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Points de vue - Page 355

  • Le temps du choix...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue de Claude Bourrinet, cueilli sur Voxnr et consacré aux heures décisives qui nous attendent et qui nécessiteront de notre part un choix...

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    Le temps du choix

    Commenter l’actualité, chaque semaine, impose le terrain, et donc la règle, celle que l’actualité plus ou moins médiate formule, à travers sa logique tennistique de va-et-vient par-dessus le filet de l’opinion. Les rets qui emprisonnent les discours, les concepts, et même les rêves, sont comme l’issue fatale de ce détour qui nous porte vers l’appât, le leurre astucieusement disposé par le chasseur. La politique, à la suite de la moribonde religion, fut un temps le dépôt du bonheur moderne, le réceptacle des utopies et des millénarismes sécularisés. Mais tout amour-passion a une fin, et les peuples se réveillent de leurs émois dans la désillusion des vieux couples, las d’eux-mêmes, mais captifs de leurs habitudes.

    Ainsi a-t-on voté, et votera-t-on, en masse. Ou peut-être un peu moins. La politique a aussi ses athées, et ses agnostiques. Sans compter ses tartuffes. Que retenir donc du remuement des choses courantes ? On s’apercevra que des mois de mots furieux et de comédie – puisque la politique est du théâtre, ce qui ne la dépare pas forcément – ont donné une curieuse apathie collective. On s’aperçoit que beaucoup ont voté contre Sarkozy, qui, pour sa part, ne s’en tire pas si mal. Touché, mais pas coulé. Si les affaires qui le poursuivent ne l’éreintent pas, si ses petits camarades ne lui broutent pas l’herbe sous le pied, et si la gauche, comme c’est probable, sombre avec le pays, il peut revenir comme une sorte de sauveur. Quant à Hollande, il n’essaie même pas de pousser le lyrisme jusqu’aux sommets grandiloquents de 81, même si des reflets ménagés astucieusement ont remué quelque nostalgie. Toutefois, le temps est à la gestion, la sacro-sainte prise en charge de la réalité. A tel point que, comme il était prévu, il existe peu de différence entre le gouvernement actuel et le précédent : la politique économique, tout autant libérale et mondialiste, s’appuie sur une Europe dominée par les banques, et ce n’est pas une légère déclinaison en faveur d’une hypothétique croissance qui change quoi que ce soit. Dans le domaine des relations étrangères, la France est toujours inféodée aux USA, et garde sa place subalterne au sein de l’OTAN. Les velléités de retrait d’Afghanistan sont à relativiser : les troupes françaises restent sur le terrain, pour réaliser ce pour quoi elles y étaient, à savoir la logistique et la formation des cadres de la police et de l’armée afghane, bras armé du fantoche Karzaï. On apprend au demeurant que la petite mise en scène, à Camp David et à Chicago, d’un président français, terriblement normal, face à un président américain condescendant, était préparée depuis plusieurs mois, et que le retour des militaires français était plié, à condition que nous acception le principe du bouclier anti-missiles installé par l’Otan, officiellement dirigé vers le Moyen-Orient, mais en réalité vers la Russie. Pour le reste, et malgré une petite virée, bien étrange, de Rocard à Téhéran, on reste ferme vis-à-vis de l’Iran, de la Syrie, et l’on a pour Israël les yeux de Chimène. La Russie est gourmandée, même si elle nous achète des navires de guerre. Et on ne voit aucune véritable erreur dans l’intervention militaire en Lybie, qui a conduit à la déstabilisation du Mali et à l’instauration d’un régime islamiste, tortionnaire et chaotique. Bref, tout peut aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, à condition de l’aider à devenir meilleur, c’est-à-dire à persévérer dans la discrimination positive, à réjouir les lobbies gay, lesbienne et tutti quanti, à enfoncer un peu plus le système éducatif dans la boue pédagogiste, et à lutter avec sévérité contre le racisme, l’antisémitisme etc. Bref, de la vieille soupe réchauffée. Ah ! j’oubliais : il y a exactement 17 femmes et 17 hommes au gouvernement, ce qui constitue sans doute un petit pas pour un premier ministre, mais un grand pour l’humanité…

    Il n’y a donc pas de quoi fouetter un journaliste. La grisaille de la décadence quotidienne, pour ainsi dire.

    Sauf que d’autres constats inquiètent tout autant. Nous ne reviendrons pas sur le score important des partis de gouvernement aux dernières élections présidentielles, d’autant plus que la participation a été élevée. La demi-réussite de Sarkozy, ajoutée au cynisme des partisans de Hollande, dont l’américanoïde Terra Nova est l’une des figures emblématiques, témoignent d’une affligeante adhésion, du moins d’une acceptation tacite, dans l’opinion, de l’ordre des choses. Les reports de voix, bien que moindres qu’en 2007, en faveur du champion affiché des Etats-Unis, montrent qu’une certaine pédagogie patriotique est encore utile.

