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Points de vue - Page 43

  • Konrad Lorenz a trouvé le chaînon manquant : c’est vous !...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de José Javier Esparza cueilli sur le site de l'Institut Iliade et consacré au biologiste et naturaliste Konrad Lorenz.

    On rappellera qu'Yves Christen vient de publier Konrad Lorenz - Un biologiste au chevet de la civilisation (La Nouvelle Librairie, 2023).

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    Konrad Lorenz a trouvé le chaînon manquant: c’est vous !

    On m’a demandé mille fois quels auteurs il fallait lire pour se construire une vision du monde alternative à la décomposition contemporaine. Je manque de science et de savoir pour répondre à cette question, mais je peux citer les auteurs qui m’ont marqué et dire pourquoi. Parmi eux, aujourd’hui, il y a Konrad Lorenz.

    On disait de Konrad Lorenz qu’il avait appris à parler aux animaux. Certains ont de lui le souvenir d’une image : grand, longiligne, cheveux et barbe blancs, marchant dans la campagne suivi d’une cohorte de canards qui l’avaient adopté comme “mère”. Cet éminent biologiste, lauréat du prix Nobel de médecine en 1973, fut l’un des grands scientifiques du XXe siècle. Mais si Konrad Lorenz nous intéresse ici, ce n’est pas seulement pour ses recherches scientifiques, mais aussi parce que, dans le sillage de son travail de biologiste, il a développé une philosophie morale d’un immense intérêt, une anthropologie toujours d’actualité.

    La science du comportement

    Konrad Zacharie Lorenz naquit à Vienne, en Autriche, en 1903. Passionné de biologie, il étudia la médecine à New York et la zoologie à Vienne. Il eut très tôt l’intuition de ce qui allait être sa grande contribution à la science : dans quelle mesure les processus biologiques humains peuvent-ils être comparés à ceux d’autres animaux ? La science étudiait l’anatomie des animaux et la science des humains ; elle arrivait à des conclusions intéressantes, notamment dans le domaine de l’évolution. Mais au-delà de cela, qu’y a-t-il de commun non seulement dans l’anatomie, mais aussi dans le comportement des différents animaux ? Par quels schémas suivent-ils, et en quoi ressemblent-ils au comportement humain ? Ce sont des questions dont les réponses se trouvent non seulement en biologie, mais aussi en psychologie.

    Dès le début de ses études, Konrad Lorenz se documente sur le sujet et, lisant les psychologues, il découvre avec consternation qu’aucun d’eux n’a la moindre idée de la manière dont se comportent les animaux. Tout ce qu’il avait découvert dans ses observations du monde animal se heurtait à leurs explications. Il en a tiré deux conclusions. La première : cette branche de la science, l’étude comparative du comportement animal, l’éthologie, est encore inexplorée. La seconde : il en serait le pionnier. Et il n’a alors que 24 ans.

    Professeur à l’université allemande de Königsberg (aujourd’hui Kaliningrad, dans la Baltique russe), Lorenz a eu la chance de pouvoir enseigner la psychologie sous un angle biologique. Appliquer la théorie de la connaissance de Kant à la biologie darwinienne : tout un programme ! Konrad Lorenz n’était pas un darwiniste au sens où cette expression est utilisée aujourd’hui, qui désigne une théorie philosophique plutôt qu’un modèle scientifique, mais il était darwinien sur le plan méthodologique : il croyait que la nature se déroule dans un mouvement évolutif sur la base de la sélection naturelle. Lorenz n’aimait pas utiliser le concept d'”évolution”, trop chargé d’implications idéologiques, et préférait utiliser le terme technique de “phylogenèse”, qui désigne des processus évolutifs sans connotation de progrès moral.

    La guerre interrompt ses recherches. En 1941, il est incorporé dans l’armée allemande en tant que médecin de campagne. Sa mission : traiter les patients du service de neurologie et de psychiatrie de l’hôpital de Posen. Il n’avait jamais pratiqué la médecine auparavant, mais cette expérience lui a permis d’accumuler d’importantes connaissances sur les névroses et les psychoses. L’année suivante, un événement terrible lui arrive : envoyé comme médecin au front, il est fait prisonnier par les Russes. Les Russes le font travailler dans les hôpitaux de guerre, également dans le domaine des maladies nerveuses. Il apprend aux Russes ce qu’est le polynévrite – une maladie que la médecine soviétique ne connaît pas – et c’est là, dans le camp, qu’il écrit son premier livre. Plusieurs années de captivité l’attendent encore. Il ne peut rentrer en Autriche qu’en février 1948.

    De retour dans son pays, Lorenz parvient à obtenir de l’Académie autrichienne des sciences le financement d’une petite station de recherche à Altenberg. Dans des conditions extrêmement difficiles – la dure période de l’après-guerre – il commence à mener ses travaux. Il se fait rapidement connaître des scientifiques qui, ailleurs, étudient le même domaine : le comportement animal. Quelle est la discussion de l’époque ? Celle-ci : le comportement animal est-il inné ou acquis, vient-il avec les gènes ou est-il le résultat d’un apprentissage ? Lorenz, au début, pensait que c’était inné. Mais après d’innombrables discussions, il a trouvé la clé : l’inné et l’acquis ne doivent pas être considérés comme deux concepts opposés et contradictoires. Au cours de la phylogenèse – l’évolution – l’apprentissage produit des comportements adaptatifs qui sont basés sur des qualités innées. Les animaux peuvent donc apprendre, mais ce qu’ils peuvent apprendre est programmé dans leurs gènes.

    Et les humains ?

    La théorie est nouvelle et fait de Lorenz une célébrité. En 1961, il publie The Evolution and Modification of Behaviour, son premier ouvrage majeur.

    Ses recherches le mènent au prix Nobel – partagé avec deux autres éthologues – en 1973. Mais entre-temps, quelque chose s’est agité en lui. Lorenz est un zoologiste ; il s’intéresse naturellement beaucoup plus aux canards qu’aux humains… Mais qu’en est-il des humains ? Pourquoi se comportent-ils comme s’ils avaient obstinément contredit leur nature, leur survie en tant qu’espèce ? Est-il possible de comparer les comportements des animaux à ceux des humains ?

