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Points de vue - Page 31

  • L’individu et les droits fondamentaux...

     Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Eric Delcroix cueilli sur Polémia et consacré à la dérive individualiste du droit. Juriste et ancien avocat, Eric Delcroix a publié notamment Le Théâtre de Satan- Décadence du droit, partialité des juges (L'Æncre, 2002), Manifeste libertin - Essai révolutionnaire contre l'ordre moral antiraciste (L'Æncre, 2005) et Droit, conscience et sentiments (Akribeia, 2020).

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    L’individu et les droits fondamentaux

    Lois fondamentales ou constitutionnelles

    Les modifications du vocabulaire juridique peuvent dissimuler des changements dans la philosophie du droit.

    Sournoisement ce que l’on appelait en France les libertés publiques impartiales, se muent en droits fondamentaux moralisateurs à l’échelle de l’Europe. Glissement sémantique hautement révélateur et redoutable. Précédemment, les droits fondamentaux ne portaient pas sur les droits subjectifs des personnes privées, mais sur les fondations juridiques de la société. Aussi le Littré (1881) donne-il comme l’une des acceptions de Fondamental « La loi fondamentale d’un État. »

    Prenez, par exemple le Précis d’histoire du droit français, par Amédée Bonde (Librairie Dalloz, 1927), § 221, on y lit ce titre : « Les lois fondamentales du royaume de France limitaient l’autorité royale » (le mot loi étant ici entendu lato sensu, recouvrant d’abord le droit coutumier plutôt que le droit écrit). Bref, il s’agissait de la constitution de l’Ancien régime, détaillée dans l’ouvrage, savoir : Succession, majorité, régence ou inaliénabilité du domaine royal etc. L’emploi de cette notion de lois fondamentales du royaume était constant, comme l’enseignait le professeur Jean-François Lemarinier dans ses cours d’histoire du droit et des faits sociaux à Paris (cf. polycopiés de son cours de première année de licence 1963-1964, pp. 1035 et suivantes).

    Historiquement, et avec le soin primordial de l’intérêt général, les lois fondamentales étaient donc uniquement celles qui donnaient aux États leur régime constitutionnel… Mais c’était avant l’assomption de l’individu-roi.

    Dérive individualiste du droit dans l’après guerre

    La dérive individualiste de la notion de droit fondamental remonte probablement à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales élaborée, sous l’égide du Conseil de l’Europe le 4 novembre 1950. Convention signée par la France mais, dans un premier temps sans reconnaissance du droit de recours individuel devant la Cour européenne des droits de l’homme qu’elle instituait, avant d’y céder sous Mitterrand (1988).

    Le 18 décembre 2000, s’y est surajoutée la redondante Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, sans juridiction spécifique attitrée, mais qui s’impose néanmoins au titre de l’ordre public, notamment devant la Cour de justice de l’Union européenne. Rédigée comme la précédente, et plus encore, dans un pathos permettant une dérive qui s’analyse comme un effacement du droit derrière la morale (non sans céder à l’inclusivité, tels ces « tout citoyen ou citoyenne »), toujours avec les concepts pâte à modeler de « dignité humaine … liberté … solidarité » etc. Au passage, la Charte oblige les pays participants à rester liés à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur les réfugiés, devenue l’un des moyens de submersion migratoire de nos nations. Mais surtout la Charte s’ancre dans l’ordre moral anti-discriminatoire (article 21).

    N’en espérons rien, même si contrairement à la convention de 1950, elle n’énonce nulle restriction à la liberté d’opinion ou d’expression (article 10, § 2 de la Convention), sa proclamation (article 11 de la Charte) y ajoutant même la précision suivante : « Les arts et la recherche scientifique sont libres » (article 13), c’est en application du nouvel ordre moral anti-discriminatoire. Aussi, toutes ces grandes proclamations n’empêcheront-elles pas les atteintes à ces libertés par des lois telles les lois Pleven (1972), Fabius-Gayssot (1990) ou Perben II (2004), pour s’en tenir à la France. En effet, il s’agit de morale et non plus de droit et dès lors la casuistique l’emporte sur la raison juridique. Au nom du Bien.

    Le reflet de Narcisse

    Quant aux lois constitutionnelles, aux fondations juridiques des sociétés, elles sont submergées et paralysées par les droits individuels que l’on y insère selon le modèle puritain des États-Unis, alors qu’elles ne devraient avoir pour objet que l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics, bref les principes fondamentaux de la vie publique…

    Désormais ce qui est fondamental c’est l’individu, cellule liquide micro moléculaire narcissique, dénoncée par Christopher Lasch.

    L’individu est devenu, pour ainsi dire, non plus seulement un simple sujet de droit privé, mais également un sujet de droit public opposant ses droits et ses ambitions égoïstes, à hauteur d’État, à l’intérêt général qui n’a donc plus la possession des droits fondamentaux.

    Nous sommes loin de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui au-delà de ses maladresses entendait en finir avec l’arbitraire royal venu des temps médiévaux, en appelant à la loi formelle d’un pouvoir législatif autonome. En effet, si (« sous les auspices de l’Être suprême » !) elle invoque « la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme », elle en réserve les modalités d’application au seul pouvoir législatif formel, à « la loi » stricto sensu, « expression de la volonté générale » (article 6) c’est-à-dire à la loi écrite. La Déclaration ouvre les temps de la nomocratie légaliste, abolie de nos jours par l’État de droit qui a instauré la suprématie du juge confesseur (non élu), gardien la transcendance des droits fondamentaux…

    L’intérêt général, lui, n’est plus fondamental, pourtant narcisse n’est qu’un reflet, une illusion du monde virtuel : Fiat justicia pereat mundi (peu importe le sort du monde pourvu que justice soit faite). Mais les lendemains seront cruels au si fragile sujet de droit, quand il découvrira, peut-être trop tard, qu’il n’est qu’un objet sans substance de l’histoire.

    Eric Delcroix (Polémia, 14 janvier 2023)

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  • L'homme inutile et l'arche de l'oligarchie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Roberto Pecchioli, cueilli sur Euro-synergies et consacré au projet transhumaniste. Spécialiste de la géopolitique, de l'économie et de l'histoire, Roberto Pecchioli poursuit depuis des années une intense activité éditoriale, collaborant avec des revues, des sites culturels et des blogs.

     

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    L'homme inutile et l'arche de l'oligarchie

    Le mensonge le plus stupide répandu par le système est que ses opposants sont des comploteurs, des paranoïaques qui inventent des intrigues et des conspirations, convaincus par faiblesse mentale que la main invisible d'un Spectre planétaire est à l'origine de chaque événement. Ce ne sont pas les sujets qui manquent, mais la vérité est qu'il n'y a ni complot ni machination. Les actions, les cibles, les instruments, les agents du pouvoir sont là, au vu et au su de tous. Ils ressemblent à un jeu de la Settimana Enigmistica, la page blanche avec des points qu'il appartient au lecteur d'assembler pour composer l'image. Nos "supérieurs" nous disent tout : à nous d'assembler les faits et les mots.

    Dès les années 1950, à l'aube de la révolution technologique, Günther Anders écrivait que l'homme était dépassé. Son intelligence n'est plus à la hauteur des innovations technologiques, des découvertes qui révèlent l'insuffisance de l'homo sapiens. Anders appelait le fossé grandissant entre l'homme et la machine le "fossé prométhéen". Des décennies plus tard, la volonté de transcender l'homme au point de le remplacer par un appareil artificiel est évidente. Les robots, les nanotechnologies, l'essor de l'intelligence artificielle, le cyberhomme hybridé avec la machine sont des réalités. Difficile, pour beaucoup, de saisir le sens d'une reconfiguration aussi gigantesque, la plus grande, la plus définitive des remises à zéro.

