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Points de vue - Page 221

  • La Russie et le « monde multipolaire »

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue Jacques Sapir, cueilli sur son site RussEurope et consacré au monde multipolaire...

    Économiste hétérodoxe, Jacques Sapir a publié de nombreux essais, dont, récemment, Souveraineté, démocratie, laîcité (Michalon, 2016).

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    La Russie et le « monde multipolaire »

    La Russie s’est adaptée à ce que l’on appelle le monde « multipolaire ». Mais, s’il semble bien que la Russie ait tiré, de gré ou de force, toutes les conclusions qui s’imposaient du fait de la multi-polarisation du monde tel n’a pas été le cas de l’Union européenne. C’est ce qui explique la montée des désaccords entre l’UE et la Russie, une montée qui date de bien avant la « crise ukrainienne » et les dramatiques événement de 2014-2015 et qui peut se constater dès les années 2003-2005.

    Le monde multipolaire fut, pendant des décennies un objectif pour la politique étrangère de la France gaulliste puis Mitterrandienne. Mais il n’est devenu une réalité que depuis le début des années 2000, avec le constat d’échec de ce qui aurait pu être le « siècle américain »[1] et qui sera, probablement, le siècle chinois. Nous avons vécu l’avortement du siècle de l’hyperpuissance américaine. Non que les Etats-Unis ne soient aujourd’hui une puissance majeure, que ce soit dans le domaine militaire, dans le domaine économique ou encore dans le domaine culturel. Les différentes « théories » sur un effondrement des Etats-Unis qui circulent de ci de là reflètent bien plus les illusions et parfois les délires de leurs auteurs qu’un état de la réalité. Les dirigeants de la Russie actuelle en ont parfaitement conscience. Mais, les Etats-Unis n’ont plus la capacité d’agir comme « l’hyperpuissance » qu’ils étaient devenus au moment de la dissolution de l’URSS. Le déclin des Etats-Unis est aujourd’hui un fait. Il constitue un des éléments du contexte du monde actuel.

    Ce fait a été analysé, et compris, par les responsables de la Russie. Et, sur ce point, il est frappant de constater les similitudes entre la politique russe et la politique étrangère gaullienne. Mais ce fait semble avoir largement échappé aux responsables des institutions européennes. Aujourd’hui, il est clair que, face au monde, la Russie et l’UE ne parlent plus le même langage.

    Les conséquences de la fin de l’Hyperpuissance

    La notion d’hyperpuissance a marqué les années 1990[2]. Elle reflétait l’hégémonie des Etats-Unis et fut mise en valeur dans ce que l’on appelle la « Première guerre d’Irak », c’est-à-dire les opérations de la coalition internationale visant à forcer Saddam Hussein à évacuer le Koweït. Le général Lucien Poirier, un des pères de la pensée stratégique française moderne, dressait un étonnant parallèle entre la « guerre du Golfe » et la victoire de Rome sur Carthage à Zama : « Après Zama, les vieux sénateurs romains répugnaient encore à reconnaître le destin de la Ville. Le désordre, dans une Grèce trop proche pour qu’il y fût tolérable, les contraignit nolens volens à étendre l’horizon ouvert par la victoire sur Carthage. Ils étaient embarqués. L’empire était en marche. Les analogies historiques sont toujours douteuses. Mais, après la fin du monde bipolaire, comment l’accident que fut la guerre du Golfe, nécessaire à la fois pour décoder le sens du passé et indiquer celui de l’avenir, ne porterait-il pas à imaginer cet avenir sous les traits d’un imperium américain…[3] ? »

    Les États-Unis semblaient ainsi disposer, en ce début de la dernière décennie du xxe siècle, d’une totale suprématie, tant militaire qu’économique, tant politique que culturelle[4]. La puissance américaine rassemblait alors la totalité des caractéristiques du « pouvoir dominant », capable d’influencer l’ensemble des acteurs sans avoir à user directement de sa force (ce que l’on appelle le « soft power ») après la démonstration qu’elle venait de fournir. Elle était surtout capable d’établir son hégémonie sur l’espace politique international, en particulier en imposant ses représentations explicites et implicites ainsi que son discours[5]. Le fait que la coalition ait pu opérer avec la neutralité passive ou active de l’URSS et de la Chine, montrait bien que ces puissances, à l’époque, reconnaissaient le fait de l’hyperpuissance.

    Or, dans les dix ans qui suivirent, les Etats-Unis vont gaspiller le capital acquis et être dans le même temps confrontés à la montée en puissance de la Chine et au retour de la Russie sur la scène internationale[6]. La stratégie américaine fut touchée au plus profond de ses fondements par les conséquences économiques, financières, politiques et idéologiques de la première crise financière du monde globalisé, celles de 1997-1999, puis par la crise de 2007-2009, crise dont le monde n’est d’ailleurs toujours pas sorti. La mise à nu des limites de la puissance des États-Unis et l’émergence (ou la réémergence) d’acteurs concurrents (Chine, puis Russie) ont été la partie visible du choc induit par ces événements. La crise de 1997-1998 a conduit de nombreux pays à modifier leurs stratégies économiques, et à adopter des politiques commerciales très agressives dont l’addition provoque aujourd’hui une fragilisation générale de l’économie mondiale. La partie invisible a peut-être été encore plus importante. Le discours néolibéral qui s’est trouvé brutalement dévalorisé, dans les représentations populaires comme au sein des cercles responsables voire au sein du Fond Monétaire International[7]. Si des notions telles que la politique économique nationale, la politique industrielle, la réglementation des flux financiers internationaux ou le protectionnisme sont redevenues légitimes, et ce alors que s’amplifie l’importance de la notion de démondialisation[8], c’est dans une large mesure à cette crise et au débat qu’elle suscita qu’on le doit.

