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Points de vue - Page 357

  • Le vol du bourdon...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy, cueilli sur Polémia et consacré aux débuts de la présidence Hollande...

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    Le retour de la gauche : le vol du bourdon

    Aux législatives de juin, la gauche devrait obtenir, selon les sondages actuels, moins de voix que la droite mais elle gagnerait pourtant la majorité de l’Assemblée nationale : cela grâce à la désunion suicidaire de la droite.

    La gauche va donc bientôt cumuler tous les pouvoirs, mais on voit bien que le cœur n’y est pas. Car nous ne sommes plus en 1981.

    Pas d’état de grâce

    Le sondage Harris Interactive du 16 au 18 mai 2012 (soit après l’annonce de la composition du nouveau gouvernement) montre que si F. Hollande jouit pour le moment d’une opinion favorable (54% déclarent lui faire confiance), il est loin d’atteindre les scores de ses prédécesseurs. Le sondage TNS Sofres/Sopra group/ Figaro Magazine des 25 et 26 mai 2012 (leFigaro.fr du 31 mai 2012) donne des résultats voisins (55% d’opinions favorables). Mais Mitterrand en 1981 atteignait 74% d’opinions favorables et Sarkozy 63% en 2007. En d’autres termes, F. Hollande ne bénéficie pas d’un véritable état de grâce. Ces sondages ne doivent pas surprendre : ils reflètent en effet une réalité politique simple : F. Hollande n’a pas été élu à la majorité des votants (seulement 48,6% des votants).

    Certes, les sondages montrent aussi qu’une majorité de personnes interrogées ne veulent pas d’une nouvelle cohabitation, qui signifierait un nouvel immobilisme, ce qui laisse présager une majorité socialiste aux élections législatives. Mais cela ne signifie pas que le programme socialiste soit « majoritaire » pour autant.

    Un mauvais goût de déjà vu

    En 1981, la gauche avait la satisfaction de parvenir enfin seule au pouvoir, une première depuis la Libération. Elle était en outre bardée des certitudes du Programme commun et promettait la « rupture ». Aujourd’hui, la victoire de la gauche a un mauvais goût de déjà vu et dans les beaux quartiers on ne croit plus que les chars russes vont bientôt déferler sur les Champs-Elysées.

    En 1981, des fonctionnaires avaient quitté leurs fonctions pour ne pas collaborer avec le nouveau pouvoir socialo-communiste. Aujourd’hui, personne ne l’a fait. La gauche a repris l’Etat comme si de rien n’était, car elle fait partie des meubles désormais.

    Ce n’est pas la normalité qui triomphe, c’est la morosité

    Ce n’est pas la « normalité » qui triomphe mais la morosité qui est générale. Il n’y a que les Français de papier pour agiter des drapeaux – étrangers – de la liesse « populaire ».

    Car si la droite est une fois de plus dans les choux, la gauche aborde 2012 avec un logiciel idéologique dépassé. Mais elle donne le sentiment d’en avoir vaguement conscience, au surplus.Cela ajoute au malaise, et explique sans doute le visage crispé et triste du nouveau président, qui se demande sans doute comment il va « appliquer son programme » de changement après les élections. Mais pour changer quoi, au juste ?

    Un logiciel économique dépassé

    Par exemple F. Hollande a demandé à la Cour des comptes un audit des finances publiques… comme en 1981. Mais F. Hollande semble ignorer que depuis 2006 les comptes de l’Etat sont tenus en comptabilité générale et certifiés : on mesure exactement ses engagements. On connaît avec précision l’ampleur de la dette et des déficits publics. L’audit ne sert à rien, sauf à faire de la communication sur « l’héritage » de Sarkozy ; et aussi à semer l’inquiétude sur la situation de la France.

    Car la gauche française, qui promet de maîtriser les déficits en retrouvant la croissance, ne sait pas – et n’a jamais su – réduire les dépenses publiques. Dans le meilleur des cas elle gagera laborieusement d’un côté le surplus de dépenses qu’elle a promis de faire de l’autre. Son truc c’est, au contraire, toujours d’augmenter les impôts, bien sûr au nom de la « justice sociale », en fait de l’égalitarisme. C’est bien plus facile à réaliser avec une majorité godillot qui vient d’être élue ; et c’est bien plus porteur que de mécontenter les différentes clientèles qui bénéficient des largesses publiques, en particulier dans les « banlieues » qui ont voté pour la gauche.

    Bien sûr, la gauche prétend que les dépenses publiques vont stimuler la croissance tant attendue et réduire le chômage. Tous les socialistes européens le croient depuis 1848. Les Français espèrent aussi profiter d’un relâchement des disciplines budgétaires avec l’affaiblissement politique de Mme Merkel.

    Nous ne sommes plus au temps de Blum, de Keynes ni de Mitterrand

    Mais, à la différence de 1936 ou de 1981, nous vivons dans une économie désormais ouverte, sous la surveillance constante des opérateurs financiers. Tout relâchement des efforts budgétaires est interprété en temps réel et provoque la défiance des marchés et se répercute sur la valeur de la monnaie. A peine le gouvernement a-t-il annoncé un relèvement du SMIC que les avertissements de Bruxelles pleuvent sur lui. Un premier avertissement sans frais, avant celui des marchés. Et la croissance se développe en Asie, pas dans la vieille Europe vieillissante et désindustrialisée. Les dépenses publiques n’y changeront rien. Pour retrouver la croissance, il faudrait changer de système. Mais la gauche, ralliée au libre-échangisme, en est incapable.

    Le salut par les partenaires sociaux ?

    L’autre solution miracle de la gauche consiste à en appeler aux « partenaires sociaux » : Grenelle, le retour IV !

    Mais c’est un mauvais remake car les syndicats sont aujourd’hui encore moins crédibles qu’hier. Et les apparatchiks syndicaux, qui arrivent à Matignon dans leurs belles voitures de fonction, déballent déjà leur cortège de revendications catégorielles, toutes moins finançables les unes que les autres.

    Si M. Hollande s’en tient à son programme nous aurons donc plus d’impôts, plus de déficits et plus de chômage financé sur fonds publics. Cela ne sera pas vraiment le « changement » pour la classe moyenne ! S’il change de programme, il devra affronter la grogne des camarades syndiqués. Bonjour tristesse !

    Jules Ferry le retour

    Dépassé aussi le logiciel pédagogique de la gauche : on appelle encore les mânes de Marie Curie et Jules Ferry à la rescousse, comme au bon vieux temps de la communale !

