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Points de vue - Page 398

  • L'essor du séparatisme culturel...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du géographe Christophe Guilluy, publié dans le quotidien Le Monde à la suite de la parution du rapport de l'Institut Montaigne sur les banlieux. Christophe Guilluy est l'auteur d'un essai percutant intitulé Fractures françaises (Bourin, 2010)  et consacré  à la crise profonde du "vivre ensemble" dans la France d'aujourd'hui.

     

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    La fable de la mixité culturelle

    Plus que son contenu, c'est d'abord la surmédiatisation du rapport de l'Institut Montaigne qui est frappante. Le constat, celui d'une forme d'islamisation de certains territoires, n'est pas véritablement une découverte. On rappellera à ce titre que le rapport Obin de l'éducation nationale montrait déjà, en 2004, le débordement dans l'espace public des pratiques communautaires dans les établissements scolaires situés dans des communes à forte population musulmane.

    Rien de bien nouveau donc, le problème est en réalité sur la table depuis au moins dix ans. Cette question culturelle et identitaire est d'abord le fruit d'une dynamique démographique. La question de l'islam ne serait pas aussi présente si elle ne s'inscrivait pas dans un contexte démographique, celui de la croissance forte et récente du nombre des musulmans en France et en Europe.

    Rappelons ici que les communes ciblées par l'Institut Montaigne se caractérisent d'abord par une transformation démographique sans précédent. Entre 1968 et 2005, la part des jeunes d'origine étrangère (dont au moins un parent est né à l'étranger) est passée de 22 % à 76 % à Clichy-sous-bois et de 29 % à 55 % à Montfermeil. Ce basculement démographique est un point fondamental. Une majorité de ces jeunes est musulmane ou d'origine musulmane.

    La visibilité de l'islam et de ses pratiques est ainsi directement liée à l'importance de la dynamique démographique : flux migratoires et accroissement naturel. La question est d'autant plus sensible qu'elle s'inscrit dans un contexte démographique instable où les "minorités" peuvent devenir majoritaires et inversement. Sur certains territoires, les populations d'origine musulmane sont donc devenues majoritaires. C'est le cas à Clichy et Montfermeil. La passion qui entoure les débats sur l'islam est directement liée à la croissance du nombre de musulmans. La question du débordement des pratiques religieuses interroge l'ensemble des Français musulmans ou non.

    Au-delà, ce débat interroge aussi la question du multiculturalisme. Ainsi, si l'on remplaçait demain les 6 millions de musulmans par 6 millions de sikhs, les controverses sur le port du kirpan (comme cela a été le cas au Québec), poignard mais aussi symbole religieux pour la communauté sikh, se multiplieraient.

    L'importance des réactions suscitées par le rapport Kepel révèle en filigrane le malaise de la société française face au surgissement d'une société multiculturelle encore impensée. Il faut dire que, en la matière, nous nous sommes beaucoup menti. Convaincus de la supériorité du modèle républicain, en comparaison du modèle communautariste anglo-saxon, nous nous sommes longtemps bercés d'illusions sur la capacité de la République à poursuivre, comme c'était le cas par le passé, "l'assimilation républicaine".

    La réalité est que, depuis la fin des années 1970, ce modèle assimilationniste a été abandonné quand l'immigration a changé de nature en devenant familiale et extra-européenne (pour beaucoup originaire de pays musulmans). Alors que l'on continuait à s'enorgueillir du niveau des mariages mixtes, les pratiques d'évitement explosaient.

    Aujourd'hui, le séparatisme culturel est la norme. Il ne s'agit pas seulement d'un séparatisme social mais d'abord d'un séparatisme culturel. Pire, il frappe au coeur des classes populaires. Désormais, les classes populaires d'origine étrangère et d'origine française et d'immigration ancienne ne vivent plus sur les mêmes territoires. Les stratégies résidentielles ou scolaires concernent une majorité de Français, tous cherchent à ériger des frontières culturelles invisibles. Dans ce contexte, la fable des mariages mixtes ne convainc plus grand monde et ce d'autant plus que les chiffres les plus récents indiquent un renforcement de l'endogamie et singulièrement de l'homogamie religieuse.

