de la démocratie, le totalitarisme. Mais il y a d’autres configurations possibles, comme l’histoire l’a montré. Et notamment les empires. L’actualité met en outre les projecteurs sur la coupure en cours entre les démocraties occidentales et ce qu’on perçoit comme une alternative russo-chinoise, vue comme autoritaire, agressive et, précisément, impériale.

    On parle donc beaucoup d’empires. Mais avec beaucoup d’imprécision. Il y en a eu des formes variées dans l’histoire, mais le terme n’a son sens plein que pour désigner un pouvoir autoritaire, direct, sur un territoire vaste et relativement hétérogène, dépassant l’horizon d’une nation. C’est le sens qui sera retenu ici. Au sens strict il n’y a en plus vraiment aujourd’hui, tout au plus partiellement : le langage courant parle d’empire américain, pour ce qu’il est plus précis d’appeler une hégémonie.

    Est-ce à dire qu’il n’y en aura plus à l’avenir ? Non, et le contraire est même probable. Nous sommes en effet dans une période de transition : nos systèmes donnent bien des signes de faiblesse, les brassages de peuples s’intensifient notamment dans les pays avancés, de nouvelles puissances montent, et la guerre réapparaît là où on ne l’attendait plus. L’histoire va donc se remettre en mouvement. Or dans une période troublée et évolutive, la formule impériale a toutes ses chances. Ce qui ne veut pas dire que cela soit souhaitable…

    Qu’est-ce qu’un empire ?

    Le terme d’empire défini comme ci-dessus s’oppose à celui de nation. Ce qui caractérise sauf rares exceptions une nation est son homogénéité ethnoculturelle. L’empire, lui, est plurinational, même si une ethnie ou nation y domine. La problématique de l’empire se définit dès lors largement par rapport à la question nationale. Un des aspects de cette opposition est la question de la démocratie. Comme je l’ai montré ailleurs (Les Nations et leur destin), le système démocratique exige normalement de s’appliquer à une nation, homogène, ayant la même langue et la même culture. Une nation peut être démocratique (au sens large) ou pas, un empire normalement pas.

    Un empire est en général le fruit d’une conquête militaire, et le rapport de forces en reste une dimension essentielle. Certains sont plus ou moins éphémères, et sans trace historique ultérieure. Car ils durent en général moins que les nations au sens large, parce que plus complexes, et faute du support objectif que ces dernières trouvent dans le fait national. Mais on a des cas d’empires qui ont duré longtemps et joué un rôle significatif, ainsi Rome, ou la Chine impériale. Toutes deux se sont avérées capables d’offrir une possibilité réelle d’assimilation aux populations conquises et d’abord à leurs dirigeants. Par-là de tels empires ont adopté certains des traits d’une nation, et notamment une certaine unité linguistique. Et ils ont duré plus longtemps.

    L’expérience de l’Europe est tout à fait différente. L’histoire européenne n’a pas fourni de cas d’unification impériale et s’est même caractérisée par son éloignement de ce modèle, qui imprégnait pourtant les esprits encore au Moyen Âge. Cette grande fragmentation politique sur une base largement nationale est spécifique à l’Europe. Quant aux empires coloniaux européens à partir du XIXe, ils étaient clairement distingués de leurs métropoles. Celles-ci étaient des démocraties au moins partielles, nationales, et leurs empires non. Ils ont joué un rôle décisif pour modeler la planète telle que nous la connaissons. Mais fondés qu’ils étaient sur des principes contradictoires et sur un rapport de force transitoire, sans véritable assimilation, ils ont très peu duré.

    Empires et nations : forces et faiblesses

    On l’a dit, l’empire est une entité vaste, complexe, réunissant des parties hétérogènes. L’État-nation, lui, raisonne sur un seul peuple, un seul territoire, une seule communauté politique. La nation tend à homogénéiser et exclure ce qui n’entre pas dans son schéma, l’empire lui traite différemment les différents peuples. Il accepte la différence comme telle, moyennant soumission ; l’État-nation cherche à la dépasser. Cette hétérogénéité possible permet à un empire de gouverner, du moins un temps, des ensembles plus vastes et diversifiés, ce que la base nationale exclut. Les empires sont d’ailleurs souvent pragmatiques et flexibles, tant que leur pouvoir n’est pas remis en cause.

