Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Points de vue - Page 371

  • Vive la crise ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte de Philippe Milliau, cueilli sur Novopress et consacré à la crise et aux opportunités qu'elle offre...

    Chute du système.jpg

    Vive la crise

    Pour les amuseurs publics et autres bonobos de la pensée qui pontifient dans les médias, la crise que nous subissons n’est qu’un épisode de plus dans la longue liste des soubresauts du capitalisme mondial depuis l’invention de la monnaie par un Homo Sapiens un peu plus malin que ses congénères.

    À en croire les augures bien en cour, il suffit d’un peu de patience pour que tout rentre dans l’ordre et pour que la valse des milliards puisse reprendre comme avant pour le plus grand bonheur des manitous du CAC 40, de la Deutsche Boerse, de la City de Londres ou encore de Wall Street.

    Et si ce n’était pas du tout ça ?

    Et si, à l’opposé de la vision falsifiée véhiculée depuis le début de cette crise, nous vivions un renversement de l’ordre ancien ? Un bouleversement d’un monde tel que nous le connaissions jadis nous obligeant à envisager des mesures radicales pour guérir notre continent des maux qui l’affligent.

    Cette hypothèse est bien trop effrayante pour que les élites du système osent en parler. Pourtant, les arguments qui plaident en sa faveur sont nombreux, solides et concordants.

    Examinons quelques-uns des faits qui nous amènent à proposer cette explication.

    Le dollar a du plomb dans l’aile

    Une des manifestations les plus criantes de la fin de cette époque qui nous a tant fait souffrir, qui nous a asservis, comme tous les peuples du monde ou presque, c’est l’état de son pilier principal : le dollar.

    Déjà, par rapport à un panier des monnaies dynamiques (yuan, euro, real…), on observe un début de baisse du dollar en valeur relative. La situation économique et politique des États-Unis devrait, en dépit de multiples tentatives pour maintenir cette hégémonie, entraîner une accentuation de cette chute en 2012 et 2013.

    Plus significatif : la part du dollar au sein des devises accumulées dans les banques centrales a amorcé une petite baisse tendancielle depuis dix ans au profit de l’euro. Cette baisse semble en cours de nette accentuation en dépit des tribulations de notre devise dues la gestion des dettes souveraines de certains pays européens.

    Encore plus significatif : la part des transactions internationales libellées en dollars est en chute libre. L’actuelle crise avec l’Iran n’est pas sans accentuer ce phénomène. Plus de 60% des échanges entre l’Euroland et le reste du monde est maintenant effectué en euros, contre moins de 50% il y a dix ans, et le phénomène s’accélère.

    Chacun sait bien ce que veut dire la suprématie du dollar : elle a tout simplement permis le financement gratuit du gigantesque déficit commercial des États-Unis, ainsi que la mobilisation au profit de cette même puissance dominante d’une part considérable de l’épargne mondiale. Le dollar roi, principale monnaie de change et de réserve, véritable étalon remplaçant l’or a dopé depuis quarante ans l’économie de l’Amérique du Nord. C’est en voie de se terminer ; la face du monde en sera changée.

    Les Etats-nations sont dépassés, c’est la naissance des nations continents !

    Ainsi le Japon, prenant acte de son dépassement économique définitif par la Chine, commence sa sortie de la sphère du dollar pour s’arrimer à celle du yuan. C’est le début d’une entente devenue nécessaire après des siècles de conflit. S’il fallait une évidence du bouleversement d’un monde jusqu’à présent dominé par les Européens continentaux, puis par les Anglo-Saxons, il suffirait d’observer l’émergence rapide de cette formidable puissance asiatique de près de deux milliards d’hommes.

    Plus près de nous aussi, on observe l’extension du « modèle turc » sur le pourtour sud de la Méditerranée. En un an, la Turquie elle-même est sortie du « camp occidental » et le printemps arabe, qui n’a pas fini son œuvre, n’instaure pas la démocratie mondialisante comme ont voulu le croire les derniers défenseurs de ce monde à l’agonie. Ce sont bel et bien des gouvernements religieux qui se mettent en place dans cette région, les peuples se réappropriant ainsi une part de leur identité et de leur histoire.

    Mentionnons également le cas de l’Inde, qui, protégée par sa civilisation propre et ses structures sociales différenciées, trace une route originale.

    À sa façon, l’Afrique noire repart sur le chemin de la croissance, au moins dans ses insolubles problèmes d’absence tragique de maîtrise démographique, d’urbanisation bidonville et de conflits ethniques contrariés par des interventions étrangères brutales.

    L’isolationnisme prôné par une nouvelle vague d’hommes politiques aux États-Unis va dans un sens voisin, tout comme les dynamiques des retrouvailles identitaires plus au sud du continent.

    C’est bien la raison pour laquelle le futur jeu des Européens passe davantage par Moscou d’abord, et Pékin, New Delhi ou Brasilia ensuite ; et beaucoup moins par la City et Wall Street, refuges de nos anciens maîtres !

    Quel destin pour l’Europe ?

    Paradoxalement, cette crise nous offre une nouvelle chance, celle de rompre nos liens de vassalités hérités de l’ordre ancien imaginé à Breton Woods et maintenu contre vents et marées par la force financière et militaire des États-Unis.

    Et nous, Européens, dans tout cela ? Serons-nous les derniers croyants d’un ordre mondial et individualiste qui se meurt sans nous avoir vraiment profité ? Nous les donneurs de leçons « français » du nouvel ordre sans-frontiériste, nous qui confions nos temples à des pillards, sommes-nous à l’égal de Rome deux siècles après l’édit de Caracalla ?

    En fait, je le crois au fond de moi, rien n’est joué, rien n’est perdu, rien n’est définitif, la culture, le sang, le génie des Européens sont là – certes endormis, mais bien présents !

    Pour nous, Français et Européens, fiers d’une histoire que nous ne croyons pas finie, mais sans cesse renaissante à l’image du sol invictus, la situation est un défi, pas une fin.

    Redisons le clairement, car le choix est vital : ou les peuples européens trouveront une nouvelle dynamique commune pour le XXI siècle, ou bien ils sortiront de l’histoire. Le retour nostalgique à la situation de la première moitié du siècle passé, aux États nations dits souverains et indépendants ne fonctionnera pas à l’ère des compétiteurs du monde actuel. Il suffit d’en regarder la taille et les appétits pour s’en convaincre. Cessons une bonne fois de nous complaire dans un nombrilisme dépassé, et regardons le monde tel qu’il est et tel qu’il sera.

    Hélas une bureaucratie tatillonne et inefficace, une absence de projet, et pire une absence de définition identitaire, une complicité de larbins au service de la mondialisation et de soumissions aux intérêts transatlantiques ont terni l’image de l’Union européenne, et son centre bruxellois.

    Tout n’est pas à jeter dans l’Union telle qu’elle existe

    Certes nous n’avons pas de mots assez durs concernant cette Union européenne d’apparatchiks et de fossoyeurs de peuples. Cependant faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain?