    L'idéologie des élites n'est pas seulement le libéralisme mondialiste tendant à la privatisation du monde et à l'unification planétaire sous la domination d'une oligarchie maîtresse de tous les moyens. Le véritable objectif est le transhumanisme, c'est-à-dire la volonté de dépasser l'homme créature en changeant irrémédiablement sa nature biologique. L'écrivain a analysé tout cela dans un livre, L'uomo transumano - récemment publié par Arianna Editrice - dont le sous-titre, La fine dell'uomo (La fin de l'homme), a fait l'objet d'un désaccord avec l'éditeur. Nous aurions préféré que le point d'interrogation donne de l'espoir, qu'il indique une possibilité, qu'il laisse la porte ouverte à la réfutation. Il faut se ranger à l'avis du marketing : en effet, la fin de l'homme - homo sapiens sapiens, l'espèce à laquelle nous appartenons - est proche. Les porte-parole des maîtres universels nous le disent clairement. L'homme archaïque d'Anders est désormais "inutile", selon les termes de Yuval Harari, intellectuel majeur et porte-parole du Forum de Davos, transhumaniste, auteur du best-seller Homo Deus, dont le titre est un programme idéologique précis.

    Harari est lui-même un produit transhumain: homme de confiance des seigneurs du monde, israélo-américain, athée, homosexuel (humanité inversée, stérile...). Il fait partie de ceux que la coupole désigne pour élaborer des idées et diffuser la parole des supérieurs à l'homme d'autrefois, à petites doses ciblées. Il faut s'y faire. Tant pis pour nous si nous ne comprenons pas : ils nous ont mis au parfum. L'homo deus, qui refait la création imparfaite et se met à la place de Dieu, de la nature ou de l'évolution - vieille utopie gnostique résurgente - ce n'est pas nous. C'est "eux", les illuminati, qui s'arrogent non seulement la direction de l'humanité, mais même la propriété des humains.

    Dans une récente interview accordée au média suisse Uncut-news.ch, Harari a lâché l'ultime bombe, pour autant que nous ayons encore les outils cognitifs pour la reconnaître : l'homme ordinaire - une grande partie de l'humanité - est "inutile". Il faut donc s'en débarrasser. L'image qu'il utilise est biblique : "lorsque le déluge viendra, l'élite construira l'arche de Noé et la classe des inutiles (moi, vous, amis, enfants et petits-enfants) se noiera". Paranoïa, indication de problèmes psychiatriques ? Pas si la voix est celle des grillons parlants de Davos, traduits dans toutes les langues pour éduquer la future transhumanité.

    Ainsi parle Harari, le techno-Zarathoustra. "Le monde connaît une profonde mutation : l'intelligence artificielle joue un rôle de plus en plus important. Quel en est l'impact ? L'idée que les êtres humains ont une âme ou un esprit et un libre arbitre est révolue". On ne connaît pas de matérialisme plus absolu, glacial et inhumain que celui distillé par les ventriloques de lorsignori. Ils prédisent (ou savent...) que l'humanité sera divisée en castes biologiques. Au lieu d'une humanité, il y en aura plusieurs. Le résultat est que la plupart des gens deviennent "économiquement inutiles" et "politiquement impuissants".

    Nos maîtres nous qualifient d'"inutiles", c'est-à-dire de non utiles ; nous ne servons pas leurs objectifs, les seuls qui vaillent la peine d'être poursuivis. L'utilité a été déclinée dans un sens purement économique : des bras à exploiter, des cerveaux à presser. Fin : ils ont des robots, des Chatbox d'Intelligence Artificielle. À quoi sert l'être humain obsolète, malade, pleurnichard, détenteur des "droits" qu'ils proclament ? À polluer Gaïa, une planète qui leur appartient. "Nous voyons déjà les premiers signes d'une nouvelle classe de personnes, la classe des inutiles, ceux qui n'ont aucune compétence à utiliser dans la nouvelle économie". Il ne reste plus qu'à s'en débarrasser en les supprimant. "La révolution de l'intelligence artificielle est en marche, créant une classe sans utilité militaire ou économique et donc sans pouvoir politique. Puisque nos bras et nos cerveaux - les miens, les vôtres - n'ont plus de raison d'être, il faut, selon Harari, se contenter de drogues et de jeux vidéo. Non, merci, à l'inculture du gaspillage.

    La prophétie est précise. Lorsque le déluge arrivera, les scientifiques construiront une arche de Noé pour l'élite et les autres se noieront. Le déluge pourrait être une guerre nucléaire - les prémisses sont là - ou une nouvelle pandémie. Les tests ont très bien fonctionné et l'Organisation mondiale de la santé aura bientôt des pouvoirs directs sur les États-nations archaïques. Ou une famine, que l'Occident suicidaire prépare en interdisant les cultures et l'élevage sous l'alibi du changement climatique. La région d'Émilie-Romagne paie les agriculteurs pour qu'ils ne travaillent pas leurs terres. Le déluge prend la forme d'une bruine constante: l'appel à une sexualité compulsive mais stérile (homosexualité, idéologie du genre), la diffusion de modèles de vie dont les enfants sont exclus, c'est-à-dire la transmission de la vie. Ces jours-ci, la secrétaire "fluide" du DP, porte-parole des destins magnifiques et des progressistes, s'est élevée contre le désir de maternité.

    Avec beaucoup d'emphase, on célèbre un avenir dans lequel les êtres humains (survivants) ne seront plus conçus et mis au monde naturellement. Le dépassement de l'humain est présenté comme une libération pour les femmes. Pour l'homme, plus inutile que désuet, vient la pilule qui stérilise. Plus de progrès : voici un moyen de vivre autrement les relations sexuelles et sentimentales. La pluie devient un déluge dans les régions les plus avancées du monde. Avancée vers la fin...

    Un nouveau droit inversé s'impose : non plus le droit à la vie, mais à la mort déclarée, pour les malades, les vieillards, les dépressifs, les pauvres. L'armée des inutiles doit avancer sereinement vers son anéantissement, calme, posée : c'est son "intérêt supérieur", comme l'interdiction de soigner le petit Indy. Si notre intérêt est déterminé par quelqu'un d'autre, nous ne sommes pas libres et nous avons perdu la propriété de nous-mêmes, corps et âme.

    C'est ce que veulent les danseurs de Harari. Réfléchissons-y. Et surtout, débarrassons-nous des schémas mentaux qui rendent hégémoniques l'acceptation préjudiciable de tout changement, le déterminisme positiviste-idéaliste selon lequel l'histoire serait inévitablement tournée vers le progrès et toute transformation serait une évolution positive. Comment concilier tout cela avec l'inutilité de la majorité de l'humanité, appelée à disparaître parce qu'inutile dans le système trans et inhumain voulu d'en haut, dépasse notre entendement. La pensée magique croit à la répétition et à l'abolition du jugement critique.

    Pour Harari et le Dominion, l'humanité est un "algorithme obsolète". Après tout, quelle est la supériorité des humains sur les poules, dit le théoricien de l'humain inutile, si ce n'est que l'information circule en nous selon des schémas plus complexes ? Les poules traitent plus d'informations visuelles que nous, les humains, mais elles ne peindront jamais la Chapelle Sixtine. La dérive anti-humaine des tendances et des croyances, dont les conséquences sont le nihilisme et le mécanisme, est inquiétante. Tout ordre, toute vérité, toute beauté, est une construction sociale, la personne humaine n'est qu'une série d'algorithmes contenus dans une masse biochimique.

    Ainsi, la vie devient disponible, modifiable. De manipulation en manipulation, de bidouillage en bidouillage, l'homme devient autre que lui-même dans un parcours toujours en cours : le transhumain se coule dans le posthumain et l'antihumain. Selon la vulgate transhumaniste, dans cinquante ans, les humains "feront tous partie d'un réseau doté d'un système immunitaire central". Suit la menace : "Vous ne pourrez pas survivre si vous n'êtes pas connecté". L'oligarchie sera une sorte de Dieu et l'homo sapiens perdra le contrôle de sa vie.