    Cela doit sans doute réjouir les vieux militants, mais manifestement d’aucuns n’ont pas vu le terrifiant film Entre les murs, de Laurent Cantet, ou La Journée de la jupe… Car aujourd’hui Marie Curie se ferait violer et Jules Ferry serait traité de céfran raciste par les « jeunes », en classe.

    Mais on va recruter de nouveaux « enseignants », revoir l’autonomie des universités (pour leur donner plus de moyens, on suppose) et augmenter l’allocation de rentrée scolaire, comme si de rien n’était. Tout ira certainement pour le mieux dans le Tonneau des danaïdes pédagogiques…

    Le retour des bisounours

    Dépassé aussi le logiciel sécuritaire de la gauche : on va créer des zones de sécurité prioritaires (avec le succès des ZEP, sans doute…) et, bien sûr, revenir sur la justice des mineurs, jugée trop répressive. La première sortie officielle de Mme Taubira a malheureusement permis à un détenu de prendre la fuite (Le Monde du 23 mai 2012). Tout un programme.

    Que dire aussi de la façon dont la gauche approche le défi de l’immigration ?

    Le vol du bourdon

    Comme un bourdon pris au piège, la gauche se cogne aux fenêtres de la réalité, avant même d’avoir commencé à agir. A peine installés, les jeunes ministres socialistes nous paraissent déjà prématurément vieillis. On a l’impression qu’ils sont là depuis dix ans. Mais c’est sans doute parce qu’ils y étaient sous un autre nom.

    Bien sûr, la gauche saura se donner du mouvement, au début, pour faire croire au « changement » : un peu de droits des femmes par ci, un peu de réduction des rémunérations par là, un peu de taxe sur les « riches » aussi, et un zeste de droit de vote des immigrés pour pimenter la sauce médiatique. Mais, pour les vrais miracles, il va falloir attendre un peu plus longtemps !

    A peine élu, F. Hollande s’est précipité à Berlin et à Washington. Tout un symbole : le bourdon triste au pays des abeilles. Car c’est là, et non à Paris, que se prennent les vraies décisions de nos jours. Mais en se rendant en Allemagne son avion a été foudroyé. Comment les anciens Grecs auraient-ils interprété ce signe des dieux ?

    Michel Geoffroy (Polémia, 31 mai 2012)

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  • Bruxelles et la civilisation...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Claude Bourrinet, cueilli sur Voxnr et consacré à la réforme du travail prônée par la Commission de Bruxelles...

     

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    Bruxelles et la civilisation

    Au nom de la sacro-sainte compétitivité, la Commission de Bruxelles voudrait en finir avec le CDI à la française. Encore une exception, cette fois-ci économique, que les tenants d’une gestion à l’anglo-saxonne de ce qu’on appelle, dans le milieu, le « capital humain », considèrent comme un abus.

    Pour le libéralisme, l’implication de l’homme dans son travail et dans la consommation constitue sa dimension naturelle par excellence. Tout ce qui paraît s’en éloigner, éducation, art, religion, politique, loisirs, aboutit, nolens volens, à ce terminus matérialiste : l’homme a des besoins qu’il faut satisfaire, et ces nécessités sont calculables, donc productibles et transmissibles. Hors de là, point de salut.
    Certaines enquêtes ont par exemple montré que le but de l’existence aux USA réside dans le travail et la consommation. On travaille pour consommer, et l’on consomme pour travailler. C’est pourquoi le monde y est perçu selon le critère de la compétition économique, et la puissance, essentiellement mesurable à l’aune de la croissance
    Cette vision a été facilitée par le destin singulier des migrants qui ont essaimés en Amérique du Nord, portant avec eux l’utopie d’un Nouvel Ordre délivré de toute attache traditionnelle, hormis une Bible, surtout vétérotestamentaire, dans laquelle se trouve privilégiée l’idée de terre promise. Le peuple élu porte témoignage par sa réussite terrestre, et impose au vieux monde, empêtré dans une malice atavique, les saines recettes d’un salut voué totalement à l’ascèse laborieuse. Le pessimisme calviniste, paradoxalement doublé d’un optimisme extravagant non dénué de messianisme, s’incarne surtout dans le sacrifice journalier que l’on concède à ce Moloch qu’est le travail. Si l’argent est loué, c’est parce qu’il est le signe d’un héroïsme sécularisé, l’apothéose triviale des saints des derniers jours, ceux-là même qui verront, à l’échelle planétaire, le façonnage d’une espèce humaine rédimée, enfin délivrée du mal.

    On sait aussi, depuis Attali, mais c’est un secret qui a eu beaucoup de peine à passer l’Atlantique, bien que l’Europe ait abrité longtemps en son sein les adeptes de ce style erratique d’existence, que le nomadisme est l’avenir de l’homme. La civilisation du tarmac. 

    Or, le travail, qui, certes, peut être perçu comme une malédiction, sous la forme de l’esclavage, ou du servage, antique ou moderne, présente, malgré tout, sur notre terre très ancienne, une connotation profondément positive. Non d’ailleurs sous son acception contemporaine, qui amène à ce qu’il ne soit plus perçu que comme une manière d’échapper au chômage, mais comme celle, plus pérenne, d’une possible réalisation de soi. En Europe, et singulièrement en France, terre de paysans et d’artisans, terre aussi d’industrie et de traditions ouvrières, le métier fut toujours, sinon une vocation, du moins une activité pour laquelle, malgré fatigue et exploitation, on éprouvait de l’attachement, de la fierté, de la reconnaissance. C’était vrai au sein des anciennes corporations, mais le monde moderne a suscité les mêmes liens, aussi bien dans le secteur privé que dans la fonction publique. 

    Le remplacement du terme « métier » par celui d’ « emploi » était déjà un signe que l’activité productive n’était plus appréhendée, par les technocrates de l’Etat, que comme une fonction, une situation dans un vaste processus quantitatif, et non comme une charge, un devoir, une implication sociale, affective, et pour tout dire, civilisationnelle. Ce fut donc une surprise de découvrir que les mineurs, les sidérurgistes, et d’autres catégories socioprofessionnelles dont le sort paraissait dramatique, avaient vécu comme une tragédie la fermeture de leurs entreprises et la fin de certaines branches industrielles. On comprit alors que derrière un labeur harassant, parfois dangereux, et autour de lui, s’étoffait, s’était construit, perdurait un tissu relationnel, qui allait de la famille aux syndicats et partis politiques. Les bistrots, les philharmonies, les clubs sportifs étaient autant de manifestations d’un art de vivre ensemble, d’une identité forte, qui offraient aux ouvriers une identité, un horizon, un sens. 