    L’existence de sous-communautés est relativement compatible avec les systèmes autoritaires et donc les empires. Mais c’est contradictoire avec une démocratie. Celle-ci suppose en effet que les élections se fassent sur la base d’un vote sur des options diverses, au sein d’une population suffisamment cohérente et homogène pour que la minorité accepte la loi de la majorité comme représentative d’un peuple auquel tous s’identifient. Si ce n’est pas le cas, la démocratie sera remise en cause et, au-delà d’elle, la vie commune et la solidarité qu’elle comporte.

    D’où une conséquence importante : l’empire (ou un autre système autoritaire) peut donner une réponse à la désagrégation de systèmes politiques, notamment démocratiques, si leur hétérogénéité notamment culturelle ou ethnique devient ingérable. Ce qui nous conduit à une interrogation importante pour notre époque. Au vu de l’hétérogénéité et des fragilités croissantes de nos constructions politiques, l’idée vient à l’esprit que les chances des empires à l’avenir sont loin d’être nulles, malgré leur limites.

    Des exemples d’empires dès aujourd’hui ?

    Où en est-on aujourd’hui ? Si nous n’avons actuellement plus d’empire au sens retenu ici, certaines situations méritent attention.

    Il y a d’abord actuellement plusieurs exemples intermédiaires, de pays pluriethniques ou plurinationaux, mais où l’une de ces nations ou ethnies est nettement majoritaire et structure l’État. Des exemples évidents en sont l’Iran, la Turquie, certains pays d’Amérique latine Ces minorités fortes subsistent, mais elles sont en position d’infériorité nette ; et donc cela peut durer.

    Le cas russe est à mettre à part. Il y a toujours eu dans l’empire russe comme en URSS une majorité russe, mais les minorités y étaient importantes. A l’époque, le pouvoir avait su se maintenir par un mélange d’autoritarisme et d’intégration habile d’élites locales, qui trouvaient une place dans le système impérial. Cet empire s’est désagrégé. Reste aujourd’hui une situation confuse. Il y a en Russie même des minorités appréciables, notamment musulmanes. En cela, elle se rangerait plutôt dans la série précédente. Mais le cas russe en diffère à deux titres, le premier étant la présence de minorités russes à l’extérieur, question sensible et reliée au passé impérial. Le deuxième est que la Russie ne considère pas ce qui relevait de l’empire russe ou de l’URSS comme complètement extérieur. D’une certaine façon, sa conception de soi et ses frontières ne sont pas clarifiées. D’où la question d’une permanence impériale dans la problématique russe.

    La Chine présente des traits analogues, avec ses minorités tibétaines, ouïgoures etc., mais en moins marqué : la prépondérance de l’ethnie chinoise y est massive ; en outre son territoire correspond très largement à celui de l’ancien empire et elle a peu de revendications historiques à faire valoir.

    A terme, la réémergence d’empires ?

    Un empire à l’ancienne suppose la conquête militaire par un pays de ses voisins. A première vue, il paraît ne pas y avoir de base pour cela dans le monde que nous connaissons aujourd’hui. En outre le maintien de l’hégémonie américaine dans des zones majeures de la planète rend l’exercice difficile.

    Il y a une exception possible, on l’a vu : la Russie. Mais en regardant de près, la réponse ne paraît pas non plus assurée. On note d’abord dans ce pays une hésitation entre le modèle impérial et un modèle national russe : l’invasion de l’Ukraine est-elle motivée par la remise en cause de sa réalité comme État, au profit d’une vision impériale ; ou n’assiste-t-on pas, de façon pas nécessairement consciente côté russe, à une affirmation ethnico-nationale proprement russe ? En tout cas l’agression a eu pour effet de souder un sentiment national ukrainien jusqu’ici flou, appelé à durer au moins dans la partie centre et ouest. De ce point de vue, l’invasion aura probablement ce résultat a priori paradoxal d’y faire basculer la problématique dans un sens national homogène, comme l’ont fait les nettoyages ethniques post-yougoslaves. S’agissant des autres minorités russes ou russophones de la périphérie immédiate, on pourrait imaginer une agression russe dans les pays baltes (mais la Russie se heurterait ici directement à l’Otan), ou au Kazakhstan. Mais là encore cela ne déboucherait pas sur un empire, et par certains côtés au contraire : on s’éloignerait de ce modèle pour se rapprocher d’une logique purement nationale (agressive en l’occurrence). Tout autre est la question des éventuelles ambitions russes au-delà de ce périmètre russophone, notamment dans sa zone de domination anciennement soviétique (Caucase, Asie centrale, etc.). Mais en supposant que la Russie en ait l’intention, elle ne paraît en état d’aller bien loin, au vu des limites de l’armée russe apparues en Ukraine, sans parler de celles de l’économie et de la démographie ; et elle se heurterait assez vite à d’autres puissances (Otan, et même Chine). Et ce serait a fortiori le cas au-delà de ces zones. Dès lors, la perspective véritablement impériale apparaît dans les années qui viennent plutôt limitée pour ce pays, au-delà d’une forme d’hégémonie sur une partie de l’ancienne URSS.