    La suite est la répétition du mantra élitiste de la "surpopulation à combattre". Ils préparent le déluge et nous préviennent. Entre-temps, ils doivent nous convaincre que c'est pour notre bien. Harari affirme dans From Animals to Gods qu'"il ne semble pas y avoir d'obstacle technique insurmontable à la production de surhommes. Les principaux obstacles sont les objections éthiques et politiques qui ont ralenti le rythme de la recherche humaine. Et aussi convaincants que soient les arguments éthiques, on voit mal comment ils pourraient résister longtemps à l'étape suivante, surtout lorsque l'enjeu est la possibilité de prolonger indéfiniment la vie humaine, de vaincre des maladies incurables et d'améliorer nos capacités cognitives et mentales". L'appât est la santé, mais le but est la mort.

    À Davos, la montagne enchantée de l'Agenda 2030 transhumain, Harari l'a exprimé en ces termes : "La science remplace l'évolution par la sélection naturelle par l'évolution par le dessein intelligent. Il ne s'agit pas du dessein intelligent d'un Dieu au-delà des nuages, mais de NOTRE dessein intelligent, celui de nos nuages (les nuages informatiques, ndlr), les nuages d'IBM et de Microsoft. Ce sont ces nuages qui conduiront notre évolution". Les applaudissements nourris des présents - tous membres éminents des oligarchies économiques, financières, technologiques et politiques - montrent ce qu'est la pensée dominante, le matérialisme grossier qui l'anime, le délire de la toute-puissance convaincue d'avoir détrôné et remplacé Dieu.

    Pour le dôme du pouvoir, ivre d'hybris, l'humanité future transhumaine, anthropologiquement et ontologiquement différente de l'ancienne, a besoin d'une éclaircie drastique. Harari a la vertu de la franchise. La plupart des gens sont "inutiles", ne sont plus "nécessaires". Nous sommes obsolètes, excédentaires, un obstacle à résoudre. Un frisson me parcourt l'échine. "Nous n'aurons tout simplement plus besoin de la grande majorité de la population, car l'avenir prévoit le développement de technologies toujours plus sophistiquées, telles que l'intelligence artificielle [et] la bio-ingénierie."

    Ceux qui ne peuvent plus trouver de travail en raison de l'automatisation croissante n'apportent rien à la société, ils ne sont plus nécessaires, ils ne font pas partie de l'avenir. Pour l'élite transhumaniste, la valeur de la personne humaine réside uniquement dans son utilité économique. L'homme est un animal à l'intelligence plus raffinée, un être purement biologique et corporel que l'on peut manipuler, sélectionner, modifier génétiquement, hybrider et finalement abattre pour les "têtes de l'humanité" en surnombre.

    Même la fierté des "droits de l'homme" de l'homme occidental est battue en brèche. Pour les transhumanistes, il s'agit de mythes dénués de sens au niveau biologique, d'une histoire inventée, d'un récit, comme Dieu, le droit à la vie, la liberté, etc. Bien qu'importants dans certains contextes historiques, ils deviendront totalement insignifiants. L'agenda de la Grande Réinitialisation (grand effacement...) n'est rien d'autre que la mise en place progressive d'un gouvernement mondial technocratique basé sur le dépassement de l'humain (solve) et la création d'un monde entièrement nouveau (coagula), dans lequel c'est la machine qui domine l'humanité.

    Les propos de Yuval Harari dans Homo Deus sont exemplaires. "Aujourd'hui, l'humanité est prête à substituer la sélection naturelle à la conception intelligente et à étendre la vie au-delà de l'organique, dans le domaine de l'inorganique. Au lieu que l'homme crée une nouvelle technologie, la technologie crée une nouvelle humanité". Et elle la détruit en la rendant inutile pour les desseins de quelques maîtres fous de tout. Si cela nous plaît, nous nous taisons ou nous pensons que cela ne nous concerne pas. Si cela nous fait peur, ce qui est normal, ne soyons pas des autruches en enfouissant notre tête dans le sol. Construisons l'arche des hommes, chassons ceux qui veulent notre mort et nous le disent sans honte. Sinon, ils auront raison : l'homo sapiens ne méritera pas de survivre.

    Roberto Pecchioli (Euro-synergies, 13 janvier 2024)

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  • Dominique Venner et la guerre d’Algérie : Renaud Dély n’a rien compris !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Grégoire Gambier, cueilli sur Polémia et consacré au bouquin, à la fois médiocre et minable, que Renaud Dély, maître-censeur qui sévit dans les médias du système, vient de consacrer à Dominique Venner.

     

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    Dominique Venner et la guerre d’Algérie : Renaud Dély n’a rien compris !

    Le journaliste d’extrême gauche Renaud Dély vient de commettre un ouvrage sur Dominique Venner (L’assiégé, JC Lattès, janvier 2024). Il le croit inspiré. Il n’y plaque que sa vision de midinette – cheveux longs et idées courtes – sur des événements qu’il ne connaît que par les ‘digests’ proposés à Sciences Po ou par Netflix. Affligeant.

    Renaud Dély ne manque pas de talent. Mais de conteur. Il devrait être romancier. Sa vision de la guerre d’Algérie relève moins de l’étude détaillée des journaux de marche des régiments engagés sur le terrain, ou des simples rapports de police, voire des articles de presse recoupés par les acteurs de l’époque, que de la trame wokiste des événements que l’on apprend désormais, en France, aux élèves de CM2 et des IEP.

    Dans les pages que Dély consacre à l’engagement de Dominique Venner au début de la guerre d’Algérie, suintent toutes les phobies que la gauche bien-pensante retient de l’époque : violence aveugle et débridée de l’armée française, exactions sur des populations civiles évidemment innocentes, torture des prisonniers et exécutions sommaires – les « corvées de bois »… Dès lors, Dély fait de Venner un agent exalté du pire – à peu près le Diable incarné. Pensez-vous, chère Madame : il aurait lui-même et très évidemment, par caractère autant que par conviction, participé aux atrocités permises par les autorités de l’époque. Même l’EI et le Hamas réunis seraient outragés d’une telle bestialité.

    La guerre d’Algérie à la sauce Netflix

    Notre ami Dély, le camarade Renaud, aurait simplement pris la peine de lire ce que son sujet – Dominique Venner – en disait, qu’il se serait évité un peu de ridicule. Dély conçoit en effet la guerre d’Algérie très exactement comme le cinéaste américain Oliver Stone celle du Vietnam (Platoon, 1986) : rien n’est vrai, seule importe la projection de ses propres fantasmes sur une réalité qui, par nature et par vocation, échappe aux « sangs de navet » dont Jean-Marie Le Pen disait, à juste titre, qu’ils n’avaient jamais entendu siffler à leurs oreilles que des balles de tennis. En aucune façon des balles de 7.62 au fond d’un talweg au petit matin…

    La guerre d’Algérie n’est certes pas un sujet anodin, dans la vie et l’œuvre de Dominique Venner comme dans « l’axe du destin » de ce qu’il restera à sauver, peut-être un jour prochain, de la France et de l’Europe. Le sujet mériterait quelques développements mais, pour en rester à l’ouvrage, sans doute de commande, du camarade Renaud, quelques mises au point s’imposent naturellement.