    Faut-il, comme certains le demandent ardemment, mettre l’euro à mort alors que la suprématie du dollar touche à son terme?

    Oui l’euro existe en dépit de ses immenses défauts ; euro qui fut mal construit, mais euro quand même ; un euro qu’il faut sauver puis gouverner efficacement, ne serait-ce que pour éviter d’être hors jeu dans un match dollar-yuan d’où nous serions éliminés.

    Et si l’euro s’effondrait ?

    Ne broyons pas du noir en permanence : oui, les risques existent, mais si l’euro défaille, c’est-à-dire s’il y a défaut de paiement en chaîne de plusieurs pays européens, c’est le système des garanties (appelé CDS, credit default swaps) qui est appelé, comme dans une assurance après un sinistre. Et qui donc détient 96 % du risque en assurance, réassurance et produits swaps dérivés (pour un extraordinaire montant cumulé de 156 trillons de dollars, soit près de quatre fois le PIB mondial) ? Ce sont les quatre principales banques américaines (Goldman Sachs, JP Morgan, Bank of America, Citybank) et une banque britannique (HSBC). C’est un pan gigantesque de la finance des États-Unis qui serait englouti. Quelque part, c’est échec et mat pour le système qui nous a dominés et qui bouge les dernières pièces du jeu…

    Ne nous avait on pas prédit que si la France perdait son triple A elle serait obligée d’emprunter à des taux plus forts ? Et que se passe-t-il depuis lors ? Exactement le contraire !

    En des termes simples, cela veut dire qu’il n’y a plus de boussole, de règles, d’habitudes, de certitudes. Tout le monde fait ce qu’il veut, hors de toute contrainte ; même les marchés s’y mettent ! Les agences ne servent plus à rien, envoyons-les à la casse !

    Il faut débruxelliser l’Union européenne

    Faute d’avoir fait le choix d’un pouvoir politique européen, une classe de bureaucrates sans visages s’est emparée des leviers de l’Union européenne. Nous devons refuser que l’Europe ne soit qu’une construction bureaucratique s’opposant aux Européens mais bel et bien une Europe des peuples, dotée d’institutions démocratiques qui permettront une véritable unité civilisationnelle. Une Europe démocratique et non technocratique, une Europe identitaire et non mondialiste, une Europe subsidiariste et non-jacobine, c’est possible.

    Cette Europe que nous appelons de nos voeux est la seule en mesure de satisfaire aux attentes des nouvelles générations largement formée par les échanges universitaires « Erasmus » entre étudiants de différents pays d’Europe.

    N’est ce pas réjouissant de voir lors du sommet européen du 9 décembre 2011 les exigences anglaises refusées par des pays continentaux que l’on croyait davantage asservis ? Et le Royaume-Uni de se retirer, seul vers le large, avec le risque d’y sombrer bien seul.

    On regardera avec délectation une possible Écosse indépendante demander son entrée dans l’Union européenne et l’adoption de la monnaie unique : la victoire de William Wallace huit siècles plus tard ! La Reconquista espagnole en a bien mis autant !

    Oui, nous pouvons, avec d’autres peuples et civilisations, profiter de la fin à venir de la toute-puissance des gendarmes de l’ordre mondial et construire l’Europe qui aurait dû l’être dès le départ, une Europe forte, démocratique et souveraine!

    Les dangers qui nous guettent

    Oui, nous pouvons accepter, accompagner, profiter des bouleversements considérables dont nous ne voyons que l’infime part du début.

    Il n’y a en réalité que deux dangers qui puissent être mortels pour notre peuple. L’un est clair, connu, visible : la perte de nos identités charnelles et culturelles par totale submersion migratoire ; mais comme le disait le grand poète Hölderlin, « là où croît le danger, là croît ce qui sauve ». Je crois profondément qu’au travers de toutes nos terres d’Europe, la conscience s’éveille, maintenant.

    Il est un second danger, c’est le retour aux égoïsmes nationaux, puis la désignation du voisin comme ennemi. On a déjà donné, merci bien ! Lorsque la France et l’Allemagne sont unies, l’Europe est forte et grande. La mission sacrée des identitaires est claire : nous avancer vers le chemin de la foi en une civilisation, une volonté, un désir d’Europe. Pas leur Europe, la nôtre !

    Il nous faut trouver sans défaillance les moyens concrets de redonner un destin particulier à notre histoire.

    Pour demain, quelles orientations ? Quelles perspectives ?

    Quelles mesures nous faudrait-il adopter pour faire de l’Europe non pas un vassal des États unis et de l’hyper classe mondiale mais une puissance souveraine dans ce monde multipolaire en devenir?

    Voici une liste de mesures que nous jugeons importantes et que nous pourrions d’ores et déjà mettre en œuvre :

    Promouvoir de nouvelles générations de responsables politiques pour chasser les classes politiques corrompues, en particulier celles des pays méditerranéens.

    Mettre en route une harmonisation fiscale des pays de l’Eurozone, selon le principe de base : pas de monnaie unique possible sans convergence fiscale ; régler le cas épineux de la concurrence déloyale de l’Irlande et de sa faible imposition sur les bénéfices.

    Transferts de parts de budgets nationaux vers des budgets communautaires, correspondant aux transferts de souveraineté : pas de souveraineté fictive !

    Rapatriement et contrôle des marchés financiers à la frontière de la zone euro ; obligation d’exécution en euros de ces marchés, comme de la quasi-totalité des échanges commerciaux intra européens.

    Création d’euro bonds et rachat systématique des dettes des états pour diminuer les taux d’intérêt des emprunts. Limitation à 25% au maximum de l’exposition des dettes des pays européens aux marchés hors zone euro.

    Création immédiate d’une agence de notation européenne.

    Mesures de protection vis-à-vis des marchés financiers : interdiction des produits dérivés, des ventes spéculatives et ventes à terme. Augmentation progressive de la taxation des transactions financières jusqu’à l’obtention de l’équilibre souhaitable par rapport à la taxation du travail et de la consommation.

    Partenariats bilatéraux pour les principaux achats nécessaires d’énergie et de matières premières ; les achats libellés en Euros seront privilégiés.

    Exigence d’équilibre budgétaire, et remboursement progressif de la dette publique existante. Mobilisation de l’épargne en vue d’accélérer ces remboursements et de lancer un grand plan européen d’investissement.

    UNE RENAISSANCE DYNAMIQUE PAR UN GRAND PLAN D’INVESTISSEMENT

    L’épargne privée, au moins dans certains pays de la zone euro, est forte ; en Italie par exemple. Mobilisée par un vrai pouvoir souverain européen dans le cadre d’une confiance restaurée, elle peut permettre un double effet positif et nécessaire : desserrer la dépendance des états auprès du système bancaire, et aussi lancer une vraie dynamique de sortie de crise pour l’emploi et l’économie.  Ce plan d’un montant jamais atteint devrait se fixer 10 objectifs vitaux :

    ÉNERGIE : plus économique, plus propre et écologique, plus indépendante. Partenariat avec nos cousins russes.

