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Points de vue - Page 42

  • Thierry Tuot, un immigrationniste nommé au Conseil d’État...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de S. Quintinius, cueilli sur Polémia et consacré à la nomination à un poste stratégique au sein du Conseil d'Etat d'un immigrationniste affiché.

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    Thierry Tuot, un immigrationniste nommé au Conseil d’État

    Par décret du 22 février 2023, le président de la République a nommé Thierry Tuot à la présidence de la section de l’intérieur du Conseil d’Etat. Cette nomination dans la plus haute juridiction administrative française est lourde de symboles compte tenu des prises de position passées de l’heureux élu. Elle n’aurait pas eu un tel retentissement si elle ne s’inscrivait pas dans un contexte de montée en puissance du pouvoir juridictionnel en France.

    Un poste stratégique

    Il est important pour prendre la mesure de l’importance de la nomination du nouveau président de la section de l’intérieur du Conseil d’État de la placer dans le cadre de son organisation. Cette institution  a deux missions principales : « trancher les litiges qui opposent les citoyens, entreprises et associations aux administrations et proposer au gouvernement et au parlement des améliorations pour sécuriser les lois et réglementations, avant qu’elles ne soient votées ou entrent en vigueur » (1).

    Le site de l’assemblée nationale donne quelques précisions supplémentaires sur le rôle du Conseil d’État en matière de conseil du gouvernement : il « examine les projets de loi et les projets d’ordonnance, avant qu’ils ne soient soumis au Conseil des ministres. Il connaît également des projets de décret les plus importants, qualifiés de « décrets en Conseil d’État ». Son avis porte sur la régularité juridique des textes, leur forme et leur opportunité non politique mais administrative » (2).

    S’agissant de la section de l’intérieur, le Conseil d’État indique sur son site internet qu’elle « examine les projets de texte liés à la politique intérieure du pays (projets de texte relatifs aux principes constitutionnels, aux libertés publiques, au droit d’asile, à l’immigration, à la jeunesse et au sport, etc.) » (3). Le champ de compétence de la section de l’intérieur du Conseil d’État est donc considérable et son importance stratégique.

    Conformément aux textes définissant son organisation et son fonctionnement, pour les questions les plus importantes, l’assemblée générale du Conseil d’État statue après que la section compétente se soit prononcée. A titre d’exemple, l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi intitulé « contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », actuellement en débat au parlement, a été rendu par son assemblée générale le 26 janvier 2023, sans qu’il soit possible de voir si celui-ci a été modifié par rapport à l’avis initial rendu par la section de l’intérieur du Conseil d’État.

    La nomination de Thierry Tuot

    Le Figaro prête dans un article du 7 mars 2023 à un membre du Conseil d’État les commentaires suivants sur la nomination de Thierry Tuot à la présidence de la section de l’intérieur : « Au tableau du Conseil d’État, Thierry Tuot, qui était déjà vice-président de cette section, est légitime en grade, à l’ancienneté et, à quelques années près, en âge. Pour autant cela ne veut pas dire qu’il était le seul candidat légitime. Mais Sylvie Hubac, la présidente sortante et ancienne directrice de cabinet de François Hollande, a pesé de tout son poids pour imposer son candidat auprès du bureau du Conseil d’État, et l’a emporté » (4).

    Le site du Conseil d’État précise au sujet des promotions au sein de l’institution que « si l’avancement de grade se fait, en théorie, au choix, il obéit, dans la pratique, strictement à l’ancienneté, ce qui assure aux membres du Conseil d’État une grande indépendance, tant à l’égard des autorités politiques qu’à l’égard des autorités du Conseil d’État elles-mêmes » (5).

    Les éléments précis sur les critères de départage des différents candidats au poste de président de la section de l’intérieur du Conseil d’État n’ont pas été rendus publics. Il est cependant utile de revenir sur quelques-unes des prises de position passées du nouveau titulaire du poste.

    Des prises de position nombreuses

    En 2000 paraissait un ouvrage intitulé « Les indésirables : l’intégration à la française » signé par un certain Jean Faber, un pseudonyme emprunté par Thierry Tuot. La présentation qu’il en a faite à l’époque au journal Libération en donne un aperçu (6). Les indésirables, ce sont « tous ceux qui ne sont perçus et désignés que comme « immigrés ». Le reste est à l’avenant : « On n’a pas souhaité qu’ils viennent en France, on ne souhaite pas vraiment qu’ils restent et s’ils le font, on veut qu’ils soient les moins visibles et les moins immigrés possible (…) On n’a jamais rien fait au niveau étatique (…), on n’a jamais défini une politique d’intégration ».

    Sans doute impressionné par la force de ces constats, le premier ministre de l’époque confiait en 2012 au conseiller d’État une mission visant à analyser la politique d’intégration et à « proposer des axes d’action pour en assurer un nouveau départ ». Le rapport rendu à cette occasion le 1er février 2013 a fait grand bruit (7).

    Critiquant la conception française de l’intégration et de l’assimilation, Thierry Tuot y plaide pour « des efforts partagés : le vôtre, le mien pour que nous soyons Français ensemble. La société qui intègre se transforme autant qu’elle transforme celui qui s’intègre ».

    La « question musulmane » ? «  pure invention de ceux qui la posent, ne cesse d’enfler et de soucier, de polluer le débat public, et de troubler jusqu’au délire les meilleurs esprits. À l’islamisme – revendication publique de comportements sociaux présentés comme des exigences divines et faisant irruption dans le champ public et politique – répond un laïcisme de combat, furibond et moralisateur, qui mêle dans un étrange ballet les zélotes des racines chrétiennes de la France ».

    La nécessité de limiter l’immigration ? : « la plupart des flux migratoires échappent à toute politique visant à les réduire ou les augmenter ; la plupart des clandestins, dont la part est irréductible, finissent par être régularisés; les flux migratoires vont dans les deux sens, c’est-à-dire que beaucoup d’immigrés repartent, de leur plein gré, – et pour ceux-ci, il serait tout de même préférable, dans un monde globalisé, qu’ils le fassent en ayant une autre image de la France que celle d’un guichet renfrogné, ayant chichement mesuré le droit au séjour ».

    Un autre passage sur les clandestins est tout aussi définitif : « Nous sommes un État de droit. Ceux que nous ne reconduisons pas à la frontière ne peuvent pas l’être. Une toute petite minorité essaie de dissimuler son origine, et faute qu’on sache de quel pays l’intéressé provient on ne peut le reconduire. Mais pour la plupart, le défaut de reconduction tient à ce qu’ils sont en droit inexpulsables : soit parce que le pays vers lequel on les reconduirait leur ferait un très mauvais sort, soit pour d’autres raisons tenant notamment à leur situation personnelle (enfants, santé…). L’immense écart entre cette situation de droit finalement assez satisfaisante, et les mouvements martiaux publics des différentes autorités, se traduit par un marécage de souffrance et de destruction sociale qu’il est impératif d’assécher ».

    Malika Sorel-Sutter estimait dans un essai paru en 2015 que le rapport du premier ministre paru en novembre 2013 sur la refondation de la politique d’intégration s’inscrit dans la filiation directe du rapport Tuot, « auquel il est d’ailleurs fait référence » (8).