    La première mise au point tient à la nature de l’engagement de Dominique Venner dans cette guerre. Engagement évidemment total – comment pourrait-on simplement concevoir un engagement en demi-teinte, de feignasse affaissée, a fortiori à 20 ans, lorsqu’enfin le conflit héraclitéen s’impose à soi ? Mais Renaud n’a pas lu Dominique. Venner ne regrette ni ne renie rien de son engagement de braise bien sûr, ne serait-ce que par élégance, pour ce que l’on « se doit à soi-même ». Il a fait la guerre, une « petite guerre », et aurait aimé la victoire, même de principe – pour l’honneur. Et pour la défense de ses compatriotes d’Algérie – « pour leurs droits de vivre librement sur la terre où étaient enterrés leurs morts. » (1)

    Mais quand il évoque cet épisode, il pense davantage à Jünger, l’aimé de Mitterrand, qu’à Salomon, l’inspirateur des éternels maudits des complots condamnés à l’échec : « Dans les situations extrêmes, comme le disait Jünger, l’homme se résume au cœur qu’il porte en lui. Parce qu’il s’établit au-dessus des jeux de l’intelligence, l’impératif du cœur prime alors celui de la raison. » (2)

    Le droit des peuples à vivre où sont enterrés leurs morts…

    La seconde mise au point tient à la qualification des combattants. Sans doute faut-il avoir un « sang de navet » en effet comme Dély pour ne pas comprendre, à défaut de savoir, que la guerre est un affrontement de nature métaphysique, et que l’adversaire y tient toute sa place – de façon « mimétique » comme dirait René Girard.

    Dans Le Cœur rebelle (Les Belles Lettres, 1994), Dominique Venner écrit sa compréhension et son respect pour le combat des fells, admettant même qu’il aurait fait de même à leur place, en combattant « identitaire » – ce qu’à l’évidence Dély n’a pas lu, ou compris.

    La dernière mise au point tient à la portée du conflit. Jamais Dominique Venner n’écrit que « la guerre d’Algérie n’est pas finie ». C’est le romancier Alexis Jenni dans L’Art français de la guerre (prix Goncourt 2011) puis encore dans Féroces infirmes (2019). Ce sont les services de renseignement et quelques politiques actuels. Ce sont surtout les Algériens eux-mêmes, ivres de la frustration d’une victoire qu’ils ne savent acquise que par défaut, par refus de combattre de l’adversaire. Et dont ils veulent une revanche avide.

    « Rebelle par fidélité »

    Ce qu’écrit Venner en revanche, c’est que la signification et la portée de ce conflit restent évidemment actuelles, et que les combats menés ne le seront jamais en vain : « Refuser de s’abandonner à la fatalité, protéger les siens quand ils sont menacés, ce sont là des qualités que l’on apprécie par exemple chez les Israéliens. Pourquoi ne le seraient-elles pas chez les Français ? Malgré bien des torts, ce fut l’honneur des partisans de l’OAS d’avoir tenté de défendre jusqu’au bout les Français d’Algérie et les Musulmans fidèles, livrés par le gouvernement de la République à l’exode ou au massacre. » (3)

    Chez Dominique Venner, rien n’est plus méprisable que la petitesse dont à l’évidence Renaud Dély s’est contenté.

    Ignorant de la seule « verticalité des sentiments » qui fait le sel de la terre et des hommes qui tentent, depuis la nuit des temps, de l’habiter en poètes et non en esclaves – en rouages d’une machine qui les dépasse et niera jusqu’à leur qualité humaine.

    Méprisant de ce fait « la vertu des cœurs insoumis et généreux » qui seule importait réellement à Dominique.

    Pauvre Renaud…

    Grégoire Gambier (Polémia, 11 janvier 2024)

    Notes :

    1 : Le Cœur rebelle, Les Belles Lettres, Paris, 1994, p. 187.

    2 : Ibid, p. 197.

    3 : Ibid, p. 79.

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  • Ambition, gesticulation, consolation… ou négociation ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Duranthon, cueilli sur Geopragma et consacré à l'ouverture des négociations d'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne. Jean-Philippe Duranthon est haut-fonctionnaire et membre fondateur de Geopragma.

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    Ambition, gesticulation, consolation… ou négociation ?

    Lors du Conseil Européen des 14 et 15 décembre dernier, l’Union européenne a décidé d’ouvrir des négociations d’adhésion avec l’Ukraine (et la Moldavie). V. Zelensky s’est empressé de saluer « une victoire pour l’Ukraine, pour toute l’Europe, une victoire qui motive, inspire et rend plus fort ».

    Vraiment ?

    On peut voir dans cette décision une grande ambition : l’ambition de renforcer l’Europe en lui permettant d’englober tous les pays pouvant être considérés, fut-ce parfois au prix d’un certain effort, comme des démocraties ; l’ambition de manifester sa détermination à se défendre solidairement contre les agressions extérieures ; l’ambition de montrer son unité (même s’il a fallu, pour ce faire, demander à la Hongrie de se livrer à une gymnastique étrange et juridiquement douteuse).

    Mais on peut aussi l’interpréter comme une simple gesticulation : tout compte fait, négocier n’engage pas à grand-chose car les pourparlers peuvent durer longtemps ; la Turquie, avec qui les négociations d’adhésion ont été ouvertes en décembre 2004, en sait quelque chose, de même que la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie, l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine et la Géorgie qui, bien que reconnus officiellement candidats, piaffent devant la porte. Ouvrir des négociations, cela permet de faire plaisir à bon compte.

    La décision peut ainsi n’être qu’un lot de consolation. Ce que le président Zelensky veut avant tout, ce qu’il réclame en multipliant les déplacements à Washington (trois en 2023) et dans les capitales européennes, c’est des armes et de l’argent. Or le Congrès des Etats-Unis s’est séparé en décembre sans voter l’enveloppe de 61 Md$ que Joe Biden réclamait pour Kiev et les Européens ne se sont pas mis d’accord pour débloquer l’aide de 50 Md€ convoitée par l’Ukraine. Les premiers, les Etats-Unis, considèrent que la stabilité du Moyen Orient recèle des enjeux bien plus importants pour leurs propres intérêts que la couleur du drapeau flottant sur le Donbass ; les seconds, les Européens, ont déjà puisé autant qu’ils le pouvaient dans leurs stocks d’armes et de munitions et n’ont ni les ressources financières, ni les capacités industrielles pour les reconstituer rapidement et continuer leurs générosités.

    Une « victoire pour l’Ukraine, pour toute l’Europe », vraiment ?

    De toute façon personne ne sait ce qu’il faut entendre ou espérer par « victoire », un concept toujours invoqué mais jamais défini.

    L’important n’est peut-être pas là.

    L’important, c’est tout d’abord, à court terme, de savoir si la décision d’ouvrir les discussions d’adhésion à l’UE est de nature à enrayer la guerre, à éviter de nouvelles hécatombes et de nouvelles destructions et à convaincre les protagonistes d’échanger des paroles et non plus des obus. A cet égard le « déluge de feu et d’acier » qui, si l’on en croit la presse, s’abat depuis la fin décembre de part et d’autre de la ligne de front, et surtout en Ukraine, suffit à laisser penser que l’ouverture des négociations avec l’UE n’a pas plus d’effet que l’interdiction d’acheter des diamants russes, objet du dernier « paquet » de sanctions européennes. C’est que la Russie, sans le dire, a mis en place une véritable « économie de guerre » alors que les Européens préféraient le dire sans le faire. Qu’on le veuille ou non, et l’échec de la contre-offensive ukrainienne l’a montré, la Russie est aujourd’hui en position de force sur le terrain ; elle le sera peut-être demain aussi dans un nombre croissant de chancelleries et d’opinions publiques gagnées par la lassitude ou privilégiant d’autres conflits. Qui peut penser qu’ouvrir aujourd’hui les négociations d’adhésion de l’Ukraine, c’est à dire se priver sans contrepartie d’un élément important de négociation qui serait précieux dans le cadre d’un futur deal global, a des chances d’amener son ennemi à faire taire ses canons et à venir s’asseoir à la table des négociations ?