    TRANSPORTS : pour la partie intra européenne, une harmonie technique, et des moyens de transport plus rapides, moins chers. En revanche plus chers vers l’extérieur.

    DÉMOGRAPHIE : relance de la natalité, de l’adoption d’Européens, de la protection maternelle et infantile.

    PROTECTION DE LA FRONTIÈRE : moyens douaniers, policiers, diplomatiques et militaires pour une réelle protection de l’espace européen.

    MISE A NIVEAU ET CONVERGENCE. Ce que la France a su faire pour les Antilles ou Mayotte, l’Europe doit pouvoir le faire pour ses régions et pays à la traîne !

    HARMONISATION STRATÉGIQUE ET MILITAIRE. Un vrai projet de guidage par satellite par une refonte souveraine de Galiléo, le concurrent du GPS américain. Une mise en commun des potentiels stratégiques, militaires et de recherche.

    UN RÉSEAU UNIVERSITAIRE EUROPEEN : pas de diplôme d’études supérieures sans un an au moins dans un autre pays d’Europe. Erasmus multiplié par 10, c’est le moyen de passionner la génération montante pour un devenir commun.

    LOCALISME ET ORGANISATION DE LA PROXIMITE. Fiscalité favorable aux produits du cru et à l’embauche locale, labels de qualité, traçabilité totale particulièrement du halal, voilà des investissements favorables à l’écologie, la santé et l’emploi. Restauration systématique d’une terre vivante et d’une agriculture saine et pérenne.

    RE INDUSTRIALISATION après la spécialisation des productions à l’échelle mondiale, réapprendre à produire et former à des métiers disparus.

    RE MIGRATION et partenariats bilatéraux de développement et d’éducation. Aides aux micro-projets en vue du retour au pays. Formations orientées en vue d’une nouvelle migration pour la majeure partie des populations dans le cadre d’un vaste partenariat de développement entre l’Europe et l’Afrique.

    Dix orientations pour un vrai investissement massif et coordonné. Dix points clefs pour une vraie renaissance. Les peuples de notre continent, les français au premier chef ont l’avenir devant eux… s’ils le veulent bien.

    À l’heure où de provisoires et compréhensibles engouements portent tout un pan fragilisé des populations européennes vers les sirènes des souverainistes davantage porteurs de nostalgie que de vraie espérance, notre voie est toute tracée. Il nous appartient de construire cette Europe des peuples, cette Europe ni impérialiste ni ethno masochiste, cette Europe fière de son héritage et tournée vers son avenir, bref une Europe identitaire!

    Oui, on peut l’affirmer. Le monde d’après ne sera pas le retour au monde d’avant.

    Philippe MILLIAU

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Ce que valent les civilisations...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Dominique Venner, cueilli sur son site et qui prend pour point de départ la polémique sur les civilisations déclenchée par la "petite phrase" de Claude Guéant... 

    Delphes.jpg

     

    Ce que valent les civilisations...

    Ce fut un beau vacarme ! Dans le vif de la campagne présidentielle, le ministre de l’Intérieur avait lâché une petite phrase destinés à faire grimper les sondages dans une opinion excédée par la présence islamique : « Les civilisations ne se valent pas… » La puissante coterie « culturelle » prit feu comme on l’attendait. Manquait cependant au chœur des indignés un très grand intellectuel, George Steiner, auteur récent d’une page admirative sur la Grèce antique : « L’incandescence de la créativité intellectuelle et poétique en Grèce […] aux Ve et VIe siècles avant notre ère, écrit-il, demeure unique dans l’histoire humaine. À certains égards, la vie de l’esprit n’a été ensuite qu’une copieuse note en bas de page. […] Le “politiquement correct” pénitentiel qui prévaut aujourd’hui et le remord du post-colonialisme aidant, il est délicat ne serait-ce que de poser les questions sans doute pertinentes, de demander pourquoi l’ardente merveille qu’est la pensée pure ne l’a emporté presque nulle part ailleurs (quel théorème nous est venu d’Afrique ?) (1) »

    De cette créativité exceptionnelle, les Européens ont hérité. Et cet héritage fut le socle de leur civilisation aujourd’hui fortement ébranlée, mais toujours apte à renaître comme plusieurs fois déjà au cours d’un très long passé. Cette espérance me venait à l’esprit en lisant l’ouvrage que vient de publier Paul-François Paoli, Pour en finir avec l’idéologie antiraciste (2). Chroniqueur au Figaro littéraire et auteur de plusieurs essais, Paoli cite d’ailleurs aussi l’extrait du livre de George Steiner auquel je viens de faire allusion.

    Dans le très complet et intelligent décryptage qu’il fait de l’idéologie antiraciste, Paul-François Paoli est en bonne compagnie, apportant une contribution originale aux réflexions développées par Alain Finkielkraut, Renaud Camus, Richard Millet et autres téméraires bretteurs. Il développe une analyse assez remarquable et très complète des causes intellectuelles et historiques qui ont fait de la France, au fil des siècles, la nation européenne la plus déracinée avant de devenir la terre d’élection de l’universalisme puis de l’antiracisme : « Fille aînée de l’Église, puis fille autoproclamée de la Raison avec Descartes, enfin pays des Lumières et de la grande Révolution, à chaque fois nous superposons au peuple français un principe qui en serait l’âme et l’emblème. C’est le fameux discours sur les “valeurs universelles” ». Les Français sont sans doute les seuls au monde avec les Américains à croire qu’un pays et un principe peuvent se confondre. S’ils le croient c’est que ce leur fut enseigné et répété sur tous les tons de génération en génération au point de s’inscrire dans leurs « représentations ».  Or, constate Paoli, à la suite de la décolonisation, on a vu se décomposer le grand récit que les Français avaient raconté au monde depuis quelques siècles. Le pays de Descartes et de la Raison, berceau des Lumières, s’imaginait vouée à être la nation exportatrice des idéaux universalistes de liberté, d’égalité et de fraternité. Ce grand récit, souligne Paoli, a atteint son apogée durant l’Exposition coloniale de 1931. Affreusement affaiblie par le bain de sang de 14-18, l’ex Grande Nation s’est mirée une dernière fois au spectacle de ses colonies. L’effondrement de 1940, la défaite de Diên Biên Phu et la perte de l’Algérie ont scellé la fin de cette illusion. Et pourtant, « nous continuons d’imaginer que nous avons un “message” à délivrer à l’humanité, de Mayotte à l’Afghanistan en passant par la Lybie… » Nous n’avons pas compris que le projet utopique d’unification de l’humanité issu du message chrétien et de la Révolution française, n’intéressait plus personne, pas plus les Chinois que les Musulmans. Après la fin de la guerre d’Algérie, ce qui subsistait de ces idéaux a servi de terreau à l’idéologie antiraciste, instrument du « grand remplacement » décrit par Renaud Camus. Avec un rare courage, Michèle Tribalat, directrice de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED) a décrit de l’intérieur la logique du système : « La réalité, la mise en évidence des faits ne comptent guère. […] Travailler sur l’immigration, c’est partir en mission contre ceux qui pensent mal. […] L’antiracisme idéologique structure l’expression savante et ordinaire sur l’immigration (3) ». Il en était ainsi dans le système soviétique avant son effondrement soudain. La réalité du socialisme ne pouvait être ce que chacun pouvait observer. La perception des victimes était fausse et réactionnaire. On sait ce qu’il est finalement advenu de ce tripotage après 1989.