    La promesse républicaine qui voulait que "l'autre", avec le temps, se fondît dans un même ensemble culturel, a vécu. Dans une société multiculturelle, "l'autre" reste "l'autre". Cela ne veut pas dire "l'ennemi" ou "l'étranger", cela signifie que sur un territoire donné l'environnement culturel des gens peut changer et que l'on peut devenir culturellement minoritaire. C'est ce constat, pour partie occulté, qui explique la montée des partis populistes dans l'ensemble des pays européens.

    Si le rapport Kepel est "dérangeant", c'est d'abord parce qu'il nous parle d'un malaise identitaire qui touche désormais une majorité de Français. A ce titre, il faut relever l'importance de cette question pour l'ensemble des classes populaires d'origine française ou étrangère. C'est dans ce contexte qu'il faut lire la montée de l'abstention et de la défiance pour les grands partis aussi bien en banlieue que dans les espaces périurbains, ruraux et industriels.

    Si un islam identitaire travaille les banlieues, l'adhésion pour les thèses frontistes d'une part majoritaire des classes populaires de la France périphérique souligne que la question sociale est désormais inséparable de la question culturelle.

    Christophe Guilluy (Le Monde, 14 octobre 2011)

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  • L'émergence des guerres criminelles...

    Nous reproduisons ici un article du criminologue Alain Bauer, cueilli sur le site du Nouvel Economiste et consacré à la montée en puissance des organisations criminelles dans le monde chaotique qui nous entoure.

     

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    L'émergence des guerres criminelles

    Longtemps on a vu le criminel comme un individu singulier, parfois épaulé par un petit groupe (une bande, un gang, un posse…) qui, au rythme d’une carrière plus ou moins spectaculaire, construisait une légende ou un mythe. Chefs de gang, meurtriers en série ou de masse ont ainsi construit leur image au rythme du développement des moyens de communication. Quel média pourrait survivre sans sa (ses) page(s) de faits divers ?

    Public, journalistes, et parfois policiers étaient eux- mêmes fascinés par ces “beaux voyous” et quelques road-movies plus ou moins imaginaires mais basés sur des faits réels, condensés dans le temps et dans l’espace.

    Depuis la reconnaissance, un peu forcée, par Edgar Hoover de l’existence de la Mafia aux Etats-Unis, après le “raid d’Apalachin” fin 1957, le crime organisé a trouvé sa place. Mais pendant longtemps, il n’était identifié que par des chefs de file de familles, ayant développé des “business models” marqués par des opérations criminelles classiques (racket, prostitution, trafics) largement sous-estimées. L’industrialisation financière du crime a connu sa première étape marquante dans les années 80 par le siphonage des caisses d’épargne américaines (160 milliards de dollars) puis des banques hypothécaires japonaises (plus de 800 milliards de dollars détournés). Les organisations criminelles russes ne rateront pas les opportunités de la privatisation des années 90 en détournant près de 100 milliards de dollars. Les Mexicains prendront immédiatement la suite en prélevant près de 120 milliards durant la crise “Tequila” en 1994/1995. Puis le crime organisé thailandais en 1997, les Argentins en 1998, avant le retour de la crise des subprimes en 2009 qui cette fois-ci atteindra la planète entière.

    Non seulement la mondialisation criminelle n’a pas attendu celle des Etats, mais elle les a atteints au cœur. De plus, considérant la faiblesse de certains Etats, les cartels criminels ont décidé de recréer des territoires qui ne sont plus limités à quelques jungles difficiles d’accès, comme ce fut le cas pour les FARC en Colombie ou du Triangle d’or birman.