    Le caractère engagé de certains propos de Thierry Tuot se retrouvait dans une interview accordée en 2013 au journal L’Humanité. Tout en se prononçant pour une facilitation de la régularisation des clandestins et de l’accès à la nationalité française, il y fustigeait les opposants à la politique migratoire laxiste du gouvernement : « C’est tellement simple de dire qu’il y a trop d’immigrés. On se cache derrière les flux migratoires pour ne pas traiter les réalités sociales » (9).

    Plus récemment, en 2018, le journal Le point soulignait qu’à l’occasion de la présentation du projet de loi asile et immigration, les commissaires du gouvernement ont découvert que « le premier opposant au projet de loi asile-immigration du gouvernement ne siège pas dans l’opposition, mais au Conseil d’État », en la personne de Thierry Tuot ». Et le journaliste d’indiquer, exemples à l’appui, qu’à plusieurs reprises, « il a semblé que l’analyse juridique cédait la place au discours militant » (10).

    Le rôle croissant des juges

    La nomination de Thierry Tuot à la présidence de la section de l’intérieur du Conseil d’Etat n’aurait pas eu un tel retentissement si elle ne s’inscrivait pas dans le contexte de l’importance grandissante du rôle des juges dans la construction du droit. Ce phénomène a été décrit notamment par un autre (ancien) conseiller d’état, Jean-Éric Schoettl, dans plusieurs articles et dans un récent essai. En particulier en matière d’immigration et d’asile, les Français voient bien dans quel sens le droit et les pratiques évoluent depuis le fameux arrêt Gisti en 1978 consacrant le droit au regroupement familial.

    S. Quintinius (Polémia,18 mars 2023)

     

    Notes :

    (1) https://www.conseil-etat.fr/qui-sommes-nous/le-conseil-d-etat/missions
    (2) https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/role-et-pouvoirs-de-l-assemblee-nationale/les-institutions-francaises-generalites/le-conseil-d-etat
    (3) https://www.conseil-etat.fr/qui-sommes-nous/le-conseil-d-etat/organisation/les-sections-consultatives
    (4) https://www.lefigaro.fr/actualite-france/multiculturalisme-au-conseil-d-etat-la-nomination-de-thierry-tuot-fait-des-vagues-20230307
    (5) https://www.conseil-etat.fr/pages/recrutement-et-carrieres/au-conseil-d-etat/les-metiers/les-membres-du-conseil-d-etat
    (6) https://www.liberation.fr/societe/2000/10/07/on-n-a-jamais-defini-une-politique-d-integration_339835/
    (7) https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/134000099.pdf
    (8) Décomposition française. Malika Sorel-Sutter. Ed. Fayard. 2015
    (9) https://www.humanite.fr/societe/thierry-tuot-c-est-tellement-simple-de-dire-qu-il-515947
    (10) https://www.lepoint.fr/politique/projet-de-loi-asile-et-immigration-un-conseiller-d-etat-tres-engage-24-02-2018-2197563_20.php#11

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  • Réforme des retraites ? Non, retraite de la démocratie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy, cueilli sur Polémia et consacré à la crise politique et démocratique déclenchée par le passage en force de la réforme des retraites.

    Ancien haut-fonctionnaire, Michel Geoffroy a publié le Dictionnaire de Novlangue (Via Romana, 2015), en collaboration avec Jean-Yves Le Gallou, et deux essais, La Superclasse mondiale contre les Peuples (Via Romana, 2018), La nouvelle guerre des mondes (Via Romana, 2020), Immigration de masse - L'assimilation impossible (La Nouvelle Librairie, 2021) et dernièrement Le crépuscule des Lumières (Via Romana, 2021).

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    Réforme des retraites ? Non, retraite de la démocratie

    La crise liée à la réforme des retraites illustre avec éclat les limites de notre démocratie « représentative ». Si l’on en croit les sondages et les manifestations, une très grande majorité de nos concitoyens rejette en effet cette réforme ainsi que le gouvernement qui la soutient. Selon un récent sondage Elabe, 68 % des personnes interrogées voteraient une motion de censure contre le gouvernement si elles le pouvaient, y compris 53 % des électeurs LR[1] ; 71 % rejettent le recours au vote bloqué du 49.3, etc. Pourtant, le gouvernement continue d’affirmer que le « processus démocratique » doit aller à son terme et engage sa responsabilité pour que la réforme passe en force à l’Assemblée nationale. Et la motion de censure n’est pas adoptée. Le décalage entre le pays réel et le pays légal – le pays gouvernemental, parlementaire et médiatique – apparaît une nouvelle fois dans toute son ampleur, comme sous les deux républiques précédentes. Avec à la clef, sans doute, les mêmes catastrophes.

    La crise de la démocratie représentative

    C’est en réalité la démocratie représentative à la française qui est le carburant de cette crise. Parce que les élus sont à la fois impuissants et déconnectés de la volonté populaire.

    La démocratie représentative, comme son nom l’indique, repose sur l’élection de parlementaires censés représenter leurs électeurs. Elle se distingue en cela de la démocratie directe qui donne au citoyen la possibilité de trancher lui-même de certaines questions, comme en Suisse ou comme autrefois en Grèce.

    Mais dans la démocratie représentative, comme « le mandat impératif est nul[2] », le soir de son élection le député ou le sénateur change miraculeusement de nature : il n’est plus le mandataire de ses électeurs, il devient un « élu de la nation », censé représenter tout le monde, y compris donc ses adversaires politiques d’hier. Touché par la grâce représentative, notre élu est alors censé se consacrer pleinement au bien commun.

    En d’autres termes, il lui est désormais loisible de trahir les promesses faites à ses électeurs, et l’expérience prouve, depuis bientôt plus de 200 ans, qu’il ne s’en prive pas, qu’il soit de gauche ou de droite.

    La démocratie présidentielle de la Ve République

    Les défauts inhérents à ce système représentatif, que nous subissons en France depuis 1789, sont bien documentés.

    Ils sont accentués en outre par le scrutin majoritaire, inspiré du parlementarisme britannique, qui permet de se faire élire même si on ne représente qu’une minorité des électeurs inscrits, notamment lorsque l’abstention est élevée. Ainsi, de nos jours, ceux que les médias s’obstinent à présenter comme la « majorité » de l’Assemblée nationale – relative au surplus – n’ont rassemblé aux dernières législatives que… 16,4 % des inscrits. Vive la « représentation nationale » !

    À l’origine de la Ve République, les limites de la démocratie représentative étaient pourtant compensées de plusieurs façons.

    D’abord parce que les pouvoirs du Parlement avaient été fortement limités, en réaction à ce qui s’était produit sous la IVe République. Ensuite, l’élection du président de la République au suffrage universel devait lui donner une légitimité populaire nationale qui faisait défaut aux parlementaires, seulement élus dans les limites de leur circonscription. Enfin, le référendum permettait au peuple de trancher par-dessus les parlementaires et les partis.

    Mais ce bel édifice s’est effondré à la fin du xxe siècle.

    Les institutions tournent à vide

    En effet, du fait des transferts de souveraineté à l’Union européenne, nos institutions tournent désormais à vide car elles ne prennent plus les vraies décisions : les vrais décideurs se trouvent à Bruxelles, à Francfort, à Strasbourg, à Washington, au forum de Davos et dans les conseils d’administration des grandes entreprises mondialisées et des grandes banques, mais pas à Paris. Pendant que les juges cooptés se sont arrogé le droit de mettre sous tutelle les législateurs élus.