    L’important est aussi, à moyen terme, de savoir si cette décision d’ouvrir des discussions d’adhésion est de nature à favoriser un équilibre durable en Europe. Car il faudra bien qu’un jour les parties occidentale et orientale du continent européen s’acceptent l’une l’autre et apprennent à vivre ensemble. Un pays (ou un groupe de pays) qui connaît une paix durable est un pays qui a su trouver avec ses voisins un modus vivendi acceptable par tous : cela correspond rarement à ce que lui-même avait au départ souhaité. Aujourd’hui les deux parties du continent ne commercent plus entre elles, n’ont plus de relations culturelles, ne communiquent plus que par des invectives et des menaces. Sous les yeux d’un « Sud profond » indifférent, qui montre clairement son désintérêt, d’un côté le « monde occidental » cherche avant tout à raffermir ses liens et parler d’une seule voix, celle des Etats-Unis, de l’autre côté la Russie renforce ses liens avec Chine, Turquie, Iran, Corée du Nord, pays qu’il serait préférable d’éloigner, et non de rapprocher, de nos frontières. Dès lors, l’entrée de l’Ukraine dans l’UE favorise-t-elle l’établissement d’une paix durable ou éloigne-t-elle cette perspective ? Est-il judicieux d’accroître de près de 1600 km les frontières avec un pays considéré comme un ennemi menaçant ? En outre V. Poutine, s’il contrôle aujourd’hui solidement son pays, n’est pas éternel.

    La revue Foreign Affairs, dont il est peu probable que la rédaction ait été infiltrée par des hackers russes, a écrit en novembre que « l’Ukraine et l’Occident sont sur une trajectoire insoutenable, caractérisée par une inadéquation flagrante entre les fins et les moyens disponibles… Le temps est venu pour les Etats-Unis d’entamer des consultations…». Plutôt que de se rejeter mutuellement la responsabilité du conflit, plutôt que de répéter à l’envi la nécessité de « gagner la guerre », sans d’ailleurs savoir ce que cela signifie, plutôt que de conforter ceux qui, pour des raisons diverses, ont, dans les deux camps, intérêt à ce que la guerre continue longtemps, n’est-il pas nécessaire de chercher à ouvrir des négociations entre les belligérants et, sans doute, ceux qui les soutiennent ? Les dirigeants européens affirment que Vladimir Poutine n’en veut pas. Qui croira qu’engager la procédure d’adhésion de l’Ukraine à l’UE le fera changer d’avis ?

    Jean-Philippe Duranthon (Geopragma, 8 janvier)

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  • Grand nettoyage à Varsovie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels, cueilli sur Putsch et consacré à la brutale reprise en main de la Pologne par Donald Tusk, vainqueur des élections et, en tant qu'ancien président du Conseil européen, éminent représentant du système "davocratique"...

     

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    La police occupe les locaux de la télévision publique à Varsovie...

     

    « Grand nettoyage à Varsovie »

    Le changement de régime à Varsovie serait le « mieux » pour tout le monde : même les conservateurs devraient voter pour Tusk afin de ramener le pays à la modération, à la normalité et à l’État de droit ; les mises en garde contre la « wokisation » de la Pologne ne seraient rien d’autre que des propos populistes alarmistes. Mais que voyons-nous maintenant ? Jamais, dans l’histoire récente de l’Europe, un État n’a été mis sens dessus dessous de manière aussi rapide, aussi brutale et aussi complète sur le plan idéologique, et ce sous les applaudissements de Berlin et de Bruxelles : une leçon et un avertissement.

    Il n’est pas rare d’entendre des voix centristes dire que l’objectif présupposé d’une transformation identitaire gauchiste de notre société ne serait qu’une simple « obsession » d’une droite qui ferait de quelques cas isolés la base conspirationniste d’un chimérique « Great Reset ». Sans parler du fait que ces objectifs, loin d’être seulement formulés par une extrême droite en total délire, sont systématiquement présentés à des millions de personnes comme des utopies réalistes positives par des idéologues libéraux de gauche comme Harari ou Schwab, on a pu constater ces dernières années d’une manière bien réelle et concrète que cette politique identitaire n’est pas un élément secondaire, mais plutôt l’enjeu politique principal de notre société occidentale, et ce avec des conséquences désastreuses. La Pologne est en phase d’en devenir l’exemple le plus marquant. Il n’aura fallu que quelques jours pour que le gouvernement Tusk confirme toutes, mais vraiment toutes les « théories du complot » qu’une bonne partie du milieu bienpensant polonais avait dénoncées pendant la campagne électorale comme de vulgaires diatribes.

    La composition même du gouvernement a été un véritable choc : alors que la propagande électorale avait affirmé qu’une coalition Tusk était la meilleure solution pour tout le monde, y compris les conservateurs, tous les postes gouvernementaux socioculturels clés ont été attribués à des membres du parti de gauche « Lewica » qui ne cache pas ses opinions ouvertement anti-chrétiennes et pro-LGBTQ : bien que « Lewica » n’ait obtenu que 8,61% des voix et ait perdu 4% aux élections par rapport aux dernières années, elle contrôlera (avec quelques autres micro-partis de gauche) désormais le ministère de la numérisation, le ministère de l’éducation, le ministère de la famille, du travail et des affaires sociales, le ministère de la science et de la recherche et enfin le ministère (nouvellement créé et dont la signification n’est absolument pas claire) de « l’égalité ». Pour savoir ce que cela signifie, il suffit de jeter un coup d’œil à la nouvelle ministre de la Famille, Agnieszka Dziemianowicz-Bąk, qui s’est faite une certaine renommée ces dernières années en luttant farouchement pour les intérêts LGBTQ et pour la banalisation de l’avortement, et qui, en outre, aime s’afficher avec des blouses appelant à protéger les enfants contre le christianisme.

    Elle n’est pas un cas isolé : la nouvelle ministre de l’Éducation, Barbara Nowacka (également Lewica), est elle aussi sur une ligne radicalement antichrétienne et veut imposer une réduction de moitié des cours de religion financés par l’État dans les écoles (qui n’étaient bien sûr déjà pas obligatoires, mais pouvaient être remplacés par « l’éthique »). Et il ne faut pas beaucoup d’imagination pour prévoir l’objectif de la prochaine refonte des programmes scolaires : cela commence toujours par la laïcité, puis continue vers la propagande explicitement anti-chrétienne, et se termine finalement par la doctrine des crimes du vieil homme blanc, du patriarcat oppressif et de l’âge d’or de l’Islam tolérant.

    Mais continuons. Comme dans un mauvais remake des prises de pouvoir autoritaires de l’entre-deux-guerres et de l’après-guerre, le nouveau gouvernement de Donald Tusk, Européen et démocrate modèle, tout juste investi le 13 décembre, a licencié sans préavis, dans la nuit du 20 au 21, l’ensemble de l’équipe dirigeante des médias publics polonais (télévision, radio, service de presse), occupé le siège de TVP avec des forces de sécurité, coupé la chaîne et effacé des archives des médias tous les documentaires gênants sur les mandats précédents de Tusk. Et depuis lors, face à la résistance farouche de certains membres du personnel et députés de l’opposition, la situation est devenue encore plus complexe : d’une part, le « conseil des médias » (mis en place par l’ancien gouvernement) a nommé une nouvelle direction, et d’autre part, le gouvernement a ouvertement annoncé la liquidation économique des chaînes publics, devant être suivie de leur nouvelle création. La raison : en raison du veto du président Duda sur le budget 2024, la situation financière ne permettrait plus de poursuivre l’activité des médias publics ; mais en réalité, une table rase radicale ouvre naturellement de toutes nouvelles perspectives de réorganisation des chaînes, tant sur le plan personnel que juridique.

    Mais tout cela n’était qu’un début. Le 20 décembre également, le ministre de l’Intérieur sortant, Mariusz Kamiński, et son adjoint ont été condamnés à deux ans de prison ferme et cinq ans de privation de leurs droits civiques dans une affaire de corruption très politisée et controversée à ce jour, malgré l’amnistie présidentielle, et leur immunité parlementaire a été levée par le nouveau président du Parlement ; un avertissement politique à peine voilé. Kamiński, ancien résistant anticommuniste, coordinateur des services de renseignement depuis 2015 et ministre de l’Intérieur et de l’Administration depuis 2019, était l’une des figures centrales de la protection du pouvoir interne du gouvernement PiS. Son incarcération brutale est censée être un avertissement à tous ses soutiens dans les services de renseignement et l’administration et n’est probablement que le début d’une vague de procès attendue depuis longtemps, visant à criminaliser juridiquement a posteriori les décisions idéologiques déplaisantes du gouvernement précédent.

