Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son blog Regard sur le renversement du monde et consacré à l'impôt et à la nécessaire équité fiscale.
Le retour de l'impôt ?
Légitimer l’impôt, redécouvrir l’impôt, demander plus à l’impôt…
En ces temps de campagne électorale, une étonnante découverte paraît réunir des candidats que par ailleurs à peu près tout oppose : la découverte de l’impôt ! Quelle soit énoncée sous sa forme élégante – supprimer les niches fiscales – ou plus brutale – faire payer les riches – l’idée est la même : augmenter l’impôt permettrait de résoudre le problème de la dette publique, de financer la protection sociale, d’assurer la solidarité entre les Français, d’investir dans la croissance de demain. Que n’y a-t-on pensé plus tôt !
Etonnante découverte en effet, qui confirme l’état d’inconscience avancée de l’opinion, des media qui la font, et des élus qui les nourrissent. Etonnante à plus d’un titre, et d’abord pour cette ignorance manifeste ; avec plus d’un euro sur deux produit par les Français voué à la dépense publique socialisée, avec des dépenses publiques et des prélèvements qui placent la France en tête de presque tous les pays de l’OCDE, la France ne souffre pas d’un manque d’impôt, mais d’un trop plein de dépenses publiques. C’est l’évidence ; la nier sert seulement à masquer les décisions nécessaires et les arbitrages vitaux. Et d’ailleurs, le niveau atteint par l’impôt en France, le plus élevé de toute l’Union européenne, ne sera pas pour rien dans la possible dégradation de la note « triple A » des emprunts publics français. Etonnante ensuite par l’écart entre les fins énoncées et le moyen choisi. La preuve a été faite à maintes reprises, le seul moyen de résoudre un problème structurel de déficit budgétaire est de diminuer la dépense publique, pas d’augmenter l’impôt. Qu’il soit utile de distinguer entre les dépenses d’investissements et les dépenses courantes, qu’une réduction aveugle et générale de la dépense publique puisse poser des problèmes est évident. Mais que l’impôt soit la réponse à tout, et d’abord à l’impuissance de l’Etat face à des fonctionnaires bénéficiant d’inégalités éclatantes, par exemple dans le domaine de leurs retraites ( 32 % de la dépense pour 12 % d’ayant-droit !), revient à faire payer à ceux qui paient l’impôt, et à eux seuls, la lâcheté politique et le clientélisme des partis – l’Etat est impuissant devant ses fonctionnaires. Etonnante aussi parce que les fruits amers d’une solidarité qu’on n’ose plus dire nationale, puisqu’elle n’est plus réservée aux Français, agacent les dents des cotisants, et de ceux qui ont le sentiment de payer pour tout et pour tous. La manne de l’argent public, quand elle tombe de la politique de la Ville, des prises en charge aveugles de dépenses de santé à des non-ayant droits, quand elle finance sans compter des associations lucratives sans but sous couvert d’acheter la paix sociale, quand elle fabrique par millions des abonnés à l’assistance, et s’interdit d’invalider le million de fausses cartes Vitale en circulation, ne finance pas la solidarité, elle finance l’isolement individuel, elle finance la spoliation des Français par leurs envahisseurs, elle finance la dégradation morale des abonnés aux guichets publics et pour finir, elle finance la désocialisation d’une France que les siens ne reconnaissent plus. L’argent public peut être un agent de la désocialisation et de la rupture de tous liens entre ceux qu’il dispense de se rendre utiles, de travailler, ou de se soucier ; et les facilités de l’assistance par l’argent public depuis longtemps contribuent à la dégradation de l’espace public national. Le socialisme de l’assistance et des droits inconditionnels devrait s’en souvenir, avant de devenir un peu plus le parti de la dissolution de la société.
Qu’il s’agisse de demander plus à la CSG ou à la TVA, qu’il s’agisse de revoir certains avantages accordés sans intérêt collectif manifeste et durable, les Français l’intègrent déjà : l’été 2012 sera un été fiscalement chaud, et la rentrée riche de surprises. Mais le préalable à l’effort national est connu – un plan de maîtrise des dépenses publiques, la réduction de l’assistance inconditionnelle, le contrôle rigoureux des droits à prestations, limitées dans le temps et non cumulables, la confrontation de chacune et de chacun à ses responsabilités et à ses choix de vie. Et enfin, et surtout, l’équité de mesures fiscales stables dans le temps, aux effets prévisibles et anticipés, donc gérables. Sinon, l’impôt se nomme spoliation, et la démocratie n’oblige personne à payer un impôt manifestement injuste ou confiscatoire. Qui se souvient que maintes révolutions démocratiques, de la Grande-Bretagne aux Etats-Unis, ont commencé par la perception d’impôts ou de taxes vécus par les redevables comme illégitimes ? Un pouvoir se joue aussi sur la légitimité de l’impôt qu’il perçoit. Et l’assiette comme les niveaux atteints par l’impôt en France sont tout prêt de le rendre illégitime. Ceux qui aspirent au pouvoir doivent s’en souvenir.
Hervé Juvin (Regards sur le renversement du monde, 14 novembre 2011)