    Longtemps, en France, et en Europe latine et germanique, la profession est demeurée une partie de soi-même que l’on choisissait. On la jaugeait sur une vie, et on déterminait son évolution, les degrés d’amélioration, les progrès en connaissances et en pratiques, les satisfactions qu’elle promettait. 

    Or, il se trouve que notre époque a inventé un nouveau concept : l’employabilité. Cette potentialité, qui peut rester longtemps une abstraction, et se trouve validée par la nouvelle école dite des « performances », fait complètement fi de l’objet même de l’emploi, de la nature d’un ouvrage – qui pourrait être, terme magnifique, de la « belle ouvrage », dans la mesure même où les bouleversements des techniques, de la robotique, de la cybernétique, l’ont vidé de son contenu qualitatif, et l’on cantonné à n’être qu’une variable dans le processus global de productivité. De ce fait, l’ouvrier, le travailleur, est un élément du flux universel de l’échange des marchandises : tous les « employés » peuvent être interchangeables, remplaçables, éjectables, puisque la formation désormais requise, dans la grande majorité des cas, se résume à la manipulation de logiciels, ou d’autres procédés automatisés, qui font l’essentiel, quand le travail sous qualifié n’est pas, tout simplement, délocalisé dans les paradis esclavagistes.
    La soudaineté du changement, et la trahison des élites, ont empêché que les classes populaires ne prissent vraiment conscience d’une réalité qui anéantit des siècles de civilisation. Si, aux USA, il paraît normal de changer de travail fréquemment, de résidence, de région et de partenaires, il n’en était pas de même dans des pays qui cultivaient leur singularité et un ancrage humain très puissant dans des terroirs où l’on retrouvait une origine, des racines. La mentalité du Français et de certains Européen est pétrie de cette sédentarité chargée d’histoire, de mémoires, de ces souvenirs plus ou moins conscients qui peuplent les chemins, les carrefours, les murs des cités et jusqu’au sous sol où tant de nos ancêtres reposent. Accepter les intermittences hasardeuses d’un emploi vague, imprécis, aux contours indéfinis, c’est se vouer à l’errance, et accepter la solitude intrinsèque le la société contemporaine, libérale et productiviste, américanisée et barbare.

    C’est pourquoi les propos aventureux, provocateurs, extravagants et, somme toute, dangereux, de Jean-Christophe Sciberras, président de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH), laquelle soutient l’injonction de la Commission, vont à l’encontre de ce que nous sommes au plus profond de nous. D’autant plus que cette permissivité patronale donne de bons atouts pour instaurer chantage, menaces, pressions de toutes sortes destinées à maintenir des ouvriers et employés isolés, atomisés, incapables de se défendre, dans l’obéissance et la docilité. Voilà une vérité que le peuple doit connaître. Prôner un seul contrat de travail, avec possibilité absolue de licencier à volonté, c’est, dans le fond, attenter à un mode de vie qui fait notre spécificité. Ce projet est bien pire qu’un bombardement. Car les ruines, on peut les relever. Mais on ne peut ressusciter les âmes. 

    Or, pas besoin de dessin pour savoir à qui on a affaire : des esclavagistes. Pour eux, plus on est taillables et corvéables, plus on se rapproche du meilleur des mondes. Voilà leur type de société.

    Claude Bourrinet (Voxnr, 31 mai 2012)

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  • Politiquement correct, occidentalisme et fondamentalisme sunnite...

    Nous reproduisons ci-dessous une réponse percutante du philosophe italien Costanzo Preve aux critiques formulées par ses amis de gauche à la suite de la publication de son texte Si j'étais Français, dans lequel il expliquait le choix politique qu'il aurait fait aux élections présidentielles. Ce texte , daté de la fin d'avril 2012 a été traduit et annoté par Yves Branca.

    Marxiste critique et atypique, Costanzo Preve a noué un dialogue fécond avec Alain de Benoist depuis plusieurs années et est maintenant bien connu des lecteurs d'Éléments et de Krisis. Un de ses ouvrages, Histoire critique du marxisme, a été publié en 2011 aux éditions Armand Colin. 

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    Politiquement correct, occidentalisme impérialiste et fondamentalisme sunnite.

    Par Costanzo Preve.

    Turin, fin d’avril 2012

    1. Ma déclaration écrite que, si j’avais été français, j’aurais voté pour Marine Le Pen au premier tour, et Hollande contre Sarkozy au second tour ne pouvait m’attirer que des critiques. Je ne prendrai ici en considération que celles qui m’ont été adressées par des amis : Andrea Bulgarelli, Lorenzo Dorato, Alessandro Monchietto, Maria Serban.
       Ces critiques sont de trois sortes.
       La première  porte sur la brutalité avec laquelle j’ai violé le Politiquement Correct. Cette violence serait une attitude inconsciente et même provocatrice, puisque le Politiquement Correct demeure un code d’accès au seul domaine qui aujourd’hui m’importe vraiment, qui est celui de la philosophie. Du calme ! - me dit-on. C’est une chose que d’être une voix qui chante en solo, comme tu le fais depuis vingt ans, c’en est une autre que de vouloir épater le gauchiste (1), ce que je traduis ici par « scandaliser la gauche ». Par là, je fournirais trop facilement un prétexte à ceux qui prétendent faussement que je serais passé de gauche à droite.
       La seconde concerne la pensée même de Marine Le Pen. Celle-ci aurait tout au plus une conception « de droite sociale traditionnelle », se rapportant à une prépondérance « impériale » française rénovée (2), mais sans considérer le moins du monde les rapports sociaux de production entre les classes. 
       La troisième sorte de critiques vise l’anti-islamisme (3) radical de Marine Le Pen; si radical, qu’il confinerait à la théorie du « choc des civilisations », et aux invectives d’Oriana Fallaci. 
       Ce troisième type de critiques est fondamental. Je répondrai d’abord brièvement à celles des deux premiers, mais seules celles du troisième type sont importantes. 