    Ainsi, depuis quelques années, les conflits entre cartels mexicains au nord du pays se sont traduits par des massacres dont la quantification dépasse désormais le bilan des conflits afghans etirakiens réunis. Dans certaines villes mexicaines, de véritables armées, équipées et en uniforme, tentent de prendre le contrôle des localités dans des batailles rangées. C’est d’ailleurs irrégulièrement le cas lors de confrontations avec les garde-frontières américains confrontés à des véhicules blindés des cartels.

    Le 20 septembre dernier, l’un des cartels a ainsi “livré” en pleine ville de Boca del Rio une cargaison de 35 cadavres, la plupart torturés ou mutilés.

    A Karachi, une ville de 20 millions d’habitants, la guerre se poursuit au quotidien et dépasse largement les opérations commandées par des talibans contre l’Etat pakistanais ou les Occidentaux.
    La situation se dégrade au jour le jour au Guatémala, fief des Maras. La piraterie se développe à un rythme quasi exponentiel dans le golfe d’Aden et au large de la Somalie, gagnant des territoires maritimes de plus en plus étendus.

    Les autorités chinoises, souvent discrètes, ont ainsi annoncé publiquement avoir démantelé des triades fortement implantées et arrêté plusieurs milliers d’individus en raison de leurs activités criminelles.

    Les actions de la criminalité organisée sont devenues de véritables opérations militaires, disposant de moyens de plus en plus modernes et capables de se confronter aux forces étatiques les plus structurées, et pas seulement dans des Etats échoués.

    Il semble encore difficile à certains grands Etats d’admettre la réalité d’un monde chaotique qui se développe malgré eux. Les structures publiques rêvent encore d’un espace disparu où seules des superpuissances feraient régner un ordre supérieur, uniquement perturbé par quelques opérateurs criminels se contenant du tout-venant habituel. Il sera toujours temps de forger un concept médiatique pour traiter, après “l’hyperterrorisme”, de “l’hypercriminalité”. En attendant cette révélation tardive, le crime se développe. Il est devenu un acteur financier majeur. Il est en train de se construire un espace géopolitique impressionnant.

    Le rôle des criminologues ne se limite pas à celui de Pythie désespérée ou de Cassandre désabusée. Avec mes collègues Xavier Raufer ou François Haut, dans ces colonnes et ailleurs, notre rôle est d’informer et d’alerter, y compris en tentant de sortir du conformisme ambiant. Nous ne prévoyons ou n’anticipons rien qui n’aurait, sur cette question, déjà eu lieu. Rien de ce qu’un esprit honnête ne puisse constater par lui-même. Le temps stratégique s’accélère au rythme d’Internet. Comme l’enracinement criminel un peu partout sur la planète.
    Il serait temps de se rendre compte de la réalité. Au Mexique, au Pakistan, en Amérique centrale… Et ailleurs.

    Alain Bauer (Le nouvel Economiste, 30 septembre 2011)

    1. Voir notamment son excellent Quelles guerres après Oussama ben Laden, Plon 2011.

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  • Mort à crédit !...

    Le nouveau numéro d'Eléments est en kiosque. il est aussi disponible sur le site de la revue.  Vous pouvez lire ci-dessous l'éditorial de Robert de Herte, alias Alain de Benoist, consacré au système du crédit.

     

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    Mort à crédit

    Ezra Pound, au chant XLV de ses célèbres Cantos : « Par usura n’ont les hommes maison de pierre saine / blocs lisses finement taillés scellés pour que / la frise couvre leur surface / per usura / n’ont les hommes paradis peint au mur de leurs églises […] Par usura péché contre nature [with usura sin against nature] / sera ton pain de chiffes encore plus rance / sera ton pain aussi sec que papier / sans blé de la montagne farine pure / per usura la ligne s’épaissit / per usura n’est plus de claire démarcation / les hommes n’ont plus de site pour leurs demeures / et le tailleur est privé de sa pierre / le tisserand de son métier […] Les cadavres banquettent / au signal d’usura [Corpses are set to banquet / at behest of usura] ».