    Mais, le début du déclin des Etats-Unis s’est accompagné par une radicalisation de la politique de ce pays. Ce basculement a favorisé l’accès au pouvoir de ceux que l’on appelle les « néoconservateurs » ou neocons. La politique des neocons, a été construite sur une série de raccourcis idéologiques[9]. Elle allait à contresens de ce qu’aurait dû être le pouvoir d’une réelle hyperpuissance et a abouti aux désastres politiques, diplomatiques, mais aussi militaires que l’on a pu observer en Irak et en Afghanistan (et dont les conséquences ne sont pas épuisées car le soi-disant « Etat Islamique » découle de ces échecs) et aujourd’hui en Libye et en Syrie. Ces désastres ont déjà produit leurs effets. Sans le tournant de la politique américaine et l’échec de ce dernier, il y avait peu de chances que les liens entre la Russie, la Chine et les pays d’Asie centrale se cristallisent dans l’Organisation de Sécurité de Shanghai, première organisation de sécurité internationale post-guerre froide. On ne verrait certainement pas se développer de la manière dont il le fait, le triangle entre la Chine, l’Inde et la Russie ou une concurrence entre ces trois puissances (en particulier en Afrique) n’exclut nullement une réelle coopération stratégique.

    Le choix de la Russie

    La Russie a aussi fait un choix raisonné, et l’on pourrait dire aussi raisonnable, de se tourner vers l’Asie. Ce choix est important et marque une rupture importante dans la politique étrangère russe depuis 1750. La Russie se définissait comme une puissance européenne. Mais, ce choix n’est pas exclusif d’une priorité qui reste donnée à l’Europe et plus globalement au bassin de l’Atlantique. Ce choix est d’une importance capitale, tant en économie, alors que l’on voit l’Europe s’enfoncer dans la stagnation et dans la crise, mais aussi politique. Ce choix est la manifestation de la multipolarité du monde. Dans cette situation, il nous faut constater que l’Union européenne s’empêtre toujours plus dans la gestion au jour le jour, sans aucun recul, du problème des réfugiés et des migrants.

    Les pays qui furent à la base de l’Union européenne avaient pourtant fait face à une autre crise des réfugiés, appelés alors « personnes déplacées » de 1945 à 1950, et ce alors qu’ils étaient dans des conditions économiques autrement plus mauvaises, la reconstruction des dommages de la seconde guerre mondiale étant loin d’être achevée, qu’aujourd’hui. Il peut donc sembler étrange qu’aujourd’hui, ces pays étant incommensurablement plus riches que dans l’immédiat après-guerre, ils soient dans l’incapacité de gérer cette crise. De fait, les pays de l’Union européenne oscillent entre des accords de court terme qui ressemble bien plus à une réaction face au chantage d’une autre puissance (la Turquie en l’occurrence) et la négation de règles auxquelles ils se prétendent attachés (comme les accords de Schengen).

    La question de la répartition des réfugiés sur le territoire de l’UE a soulevé d’énormes difficultés, qui ne sont d’ailleurs pas résolues. Cette crise actuelle des refugiés est donc un symbole : elle montre que la construction européenne a épuisé ses effets et qu’elle constitue désormais un obstacle à la capacité de réaction des pays qui composent l’Union. La Grande-Bretagne pourrait bien, en juin 2016, en tirer toutes les conséquences en votant pour le « Brexit ». L’union européenne a été incapable de tirer les leçons du monde multipolaire et, de ce fait, elle est en train de sortir de l’histoire.

    Que signifie la multi-polarisation du monde ?

    Un monde multipolaire implique des règles qui soient acceptées par l’ensemble des participants. Mais, dire cela, ne revient pas remettre en question la souveraineté des Etats. Et ceci pour une très simple, et très bonne raison : le droit international, qui est nécessaire, est par nature un droit de coordination. Cela veut dire qu’une décision ne peut être prise qu’à l’unanimité des participants. Bien entendu, une telle situation peut permettre à l’un de ces participants de « bloquer » une décision si il considère que cette décision provoquerait un empiètement dramatique sur ses intérêts vitaux. Mais c’est justement à cela que sert ce système de l’unanimité : donner la garantie à chaque Etat que ses intérêts vitaux seront respectés.

    Il faut donc ici revenir aux principes même droit international. La thèse de la « mondialisation » de l’économie, et plus généralement l’émergence de problèmes globaux, a été fréquemment évoquée pour justifier une réduction des pouvoirs des États au profit d’une montée en puissance d’organisations supranationales et des abandons progressifs de souveraineté.

    Il y a là une série de confusions. Comme l’a montré Simone Goyard-Fabre, le fait que l’exercice de la souveraineté puisse être techniquement difficile, par exemple pour des raisons de complexité, n’affecte nullement la nature de la souveraineté : « Que l’exercice de la souveraineté ne puisse se faire qu’au moyen d’organes différenciés, aux compétences spécifiques et travaillant indépendamment les uns des autres, n’implique rien quant à la nature de la puissance souveraine de l’État. Le pluralisme organique […] ne divise pas l’essence ou la forme de l’État ; la souveraineté est une et indivisible[10]. »

    Une tentative de réfutation de la pertinence de la souveraineté a été cependant produite par un auteur hongrois, Andras Jakab. Sa critique de la souveraineté est parfaitement convergente avec le discours tenu par l’Union Européenne[11]. Jakab se fonde sur les abus commis au nom du principe de souveraineté pour critiquer ce principe lui-même. Mais il ne peut en être ainsi que si l’abus démontre une incomplétude du principe et non de sa mise en œuvre. Viendrait-il à l’esprit des contemporains de détruire les chemins de fer au nom de leur utilisation par le Nazis dans la destruction génocidaire des Juifs et des Tziganes ? Or, ceci est bien le fond du raisonnement tenu par Jakab. Cet auteur en arrive alors à justifier un primat du légalisme au détriment de la légitimité. Mais, cette vision pourrait tout aussi bien justifier des abus dramatique, ainsi que le montre David Dyzenhaus. Dans son ouvrage, The Constitution of Law, il en produit une critique virulente. Il attaque ce qu’il appelle le positivisme juridique. Cette critique est fondamentale. Elle permet de comprendre comment l’obsession pour la rule by law (i.e. la légalité formelle) et la fidélité au texte (à une constitution comme à un traité international) tourne bien souvent à l’avantage des politiques gouvernementales quelles qu’elles soient. David Dyzenhaus évoque les perversions du système légal de l’Apartheid[12] en rappelant que cette jurisprudence avilissante tenait moins aux convictions racistes des juges sud-africains qu’à leur « positivisme»[13].