    2. J’ai des amis personnels de droite, du centre, de gauche, apolitiques, laïcs, religieux. Le bon usage de l’amitié ne suppose pas de considérations doctrinales. Mais je n’ai plus d’« amis politiques » de gauche (ni évidemment « de droite ») depuis une bonne quinzaine d’années. Internet donne d’étonnantes possibilités de diffamation, et je tiens pour sottise d’en avoir peur. Dire que l’on peut voter Le Pen représente une violation extrême du politiquement correct du monde des intellectuels, qui depuis une vingtaine d’années a pris pour ennemi d’élection le « populisme raciste », substitué au vieux capitalisme archaïque. Je considère, quant à moi, qu’accepter par introjection les valeurs du Politiquement Correct, c’est offrir la victoire à l’adversaire, qui n’est ni de droite ni de gauche, mais qui est celui qui ne peut en aucune façon supporter les nouveautés « inquiétantes » qui poussent à réviser des synthèses acquises et assimilées. Depuis une quinzaine d’années, je me soucie peu de cet adversaire. Quand bien même il y aurait là l’influence d’un subconscient infantile et provocateur, on m’accordera que je n’ai pas besoin de faire les frais d’une psychanalyse pour savoir quelle est la vérité.

    3 : L’objection de Lorenzo Dorato est plus importante. A ses yeux, Marine Le Pen « n’a pas un programme de correction politique structurelle et forte, dans un sens solidariste », car « la contradiction économique essentielle du capitalisme n’y est traitée en aucune façon ».
      Très juste. Soit. Je suis tout à fait d’accord. Mais Dorato affirme aussi que « cela vaut mieux que n’importe quelle perspective globaliste et européiste des néo-libéraux de droite comme de gauche ». Parfait, Dorato a répondu lui-même à sa propre question ! Que le programme de Marine Le Pen ne puisse « être partagé » par un communiste communautaire (4) et anticapitaliste, cela est absolument évident.
       Le fait qui importe est que Marine Le Pen est moins « dans le système » qu’un Mélenchon. Tout ce que le système médiatique unifié diabolise en le qualifiant de populiste et de raciste doit être considéré non pas comme bon a priori, mais du moins comme intéressant. Si Marine Le Pen était victorieuse (ce qui, malheureusement, est improbable), elle ferait un trou dans le mur, et de là il naîtrait peut-être quelque chose. Dorato écrit lui-même que « toute proposition politique qui mette en question les dogmes du néolibéralisme et du capitalisme globalisé est meilleur que la direction politique monstrueuse prise par les classes dominantes depuis une vingtaine d’années ». Par ces lignes, Dorato n’a-t-il pas trouvé tout seul la bonne réponse ?

    4. Venons-en à « l’anti-islamisme ». Sur ce point, mes remarques seront nécessairement pauvres et boiteuses, vu mon ignorance fondamentale de la question. Sur le monde arabe et musulman, mes principales lectures ont été les œuvres de Maxime Rodinson, sur la question du rapport entre l’Islam et le capitalisme, et Giancarlo Paciello sur la question palestinienne. Récemment, un gros livre d’Eugène Rogan, Les arabes, traduit en italien en 2012, m’a beaucoup appris. Les remarques que je vais faire sont d’un dilettante, et politiquement incorrectes. Si j’écris des sottises, ce n’est pas grave. Que celui qui les trouvera me corrige. La seule chose qui soit insensée est de s’autocensurer par peur de violer le politiquement correct. Par là, on est perdant sans même avoir joué.

    5. Commençons par une évidence historique, qu’il n’est cependant jamais mauvais de rappeler: avant que les musulmans n’«envahis-sent » l’Europe, par émigration massive, c’est l’Europe qui a « envahi » le monde arabe et musulman, du Maroc à L’Irak et jusqu’à l’Afghanistan, et c’est l’entreprise politique sioniste qui a chassé de la Palestine ses habitants arabes, tant musulmans que chrétiens. Le monde arabe a dû s’engager dans des guerres de libération particulièrement difficiles et sanglantes. Mais il serait insensé de prétendre culpabiliser les peuples français, anglais, et italien. Si on le veut, on peut fort bien utiliser encore la catégorie, toujours nouvelle,  d’«impérialisme ». Cette catégorie est le seul antidote contre le racisme ethnique ou le fondamentalisme religieux; et l’abandon qui s’est fait en Europe de ce concept, depuis une trentaine d’années, a entraîné bien des conséquences regrettables.

    6. L’assimilation de Nasser à un « chef fasciste » a été opérée par la propagande sioniste, et puis ç’a été la même chose avec Saddam Hussein, Kadhafi, et Assad. On sait que, depuis 1967, l’Etat sioniste d’Israël a politiquement, et militairement décidé d’annexer toute la ville de Jérusalem et des tranches de la Cisjordanie rebaptisée Judée et Samarie. Mais à mon avis (et qu’un expert, me corrige, s’il le veut) le véritable « anti-islamisme » a été postérieur à l’effondrement endogène de la vieille bicoque communiste ; il est une suite de 1989 et de la théorie impérialiste du « choc des civilisations », qui, selon la version de Bush, oppose l’Occident et deux cultures (5) qui lui sont « incompatibles »: l’Islam et la Chine.
      Vous rappelez-vous Oriana Fallaci ? Si elle avait osé écrire sur les juifs un quart de ce qu’elle a écrit sur les arabes, elle aurait été arrêtée pour « incitation à la haine raciale », au lieu d’avoir l’honneur des colonnes du « Corriere della Sera » (6). Et puis tout à coup, à partir environ de 2005, les musulmans sont redevenus « bons » ; comme déjà un peu auparavant, sporadiquement, dans les affaires du Kosovo et de Sarajevo. Qu’est-il donc arrivé qui a soudain produit cette volte-face déconcertante ? Elle est à mon avis la clef de la question, et je vais me permettre de faire à ce sujet une hypothèse un peu artisanale. 