    Certes, la rhétorique ultra du candidat de l’UMP, sécuritaire, nationale et anti-immigrationniste, même si son outrance ne parvient pas à voiler l’hypocrisie d’une telle mise en boîte de l’opinion, n’est pas sans avoir connu un certain succès, notamment en ressuscitant une dichotomie droite/gauche, que le résultat sans ambiguïté du référendum de 2005 sur le traité de constitution européenne avait invalidée. Les élections de 2012 marquent une certaine régression dans la prise conscience des véritables enjeux, même si le Front national peut, à bon droit, avoir l’impression d’avoir marqué des points.
    Encore faut-il identifier les problèmes qui sapent notre société et notre identité. Et c’est justement là que l’on perçoit les limites de la politique, le conditionnement de nos angoisses, et de nos aspirations, qui en sont orientées finalement selon les desiderata du système.

    Chaque Français doit, avant d’opter pour un choix électoral, sonder ce qui l’agit au plus profond du cœur et des reins. Or, un choix électoral se fait au nom d’idées assez convenues, du fait des règles d’un jeu médiatique formaté et canalisé. Nous nous apercevons alors que les questions offertes ne nous concernent pas totalement, et que nous sommes contraints d’abandonner notre voix en dépit de ce que nous ressentons.
    Cependant, qui fait l’effort d’interroger ce qu’il est, ce qu’il vit, ce qu’il incarne ? Il ne peut exister de véritable politique si l’air que nous respirons, la langue que nous utilisons, le goût de nos rapports les plus intimes avec le monde, la couleur de nos dilections, l’intensité de nos rejets, le grain de nos impressions ne sont pas sollicités, et mis à la question. Qu’est-ce qu’être français ? Européen ? Qui n’a pas conscience, dans sa chair, dans ses mœurs, ses relations, que nous sommes colonisés, que nous sommes soumis à une culture exogène qui nous aliène, nous rend autres, étrangers à nous-mêmes, à notre propre pays, à notre passé, à nos traditions, au mode de vie qui nous fait advenir à la clarté de l’existence. Qui n’éprouve pas cela n’atteint pas le degré de connaissance de soi qui l’appelle à la vie.

    Depuis la fin de la guerre, l’american way of life a contaminé les moindres aspect de la vie publique et de la vie privée, à tel point que l’on regarde et écoute sans sourciller des publicités qui vantent les goûts d’outre-Atlantique, sur des musiques anglo-saxonnes gluantes et horriblement stéréotypées, et des jeux d’acteurs mortellement formatés. Les publicistes considèrent que ces esthétiques pornographiques plaisent au grand nombre, et probablement ont-ils raison, bien qu’il faille faire la part, dans leur stratégie, à la propagande. Car la réclame est aussi de l’endoctrinement. Qui évoquera en outre le cinéma pour ados, débile et de mauvais goût, le show business envahissant, avec le nombre grandissant de musiciens français qui chantent en anglais, la nourriture que nous absorbons, et surtout le rythme de vie qui nous est imposé par la vie moderne, et qui tend à ressembler à celui des Américains, qui évaluera la nature des émissions télévisuelles consommées, et même le fait de regarder cette télévision, qui a tué, comme la pratique de l’automobile, la vie authentique et relationnelle que les générations précédentes connaissaient encore, qui n’a pas envie de hurler devant ce meurtre d’une nation, de son corps et de son âme, ne sait pas ce qu’il est vraiment.

    Tout n’est pas mauvais, pourtant, de l’Amérique. Oui, il faut le dire, même si les Américains ne sont pas les premiers à défendre ce qu’ils apportent de bien au monde. Le jazz, par exemple, est plus populaire en Europe, et singulièrement en France, que dans sa patrie de naissance. Il paraît aussi que le livre génial de Jack Kerouac, On the Road, qui s’en prenait vertement à l’Amérique puritaine, et initiait cette tentative de libération d’une société pourrie par le fric et le moralisme, qu’était la Beat Generation, était boudé par les libraires, et de moins en moins lu à mesure que les USA s’engageait dans le Nouveau capitalisme. Pour nous, Français, et d’autant plus que Kerouac avait des racines bretonnes, et qu’il était d’origine canadienne francophone, et qu’il se réclamait de Rimbaud et de Céline, il était l’un des nôtres. Pourquoi parler de lui, au moment où l’on a tenté, apparemment avec succès, d’adapter au cinéma son chef d’œuvre ? Eh bien, celui qui lit cette prose enflammée, endiablée, enivrée comme une ruée continentale, a une petite idée de ce que c’est que de sentir d’immense espaces, presque infinis, à portée de désir et de conquête. Lorsqu’on met les pieds sur le Nouveau continent, la sensation que tout est possible, que l’on jouit d’une liberté aussi grande que les terres qui s’étendent jusqu’au Pacifique, emplit l’esprit et le fait vibrer de désir. La nostalgie des vieilles rues européennes, des églises romanes, des places monumentales de l’Europe arrive assez vite, mais on voit ce qui nous manque ici.

    Dans la Rome antique, un Européen pensait le monde d’Alexandrie à l’Atlantique, de Carthage à la Mer du Nord. Les armées parcouraient des milles pour défendre une seule patrie. C’était le cas encore avec Charlemagne. Au moyen-âge, les pèlerins et les chevaliers sillonnaient les routes de la Chrétienté pour porter leur foi ou leurs armes. Nous, Français, avons le souvenir des batailles de la Grande armée napoléonienne, quand la Grande Nation, comme disent les Allemands, respirait à l’échelle d’un Empire. Nos colonies mêmes ouvraient des horizons à la soif d’aventure de nos jeunes soldats et de nos officiers.

