Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Points de vue - Page 372

  • Les bobos contre le peuple...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Chantal Delsol, cueilli sur le site de Valeurs actuelles et consacré aux bobos...

    bobos.jpg

    Les bobos contre le peuple

    Bourgeois et bohème, c’est un oxymore. La contradiction est en effet caractéristique de ce groupe social, qui cultive à la fois les qualités bourgeoises de la vie quotidienne et les spécificités d’une pensée fantaisiste, artiste, se voulant sans préjugés. Il faut voir comment s’arrangent les contraires. Et pourquoi ils se cherchent.

    Le bobo est un révolté contre le système et les systèmes. En général un soixante-huitard, et à ce titre “en lutte contre”. Cependant, depuis Mai 68, il a fait du chemin et, comme il appartenait à l’élite douée, il a réussi, a occupé des places élevées, a vécu confortablement. C’est donc quelqu’un qui a mérité une vie moelleuse, voire luxueuse, tout en tenant à longueur d’année dans la main le pétard pour fustiger la société qui l’abrite.

    Cette contradiction produit des personnalités bien particulières. Il y a là une discordance radicale entre la vie et la pensée : une vie bourgeoise et une pensée révolutionnaire, en tout cas en permanence révulsée, indignée, scandalisée par la société même dans la quelle s’établit cette vie bourgeoise, rangée, organisée, cossue. On va dire qu’aucun d’entre nous n’applique totalement ses idées à soi-même : il est si facile de parler et si difficile de faire… bien entendu !

    Mais ici nous avons un groupe social pour lequel cette distorsion entre le discours et l’acte apparaît comme une sorte de vocation et de profession. Lorsque nous sommes pris en flagrant délit de contradiction intérieure, nous en sommes penauds et tentons vite de nous remettre en accord avec nous-mêmes, ne serait-ce que pour redevenir crédibles. Mais le bobo n’a pas de ces scrupules. Il estime que lui est pour ainsi dire programmé pour parler, discourir et surtout donner des leçons aux autres. Car il a un magistère, une autorité doctrinale et morale qui lui a été conférée parce qu’il possède la vérité – et cela est un reste de l’époque idéologique disparue. Évidemment il ne professe plus les dogmes idéologiques, mais la morale qui leur tient aujourd’hui lieu d’ersatz. Et comme cette morale est assez radicale dans sa compassion et son égalitarisme dégoulinants, la contradiction entre les paroles et la vie apparaît vite abyssale. Le bobo est celui qui, par esprit social, vilipende les hauts revenus, mais se fait adjuger dès qu’il le peut un salaire exorbitant ; qui noircit avec indignation l’héritage bourgeois mais, dès qu’il se trouve en situation d’hériter, s’arrange pour recueillir la meilleure part au détriment de sa fratrie ; qui réclame à cor et à cri l’égalité à l’école et, par la guerre souterraine des passe-droits, obtient que son enfant intègre les meilleurs établissements… Le héros du film les Invasions barbares, qui avait défendu toute sa vie la misère de l’hôpital public et qui réclamait des traitements de faveur dès qu’il se retrouvait hospitalisé, était un bobo typique.

    Comme le bobo habite dans les beaux quartiers et fait ses achats dans des épiceries chic, il peut se permettre sans frais de soutenir qu’il n’y a rien de mieux que Leader Price, que les banlieues pourries sont très agréables à vivre et que la mixité sociale n’est un problème que pour les racistes du Front national.