    Les excès du prêt à intérêt étaient condamnés à Rome, ainsi qu’en témoigne Caton selon qui, si l’on considère que les voleurs d’objets sacrés méritent une double peine, les usuriers en méritent une quadruple. Aristote, dans sa condamnation de la chrématistique, est plus radical encore. « L’art d’acquérir la richesse, écrit-il, est de deux espèces : l’une est sa forme mercantile et l’autre une dépendance de l’économie domestique ; cette dernière forme est nécessaire et louable, tandis que l’autre repose sur l’échéance et donne prise à de justes critiques, car elle n’a rien de naturel […] Dans ces conditions, ce qu’on déteste avec le plus de raison, c’est la pratique du prêt à intérêt parce que le gain qu’on en retire provient de la monnaie elle-même et ne répond plus à la fin qui a présidé à sa création. Car la monnaie a été inventée en vue de l’échange, tandis que l’intérêt multiplie la quantité de monnaie elle-même […] L’intérêt est une monnaie née d’une monnaie. Par conséquent, cette façon de gagner de l’argent est de toutes la plus contraire à la nature » (Politique).

    Le mot « intérêt » désigne le revenu de l’argent (foenus ou usura en latin, tókos en grec). Il se rapporte à la façon dont l’argent « fait des petits ». Dès le haut Moyen Age, l’Eglise reprend à son compte la distinction qu’avait faite le droit romain pour le prêt de biens mobiliers : il y a des choses qui se consument par l’usage et des choses qui ne se consument pas, qu’on appelle commodatum. Exiger un paiement pour le commodat est contraire au bien commun, car l’argent est un bien qui ne se consume pas. Le prêt à intérêt sera condamné par le concile de Nicée sur la base des « Ecritures » – bien que la Bible ne le condamne précisément pas ! Au XIIe siècle, l’Eglise reprend à son compte la condamnation aristotélicienne de la chrématistique. Thomas d’Aquin condamne également le prêt à intérêt, avec quelques réserves mineures, au motif que « le temps n’appartient qu’à Dieu ». L’islam, plus sévère encore, ne fait même pas de distinction entre l’intérêt et l’usure.

    La pratique du prêt à intérêt s’est pourtant développée progressivement, en liaison avec la montée de la classe bourgeoise et l’expansion des valeurs marchandes dont elle a fait l’instrument de son pouvoir. A partir du XVe siècle, les banques, les compagnies de commerce, puis les manufactures, peuvent rémunérer des fonds empruntés, sur dérogation du roi. Un tournant essentiel correspond à l’apparition du protestantisme, et plus précisément du calvinisme. Jean Calvin est le premier théologien à accepter la pratique du prêt à intérêt, qui se répand alors par le biais des réseaux bancaires. Avec la Révolution française, le prêt à intérêt devient entièrement libre, tandis que de nouvelles banques apparaissent en grand nombre, dotées de fonds considérables provenant surtout de la spéculation sur les biens nationaux. Le capitalisme prend alors son essor.

    A l’origine, l’usure désigne simplement l’intérêt, indépendamment de son taux. Aujourd’hui, on appelle « usure » l’intérêt d’un montant abusif attribué à un prêt. Mais l’usure est aussi le procédé qui permet d’emprisonner l’emprunteur dans une dette qu’il ne peut plus rembourser, et à s’emparer des biens qui lui appartiennent, mais qu’il a accepté de donner en garantie. C’est très exactement ce que nous voyons se passer aujourd’hui à l’échelle planétaire.