    Dominique Venner

    (www.dominiquevenner.fr, 28 février 2012)


    Notes

    1. George Steiner, La Poésie de la pensée, Gallimard, 2011.
    2. Paul-François Paoli, Pour en finir avec l’idéologie antiraciste, François Bourin Editeur, 180 p., 20 €.
    3. Michèle Tribalat, Les Yeux grands fermés, l’immigration en France, Denoël, 2010.
    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Que reste-t-il du paysan ?...

    Alors que le salon de l'agriculture ne va pas tarder à fermer ses portes, après avoir vu passer la quasi-totalité des candidats à l'élection présidentielle, nous vous proposons de lire le point de vue de Claude Bourrinet, cueilli sur Voxnr et consacrée à la France rurale, elle aussi frappée par la mondialisation...

     

    France paysanne.jpg

    Salon de l'agriculture : que reste-t-il du paysan ?

    Nombreux sont les candidats à l’élection présidentielle, qui se pressent au Salon de l’agriculture, comme pour recevoir une onction, une légitimité quasi sacrée. On ne manque pas de souligner le paradoxe, entre le poids électoral déclinant des campagnes, et l’inflation rhétorique et symbolique qu’entraîne une telle immersion dans la « plus grande ferme de France ». Il est vrai que le nombre d’exploitations agricole n’a fait que chuter depuis plus d’un siècle, pour s’accélérer ces quarante dernières années. D’1,6 million en 1970, elles atteignent 600 000 en 2003, puis 500 000 en 2010. Leur surface s’accroît, augmentant en moyenne, en dix ans, de 13 hectares. Près d’un million de personnes en vivent, quand, en 1945, c’était près de dix millions d’actifs. L’économie de subsistance a laissé la place, à partir des années 50, avec le plan Marshall, et avec l’aide de l’Etat, puis de l’Europe, à une gestion productiviste ouverte sur le marché international. La France, autosuffisante en 1970, est le premier exportateur de produits agricoles et alimentaires européen, et le deuxième dans le monde. L’agriculture intensive n’a pas été seulement la cause d’un changement de vocabulaire, substituant administrativement l’appellation « paysan » par « exploitant agricole », plus fonctionnelle. Les contraintes de cette « modernisation » ont entraîné une révolution dans le rapport à la terre. Les investissements en matériel, engrais, produits phytosanitaires ont transformé l’agriculture en source de rentabilité, au même titre que n’importe quelle autre entreprise. La quête de capitaux est devenue cruciale, la dépendance aux banques, aux primes et à la fluctuation des marchés un souci permanent. L’agriculture est un secteur protégé, et en même temps libéral, ce qui ne manque pas de susciter des tensions, repérables notamment dans la mise en cause de la FNSEA par d’autres syndicats moins proches du pouvoir. C’est aussi le paysage et l’environnement qui pâtissent de ce bouleversement : la concentration des propriétés entraîne en effet l’arrachage des haies, la concentration des surfaces agricoles, le déboisement, et l’usage intensif des engrais et pesticides, dont la France est le second consommateur après les USA, ce qui n’est pas sans provoquer une pollution endémique des voies d’eau et des terres. Là aussi, un mélange de fierté et de culpabilité mine la conscience « paysanne ». Enfin, cette modernisation, comme dans l’ensemble de la société, a créé de profondes inégalités. Un quart des agriculteurs se situent au-dessous du seuil de pauvreté, et le taux de suicide est plus élevé que partout ailleurs. Qui a côtoyé de près le monde rural sait combien de situations de détresse y abondent, sans que ces drames n’attirent l’attention des médias, obnubilés par les « problèmes des banlieues ».

    Libre-concurrence et protection

    La condition agricole se trouve donc ambivalente. D’un côté d’indéniables réussites économiques, de l’autre des difficultés qui tiennent autant à la mondialisation de l’économie qu’aux nouveaux besoins suscités par le changement de civilisation induits par la « modernité ».

    En 1995, le Groupe d’étude britannique de la PAC (Politique agricole commune) proclamait : « En ce qui concerne la réforme de la PAC, il n’existe aucune raison de traiter les agriculteurs différemment d’autres opérateurs économiques relativement aux changements de politique qui les touchent. » Ce discours, redondant de la part d’une Nation qui a sacrifié son agriculture en 1846, par les « corns laws », en décidant le libre-échange généralisé avec l’Empire, revendications appuyées parfois par des pays, comme une Allemagne qui a choisi l’industrie, ou comme les USA qui font pression agressivement sur la Commission de Bruxelles pour ouvrir le marché aux OGM, aux hormones, non sans complicité de cette dernière, et non sans hypocrisie, puisque le marché américain est surprotégé, rappelle combien l’avenir de l’agriculture française, dépendante d’aides qui la lient, est sans cesse en danger de précarité. Du reste, de nombreux secteurs, soumis aux pris bas de produits importés, comme le lait ou l’agneau, subissent les conséquences d’une ouverture des frontières excessive. La revendication française de protection d’un secteur florissant n’est pas sans rappeler les enjeux qui sont ceux de la culture et du cinéma. Les ennemis sont toujours les mêmes, à savoir les anglo-saxons et l’OMC, qui, parfois, se servent des pays émergents pour miner les défenses européennes (par exemple la question de la commercialisation des bananes).

    La France et la terre

    Toutefois, en ce qui concerne la France, on conviendra que la défense du PAC dépasse la simple question économique. Non sans paradoxe. Car, comme on l’a vu, la modernisation énergique et systématique de l’agriculture a été la cause d’un changement profond de la condition paysanne qui est loin de correspondre à ce qu’elle était il y a seulement un siècle. Nous touchons là un sujet qui est lié à l’imaginaire, et plus largement à un enjeu culturel au sens large. Le ministre de l’agriculture de l’année 2003, Hervé Gaymard, ne déclarait-il pas : « […] ce qui est en cause dans les négociations communautaires et internationales n’est rien moins que la sauvegarde d’un modèle de civilisation, auquel nous sommes profondément attachés. »