    C’est pourquoi la souveraineté reste fondamentale dans le monde moderne. Elle, et elle seule, permet de définir une légitimité sans laquelle le principe de légalité peut n’être que le masque des pires tyrannies. C’est aussi pourquoi, et il convient de le rappeler, le droit international est nécessairement un droit de coordination et non un droit de subordination[14], ce que Poutine nous rappelle à sa façon dans son discours de Munich. Plus fondamentalement, l’idée d’opposer la souveraineté de la norme juridique des traités internationaux à la souveraineté démocratique des États renvoie à une ignorance profonde des origines du concept de souveraineté[15].

    De fait, cette haine pour la souveraineté nationale, cette tentative constante de dissolution du principe de la souveraineté caractérise bien l’Union européenne. Ceci pourrait avoir pour but de faire naître une autre Nation. Et, si tel était le cas, on pourrait alors comprendre, sans toutefois nécessairement approuver, le projet. Mais tel n’est même pas le cas. En affirmant péremptoirement que l’UE est un projet « sui generis »[16], les dirigeants européens s’exonèrent de fait de tout contrôle démocratique, et veulent de cette manière supprimer la possibilité d’une contestation en légitimité. Dans les faits ils enterrent le principe de souveraineté nationale, mais sans le remplacer par un autre principe. Une conclusion que l’on peut tirer, dans le domaine des représentations, de l’avortement du « siècle américain » est qu’il contient sans doute le naufrage des tentatives d’une pensée politique « postmoderne » telle qu’elle s’est développée en Europe dans les années 1990, en particulier autour du projet de Traité constitutionnel européen[17].

    On comprend alors tout ce qui oppose la Russie à l’Union européenne qui s’est aventurée dans l’impasse d’une pensée dite post-moderne, qui, ici comme ailleurs, s’est avérée un échec[18].

     

    La notion russe de « démocratie souveraine »

    Face à ce processus de constitution d’un monde multipolaire, les dirigeants russes ont formulé la notion de « démocratie souveraine ». Cette dernière vaut beaucoup mieux que l’usage instrumental qui a pu en être fait. Dans son discours de Munich de 2007, et depuis à de multiples reprises, Vladimir Poutine a exprimé le constat qu’il ne saurait y avoir d’organisation de la communauté des nations sans le respect de la souveraineté de chacune d’entre elles. Il a aussi exprimé le constat qu’il ne pouvait y avoir de légalité (le droit international) sans existence d’une légitimité, et que cette dernière ne saurait se construire, dans un univers structuré par des intérêts divergents et des valeurs multiples, que sur la base de la souveraineté[19].

    Cette démarche en politique internationale est cohérente avec la définition par celui qui était en 2006 et 2007 le premier adjoint au chef de l’administration présidentielle russe, Vyacheslav Surkov, de la notion de « démocratie souveraine »[20].

    On peut considérer que cette notion, qui justifie certaines restrictions apportées au fonctionnement d’organisations étrangères, est purement instrumentale. Qu’elle soit utilisée en ce sens est certain. Mais, cela ne remet pas en cause cette notion. Le cadre politique en Russie est aujourd’hui tel que les dirigeants russes n’ont nullement besoin de produire un concept pour justifier des mesures restrictives, que l’on trouve ces dernières justifiées ou non. Ils auraient pu prendre des mesures visant à contrôler ou restreindre l’action des ONG et des mouvements politiques sans faire le détour d’une construction théorique. Celle-ci n’est pas nécessaire pour que de telles mesures soient largement acceptées aujourd’hui par la population russe.

    Si l’usage instrumental de la notion de « démocratie souveraine » ne doit donc pas être écarté, il serait dangereux de la réduire à ce dernier. La tendance de la plupart des observateurs à ne voir dans cette notion qu’une simple construction ad hoc visant à justifier des mesures répressives est une erreur. On est en présence d’une démarche originale pour penser la relation entre démocratie et souveraineté dans le contexte « post-impérial » russe, mais aussi mondial, à la suite de l’échec du projet hégémonique américain. Le ralliement à ce concept d’Andreï Kokochine, qui fut l’un des penseurs des relations internationales de l’URSS gorbatchévienne, est aussi très significatif[21]. Au-delà des échanges de l’été 2006, les thèses de Surkov ont acquis progressivement une importance considérable. Elles ont ainsi largement inspiré une partie du discours tenu par le « parti du Président », Russie Unie lors des élections législatives de décembre 2007.

    Surkov, pour construire son argumentation, prend appui sur une citation d’Ernesto « Che » Guevara, qui distingue les pays réellement souverains de ceux qui n’ont que l’apparence de la souveraineté et dont la politique est en réalité aux mains des multinationales. Ainsi, la notion de « démocratie souveraine » ne réclame pas seulement un contrôle sur les organisations contrôlées de l’extérieur qui interviennent dans la vie politique russe, mais aussi sur les entreprises dont l’activité économique a un impact direct sur le contexte de la mise en œuvre ou de la conception des choix politiques. Dans la manière même dont il argumente, Surkov met en œuvre une problématique de la pertinence des formes légales et juridiques dans des contextes socio-économiques marqués par une très forte asymétrie de la distribution des richesses et du pouvoir économique. Cette problématique, dans un monde marqué depuis la vague néolibérale de la fin du xxe siècle par l’explosion de ces asymétries (et l’on connaît tous le débat qui a lieu tant aux Etats-Unis qu’en Europe sur le « 1% » le plus riche de la population), est indiscutablement pertinente.

    Cette notion de démocratie souveraine contient aussi une référence explicite à Franklin Delano Roosevelt, dont le 125e anniversaire fut l’occasion d’une importante réunion politique à Moscou le 8 février 2007[22]. Surkov n’est pas le premier en Russie à considérer que Roosevelt, et plus particulièrement l’homme du New Deal et du contrôle sur la grande industrie entre 1941 et 1945, est un exemple de « capitalisme civilisé »[23]. Vladimir Poutine lui-même avait repris à son compte la référence directe à Roosevelt et à son conflit avec la Cour suprême au sujet des lois du New Deal dans son message à la Douma du 10 mai 2006. Evgueni Primakov, dont l’action de septembre 1998 au printemps 1999 fut indiscutablement le début du renouveau russe, a aussi fréquemment cité Roosevelt comme un exemple[24].