    Oui, c’était possible. Et c’était possible précisément en raison de ce qui différencie l’homme de l’animal. En effet, l’homme, en tant qu’être vivant, en tant qu’animal, est un être incomplet. Lorenz a découvert que la grande majorité des espèces sont régies par des schémas transmis génétiquement : ce que nous connaissons sous le nom d'”instinct” n’est rien d’autre que l’ensemble des ordres spécifiques, tracés au cours de l’évolution et imprimés sur le cerveau animal, qui permettent aux êtres d’apprendre pour survivre. Et l’homme ? L’homme a aussi cette capacité, et multipliée ; cependant, son monde instinctif est beaucoup plus désordonné : l'”instinct” – appelons-le ainsi – ne lui suffit pas pour savoir ce qu’il doit faire. Il lui faut quelque chose qui s’appelle la culture.

    Lorenz s’inscrit ainsi dans l'”anthropologie culturelle”, au sens que lui donne Arnold Gehlen : la culture n’est pas quelque chose qui s’oppose à la biologie, mais, chez l’homme, elle est une conséquence de notre propre nature. La nature humaine est donc conçue de telle sorte que son développement doit nécessairement conduire à la civilisation. Et la civilisation est, pour ainsi dire, un “organe” biologique pour nous : un outil indispensable à notre survie. La nature de l’homme est sa culture.

    Or, que se passe-t-il si l’homme entreprend de renverser le courant de la civilisation, si l’homme, au nom d’idéologies utopiques et rédemptrices, entreprend de renverser la nature, de modifier la condition humaine et de créer une culture complètement détachée de la nature de l’homme ? Dans ce cas, nous signerions notre arrêt de mort en tant qu’espèce ; nous entrerions dans une période de décadence humaine. Et c’est là le danger que Lorenz voyait poindre – déjà à son époque et encore plus aujourd’hui – pour notre civilisation.

    Notre nature est la culture

    Il ne s’agissait pas de l’intuition obscure d’un visionnaire. Au contraire ! La perception de Lorenz était ancrée dans des aspects très réels de notre vie collective, aspects qui n’ont d’ailleurs fait que s’intensifier au cours des trente dernières années. Prenons un exemple : le relativisme moral et la permissivité, qui tendent à faire croire que les inhibitions sociales ne sont que des tabous répressifs, des interdictions sans signification. Lorenz nous dit qu’il n’en est rien : précisément parce que la nature de l’homme est la culture, ces tabous et ces interdits, qui font partie du répertoire de la civilisation, sont indispensables à notre espèce ; sans eux, qui nous permettent de contrôler et de maîtriser nos pulsions biologiques, nous serions perdus.

    Notre scientifique s’est donc lancé dans une véritable croisade contre de nombreux clichés de la culture occidentale des années 70 et suivantes. Par exemple, l’agressivité. Notre société pacifiste a tendance à considérer toute agressivité comme un trouble, toute violence comme un mal, et prêche une condamnation sans appel de tout ce qui n’est pas un pacifisme strict. Mais Lorenz explique à l’inverse que l’agressivité est consubstantielle à tout être vivant, car elle fait partie du répertoire des instruments biologiques d’adaptation : un être vivant dépourvu d’agressivité serait condamné à succomber à l’environnement.

    Notre société espère mettre fin à l’agression en supprimant les “situations stimulantes” qui déclenchent les comportements agressifs ou en leur imposant un veto moral. Pour Lorens, c’est comme “essayer de réduire la pression dans une chaudière en fermant la soupape de sécurité”. En d’autres termes, assurer l’explosion. La réflexion est intéressante : on peut y penser en regardant le spectacle violent, n’importe quel week-end, de jeunes éduqués dans le pacifisme le plus strict. Que faire alors de l’agressivité pour qu’elle ne nous nuise pas, pour qu’elle ne se retourne pas contre la société elle-même ou ne devienne pas une pathologie ? Lorenz, fidèle à l’idée que notre nature est culture, se tourne vers les institutions sociales : l’agressivité naturelle doit être réorientée vers des formes d’activité qui permettent une “décharge cathartique”, de la compétition scientifique au sport, en passant par les institutions qui ont traditionnellement canalisé l’agressivité sociale, comme l’armée.

    Les pacifistes n’ont évidemment pas accueilli Lorenz. Pas plus que les autres papes de toutes les autres idéologies de l’époque – nous insistons : triomphantes aujourd’hui – car le savant autrichien s’était justement placé exactement aux antipodes de leurs thèses. C’est ce qui s’est passé avec son explication de l’égalitarisme. L’égalité – disait Lorenz – est complètement contre-nature. Il est juste de garantir à chacun le droit à l’égalité des chances, mais notre monde, dans un esprit de confusion pseudo-démocratique – ses mots – en est arrivé à la conviction que l’aptitude à utiliser ces chances est également la même pour tous, et que tout le monde peut atteindre le même point. Pour nier qu’il existe des différences innées entre les hommes, écrit-il, on a postulé qu’il est possible de le conditionner pour n’importe quoi. Dieu merci, ce n’est pas le cas ! Ce n’est pas le cas, en effet, car les hommes sont radicalement et naturellement inégaux. Et si un système éducatif, par exemple, s’obstine à les considérer tous comme égaux, il échouera nécessairement. Encore une bonne réflexion à la lumière de notre système éducatif actuel…

    Et si nous ne pouvons pas rendre l’homme différent de ce qu’il est, alors sommes-nous condamnés à ce qu’il n’y ait jamais aucun mouvement, aucun changement, aucun progrès ? Lorenz ne dit pas cela. Ce qu’il soutient, toujours en utilisant les outils de la biologie, c’est que tous les systèmes vivants ont besoin d’un équilibre entre les processus de changement et les processus de conservation. Dans toute réalité vivante, il existe, écrit-il, “deux mécanismes antagonistes : l’un tend à fixer ce qui est acquis, tandis que l’autre tente de supprimer progressivement ce qui est fixé afin de le remplacer par une réalité supérieure”. Si nous mettons de côté ce que nous avons conquis, le stable, le fixe, nous provoquons “la formation de monstres, tant dans le domaine de l’héritage générique que dans celui de la tradition culturelle”. Mais si nous nous fermons à tout changement, cela entraînerait “la perte du pouvoir d’adaptation, la mort de l’art et de la culture”. Conclusion : “Chaque génération doit recréer un nouvel équilibre entre le maintien de la tradition et la rupture avec le passé”.