    Quels sont nos horizons ? A quoi aspirons-nous ? De quoi voulons-nous nous délivrer ? Quelles sont nos chaînes ? Sommes-nous encore dignes de l’Histoire humaine ? Sommes-nous capables de regarder au-delà des turpitudes politiciennes, et de nous fixer des horizons nouveaux, des frontières si ambitieuses, que nous pourrions encore nous sentir capables de soulever des montagnes ?

    Claude Bourrinet (Voxnr, 23 mai 2012)

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  • G8, mon amour...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue acide et sans illusion de Jérôme Leroy, cueilli sur Causeur et consacré au sommet du G8...

    Auteur de romans d'anticipation noire, comme Monnaie bleueBref rapport pour une très fugitive beauté ou  La minute prescrite pour l'assaut, Jérôme Leroy a récemment publié Le Bloc, aux éditions Gallimard...

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    G8, mon amour

    Je regarde une photo de famille, comme on dit, du dernier G8 à Camp David. François Hollande, encore une chose à mettre au passif de son bilan catastrophique, forcément catastrophique, a commis une énorme faute de goût. Cette année, le protocole avait demandé que les chefs d’état soient habillés « casual ». Evidemment, il est arrivé en costume et a dû retirer en catastrophe sa cravate. Il se croyait où, ce ballot ? Encore sur le marché de Tulle à distribuer des tracts socialistes ? Décidément, il n’est pas rompu aux exercices d’hypocrisie, notre nouveau président. Quand le gouvernement mondial s’apprête à accroître la pression sur les peuples, quand il va mener une politique encore plus dure, il doit se montrer résolument et définitivement cool. L’équivalent sur le plan vestimentaire, si vous voulez, de cette figure rhétorique que l’on appelle l’antiphrase.

    J’espère que Hollande n’a pas oublié de tutoyer ses homologues, en plus. Il ne manquerait plus qu’il ait voulu la jouer solennel, mettre des formes comme dans les sommets internationaux du monde d’avant. Non, un G8, c’est comme une start-up, une entreprise jeune et sympathique où tout le monde se dit tu, se passe la main dans le dos, est super-pote, où l’on adopte là aussi le casual friday, où l’on se souhaite de manière sympatoche les anniversaires. Ce coup-ci, d’après ce que j’ai compris, c’était celui du premier ministre japonais, Yoshihiko Noda. Il a eu le droit à un beau gâteau au chocolat garanti non irradié et comme il a vite eu la bouche pleine, il n’a pas pu répondre au véritable bilan humain et écologique de Fukushima. D’ailleurs, personne n’aurait eu le mauvais goût de lui poser la question. Il y avait des sujets autrement plus urgents à débattre. Une vraie ligne de fracture idéologique entre croissance et austérité, plus exactement entre austérité libérale et croissance libérale.

    La différence ? Ah, mais elle est essentielle, la différence… Par exemple, une politique d’austérité libérale vise à l’équilibre budgétaire, restreint le crédit, augmente la durée du travail et les impôts tout en baissant les salaires. En revanche, une politique de croissance libérale, celle souhaitée par Hollande, le SPD allemand ou même par Obama qui angoisse légèrement à l’idée de voir l’Europe devenir un marché atone pour ses exportations et des pays comme la Grèce ou l’Espagne menacer de faire imploser le système en se clochardisant, c’est tout le contraire.
    La croissance libérale utilise les fonds publics, comme les fonds de stabilité de l’UE ou ceux de la Banque Européenne d’investissement, pour doper l’investissement privé et améliorer la compétitivité. Evidemment, cela suppose que l’on baisse les salaires et que l’on augmente les impôts.

    Si vous ne voyez pas de différence, c’est que vous êtes un salarié. Un salarié de mauvaise foi, probablement syndiqué de surcroît. Ou alors, par un regrettable malentendu, vous avez cru que la croissance libérale correspondait à un genre de néo-New-Deal rooseveltien. Auquel cas, on vous répondra qu’il ne faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des keynésiens sauvages et que l’espoir de voir la génération suivante vivre mieux que vous, ou même simplement moins mal que vous, est terminé. Et ce ne sont pas les petits voyous d’étudiants québécois auxquels on répond par des lois d’exception, les indignés espagnols qui font leur retour sur les plaza, le terrorisme de la « jambisation » qui reprend en Italie ou les manifestations endémiques en Grèce qui vont changer quoi que ce soit à la saine gestion du capitalisme planétaire.

    Je regarde encore la photo du G8. Quelque chose me gêne, mais quoi ? Ah, ça y est j’y suis. Autour de la tablée des chouettes copains, il y en a de moins en moins qui tiennent leur pouvoir d’une quelconque légitimité populaire alors que je pensais naïvement que le libéralisme économique supposait le libéralisme politique. Par exemple, Barroso, pour la Commission Européenne, cet ancien maoïste de la révolution des Œillets qui ferait désormais passer Alain Madelin pour Lénine, il est élu par qui, en fait ? Et Mario Monti, l’ancien employé du mois de Goldman Sachs, l’éminent membre du groupe Bilderberg, à la tête de son gouvernement technique, il a gagné quoi comme élections ?