    7. Dans son roman Kim, Rudyard Kipling parle du « grand jeu », en Afghanistan, entre l’empire britannique victorien et la Russie des tsars. Puisqu’il faut entreprendre un rapide examen de la connexion entre le fondamentalisme sunnite armé (appelé improprement Islam politique), l’occidentalisme impérialiste américain, et la stratégie sioniste, commençons donc par le « grand jeu » en Afghanistan dans la décennie 1980-1990. Après l’intervention soviétique en Afghanistan, l’alliance stratégique entre les services secrets des USA, les monarchies des pétrodollars, et l’armée pakistanaise entra en action. Dans le cadre de cette alliance, les musulmans devinrent « bons » : voir Ken Follet, Les lions du Panshir, dédié à Massoud en 1986, ou le film de Stallone Rambo III.
        Mais ils ne furent « bons » que pendant un temps limité. Il y eut ensuite l’incident de parcours d’Al-Qaïda avec Ben Laden, jusqu’au  11 septembre 2001. Les musulmans devinrent « mauvais » à partir de l’invasion de l’Afghanistan des Talibans, jusqu’à l’attaque de l’Irak en 2003. Cette agression fut si contraire au droit international, si injuste et si éhontée, qu’elle a nécessité toute une couverture symbolique-médiatique « humanitaire » ( les peuples contre un féroce dictateur moustachu, puis pendu), associée cependant à un radical « anti-islamisme » ( ici encore, à la manière de Fallaci). Il y a même eu des sots d’«extrême gauche» qui dans leur quête tourmentée d’un sujet révolutionnaire de substitution à la décevante classe ouvrière salariée et prolétaire (ou aux invisibles « multitudes »), se sont figurés qu’ils l’avaient trouvé chez les barbus de l’Islam politique armé.
       Brève saison d’erreur. Al-Qaida s’est avéré un sanguinaire mais provisoire « incident de parcours » : si l’on eût bien analysé le rapport entre l’Islam et le capitalisme étudié par Rodinson, et quelques autres, on eût compris que l’islamisme fondamentaliste est tout aussi homogène au capitalisme globalisé que l’a été le protestantisme étudié par Weber, avec un élément plus important et plus institutionnel d’assistance sociale obligatoire organisée, mais sur une base purement privée et « tribale ». Au lieu que le nationalisme panarabe anti-impérialiste lui est au contraire incompatible : il suffit de considérer la férocité avec laquelle l’impérialisme américain, européen et sioniste l’a détruit, comme en Irak, en 2003, en Libye, en 2011, et s’évertue en ce moment à continuer en Syrie. Le cas de l’Iran, nation perse et chiite, doit être considéré séparément. 

    8. C’est pourquoi nous nous trouvons devant un paradoxe, qui, comme tous les paradoxes, paraîtra moins « kafkaïen » dès qu’on l’aura interprété selon sa rationalité secrète, apparemment irrationnelle. D’une part, le fondamentalisme sunnite, avec sa violence et son intolérance, paraît être le milieu culturel le plus insupportable à notre société dont la matrice est occidentale (européenne) et  chrétienne avec la modulation des Lumières (et ses nuances de gauche, du centre ou de droite n’importent pas ici). D’autre part, le fondamentalisme sunnite, après l’incident de parcours limité Al-Qaida Ben Laden, paraît l’instrument idéal pour normaliser politiquement et militairement les vestiges d’indépendance dans le monde arabe et musulman, entre les mains d’une alliance où l’Arabie saoudite, le Qatar et l’Europe sont subordonnés aux USA.

    9. Dans un pays comme la France, ce paradoxe provoque une espèce de schizophrénie et de paranoïa tout à fait particulière, étant donné la présence de millions de musulmans sur son territoire, dont une part de fondamentalistes sunnites et salafistes, qui n’est pas majoritaire, mais visible et tapageuse. Avec tous ses défauts, la France a été dans l’histoire un pays capable d’assimiler des vagues de millions d’immigrés portugais, espagnols, polonais, italiens, arméniens, et même de l’Afrique noire. Cela avait donné cette civilisation populaire que l’on peut trouver par exemple dans des romans comme ceux de Simenon sur le commissaire Maigret. La seule composante ethnique qui se révèle inassimilable, et qui proclame qu’elle refuse l’assimilation, est celle qui se réfère au fondamentalisme sunnite.
       En ce qui me concerne, cela ne me rend pas anti-musulman. Au contraire, et je serais favorable à bien des idées de Tariq Ramadan, si la nouvelle de son recrutement par l’Université du Qatar et la « Qatar Foundation » ne m’inspirait quelque prudence … . Mais si je ne peux partager un certain « anti-islamisme » (7) français, j’en suis  d’autant moins scandalisé que je tiens compte de ce caractère inassimilable.
       Au moment même où j’écris, je ne sais pas encore qui sortira  vainqueur des élections présidentielles en France ; mais je vois un grand paradoxe dans la manière sont Sarkozy, d’un côté, cajole électoralement l’« anti-islamisme » (8), tandis que, de l’autre côté, (en Libye, en Syrie, etc.), il est le principal allié de l’Islam politique,  lequel s’est désormais complètement aligné sur l’émir du Qatar, les USA, l’Arabie saoudite : voyez la propagande cynique de la publicité faite par les médias occidentaux au prétendu « printemps arabe ». L’Occident arme politiquement les mêmes forces qui ont atrocement lynché Kadhafi, font exploser des voitures piégées au milieu de la population civile de Damas, et massacrent des enfants juifs français à Toulouse. Recadrer ainsi le problème, ce n’est pas justifier certaines pointes « anti-islamiques » de Madame Le Pen (9) ; mais c’est comprendre pour le moins, que ces pointes sont un problème mineur.
       Le problème majeur, c’est que l’Occident impérialiste a décidé, pour de sordides intérêts néo-colonialistes, de soutenir l’Islam politique « modéré » : si modéré, que marchent derrière lui les assassins salafistes qui sont au service de l’Arabie saoudite, du Qatar, et des USA.

    Traduit de l’italien par Yves Branca*.

     


    Notes du traducteur

    * Avertissement : Le texte de cet article comporte des différences de détail avec le texte italien envoyé par l’auteur à quelques correspondants français qui lisent sa langue. Les notes qui suivent rendent compte de la plupart de ces modifications.
       Pour le reste, Costanzo Preve m’a honoré de sa confiance pour adapter encore mieux cet article à la conjoncture française, et à la sensibilité française dans cette conjoncture; rien n’a été modifié sans lui en référer.

    1. En français dans le texte.

    2. Il n’y a ici aucune allusion ni à l’empire colonial français, ni à l’idéologie impériale européenne moderne, mais au souverainisme du Front National, qui est aujourd’hui l’héritier de l’ancienne politique naturelle capétienne rénovée par de Gaulle: le mot « imperiale » reste  plus proche en italien de son étymologie latine : l’imperium est le commandement, le pouvoir, l’autorité, et donc la souveraineté.
       Sur l’idée « impériale » française, Rodolphe Badinand est lumineux dans son chapitre « Quand la France prétendait à l’Empire » de son essai Requiem pour la Contre-Révolution, Alexipharmaque, 2008.