    Le groupe bobo est à la fois très restreint et très influent. Il représente une partie importante de notre élite. On peut l’expliquer par l’évolution propre aux systèmes idéologiques. Ceux-ci sont caractérisés par leur existence seulement théorique : ils se déploient dans le discours et ne se réalisent pas dans les faits. C’est ainsi que nos soixantehuitards supposent que leur morale, républicaine ou socialiste, représente pour eux un magistère doctrinal et rien de plus. L’idée de la nécessité du témoignage, tellement essentielle dans une éthique classique portée par le respect de la réalité, n’a aucun sens ici. Les anciens idéologues ignorent ce qu’est le témoignage, puisque leur discours ne s’est jamais réalisé nulle part. Ils ignorent ce que signifie s’engager soimême dans l’acte qui correspond au discours, puisqu’ils ont toujours vécu dans un monde chimérique où l’on attendait seulement que le verbe engendre la réalité, se prenant en quelque sorte pour Dieu le Père. Nous nous trouvons devant les glorieux restes d’une époque révolue. Et le côté bohème, en ce qu’il a de charmant, de fantaisiste et de gai (il est beaucoup plus facile d’être fantaisiste quand on est riche), permet d’atténuer et même d’effacer toutes les turpitudes des an ciennes idéologies – comme lorsqu’on nomme la der nière pensée marxiste une “pensée artiste” : quel don pour ennoblir l’indignité ! Finalement, de la pensée 68 il ne reste qu’une gigantesque habileté communicationnelle : la capacité de se faire encore passer pour des gens bien.

    On s’aperçoit pourtant, et pas seulement dans cet exemple mais partout, que c’est toujours la vie qui l’emporte sur la pensée. Lorsqu’on fait le contraire de ce que l’on dit, ce dire est un feu follet, une pantalonnade, une nigauderie, en tout cas quelque chose que nul ne peut prendre au sérieux. C’est pourquoi le peuple citoyen, auquel on ne peut pas faire avaler n’importe quoi, a tendance à ne plus croire ces discours de Tartuffe. C’est pourquoi la gauche a perdu le peuple.

    Chantal Delsol (Valeurs actuelles, 19 janvier 2012)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • "Il faut partir d'Afghanistan !"...

    Vous pouvez regarder ci-dessous la chronique d'Eric Zemmour sur RTL, en date du 23 janvier 2011, consacrée à la guerre française en Afghanistan. Une analyse lucide...


    Eric Zemmour : "Il faut partir d'Afghanistan !" par rtl-fr

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Millénium : une si moderne trilogie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre de Beauvillé, publié sur Causeur et consacré à Millénium, ce pseudo-polar nordique, indigeste et politiquement correct, de Stieg Larsson, qui fait déjà l'objet de deux adaptations cinématographiques...

     

    Millénium.jpg

     

    Millénium : une si moderne trilogie

    La trilogie Millénium, œuvre du suédois Stieg Larsson, dont l’adaptation cinématographique par David Fincher est sortie en janvier, restera l’un des grands phénomènes d’édition des années 2000. Les raisons premières de cet engouement ont été largement établies : titres intrigants, qualité intrinsèque du récit policier, suspens prenant, personnages attachants, halo de mystère entourant l’auteur mort après avoir livré son ultime manuscrit, etc.

    Argent facile

    Mais allons un peu plus loin. Tâchons de comprendre comment la saga Millénium a pu entrer en résonance avec notre époque. Il apparaît en effet que la trilogie Millénium aborde en filigrane un certain nombre de thèmes situés au cœur des préoccupations contemporaines.
    Millénium a beaucoup plu aux journalistes . Et pour cause ! Mickael Blomkvist, le héros de la saga, est à lui seul une sorte d’idéal du métier : patron d’un journal d’investigation engagé contre les puissants, il est un jour grassement payé et logé par un millionnaire, Henrik Vanger, pour enquêter, en toute liberté, sur la disparition non-élucidée de la petite-nièce du magnat. En ces temps de précarité dramatique et de bouleversements du métier, la situation de Blomkvist a de quoi faire rêver plus d’un pigiste en galère ! Comme Blomkvist, l’autre héros de l’histoire, Lisbeth Salander, connaît un heureux destin financier. Son emploi en freelance dans une société de sécurité et d’espionnage lui assure des revenus réguliers jusqu’à ce qu’elle décroche le « jackpot », la fortune de l’homme d’affaire Wennerström détournée grâce à ses compétences en piratage informatique.