    Mélenchon, avec sa sale tête, a parlé du G8 comme d’ « une institution détestable ». Je trouve aussi. Mais je me rends bien compte de la stérilité de mon attitude. Et je sais qu’un jour, après un long travail, on pourra dire de moi ce qu’Orwell dit de Winston à la fin de 1984 : « Il aimait Big Brother. » Euh, pardon, « Il aimait le G8. »

    Jérôme Leroy (Causeur, 22 mai 2012)

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  • Et la sécurité ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Raufer, cueilli sur Valeurs actuelles, dans lequel il déplore le silence des candidats à l'élection présidentielle sur la lutte contre les bandes criminelles armées et l'échec total de la «politique de la ville»... 

     

     

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    Campagne : et la sécurité ?

    Dans ce qui aura constitué le sommet de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy et François Hollande se sont affrontés dans un âpre duel télévisé. Ordre du jour supposé : l’avenir de la France dans tous les domaines vitaux et, dans ce cadre, les grandes oppositions droite-gauche. Tous, vraiment ? Non, hélas, car jamais dans les 170 minutes du débat il ne fut question de sécurité.

    S’est-il seulement agi d’un incroyable et mutuel oubli ? D’un implicite (ou explicite) souci d’occulter ce qui fâche et de balayer la poussière criminelle sous le tapis ? Une criante absence en tout cas – et d’autant plus malheureuse qu’en matière de sécurité, la France n’est pas en bon état.

    Infiniment plus qu’un rabâchage convenu qui n’aura rien appris de nouveau aux Français sur les positions économiques respectives des deux finalistes de la présidentielle, deux sujets au moins auraient mérité une attention soutenue, en raison à la fois de leur gravité et de leur coût : l’explosion criminelle marseillaise et la tragique “politique de la Ville”.

    Marseille d’abord. Ces dernières décennies, l’exubérance criminelle, la dimension proprement politique du grand banditisme régional provoquaient une seule réaction des élus et officiels locaux : à chaque drame, ils bêlaient en cœur “Marseille n’est pas Chicago” puis, ce rituel de conjuration accompli, retournaient à leurs combines. Or aujourd’hui, Marseille, c’est Chicago en pire : les jours pairs, des bandits s’entre-tuent à l’aide d’un inépuisable arsenal d’armes de guerre et les jours impairs, on exhume des cadavres calcinés des futaies alentour.

    Au fait, à quand remonte le début de la tuerie ? Une amusante coïncidence se constate avec la tenue, au printemps 2010, d’un “atelier professionnel” voulu et financé par la Mairie de M. Gaudin (dite “de droite”), sur le thème “Trafic de drogue et intervention sociale dans les quartiers populaires”. Cet incroyable hymne à la culture de l’excuse produisit alors l’effet d’une hormone de croissance sur les “bandits des cités” marseillaises, présentés comme autant de victimes, dont les trafics et les exactions résultaient « de la débrouille et de la pauvreté » et constituaient (je cite toujours) « des formes d’accès aux ressources » (voir ma chronique du 11 mars 2010, "De la limite des tables rondes").

    Ce que les calamiteux élus de la “droite” marseillaise ignoraient, c’est qu’en pareil cas, les “débrouillards” se coalisent forcément en bandes pour “accéder aux ressources” sur “leur” territoire. Et qu’entre eux éclatent vite des guerres – on y est – d’autant plus meurtrières que la côte grouille d’armes libyennes, bradées par des milices tribales et des trafiquants africains.

    Partant du désastre marseillais, des échanges auraient ainsi été les bienvenus entre candidats : que faire contre cette prolifération des gangs ? Comment interdire les flux d’armes de guerre entre les deux rives de la Méditerranée ? Comment constituer un outil performant de renseignement criminel ? Mais rien.

    Autre sujet majeur – et lié au précédent : celui de la “politique de la Ville”, la pire catastrophe des trente dernières années, cogérée dans l’opacité par les partis de gouvernement. Désastre ? Et comment ! Rappelons que, dès l’origine, la très idéologique “politique de la Ville” avait pour objet exclusif de « mettre un frein à la poussée des ghettos, à la dérive insécuritaire et à la montée en puissance du Front national » (le Figaro du 23 mai 1990). On voit le résultat.

    Des milliards ont depuis lors été engloutis dans l’aventure : « Les pouvoirs publics n’ont pas ménagé leurs efforts. Des centaines de millions d’euros investis dans la rénovation urbaine pour… reconstruire des quartiers entiers » (le Monde du 4 novembre 2011). Pour 2004-2013, le “plan Borloo” aura ainsi coûté 42 milliards d’euros – ou même 45, selon les sources. Cependant, toujours plus de communautarisme, de drames et de kalachnikovs – car le syndrome marseillais tend à contaminer la périphérie d’autres métropoles. Et tous le savent, le Monde du 17 mars dernier qualifiant même cruellement la rénovation urbaine de « ghetto, mais en plus propre ». Donc, silence sur les gangs et la “politique de la Ville” : sur les banlieues, « les candidats à la présidentielle sont en panne d’idées », lisait-on dans les Échos, en mars.