    Le crédit permet de consommer l’avenir dès le moment présent. Il repose sur l’utilisation d’une somme virtuelle que l’on actualise en lui attribuant un prix, l’intérêt. Sa généralisation fait perdre de vue le principe élémentaire selon lequel on doit limiter ses dépenses au niveau de ses ressources, car on ne peut perpétuellement vivre au-dessus de ses moyens. L’essor du capitalisme financier a favorisé cette pratique : certains jours, les marchés échangent l’équivalent de dix fois le PIB mondial, ce qui montre l’ampleur de la déconnection avec l’économie réelle. Lorsque le système de crédit devient une pièce centrale du dispositif du Capital, on rentre dans un cercle vicieux, l’arrêt du crédit risquant de se traduire par un effondrement généralisé du système bancaire. C’est en brandissant la menace d’un tel chaos que les banques ont réussi à se faire constamment aider des Etats.

    La généralisation de l’accession au crédit, qui implique celle du prêt à intérêt, a été l’un des outils privilégiés de l’expansion du capitalisme et de la mise en place de la société de consommation après la guerre. En s’endettant massivement, les ménages européens et américains ont incontestablement contribué, entre 1948 et 1973, à la prospérité de l’époque des « Trente Glorieuses ». Les choses ont changé lorsque le crédit hypothécaire a pris le dessus sur les autres formes de crédit. « Le mécanisme de recours à une hypothèque comme gage réel des emprunts représente infiniment plus, rappelle Jean-Luc Gréau, qu’une technique commode de garantie des sommes prêtées, car il bouleverse le cadre logique d’attribution, d’évaluation et de détention des crédits accordés […] Le risque mesuré cède la place à un pari que l’on prend sur la faculté que l’on aura, en cas de défaillance du débiteur, de faire jouer l’hypothèque et de saisir le bien pour le revendre à des conditions acceptables ». C’est cette manipulation d’hypothèques transformées en actifs financiers, jointe à la multiplication des défauts de paiement d’emprunteurs incapables de rembourser leurs dettes, qui a abouti à la crise de l’automne 2008. On voit l’opération se répéter aujourd’hui, aux dépens des Etats souverains, avec la crise de la dette publique.

    C’est donc bien au grand retour du système de l’usure que nous sommes en train d’assister. Ce que Keynes appelait un « régime de créanciers » correspond à la définition moderne de l’usure. Les procédés usuraires se retrouvent dans la manière dont les marchés financiers et les banques peuvent faire main basse sur les actifs réels des Etats endettés, en s’emparant de leurs avoirs au titre des intérêts d’une dette dont le principal constitue une montagne d’argent virtuel qui ne pourra jamais être remboursé. Actionnaires et créanciers sont les Shylock de notre temps.

    Mais il en est de l’endettement comme de la croissance matérielle : ni l’un ni l’autre ne peuvent se prolonger à l’infini. « L’Europe commise à la finance, écrit Frédéric Lordon, est sur le point de périr par la finance ». C’est ce que nous avons écrit nous-mêmes depuis longtemps : le système de l’argent périra par l’argent.

    Robert de HERTE (Eléments n°141, octobre-décembre 2011)

     

     

     

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  • Extension du domaine du halal...

    Nous reproduisons ci-dessous un article intéressant d'Emmanuel Lemieux, publié sur le site Les influences et consacré à l'enquête sur les banlieues réalisé par Gilles Kepel pour l'Institut Montaigne. Emmanuel Lemieux s'est fait connaître au début des années 2000 par un ouvrage bien documenté sur les milieux intellectuels, intitulé Pouvoir intellectuel - Les nouveaux réseaux (Denoël, 2003).

     

    Banlieue de la République , Clichy-sous-bois , Gilles Kepel , Halal , Institut Montaigne , Montfermeil

     

     

    Banlieues : extension du domaine du halal

    Une enquête de terrain, dirigée par le politologue Gilles Kepel, témoigne de l’influence de l’islam dans la vie quotidienne. L’Institut Montaigne appelle à une nouvelle attraction républicaine.