    L’intervention de V.J. Surkov lors du 125e anniversaire de Roosevelt précise la notion de « démocratie souveraine ». Le lien entre souveraineté et démocratie est autant interne (« l’oligarchie et la bureaucratie ne doivent pas séparer les pouvoirs en place du peuple et aliéner ce dernier » et « il n’y a pas de véritable liberté pour les pauvres ») qu’il est externe (« les relations internationales ne doivent pas être mues par les firmes multinationales et l’agression »). La notion de souveraineté ne se construit donc pas seulement dans une opposition à une ingérence étrangère, mais aussi dans une opposition à la capacité de certaines forces sociales internes à vider l’exercice de la démocratie de son contenu réel. Interpréter dans ce contexte la notion de souveraineté uniquement dans le contexte des relations de l’État-nation avec les autres acteurs des relations internationales est clairement une erreur et un contresens. La souveraineté, sous la plume de Surkov, renvoie à l’exercice réel par le peuple de son pouvoir politique, au-delà du simple respect des règles et des procédures. Quelle qu’ait pu être l’évolution ultérieure du personnage, son nom restera attaché à ce moment où il sut faire renaître dans le contexte de la Russie la notion de démocratie et celle de souveraineté.

    La mise en pratique de la démocratie souveraine

    Il est alors frappant que la construction de la notion de démocratie souveraine ait eu lieu dans les années qui ont vu le monde multipolaire devenir une réalité. Mais il est aussi très symbolique que cette notion ait vu le jour en Russie.

    Cette notion tire en réalité son origine de la pensée politique européenne depuis le XVIème siècle. Elle est très fidèle dans son esprit à l’œuvre de Jean Bodin dont on a dit, dans un ouvrage récent[25], à quel point sa pensée était fondamentale dans le monde moderne. Elle aurait pu, et en un sens elle aurait dû, être produite en France, ou en Europe. Mais, l’Europe est aujourd’hui épuisée. Elle s’abandonne aux délices pervers de la servitude volontaire, que ce soit en tant qu’Union européenne, dans sa relation envers les Etats-Unis, ou que ce soit dans le cadre de chaque pays membre de l’Union européenne. Le succès des idées néoconservatrices en France, au moment même où leur nocivité et leur incapacité à rendre compte de la complexité des relations internationales étaient pourtant avérées, est symptomatique de cette relation quasi-coloniale que certaines fractions de nos élites entretiennent avec les Etats-Unis.

    Dans les faits, cette soumission des élites à la politique des Etats-Unis se manifeste sur de nombreux points, qu’il s’agisse des relations avec la Russie ou de la signature de ce traité désastreux, le Traité de Libre-Echange connu comme TAFTA. Et, la tragédie de cette situation est que les élites, en particulier en France, ont succombé à l’influence américaine au moment historique ou le vieux rêve gaulliste de monde réellement multipolaire, était en train de devenir une réalité. La Russie, sur ce point, s’avère la véritable héritière du projet gaullien.

    Les élites, que nous le considérions dans le cadre français ou dans celui de l’Union européenne, sont désormais parfaitement déconsidérées et elles ont perdu toute légitimité. Il est temps qu’elles soient balayées. Comme l’écrivait Thomas Bottomore[26], l’histoire est un cimetière d’élite !

    Jacques Sapir (RussEurope, 

    Notes

    [1] Sapir J., Le nouveau XXI siècle, Paris, le Seuil, 2008.

    [2] Richardot, P. Les États-Unis, hyperpuissance militaire à l’aube du XXIe siècle. Economica, 2005. Collection : Hautes études stratégiques (ISC).

    [3].Lucien Poirier, « La guerre du Golfe dans la généalogie de la stratégie », Stratégique, n° 51/52, 3e et 4e trimestres 1991, p. 69-70.

    [4] Védrine H., « Les États-Unis : hyperpuissance ou empire ? » in Cités, 2004/4 (n° 20), pp. 139-151.

    [5].Robert A. Dahl, « The concept of power », Behavioral Science, vol. 2, n° 3, 1957, p. 201-215.

    [6] Védrine H., « Que reste-t-il de l’hyperpuissance? », in Géoéconomie, août – septembre – octobre 2013.

    [7] Ostry J.D., Loungani P., et Furceri D., « Neoliberalism: Oversold? », in Finance & Development, Juin 2016, Vol. 53, No. 2.

    [8] Sapir J., La Démondialisation, Paris, le Seuil, 2010 ; De Kerdrel, Y., « Et maintenant la démondialisation », in Le Figaro, 27 mai 2016, http://www.lefigaro.fr/vox/economie/2016/04/27/31007-20160427ARTFIG00040-et-maintenant-la-demondialisation.php

    [9]. Voir Fukuyama F., After the Neocons. America at the Crossroads, New Haven, Conn., Yale University Press, 2006 ; trad. fr. de Denis-Armand Canal, D’où viennent les néoconservateurs ?, Paris, Grasset, 2006.

    [10] Goyard-Fabre S., « Y a-t-il une crise de la souveraineté ? », Revue internationale de philosophie, vol. 45, n° 4, 1991, p. 459-498, ici p. 480-481.

    [11] Jakab A., « La neutralisation de la question de la souveraineté. Stratégies de compromis dans l’argumentation constitutionnelle sur le concept de souveraineté pour l’intégration européenne », in Jus Politicum, n°1, p.4, URL : http://www.juspoliticum.com/La-neutralisation-de-la-question,28.html

    [12] Dyzenhaus D, Hard Cases in Wicked Legal Systems. South African Law in the Perspective of Legal Philosophy, Oxford, Clarendon Press, 1991.

    [13] Dyzenhaus D., The Constitution of Law. Legality In a Time of Emergency, Cambridge University Press, Londres-New York, 2006.

    [14] Dupuy, René-Jean, Le Droit international, Paris, PUF, 1963.

    [15] Voir Sapir J., « L’ordre démocratique et les apories du libéralisme », Les Temps modernes, n° 610, septembre-novembre 2000, p. 309-331.

    [16] Comme Manuel Barroso, Barroso J-M., Speech by President Barroso: « Global Europe, from the Atlantic to the Pacific », Speech 14/352, discours prononcé à l’université de Stanford, 1er mai 2014

    [17] Voir Wenzel N., « It works in practice, but will it work in theory ? Toward a research agenda on the emergences of constitutional culture into constitutional order », George Mason University, document de travail, 2003.