    Une panne de mauvais augure, car dans cet oubli du réel et dans l’occultation systématique de ce qui fâche, un précédent existe : le face-à-face George Bush-Al Gore organisé lors de campagne présidentielle américaine de 2000. Un face-à-face qui démontre une fois de plus que, dans la société de l’information, le plus dangereux, c’est ce qu’on n’a pas pu ou pas voulu voir.

    Lors de ce face-à-face, composé de trois débats d’une heure chacun, l’ensemble des sujets vitaux pour l’avenir des États-Unis devait en effet être abordé. De la fiscalité à l’agriculture en passant par l’éducation, ils le furent tous, effectivement. Tous, sauf un, radicalement oublié : le terrorisme.Moins d’un an plus tard, le 11 septembre 2001, la foudre tombait sur New York.

     Xavier Raufer (Valeurs actuelles, 17 mai 2012)

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  • Vote ethnique ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy, cueilli sur Polémia et consacré à l'analyse des excellents résultats obtenus par François Hollande dans les banlieues des villes importantes.

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    L'immigration est aussi une chance pour les socialistes !

    On abordait jusqu’alors la question de l’immigration du point de vue économique : l’impact de l’immigration sur le chômage et sur les comptes sociaux. L’immigration a aussi été approchée du point de vue du « droit » au séjour et à la nationalité, lors de la question des « sans papiers » et du « droit du sol ». Malgré la censure des médias, l’immigration a aussi été évoquée sur le registre de l’insécurité et celui de la délinquance. La question de l’abattage hallal a enfin conduit à poser en termes concrets la question de l’islamisation de notre société et à renouveler le débat sur la laïcité.

    Mais l’immigration n’avait jusqu’alors pas été abordée sous l’angle de la souveraineté politique, sauf par Guillaume Faye dans son livre La Colonisation de l’Europe (paru en 2000), qui lui valut d’ailleurs des poursuites judiciaires. Mais, à la lumière de l’élection présidentielle de 2012 et de la victoire de F. Hollande, on ne peut plus esquiver la question.

    La présidentielle de 2012 renouvelle la question

    Le sujet était jusqu’alors délicat car peu d’études permettaient de l’approcher. En outre, l’idée que les personnes d’origine immigrée répartissaient leurs suffrages d’une façon diversifiée ou bien s’abstenaient majoritairement était largement répandue. G. Faye pensait pour sa part que le vote ethnique ou religieux s’affirmerait et ne profiterait pas aux partis en place. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé en 2012.

    Les images des drapeaux africains et maghrébins agités sur la Place de la Bastille au soir du 6 mai 2012, comme dix ans auparavant au soir du second tour de l’élection présidentielle de 2002, illustrent le fait que nous avons changé d’époque. Comme le montraient aussi les réunions du candidat F. Hollande où l’assistance était nettement plus « ethnique », comme on dit en novlangue, que celle des réunions de N. Sarkozy. Elles ont apporté la preuve visuelle, en effet, que les électeurs issus de l’immigration, et notamment des musulmans, ont voté en très grande majorité pour le candidat socialiste.

    Déjà en 2007

    Cette situation était déjà apparue pour l’élection présidentielle de 2007.

    Le sondage CSA/La Croix du 22 avril 2007 montrait que le comportement des électeurs se déclarant « musulmans » différait radicalement de celui des autres : 78% pour la gauche et l’extrême gauche, contre 35% au plan national. L’analyse des résultats des villes phares de l’immigration en Ile-de-France, en Isère et dans le Rhône donnait des résultats comparables : la candidate socialiste recueillant de 60 à 70% des voix ; une analyse plus fine des bureaux de vote montrait que, dans les quartiers à forte immigration, la candidate socialiste recueillait 80% des voix.

    Une adhésion massive du vote ethnique

    L’élection de 2012 confirme la tendance mais en l’amplifiant.

    Le sondage Opinion Way/Fiducial/le Figaro du 6 mai révèle une adhésion massive des électeurs musulmans en faveur de F. Hollande : 93% des voix. Déjà, au premier tour, la même étude montrait que 59% des ces électeurs avaient voté pour F. Hollande et 23% en faveur de J.L. Mélanchon, N. Sarkozy ne rassemblant que 4% de leurs voix.

    Le score du candidat socialiste dans les départements d’outre-mer (de 62% en Guyane à 71,9% en Guadeloupe) témoigne d’un positionnement comparable : les Antilles et La Réunion lui ont apporté 600.000 voix en effet, un apport qui n’était pas mince alors que l’écart des voix avec N. Sarkozy s’établissait à 1.400.000. De même, le site Guineenews du 28 avril 2012 révélait le démarchage dont la « communauté » guinéenne de France avait fait l’objet de la part du candidat socialiste dans la perspective du second tour de la présidentielle. D’autres « communautés » ont dû faire l’objet du même démarchage. Car d’après certaines études il y aurait 4,5 millions de Noirs de France : une autre cible politique pour la gauche !