    Les Romains notaient déjà le caractère profondément agricole des Gaules, et sa richesse. Gaston Roupnel, en 1932, remarquait, dans son merveilleux ouvrage, l’« Histoire de la campagne française » : « Car ici l’homme est fils du sol qui lui grava et lui colora les traits de sa face et de son âme. Ici, c’est sans cesse et partout que la terre « s’est faite homme ». En cette Europe de l’Ouest, nous n’avons de race que d’être les descendants du défricheur primitif. » Mais la France, c’est aussi la civilisation latine, l’esprit romain, qui, comme l’on sait, gardait profondément comme référence nostalgique le paysan du Latium, homme rude, simple, vertueux, modèle du citoyen de l’Urbs, et symbole de la domestication de la nature sauvage, principe qui a transformé nos paysages en « jardin ». Dans les Géorgiques, Virgile en fait l’éloge :

    « Le laboureur ouvre sa terre, avec le soc.
    De là, sueur au front, il nourrira toute une année
    Patrie, enfants, troupeaux, les bœufs ses compagnons.
    Point de repos qu’en leur saison les fruits n’abondent
    Et le croît du bétail et les gerbes de chaume
    Et la moisson, lourde au grenier comme au sillon. »

    Nous trouvons là une image qui perdure dans le « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France », de Sully, et dans les représentations iconographiques abondantes, du paysan intégré à l’ordre cosmique, soumis humblement aux travaux des saisons, suivant sagement, impassiblement les usages de sa condition, comme nous le suggèrent les miniatures vives des « Très riches heures du duc de Berry », ou le tableau de Bruegel l’Ancien, qui montre un laboureur absorbé par le sillon que trace le soc, tandis qu’à l’horizon, un Icare, victime de sa démesure et de son agitation imprudente, chute dans la mer infinie où voguent les vaisseaux.

    La France agricole est en effet cet « Empire du milieu » d’Occident, qui fait écho à la Chine. Elle abrite dans ses entrailles, comme le faisait remarquer Chaunu, le plus grand nombre de morts au monde. Elle est une terre bénie des dieux, singulièrement propice à toutes les variétés de productions agricoles, elles-mêmes reflets de types sociaux et culturels, souvent singularisés par une langue, un patois, qui ont fait de notre pays une contrée aux innombrables pays, et, malgré cela, un Etat fort et concentré. C’est cette originalité, cette personnalité que représente le maintien d’un monde agricole diversifié, et en même temps profondément attaché à la Nation française. Il n’est pas indifférent que Jeanne d’Arc fût une paysanne.

    Un imaginaire frappé par la modernité

    Néanmoins, nous voyons ce que nous avons perdu par l’exode rural. Des parlers se sont évanouis faute de locuteurs, ou abandonnés par les jeunes générations fascinées par la modernité. Des modes d’existence, des liens de solidarité, des complicités de village, des sensations mêmes, liées à un vocabulaire spécifiques, ont été irrémédiablement détruits par ce que l’on pourrait considérer comme un ethnocide. Les jeunes agriculteurs, rejoints par les « néo-ruraux », qui font monter le prix de l’habitat, cernés par la spéculation foncière, les aménagements des voies publiques, ne présentent plus guère de différence de vie, de consommation et de goût, avec les jeunes urbains. Après le formica des pères, c’est internet ou la télévision, le supermarché de la ville voisine ou la discothèque du samedi soir qui ont vite fait s’uniformiser les esprits. Le rapport à la terre s’est distancié. Du haut de tracteurs de plus en plus volumineux, ou à bord de quads pétaradants, le contact avec la glèbe n’est plus le même. On fait appel désormais à des sociétés pour ensemencer, et les semences elles-mêmes sont protégées par des brevets, ce qui interdit d’utiliser les graines qui résultent des plantes dont elles sont le produit. Au point que l’on se demande si le symbole d’un enracinement ancestral possède encore quelque justification. Mais qui dira ce que les symboles recouvrent encore au fond des consciences ?

    Claude Bourrinet (Voxnr, 26 février 2012) 

    Lien permanent Catégories : Points de vue 1 commentaire Pin it!
  • Comment rétablir la sécurité ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent article de Xavier Raufer, cueilli sur le site de Valeurs actuelles, qui expose la nécessité d'une vraie politique contre le crime organisé.

     

    armement 2.jpg

    Comment rétablir la sécurité

    Pour la première fois depuis longtemps, l’homicide régresse en Occident, des États-Unis à l’Europe de l’Ouest. Mais en France comme ailleurs, émerge un phénomène redoutable : la prise de contrôle des zones périurbaines par des bandes criminelles. Leur démantèlement est une priorité politique.

    Si la politique a un sens, toute grande campagne électorale est l’occasion d’un dialogue national sur les sujets clés, dans la perspective du quinquennat à venir. Or jusqu’à présent, les principaux candidats sont peu loquaces sur la sécurité. Certes, crise oblige, l’emploi est devenu, tous les sondages l’attestent, le souci quotidien des Français. Mais comment oublier que 15 millions de Français vivent dans des espaces périurbains où la violence fait désormais partie du paysage ?

    Voyez le sondage (Ifop-Paris Match-Europe 1), publié dans la Croix le 5 décembre dernier. Au printemps 2006, 40 % des sondés estimaient qu’“on ne se sent en sécurité nulle part” ; en 2010, 50 % des personnes interrogées étaient de cet avis ; ils sont aujourd’hui 56 %. L’Europe maintenant. En novembre 2011, la Direction générale de la justice et des affaires intérieures de l’Union européenne publiait un sondage sur la sécurité du continent : le crime organisé est-il un défi croissant pour l’Europe ? 48 % des Français le pensent. Dans ce domaine, la France en fait-elle assez ? Non : 48 %; oui : 39 %.

    Pour la campagne présidentielle la sécurité reste donc un enjeu fort. Peut-il être relevé ? Bien sûr, si l’on pratique le réalisme criminel, comme les États-Unis le font depuis vingt ans, au grand dédain des Diafoirus-sociologues, les nôtres et les leurs. Or, ce qui résulte de ce réalisme criminologique est énorme – on peut même parler ici du glas définitif de la “culture de l’excuse”.

    L’Amérique, le Far West plus Chicago ? C’est désormais une image d’Épinal. Alors que la crise s’installe outre-Atlantique et que ses conséquences sociales deviennent si tragiques que, selon le réputé Pew Research Center de Washington, 66 % des Américains – dont 55 % des sympathisants républicains – croient désormais qu’une “lutte des classes” oppose les riches au peuple, la criminalité s’effondre, notamment dans sa forme fatale, l’homicide. Donc, la misère ne provoque pas le crime, mais l’affaiblit, et ce, de manière significative : les très officiels Centers for Disease Control and Prevention révèlent ainsi en janvier que, pour la première fois depuis quarante-cinq ans, l’homicide n’est plus l’une des quinze causes majeures de mortalité aux États-Unis. En 2010, l’homicide était quinzième et dernier de la liste – le voici remplacé en 2011 par… la pneumonie des vieillards !