    [18] Voir Barré, J-F., « Déconstruire » le « postmodernisme » in L’Homme Année 1999 Volume 39 Numéro 151 pp. 267-276 : voir aussi Godelier M. Sciences sociales et anthropologie, Paris, CNRS Éditions, 2011.

    [19] Point que j’ai personnellement développé dans « L’ordre démocratique et les apories du libéralisme », art. cité.

    [20] Les positions et les argumentaires de Vyacheslav Surkov se trouvent sur le site du parti « Unité de la Russie », www.edinros.ru .

    [21] Voir Kokoshin A., « Real sovereignty and sovereign democracy », Russia in Global Affairs, n° 4, 2006, octobre-décembre. Le texte a été publié en russe sous la forme d’une brochure : Andreï Kokochine, Suverenitet, Moscou, Evropa Publishers, 2006.

    [22].Cette réunion se tint à l’Institut des relations internationales, en présence de William J. Burns, ambassadeur des États-Unis en Russie, ainsi que de nombreux historiens et économistes. L’intervention de Vyacheslav Surkov est disponible sur http://english.pravda.ru/russia/politics/87376-Vladmir_Putin-0 .

    [23] Dans un article publié le 6 février 2007 dans la Krasnaja Zvezda, l’académicien Andreï Kokochine souligne lui aussi les mérites de Roosevelt en insistant sur son conflit avec le big business dans le cadre du New Deal.

    [24] L’auteur de ces lignes a eu l’occasion à plusieurs reprises de discuter de ces points avec M. Primakov après 1999. La dernière intervention publique d’Evgueni Primakov sur ce thème fut une longue interview sur la chaîne de télévision NTV le dimanche 28 janvier 2007.

    [25] Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Paris, Michalon, 2016.

    [26] Bottomore T., Elites and Society, Londres, Watts, 1964

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  • Le terrorisme : nouvelle guerre totale ou conflit de basse intensité ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue publié sur le site Idiocratie et consacré à l'actuelle menace terroriste...

     

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    Le terrorisme : nouvelle guerre totale ou conflit de basse intensité ?

    Le terme Conflit de basse intensité (CBI) désigne un large spectre d’affrontements armés opposant de manière multiforme un ou plusieurs États à des acteurs non-étatiques, selon la définition établie par le Général britannique et spécialiste de la guerre contre-insurrectionnelle Frank Kitson. Par opposition à un conflit de haute intensité, dans lequel deux entités étatiques (voire plus) se livrent un combat, dont l’intensité pourra se rapprocher de la définition contemporaine de la guerre totale, les conflits de basse intensité se caractérisent plutôt par leur caractère discontinu, limité et multiforme.

    Le terrorisme international qui a connu un développement spectaculaire à partir des années 1970 jusqu’aux récents attentats de Paris (13 novembre 2015) ou de Bruxelles (22 mars 2016), s’apparente, sous de nombreux aspects, à une forme de conflit de basse intensité, gagnant aujourd’hui les grandes métropoles occidentales, dont l’objectif est de déstabiliser les États et sociétés qui en sont la cible. L’impact médiatique et psychologique énorme des tueries de Paris (plus de 140 victimes entre janvier et novembre 2015) a amené le gouvernement français à développer une rhétorique de la guerre totale répondant à celle qui est développée par l’État Islamique à l’encontre de la France.

    Sommes-nous en guerre ?

    Au lendemain des attentats de novembre, la rhétorique gouvernementale se résumait au leitmotiv inlassablement répété par Manuel Valls : « Nous sommes en guerre », lecture de la nouvelle situation politique d’ailleurs immédiatement mise à profit par François Hollande pour prévenir ses partenaires européens que le pacte de sécurité prévalait désormais sur le pacte de stabilité économique. Le 10 mars dernier, Jean-Yves Le Drian annonçait que le budget militaire de la France devait à nouveau augmenter : en plus de l’ouverture de 15 000 postes supplémentaires dans l’armée de terre et de 7000 dans la gendarmerie, le ministre de la Défense entend augmenter le budget de la réserve opérationnelle de 77% sur quatre ans. La mesure est symbolique. Après la fin de la conscription obligatoire en 1997, on revient à une conception concevant comme une nécessité première d’intégrer les civils à l’outil militaire afin de faciliter la défense du territoire. Ces évolutions significatives, intervenues en très peu de temps, alors que les professionnels et spécialistes étaient encore nombreux à déplorer le déclin de l’appareil militaire, pourraient à elles seules démontrer que la spectaculaire « extension du domaine de la lutte » en matière de terrorisme a effectivement livré l’Europe à un conflit de basse intensité qui a produit des retournements politiques spectaculaires.

    Logique de déterritorialisation

    Cependant, cette rhétorique et ce volontarisme, en accréditant d’une certaine manière la thèse d’un retour à la dialectique schmittienne de l’ami-ennemi, ne sauraient masquer le fait que la menace terroriste exportée en Europe par l’État Islamique s’appuie sur des logiques de déterritorialisation fortes. Bertrand Badie en faisait l’observation en 1995 dans La fin des territoires : essai sur le désordre international et sur l’utilité sociale du respect : « les apories territoriales se rapprochent du monde occidental et prolifèrent à mesure que se décompose l’ancien Empire soviétique. La démultiplication des échanges et des modes nouveaux d’intégration couvre d’ambiguïté l’idée multisécuritaire de territoire national. » [Fayard. 1995.] Une manière de souligner que la fin de l’Union Soviétique a mis en lumière la remise en question profonde du modèle de l’État-nation dans les régions anciennement situées dans la zone d’influence soviétique. Cette aporie, ou cette impossibilité territoriale, qui se révèle dans le système mondial post-guerre froide touche aussi les États-nations européens. Comme le soulignait le spécialiste des relations internationales Didier Bigo, la capacité à devenir invisible et l’esprit sacrificiel qui garantissent l’efficacité des groupes terroristes islamistes sont favorisés aujourd’hui par le caractère de plus en plus transnational des États européens. « Le problème n’est plus l’affrontement et l’accumulation des forces mais l’identification du groupe qui a commis des actes de violence. » Dans le contexte actuel marqué en Occident par une porosité extrême des frontières et une internationalisation croissante des territoires, ce travail d’identification devient très difficile, voire impossible.