    Attention, pincettes. Rendue publique ce mardi 4 octobre 2011, "Banlieue de la république" est une étude commandée par l’Institut Montaigne et conduite par le politologue Gilles Kepel, avec la collaboration de Leyla Arslan et Sarah Zouheir. "Une enquête lourde, et longue d’une année et demi, qui a mobilisé cinq chercheurs et dégagé un budget conséquent à 100% financé par l’Institut", confirme Michaël Cheylan, directeur des affaires publiques du think tank libéral. Une enquête en profondeur également, menée à Clichy-sous-bois et à Montfermeil (Seine-Saint-Denis), qui s’est intéressée à l’ensemble des dimensions permettant de "faire société". Une centaine de personnes, régularisées ou non, ont été interviewées en français, mais aussi en arabe, en turc, en cambodgien, en anglais, en peul, en soninké, sur les questions du logement, de l’éducation, de l’emploi et de la sécurité, et de leurs rapports à la politique et à la religion. L’auteur des "Banlieues de l’islam" entreprend ainsi une radiographie de l’état des lieux, vingt-cinq ans après. Le changement est de taille : en 1985, Gilles Kepel rencontra essentiellement des immigrés qui lui parlèrent de l’islam en France. En 2011, ses équipes traitent majoritairement d’enfants de l’immigration qui vivent avec l’islam de France.

    " Ces banlieues ne sont pas représentatives, comme on le dit d’un sondage réalisé selon la méthode des quotas, elles sont emblématiques" prévient Gilles Kepel. Il a choisi deux communes regroupant 60 000 habitants dans l’agglomération, emblématiques en effet des émeutes urbaines de 2005, mais aussi des handicaps sociaux. Le chômage, coeur noir de tous les problèmes, est ainsi de l’ordre de 27,7% à Clichy sous Bois, de 17,5% à Montfermeil lorsqu’il pèse 11% pour toute l’Ile-de-France. Les foyers non imposables représentent 61,30% des foyers de Clichy sous bois, 45, 40% de Montfermeil quand l’Ile de France en enregistre 33,60% Les habitants de moins de 14 ans sont plus nombreux qu’en région parisienne, et nombreux également se comptent ceux dont un parent sur deux au moins est d’origine étrangère (76% à Clichy-sous-bois, 50% à Montfermeil contre 16,9% en Ile de France).

    "Le halal touche profondément à la chair : de la table au lit"

    Le point le moins consensuel, mais le plus crucial, de ce "carottage" sociologique en banlieue profonde est l’observation de l’influence de l’islam dans la vie quotidienne des citoyens français. Certes, l’effet de piété exacerbée marque particulièrement ce territoire étudié, où les deux tiers des enquêtés se déclarent de confession musulmane. Indéniablement, l’islam, entre mouvement tabligh ("propagation de l’islam) et imam de quartier (à l’image d’un Don Camillo traditionnel-conservateur des années cinquante), pèse et structure tout un type de relations bien éloigné de l’attraction républicaine et du "vivre ensemble ". "L’une des transformations majeures en un quart de siècle est l’ubiquité du halal", instruit Gilles Kepel pour qui "cette revendication identitaire a explosé". Le halal (ce qui est licite et ce que ne l’est pas) ne se réduit plus à une déjà épineuse affaire de cantine scolaire. "Le halal a un spectre beaucoup plus large que la viande, analyse le sociologue, et touche profondément à la chair ; il fait passer de la table au lit, et construit des repères passablement complexes pour définir le licite et l’illicite." Ces lois sont extrêmement mouvantes, et sont liées "à la situation d’enclavement, au contrôle social et à l’ordre moral quotidien qui en découlent." Marqueur communautaire fort, le halal agit comme "le miroir inversé du casher" et constitue le fer de lance d’ "une compétition mimétique". Aux yeux des sondés musulmans, les juifs apparaissent en effet comme une minorité qui a su imposer sa différence au sein de la république française.

    L’étude bat également en brèche la fable du mariage mixte majoritaire ou en progrès en France. "La majorité des enquêtés souhaite que leurs enfants se marient avec une personne pratiquant le même culte. Cette préférence pour le mariage endogame revient également dans les réponses des Chrétiens d’Orient, qui, y voient la seule manière de préserver l’existence de leur communauté", retient l’enquête.