    C’est ce que comprennent nos concitoyens qui s’abstiennent aux élections.

    Ensuite la légitimité du président de la République, de plus en plus mal élu, n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était au début de la Ve République. Ainsi Emmanuel Macron, le président impopulaire[3] qui ne rate jamais une occasion d’afficher son mépris de la France et des Français, n’a été élu que par 38 % des inscrits en 2022. Encore faudrait-il dans ce résultat apprécier la part réelle du soutien au président sortant, par rapport au rejet de son concurrent, Marine Le Pen… Un tel président de la République n’est en tout cas plus perçu comme un arbitre mais comme le représentant d’un clan minoritaire qui accapare les institutions.

    Enfin, la classe politique a tué le référendum, qui menaçait son monopole. Non seulement on n’y a plus recours, mais le dernier, celui de 2005, a été trahi par les parlementaires qui se sont empressés d’adopter en 2007 un traité qui avait été explicitement refusé par une majorité de Français !

    C’est d’ailleurs parce qu’il n’y a plus de référendum, que la revendication du RIC – le référendum d’initiative citoyenne notamment théorisé par Étienne Chouard – s’est développée depuis la révolte des Gilets jaunes.

    La retraite de la démocratie ?

    La réforme des retraites emprunte manifestement le même chemin que le référendum de 2005 sur le traité de l’Union européenne. Ou de la guerre de l’OTAN contre la Russie.

    Les Français n’en veulent pas ? Pas de problème ! On la leur impose via le jeu parlementaire : le recours au 49.3, le soutien des LR à la Macronie défaillante, et les pressions et menaces contre ceux qui envisageaient de voter une motion de censure. La politique politicienne dans toute sa splendeur, donc.

    Il est de plus en plus visible que nos institutions ne sont plus au service du bien commun des Français. La réforme des retraites en apporte une nouvelle preuve.

    La vie politique et parlementaire française n’est plus qu’un théâtre d’ombres, déconnecté des vrais enjeux et des vrais rapports de pouvoirs et maintenu en soins palliatifs par les médias. Pour cette raison aussi, l’élection de députés du RN n’a rien changé à ce spectacle.

    Mais notre vie politique emporte aussi dans son naufrage la liberté des Français. Car dans la postdémocratie européenne, le peuple est souverain mais à condition de se taire et de se faire vacciner quand Big Pharma l’exige. Sinon, il aura droit aux matraques, aux « interpellations », aux canons à eau et aux tribunaux.

    À moins que nous nous réveillions de notre dormition, la démocratie risque donc bientôt de prendre, aussi, sa retraite.

    Michel Geoffroy (Polémia, 21 mars 2023)

     

    Notes :

    [1] Sondage Elabe pour BFMTV, réalisé les 18 et 19 mars 2023.
    [2] Article 27 de la Constitution de la Ve République.
    [3] Dans la dernière enquête de l’IFOP pour le JDD, Emmanuel Macron ne recueille que 28 % d’opinions favorables

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  • Une guerre entre la Chine et les États-Unis est-elle inévitable ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Frédéric Eparvier cueilli sur Polémia et consacré à l'affrontement Chine/Etats-Unis. Frédéric Eparvier, cadre dirigeant d’un grande entreprise française à caractère stratégique.

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    Une guerre entre la Chine et les États-Unis est-elle inévitable ?

    Graham Allison, prophète apocalyptique ?

    Un grand nombre de commentateurs soi-disant spécialistes de géopolitique, ou autres généraux de plateaux, ainsi que de nombreux hommes politiques font référence au « Piège de Thucydide », s’appuyant, sans même peut-être l’avoir lu, sur le livre de Graham Allison : Vers la guerre. L’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide.[1]

    De qui et de quoi parle-t-on ?

    Graham Allison, est Docteur en sciences politiques de l’université de Harvard, et s’est fait connaître par sa thèse de doctorat sur le poids de l’administration sur la politique étrangère des États-Unis ; ce que l’on appellerait aujourd’hui mutatis mutandis: l’État profond.[2] Comme souvent aux États Unis, il a alterné entre enseignement à l’université de Harvard, et des participations aux administrations démocrates. Il est bien sur membre des influents « think tanks » américains : la Rand Corporation (plutôt républicaine), ou la Brookings Institution, et le Council of Foreign Relations (plutôt démocrates).

    Graham Allison a la réputation d’avoir inventé l’expression « piège de Thucydide », même si pour être très franc, « La guerre du Péloponnèse » était déjà largement utilisé comme modèle d’une relation bilatérale (États-Unis URSS à l’époque) dès les années 1980 aux États-Unis.[3]

    Thucydide est un général Athénien, qui a rédigé une extraordinaire histoire de la guerre entre Sparte et Athènes qui bouleversa la Grèce entre 431 et 404, et vit la victoire de la Cité terrestre et conservatrice : Sparte, sur la Cité maritime et impérialiste : Athènes.[4] La nouveauté de Thucydide, qui fait preuve d’un rationalisme extrême[5] est de distinguer entre les causes immédiates et les causes « vraies » du conflit. « En fait, la cause la plus vraie est aussi la moins avouée ; c’est à mon sens que les Athéniens, en s’accroissant, donnèrent de l’appréhension aux Lacédémoniens, en les contraignant ainsi à la guerre. »[6]

    La thèse de Graham Allison est que « Quand une puissance ascendante menace de supplanter une puissance établie, quelles que soient les intentions, il en résulte une telle tension structurelle que le conflit violent devient la règle, non l’exception. »[7] Et pour prouver son hypothèse, il s’appuie sur seize études de cas qui révèlent que dans 75% des cas, le « piège de Thucydide » trouve son issue dans la guerre ouverte.

    Il passe alors la relation sino-américaine au tamis de son hypothèse, pour démontrer la dangerosité de la situation actuelle, et s’il reconnaît que la guerre n’a rien d’inévitable, il souligne que « Les facteurs favorisant la guerre pèsent parfois si lourd que l’on peine à concevoir une autre issue. » [8]

    Il imagine alors différents scenarii conduisant à la guerre : accident en mer de Chine qui dégénère, guerre entre les deux Corées etc… et se met en scène pour proposer un chemin vers la paix.

    Tout cela est séduisant, mais faux, car reposant à la fois sur un problème de méthode, une analyse simpliste des causes des guerres étudiées, et enfin, une mauvaise interprétation de l’œuvre de Thucydide.