    Une menace mortelle pour l’humanité

    Notre problème spécifiquement moderne est que cet équilibre entre changement et tradition est en train de s’effondrer. Il en résulte une dégradation sans précédent de nos vies. En 1973, Konrad Lorenz a publié une sorte de bréviaire de ses idées : Les huit péchés capitaux de la civilisation, qu’il prolonge deux ans plus tard avec Le reflet du miroir. L’humanité, nous dit Lorenz, est un « ensemble fonctionnel qui est complètement perdu à la recherche de son chemin ». Ce qui est menacé n’est pas notre avenir, notre bien-être, mais l’existence même de l’espèce humaine. Et quels sont ces “péchés capitaux” ? Premièrement : la surpopulation urbaine. Deuxièmement : la désolation de la nature. Troisièmement : l’obsession de la compétition avec soi-même. Quatrièmement : l’obsession de la recherche du plaisir à tout prix, qui nous a conduits à ne plus pouvoir trouver de satisfaction dans quoi que ce soit. Cinquièmement : la tendance à nier les causes biologiques ou génétiques des choses et à tout ramener à une question d’éducation ou d’influence sociale. Sixièmement : la rupture de la tradition, qui a conduit à une véritable guerre civile des générations. Septièmement : l’éducation endoctrinée, c’est-à-dire la survalorisation de l’opinion individuelle (le fameux “c’est ma vérité”) et la sous-valorisation des certitudes fondées sur la connaissance objective (“c’est la vérité”). Et huitièmement : les armes nucléaires, que Lorenz considère comme la cause d’une permanente “atmosphère de catastrophe globale”.

    Les huit péchés capitaux de la civilisation n’est pas le meilleur livre de Lorenz ni le plus complet, mais il a une très grande valeur informative. Il est surtout très utile de comprend comment l’auteur pense : à partir de ce qu’il a appris en tant que biologiste, Lorenz observe le monde humain et en tire ses conclusions. Est-il catastrophiste ? Non, il est critique. Konrad Lorenz croyait que l’homme a toujours une chance. Dans les dernières années de sa vie, il a signé un livre de dialogues avec le philosophe autrichien Karl Popper, publié en Grande-Bretagne : The Future is Open. Malgré ses précédents écrits, Lorenz y apparaît finalement bien plus optimiste que son interlocuteur.

    Quelle était la préoccupation de Lorenz ? La déshumanisation à laquelle se trouve confrontée l’humanité.  Son livre L’Homme en péril l’a clairement montré. « En détruisant les institutions et les dons anciens, écrit-il ailleurs, nous nous condamnons à une véritable régression (…) Si cette évolution se poursuit sans contrôle, si aucun mécanisme, aucune institution de préservation n’apparaît, le phénomène pourrait bien signifier la fin de la civilisation et, je le prends du moins très au sérieux, la régression de l’homme à un état pré-cromagnétique. »

    Konrad Lorenz est mort à Altenberg, où se trouvait sa première ferme, en 1989. Peu de temps avant, il écrit : « Nous sommes le chaînon manquant longtemps recherché entre l’animal et l’être véritablement humain ». Il s’était également déclaré croyant : il disait qu’il était croyant parce qu’il croyait en l’origine divine du plus grand miracle de tous, le premier à se produire, à savoir la Création.

    Pourquoi, en somme, Konrad Lorenz ? Parce qu’il nous a appris qu’il existe une nature humaine, que cette nature est directement liée aux institutions culturelles et sociales, à la tradition, et que si nous rompons avec tout cela, au nom d’une illusion plus ou moins idéologique, nous pouvons détruire non seulement la civilisation, mais aussi l’humanité elle-même. Nous sommes ce que nous sommes et nous avons nos règles : nous pouvons avancer au-delà elles, mais pas les nier. L’humanité ne s’invente pas au rythme des idéologies éclairées. Une bonne réflexion pour l’Europe d’aujourd’hui !

    José Javier Esparza (Institut Iliade, juin 2023)

     

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  • Après le Mali et le Burkina Faso… aujourd’hui le Niger… et demain le Tchad…

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bernard Lugan cueilli sur le site de L' Afrique réelle et consacré au nouvel échec que connait la France en Afrique, cette fois-ci au Niger.

    Historien et africaniste, Bernard Lugan a publié de nombreux ouvrages, dont Histoire de l'Afrique (Ellipses, 2009), Atlas historique de l'Afrique (Rocher, 2018), Esclavage, l'histoire à l'endroit (L'Afrique réelle, 2020) et dernièrement Pour répondre aux « décoloniaux », aux islamo-gauchistes et aux terroristes de la repentance (L'Afrique réelle, 2021).

    Il est également l'auteur de deux romans avec Arnaud de Lagrange, Le safari du Kaiser (La Table ronde, 1987) et Les volontaires du Roi (réédition : Balland, 2020) ainsi que d'un récit satirique, Le Banquet des Soudards (La Nouvelle Librairie, 2020).

     

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    Après le Mali et le Burkina Faso… aujourd’hui le Niger… et demain le Tchad…

    Les évènements du Niger étant la suite logique de la catastrophique politique africaine de la France - de Nicolas Sarkozy à Emmanuel Macron sans oublier naturellement François Hollande-, il faudra bien que ceux qui l’ont décidée rendent enfin des comptes. Comment est-il en effet possible qu’un conflit ethnique ayant éclaté en 2011 au nord-est du Mali et qui était à l’origine limité à une seule fraction touareg, ait pu, de fil en aiguille, se transformer en un embrasement régional échappant désormais à tout contrôle et dont la conséquence la plus visible est l’éviction de la France de la région sahélienne ?
     
    En raison de l’avalanche d’erreurs politiques et sociétales, et comme je n’ai cessé de l’annoncer depuis 2011, l’échec de la France au Sahel était hélas une certitude (voir à ce sujet mon livre Histoire du Sahel). Un échec politique un temps masqué par les réussites de nos Armées au prix du sacrifice de plusieurs dizaines des meilleurs enfants de France tombés à la place de déserteurs africains ayant préféré venir bénéficier en France des largesses de l’ « odieuse » ancienne puissance coloniale que de défendre leurs pays respectifs.
     