    Que ce soit pour Salander ou pour Blomkvist, un gros gain d’argent vient ainsi délivrer les protagonistes du souci de « travailler pour vivre ». Dans les deux cas, la fortune survient de manière miraculeuse, par un mécénat ou un acte de délinquance informatique.
    Que nous disent ces facilités financières décrites par Millénium ? Que l’on est vraiment libre et indépendant que si l’on roule sur l’or. Que l’aisance n’est liée à aucune forme d’effort particulier (mais à un talent presque inné, une façon d’être plutôt qu’une façon de faire), que la fortune peut résulter du hasard des circonstances, voire du viol caractérisé des lois par une personne présentée comme une victime de la société (Salander). En définitive, que l’argent facilement obtenu, par tout moyen, est enviable comme condition de la liberté individuelle… et de la vérité, puisque c’est au terme de son enquête subventionnée que Blomkvist fait la lumière sur l’histoire de la famille Vanger. Dans Millénium, roman bling-bling, gagner beaucoup et vite, c’est moralement bien, peu importe les moyens.

    Mickael Blomkvist a une vie sexuelle riche, faite de conquêtes multiples (Cécilia Vanger, Harriet Vanger, Lisbeth) et d’une relation suivie en la personne d’Erika Berger, son associée et collègue du journal Millénium, qui campe ce que l’on peut appeler sa « fuck friend ». A ce titre, le personnage de Blomkvist personnifie un deuxième fantasme, celui du quadra « séducteur malgré lui » qui tombe les petites jeunes en manque de figure paternelle et dont les collègues sont secrètement éprises. Une figure romanesque digne des plus belles pages de Biba, Cosmo, et autres merveilles iconoclastes de la presse féminine… De son côté, la bisexualité assumée de Lisbeth Salander lui ouvre les portes de nombreuses expériences, hétéro (avec Mickael Blomkvist, avec le jeune George Bland aux Caraïbes) ou homo (avec Myriam Wu), en une liberté totale guidée par l’instinct et l’instant.

    Des méchants très méchants

    En regard des deux figures attachantes, riches, libres, engagées et sexy du journaliste et de la hackeuse, les méchants de l’histoire font pâle figure. Dans le premier tome, icônes des anciens ordres patriarcaux, « les hommes qui n’aimaient pas les femmes » sont des homosexuels refoulés, des sadiques machos dominateurs qui abusent de leur position sociale (tuteur de jeune délinquante ou riche père de famille) pour assouvir de bas instincts misogynes et incestueux. Dans le second tome, les ennemis sont des bikers buveurs de bière et néo-nazis. Le troisième tome m’est, je l’avoue, tombé des mains. Figures du Mal, usées jusqu’à la corde, degré zéro de la création scénaristique, mais procédés inspirés par l’engagement personnel de l’auteur Stieg Larsson de son vivant. Entendons-nous bien : il n’est pas question ici de souhaiter lire ou voir des œuvres qui présentent l’extrémisme de droite comme une idéologie sympathique. Mais bien de déplorer le manque d’imagination des esprits créateurs quand il s’agit d’imaginer un mal absolu. Quel pire méchant peut-on trouver que des nazis pédophiles ? Des extra-terrestres cannibales nazis pédophiles peut-être… Amis auteurs et scénaristes, encore un effort !

    Millénium, sous une apparence iconoclaste et innovante, reste donc un parfait roman de l’époque.

    Pierre de Beauvillé (Causeur, 22 janvier 2012)

    Lien permanent Catégories : Films, Livres, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Costa Concordia : un naufrage symbolique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy, cueilli sur Polémia et consacré au naufrage, chargé de sens , du Costa Concordia...

    Costa Concordia.jpg

     

    Costa Concordia : un naufrage symbolique

    Les anciens Romains croyaient aux présages. Le naufrage inattendu du navire de croisière Costa Concordia dans la nuit du vendredi 13 janvier n’en est-il pas un ?