     

    Reprenons :

    Graham Allison étudie (je pense d’ailleurs, qu’il a fait étudier seize crises par des étudiants de Maîtrise ou de License – nous y reviendrons) seize « pièges de Thucydide » pour mesurer combien terminent en conflits ouverts. Les résultats sont synthétisés dans le tableau ci-dessous :[9]

     

    SIÈCLE PUISSANCE DOMINANTE PUISSANCE MONTANTE RÉSULTAT
    XV Portugal Espagne Pas de guerre
    XVI France Habsbourg Guerre
    XVII Habsbourg Empire Ottoman Guerre
    XVII Habsbourg Suède Guerre
    XVII Pays-Bas Angleterre Guerre
    XVIII France Angleterre Guerre
    XIX Angleterre France Guerre
    XIX Angleterre / France Russie Guerre
    XIX France Allemagne Guerre
    XX Chine Russie Japon Guerre
    XX Angleterre États-Unis Pas de guerre
    XX Angleterre / France Allemagne Guerre
    XX Angleterre / France / URSS Allemagne Guerre
    XX États-Unis Japon Guerre
    XX États-Unis URSS Pas de guerre
    XX Royaume-Uni France Pas de guerre

     

    Si la thèse se veut convaincante, en avançant que 75 % des crises correspondant « au piège de Thucydide » se terminent par une guerre, l’étroitesse de la base statistique suffit à la discréditer celle-ci. 16 conflits, sur les milliers de conflits que le monde a connus, depuis que le monde est monde, avec 87 % des exemples choisis en Occident, et sur cinq siècles seulement, ce n’est vraiment pas très sérieux.

    Deuxièmement, la base statistique étant trop étroite, une crise de plus ou de moins, se terminant ou non en conflit et le chiffre magique de 75 % change très vite ; s’aggravant ou perdant toute signification. Passons les études à 20, suivant que l’on en choisi de 1 à 4 se terminant par un compromis, la thèse de Graham Allison, s’effondre progressivement de 75, à 60 %, ce qui est nettement moins convaincant…

    Troisièmement, on peut quand même s’interroger sur la répartition géographique des cas étudiés. Deux cas en Asie, pas un cas en Afrique ou au Moyen Orient. C’est gens-là ne se sont jamais fait la guerre ? Franchement tout cela serait beaucoup plus sérieux, si Graham Allison avait pris 50 cas, répartis sur 2000 ans, et sur les cinq continents.

    De plus, si vous prenez la peine de lire les cas d’études, vous serez consternés par les exemples choisis : le dernier par exemple, qui met en scène une crise entre l’Angleterre et l’Allemagne dans les années 1990 pour la domination continentale en Europe ? De qui se moque-t-on ?

    Ou encore, le douzième, celui de la guerre 14-18 qui se résumerait à un affrontement entre une puissance dominante / déclinante l’Angleterre et une puissance montante l’Allemagne. Les deux livres de Christopher Clarck : Les somnambules et de Margaret MacMillan : Vers la grande guerre publiée en 2014 ont largement montrés que les causes de la guerre civile européenne étaient bien plus complexes qu’une simple rivalité entre puissances établies ou déclinantes

    Ils démontrent aussi et surtout, que rien n’était écrit à l’avance et que la paix, était et est restée très longtemps une option possible et crédible.

    Non, les seize cas étudiés par Allison donnent surtout l’impression d’être un empilage de devoirs d’étudiants en Licence (Bachelor of Arts) ou Maîtrise (Master of Arts) et quand on connait l’effondrement du niveau scolaire et universitaire américain, du fait de l’offensive « Woke » / illuminée, on ne saurait être surpris par la pauvreté du résultat.[10]

    Sens de l’histoire contre volonté des hommes

    Enfin, il convient de rester très prudent avec le concept du piège de Thucydide tel que présenté par Graham Allison.

    En effet, si Thucydide indique bien que la cause vraie de la guerre entre Sparte et ses alliés, et Athènes et ses alliés-vassaux, et la peur que Sparte eu de la montée en puissance d’Athènes, la cause profonde démontrée dans tous les discours qui illustrent le narratif « thucydidien », et dans toutes les études érudites qui en ont été faites, est le refus par Sparte de subir le changement de régime qu’une domination, pire une défaite, face à Athènes, aurait entrainé.[11] Pour la communauté dorienne qui dominait Sparte, le risque d’hégémonie athénienne sur le monde grec, revenait à accepter l’établissement d’un régime « démocratique », dans l’ensemble des Cités du Péloponnèse, et partant, à Sparte. Pour la minorité dorienne de Laconie, c’était un risque existentiel. Et c’est bien contre ce risque qu’ils sont entrés en guerre. [12]

    Bien plus qu’une compétition pour une domination régionale ou mondiale tel que présenté par Graham Allison, c’est le risque de « regime change » comme l’on dirait aujourd’hui, qui entraine -en grande partie- les conflits entre nations. C’est quand une nation, un régime, se sent menacé dans son existence même, qu’il entre en guerre.

    Soyons donc clair, il n’y a pas de piège de Thucydide. Il n’y a aucun déterminisme qui ferait que deux nations doivent obligatoirement se combattre. Comme le dit très bien Anne Cheng dans ses cours sur la Chine au Collège de France, et les dieux savent qu’elle n’est vraiment une amie du pouvoir chinois actuel, parler du piège de Thucydide, c’est mettre immanquablement la Chine et les États-Unis dans une posture de confrontation.

    Comme le disait Jean-Marie Bastien Thiry lors de son procès : « Il n’y a pas de sens de l’histoire, […] car ce qui fait l’histoire, c’est la volonté des hommes, c’est l’intelligence des hommes, ce sont leur passions bonnes ou mauvaises. » et je rajouterai : c’est le courage des hommes !

    Je rajouterai aussi, la volonté des hommes, mise au service d’une vision et d’une stratégie. Mais aujourd’hui, en Europe et en France, c’est le vide sidéral. Ce que je vous démontrerai dans un prochain article sur la consternante « boussole stratégique européenne ».

    Frédéric Eparvier (Polémia, 16 mars 2023)

     

    Notes :

    [1] ALLISON, Graham. Vers la guerre. L’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide. Odile Jacob, 2019.
    [2] ALLISON, Graham. The Essence of Decision. 1976.
    [3] E.g., mes cours avec Robert JERVIS ou Zbigniew BRZEZINSKI à Columbia University.
    [4] L’ouvrage de Thucydide couvre les années 431 à 411. La suite de la guerre est décrite dans Les Helléniques de Xénophon.
    [5] Sur ce sujet on lira avec intérêt : DE ROMILLY, Jacqueline. Histoire et raison chez Thucydide. Les Belles Lettres. 2018.
    [6] THUCYDIDE. Histoire de la guerre du Péloponnèse. Collection Bouquins. 1990. P.184.
    [7] ALLISON, Op. cit. p. 15
    [8] Allison, Graham. Ibid, p. 68
    [9] Op. cit. 66-67
    [10] A ce sujet, on regardera les vidéos de Victor Davis Hanson sur Youtube, et particulièrement son dialogue avec Jordan Peterson : « The downfall of the Ivy League » : « La chute des universités aristocratiques de la cote Est » : Harvard, Princeton, Yale, Columbia, Brown, Cornell, Dartmouth, Pensilvania. En anglais.
    [11] N’oublions pas qu’au début de la guerre du Péloponnèse, il y avait 60 000 citoyens à Athènes, et moins de 9 000 à Sparte. Athènes était plus puissante que Sparte.
    [12] KAGAN, Donald. Nouvelle histoire de la guerre du Péloponnèse I et II. Les belles lettres. 2019 et 2021.

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  • La Guerre Sainte des démocraties face au choc des réalités...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre de Lauzun cueilli sur Geopragma et consacré à l'échec du discours idéologique porté par le camp occidental dans l'affrontement avec la Russie. Membre fondateur de Geopragma, Pierre de Lauzun a fait carrière dans la banque et la finance.