    Corsetés par leur idéologie, les responsables français ont voulu qu’en Afrique, le droit des Peuples s’efface devant les « droits de l’Homme », les chimères de la « bonne gouvernance » ou le surréaliste « vivre ensemble ». Sans parler des provocations LGBT et de ses variantes vues en Afrique comme autant d’abominations et qui ont achevé de faire perdre à la France l’estime et le respect des Africains.
    Privilégiant les analyses économiques et sociales, aveuglés par l’impératif de l’impossible « développement », les décideurs français ont refusé le réel, oubliant les sages recommandations faites en 1953 par le Gouverneur de l’AOF : « Moins d’élections et plus d’ethnographie, et tout le monde y trouvera son compte ». 
     
    Incultes historiquement, les « petits marquis » sortis de Sciences-Po ou de l’ENA qui prétendent parler de l’Afrique, n’ont pas vu qu’à la fin du XIX° siècle, la colonisation qui libérait les sudistes de la prédation nordiste, rassemblait en même temps dominés et dominants dans de communes limites administratives. Avec les indépendances, ces délimitations internes de l’ancienne AOF devenues frontières d'Etats, les lois de l’ethno-mathématique électorale y donnèrent automatiquement le pouvoir aux sudistes puisque leurs femmes avaient été plus fécondes que celles des nordistes. D’où, au Mali, au Niger et au Tchad, dès les années 1960-1965, les nordistes qui refusaient d’être soumis à leurs anciens tributaires sudistes se soulevèrent. La guerre qui a éclaté en 2011 - donc avant toute présence russe-, et qui se déroule sous nos yeux, en est la résurgence.
     
    Face à ce réel qu’ils ne comprenaient pas, ou qu’ils refusaient de voir, confondant causes et conséquences, les irresponsables qui définissent la politique africaine de la France ont naturellement fait une erreur de diagnostic. Ils ont ainsi parlé de danger islamiste alors que nous étions clairement en présence d’une plaie ethno-raciale millénaire surinfectée par l’islamisme contemporain.
    En conséquence de quoi, la stratégie française reposa sur « l’essentialisation » de la question religieuse, tout bandit armé, tout porteur d’arme et tout trafiquant étant péremptoirement qualifié de « jihadiste ». L’erreur était grande car, dans la plupart des cas, nous étions en présence de trafiquants se revendiquant du jihadisme afin de brouiller les pistes, et parce qu’il est plus valorisant de prétendre combattre pour la plus grande gloire du Prophète que pour des cartouches de cigarettes ou des cargaisons de cocaïne. D’où la jonction entre trafic et religion, le premier se faisant dans la bulle sécurisée par l’islamisme. 
    Face à l’engerbage de revendications ethniques, sociales, mafieuses et politiques, opportunément habillées du voile religieux, avec des degrés différents d’importance de chaque point selon les moments, la politique française fut donc à la fois figée et incohérente.

    Au Niger où plusieurs conflits se déroulent, tant à l’ouest qu’au sud-est, la situation fut encore compliquée par le fait que le président Mohamed Bazoum est Arabe. Il est en effet membre de la tribu libyenne des Ouled Slimane (Awlad Sulayman) qui a des diverticules au Tchad et dans le nord-est du Niger.
    Là encore, un minimum de connaissance historique aurait appris aux « danseurs à claquettes » qui prétendent définir la politique africaine de la France, que cette puissante tribu éclata en deux dans les années 1830 quand le pouvoir ottoman décida de reprendre effectivement le contrôle de la Régence de Tripoli. Or, les Ouled Slimane, tribu makhzen fidèle aux Karamanli renversés par les Turcs, entra en dissidence (voir à ce sujet mon livre Histoire la Libye).
    La Porte ottomane ayant eu la main lourde dans la répression du soulèvement, une partie de la tribu émigra au Tchad et au Niger où elle participa au grand mouvement de prédation nordiste à l’encontre des sédentaires sudistes, ce qui a laissé des traces dans la mémoire collective.
    Au Niger où les Ouled Slimane constituent moins de 0,5% de la population, et où ils sont considérés comme des étrangers, le fait que l’un des leurs parvienne à la Présidence était mal ressenti. Et, circonstance aggravante, les Ouled Slimane sont vus comme des amis de la France depuis qu’en 1940-1941, ils ont opportunément suivi la colonne Leclerc dans son opération de conquête du Fezzan italien, action ayant démarré au Tchad et au Niger. Ce fut d’ailleurs à cette occasion que certaines fractions des Ouled Slimane retournèrent en Libye où, depuis, elles se heurtent aux Toubou qui occupent leurs anciens territoires abandonnés après l’exode du XIX° siècle. 
     
    Alors qu’il eut fallu confier la politique africaine de la France à des hommes de terrain héritiers de la « méthode Lyautey » et de l’approche ethno-différentialiste des anciennes « Affaires indigènes », elle a, hélas, été gérée par les insignifiants et prétentieux butors qui portent la terrible responsabilité de l’échec français en Afrique. 
    Un échec qui n’est d’ailleurs pas totalement consommé puisqu’il reste encore le Tchad dont le tour viendra tôt ou tard… inexorablement… Et toujours pour les mêmes raisons…
     
    En plus de tout cela, au lieu de s’interroger sur leurs erreurs, ajoutant la naïveté à l’incompétence, les dirigeants français tentent maintenant de s’exonérer de leurs responsabilités en montrant la « main russe »…. Comme si, étant en guerre contre l’OTAN, la Russie allait laisser passer l’occasion qui lui était offerte de s’engouffrer dans l’abîme béant de la nullité française pour ouvrir un front africain sur les arrières de ceux qui la combattent sur le front européen… Le discours du président Poutine lors du dernier sommet russo-africain de Saint-Pétersbourg fut d’ailleurs très clair à ce sujet.
     
    La déficience des dirigeants français s’exprime jusque dans leur absence de réaction face au mensonge du prétendu « pillage » des ressources du Niger. L’on attendrait en effet des « chapons » qui parlent au nom de la France, une claire déclaration indiquant que cette dernière n’a pas d’intérêts dans ce pays désertique -le Mali ne l’est en revanche qu’en partie-, condamné à succomber sous sa suicidaire démographie polygamique. Un Niger dont, n’en déplaise à l’ineffable Sandrine Rousseau qui a osé affirmer que la France en dépendait pour son uranium, alors que le pays ne représente aujourd’hui, et au mieux, à peine 10% des besoins français… et qu’il est, et de beaucoup, plus facile et moins onéreux de se fournir ailleurs de par le monde.
    Sans parler des gisements français dont les écologistes ont fait interdire l’exploitation par la Loi…

    Bernard Lugan (L'Afrique réelle, 2 août 2023)

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  • L'archéofuturisme de Guillaume Faye : une solution à tous les problèmes ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une vidéo de Maudin Malin consacrée à L'archéofuturisme, l'essai de Guillaume Faye, récemment réédité par l'Institut Iliade.