    3. « Islamisme », chez les italiens qui comme Preve écrivent le mieux leur langue, est seulement un doublet du mot « Islam », comme on le trouve encore en français dans le Littré ou chez Ernest Renan : « Le religion de Mahomet », et «  l’ensemble des pays qui suivent cette religion ». Le mot « islamiste » (islamista) n’existe pas encore en bon italien. 
       L’Italien distingue plus rigoureusement « Islam », « Islam politique » (moderne), et intégrisme ou fondamentalisme islamique. Il n’emploie pas « islamisme » dans ces dernières significations.
       On doit donc bien entendre que le terme d’« anti-islamisme » désigne seulement ici une hostilité à l’Islam (une « islamophobie », dans l’actuel jargon de la manie « polémique »), prêtée à Marine Le Pen par les interlocuteurs italiens de Preve, auxquels il répond ici. C’est pourquoi j’ai mis ce terme entre guillemets.
     
       4. Le communisme critiqué et redéfini par Preve est désigné par le terme italien de « comunitarismo », qui, littéralement, devrait se traduire par « communautarisme », et que j’ai provisoirement traduit ainsi, avec note explicative, et quelquefois guillemets, ou italiques ; car on connaît la connotation de ce terme en Français, qui dépend de la situation même de la France, à laquelle Preve fait allusion à la fin du présent article.
       Preve a bien précisé, au début d’une Autoprésentation de 2007, que « Monsieur Costanzo Preve a été longtemps un ‘intellectuel’ [qui se voulut engagé, puis organique] (…), mais aujourd’hui il ne l’est plus. Et de plus, il demande à être jugé, non plus sur la base d’illusoires appartenances à un groupe, mais sur celle, exclusivement, de ses acquis théoriques ».
        Entre ces « acquis théoriques », le concept (au sens hégelien du terme) de communauté est absolument central; et ce que Preve appelle communautarisme est non seulement la théorie de la communauté sociale et nationale, mais encore la communauté comme concept. Mais disons d’abord ce que n’est pas le communautarisme, dans cette perspective.
        Bien que Preve fasse très clairement raison des formes de communautarisme à rejeter, et des acceptions du terme à réfuter, il importe tout particulièrement de préciser en France, nation formée autour d’un Etat que les rois appelaient déjà, à la romaine, République (respublica), qu’il ne s’agit pas le moins du monde de « l’utilisation du communautarisme ethnique (ou religieux, ou tribal postmoderne, ou tout cela ensemble) , pour ruiner aujourd’hui la souveraineté des états nationaux » (écrit Preve dans son Elogio del comunitarismo Eloge du « communautarisme »). Preve y comprend le fameux multiculturalisme « emballage pittoresque de la totale américanisation du monde ». La crise de l’Etat-nation selon le modèle français, qui paraît aujourd’hui m’être plus « producteur de socialité », comme l’écrit Alain de Benoist, a fait en France de communautarisme un terme  effrayant, mais il n’y a pas de fumée sans feu, et la réalité qui lui correspond est en effet « effrayante ».
       En Italie, c’est une autre acception du terme qui produit des « réactions pavloviennes », comme le dit Preve, qui affectent le mot « communautarisme » d’une connotation « d’extrême droite » se rapportant  principalement au fascisme, au nazisme, aux prétendues « métaphysiques » contre-révolutionnaires et traditionalistes (Chamberlain, Guénon, Evola) qui assez confusément s’y sont mêlées. Pour élégantes qu’elles puissent être, comme chez Evola, ces « métaphysiques » ont en commun d’être des reconstructions qui mythifient d’anciennes formes d’autorité par nostalgie d’une communauté hiérarchique « naturelle », en remontant toujours plus « haut », de l’ « Idée impériale gibeline » jusqu’à l’âge d’or de la «Tradition primordiale », en passant par les Hyperboréens, ou les Mages d’Orient, ou le Chakravartin… . Les formes d’autorité politique qui en sont issues dans l’Europe du XXe siècle n’ont vu le jour que par la vertu d’un organicisme plus ou moins teinté de naturalisme romantique, mais qui ne pouvait échapper au modèle rigoureusement matérialiste et individualiste du Leviathan de Hobbes, et a produit des régimes à Parti unique « interprète des secrets de l’histoire », comme l’écrit Preve, sous un Conducteur suprême. Le collectivisme issu du marxisme a pris une forme analogue (du « petit père des peuples » au « conducator »), moins par la séculari-sation d’idéaux religieux, que par un déjettement théorique scientiste et positiviste, qui est en soi d’essence religieuse : « Le communisme historique du XXe siècle (1917-1991) et en particulier sa première période stalinienne furent en tout point et intégralement des phénomènes religieux » (C.Preve, Histoire critique du marxisme, IV,10); et Preve a merveilleusement cerné la parenté secrète de l’organicisme social réactionnaire et du collectivisme stalinien : « Le matérialisme dialectique est une variante positiviste tardive d’un code conceptuel primitif, fondé sur l’indistinction et la fusion du macrocosme naturel et du microcosme social ».
       Mercantilisme ultra-libéral « multiculturel » d’aujourd’hui, organicisme social ou collectivisme d’hier: Preve en traite comme de « pathologies du communautarisme », dont le diagnostic conduit négativement à la définition même de ce dernier, puisque toutes nient en pratique, ou en théorie, « la constitution irréversible, et historiquement positive, de l’individu moderne responsable de choix éthiques, esthétiques, et politiques ».
       Pour Costanzo Preve, la « communauté » est la société même, et le «communautarisme », la communauté pour-soi, et/ou sa théorie, laquelle est une correction des idées marxiennes et marxistes de communisme. Cette correction s’opère par une critique  du « matérialisme dialectique », auquel il tente de substituer un idéalisme méthodologique qui implique un retour, qui est un recours, à la philosophie grecque antique et à Aristote : « Comme on le voit, il n’est pas possible même en grec moderne de différencier sémantiquement la ‘société’ de la ‘communauté’ (respectivement: koinotita, koinonia). Cela ne doit pas nous surprendre, puisque la vie sociale des Grecs était la vie communautaire de la polis, et le mot qu’utilise Aristote pour définir l’homme, politikon zoon (animal politique) pourrait être traduit sans forcer par ‘animal social’ ou ‘animal communautaire’(…). Il est bon d’avoir clairement à l’esprit cette origine sémantique et de ne pas penser que le débat commença avec la distinction de Tönnies entre ‘société’ (Gesellschaft) et ‘communauté’ (Gemeinschaft) – a écrit Preve» dans un article que j’ai traduit pour la revue Krisis (C. Preve, Communautarisme et communisme, in Krisis, Gauche/droite ?, n° 32, 2009.