    Disneyland flottant

    Que sont ces bateaux de « croisière » sinon de gigantesques casinos flottants, symboles de la démesure et du bling-bling contemporains ?

    Le Costa Concordia était une sorte d’autobus à 15 ponts qui faisait le tour de la Méditerranée. Une croisière à l’américaine : à bord, on bronze, on mange, on boit, on s’amuse et surtout on dépense son argent 24 heures sur 24. Car il faut rentabiliser au maximum l’investissement ! C’est pour cette raison que ces bateaux sont devenus de véritables villes flottantes : plus les passagers sont nombreux, plus grands sont les profits ! Les passagers se comptent désormais par milliers à bord de ces Disneyland flottants.
    Quand les passagers débarquent quelque part, c’est pour visiter en troupeau les curiosités locales ; pour ne pas se perdre dans la foule, chaque croisiériste porte d’ailleurs un badge de couleur, en fonction de sa « bordée ». C’est l’âge de la « culture » de masse et du divertissement standardisé et programmé ! Adieu le charme des navires d’antan : place au commerce.

    Dans ces gigantesques bateaux tout est automatique, tout est informatisé, tout est tracé par GPS. Un chef-d’œuvre de technique et de sécurité !

    Le Titanic était aussi un chef d’œuvre de technologie pour l’époque : mais il a coulé tragiquement en 1912, d’une façon imprévisible. Et avec lui la Belle Epoque, qui va bientôt disparaître dans les tranchées de la Grande Guerre et dans la révolution bolchevique de 1917.

    Le naufrage du Costa Concordia n’est-il pas, lui aussi, symbole de celui d’une époque ?

    Le naufrage du meilleur des mondes

    Le Costa Concordia était à l’image de la société occidentale contemporaine : un « meilleur des mondes » pour ceux qui peuvent payer, tout plein d’illuminations et de strass.
    Mais au premier choc tout ce paysage à la Potemkine s’effondre et le capitaine disparaît.
    Le choc provient de quelques rochers qui ne figuraient pas sur les cartes. Pas de chance : le pilote automatique était débranché. Adieu la sécurité technologique ! Et puis le commandant semble avoir voulu passer trop près de la côte. Car dans le meilleur des mondes, les hommes ne réagissent jamais comme les experts l’avaient planifié…

    Le commandant aurait quitté prématurément le navire au mépris de toutes règles et traditions. Les traditions maritimes se perdent !
    Mais faut-il vraiment parler de commandant au cas d’espèce ? Le mot hôtelier serait sans doute plus approprié, car ces « bateaux » sont en réalité des hôtels flottants, avec des centaines de cabines climatisées, dotées de minibars et de télévisions par satellite, et de nombreux restaurants. Ah oui, bien sûr, il y a la télévision dans les cabines : vous ne voudriez tout de même pas que les « croisiéristes » profitent de la croisière pour lire ou pour regarder la mer !

    Le cosmopolitisme à l’œuvre

    Le Costa Concordia était aussi une ville cosmopolite : outre les passagers, le millier d’hommes d’équipage étaientt de 40 nationalités différentes. Comme en Seine-Saint-Denis ! Sans doute un bon moyen de diminuer les charges salariales pour les armateurs, qui sont les vrais bénéficiaires du système. Mais, hélas, les rescapés disent que ces marins – dont beaucoup étaient asiatiques – ne parlaient ni italien ni anglais. Dans cette Tour de Babel flottante on ne se comprenait pas !

    Ce n’était pas trop grave quand il s’agissait de verser des cocktails ou de faire les chambres. C’est devenu un problème quand il a fallu manœuvrer dans un navire en perdition, utiliser les chaloupes ou rassurer les passagers gagnés par la panique. Comme quoi la « diversité » n’est pas un avantage, ni en mer ni à terre.