     

                                                  

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  • L’ « assimilation », vieille utopie pour une France devenue « colonie de ses colonies »…

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bernard Lugan cueilli sur le site de L' Afrique réelle et consacré à la vieille lune de l'assimilation.

    Historien et africaniste, Bernard Lugan a publié de nombreux ouvrages, dont Histoire de l'Afrique (Ellipses, 2009), Atlas historique de l'Afrique (Rocher, 2018), Esclavage, l'histoire à l'endroit (L'Afrique réelle, 2020) et dernièrement Pour répondre aux « décoloniaux », aux islamo-gauchistes et aux terroristes de la repentance (L'Afrique réelle, 2021).

    Il est également l'auteur de deux romans avec Arnaud de Lagrange, Le safari du Kaiser (La Table ronde, 1987) et Les volontaires du Roi (réédition : Balland, 2020) ainsi que d'un récit satirique, Le Banquet des Soudards (La Nouvelle Librairie, 2020).

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    L’ «assimilation», vieille utopie pour une France devenue «colonie de ses colonies»…

    Trois semaines après les dévastations subies par la France, tétanisés devant un réel qu’ils niaient et qui a fini par leur  exploser au visage, les responsables politiques n’ont qu’un remède à proposer : l’« ASSIMILATION ». Vieil avatar de l’utopie universaliste, cette nuée ne permettra évidemment pas de transformer ceux qui « niquent la France » en Français de cœur… Retour sur l’histoire.
     
    En 1937, le Manifeste du PPA (Parti populaire algérien) qualifiait l’assimilation « d’utopie chimérique (car) nous ne serons jamais Français, ni par la race, ni par la langue, ni par la religion ».
     
    En 1945, Edouard Herriot, grande conscience « humaniste » disait que l’ « assimilation » ferait de la France « la colonie de ses colonies ».
     
    Le général de Gaulle dont toute la classe politique française se réclame aujourd’hui, considérait pour sa part  l’« assimilation » comme « un danger pour les Blancs, une arnaque pour les autres » dont la conséquence ferait que « Colombey-les-Deux-Eglises (deviendrait) Colombey-les-Deux-Mosquées ! »
     
    Durant la période coloniale la France tenta une politique d’ « assimilation ». Son postulat était que, grâce à la diffusion de la culture et de la langue française, colonisés et colonisateurs coaguleraient au sein d’une même nation sous les plis du drapeau tricolore…et pour la plus grande gloire de la République française universelle…
     
    L’échec fut à la hauteur de l’illusion. Cependant, aucune leçon n’en fut tirée puisque la classe politique française parle de nouveau d’« assimilation ».
    Or :
     
    - Comment « assimiler » une déferlante migratoire devenue majoritaire sur une partie du territoire français et qui impose peu-à-peu ses normes vestimentaires, alimentaires, culturelles, juridiques et religieuses sur l’ensemble du pays?
     
    - Comment oser parler d’ « assimilation » quand, par leurs déclarations irresponsables au sujet de la colonisation, François Hollande et Emmanuel Macron ont humilié la France, ne donnant ainsi guère envie aux « citoyens du monde » de s’y assimiler ?
     
    - Comment imaginer que la solution est l’ « assimilation » quand la France qui accueille, nourrit, habille, soigne, loge et éduque des millions d’étrangers, est présentée comme une nation « génétiquement esclavagiste et raciste » ?
     
    - Comment les partisans de l’ « assimilation » vont-ils concrètement proposer leur « martingale » à des groupes animés par un sentiment à la fois revanchard et conquérant ? Notamment à Madame Houria Bouteldja qui ne craint pas de dire que :
     
    « Notre simple existence, doublée d’un poids démographique relatif (1 pour 6) africanise, arabise, berbérise, créolise, islamise, noirise, la fille aînée de l’Eglise, jadis blanche et immaculée, aussi sûrement que le sac et le ressac des flots polissent et repolissent les blocs de granit aux prétentions d’éternité (…) ».
     
    - Comment assimiler des francophobes assumés, dont Madame Hafsa Askar, vice-présidente du syndicat étudiant UNEF, qui a osé dire le 15 avril 2019, jour de son incendie :
     
    « Je m’en fiche de Notre-Dame de Paris, car je m’en fiche de l’histoire de France…Wallah  …on s’en balek (traduction : on s’en bat les c…), objectivement, c’est votre délire de petits blancs ».
     
    Une Hafsa Aksar qui a également pu déclarer sans être immédiatement traduite devant les tribunaux :
    - « On devrait gazer tout (sic) les blancs (resic) cette sous race.
    - « Tout ce que j’ai à dire c’est les blancs ( sic) arrêtez de vous reproduire ».
    - « Non à la mixité avec les blancs (sic)»
    - « Je suis une extrémiste anti-blanc »
    - « Le monde serait bien mieux sans les blancs (sic) » etc.,
     
    - Comment les héritiers des « Lumières » qui gouvernent la France en la conduisant avec application sur les pentes de la disparition peuvent-ils parler d’« assimilation » quand ceux qu’ils prétendent « assimiler » rejettent leurs dogmes fondateurs, qu’il s’agisse des « valeurs de la République », des « droits de l’homme », du « vivre ensemble » ou de la « laïcité » ?
     
    La vérité est que ceux qui croyaient aux chimères du sacro-saint laïcisme républicain ne voient pas que leur idéologie est morte. Prisonniers de l’immédiat, sans mémoire, sans culture et sans courage, ils ne voient pas qu’un cycle s’achève et qu’un nouveau émerge dans le chaos.
    Aux porteurs des forces créatrices de saisir cette opportunité historique pour imposer un salutaire changement de paradigme. Autrement, les civilisations étant mortelles, la population indigène, celle qui a créé la France devra s’adapter au changement anthropologique en cours. Donc accepter de ne plus être chez elle sur la terre de ses ancêtres… Comme les Serbes au Kosovo…
     
    Bernard Lugan (L'Afrique réelle, 20 juillet 2023)
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  • Émeutes : nihilisme festif et inframondisation...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jure Georges Vujic, cueilli sur Polémia et consacré aux émeutes qui ont dévasté nos villes au début du mois...