    En 2007 le vote préférentiel des musulmans en faveur du candidat socialiste avait pesé mais pas trop, car la candidature de N. Sarkozy était portée par une dynamique forte. Mais en 2012, alors que F. Hollande n’a pas obtenu la majorité des votants et que l’écart avec N. Sarkozy était faible, il en va tout autrement.

    La stratégie de niche ethnique de la gauche

    La stratégie de niche adoptée par la gauche qui, depuis les années 1980, a fait de l’immigré et de « l’autre » – à condition qu’il ne soit pas d’origine européenne – un prolétariat de rechange, a donc porté.

    La droite a, au contraire, adopté une position fluctuante vis-à-vis de la question de l’islam et de l’immigration : tantôt libérale et favorable à « l’immigration choisie » et aux régularisations d’immigrés en situation irrégulière, pour complaire au patronat ; tantôt favorable à un « islam à la française » pour donner le change aux laïcs ; tantôt tentée par un discours plus restrictif pour séduire l’électorat populiste.

    Mais la gauche, elle, n’a pas eu ces hésitations idéologiques et a clairement fait le choix de la préférence ethnique. L’itinéraire d’H. Désir, fondateur de SOS Racisme dans les années 1980 et aujourd’hui cacique du PS, illustre ce positionnement de longue durée.

    En effet, par égalitarisme, la gauche nie tout caractère structurant aux différences humaines : l’immigré, qu’il soit malien, suédois ou algérien, n’est-il pas un homme ayant des droits « imprescriptibles » ?

    Prétendre attacher de l’importance aux différences ethniques, religieuses ou culturelles ne serait donc à ses yeux qu’une preuve de « racisme », « d’islamophobie » ou de « xénophobie ». Un peu d’intégration « républicaine » et tout ira bien ! Laïque par tradition, la gauche est portée aussi à minorer le poids des divergences religieuses ; et tout ce qui nuit à la religion catholique la satisfait de surcroît. Son credo égalitaire ne pouvait enfin que séduire des minorités qui se considèrent, à tort ou à raison, comme victimes de « discriminations » de la part des Français de souche.

    Le remplacement des classes populaires par les classes ethniques

    La gauche a en outre adopté une vision compassionnelle du bon immigré victime des méchants « racistes » et dont le sort serait solidaire de celui des travailleurs exploités. Cette attitude lui a, certes, aliéné une partie de l’électorat populaire autochtone qui souffre de l’immigration, car à la différence des bobos, celui-ci n’a pas la possibilité de se mettre à l’abri. Mais, en contrepartie, la gauche a gagné le soutien d’un groupe en expansion démographique : les personnes d’origine immigrée, d’origine africaine et celles de religion musulmane.

    Les propositions faites en vue du droit de vote des « résidents » aux élections locales s’inscrivent d’ailleurs dans la continuité de cette logique. Car, comme le faisait remarquer N. Sarkozy lors de son débat avec F. Hollande le 2 mai, ce ne sont pas les Suédois qui vont profiter de cette mesure ! Ce sont avant tout les résidents africains ou maghrébins et des musulmans. Ce qui renforcera d’autant le vote à gauche.

    Le vote ethnique a fait la différence

    Alors que le candidat socialiste n’a pas rassemblé la majorité des votants il a au contraire regroupé la majorité des électeurs ethniques.

    En d’autres termes la gauche a commencé de recueillir en 2012 les fruits de sa stratégie de niche ethnique.

    Dans un électorat autochtone qui, malgré le rejet de N. Sarkozy, est resté majoritairement ancré à droite, cela a fait la différence en faveur du candidat socialiste. En effet, dans une élection au suffrage majoritaire, ce qui compte ce n’est pas de s’acharner à mobiliser un électorat dispersé mais au contraire de rassembler le plus de groupes de pression possibles.

    Afrique/islam/socialistes même combat ?

    Il faudrait aussi se demander pourquoi les électeurs musulmans ou d’origine africaine votent socialiste. Sans doute pas parce qu’ils sont séduits par le programme, en particulier en matière de mœurs ! Mais parce qu’ils pensent que la gauche leur sera plus favorable dans la durée : plus favorable en matière de lutte contre les « discriminations », plus favorable en matière « d’égalité des droits » à revendiquer contre les autochtones. Car ces droits sont en réalité des droits créances que l’on exerce à l’encontre de la majorité de la population, comme le démontre la « discrimination positive » dont le concept a été apporté par N. Sarkozy.

    D’après Julien Goarant, directeur d’études chez Opinion Way, les électeurs musulmans auraient aussi voulu sanctionner la « stigmatisation » et « l’instrumentalisation » de leur religion : une réaction lourde de menaces pour l’avenir, quand on sait qu’une majorité d’Européens et de Français estiment de leur côté que l’islam est de plus en plus présent dans l’espace public et que les musulmans s’intègrent mal.

    Mais en votant socialiste, les électeurs musulmans et d’origine africaine ont surtout préféré plus de laxisme en matière d’immigration. En d’autres termes, ces électeurs comptent sur la gauche pour laisser se renforcer le poids de la population d’origine étrangère et de religion musulmane en France. C'est-à-dire pour renforcer leur influence dans la société.