    La chute

    Tout le monde a vu les images de ce navire échoué, couché sur le flanc.
    Quelle triste représentation de l’effondrement proche d’une société réduite au spectacle, aux loisirs et au culte du Veau d’or ! Quel triste spectacle que cette mosaïque d’hommes et de femmes, agglutinés les uns aux autres, dans leurs gilets de sauvetage réglementaires, mais qui ne se comprennent plus et qui découvrent que leur « paradis » devient un enfer liquide ! Mais les armateurs, eux, ne s’estiment pas responsables du désastre. Ils sont bien au chaud et au sec. Vraiment cette situation ne vous rappelle rien ?

    Les Européens sont comme les passagers du Costa Concordia si mal nommé : ils attendent qu’un vrai commandant se préoccupe enfin de les mener à bon port, plutôt que de s’occuper des profits des commanditaires.

    Michel Geoffroy (Polémia, 18 janvier 2012)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Le soulèvement ou l'effondrement...

    Vous pouvez regarder ci-dessous une intervention particulièrement percutante de l'économiste hétérodoxe Frédéric Lordon à l'occasion d'une table-ronde organisée par l'association ATTAC.


    "Leur dette, notre démocratie" : Frédéric Lordon par BTrenaissance

    Lien permanent Catégories : Economie, Multimédia, Points de vue 1 commentaire Pin it!
  • Vertus et illusions du volontarisme de gauche...

    Nous reproduisons ci-dessous l'analyse par Pierre Le Vigan du court essai de Jacques Généreux, intitulé Nous on peut ! , récemment publié au Seuil et préfacé par Jean-Luc Mélenchon. Economiste, Jacques Généreux est sécrétaire national à l'économie du Front de gauche.

    Mélenchon.jpg

     

    Vertus et illusions du volontarisme de gauche

    Voilà un ouvrage sympathique dans son principe et agaçant par son contenu. La perspective de redonner enfin ses droits à la politique ne peut que plaire. L’idée qu’il n’y a pas une seule politique possible ne peut que convaincre. Mais Jacques Généreux, économiste proche de Jean-Luc Mélenchon qui préface son livre, pêche par optimisme. Il donne l’impression qu’une autre politique est non seulement possible mais facile. C’est sous-estimer l’ampleur des mutations à mener.

    Jacques Généreux croit pouvoir vraiment changer la France mais pour cela il lui faudrait abandonner un certain optimisme sociétal hérité des Lumières. Non, les hommes ne sont pas tous identiques, non on ne fait pas une révolution citoyenne avec des gens à qui on n’a rien appris des luttes sociales. Pour changer vraiment il faut revenir sur terre. La terre des hommes complexes et divers. Remettre en cause la libre circulation des capitaux oui mais il faut revoir aussi celle des hommes, ce que ne fait pas Jacques Généreux. La France ne peut pas être un hôtel, ou alors c’est la France qu’aime le grand capital : un simple segment du marché mondial.

    Pourquoi et comment notre auteur se trompe ? Explications. Le diagnostic porté par Jacques Généreux est pourtant juste. Nos gouvernants, dit-il, ont une idéologie : « une société de marché dans laquelle chacun est seul responsable de son sort et ne doit compter que sur sa capacité à s’engager dans la libre compétition avec tous les autres. » Nos gouvernants ont aussi un projet. Celui-ci n’est pas tant l’Etat minimal, qui serait conforme à leur doctrine. C’est bien plutôt la démocratie minimale. « Il s’agit de mettre l’Etat à l’abri des revendications populaires et d’exploiter au contraire sa puissance au service d’intérêts privés. » Le néo-libéralisme colonise ainsi l’Etat pour en faire sa chose.