    Ce que veut l’État islamique

    Tout le paradoxe et l’ironie de la campagne de conquête et de terreur initiée par l’État Islamique repose sur ce vaste mouvement de déterritorialisation. La première de ces apories fut largement médiatisée en septembre 2014 lors du franchissement de la frontière Syrie – Irak. Elle symbolisait la remise en cause de l’ordre Sykes-Picot, vieux d’un siècle, et la capacité d’un prosélytisme islamiste à utiliser à son profit les logiques d’oppositions interethniques, religieuses ou claniques dont la vigueur démontrait encore en 2014 la faiblesse de l’implantation du modèle de l’État-Nation au Moyen-Orient. L’État islamique s’est montré capable de tirer profit, pour nourrir son ascension fulgurante, des divisions et de la corruption endémique d’une société irakienne plongée dans le chaos ou des faiblesses d’un pouvoir syrien appuyé lui aussi sur les logiques communautaires. Mais les théoriciens de Daech ont su également utiliser à leur profit le délitement progressif des sociétés européennes et le discrédit relatif de leurs systèmes politiques. L’État Islamique ne fait pas mystère de son intention de mener une véritable guerre de civilisation, une rhétorique qui inspire même le titre du magazine Dabiq, du nom d’une ville syrienne où, selon la propagande de Daech, « brûleront un jour les armées croisées ». La déterritorialisation, sur fond de sécession communautaire et d’immigration massive, autorise désormais l’islamisme à faire appel à un djihadisme européen qui rend plus difficile encore la prévention des attentats.

    Surtout, la répétition des actes terroristes dévoile ce que Bigo analysait déjà il y a vingt ans. Le conflit dans lequel nous plonge le terrorisme international fait voler en éclat l’illusion du monopole de la violence et de l’État protecteur et surplombant. Désormais à peine capable d’assurer les prérogatives du veilleur de nuit, l’État correspond aujourd’hui « à une direction administrative, à une gouvernementalité qui prétend être l’incarnation de la Nation et du Peuple en s’intitulant pour ce faire État. On croit à la monopolisation effective là où il n’y a toujours eu qu’une certaine prétention des gouvernants à revendiquer avec un certain succès seulement ce monopole. »

    Permanence de la logique territoriale

    Il convient cependant de nuancer encore quelque peu cette vision des choses qui nous verrait livrés pieds et poings liés aux exactions d’un islamisme transnational tout autant qu’aux choix hasardeux d’un État administrateur de chaos. Au conflit de basse intensité européen répond un conflit qui prend en Syrie le visage d’un plus classique affrontement territorial entre deux entités : le régime de Bachar-Al Assad, soutenu par la Russie, et l’État islamique qui possède une implantation et des ambitions territoriales qui peuvent être contrées de façon plus classique, sous réserve d’intervention au sol bien sûr. Par ailleurs, en Europe, même si l’on peut souligner le rôle du transnational, on ne peut en revanche que remarquer le caractère territorial de l’implantation salafiste qui a déjà gagné des quartiers dans les grandes métropoles et cherche à en obtenir davantage en appliquant aux zones grises de notre développement urbain un principe de conquête de territoires qui peuvent ensuite servir de base arrière aux actions terroristes.

    Le contexte de plus en plus menaçant confirme la faillite des États européens, incapables d’appréhender le caractère inédit du conflit se déroulant désormais sur leur sol et tout aussi impuissants à assumer leurs responsabilités dans le conflit qui se déroule à leurs portes au Moyen-Orient, avec pour conséquence une crise migratoire qui achève de faire vaciller une Union Européenne en lambeaux. Ceci a permit à la Russie d’achever son équipée syrienne par une splendide opération de communication faisant de Vladimir Poutine le sauveur de Palmyre, joyau gréco-romain pour lequel les Européens n’auront pas levé le petit doigt.

    Des idiots (Idiocratie, 27 mai 2016)

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  • Du pape...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une nouvelle chronique de Richard Millet, l'auteur de La confession négative (Gallimard, 2009) et de Tuer (Léo Scheer, 2015), cueillie sur son site personnel et consacrée au Pape...

     

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    Du pape

    Dans une France où tous les regards sont tournés vers la moustache d’un certain Philippe Martinez qui semble le fruit d’un coït entre Joseph Staline et Francisco Franco, on n’a prêté nulle attention à l’entretien que le pape a donné au journal post-chrétien La Croix, dont la fadeur politiquement correcte est propre à convertir au bouddhisme ou à « Nuit debout » tous les bande mou et les demi-vierges, ménopausées ou en âge de procréer, qui le lisent.

    Il est toujours douloureux de s’opposer au pape, pour un catholique qui n’appartient pas à la répugnante race des cathos de gauche. Celui qui est venu d’Argentine pour transformer le trône de saint Pierre en fauteuil de talk show télévisuel a été élu, on le sait, pour faire oublier Benoît XVI, admirable théologien et pianiste de goût. Le pape François, lui, préfère le football à Bach et à Mozart : le pays d’où il vient et dont il voudrait nous faire croire qu’il fait cohabiter de façon exemplaire les chrétiens et les musulmans, dit-il dans cet entretien, est pourtant moins celui de Maradona que celui de Borges et de Cortazar. S’exprimant sur la dimension chrétienne des « racines » de l’Europe, le pape déclare redouter « la tonalité  qui peut être triomphaliste ou vengeresse » d’une telle expression. Faut-il rappeler à Sa Sainteté qu’en face on ne redoute nullement ce caractère et qu’une des causes du terrorisme islamique est justement dans la réduction du christianisme à l’idéologie des droits de l’homme qui fait de l’Europe le ventre mou du monde occidental ? N’est-ce pas, d’ailleurs, parce que la déchristianisation est en marche que l’Etat islamique et ses alliés ciblent l’Europe et particulièrement l’ex-fille aînée de l’Eglise, devenue la maquerelle en chef de la tolérance multiculturelle ?