     

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    La Guerre Sainte des démocraties, face au choc des réalités

    A propos de la guerre d’Ukraine, la question d’un grand affrontement entre démocraties et régimes autoritaires a été soulevée. Beaucoup en sont convaincus dans ce qu’on appelle un peu rapidement l’Occident. La réalité est autrement plus nuancée.

    On le voit déjà au niveau planétaire : si une majorité nette de pays a condamné l’invasion russe de l’Ukraine, seuls les Occidentaux ont décidé des sanctions. Entre les deux lectures possibles ‘occidentales’ du conflit ukrainien (agression contre un Etat, ou lutte du bien et du mal), la première se révèle bien plus féconde internationalement. La grande majorité des pays hors ‘Occident’, démocraties comprises, ne se sent pas impliquée par une idée de grande croisade contre des forces antidémocratiques. D’autant qu’ils ne se sentent pas menacés par la Russie. La situation est sur ce point nettement différente de celle de l’URSS, qui avait un programme idéologique et pouvait s’appuyer sur des forces locales plus ou moins classées comme révolutionnaires, de sorte qu’à côté de la menace militaire éventuelle, limitée à certaines zones, on craignait une menace idéologique bien plus large.

    Ce qui veut dire concrètement que la prétention des Occidentaux à représenter un camp qui serait celui de la démocratie est de fait contestée. Bien des pays considèrent d’ailleurs à tort ou à raison que la menace d’une intervention occidentale, notamment américaine, idéologique ou à prétexte idéologique, est pour eux plus sérieuse que la menace des autres, et en tout cas plus étayée par l’expérience. On peut ajouter que la définition même du camp des démocraties n’est pas vraiment évidente. Comme chacun sait, dans le camp dit occidental de nombreux régimes non-démocratiques ont trouvé et trouvent tranquillement place.

    Du côté des Etats classés autoritaires (Chine, Russie, Iran et autres) la situation est loin d’être simple ou uniforme. Partout il y a une ligne officielle, plus ou moins idéologique, et à forte composante nationaliste. Mais c’est à usage interne, et de façon très différenciée. Si la Chine présente à l’évidence une situation spécifique, en cela que l’idéologie marxiste y est supposée rester une référence interne majeure, et qu’un parti communiste y est parti unique, ce n’est pas un produit d’exportation, au moins actuellement et à vue humaine. De même a fortiori pour la Corée du Nord. Quant à la Russie actuelle, le régime, de fait de plus en plus autoritaire, ne met pas en avant de modèle politique original pouvant servir d’exemple, en dehors du simple fait de ce caractère autoritaire. Corrélativement, ce pays ne se signale pas par une grande originalité idéologique. Certes il se présente comme divergeant du monde occidental sur plusieurs sujets, comme les questions de société et de mœurs, mais cela ne constitue pas une alternative politique. On ne se rapproche d’une forme d’idéologie prosélyte qu’avec l’Iran, mais ce n’est qu’un cas parmi d’autres dans le monde musulman ; et la dimension iranienne d’un côté, chiite de l’autre, apparaît très largement prépondérante dans son action extérieure.

    Il apparaît donc en définitive que du point de vue des idées et du régime le rapprochement entre Russie, Chine et Iran est passablement circonstanciel, et largement dû à l’existence d’un adversaire commun, occidental. On ne saurait discerner de véritable impérialisme idéologique de leur côté.

    Cela ne les classe évidemment pas comme des petits saints. Il y a chez les uns ou les autres une propension évidente au débordement de puissance, de sorte que dans leur opposition commune aux Occidentaux (en fait, aux Américains) le discernement entre cause et effet soit sujet à débat. Mais ne n’est pas l’effet d’un antagonisme idéologique irréductible, du moins vu de leur côté et de celui des tiers. La volonté de puissance est une chose, l’idéologie une autre. Inversement bien sûr, de trop grands succès de leur côté favoriseraient sans doute un modèle autoritaire de régime ici ou là, mais cela pourrait prendre des formes très variables, faute de modèle.

    Il est par ailleurs patent que la propension occidentale, ou plutôt américaine, à la recherche régulière de l’instauration de la démocratie par la force, est à la fois remarquable par son inefficacité et, à nouveau, une cause majeure de la crainte que cette manie instille non moins régulièrement un peu partout. Le monde arabe a été comme chacun sait le lieu le plus caricatural de la démonstration, le cas du malheureux Iraq étant ici emblématique. Cette démocratisation avait pourtant eu l’air d’opérer après 1945 en Allemagne et au Japon, mais c’était après une guerre à mort radicale, et dans une mesure importante dans les deux pays on renouait avec des situations antérieures à leur dérive agressive. Et en tout cas cet interventionnisme ne fonctionne pas ailleurs. D’autant moins que, comme on l’a dit, dans la perception générale hors Occident la volonté de puissance du supposé libérateur l’emporte sur les motivations démocratisantes affichées. En bref, l’affichage démocratique est ruiné par son identification de fait avec ce qui est perçu à tort ou à raison comme un impérialisme. C’est manifeste notamment en Afrique ou au Moyen Orient, ou sous une forme plus modérée en Amérique latine. Et même là où la dimension stratégique peut favoriser l’identification au camp occidental, voire à la démocratie, celle-ci n’est pas vécue comme une copie impliquant la solidarité – ainsi en Asie du Sud et du Sud-Est.

    Est-ce à dire qu’il n’y ait pas en la matière de soft power ? Ou que les thèmes idéologiques soit sans effet ? Evidemment non. Il est évident que le thème de la démocratie ou plus encore celui de la liberté ont une audience et une résonance, éventuellement fortes. Mais sur ce plan le facteur essentiel reste les évolutions politiques internes, qui peuvent bien sûr être facilitées par une action de rayonnement si elle est appropriée. A condition de ne pas insister sur des facteurs répulsifs comme l’idéologie woke, et cette manie de vouloir imposer une vision des mœurs qui répugne à la plupart des cultures.

    On peut noter par ailleurs qu’en matière économique, notamment de commerce international, une attitude apparemment inverse a prévalu côté occidental. Mais elle était en réalité tout aussi idéologique, et non moins contestable. Toujours par idéologie, on a en effet poussé activement à une ouverture maximale des frontières douanières et autres, et à l’entrée de la Chine puis de la Russie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), sans aucune réflexion sur la dimension pourtant évidemment stratégique d’un tel commerce, et sur le besoin de se protéger de ces partenaires qu’on vilipendait par ailleurs. Car on croyait avec une naïveté confondante que le « doux commerce » allait déboucher sur la paix, et surtout, dans les pays concernés, sur la démocratie. Le résultat de cette illusion a été de donner à la Chine le moyen d’un formidable bond en avant qui en a fait l’usine de la planète et un compétiteur stratégique de premier plan.