    La mondialisation du capitalisme va avec sa financiarisation croissante : 98 % des transactions financières portent sur des produits financiers et non sur des biens économiques réels. L’argent n’est plus un moyen d’échange mais un but en soi. Les actionnaires exigent un taux de rendement de plus en plus élevé. L’élargissement de l’Europe (27 Etats et bientôt 28 avec la Croatie) a été conçue comme le moyen d’un dumping social. La thèse de Jacques Généreux est que ce qu’a fait une politique, une autre politique peut le défaire. On peut faire autrement que les néo-libéraux. « On » ? L’Etat contrôlé par des forces politiques nouvelles. Ni les libéraux ni les sociaux-libéraux mais la vraie gauche. Comment faire autrement ? En rompant avec le libéralisme. Jacques Généreux propose ainsi de refonder le système bancaire en séparant banques de dépôt d’une part, banques d’affaire et d’investissement d’autre part. Il faut aussi plafonner le rendement des actions. On doit encore monétiser une partie de la dette c’est à dire la transformer en création monétaire de la banque centrale. En ce qui concerne l’euro, Généreux préconise d’imposer sa réorientation et de n’en sortir qu’en dernier ressort. Il est selon lui possible de réorienter l’euro dans la mesure où seule l’Allemagne aurait intérêt à un euro fort. Un bloc européen pour un autre euro, ou éventuellement pour un euro zone sud, pourrait ainsi peser de manière décisive pour en finir avec l’euro « austéritaire ». Au minimum l’euro sera sauvé comme monnaie commune. Mais contrairement à Dupont-Aignan, Marine Le Pen et d’autres politiques y compris à gauche Jacques Généreux défend l’idée que l’euro pourrait aussi être sauvé comme monnaie unique, sous la forme d’un euro nouveau qui serait moins surévalué et donc meilleur pour la compétitivité de l’industrie française. Comment ? En restant dans la zone euro mais en sortant du traité de Lisbonne et en imposant une solidarité budgétaire européenne, une nouvelle politique de la Banque Centrale Européenne, une harmonisation fiscale et sociale par le haut, et le contrôle des mouvements de capitaux. Cela représente beaucoup de conditions. Ce qui est plus grave est que cela sous-estime la force de la logique du capital. Explications. Si les Européens réalisent encore entre eux les 2/3 de leur commerce, la part de celui-ci faite avec des pays, notamment la Chine, dotés d’autres normes économiques, sociales et environnementales, est suffisamment importante pour peser de manière décisive dans le sens de la désindustrialisation de l’Europe, particulièrement en France où la part de l’emploi industriel n’est plus que de 12 %. Le poids de l’industrie ne peut que se réduire encore sans une politique radicale de réindustrialisation. Or, Jacques Généreux en refuse les moyens. La délocalisation de notre économie pourra selon lui être arrêtée par des mesures essentiellement fiscales, le plafonnement du taux de rentabilité. On aimerait le croire. Le protectionnisme, même européen, n’est envisagé qu’en dernier recours, et il s’agirait si possible d’un « protectionnisme international », notion contradictoire. On comprend qu’il s’agit en fait d’espaces régionaux autocentrés. Pourquoi Jacques Généreux ne l’explique-t-il pas sous cette forme ? Parce qu’il lui faut à tout prix sauver un internationalisme de principe. Et si les autres pays du monde ne souhaitent pas des espaces autocentrés ? On ne ferait rien pour ne pas aller vers un protectionnisme unilatéral, fut-il européen ?