    "Promesse laïque et républicaine"

    Gilles Kepel voit l’affirmation d’un islamisme identitaire, mais aussi l’ambivalence de ce mouvement. Que "l’attraction de la promesse laïque et républicaine" revienne pour de bon et méthodiquement dans ces quartiers, avec notamment la question obsessionnelle de l’emploi, l’action revitalisée des pouvoirs publics sur le désenclavement, les transports, l’éducation, et "les valeurs de la Nation" s’inviteront durablement. C’est ce qu’estime à la suite de l’étude de Gilles Kepel, le Comité directeur de l’Institut Montaigne. Dans une tribune publiée sur le monde.fr, ce groupe de personnalités comme Claude Bébéar, Nicolas Baverez, Lionel Zinsou, Guy Carcassonne, Michel Godet, Bernard de la Rochefoucauld, Natalie Rastoin, Henri Lachmann appelle les candidats à la présidentielle 2012, à un peu plus d’ambition sur le sujet et "à raviver la cohésion d’une société malade du chômage de sa jeunesse".

    Emmanuel Lemieux (Les influences, 4 octobre 2011)

     

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  • Saint Jobs et saint Babu, priez pour nous !...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue de Claude Bourrinet, cueilli sur Voxnr, à propos des apothéoses médiatiques de Steve Jobs et de Babu, l'éphémère "héros du métro"...

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    Saint Jobs et Saint Babu, priez pour nous !

    Qui eût dit, qui eût cru que ce monde, si matérialiste, si marchand, si près d’un nombril démultiplié à l’échelle de la planète, verserait dans un genre, l’hagiographie, un style venu d’un autre âge, projeté d’une société de pénurie et d’ascétisme.
    Deux morts s’inscrivent dans une lignée récente d’apothéoses médiatiques, dans laquelle on mettra Jean Paul II, Lady Di, Mickaël Jackson, et d’autres. Ce sont celles de Steeve Jobs et de Babu l’Indien.

    Pourquoi un tel engouement pour les vies, ou les morts, de saints, ou de pseudo-saints ? Car notre société n’enorgueillit de son niveau technique, scientifique, industriel. Il semble que, désormais, l’intelligence se soit débarrassée des attaches superstitieuses, des racines identitaires, des erreurs de jugement, qui l’empêchaient d’accéder enfin à la vraie liberté, à la maîtrise du temps et de l’espace. Ainsi la planète, déterritorialisée, unifiée par un maillage électronique, a-t-elle atteint ce degré de communion cybernétique qui remplace avantageusement les tentatives catholiques de jadis, si maladroites. Maintenant, chaque pratiquant est relié en temps réel à tous les coins de la Terre, et a l’impression de participer à une aventure inédite, la mise en place d’une utopie différente des autres. Car, grâce aux claviers, aux écrans, aux tablettes portatives, l’action par la communication est possible partout, et partout l’exercice de la libre disposition de son être.

    Pourtant, tout cela sonne faux. L’écran est triste, hélas ! et j’ai lu tous les mails… Je crois penser « différemment », et je répète à l’infini les déclinaisons du sabir massifié…

    La soudaine éruption de l’émotion, une affectivité disproportionnée, révèle davantage que les analyses froides de la solitude contemporaine.