     5 : Le mot italien Civilta traduit indifféremment « culture » au sens allemand ou spenglerien de Kultur (intériorité spirituelle d’une grande nation à son apogée), et « civilisation » (les formes plus extérieures de la vie civile).

    6 : Quotidien milanais qui est l’équivalent italien du journal Le Monde, et autrefois du Temps. 

    7, 8, 9. Voir la note 3.

     

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  • La guerre de demain ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Raufer, cueilli dans Le Nouvel Économiste et consacré à la montée en puissance de la cybercriminalité...

     

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    La guerre de demain

    Dans le cours qu’il lui consacre à la fin des années 1930, Martin Heidegger commente ainsi la formule de Nietzsche “Dieu est mort” : “Les vieilles coulisses du théâtre du monde pourront bien pour un temps demeurer les mêmes, la pièce qui se joue en est une déjà nouvelle.” Une remarque aujourd’hui pertinente sur la scène de la sécurité globale où, sous nos yeux – mais le voyons-nous vraiment ? -, s’amorcent, pour le crime organisé et le terrorisme, les séismes les plus énormes depuis un demi-siècle.

    D’abord celui-ci : le terrorisme est à l’agonie. Non seulement il disparaît, et vite, de l’Union européenne, mais ailleurs, surtout dans le grand “arc islamique” qui s’étend de la Mauritanie à Mindanao, le voici désormais en pleine dégénérescence criminelle. Ces jours-ci, Europol publie son rapport (TE-SAT 2012) consacré au terrorisme dans l’Union européenne (UE) et ce qu’on y lit est sensationnel. En 2007, l’UE subissait quelque 600 attentats (réussis ou déjoués). En 2011, on n’en compte plus que 174 et parmi eux – lisez bien -, pas un seul attentat islamiste. Sur ces 174 attentats, 158 en France, en Espagne et en Grande-Bretagne – ailleurs dans l’UE, 24 pays sur 27, plus de terrorisme du tout. Et ces ultimes terrorismes sont d’affligeants “Derniers des Mohicans” : bandes séparatistes ou anarchistes, solitaires psychotiques.

    Ainsi, certains chefs de services de renseignement mal renseignés, experts incompétents ou journalistes myopes, qui serinaient hier encore l’air du toujours terrible danger terroriste, avaient tort. Non seulement le jihad type Ben Laden est-il aujourd’hui en coma dépassé, mais on peut douter de l’avenir du terrorisme lui-même, qui, sous divers avatars, perturbe le monde depuis les années 1960 : communiste-combattant (Brigades rouges, Action directe…), séparatiste (IRA, ETA, FLNC…), moyen-oriental (Abou Nidal, Commandement des opérations spéciales à l’étranger du FPLP…), salafi-jihadi (“al-Qaida”).

    Or dans l’histoire, le terrorisme a toujours frappé par vagues : anarchiste (avant la Première Guerre mondiale), balkanique (avant la Seconde), moyen-oriental (décennies 1970 et 80), jihadi (1979 à environ 2011). Là, il semble qu’une vague, naguère énorme, retombe et même, selon nous, s’écroule. Que restera-t-il du terrorisme à l’“horizon maîtrisable” (2017) ? C’est désormais la seule question stratégique qui vaille.

    Mais fuyons conceptuellement ces “vieilles coulisses du théâtre du monde”, pour scruter plutôt la nouvelle pièce qu’on y répète – voire qu’on y joue déjà. Deuxième nouvelle énorme des années 2010-2011 : dans toute l’Europe, la forte baisse de l’usage de stupéfiants par les toxicomanes les plus jeunes (17 à 20 ou 24 ans, selon les comptages nationaux). Qu’un marché soit délaissé par ses consommateurs les plus jeunes n’augure donc rien de bon pour celui de la drogue d’ici cinq ou dix ans.

    Et voici que s’esquisse la nouvelle pièce du théâtre du monde, côté sécurité globale : les grandes sociétés criminelles mondiales semblent avoir bien perçu cette baisse de tonus du marché des stupéfiants – pourtant leur fonds de commerce depuis un demi-siècle – et arbitrent désormais en faveur de nouveaux “relais de croissance” : contrefaçons, cybercriminalité notamment. Ce que la Commission européenne constate déjà puisque, dans un récent rapport, elle estime le chiffre d’affaires mondial annuel du cybercrime à 388 milliards de dollars soit, souligne-t-elle, “plus que ceux de la cocaïne, du cannabis et de l’héroïne réunis”.

    Ainsi, la prédation criminelle se déplace vers le cybermonde. Contrefaçons (faux médicaments, pièces détachées, etc.) et cybercriminalité sont les marchés porteurs pour le crime organisé comme pour la force criminelle montante, celle des terroristes dégénérés passés à l’enrichissement personnel. Falsification de cartes de crédit, fraudes identitaires : tout cela rapporte, et vite, beaucoup de cash, partant de techniques simples et sans risques pénaux réels – un rêve pour les bandits – faute de conventions internationales efficaces.

    Que la cybercriminalité, naguère hobby pour hackers ou ados facétieux, soit désormais sous la coupe du crime organisé est désormais avéré. Faite à partir de 7 000 cas divers, une récente étude du centre criminologique de la London Metropolitan University démontre que 80 % des infractions commises dans le cybermonde britannique sont liées au crime organisé. Et dans ce cybermonde, les criminels progressent vite : selon une récente enquête australienne, certaines mafias piratent désormais les logiciels de suivi en ligne des transporteurs internationaux (colis, conteneurs, etc.). Ils voient si ceux renfermant leurs produits illicites sont fouillés par les douanes – et évitent donc d’aller les récupérer ! Sociétés-écrans, piratage : la belle vie pour les grands trafiquants transcontinentaux.

    Et les fausses identités, pour opérer en toute sérénité ? Pas de problème. Des faussaires chinois vendent désormais d’impeccables permis de conduire, cartes d’identité, etc. à 200 dollars pièce. Hologrammes et codes-barres quasi parfaits, disent les experts officiels américains – certains passent sans encombre les sourcilleux contrôles des aéroports de Washington.