    Crime : la dialectique du local et du mondial

    À l’ère de la mondialisation, la question n’est plus seulement de maintenir classiquement l’ordre public dans les quartiers, c’est de frapper à la tête le crime organisé international et les banditismes locaux qui fonctionnent en réseau avec les grands trafics transcontinentaux (êtres humains, stupéfiants, etc.). Selon l’Onu, le marché mondial des stupéfiants, quelque 235 milliards de dollars par an pour la vente en gros (celle qui enrichit les cartels et mafias), est devenu, en effet, le troisième marché au monde, après ceux (licites) du pétrole et des armes de guerre. En 2009 (dernières données disponibles), le “chiffre d’affaires” du crime mondial (organisé ou non) s’est élevé à environ 1 570 milliards d’euros, soit 3,6 % du produit brut mondial (PBM). Là-dessus, l’argent criminel blanchi (donc réinjecté dans l’économie licite) est de 1 200 milliards d’euros, 2,7 % du PBM. Or seulement 1 % environ de cet argent a été mondialement confisqué par les services concernés.

    C’est sur ce sujet d’abord et surtout que les candidats devront répondre par des constats réalistes et des propositions pertinentes. Et ce, d’autant qu’en cette période de rigueur obligatoire, le crime coûte cher. Une étude récente de l’Institut pour la justice (“Que coûte l’insécurité ? ”, avril 2010) a décompté, de juillet 2008 à juin 2009, les coûts directs et indirects de tous les crimes et délits, sauf infractions au code de la route : préjudices financiers et moraux pour les victimes, dépenses publiques et privées de sécurité, etc.). Total pour la France : 115 milliards d’euros (5,6 % du PIB). Pour ce qui relève du crime organisé, la facture annuelle approche les 70 milliards d’euros.

    France : un problème criminel inquiétant, les bandes

    Depuis des années, la France connaît un problème massif de “criminalité de rues” provoquée par des bandes : règlements de comptes, racket, braquages, agressions violentes, cambriolages, incendies volontaires, etc. Or l’entrée dans ces bandes a lieu très jeune : 12 ans, 10 parfois. Chaque année, environ 150 000 mineurs sont poursuivis par le parquet, dont 50 000 d’entre eux seulement sont présentés à un juge des enfants.

    Les violences urbaines et suburbaines affectent surtout 26 départements métropolitains. Au milieu d’une nuée de mineurs “à problème”, les acteurs essentiels de cette criminalité sont des individus jeunes (16-25 ans), agressifs et dangereux, agrégés en “noyaux durs”. Les données disponibles montrent qu’ils sont assez peu nombreux, quelques milliers d’individus pour toute la France.

    Pas plus ? Non, car la criminologie contemporaine a révélé un type criminel hyperactif, le “prédateur violent”, qui, le plus souvent en “meute”, commet une énorme masse d’infractions.

    Des statistiques d’Île-de-France montrent ainsi que 5 % des malfaiteurs commettent la moitié des méfaits ; avant 18 ans, ces criminels en série – qu’une loi pénale naïve et surannée tient encore pour des “enfants” – sont déjà connus pour 50 infractions et plus ! S’agit-il pour autant de “paumés” ? de malheureuses victimes de l’exclusion ? Non : ces “criminels d’habitude” usent d’innombrables pseudos, vivent sous de fausses identités et n’habitent évidemment jamais à l’adresse indiquée sur leurs papiers.

    Or la plupart de ces hyperactifs du crime ont déjà été condamnés – et devraient donc être incarcérés – mais sont en liberté. Environ 80 000 peines de prison exécutoires, dont quelque 7 000 de plus d’un an, sont, de fait, non exécutées par la justice ! Un fait vivement regretté par la préfecture de police de Paris qui arrête parfois des braqueurs condamnés à cinq ans de prison. Libres comme l’air, ils poursuivent paisiblement leur business illicite après avoir déménagé !

    Ces quelques milliers de bandits aguerris sont-ils des inconnus ? Évoluent-ils dans la clandestinité ? Nullement. À domicile, ils sont célèbres, passant leur vie entre le commissariat et le bureau du juge. À force de rédiger des procès-verbaux à leur propos, les brigades anticrimes de banlieue en savent localement la liste par coeur.

    Bandes, prédateurs violents, hyperactifs du crime…

    Justice, travail social, “politique de la ville” : en amont même du travail éducatif, préventif ou répressif, les dysfonctionnements sont graves et les chantiers immenses.

    D’abord, que faut-il réformer ? Un aveu affligeant du ministère de la Justice donne, en creux, la marche à suivre : 80 000 peines de prison, on l’a vu, ne sont pas exécutées, celles prononcées étant pudiquement dites “en attente d’exécution”. Traduisons : par milliers, des bandits sont dans les rues, prêts à voler, voire à tuer. Où cette situation est-elle le pire ? Dans les ressorts de justice les plus populaires que sont Bobigny, Évry, Pontoise, Marseille, Lille, etc.

    D’où la question de la validité de la “politique de la ville” menée à coups de milliards depuis plus de vingt ans. À la fois pharaonique et ruineuse, cette politique, qui a pour seul objet de resocialiser les habitants des “quartiers sensibles” en améliorant leur habitat, leur accès à l’emploi et aux prestations sociales, est parfaitement inopérante en matière criminelle. Elle doit donc être totalement refondée. Sur l’un de ses territoires favoris, la Seine-Saint- Denis, on compte un vol à main armée par jour, week-end inclus. De sorte que plus on s’acharne à gaspiller des milliards, plus on aboutit à créer un paradigme de l’agriculture soviétique : pas moins de chômage ni de misère, et toujours plus de crime.

    Quelles solutions pour demain ?

    D’abord, il faudra élaborer en surplomb une stratégie anticrime proactive, du type de celles adoptées aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, et même désormais aux Pays-Bas, c’est-à-dire inspirée d’une conception criminologique réaliste selon laquelle la seule origine réelle et palpable du crime, c’est le criminel lui-même. Partant, quels outils efficaces utiliser ? Le renseignement criminel et l’injonction civile.

    Le renseignement criminel. Ayant pour cibles les gangsters et pour double objectif l’aide à la décision et la procédure judiciaire, il repose sur deux piliers : l’anticipation et l’articulation stratégique entre recherche et analyse.

    On sait ainsi que les criminels hyperactifs, imperméables à tout travail social, récidivent le plus souvent, dès qu’ils sont sortis de réinsertion. Ici, un renseignement criminel ciblé les neutralise efficacement, comme le prouve une expérience menée en 2001 : avant le passage à l’euro et ses multiples convois de billets de banque, la police a précisément ciblé les gangs de braqueurs de fourgons ; elle a anticipé leurs actions, ne les a pas lâchés. Résultat : un braquage de fourgon dans l’année, contre, d’ordinaire, deux par mois ! Faute de renseignement criminel pointu et précoce, la criminalité ne pourra qu’empirer : au plus tôt, l’État doit en savoir le plus possible sur l’activité, les effectifs, les projets et préparatifs des gangs commettant l’essentiel des crimes. Objectif : les surprendre en flagrant délit afin de les mettre pour de bon hors d’état de nuire.