    Nous avons pris connaissance avec stupeur des propos dithyrambiques de personnalités médiatiques sur la mort de Steve Jobs. Les vedettes du showbiz, de la politique, des médias, l’homme de la rue, ont manié l’hyperbole. C’est ainsi qu’on a perdu « un visionnaire et un créateur de génie », « un être humain incroyable », un homme qui a « changé le monde », une « étoile », un « esprit novateur », un « visionnaire », « un génie dont on se souviendra comme d'Edison et d'Einstein », quelqu’un qui a appris à « penser différemment », à « partager », un « entrepreneur » etc. On met en avant le mythe, l’Américain qui s’est fait tout seul, à partir de rien. On ne manque pas non plus de louer sa grande simplicité de vie, sa disponibilité, son désintéressement même.
    L’autre mort, c’est celle de Rajinder Singh, dit Babu, un Indien qui aurait secouru, à la station Crimée, une femme agressée, et qui, à la suite de cette rixe, serait tombé sur la voie, s’électrocutant. Un héros, donc. Un hommage lui a été rendu, par des associations, des anonymes sensibles à « son altruisme », et par deux ministres de la République, celui des transports, Thierry Mariani, et celui de la Culture, Frédéric Mitterrand, à l’affût de toute occasion médiatique de se montrer, au risque du grotesque.
    D’un côté, une sorte d’évêque de l’Eglise internet, de l’autre, un clochard céleste, ou du moins métropolitain. Le prélat reconnu et le moine girovague. L’un, intégré au grand système mondial d’arraisonnement des consciences, l’autre, figure du nomadisme planétaire, pauvre et sans papier. Tous deux, finalement, des icônes d’un monde qui cultive l’ubiquité comme source d’existence.

    On voit bien par là que nous demeurons en pleine religiosité, et que les dépositaires de la puissance publique sont à la traîne des vagues d’émotions irrationnelles qui soulèvent régulièrement l’opinion, cherchant dans le contact empathique le pouvoir qu’ils n’ont plus que dans le degré d’illusion que leur laisse un monde décomposé, éclaté, fluctuant et vide.

    Car il est bien sûr évident que toute ce cinéma, cette auto-sidération, n’est qu’un rideau de fumée, une vapeur toxique, un brouillard poisseux qui cache une réalité plus sordide. Les scenarii roses des vedettes médiatiques sont des ornements qu’on a vite fait d’ôter pour montrer la hideur contemporaine.

    Babu le héros, par exemple. Il n’a pas fallu quelques heures, et le visionnement des images de la fameuse rixe, pour qu’on s’aperçoive que la prétendue victime était en fait l’agresseur, et le saint un être porté par la violence et la haine. Maître d'Ollone, l’avocat de l’accusé, a beau jeu de s’exclamer : "Je ne comprends pas pourquoi on a donné une telle coloration à cette affaire, ni pourquoi on a parlé d'une tentative de vol de portable. J'imagine que ce scénario n'est qu'une accumulation de on-dit et de rumeurs".

    « Rumeurs », « on-dit », accusations gratuites et expéditives, précipitation des politiques en mal de reconnaissance … voilà un air que l’on connaît.
    Quant à Steve Jobs, qu’on se permette d’en rire, même si la mort d’un homme atteint du cancer est chose pitoyable. Non seulement parce que cet individu était connu pour ses colères noires, sa propension à la rétention technique, au secret, pour ses ruses de commercial, mais aussi parce qu’il avait assis sa réussite, comme bien des industriels des pays droit-de-l’hommistes, sur l’exploitation quasi esclavagiste d’ouvriers chinois. Apple fait en effet partie des entreprises (Dell, IBM, Ericsson, Philips, Microsoft, HP et Nokia) où les conditions de travail sont inhumaines, où il est d’usage de travailler jusqu’à « épuisement », où les heures supplémentaires s’échelonnent de 36 à 160 heures, où la durée quotidienne de travail est de 10 à 14 heures, l’intensité de production à la limite de ce que l’on peut endurer, où le taux de suicide est très élevé.
    Mais que l’on se rassure : contribuer à la fortune d’un saint n’a pas de prix.

    Claude Bourrinet (Voxnr, 8 octobre 2011)

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  • La tentation protectionniste... venue du Brésil !...

    Vous pouvez visionner ci-dessous une chronique d'Eric Zemmour sur RTL au cours de laquelle celui-ci évoque un protectionnisme qui fonctionne : celui pratiqué par le Brésil...

     


    Eric Zemmour : "La tentation protectionniste... par rtl-fr

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