    Ainsi, alors que certains parmi les plus hauts membres du gouvernement sortant sont condamnés à se retrouver derrière les barreaux à quatre jours de Noël sans aucune réaction de l’opinion publique européenne, les barreaux qui séparaient le pays de l’afflux de migrants musulmans sont symboliquement démantelées : le 23 décembre, le nouveau président du Parlement, tout sourire, s’est fait photographier devant les caméras avec des migrants de tous horizons, dont une demandeuse d’asile déjà déboutée à plusieurs reprises ; et la Pologne a rejoint le fameux « pacte sur la migration » lui imposant désormais des quotas de migrants décidés à Bruxelles.

    La Pologne vit donc un revirement migratoire quasi « Merkelien » qui s’est d’ailleurs accompagné d’informations selon lesquelles les tribunaux polonais déclareraient prochainement illégale la politique radicale de push-back du gouvernement précédent et ouvriraient systématiquement les postes à la frontière biélorusse aux demandeurs d’asile. Est-ce une coïncidence si, depuis, la compagnie aérienne « Southwind » a ouvert une nouvelle route aérienne d’Istanbul à Minsk dont les billets coûtent le prix dérisoire de 195€?

    Le 22 décembre, le nouveau gouverneur de la voïvodie de Lublin, Krzysztof Komorski (du même parti que Tusk), a déjà montré à quoi devait ressembler la nouvelle culture d’accueil polonaise : Il a fait enlever la croix dans la salle de réception de son administration, a fait installer le drapeau européen et a fait enlever la crèche de Noël.
    Quelques jours après Noël, le coup suivant a été porté. Le 27 décembre, le nouveau Premier ministre Tusk a annoncé les trois prochains objectifs de son gouvernement, qui ne seront guère moins révolutionnaires que les précédents : après l’annonce par la ministre de l’Éducation de la réduction de moitié de l’enseignement religieux et le retrait des croix et des crèches, Tusk a annoncé que l’Église polonaise ne serait plus financée que par des déductions fiscales volontaires de la part des fidèles – une véritable révolution dans un pays qui, pendant des siècles, a trouvé dans le catholicisme non seulement sa colonne vertébrale spirituelle et morale, mais aussi un outil identitaire essentiel pour sa lutte contre les différentes puissances d’occupation et les tentatives d’assimilation. On n’oubliera d’ailleurs pas que sans un pape Jean-Paul II, le succès du « Solidarność » polonais dans sa lutte contre le totalitarisme de gauche aurait été impossible. Deuxièmement, la Pologne va adhérer au « Parquet européen » commun censé poursuivre dans toute l’Europe les éventuelles fraudes aux subsides de l’UE, ce qui permettra de facto aux institutions européennes d’exercer une influence encore plus grande sur les juridictions nationales polonaises. Enfin – et le lecteur s’y attendait depuis longtemps -, une loi sur les partenariats entre personnes de même sexe devrait être adoptée dans les prochaines semaines, afin de « ramener la Pologne en Europe » dans ce domaine également…

    Ainsi, et ce à peine une semaine au pouvoir, le gouvernement Tusk a déjà bouleversé les principaux repères de la politique identitaire polonaise : déchristianisation, mise au pas des médias, arrestations politiques, libéralisation migratoire, droit de regard juridique renforcé pour l’UE, politique LGBTQ – dans tous ces domaines, de véritables révolutions sont en cours, se servant utilement des vacances de Noël afin de profiter du chaos usuel des fêtes. Et ce n’est qu’un début : les grandes épreuves de force sont encore à venir : recomposition du Tribunal constitutionnel, règlement de comptes juridique avec les dirigeants du PiS, construction ou non des premières centrales nucléaires polonaises (non souhaitées par Berlin), banalisation de l’avortement (inclue dans le contrat de coalition), fermeture d’instituts d’expertise politique idéologiquement indésirables et, bien sûr, débat sur la mise en œuvre des plans de réarmement polonais, également rejetés par Olaf Scholz.
    Qu’en pense l’UE, par ailleurs traditionnellement prête la première à détecter partout et à tout moment les brèches de « l’État de droit » ? Le lecteur ne sera guère surpris par le silence retentissant en provenance de Bruxelles. Et plus encore : on peut supposer que Tusk – président de longue date du Parti populaire européen et président du Conseil européen de 2014 à 2019 – ait convenu à l’avance de chaque étape de ses mesures avec ses collègues de Bruxelles (et de Berlin) et qu’il ait déjà négocié sa récompense. Car comme par hasard, l’UE a attendu jusqu’à la mi-novembre pour finalement décider de débloquer la première tranche de 5 milliards d’euros de l’aide-covid, qui avait été retenue pendant des mois, voire des années, en raison de « doutes » sur la situation de l’État de droit en Pologne – et donc, les élections polonaises d’octobre ont pu se dérouler dans un climat d’incertitude budgétaire totale, amenant au pouvoir le nouveau gouvernement Tusk. Le fait que ces fonds aient finalement été accordés au gouvernement conservateur battu aux élections pendant ses derniers jours au pouvoir avec les remerciements amicaux de Mme von der Leyen n’a donc été rien de moins qu’une gifle retentissante, voire une humiliation délibérée : à la fois pour le gouvernement sortant et pour tous les électeurs qui ont pu prendre au sérieux les préoccupations « juridiques » de l’UE à l’égard du gouvernement conservateur de Varsovie. Car c’est bien sûr le gouvernement Tusk qui profitera de cet argent, après qu’il ait dramatiquement manqué dans les caisses du gouvernement Morawiecki.

    Quelles leçons peut-on tirer de ces événements ? « L’État de droit, c’est moi », pourrait-on attribuer aux institutions bruxelloises en reprenant une devise célèbre ou, en d’autres termes : tant que cela correspond aux prescriptions idéologiques du mainstream de gauche, même les réformes les plus brutales sont approuvées comme des jalons sur la voie vers plus de liberté, d’égalité et de fraternité, tandis que des mesures analogues, bien que nettement moins drastiques, lorsqu’elles sont prises par les « mauvais », donc la droite, sont immédiatement interprétées et décriées comme attaques frontales contre la démocratie et l’Etat de droit. Certes, une certaine dose de machiavélisme a toujours fait partie de la politique. Mais le problème, qui se manifeste pour la première fois avec une telle acuité en Pologne, est le suivant : celui qui, à longueur de journée, ne cesse de crier au loup finit inévitablement par perdre toute crédibilité, surtout s’il se comporte lui-même en prédateur dès que la première occasion se présente.
    Le fait que certains médias non seulement reconnaissent, mais approuvent explicitement cette évolution – le « Berliner Zeitung » a même appelé Tusk à devenir un dirigeant autoritaire pour « démocratiser » de force la Pologne (https://www.berliner-zeitung.de/politik-gesellschaft/polen-wird-donald-tusk-zum-autokraten-um-den-staat-zu-reformieren-li.2166839) – montre à quel point nos démocraties sont brutalisées. Celui qui stigmatise des prétendues violations de l’Etat de droit ne peut pas, à son tour, pulvériser ce dernier complètement sans réhabiliter ainsi ceux qu’il vient de critiquer et, pire encore, sans inviter son ennemi à imiter son comportement une fois au pouvoir. C’est précisément ce qui se passe actuellement en Pologne, sous les applaudissements de Berlin et de Bruxelles, et, compte tenu des élections qui auront bientôt lieu non seulement en Europe, mais aussi aux États-Unis, il est à craindre que la stratégie brutale de Tusk « The Winner Takes It All » ne soit pas interprétée comme un exemple à éviter, mais plutôt comme un mode d’emploi à suivre.