    La question de la dette et du déficit public est aussi complétement minimisée. Il peut y avoir une bonne dette pour des investissements utiles, affirme l’auteur. Mais peut-on sérieusement ne pas s’inquiéter d’une dette servant à payer des dépenses de fonctionnement ? Il y a surtout une philosophie générale du projet de l’économiste du Parti de Gauche qui est d’une navrante faiblesse. Nous avons bien compris qu’il ne s’agit pas de chercher, nous dit-il, « une croissance indifférenciée ». Nous voulons bien « changer de gauche » mais nous aimerions surtout savoir ce que cela changera vraiment. Or, Jacques Généreux croit comme les gouvernants qui nous ont amené là où nous sommes au progrès indéfini. Il ne parait pas croire aux bienfaits de la libre circulation des capitaux mais continue de croire aux bienfaits de la libre circulation des hommes, en tout cas à l’impossibilité morale d’y mettre de quelconque bornes. Il est donc partisan de l’immigration, pensant sans doute que l’on peut, par du volontarisme politique, à la fois mettre au pas le capital qui n’a qu’à bien se tenir, et faire des citoyens français et européens de n’importe quels arrivants venus des quatre coins du monde. Sans doute les immigrés se rendront-ils compte en arrivant qu’ils vivaient dans l’obscurantisme et qu’il n’y a rien de mieux à aimer dans le monde que la France des Lumières et rien de plus urgent que de se débarrasser de leurs mœurs et coutumes, à moins que, séduits par le spectacle quotidien de fierté et d’affirmation nationale de notre pays, ils ne décident qu’il n’y a rien de plus normal que d’être fier d’être français – ce qui reviendra au même. C’est là un stupéfiant irénisme qui ne tient pas le moindre compte des leçons de l’histoire. Mais il n’y a cela rien d’étonnant. A aucun moment dans son analyse des dérives de la gauche s’abandonnant à la séduction du mondialisme, Jacques Généreux ne s’interroge sur la conjonction libérale-libertaire qui est née en son sein et qui a gagné la droite si facilement parce que l’une et l’autre se sont ralliées au libéralisme mondialisateur. A aucun moment Jacques Généreux ne remarque que plus la gauche est devenue libérale au plan économique plus elle a développé une idéologie de substitution : un pseudo « antiracisme » aboutissant à nier les problèmes posés par l’immigration de masse, une préconisation de la légalisation du mariage homosexuel qui, comme chacun sait, est un souci majeur du peuple français, les hommes y pensant tous les matins en se rasant, des positions d’ « ouverture » (sic) face aux drogues, une complaisance pour toutes les remises en cause des valeurs traditionnelles, et en l’occurrence celles du peuple : le respect du travail, de l’argent gagné proprement, de l’art qui ne se moque pas du public, et même, l’amour raisonnable de la patrie. Il n’est pas étonnant qu’avec une telle myopie intellectuelle sur ce qui a amené la gauche à être une solution de secours parfaitement praticable pour le nouvel ordre mondial et le turbocapitalisme, les solutions préconisées par Jacques Généreux, même quand elles vont dans le bon sens – et c’est le cas –, témoignent d’un optimisme indécrottable, il est vrai assez caractéristique de la gauche dépourvue du sens du tragique de l’histoire (on pense à Léon Blum, si perspicace, expliquant en 1932 que « la route du pouvoir est fermée devant Hitler »).

    Voilà donc où en est l’ « autre gauche », celle qui se prétend une alternative aux sociaux-libéraux. Or il ne faut pas seulement changer de politique, et bien entendu changer les politiques au pouvoir. Il faut changer de paradigme, sortir de l’idée d’une civilisation universelle, bonne pour tous et partout, qui ne peut mener qu’à l’exact contraire de la « révolution citoyenne » à laquelle se réfère Jacques Généreux. La civilisation universelle de l’économie productiviste mondialisée, de la délocalisation généralisée ne peut être que la fin de toute République. Ce ne peut être que la démocratie réduite au procédural, ce ne peut être que la parodie de l’idée même de citoyen. Ce n’est peut-être pas ce que veut Jacques Généreux mais c’est très exactement ce à quoi nous mènent ses idées internationalistes. Dès lors, à quoi bon son « autre gauche » ? Si le but est d’homogénéiser le monde, qui a mieux montré son savoir-faire que le capitalisme ?

    Pierre Le Vigan 

    Jacques Généreux, Nous on peut !, pourquoi et comment un pays peut toujours faire ce qu’il veut face aux marchés, face aux banques, face aux crises, face à la BCE, face au FMI, …, Seuil, 140 pages, 11 euros.

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!