    La mythologie de la supposée croisade des démocraties contre les forces du mal, et le mélange des genres entre relations de puissance et idéologie, sont donc en résumé contre-productives de façon générale, et cela du point de vue même de ses promoteurs. Certes, au niveau international, la dimension idéologique n’a pas disparu, mais à l’époque actuelle ce qui domine est le polycentrisme des puissances, le développement de chacun dans sa logique propre. Face à cette réalité, on ne peut qu’être frappé par le contraste avec le rôle subsistant de l’idéologie dans la vie politique dans ce qu’on appelle Occident. Y compris d’ailleurs au niveau interne, que ce soit par son utilisation croissante par la construction européenne au détriment des réalités nationales, ou par son rôle ravageur dans le déchirement interne américain. Mais en tout cas, sous sa forme conquérante et agressive ce n’est pas un très bon article d’exportation.

    Conséquemment, dans le cas de la guerre d’Ukraine le déterminant principal pour l’attitude à tenir n’est pas la nature des régimes (ce qui n’empêche pas d’avoir une opinion critique sur eux et leurs comportement, et de l’exprimer), mais la dimension internationale, qu’il s’agisse de considérations de droit, d’évaluation des rapports de forces réels ou espérés, ou de la paix possible.

    Pierre de Lauzun (Geopragma, 16 mars 2023)

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  • L'union des droites est-elle un leurre ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Rodolphe Cart, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à la question de l'union des droites...

     

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    Pourquoi l’union des droites est un leurre

    Depuis des décennies, la fausse alternance gauche-droite est la base du spectacle politique français. Cette illusion ne cache-t-elle pas la réalité d’un clivage plus profond qu’est l’opposition verticale entre le peuple et les élites ? La dernière livraison de L’Incorrect réunissait pour un entretien les trois représentants « jeunes » des principaux partis politiques de droite avec Guilhem Carayon (LR), Stanislas Rigault (Reconquête !) et Pierre-Romain Thionnet (RN). À cette occasion, le magazine déclarait que cette jeunesse avait le désir de « couper le cordon ». Depuis cet échange, beaucoup de commentateurs ont évoqué une possible « union » pour ces jeunes n’ayant pas les scrupules de leurs prédécesseurs. Ce futur accord des partis de droite est-il souhaitable ?

    Après les victoires de coalitions en Suède et en Italie, le concept d’union des droites est revenu sur le devant de la scène. Selon un sondage Odoxa-Backbone Consultingk de septembre 2022, 68 % des sympathisants du RN et 93 % des électeurs de Reconquête étaient favorables à une coalition LR-RN-Reconquête. En revanche, si 57 % des sympathisants de la droite de gouvernement étaient favorables à s’allier avec le RN en 2019, ils étaient dorénavant une majorité à rejeter une telle perspective. Aussi, 89 % des sympathisants Renaissance favorables à une alliance la situaient avec LR, et, réciproquement, 51 % des sympathisants LR favorables à une alliance l’imaginent avec Renaissance.

    Ces chiffres annonçaient déjà ceux de la réforme des retraites. Selon un sondage Cluster17 pour Le Point, il n’y a que les électeurs d’Emmanuel Macron (7 sur 10) qui soutiennent majoritairement ce projet de réforme, les sympathisants LR (5,8) ainsi qu’une partie des électeurs de Zemmour (4). Ensuite on tombe à 2,5/10 pour les électeurs du RN, à 1,5 pour ceux de Roussel, et à peine à 0,9 pour les mélenchonistes. L’entretien de L’Incorrect confirme ce positionnement puisque Stanislas Rigault souscrit à « 99,9% » à la lecture de Guilhem Carayon et des LR. Contre l’avis des deux autres, Pierre-Romain Thionnet suit la ligne de son parti et s’oppose à cette réforme.

    Sortir de l’« arc républicain »

    Si les trois affirment défendre la « question civilisationnelle », Pierre-Romain Thionnet assure que son « adversaire politique » est le macronisme. Aussi, il dit quelque chose d’intéressant quand il déclare qu’ils appartiennent tous au « même camp ». Ce que corrobore Guilhem Carayon, qui ajoute que « l’avantage de notre génération de droite est que l’on se connaît tous ». Ce faisant, tous mettent involontairement le doigt sur les défauts majeurs de la droite française : elle est – ou est perçue (c’est l’important), quand bien même elle ne l’est pas – comme urbaine, endogame et soumise de fait à l’« arc républicain ».

    Depuis son arrivée massive à l’Assemblée nationale, les tentatives du RN pour devenir un parti comme les autres échouent les unes après les autres. La porte reste fermée pour le RN qui essuie refus sur refus de la part de ces « alliés présumés naturels » que sont les LR. Alors que le RN joue le jeu en votant des textes dont l’importance dépasse les simples clivages politiques, la NUPES, quant à elle, s’abstient toujours dès qu’il s’agit d’un texte ou proposition de loi provenant de l’autre côté de l’hémicycle. Tout ce beau monde s’abrite derrière l’argument de l’« arc républicain ». « Le regroupement du centre et des modérés face aux extrêmes, c’est exactement l’idée de la “Troisième force” sous la IVe République », rappelle Mathias Bernard. Et gare à ceux qui franchiraient le Rubicon comme Charles Millon en 1998 à la présidence de la région Rhône-Alpes, puisque ce dernier, en acceptant les voix du FN, était devenu un pestiféré – et cela même pour la droite « républicaine ».

    Le bloc bourgeois ennemi du camp national

    Une partie du peuple en a marre de ce spectacle d’un monde politique qui simule une opposition fictive et « frivole » (Michel Clouscard). Les deux sondages précédents confirment que le clivage horizontal n’aura servi qu’à masquer une opposition entre deux blocs sociaux (les blocs élitaire et populaire). Pendant que les godillots de l’« alternance unique » (Jean-Claude Michéa) simulaient de se battre sur des sujets sociétaux comme l’islam, la PMA ou le mariage des homosexuels, le parti de l’extrême centre (de EELV aux LR) en a toujours profité pour mener son agenda antinational de destruction de l’industrie par l’Union européenne et du remplacement du peuple par l’immigration.

    L’union des droites fait encore partie de ses manigances censées faire croire au peuple qu’il reste une solution par la voie légale, démocratique, élective. Elle serait là pour représenter un spectacle gauche-droite auquel les Français croient de moins en moins. En réalité, une guerre civile « larvée », dont les Gilets jaunes ne furent qu’un soubresaut, continue de grossir. Ce conflit entre les deux blocs rejouera bientôt ces luttes anciennes du sacerdoce et de l’Empire, des gallicans et des ultramontains, des adeptes de l’Ancien régime et de la Révolution.

    Bien que séparés en apparence, l’éternel marais – autre nom du centrisme français – représente cette classe dominante et antipatriotique aux manettes. La guerre civile qui vient opposera les partisans du temple de la République contre ceux de la maison France. Maintenant que la supercherie du clivage droite-gauche est de plus en plus visible, la seule chance du bloc élitaire réside dans la fusion de ces forces dont Macron fut l’exemple parfait avec la réunion des deux bourgeoisies. Ce parti de l’Ordre est la partie organique de la classe dominante actuellement au pouvoir, et que les bourgeois conservateurs (LR et une partie de Reconquête !) ne quitteront jamais par intérêts sociaux.