    Sans doute aussi visaient-ils le maintien des avantages que leur offre l’économie-providence. Lors des émeutes de 2005 c’est une économie de rentes qui s’était révoltée. En 2012, c’est une économie de rentes qui s’est mobilisée.

    C’est donc une stratégie à long terme, même si elle profite aux deux parties dans l’immédiat : à la gauche et aux minorités ethniques ou religieuses. Mais on doute qu’elle profite aux Français autochtones !

    Car F. Hollande a été élu grâce à l’appoint des électeurs ethniques et musulmans qui a clairement fait défaut à N. Sarkozy. Ceux-là vont certainement se rappeler à son bon souvenir le moment venu.

    Et surtout cela doit nous interpeller quant à la nature de la « grande substitution » provoquée en Europe par l’immigration de peuplement. Après l’espace économique, après l’espace religieux, c’est maintenant l’espace de la souveraineté politique qui pourrait échapper aux Français de souche.

    Bienvenue dans le XXIe siècle !

    Michel Geoffroy (Polémia, 15 mai 2012)

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  • Vers une ruée sur les banques ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de l'économiste Jaques Sapir, cueilli sur le site du magazine Marianne, qui évoque le risque d'une véritable ruée des populations grecques et espagnoles sur les banques en vue d'y retirer du numéraire, ruée qui provoquerait immanquablement un effondrement de la zone euro...

     

     

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    «Bank run» en Europe

    La situation économique dans la zone Euro continue de se dégrader rapidement. 

    En Grèce, avec la double annonce de la suspension des négociations avec le FMI et de la suspension des prêts de la BCE aux banques, le « bank run » modéré que l’on connaît actuellement peut à tout moment s’amplifier et devenir incontrôlable. Il faut se souvenir qu’en Russie, en 1998, ce fut un « bank run » qui sonna la fin pour le système économique eltsinien. En 5 jours, les banques étaient exsangues et le gouvernement contraint de déclarer un défaut et de laisser flotter le Rouble, ce qui aboutit à sa dévaluation de 50%. 

    Si le système bancaire grec s’effondre dans les prochains jours, il n’y aura plus d’arguments (autres que politiques) pour refuser un défaut et une sortie – à terme – de l’Euro. 

    En Espagne, l’adjudication aujourd’hui d’une somme de 2,54 milliards d’euros s’est faite dans de mauvaises conditions. Les taux à 4 ans sont montés au-dessus de 5% et les taux à dix ans atteignent 6,3%. Le rapprochement rapide des taux « courts » avec les taux « longs » est un symptôme indubitable d’une crise de liquidité. L’Espagne est, désormais, dans la même situation que début novembre dernier. La dégradation de la note de 16 banques espagnoles est logique quand on sait que le pourcentage de crédits qui ne sont pas remboursés atteint désormais 8,1% de l’encourt total. Encore, ce chiffre est une moyenne. Dans certaines banques, on atteint des taux de plus de 10%. Le pays est coincé entre une récession qui provoque un taux de chômage historique et une crise bancaire massive, qui vient de l’insolvabilité des ménages. Ceci avait été annoncé en septembre dernier. La solution est que l’État prenne à son compte les dettes privées, mais la somme atteint désormais de 170 à 250 milliards. Sous la menace d’un « bank run » qui peut se déclencher très rapidement, le gouvernement ne pourra plus tergiverser et devra demander rapidement à bénéficier de l’aide européenne (FESF). 

    La situation espagnole se traduit par une aggravation rapide de la crise en Italie (ou les taux à 10 ans ont atteint 5,8%), au Portugal (déjà sous perfusion du FESF) mais aussi de la France, dont l’écart des taux avec l’Allemagne a atteint aujourd’hui 1,4% (142 points de base). 

    La mécanique de la crise de l’Euro s’est bien remise en marche (en fait dès la fin du mois de mars). Cette crise s’accélère et devient généralisée avec la concomitance des problèmes grecs et espagnols. Si un « bank run » survient en Espagne, ou si le même mécanisme s’accélère en Grèce, la question d’un effondrement a très court terme de la zone Euro ne pourra plus être éludé. 

    Faute de réponses structurelles, aujourd’hui impossible tant pour des raison politiques qu’institutionnelles, une dissolution ordonnée de la zone apparaît comme la seule solution susceptible de préserver l’avenir et de permettre la survie de mécanismes de coordination monétaire.

    Jacques Sapir (Marianne, 20 mai 2012)

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  • Derrière l'éloge fait à Jules Ferry...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue grinçant de Bernard Lugan , cueilli sur son blog et consacré à l'hommage rendu par François Hollande à Jules Ferry...