    Avocat franco-croate, directeur de l’Institut de géopolitique et de recherches stratégiques de Zagreb, Jure Georges Vujic est l'auteur de plusieurs essais, dont Un ailleurs européen (Avatar, 2011),  Nous n'attendrons plus les barbares - Culture et résistance au XXIème siècle (Kontre Kulture, 2015) et Les convergences liberticides - Essai sur les totalitarismes bienveillants (L'Harmattan, 2022).

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    Émeutes : nihilisme festif et infra-mondisation

    Les dernières nuits d’émeutes et de pillages dans plusieurs villes françaises illustrent très bien ce qu’analysait Philippe Muray, à savoir une version criminogène de la « festivisation » générale de la société (homo festivus), avec cependant une déclinaison sociale et médiatique d’un hyperfestif violent, criminalisé et destructeur.

    Il est vrai que la sidération reste grande à contempler le triste spectacle de hordes de jeunes ensauvagés en train de piller en toute impunité les magasins de grandes marques tout en se filmant sur leurs smartphones, un nihilisme festif bien relayé, amplifié et diffusé en temps réel par les réseaux sociaux. Bien sûr, les phénomènes d’accélération et de contagion de ce nihilisme festif, brutal et juvénile, s’expliquent en grande partie par la tiktokisation sociale mondiale, qui pulvérise les déterminants géographiques et temporels. La toxicité des réseaux sociaux, loin d’être idéologiquement neutre, puisqu’elle propage une vision du monde de l’aliénation consommatrice et techno-ludique, permet non seulement une contagion criminogène mimétique, mais aussi la scénarisation narcissique et individuelle en temps réel des prouesses destructrices des vidéos de réalité des acteurs eux-mêmes. La réalité amputée de ses origines et de ses finalités, de sa consistance, fait place à l’éternel présent, forme d’hyperréalité diminuée, fantasmatique et narcissique. Parce que celui-ci est diffusé en temps réel sur les réseaux sociaux du monde entier par une sorte de « jokérisation » des esprits, on assiste à une escalade médiatique de la violence urbaine à la fois mimétique et « ludique », dont le seul défi est de faire toujours mieux et plus sensationnel en vandalisme et violence, plus qu’à Haïti, Mexico, New York, Chicago ou Los Angeles. La ville devient, malgré les millions d’euros engloutis dans les infrastructures des politiques d’intégration urbaine des banlieues, une sorte d’espace de jeu (Muray parlait du monde contemporain comme d’un « parc d’attractions mondialisé ») mortifère et criminogène, analogue aux jeux de guerre virtuels.

    Nihilisme festif et nihilisme de déni

    En effet, cette effusion de violence urbaine qui s’est généralisée dans une ivresse autodestructrice n’est bien sûr que le symptôme prégnant d’un nihilisme plus profond de plusieurs générations déstructurées sur fond d’immigration massive. Le nihilisme en effet, au-delà de la dimension doctrinaire, révèle un état d’esprit auquel manquent toute forme de représentation d’un sens, une hiérarchie des valeurs, un horizon axiologique porteur de sens et d’avenir. Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le nihilisme brutal et destructeur des bandes de banlieue que l’on pourrait personnifier par des vandales, des pillards, des incendiaires qui allient l’hyperfestif et le violent, ne peut se développer que grâce à un autre nihilisme plus sournois, le nihilisme du « dernier homme » conformiste, qui peut être aussi celui des élites ou de la majorité silencieuse, qui refuse toute forme d’action, plongé dans le déni de réalité et l’immobilisme de la compassion ou celui de la consternation passive.

    Le nihilisme festif, lui, est féroce, irruptif et sporadique, s’inscrit dans une logique de conquête et de délimitation de territoires, mais reste toujours présent à l’état latent, dévastateur, narcissique et grégaire. Le nihilisme du déni, qui correspond au « à quoi bon », lui, est silencieux, poli, civilisé et dans une posture d’impuissance et de défense, respectant scrupuleusement les convenances sociales du moment, lequel refuse obstinément d’affronter la réalité d’une société fracturée, violente, réduite au refus du choix et au refus d’endosser une responsabilité quelconque. Et c’est en ce sens qu’il s’agit bien d’un nihilisme de soumission.

    Émeutiers ou insurgés ?

    Même si le discours de l’excuse et celui de la misère des « nouveaux misérables » des banlieues semblent ici incongrus et inadaptés, il est intéressant de noter que dans Les Misérables, Victor Hugo opposait émeute et insurrection. L’émeute est un moment chaotique de destruction. L’insurrection, au contraire, est le moment où un groupe qui a conscience de lui-même et qui veut construire quelque chose se projette politiquement dans l’avenir. Les séquences des premières nuits d’émeutes festives de pillages et de vandalisme ne correspondaient en rien à une insurrection politique et idéologique et étaient purement motivées par des considérations matérielles et ostensibles (pillage des boutiques de grandes marques) et des pulsions destructrices. Cependant, la séquence qui s’est greffée sur cette vague de pillages avec la destruction coordonnée des lieux et des symboles de la nation (écoles, bibliothèques, mairies, centres de loisirs, transports, casernes de pompiers…), auxquelles ont bien sûr aussi participé des bobos, des antifas de service et des black blocs, pourraient très bien s’apparenter à des formes d’insurrection contre l’ordre public. Il est important de rappeler que cette logique de la conflictualité et de la légitimation insurrectionnelle est au cœur de l’idéologie révolutionnaire de la gauche radicale, qui ne se cache d’ailleurs pas de se référer à la Constitution de 1793 (article 35 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque partie du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »). Ainsi, la tentative d’assassinat du maire de L’Haÿ-les-Roses pourrait bien s’inscrire dans une stratégie de chaos et de terreur destinée à chasser et contenir les pouvoirs publics de l’État hors des territoires contrôlés par des groupes criminels, fortement communautarisés, qui entendent asseoir leur domination sur ces portions de territoire. En revanche, étant donné le caractère organisé des émeutes, de l’utilisation de techniques de guérilla urbaine et de l’importance du nombre d’armes utilisées, tout porte à croire qu’il s’agit de groupes organisés et facilement mobilisables.