    Notre époque ressemble à celle de la révolution de 1848. Si le régime de l’époque assurait la domination de la bourgeoisie, c’est surtout la haute bourgeoisie financière qui dominait la petite bourgeoisie productive – ce qui poussa la Garde nationale à fraterniser avec les classes populaires en février 1848. Comme aujourd’hui, cette nouvelle droite bourgeoise – pas celle issue de l’Ancien Régime et du pouvoir foncier – est hostile au peuple du travail. Si la chute de Louis-Philippe marqua la fin de la dynastie capétienne, la fin de Macron (ou de son successeur) annoncera la fin de la dynastie bourgeoise en France. Et comme la révolution de 1848 sonna le déclenchement du Printemps des peuples en Europe, on peut espérer que la révolte de la nation française entraînera un mouvement de fond pour le Vieux Continent.  

    L’extrême centre contre l’union des extrêmes

    Jusqu’en 1914, la République a été incapable de réconcilier la gauche et la droite, et ce fut seulement au moment de la Première Guerre mondiale, grâce à l’Union sacrée, qu’elle put revendiquer une certaine légitimité. Ce n’est donc pas 1789 qui fonde la République, mais bien seulement la Victoire de 1918, mais qui n’a jamais répondu aux questions politiques que soulevait la Révolution. Si la Révolution se fit au nom de valeurs universelles dont se revendique la gauche, ce sont bien des valeurs locales (celles de la droite) comme le nationalisme qui ont sauvé la France. Si la République est légale, elle aussi est illégitime.

    Le pacte qui liait les Français au régime de la Ve République est rompu. La lente soumission du gouvernement et du Parlement au président de la République, la sécession des élites françaises, puis l’ascendant pris par l’UE (juges communautaires, Banque centrale européenne, droit européen) ont peu à peu éloigné le peuple de la République. Or, le fond du débat repose sur cette distinction de la légitimité et de la légalité. Depuis le général de Gaulle, la République ne réussit plus à conserver l’ordre symbolique qui pouvait la rendre légitime. Sous parapluie européen, les élites françaises continuent la destruction de la France : vente à la découpe des fleurons publics, avènement du tout-tertiaire, libéralisation des échanges et immigration de masse.

    La République, et avec elle sa classe dirigeante, a rompu le contrat social qui la liait au peuple à la suite de la Révolution. Depuis 50 ans, le peuple français se bat pour conserver ce pacte concret et qui avait le mérite d’exister, mais le bloc élitaire fait tout pour accéder à une autre réalité universelle et virtuelle (européisme, dissolution des frontières et libéralisme). Comme le rappelle l’historien Fabrice Bouthillon, le seul moyen pour gouverner un pays si fracturé est le gouvernement au « centre ». En France, il y a deux centrismes : l’extrême centre par rejet des extrêmes (ni gauche ni droite) ou l’union des extrêmes par addition des extrêmes (de gauche et de droite). Et ce sont ces couples qui déterminent depuis plus de deux siècles la politique française : Thermidor et le Directoire, l’orléanisme et le bonapartisme, le radicalisme et le boulangisme, l’européisme et le gaullisme, le macronisme et le souverainisme.

    Faire l’union des droites, c’est faire sien un état d’esprit plus qu’un programme. C’est prendre la défense de l’ordre établi et participer à ce carnaval gauche-droite dont raffolent les véritables possesseurs de la richesse et du pouvoir. Au contraire de l’union des extrêmes qui doit tenir compte des deux bords – on se souvient de la politique gaulliste –, l’extrême centre n’a besoin que de lui-même. Or, c’est une stratégie de rupture et non de réforme qu’il faut à la France. Il faut trancher ce nœud gordien et mépriser l’« arc républicain », car comme disait Groucho Marx : « Jamais je ne voudrais faire partie d’un club qui accepterait de m’avoir pour membre. »

    Rodolphe Cart (Site de la revue Éléments, 10 mars 2023)

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  • Derrière la Guerre...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré au monde de l'Inde...

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste localiste intitulé Chez nous ! - Pour en finir avec une économie totalitaire (La Nouvelle Librairie, 2022).

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    Derrière la Guerre

    Pendant que les nouvelles du front occupent l’attention, le monde bouge. Son mouvement s’accélère, à la faveur d’une guerre qui a pour sérieuse conséquence de rendre les Nations européennes aveugles à ses enjeux. Qu’ils soient régionaux, continentaux, ou mondiaux, ces enjeux sont pourtant d’une immense importance. D’abord, parce qu’ils déjouent bien des vérités acquises et des principes établis. Ensuite, parce qu’ils réécrivent la carte des puissances, que ce soit au niveau régional, en Europe, au niveau continental, en Eurasie, ou dans le monde, entre aires de civilisation. Enfin, et surtout, parce qu’ils font éclater des vérités cachées depuis la fondation du monde — de ce monde qui est né en 1944, et qui s’achève sous nos yeux grands fermés.

    La Pologne, la Lithuanie, l’Estonie, la Lettonie, ont-elles pris le pouvoir au sein de l’Union européenne ? 

    La rhétorique anti-russe de rigueur, comme l’engagement illimité derrière l’Ukraine, comme les prises de parole imposées, facilite un déplacement majeur du pouvoir et de l’influence en Europe. Tout se passe comme si l’Allemagne et la France avaient perdu cette capacité d’entraînement qui a permis à leur accord de diriger l’Union — et de la maintenir en vie. Tout se passe comme si la fin du pari allemand — unir sa technique et ses capitaux aux ressources de la Russie pour bâtir une puissance continentale mondiale à l’abri du parapluie américain — laissait la première puissance européenne désemparée, sans plan de rechange et sans projet national — subir l’occupation américaine n’y suffit pas. Et comment reconnaître une ambition ou un projet dans les errements de la France ? En quelques mois, voilà son Président passé d’une posture de recherche d’autonomie stratégique sans les moyens de celle-ci, et d’abord l’indépendance financière, et d’abord un modèle national-européen de réindustrialisation, de maîtrise des mouvements de capitaux et de protectionnisme éclairé, à un alignement sur la stratégie anglo-américaine dont l’histoire dira si elle est de conviction, d’opportunité ou d’obligation…

    L’obsession britannique de toujours — bloquer l’accès de la Russie aux mers chaudes, interdire toute alliance continentale qui menacerait la supériorité maritime et le commerce anglais — s’accorde avec l’intérêt américain — désigner un ennemi, mobiliser contre l’ennemi et défaire l’ennemi pour oublier le désordre intérieur… rien de nouveau. Et rien de nouveau non plus dans une tactique éprouvée qui consiste à faire faire les guerres par les autres, à laisser les autres s’épuiser sous les encouragements, pour mieux partager la victoire sans avoir combattu, relever les ruines et dominer vainqueurs et vaincus également ruinés.

    À cet égard, l’affrontement entre la Russie et la Grande-Bretagne reproduit un agenda historique bien connu. Comme toujours il ne manque pas de Nations européennes assez naïves ou assez confuses pour servir la logique britannique. Comme toujours, la Pologne s’empresse de se donner une importance que la suite dramatique de ses échecs historiques ne lui donne pas. Le très intéressant papier de M. Potocki (publié dans Le Figaro, 25 février 2023), proposant à la France une alliance stratégique, révèle une ambition inédite — ou une prétention injustifiée. Et comme toujours, il ne manque pas de bons apôtres pour expliquer que cette fois, c’est différent — en oubliant l’histoire, et les morts. Il est plus nouveau que l’Allemagne et la France soient les deux grandes perdantes d’un jeu dont elles n’ont pas pris la mesure — parler d’indépendance sans en avoir les moyens n’est pas un crime, mais c’est une faute que la France paie, comme elle avait payé son refus justifié de participer à l’invasion de l’Irak. L’Empire punit ses tributaires insolents.