    La perspective impériale est en revanche bien plus plausible à terme plus ou moins éloigné dans le monde arabo-musulman, surtout avec le recul de l’hégémonie américaine. Ainsi dans le monde arabe où les États restent assez artificiels, et souvent sans base nationale propre suffisante. Par ailleurs, Turquie et Iran, en partie hétérogènes, ont été de vrais empires et s’en souviennent. La Turquie notamment, avec sa nostalgie ottomane soigneusement entretenue par R. Erdogan et la constitution progressive d’un rôle international qui pourrait assez vite tourner à l’empire. Mais un Iran dépassant l’impasse actuelle pourrait aussi entrer dans ce schéma.

    De même, la possibilité d’empires est tout à fait concevable à terme en Asie, notamment avec l’impressionnante émergence de puissances comme la Chine ou l’Inde. Certes, cela ne paraît pas être leur priorité dans l’immédiat, car elles sont pour l’essentiel axées sur leur montée en puissance, même si elles ne dédaignent pas d’exercer une forme d’hégémonie. Mais la situation pourrait évoluer à terme plus long. Et leur surpuissance par rapport aux pays voisins sera alors considérable.

    Une forme nouvelle d’empire : l’Europe ?

    Il est intéressant d’élargir le débat au-delà des empires classiques, construits sur une base guerrière. A notre époque on peut en effet envisager des processus différents d’évolution vers des formes politiques de type impérial. A terme plus ou moins long, dans un contexte instable où la confiance deviendrait très difficile, des formules robustes comme celle-là peuvent alors avoir leurs chances. La remarque vaut bien sûr d’abord pour les empires éventuels qu’on vient d’évoquer, des hégémonies pouvant devenir tellement prégnantes qu’elles ressemblent à des empires ; on pense alors naturellement d’abord à la Chine.

    Mais la question mérite d’être posée dans le cas de l’Europe. En fait, élément militaire mis à part, l’Union européenne ressemble quelque peu à un empire : ce n’est pas une nation mais elle est composée de nations variées ; elle constitue un pouvoir supranational en surplomb, qui se fonde certes en principe sur les démocraties nationales, mais tend à considérer le niveau national comme subalterne, historiquement dépassé, à réguler par en-haut. Ce pouvoir n’est pas élu directement comme un pouvoir politique national ; le ‘parlement’ est élu sur la base d’élections qui se font en fait sur des listes nationales ; l’exécutif n’est pas élu. Le pouvoir politique européen n’est donc pas véritablement responsable devant des électeurs. Ce pouvoir reste toutefois limité à certains domaines, même s’ils sont de plus en plus vastes ; on reste donc dans une situation intermédiaire.

    Comment peut-il évoluer ? Il ne peut pas se construire politiquement comme une démocratie nationale : il n’y a pas de peuple européen, ni de vie politique européenne. Il pourrait évidemment se rebâtir sur un projet différent, fondé sur ses nations, mais il ne prend pas ce chemin. Il peut bien sûr continuer de stagner dans un entre-deux bâtard sous hégémonie américaine : c’est le plus probable.

    Mais, hors une dislocation possible, on peut imaginer un autre scénario, surtout en cas de crise grave. Dans un contexte de fragilisation des systèmes politiques et économiques nationaux, dont les bases d’identification nationale ont été érodées, ce à quoi s’ajoute l’hétérogénéité croissante des populations vivant en Europe, avec une immigration massive qui peut encore s’accélérer, on peut imaginer, lors d’une crise très grave, un transfert de pouvoir massif, plus ou moins consensuel des états membres à Bruxelles, qui deviendrait tête d’une sorte d’empire. Cela dit, cet empire resterait un peu bizarre, du fait que militairement il est a priori peu probable à ce stade qu’il se détache de l’Otan et donc de l’hégémonie américaine. C’est donc un scénario, mais pas la plus forte probabilité.

    Pierre de Lauzun (Geopragma, 8 janvier 2023)

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