    Le passage le plus douteux de la  déclaration papale mérite d’être cité comme il faut : « Il faut parler de racines au pluriel car il y en a tant. En ce sens quand j’entends parler des racines chrétiennes de l’Europe, j’en redoute parfois la tonalité qui peut être triomphaliste ou vengeresse. Cela devient alors du colonialisme. Jean-Paul II en parlait avec une tonalité tranquille. L’Europe, oui,  a des racines chrétiennes. Le christianisme a pour devoir de les arroser, mais dans un esprit de service, comme pour le lavement des pieds. Le devoir du christianisme pour l’Europe, c’est le service. » Quel devrait être un  service, sinon spirituel ? Car pour le service auquel il est fait allusion, il y a belle lurette que l’humanitaire a remplacé les catholiques. Voilà en tout cas qui fait du pape un fourrier de l’aveuglement post-historique qui a abandonné au libéralisme mondialisé toute visée profondément politique pour se cantonner au domaine simplement éthique. Le pape parle comme n’importe quel commissaire européen à la culture ou comme un secrétaire d’Etat aux relations communautaires ; et cela nous est insupportable, à nous qui avons soif d’entendre parler d’Origène, de saint Augustin, de Pascal, de Thérèse d’Avila, de Simone Weil, et non pas d’un alignement sur le conglomérat dirigé par un Juncker dont la tête fatiguée dit assez le degré d’avilissement auquel le dispose sa fonction, voire sa nature.

    Parler de pluralité de racines, c’est donc ouvrir toute grande l’Eglise au politiquement correct, aux migrants, à l’islam, bientôt au mariage homosexuel. On a vu comment le pape a blessé les chrétiens, notamment ceux d’Orient, en ramenant de Lesbos trois familles musulmanes, l’idée de tolérance se mesurant exclusivement à la jauge musulmane, ainsi qu’il est précisé dans la suite de l’entretien : « Chacun doit avoir la liberté d’extérioriser sa propre foi. Si une femme musulmane veut porter le voile, elle doit pouvoir le faire. De même, si un catholique veut porter une croix. » A ce compte-là, le pape François est un des plus sûrs soutiens du multiculturalisme effréné de Justin Trudeau, d’Obama ou de Cameron, autrement dit du cancer qui ronge l’Europe et qui consiste à faire accepter par les peuples de souche des cellules qui détruisent leurs racines chrétiennes.

    Que faire donc ? Il est certain qu’il me devient de plus en plus difficile de supporter la messe post Vatican II, avec ses prêches fades, ses chants niais, ses fidèles tendant le cou au couteau islamiste et à l’invasion migratoire, et que je rechercherai davantage les messes traditionnalistes. Mais pour le reste ? Que restera-t-il de l’Eglise après le pontificat de ce jésuite argentin ? Comment confier mon destin spirituel à un homme qui refuse de désigner l’ennemi pour ce qu’il est ?  Notre solitude s’accroît. L’Eglise devient une partie de notre désert et son discours officiel dresse notre croix sur un ciel déjà tourmenté par la guerre, la déchéance morale, la catastrophe écologique, la ruine des nations. Il faut donc vivre cela comme une épreuve qui entre dans le combat politique, puisque c’est aussi en tant que chef d’Etat que parle le pape, en jouant sur les deux tableaux, mais surtout en jouant l’ « éthique » mondialiste contre la dimension spirituelle et judéo-chrétienne de nos racines, qu’il néglige superbement.

    Richard Millet (Site officiel de Richard Millet, 30 mai 2016)

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  • Juvin en liberté !... (4)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous la compilation de l'émission Juvin en liberté, sur TV libertés, pour la semaine du 23 au 27 mai. 

    Économiste de formation, Hervé Juvin a publié ces dernières années plusieurs essais particulièrement marquants tels que Le renversement du monde (Gallimard, 2010), La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013) ou Le Mur de l'Ouest n'est pas tombé (Pierre-Guillaume de Roux, 2015).

    Au sommaire, cette semaine :

    1. Le sujet des visas rend-il totalement fou les européens ?

    2. Le glyphosate, banalisation ou diabolisation ?

    3. Nuit Debout, est-ce la révolution ?

    4. Où va l’accord de Libre-Echange Transatlantique ?

    5. Le résultat des élections aux Etats-Unis sera t’il l’illustration du naufrage actuel des classes moyennes américaines ?

     

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  • Vers un crash économique mondial ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Guillaume Faye, cueilli sur son site J'ai tout compris et consacré à la menace d'un nouvel effondrement des marchés financiers qui pèse sur les économies mondiales...

     

     

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    Vers un crash économique mondial ?

    Les économistes classiques distinguent deux niveaux de crise : la récession et la dépression, la première étant passagère (une grippe), la seconde étant plus grave (une pneumonie), comme la crise de 1929. Il existe un troisième niveau, jamais envisagé, à tort, par les économistes officiels : le crash, comparable à un cancer. Mortel. Le dernier en date eut lieu au début du Ve siècle avec l’effondrement de l’Empire romain d’Occident. Il aura fallu près de mille ans pour s’en remettre.

    Voici quels sont les facteurs de déclenchement possibles de l’ apocalypse économique.

    1. Un mécanisme spéculatif international fondé sur des robots numériques et déconnecté de l’économie réelle.

    Le spéculateur va du fonds de pension au petit épargnant en passant par les banques et autres institutions financières, avec aussi les fonds souverains et les important investisseurs privés. Les bourses ne dépendent plus des ordres concrets des détenteurs d’actions mais les ordres d’achats et de ventes, instantanés, sont définis par des algorithmes informatiques, simplement contrôlés, mais non décidés intelligemment, par des ”financiers” rivés à leurs écrans. Ce sont les milliers de robots interconnectés qui décident de vendre, d’acheter, d’emprunter, de prêter. De gigantesques flux d’argent, hors contrôle et totalement virtuels innervent la planète à une vitesse et avec une instantanéité phénoménales. Cela n’a aucun rapport avec l’économie réelle et peut créer des bulles explosives. Le terme d’ « économie de casino », créé par le prix Nobel d’économie Maurice Allais s’applique aujourd’hui bien plus que de son temps.