    David Engels (Putsch, 6 janvier 2024)

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  • Souveraineté versus identité : une opposition factice...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue, cueilli sur le site de la revue Éléments, de Pierre-Romain Thionnet, directeur national du Rassemblement national de la jeunesse (RNJ), conseiller régional Île-de-France et ex-secrétaire général de la Cocarde étudiante, qui évoque les liens indispensables entre identité et souveraineté. Pas de souveraineté sans identité, pas d’identité sans souveraineté. 

     

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    Pierre-Romain Thionnet : « Souveraineté versus identité : une opposition factice. L’apport théorique du général Poirier »

    « Comme les civilisations, les stratégies qui les reflètent sont mortelles » (Lucien Poirier).

    Par textes ou vidéos interposés, le choc des représentations entre souverainistes et identitaires connaît un regain d’intensité. Le débat est loin d’être nouveau, mais il se déroule dans une atmosphère viciée qui tend davantage à séparer deux blocs qu’à rapprocher deux sensibilités. Des initiatives visant à rendre moins irréconciliables ces deux visions du monde ont même abouti, pour le moment en tout cas, à l’effet inverse.

    L’actualité y est pour beaucoup, entre accélération des effets visibles du changement de peuple et accaparement croissant de compétences par l’Union européenne aux dépens des États-nations. Alors les esprits s’échauffent, et devant l’urgence, on est sommé de choisir : « À quoi bon être souverain si l’on est dépossédé de son identité ? » jettent les uns. « À quoi bon cultiver son identité si l’on n’est plus libre de ses actions et de ses décisions ? » répondent les autres.

    Il ne s’agira pas de dire à quelle urgence il faut répondre et consacrer son énergie, non pas par peur de froisser, mais parce qu’il semble que cette opposition entre souveraineté et identité est parfaitement factice sur un plan théorique, et que l’énergie gaspillée à démontrer que l’un des enjeux est prioritaire – voire exclusif de l’autre – pourrait être mise ailleurs. Nous nous proposons de recourir à une discipline intellectuelle assez particulière afin de poser les bases d’une proposition dans laquelle partisans de la souveraineté et partisans de l’identité sont susceptibles de se retrouver : la stratégie.

    Les vertus oubliées de la stratégie

    Selon la définition donnée par le général André Beaufre et qui a l’avantage d’être adoubée par les meilleurs spécialistes de la question, la stratégie est « l’art de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre leur conflits1 ». Le choix de la stratégie comme théâtre d’expérimentation d’une ébauche théorique en vue de proposer un terrain d’entente aux vérités respectives des « identitaires » et des « souverainistes » ne va pas de soi. A priori, il s’agit d’un domaine très spécifique, réservé à quelques militaires ou civils experts de la question, et qui n’a que peu d’intérêt hors des revues spécialisées ou des cabinets d’état-major. En vérité, la stratégie est un champ de réflexion et d’action qui touche à l’essence même du politique car c’est par elle que les groupes humains organisés à travers le temps et l’espace ont assuré (ou tenté d’assurer) leur survie et mis en œuvre leurs actions. Si le critère fondamental du politique est, selon Carl Schmitt ou Julien Freund, la distinction de l’ami et de l’ennemi, on peut dire que le facteur constitutif de la stratégie, à un niveau supérieur, est la distinction et la relation entre le Même et l’Autre (nous y reviendrons plus loin en nous appuyant sur la pensée d’un théoricien militaire qui nous semble fournir les pistes essentielles pour associer souveraineté et identité dans un ensemble cohérent).

    Pénétrer dans le domaine de la stratégie, ce n’est donc pas s’égarer dans un champ d’étude hyper-spécialisé qu’il est impossible de convoquer hors d’un cadre très précis, l’étude des conflits armés. C’est se réapproprier une pensée qui, en France et en Europe, n’a été reléguée hors du politique que depuis la fin de la guerre froide et la croyance dans la disparition de la figure de l’ennemi, et donc de la nécessité de penser et organiser les voies et moyens de sa propre survie. C’est à l’occasion de cette redécouverte des vertus de la stratégie que l’indissociabilité de l’identité et de la souveraineté peut s’apprécier.

    Mais avant d’aller plus loin, il est nécessaire de nous arrêter sur ce qui oppose ceux qui sont désignés ou qui se présentent comme « souverainistes » à ceux qui sont désignés ou qui se présentent comme « identitaires », et cela au regard des questions stratégiques.

    Deux visions du même monde

    D’emblée, la stratégie est un domaine qu’affectionnera plutôt le souverainiste. Celui-ci entend notamment la souveraineté comme la liberté d’action et de décision d’une entité politique, à l’intérieur de ses frontières (démocratie), mais aussi sur la scène internationale (indépendance nationale). Penser la souveraineté implique de penser la diplomatie, de connaître et de défendre les intérêts stratégiques de l’entité politique à laquelle on appartient. Il faut étudier de près la politique de défense, les moyens de l’action extérieure de l’État, les enjeux industriels, s’intéresser à la composition des forces armées et leur adéquation avec la politique extérieure que l’on se donne.

    À l’inverse, un identitaire aura tendance à accorder une importance secondaire, voire négligeable, aux questions stratégiques, et plus généralement à ce qui touche à la politique étrangère ou de défense, à la diplomatie, aux forces armées ou à l’industrie de défense. Lorsque l’identitaire s’intéresse aux rapports de force mondiaux, ce n’est pas d’abord afin de mesurer le degré d’indépendance et de puissance de son pays – ce que fait le souverainiste – mais afin de déceler ce qui met en péril l’identité du groupe auquel il appartient. L’identitaire affectionne particulièrement relever les tendances civilisationnelles lourdes dans l’Histoire (le sac et le ressac des combattants des empires musulmans en Europe par exemple), et c’est d’abord par ce prisme qu’il frôlera la stratégie en pensant à la manière de réaliser son objectif supérieur : la défense de son identité.

    Ce n’est donc pas par manque de travail – comme le lui reprochent souvent les souverainistes – que l’identitaire consacre relativement peu de production intellectuelle aux affaires stratégiques. C’est tout simplement en raison d’une différence d’approche, de ce qui précisément distingue souverainistes et identitaires.

    Pour un identitaire, l’identité est à la fois un préalable et une fin, tout doit partir d’elle et tout doit y aboutir. C’est à l’aune de cette question que tous les autres problèmes sont pesés et hiérarchisés. Si le souverainiste ne balance pas l’identité par-dessus bord, il n’en fait pas l’alpha et l’oméga de sa vision du monde. Celle-ci est beaucoup plus « politique » au sens où il s’intéresse d’abord aux rivalités, aux affrontements, aux alliances entre entités organisées sur la scène mondiale. D’un point de vue critique, nous pourrions dire que l’identitaire néglige la dimension relationnelle et politique du monde, faisant parfois trop facilement fi des entités constituées pour se focaliser sur les groupes humains, leurs passions, leurs instincts, leurs comportements. D’un autre côté, le souverainiste aura tendance à considérer les entités politiques comme des acteurs quasiment impersonnels de la scène internationale, négligeant ce qui compose ces acteurs, leur « matière humaine » si l’on veut, ce dont ils sont la représentation ou l’incarnation.

    En ayant conscience des limites d’un tel raccourci et de l’existence de pensées plus nuancées, l’on peut dire que l’identitaire s’intéresse d’abord à ce que les peuples sont tandis que le souverainiste s’intéresse d’abord à ce que les peuples font. Est identitaire celui qui fait primer l’être sur l’agir. Est souverainiste celui qui fait primer l’agir sur l’être.

    Faut-il donc décréter l’incompatibilité irréversible de ces deux visions du monde ? Est-il nécessaire de procéder à un mariage forcé pour associer souveraineté et identité au sein d’une même pensée ? L’œuvre théorique du général Lucien Poirier nous semble être à même d’être convoquée pour démontrer qu’il n’en est rien, et que non seulement souveraineté et identité sont compatibles, mais indissociables.