    Toutes ces grisantes technologies font l’effet d’hormones de croissance sur les sociétés criminelles, notamment asiatiques. L’une d’entre elles, repérée – mais pas démantelée – depuis deux ans par des services officiels anglo-saxons (“Opération Dayu”), brasse chaque année 4 milliards de dollars minimum, entre l’Australie, le Canada, Hongkong et Macao. Cette méga-holding mafieuse associe des triades à des gangs de motards criminels. Sur trois continents, elle a corrompu des policiers, des politiciens, des douaniers.Telles sont les vraies menaces stratégiques des années 2013-2020. Intéressons-nous à elles assez tôt pour éviter de futurs drames. Préparons la guerre de demain et non, comme d’usage, celle d’hier.

     Xavier Raufer (Le Nouvel économiste, 7 mai 2012)

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  • Vers la normalisation ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Dominique Jamet, cueilli sur Atlantico et consacré à la nouvelle "affaire" Zemmour, déclenchée par l'habituelle clique d'inquisiteurs médiatiques à la suite d'une chronique du journaliste sur RTL, qui visait la politique du nouveau garde des Sceaux, Christiane Taubira...

     

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    Faut-il normaliser le soldat Zemmour ?

    Eric Zemmour n’est pas l’heureux propriétaire d’un fauteuil de sénateur inamovible dans le meilleur des mondes médiatiques possibles. Il n’y occupe pas une position dominante, pas même une position de force. Tout au plus, depuis qu’il a été remercié par le comique involontaire Laurent Ruquier, animateur dont l’audace ne va pas jusqu’à la témérité mais dont la feinte irrévérence confine de façon troublante au conformisme le plus plat, Zemmour dispose-t-il encore d’une chronique  sur RTL. 

    Cette tribune, Eric Zemmour la doit d’abord à son talent. Depuis le premier jour, il y a fait entendre une voix libre, originale, courageuse, une voix qui tranche dans le concert de bêlements moutonniers à quoi se réduit le plus souvent le débat politique, culturel et social tel que le conçoivent les grandes chaînes de radio, de télévision et autres machines à décerveler. Cette voix est donc aussi une voix isolée que l’on aurait depuis longtemps étouffée si elle n’avait suscité l’adhésion et le soutien d’un large public. Or, l’offensive de grand style qui se développe ces derniers jours contre Zemmour et qui ressemble fort à une scène de chasse aux sorcières vient nous prouver qu’aux yeux de certains ces cinq minutes de dissonance quotidienne noyées dans un océan de pensée unique sont encore de trop et constituent une insupportable provocation qu’il faut faire cesser au plus vite. Le modeste strapontin qu’occupe jusqu’aujourd’hui ce journaliste incorrect serait-il un siège éjectable ?

    On n’est pas obligé -Dieu merci- d’être d’accord sur tout avec Eric Zemmour, ni en gros ni en détail. Il arrive parfois à notre confrère de céder à un esprit de système lié à une pensée structurée, cohérente qui accepte mal la contradiction. Il lui arrive aussi d’être dans l’excès où mène la générosité d’un tempérament polémique.

    Pour en prendre les deux exemples récents, sur lesquels s’appuie la cabale en cours, il me semble qu’Eric Zemmour a nettement forcé le trait en accusant le nouveau ministre de la Justice, Christiane Taubira, de se soucier des victimes comme d’une guigne et de discriminer l’homme blanc au profit des délinquants venus d’ailleurs et grandis dans les cités. En revanche, on ne peut qu’applaudir des deux mains et saluer le cran de Zemmour (car il y faut du cran !) lorsqu’il dénonce les déclarations stupéfiantes qu'aurait tenu M. Patrick Lozès, président du Conseil représentatif des associations noires (dont l’acronyme, pure coïncidence, est également CRAN). M. Lozès, porte-parole d’un lobby qui entend dénoncer les discriminations dont sont victimes ses frères de couleur, mais qui sauf erreur est citoyen français, n’aurait pas craint de déclarer qu’Obama était "son président" ! (NDLR : Patrick Lozès dément avoir tenu de tels propos). Sur quelle autre base qu’une base ethnique, pour ne pas dire raciale ? Comme quoi on peut se proclamer et peut-être même se croire antiraciste tout en ayant une pensée, un comportement et des propos typiquement et parfaitement racistes.

    Mais laissons cela. La première question, la grande question actuelle et concrète que pose la mauvaise querelle que l’on cherche à Eric Zemmour n’est pas de savoir si celui-ci est dans le vrai ou non, ni de décider quand et jusqu’à quel point il a raison, quand et jusqu’à quel point il a tort. A chacun, et le cas échéant aux tribunaux d’en juger. La question est de savoir s’il est toujours permis, en France, en 2012, d’avoir des opinions – entendez hétérodoxes – et de les exprimer. Je me suis reporté au texte qui en la matière est censé fondateur non seulement de notre République mais de notre liberté. Je me suis donc reporté à l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen. Il y est dit : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

    Or, on voit bien, et l’on sait bien que la pression qu’exercent sur notre société et notamment sur ses médias les grands lobbies politiques, confessionnels, culturels et associatifs ne tend à rien de moins qu’à contraindre les citoyens, et en premier les journalistes, à penser et à dire ce qu’il faut dire et penser, éventuellement à ne pas dire ce qu’ils pensent, à dire ce qu’ils ne pensent pas et, s’ils se montrent rétifs, à ne plus pouvoir rien dire, à défaut de ne plus rien penser.

    Une fois Zemmour réduit au silence, puis, tout naturellement, dans la foulée Elisabeth Lévy, Robert Ménard et les rares trublions qui épicent encore notre potage, on retrouverait enfin le ronron rassurant qui rythme la vie des démocraties monocolores, c’est-à-dire des non-démocraties.

    Lorsqu’en Tchécoslovaquie l’hiver totalitaire a succédé au printemps de Prague, lorsqu’en Pologne le général Jaruzelski décrétait l’état de siège et interdisait Solidarnosc, lorsqu’en Hongrie les chars soviétiques écrasaient la révolution et installaient le gouvernement Kadar, cela portait un nom. Certains, rêvent visiblement aujourd’hui, chez nous, dans la foulée de l’élection de François Hollande, d’une normalisation.

    Dominique Jamet (Atlantico, 29 mai 2012)

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  • Contre le panurgisme galopant...

    Vous pouvez visionner ci-dessous une partie de l'entretien donné par Bernard Lugan à Robert Ménard pour la revue Médias. Bernard Lugan distribue les soufflets avec son talent habituel...

    Une partie de l'entretien, publié dans le numéro 32 de la revue, est disponible en ligne :

    Pour le rétablissement des duels en matière de presse !

     


    Bernard Lugan : Pour le rétablissement des duels... par revue-medias

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