    2. Un système bancaire international opaque et adepte de pratiques dangereuses.

    Blanchiment d’argent sale, aide aux fraudes fiscales, prêts pourris… La prudence et l’honnêteté de beaucoup de banques (pas toutes évidemment !) dans tous les pays du monde peuvent être mises en cause. Il en va de même pour les compagnies d’assurance. Les banques des deux premières économies mondiales (États–Unis et Chine) sont particulièrement adeptes de créances douteuses et de pratiques risquées et opaques. L’absence de réorganisation du système bancaire international après l’alerte de 2008–2009 est inquiétante parce que le niveau des créances et d’opérations dangereuses ne cesse d’augmenter.

    3. Un endettement structurel de tous les acteurs économiques mondiaux, publics et privés.

    La dette, comme un virus, est au cœur du fonctionnement de l’économie internationale : endettement croissant des États, des entreprises et des particuliers. Cette situation, jamais vue auparavant, est intenable à moyen terme. Si tout le monde emprunte plus qu’il ne peut rembourser, le système s’effondre. Parce que l’ensemble de l’économie mondiale dépense plus qu’il ne produit. Si l’État français est endetté à hauteur de presque 100% du PIB, en hausse constante, l’État chinois l’est à 230% du PIB contre 130% en 2008. Les chemins de fer chinois (China Railway Corp) sont endettés à hauteur de 557 milliards d’euros, plus que la Grèce (311 milliards) !

    Pour l’instant, tout tourne mais ça ne durera pas. De plus, le vieillissement des populations occidentales, de la Chine et du Japon va considérablement alourdir la dette globale, du fait des dépenses de santé et de dépendance, si des économies drastiques ne sont pas accomplies par ailleurs par les États. (étude de S&P Global Ratings, mai 2016). L’éclatement de la bulle d’endettement mondial peut provoquer un ”effondrement systémique” : faute de pouvoir être remboursées, la plupart des institutions financières mondiales font faillite. Et entraînent dans leur chute une majorité des acteurs économiques qui sont totalement liés les uns aux autres. C’est le fameux effet domino.

    4. Une Union européenne plombée par la France socialiste, homme malade de l’Europe.

    Contrairement à ce que prétendent certains (au FN, etc.), ce n’est pas l’Union Européenne, aussi imparfaite soit-elle, qui plombe l’économie française mais le système socio-économique français, d’inspiration marxiste, qui se plombe lui-même… et qui menace toute la zone Euro. Pour l’économiste Nicolas Baverez, la France risque l’ « implosion » et peut entraîner dans sa chute la zone Euro, ce qui provoquerait une récession mondiale. « Le grand écart entre les deux principales économies de la zone euro (France et Allemagne) est insoutenable à terme ». Les dirigeants français ont toujours « refusé toute réforme d’un modèle économique et social suicidaire ». Si la droite revient au pouvoir en 2017, il est très peu probable qu’elle ait le courage d’accomplir un tournant majeur, en dépit des promesses de chevaux de retour candidats à la primaire. On les connaît…
    De plus, indépendamment du cas français, l’UE est menacée de dislocation du fait d’autres causes structurelles : elle constitue un ensemble mal organisé, économiquement et financièrement mal géré, sans frontières, sans politique commerciale extérieure. La France entraînera d’autant plus facilement l’Europe dans son naufrage que cette dernière est déjà un navire qui prend l’eau.

    5. Les migrations massives et le choc avec l’islam.

    Ces deux facteurs, qui menacent l’Europe (surtout) et l’Amérique du Nord, sont lourds de conséquences économiques. Une colonisation de peuplement par des populations en grande majorité musulmanes et globalement (qu’ils soient migrants récents ou nés ici) d’un niveau très inférieur aux populations autochtones en déclin démographique dramatique, va être la source d’énormes troubles. Ils s’ajouteront aux causes ethniques et démographiques d’un effondrement économique global et prendront probablement la forme d’une guerre civile, d’abord en France. Cette dernière sera un facteur d’accélération d’un crash économique qui affectera toute l’Europe et, par effet de dominos, le monde entier.

    Quelques signes avant–coureurs de l’effondrement

    Tout d’abord le cours de l’or explose : +18% depuis le 1er janvier 2016. C’est une valeur refuge, un placement improductif. 1.290 tonnes d’or ont été négociées depuis cette date, soit 25% de plus qu’en 2015.Chiffre énorme. Le repli sur l’or est de très mauvais augure, il traduit un pessimisme profond, l’attente d’une catastrophe économique.

    Ensuite, sur la côte Ouest américaine, paradis des start–up et de l’économie numérique, les investissements ont chuté de 25% au premier trimestre 2016. La Silicon Valley, temple et thermomètre de la ”nouvelle économie”, est en grande difficulté financière. C’est la première fois depuis sa création, voici trente ans. Enfin, les fonds financiers européens et américains ont, depuis quelques mois, retiré 90 milliards de dollars des marchés des actions pour les reporter sur… l’achat d’or. N’oublions pas non plus l’inquiétante récession du Brésil : un PIB en chute de 3,8% en 2015 et probablement autant en 2016 selon le FMI.

    L’optimisme forcé, assez irrationnel, sur la ”nouvelle économie numérique”, avec le big data, la blockchain, l’impression 3D, le ”transhumanisme”, etc. qui préfigureraient une ”troisième révolution industrielle” et un nouveau paradigme (et paradis) économique mondial, relève probablement de l’utopie et de l’auto persuasion. Et de la croyance aux miracles.

    Les conséquences d’un crash économique mondial

    En Europe, un effondrement du niveau de vie d’environ 50% est parfaitement possible, avec le retour de nombreux pays à une économie de subsistance, à la suite d’un déclin géant de tous les échanges et investissements. Certains diront que tout cela sera positif en créant un terrible chaos qui remettra les pendules à l’heure et provoquera par contrecoup un effet révolutionnaire de renaissance.

    Un tel crash pourrait peut-être stopper et inverser les flux migratoires en Europe. On ne sait pas, nous verrons bien. On ne peut pas prévoir les conséquences exactes d’événements qui, eux pourtant, sont prévisibles. Il faut simplement se préparer au pire qui peut aussi être le meilleur.

    Guillaume Faye (J'ai tout compris, 23 mai 2016)

     

     

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  • Le temps des gestionnaires et des technocrates est révolu !...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 24 mai 2016 et consacrée aux enseignements qu'il est possible de tirer du résultat des élections présidentielles autrichiennes. Une excellente analyse !...

     

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