    Au commencement était l’identité

    Ce n’est pas l’objet de cet article de revenir en détail sur l’itinéraire du général Poirier (1918-2012), qui fut à la fois soldat, stratège et stratégiste. Rappelons simplement que, lieutenant-colonel, il a directement influencé l’élaboration de la doctrine de dissuasion française, raison pour laquelle François Géré a fait de lui l’un des « quatre généraux de l’apocalypse » aux côtés de Charles Ailleret, André Beaufre et Pierre-Marie Gallois2. C’est à Lucien Poirier en effet que l’on doit les formules telles que celles du « faible au fort », de la « limitation d’emploi », de l’« ultime avertissement », du « seuil d’agressivité critique » ou de « concept d’emploi minimum » ainsi que la représentation stratégique des « cercles » (France, Europe, Monde) pour localiser les intérêts-enjeux de la France3.

    Mais pour le sujet qui nous intéresse ici, qu’a donc à nous dire ce militaire qui se fit volontiers philosophe et amateur de prospective ? Nous nous appuierons principalement sur deux ouvrages essentiels de son œuvre, Les Voix de la stratégie4, manuscrit érudit consacré à Guibert et Jomini, et La Crise des fondements5, réflexion stimulante publiée en 1994 à propos des implications stratégiques pour la France de la disparition de la figure de l’ennemi désigné (Union soviétique) sur le continent européen.

    Poirier nous rappelle des choses élémentaires : la politique et la stratégie ne tombent pas du ciel, elles sont produites par des acteurs identifiables. En ce qui nous concerne, il s’agit de l’« acteur-France6 ». Il faut se le représenter interagissant (de manière hostile ou pacifique) avec d’autres acteurs sur la scène mondiale, possédant ses facteurs de puissance et ses vulnérabilités. Nous sommes ici dans un schéma relativement classique et dans lequel le souverainiste aime évoluer. Mais Poirier nous proposer d’aller plus loin, ou plutôt de ne pas oublier ce qui précède et ce qui fonde : la question du « qui », qui n’est autre que celle de l’identité.

    Car l’acteur-France, c’est le « comment » de la France, c’est son action extérieure visible. Mais cela ne nous dit pas « comment les Français, substance vive de la France et lui conférant être et forme, perçoivent et intériorisent leur appartenance » à la France comme communauté socio-politique7. On touche là un point essentiel : ce qui est à la base de tout, ce n’est pas l’acteur-France, mais l’« être-France ». La question première est ontologique : quelle conscience les Français ont-ils de la France ? Qu’est-ce qui caractérise et définit la « substance vive » de la France, comme l’écrit Poirier, à savoir les Français ?

    Toute réflexion et toute action politico-stratégique possède donc une condition absolument nécessaire : la conscience identitaire. Lucien Poirier est on ne peut plus clair à ce sujet : « la conscience de l’identité nationale et l’affirmation du Même devant les Autres […] constituent encore le socle primaire de toute pensée politico-stratégique, dont la nôtre8 ». L’identité nationale (Poirier utilise l’expression) est ni plus ni moins que l’« axiome fondateur ». Le terrain d’entente théorique entre souveraineté et identité peut et doit s’élargir encore, bien qu’il autorise déjà, il nous semble, quelques manœuvres communes.

    Être ou Faire : faut-il vraiment choisir ?

    En plus d’attribuer à l’identité une fonction matricielle – ce qui ne peut que plaire à l’école identitaire et convaincre certaines chapelles souverainistes de l’importance tous azimuts et non pas sectorielle de cette dimension –, Poirier montre que l’identité n’est pas une chose passive que l’on ne fait que proclamer, revendiquer ou agiter tel un trophée. Certes, « chacun veut durer, persévérer dans son être, se conserver comme légataire d’une histoire unique », mais cela ne va pas sans « exprimer sa volonté de création collective, sans quoi cette histoire n’aurait ni avenir, ni sens9 ». En clair, pour qu’une communauté humaine existe pleinement et survive, il faut « se conserver et faire ».

    Se conserver et faire, c’est le diptyque qui nous semble devoir former la base théorique commune aux partisans de l’identité et de la souveraineté. Il permet d’éviter deux écueils : n’accorder de l’importance qu’à la conservation de l’« être-France » en oubliant que celui-ci est dans une relation dynamique avec les Autres et qu’il est donc vital de s’assurer de sa liberté d’action et de décision ; ou n’accorder de l’importance qu’à la liberté d’action et de décision de l’« acteur-France » en oubliant que celui-ci n’est que la « substance vive » de la France en action, et qu’une altération de son identité ferait de lui un autre acteur, l’acteur d’une autre communauté humaine.

    Il n’y a plus d’opposition ou de gêne qui tienne entre identité et souveraineté dès lors que l’on pose cette double dimension d’intériorité et d’extériorité et qu’on en a démontré le lien indéfectible. C’est même une nouvelle définition du politique que nous propose Lucien Poirier, aux accents schmittiens et freundiens, mâtinés des apports de la stratégie théorique. La relation qui constitue le politique, c’est celle entre le Même et l’Autre. Une communauté humaine doit prendre conscience de son identité unique (le Même) et vouloir la défendre, et elle va donc faire et agir en fonction de cet impératif. Ainsi voit le jour la stratégie : elle naît avec « la conscience introvertie d’une identité à affirmer et défendre » et procède de « l’inévitable concurrence et compétition à l’extérieur, pour le partage et le travail des instruments de la création continuée sans laquelle l’énergie de l’unité collective, fermée sur elle-même, se dégraderait entropiquement jusqu’à l’inéluctable mort historique10 ».

    Ne plus opposer « l’intérieur » et « l’extérieur », l’être et le faire, et in fine l’identité et la souveraineté, mais les relier et comprendre leur interdépendance vitale, voilà ce que les orientations du général Poirier permettent. Cela nécessite de poser un même regard sur le monde afin de voir qu’il se caractérise sans cesse par une coexistence conflictuelle d’unités sociopolitiques. Au sein de cet environnement, chaque unité a le devoir, pour survivre, « de préserver, devant les Autres, son identité, sa souveraineté et les conditions de développement original ; c’est-à-dire, instaurer, défendre et consolider son autonomie de décision et sa liberté d’action11».

    À l’aune de ces pistes, la distinction entre primauté-exclusivité de la souveraineté et primauté-exclusivité de l’identité nous apparaît moins comme une ligne de front que comme la promesse d’une entente stratégique. La stratégie théorique, ici du général Poirier, nous paraît susceptible de mettre souverainisme et identitarisme au diapason. L’idée n’est pas de dire à chacun de jouer la partition de l’autre, encore moins d’abandonner son instrument, mais de montrer qu’il leur est parfaitement possible de s’accorder dans ce qui est l’une des plus belles réalisations du génie européen, la symphonie.

    Pierre-Romain Thionnet (Site de la revue Éléments, 5 janvier 2023)
     
     
    Notes :
     
    1. Général André Beaufre, Introduction à la stratégie, Armand Colin, 1963, p. 16.

    2. François Géré, « Quatre généraux et l’apocalypse : Ailleret-Beaufre-Gallois-Poirier », Stratégique n° 53, 1992/1.

    3. Pour plus de détails sur la pensée stratégique du général Poirier, voir François Géré, La Pensée stratégique française contemporaine, Economica, 2017.

    4. Lucien Poirier, Les Voix de la stratégie, Fayard, 1985.

    5. Lucien Poirier, La Crise des fondements, Economica, 1994.

    6. Ibid., p. 19.

    7. Ibid., p. 176.

    8. Ibid., p. 185

    9. Lucien Poirier, Les Voix de la stratégie, op. cit., p. 11.

    10. Ibid., p. 12-13.

    11. Lucien Poirier, « Quelques questions de stratégie théorique », Naçao E Defesa, n° 41, 1987, p. 119.

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