    Une politique qui fait office de dissolvant antibandes

    L’injonction civile. Sous cette anodine appellation technique, voici une arme de destruction massive pour les gangs. Inventée aux États-Unis, désormais pratiquée en Grande-Bretagne, cette injonction prononcée par un juge interdit à des voyous organisés de fréquenter, à partir d’un jour J, certains quartiers et d’y rencontrer leurs comparses. En termes clairs, plus moyen pour le gang de se réunir une fois l’injonction prononcée – et surtout plus dans son fief. Utilisée en conjonction avec le renseignement criminel, cette politique d’injonction est le plus puissant dissolvant antibande jamais mis en oeuvre. Encore faut-il le vouloir et s’en donner les moyens.

    Tout programme électoral sérieux devra donc considérer ces indéniables réalités criminologiques, en gardant à l’esprit ce qui peut advenir si on ne se décide pas à réagir : la prise de contrôle total d’un territoire par des armées criminelles organisées, comme le feraient celles d’un État au sens traditionnel.

    Exagération ? Ce qui se passe aujourd’hui à la frontière américano-mexicaine devrait nous convaincre de prendre le phénomène au sérieux. Pour la première fois dans l’histoire contemporaine, à notre connaissance, l’“armée” purement criminelle des Zetas, mégagang encadré et dirigé par des déserteurs de l’armée et de la police mexicaine, a “libéré” un territoire au nord du Mexique, à la frontière même des États-Unis. Les Zetas y règnent seuls depuis la fin 2010 : tout militaire ou fonctionnaire mexicain y est assassiné, sitôt repéré. Une base criminelle géante, grande comme le Koweït, s’est implantée à quelque deux cents kilomètres de l’agglomération de San Antonio au Texas (2 millions d’habitants). Nous n’en sommes heureusement pas là en France. Mais n’est-ce pas la raison d’être des politiques que d’anticiper les évolutions à partir des ingrédients qui, chez nous, donnent déjà à réfléchir ?

    Xavier Raufer (Valeurs actuelles, 23 février 2012)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Tout le monde réarme, sauf les Européens...

    Nous reproduisons ci-dessous un article d'Alain Frachon, cueilli dans le quotidien Le Monde, qui dresse un constat inquiétant et pose, au final, une question essentielle. On aimerait savoir ce qu'en pensent les candidats à l'élection présidentielle... 

     

    guerrier européen 2.jpg

     

    Tout le monde réarme, sauf les Européens 

    La Russie réarme, à grande vitesse. La Chine pourrait doubler son budget de la défense d'ici à 2015. Les Etats-Unis entendent rester la première puissance militaire mondiale. Un seul continent désarme, comme s'il avait chassé la guerre de son horizon : l'Europe. Est-ce que c'est important ?

    Commençons par l'actualité la plus récente, celle des propos fracassants tenus par Vladimir Poutine au début de la semaine. A quelques jours de l'élection présidentielle du 4 mars, qu'il n'imagine pas perdre, M. Poutine a annoncé le plus gigantesque programme militaire russe depuis la fin de la guerre froide. L'une de ses priorités sera de moderniser et de transformer de fond en comble l'appareil militaire du pays, écrit-il dans le quotidien Rossiyskaya Gazeta.

    L'ennemi principal est désigné : l'Ouest. La plus grande menace qui pèse sur la Russie, celle qui peut rendre obsolète son arsenal de missiles, est le bouclier antimissile américain, poursuit le premier ministre. Ce système de défense antimissile, auquel Washington a proposé à Moscou de participer, est censé protéger l'Europe. Vladimir Poutine ne l'entend pas ainsi. "Nous devons contrer les efforts des Etats-Unis et de l'OTAN en matière de défense antimissile", assure-t-il. Pas question d'accepter l'offre de collaboration des Etats-Unis : "On ne saurait être trop patriotique dans cette affaire", dit l'ancien président ; la réponse de la Russie sera "de tenir en échec le projet américain, y compris sa composante européenne".

    Dans les dix années à venir, M. Poutine prévoit de passer pour 772 milliards de dollars (583 milliards d'euros) de commandes militaires. La liste des courses est éclectique : 400 nouveaux missiles balistiques intercontinentaux ; 2 300 blindés de la dernière génération ; 600 avions de combat ; 8 sous-marins porteurs de missiles nucléaires et 50 bâtiments de surface - sans compter une palanquée de matériels plus légers.

    A l'arrivée, en 2022, le poste défense dans les finances publiques russes représentera de 5 % à 6 % du produit intérieur brut (PIB) du pays.

    La plupart des experts s'accordent sur trois points. L'état de l'armée russe actuelle n'est pas brillant et justifie une politique de modernisation. Mais le programme de M. Poutine n'en est pas moins marqué par quelque chose qui relève de la paranoïa. Enfin, il est à peu près sûr que l'industrie de défense russe est incapable de fournir ce que lui demande le candidat.

    Le deuxième effort militaire le plus notable sur la planète est celui de la Chine. D'ici à 2015, son budget militaire aura doublé, estiment cette semaine les spécialistes de la revue Jane's Defence. Il devrait alors atteindre 238 milliards de dollars (180 milliards d'euros). Cela fait plus de vingt ans que son taux de progression est à deux chiffres.

    Jane's Defence juge que le total des dépenses militaires chinoises se montera à 120 milliards de dollars en 2012, soit plus que le budget militaire combiné des huit premiers membres de l'OTAN, à l'exception des Etats-Unis. Méfiants et très concernés, les Japonais assurent que les Chinois ne donnent pas les vrais chiffres de leurs dépenses militaires. Jane's Defence considère qu'elles ne sont pas disproportionnées : elles représenteraient 2 % du PIB de la deuxième économie mondiale.

    Qui est l'ennemi ? Cette fois encore, les Etats-Unis. Mais les analystes de la politique de défense chinoise disent que Pékin n'a aucunement l'intention d'égaler la puissance militaire américaine. Le premier objectif stratégique des Chinois est de protéger leur environnement maritime, ces 1 800 kilomètres de côtes qui s'étirent de la mer Jaune au nord à la mer de Chine méridionale. Voies d'eau essentielles qui acheminent une énorme partie de l'approvisionnement énergétique et alimentaire du pays.

    La Chine considère que cette zone maritime relève de sa tutelle. C'est là, et pas ailleurs, qu'elle entend afficher sa prépondérance. Les armes qu'elle développe - missiles anti-porte-avions, porte-avions, bombardiers furtifs - n'ont qu'un objectif : chasser les Etats-Unis du Pacifique occidental.

    Les Américains ne vont pas se laisser faire. Au contraire. Ils veulent rester une puissance militaire écrasante - plus de 40 % de l'effort militaire mondial à eux seuls. Avec plus de 700 milliards de dollars, leur budget de défense 2011 est à peine inférieur à ce que M. Poutine veut dépenser d'ici à 2022.

    L'Amérique sort de dix ans de guerre, en Irak et en Afghanistan, avec des résultats mitigés. Lancés par George W. Bush, qui a simultanément diminué les impôts, ces deux conflits ont fait exploser la dette américaine.