    Inframondisation sociétale

    Ainsi, la restauration d’un ordre public fictif et soumissionnaire, dans le seul but de se voir accorder un sursis de plus « pour que les affaires reprennent », ne fera que différer et exacerber les mêmes causes et les mêmes effets, qui à l’avenir seront encore plus dévastateurs. En l’absence de toute forme de visibilité verbale et de revendications, cette violence gratuite condense de manière paroxystique et très violente la problématique de la désaffiliation sociale et familiale, la faillite de toute forme d’autorité (parentale, scolaire et sociale), mais aussi celle de la déstructuration de l’identité, du sentiment d’appartenance à la nation et de l’enfermement dans un communautarisme ethnoconfessionnel qui fonctionne comme une société parallèle, un contre-monde régi par ses propres lois et ses codes culturels, une sorte d’inframonde zonal. Mais n’assistons-nous pas à une inframondisation sociétale de la postmodernité globale, à une inversion générale des valeurs, par le culte de l’individualisme matérialiste et déraciné, la transgression élevée au rang de norme, célébrés par ce que Muray nomme les « matons » et « mutins de Panurge » et les « rebellocrates » ? Nous vivons bien, comme l’avait observé Philippe Muray, une régression anthropologique, sur fond d’indifférenciation généralisée et de « réanimalisation » de l’espèce et de la société. En revanche, l’hyperfestif comme récit dominant de l’idéologie libérale du marché et du tout-économique se conjugue très bien avec la figure de l’homo violens, de l’homme violent, et explique comment la violence mimétique hyperindividualiste reste motivée par ce même désir mimétique de possession, plein de ressentiment et de haine alors que cette volonté de conquête motivée par les frustrations identitaires et sociales apparaît soudain comme constituant un inconscient victimaire qui détermine et oriente la dynamique de la sécession violente. Le nihilisme festif auquel nous avons assisté ces derniers jours se nourrit de la culture de l’impunité (du nihilisme du déni), et ces deux phénomènes sont parfaitement solubles dans la société du crime mondialisé, qui, des caïds de banlieues aux cartels de la drogue, sont les principaux leviers de la sécession territoriale et communautaire.

    Jure Georges Vujic (Polémia, 12 juillet 2023)

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  • Civiliser ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre Moriamé, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré aux émeutes et à leurs causes profondes.

     

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    Civiliser

    Le narratif médiatique et la sociologie fabriquent des victimes – et un coupable : la France, l’État français, le racisme systémique. On connaît la rengaine. C’est au contraire la crise de l’État, la crise des institutions, la vacance de l’autorité qui créent les conditions d’une insurrection. C’est au contraire l’État qui est à reconstruire, et la France avec lui, sous réserve que cette dernière ne soit pas submergée par l’immigration.

     

    Jean-Louis, la soixantaine et quelque peu dégarni, calfeutré dans la pénombre de son studio, fixait fébrilement son téléphone portable. Soudain, l’heure tant attendue s’afficha. C’était son moment. Il se saisit de son cabas à roulette, inspira un grand coup et ouvrit la porte de son appartement. Se remémorant les exercices appris lors de son service militaire, il descendit tel un félin les escaliers et arriva dans le hall. Jonché de détritus, tagué, occupé par un canapé éventré et exhalant une âcre odeur d’urine, celui-ci était comme il l’espérait : vide. À cette heure, il ne risquait rien, « ils » dormaient. 

    Marchant sur le trottoir, tout en restant le plus possible collé aux immeubles afin de passer inaperçu, Jean-Louis ne pouvait que déplorer les dégâts causés par les émeutes depuis déjà plusieurs jours dans sa ville de banlieue. Carcasses de bus et voitures brûlées, mobilier urbain saccagé, bris de verre et déchets omniprésents étaient désormais son quotidien. Reclus depuis longtemps chez lui, il ne s’était résolu qu’à sortir pour remplir son frigo vide.

    Arrivé devant son supermarché habituel, il le trouva grand ouvert, vitres défoncées suite à un énième pillage. Après avoir regardé hâtivement autour de lui, il s’engouffra par la brèche. À l’intérieur, il entendit des cris et des rires. Des « jeunes » s’amusaient à renverser les étalages et à vandaliser les marchandises, tout en se filmant et en multipliant les mises en scène les plus bestiales. Rampant vers le rayon bière, demeuré intact, il se servit avant de rentrer chez lui. À défaut de se nourrir, il pourrait boire pour oublier.

    La victimisation

    À ses dépens Jean-Louis était devenu l’acteur d’un film qui ressemblait beaucoup à la dernière série dystopique qu’il regardait sur Netflix. 

    Un jeune Français est mort il y a quelques jours, tué accidentellement par un policier à l’occasion d’un contrôle. Personne ou presque ne le connaissait, lui et son histoire, ses déboires avec les autorités. Tous pourtant ont prétendu parler en son nom et en celui des « jeunes de banlieues », tous, des médias à la classe politique, ont voulu donner un sens à ce drame.

    La machine infernale une nouvelle fois a été lancée. Les journalistes ont évoqué le racisme structurel de la police française et ont multiplié les parallèles avec les États-Unis. Les politiques, du Président aux Insoumis, ont immédiatement condamné le policier, sans connaître les faits. Une vidéo d’une dizaine de secondes avait suffi. Ledit jeune a eu le droit à sa minute de silence à l’Assemblée nationale, comme un militaire tué lors d’une OPEX.

    Sa mort a entraîné des émeutes qui, par leur ampleur et leur violence, dépassent celles de 2005. Face aux premières destructions de biens et équipements publics : écoles, centres culturels, mairies, bus, tramways, mais aussi aux scènes de pillage, les médias et les politiciens ont tenté d’expliquer ou plutôt de justifier le chaos. La rengaine est connue : « Les gens de ces quartiers sont discriminés et se sont immédiatement identifiés à ce jeune, victime d’une nouvelle bavure policière. Ils ont, par leur violence, voulu répondre à celle qui leur est faite, excessivement, mais de façon compréhensible. »

    Quand les émeutiers se filment

    Cet argumentaire ne résiste pas à un examen attentif de la situation de ces quartiers, pauvres, mais bénéficiant d’une manne publique bien supérieure à la normale : rénovation urbaine, équipements neufs, moyens scolaires renforcés…

    Aussi, en observant les émeutiers, on s’aperçoit qu’ils procèdent d’une façon plutôt joviale à leurs forfaits. Les pillages et les saccages sont mis en scène, filmés et diffusés en direct sur les réseaux sociaux. Chacun semble aspirer à sa petite minute de gloire et prendre plaisir à assumer et propager des actes pénalement répréhensibles. 