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    Derrière l'éloge fait à Jules Ferry
     
    Lorsque l’on est président de la République, l’on se doit d’être prudent avec l’Histoire et de demander à ses conseillers de relire soigneusement leurs fiches. Nicolas Sarkozy et François Hollande l’ont tous deux appris à leurs dépens. Le premier avec son « Discours de Dakar », dans lequel, voulant paraître avoir compris des Afriques dont il ignorait tout, il humilia gravement les Africains. Le second avec son éloge de Jules Ferry, quand, pensant placer son mandat sous la figure tutélaire d’un homme de gauche consensuel, il provoqua la polémique, une grande partie de ses millions d’électeurs issus de notre ancien Empire colonial considérant le « père de l’Ecole républicaine » comme un odieux « raciste ». Adieu le consensus…

    Faut-il que la culture historique des conseillers du nouveau président soit à ce point partielle qu’ils aient pu ignorer que Jules Ferry a, en son temps, tenu des propos qui, aujourd’hui, le feraient très sévèrement condamner par les tribunaux ? Dans son fameux discours du 28 juillet 1885 prononcé devant les députés, il déclara ainsi : « Il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures ; mais parce qu’il y a aussi un devoir. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures ». Précisant sa pensée, il ajouta même que la colonisation est le « devoir d’hommes de race supérieure »…
    Pour Jules Ferry, la conquête coloniale n’était brutale qu’en apparence puisque son but était civilisateur. La République n’avait-elle pas agi de même avec les « fanatiques » Vendéens pour les libérer de leur « obscurantisme », avec les Bretons, les Occitans ou les Basques et toutes ces « peuplades inférieures » qu’elle brisa et accultura par « altruisme », pour les transformer et les « sublimer » en Français ? Il devait donc en être de même avec les « sauvages » d’Afrique. Toujours par amour de la Liberté et du genre humain.
    Chez Jules Ferry se retrouvent à la fois la notion de conquête émancipatrice et celle d’une France patrie des Droits de l’Homme ne pouvant se dérober devant les exigences de cette croisade laïque, libératrice et pour tout dire républicaine, qu’était la colonisation. D’ailleurs, pour lui, « la race supérieure ne conquiert pas pour le plaisir, dans le  dessein d’exploiter le faible, mais bien de le civiliser et de l’élever jusqu’à elle » (Discours du 28 juillet 1885). 

    Ceux qui ont applaudi le discours prononcé au pied de sa statue dans l’attente fébrile de maroquins tant espérés, Madame Taubira en tête, ainsi que les édiles socialistes qui ont fait débaptiser des universités et des rues portant le nom d’Alexis Carrel, ont donc une mémoire curieusement sélective, pour ne pas dire hémiplégique…
    Pour justifier une politique coloniale qui était à l’opposé du Contrat social, la gauche française établit en effet une hiérarchie entre les « races », entre « les civilisations ». Etant ses héritiers sans même le savoir, par simple imbibition à l’air du temps, messieurs Sarkozy et Guéant firent de même… et il leur en coûta médiatiquement… Pourtant, aussi tard que le 9 juillet 1925, Léon Blum, cette autre grande conscience républicaine elle aussi irréprochable, n’avait pas craint d’affirmer devant les députés : «Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d'attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture et de les appeler aux progrès réalisés grâce aux efforts de la science et de l'industrie. »
    Lors du congrès de la Ligue des droits de l’Homme qui se tint à Vichy en 1931, Albert Bayet, son président, déclara quant à lui sous les applaudissements nourris des ennemis de toutes les intolérances, que la colonisation française était légitime car porteuse du message des « grands ancêtres de 1789 » et que, coloniser revenant à : « Faire connaître aux peuples les droits de l’Homme, ce n’est pas une besogne d’impérialisme, c’est une tâche de fraternité ».

    A la différence des partisans des lois mémorielles, mille-feuilles historicide interdisant toute recherche, l’universitaire est bien conscient qu’il ne s’agit évidemment pas ici d’oublier le contexte qui prévalait à l’époque. Condamner les propos de Jules Ferry, d’Albert Bayet ou de Léon Blum en ayant l’œil fixé sur l’étalon mètre du politiquement correct que leurs héritiers ont déposé dans le pavillon de Flore de la pensée unique serait en effet une aberration scientifique. Ceci ne doit cependant pas dispenser les héritiers des « grands ancêtres », aujourd’hui si prompts à la repentance et aux condamnations hors contexte, d’oublier de « balayer devant leur porte ».

    En définitive, derrière l’éloge en apparence « innocent » de Jules Ferry prononcé par François Hollande,  se cachent deux hypothèses :

    1) La première est qu’à Sciences-Po et à l’ENA, les professeurs d’histoire du futur président devaient être particulièrement incompétents et que ses actuels conseillers ont de singulières lacunes historiques. Nous aurions là la preuve par 9 des résultats obtenus par ces « pédagogistes » enkystés au ministère de l’Education nationale depuis la Libération et qui, tant sous les régimes de gauche que sous les régimes dits de « droite », n’ont eu de cesse d’assassiner l’enseignement de l’histoire.

    2) La seconde serait au contraire celle d’une volonté clairement affichée d’un grand retour aux sources idéologiques de la gauche française, François Hollande raccrochant ainsi une famille doctrinalement déboussolée par le « mitterrandisme » aux mythes fondateurs de la République, tout en occultant prudemment le fait que le « père de l’école républicaine » fut le chantre d’un certain « racisme philanthropique ».

    Les années à venir nous diront laquelle de ces hypothèses était la bonne…

    Bernard Lugan (Blog officiel de Bernard Lugan, 17 mai 2012)
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