    Pour des raisons financières et stratégiques, Barack Obama veut dégager les Etats-Unis de ces engagements prolongés à l'étranger. Il a commencé à réduire le budget de la défense, un peu. L'objectif affiché est de passer en dix ans d'un volume de quelque 700 milliards de dollars annuels à un peu moins de 500. Ce qui devrait assurer aux Etats-Unis une domination militaire incontestée jusqu'au beau milieu du siècle...

    Mais M. Obama réoriente aussi les priorités stratégiques du pays. Il veut contrer le projet chinois : l'Amérique restera, dit-il, une puissance militaire du Pacifique. Elle y renforce ses alliances et en noue de nouvelles. Aucune coupe dans le budget de la défense ne concernera cette région. Le réalignement américain se fait aux dépens de l'Europe.

    Il n'y restera bientôt plus que 30 000 soldats américains, contre 100 000 encore à la fin de la guerre froide.

    L'Europe choisit ce moment précis pour désarmer. Massivement. Elle ne s'estime pas concernée par la course aux armements alentour. Ni par le retrait américain du Vieux Continent ou par les années de turbulences qui s'annoncent au Proche-Orient.

    A l'exception de la France et de la Grande-Bretagne, tous les pays européens taillent dans leur défense. Ils avancent qu'ils modernisent et rationalisent leurs armées. Mais l'argument cache mal la réalité : les Européens désarment. Renonceraient-ils à être l'un des acteurs du siècle ?

    Alain Frachon (Le Monde, 23 février 2012)

    Lien permanent Catégories : Géopolitique, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Une solidarité européenne à sens unique...

    Nous reproduisons ci-dessous le point de vue de l'économiste dissident Jean-Luc Gréau sur le Mécanisme européen de stabilité. Les propos ont été recueillis par Gil Mihaely pour le site Causeur.

    mes.jpg

    Gil Mihaely. Le 21 février, à la demande du gouvernement, l’Assemblée nationale a examiné en procédure d’urgence le projet de loi ratifiant le Mécanisme européen de stabilité (MES), sorte de Fonds monétaire européen. Son rôle : soutenir la stabilité d’un État membre dont les difficultés financières risquent de menacer la zone euro. Est-ce un bon outil pour résoudre les problèmes de la dette en Grèce ainsi qu’au Portugal et en Espagne ?

    Jean-Luc Gréau. Je ferai une double observation préliminaire : pourquoi faut-il sauver les pays que l’euro protégeait et favorisait et sauver en même temps cet euro qui paraissait bâti pour durer des siècles ? Pourquoi les dirigeants européens passent-ils désormais l’essentiel de leur temps en négociations interminables alors que leur présence et leur action sont réclamées par ailleurs (au train où vont les choses, ils seront en conclave européen permanent) ?
    Sur le Mécanisme européen de stabilité, nouvelle mouture du Fonds européen de stabilité financière (FESF), nous devons statuer : pouvons-nous sortir de la faillite grecque, irlandaise, portugaise, voire espagnole en surendettant un peu plus les voisins ? Je crois que c’est un contresens. Il fallait, dès mai 2010, accepter le défaut de paiement de la Grèce et sa sortie de l’euro.
    D’ailleurs, l’efficacité du MES sera mise à l’épreuve dès le 20 mars, jour où le Trésor grec devra lever plus de 14 milliards d’euros pour se refinancer, somme qui équivaut à 110 ou 120 milliards pour un pays comme la France ou l’Italie. Les prêteurs accepteront-ils de souscrire sur la base des garanties accordées par l’Europe ? Peut-être avec l’argent que la Banque Centrale Européenne leur prête à un taux d’1%. Mais ce n’est même pas sûr.
    Dans l’immédiat, la Grèce continue de s’enfoncer. Une entreprise sur quatre a mis la clef sous la porte. La moitié des entreprises restantes n’est pas en mesure de payer ses employés à l’échéance. Les salaires du privé ont baissé de 15% en moyenne, ceux du public de plus de 20%. Une économie de troc a commencé à s’installer, qui ne paie évidemment pas d’impôts. Les Grecs des villes commencent à retourner à la campagne pour exploiter des lopins de terre.

    GM. Le MES n’aura de comptes à rendre ni au Parlement européen ni aux parlements nationaux. Et pour avoir accès aux aides du MES, un État devra avoir accepté toutes les dispositions sur l’austérité budgétaire inclues dans le traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance dans l’Union économique et monétaire (TSCG). La solution à l’actuelle crise de l’euro est-elle d’accélérer l’intégration européenne et de renoncer à la maîtrise de notre budget national ainsi qu’à une part importante de notre souveraineté ?

    JLG. Le lien politique entre le MES et le traité de discipline budgétaire crée un imbroglio. Le traité vaut pour tous, même pour les Etats dont la dette n’a pas encore été menacée, c’est-à-dire que même la France devrait faire approuver son budget national par cette instance. Ce point devrait être, avec l’euro et les institutions européennes, au cœur de la campagne électorale. Son absence démontre la faiblesse des politiques. Peut-on croire un seul instant que François Hollande fera amender le traité ?
    Quant à la « gouvernance » européenne, cette question pose un problème technique : sur quels critères apprécier la situation d’un pays ? Il y a quatre ans, l’Irlande affichait une dette publique de 25% du PIB et un excédent budgétaire. L’Espagne, une dette de 40% du PIB et un excédent budgétaire. Y avait-il de quoi les mettre sous surveillance ? Non, mais le problème se situait ailleurs, dans l’immobilier et le crédit bancaire.

    GM. Cette question n’est pas technique mais éminemment politique… Les élections d’avril, mai et juin gardent-elles encore un quelconque intérêt lorsque quand les questions les plus importantes ne sont pas à l’ordre du jour ?

    JLG. Vous avez raison et j’allais y venir. L’autre face de la question de la gouvernance européenne est évidemment politique : si, effectivement, le nombre d’ambassades, de lycées français à l’étranger, d’avions de chasse de la France doit être fixé à Bruxelles, nous n’avons guère de raison de voter. La Grèce et l’Italie sont aujourd’hui gouvernées par des banquiers nommément désignés pour appliquer des programmes « européens » de redressement de leur pays. La démocratie est au bord du gouffre. J’ajoute un point sur lequel nos politiques et nos journalistes sont muets. La Grèce et l’Irlande se sont proclamées « portes d’entrée de la Chine en Europe » pour attirer les capitaux chinois. Or, nous avons subventionné ces deux chevaux de Troie par le biais des fonds structurels européens puis engagé le crédit de la France, de l’Allemagne et des Pays-Bas (entre autres) pour éviter leur défaut de paiement instantané. Pourquoi la solidarité joue-t-elle dans un sens et pas dans l’autre ?

    Jean-Luc Gréau (Causeur, 23 février 2012)

    Lien permanent Catégories : Décryptage, Economie, Points de vue 1 commentaire Pin it!