    Il est difficile de déceler dans ces attitudes, mais aussi dans les cibles (tabacs, équipements publics, magasins high-tech ou de sport) un contenu politique ou la volonté d’honorer la mémoire du jeune disparu, dont on ne parle presque plus. 

    Tout ceci a pourtant un sens, ou plutôt, est la marque d’un problème plus profond, dépassant celui des jeunes de banlieue. 

    Ce n’est pas la force démesurée et injuste de la police et de l’État qui a entraîné la mort de jeune et le chaos que nous peinons aujourd’hui à endiguer, mais sa faiblesse, ainsi que celle de nos institutions.

    Les faits qui ont précédé le drame sont symptomatiques : course poursuite d’une trentaine de minutes, multiples refus d’obtempérer, délits de fuite et mise en danger de la vie d’autrui par le conducteur, finalement arrêté par… la circulation. Le policier n’arrivait manifestement pas à faire entendre raison à un jeune de 17 ans. Pour être pris au sérieux, il en a été réduit à sortir son arme. Le drame s’est produit.

    C’est l’État qui est à reconstruire

    L’asymétrie entre les deux protagonistes était évidente. D’un côté, un policier, astreint à des règles, soumis à une hiérarchie qui pousse plus que tout à éviter les contacts et qui sait qu’il ne sera pas soutenu en cas d’incident. De l’autre, un délinquant, jeune et sûr de lui, fort d’un sentiment d’impunité1. Lui aussi, sait qu’en cas d’infraction grave, il écopera d’un rappel à l’ordre ou dans le pire des cas d’un sursis. Le policier sait qu’il ne fait guère peur au délinquant et craint que celui-ci ne tente donc quelque chose contre lui. Engrenage fatal. La bonne vieille peur du gendarme, qui n’existe plus chez certains, aurait probablement sauvé le jeune, victime paradoxale du laxisme de la justice. 

    Cette police qu’on ne respecte plus n’est qu’un des nombreux avatars de l’affaissement de l’État. On pourrait tout aussi bien parler des professeurs, des pompiers ou des personnels soignants, victimes de ce qu’on appelle pudiquement des « incivilités », mais qui eux ne peuvent répondre avec une arme.

    Pour contrer ce délitement et restaurer la paix civile, il ne suffira pas de mobiliser des dizaines de milliers de policiers et de financer une nouvelle fois tout de qui a été brûlé. 

    L’État doit reconstruire les institutions qui permettaient à notre société d’avoir une cohésion.

    Dans un pays devenu multiethnique et multiculturel, en voie de communautarisation et au sein duquel coexistent des populations aux mœurs différentes, les subventions et le « social » ne seront pas des solutions miracles. La pression assimilatrice des Français de souche ou le renvoi massif des immigrés récents dans leurs pays d’origine sont les seules possibilités pour éviter un séparatisme définitif et l’affrontement avec un deuxième peuple sur notre sol. 

    La destruction programmée des institutions

    Le processus délétère auquel nous sommes aujourd’hui confrontés n’est toutefois qu’en partie lié aux immigrés et affecte toutes les classes sociales. Les affrontements qu’on observe, notamment dans les « ZAD » où les immigrés sont peu représentés, illustrent un phénomène plus global.

    Le rejet de l’autorité de l’État trouve ses origines dans la grande déconstruction consécutive aux événements de mai 1968 et à la prise du pouvoir par des catégories sociales qui n’ont eu de cesse de démolir les assises de l’ordre ancien. 

    Le développement depuis les années 80 d’une société fondée sur la seule logique du marché, l’effondrement des structures (chômage de masse, généralisation du divorce, faillite de l’enseignement) et la volonté de faire prévaloir les intérêts de l’individu-roi au détriment du collectif nous ont conduits dans l’impasse où nous sommes aujourd’hui. 

    Notre Président se plaît à employer des mots qui ne sont pas les siens et qu’il ne comprend pas. Récemment, il a évoqué le processus de « décivilisation » que connaissait notre pays. Pour lui, la décivilisation se résume aux actes violents d’une poignée de gens qu’il conviendrait de ramener dans le droit chemin.

    La décivilisation ne se caractériserait-elle pas plutôt par la destruction des institutions qui fixaient une limite à la toute-puissance des individus et garantissaient à l’État, seule autorité transcendant les intérêts particuliers, le monopole de la violence légitime ?

    Que transmet-on aujourd’hui ? 

    Ce n’est pas un hasard si les jeunes d’aujourd’hui mettent le feu et pillent sous le regard des anciens. Cette génération n’a rien connu d’autre que la société décivilisée dans laquelle elle vit. 

    Pour elle, biberonnée à la consommation de masse, dans un univers où la réussite individuelle, sous l’unique prisme de l’argent, est érigée en idéal, dans des structures familiales déliquescentes, avec des programmes télévisés vulgaires tenant lieu de cours d’éducation civique, tout justifie ces actes. 

    Il ne s’agit pas d’exonérer les jeunes de leur responsabilité et de réduire la gravité des pillages. On gagnerait toutefois à se poser la bonne question : que transmet-on aujourd’hui ? 

    Notre modèle de société, qui contient en germe la guerre du tous contre tous, fabrique des monstres sans empathie qui se filment en saccageant. 

    Une réponse ferme et implacable doit être apportée à ces violences, c’est une première étape. Elle ne servira à rien si on ne déconstruit pas les déconstructeurs et ne rebâtit pas un projet collectif capable de fédérer les forces centrifuges, croissantes, de notre pays. 

    Encore faudrait-il pour se faire que nos élites y trouvent leur intérêt et poussent en ce sens. 

    Dans les banlieues françaises comme partout en France, la décivilisation est en marche.

    Pierre Moriamé (Site de la revue Éléments, 4 juillet 2023)

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