    Reclassement du monde

    Pas de semaine, de jour même, où le reclassement du monde ne fasse entendre son fracas aux oreilles attentives. Un jour, de grandes manœuvres maritimes réunissent en Afrique du Sud la Chine, la Russie, et l’Afrique du Sud — avec essai annoncé d’un missile hypersonique sans concurrent ni parade connus. Un jour, l’Iran est admis dans les Brics, et le surlendemain, c’est l’Arabie Saoudite qui demande à adhérer à l’Organisation de Shanghai. Un jour, c’est le Bangladesh qui est célébré comme l’économie connaissant la plus forte croissance au monde, et annoncé comme plate-forme de services et de production incontournable dans la décennie qui vient — capitale de 25 millions d’habitants qui ne menace personne, Dacca deviendrait-elle capitale de l’Indo-Asie sans que nul ne l’ait vue venir ?

    Encore un pays où le dividende démographique, mis en valeur par une politique volontariste de formation des jeunes, joue et va jouer à plein… Un jour, la Chine annonce l’émission d’obligations d’État, en renminbi, à des conditions qui devraient attirer les capitaux de toute l’Asie hors des T-bonds américains, après que la Russie et l’Iran aient annoncé mettre en œuvre un système interbancaire de paiements hors SWIFT qui suscite un intérêt régional marqué. Un jour encore, le Mexique confirme son refus de s’associer aux sanctions contre la Russie, rejoignant ainsi les grands pays d’Amérique du Sud. Et le lendemain, se dévoile une nouvelle organisation des Routes de la Soie, qui ouvre un corridor de communication partant de Khashgar, au Sing Kiang, pour déboucher à la fois par le CPEC sur le port de Gwadar au Pakistan, et sur le port de Chababar, en Iran, à 80 km de là — deux ports en eau profonde, ouverts sur l’Océan Indien et le golfe Persique, deux ports connectés à la Russie et à l’Asie centrale aussi bien qu’à la Chine, au cœur de cette zone qui, des Émirats et de l’Iran à l’Inde, avec la Chine et la Russie en arrière-cour, devient l’un des centres du monde. Le 20 février, le Ministère chinois des affaires étrangères a publié un document historique sur lequel nous reviendrons — « US hegemony and its perils ». Et le G20 de Bangalore a échoué dans sa prétention à « weaponizer » la politique économique — de quoi se mêlent-ils ?  

    Bien sûr, le nouveau Président du Brésil, Lula, se révèle collaborateur dévoué des États-Unis, comme ses confrères socialistes et verts européens. Bien sûr, les populations de l’Est européen, y compris en Moldavie, y compris en Biélorussie, et bien sûr dans la majeure partie de l’Ukraine, regardent vers l’Ouest comme vers un conte de fées — et non sans raisons ni sans illusions. Bien sûr, le soft power américain demeure, voire se nourrit d’un conflit qui envoie chacun à son intime conviction — non pas ; qui souhaite vraiment être gouverné par Moscou, ou Pékin ? Mais ; qui veut vraiment se gouverner soi-même, et en payer le prix ? Dans la poussière de faits, de traités, d’alliances stratégiques et de circonstance, une réalité devrait alerter l’Europe. Le monde s’organise pour ne plus subir la loi des intérêts stratégiques, financiers et écologiques des pays du Nord. Entendre les ONG faire la leçon à la Chine, comme j’ai dû le subir la semaine dernière, n’est plus seulement ridicule. C’est dangereux. Ils ne savent pas ce qu’ils font.

    Lire tout cela en fonction des seuls intérêts des parties en présence serait sacrifié à cet économisme qui fait tant de ravages.

    Car bien plus que de l’argent est en cause. Des économistes indiens ont chiffré, paraît-il, à 45 000 milliards de dollars les coûts de la colonisation britannique. La Grande-Bretagne, responsable entre autres des millions de morts et personnes déplacées lors de la partition de l’Inde, mesure-t-elle l’arrogance qui lui fait accuser dans un reportage de la BBC Narendra Modi de ne pas avoir protégé les musulmans de l’État qu’il dirigeait, le Gujarat, voici vingt ans ? Les Bangladeshis n’oublient pas que leur industrie textile florissante a été brutalement détruite par une colonisation qui en a fait un atelier à bas prix, bas salaire et sous-développement, comme elle a détruit le luxe indien, le premier au monde avec celui de la Chine. Le Pakistan, par sa ministre de la lutte contre le changement climatique, nous disait en novembre ce que tous là-bas savent ; avec 0 ; 2 % des émissions mondiales de CO2, le Pakistan est victime du développement inconsidéré que l’Occident a imposé au reste du monde, pour l’intérêt de la ploutocratie qui le dirige. Qui a parlé du commerce anglais comme crime contre l’humanité ? 

    Nous ne referons pas l’histoire. Mais il nous coûtera cher de l’avoir oubliée. Car eux ne l’ont pas oublié, ni les Palais pillés, ni les trésors volés au profit du British Museum — quand leurs voleurs rendront ils les frises du Parthénon ? —, ni les populations appauvries, dépossédées, réduites au sous-développement. Ils l’oublient d’autant moins que les États-Unis, la Grande-Bretagne, et la France hélas, continuent de se poser en donneurs de leçons, continuent de se comporter en maîtres du monde, continuent d’adopter des postures naturelles aux géants violents et géniaux qui ont assuré leur fortune, de Cécil Rhodes à Théodore Roosevelt, sans en avoir ni le génie, ni la force. Les États-Unis et leurs collaborateurs sont près de se trouver bien seuls. Seuls, face à un monde qui les supporte de moins en moins, qui assiste avec un mélange d’amusement et de dégoût à la décadence de l’Amérique Woke, et qui est décidé à ne plus écouter ses leçons, sa morale à sens unique et les beaux principes qu’elle trahit si bien.

    La guerre livrée contre la Russie en Ukraine est-elle le moment de ce renversement du monde qui s’est joué lors du traitement inique de la crise de 2007-2008 par les autorités américaines qui ont fait payer au monde les turpitudes de la tribu financière qui les gouverne ? Semaine après semaine, les enjeux montent, et aussi les risques. Seules face à l’Asie, face à l’Afrique, seuls même face à une Amérique du Sud qui sait ce qu’elle a payé pour la doctrine Monroe, et qui attend moins de la Chine sa liberté qu’un contrepoids face à l’étouffement américain, les Nations que les États-Unis croient leurs alliés, et qui leur sont seulement soumises, doivent se livrer à un salutaire exercice pour distinguer l’ennemi principal, les adversaires et les concurrents.

    La désinformation qui sévit ne les aide pas à y voir clair, par exemple sur la pauvreté que subit la population russe aux mains des oligarques milliardaires qui forment l’entourage du Président Poutine, comme celui du Président Zelensky, et qui se ressemblent au point de suggérer que cette guerre est aussi un affrontement d’intérêts privés. Derrière la scène, les mêmes se réjouissent qui gagnent à la victoire comme à la défaite – et font se battre les autres.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 10 mars 2023)

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