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Points de vue - Page 217

  • Guerre de religion ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Paul Fortune cueilli sur son blog et consacré aux réactions à l'attaque de deux terroristes islamistes contre une église à Saint-Etienne du Rouvray, près de Rouen.

    Paul Fortune a récemment publié un excellent récit intitulé Poids lourd.

     

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    Guerre de religion

    Cette fois, c’est un prêtre qu’ils ont assassiné. J’ai déjà dit mille fois ce qui se passait, je ne vais pas me répéter. Un attentat mahométan tous les 10 jours devrait être suffisamment parlant. Je note que cette fois le caractère d’affrontement religieux est clair et net, de la volonté même des criminels. Comme s’ils voulaient nous dire « arrêtez de faire les autruches, arrêtez avec votre padamalgam et vos excuses psychiatriques, notre cause est authentiquement religieuse. »

    Curieusement, à lire les réactions des citoyens ordinaires comme celles des politiques, j’ai l’impression que la prise de conscience est plus forte qu’auparavant, comme si dans la France pourtant déchristianisée la figure du prêtre martyrisée réveillait un vieux fond catholique. On ne touche pas impunément au sacré et la croix, quoi qu’on en pense, reste un symbole autrement plus viscéral qu’un journal satyrique. Seuls les journalistes semblent y rester insensibles, preuve qu’ils ont l’âme bien plus desséchée que les politiciens. Les politiciens, justement, commencent à patauger sérieusement. Ils n’ont pas eu l’impudence de nous faire le coup du « renforcement de l’état d’urgence ». Évidemment, ils « condamnent fermement », et Hollande s’est même fendu de la plus belle bêtise qu’il ait jamais dite sous la forme d’une formule-valise selon laquelle « tuer un prêtre, c’est profaner la République ». S’il avait ouvert un livre d’histoire dans sa vie, il saurait que sa république s’est précisément bâtie sur la haine de l’Église catholique et qu’elle n’a eu cesse de vouloir la rabaisser, et l’on ne peut qu’être frappé par la volonté une fois de plus affirmée de sacraliser la république qui serait une chose quasi-divine qu’on pourrait « profaner ». Mais ce sacré se fait sur le dos du sacré authentique et ne traduit finalement que l’horreur face à la profanation réelle que constitue l’assassinat d’un prêtre. N’accordons pas trop d’intelligence à notre président : il est probable que cette formule vide de communicant professionnel puisse resservir à l’envie, n’importe quelle action remettant méchamment en question le « vivre-ensemble » pouvant être qualifiée de profanation contre la république.

    Seul cet imbécile de Cazeneuve, dont la seule parole honnête serait de présenter sa démission, s’est distingué en évoquant un illusoire concordat qu’il faudrait passer avec l’islam, preuve manifeste qu’il ne connaît rien à cette religion. L’islam n’est pas un catholicisme en djellaba et pantacourt et ne possède aucune autorité centrale qui pourrait négocier quoi que ce soit. Si un tel concordat était possible (et souhaitable, ce dont je doute), on se demande bien sur quoi il porterait. Moins d’attentats contre plus de mosquées ? Il y aurait un quota de morts que les mahométans devraient respecter, un peu comme sur un permis de chasse ? Ou alors il faudrait leur céder une partie du territoire en échange de cinq ans de tranquillité ? (je propose de leur donner Marseille, Bobigny et Roubaix pour commencer). Tout cela ne tient pas debout, on ne négocie pas avec des gens qui veulent nous tuer, ce que les flics ont bien compris puisqu’ils ont ordre, paraît-il, d’intervenir immédiatement sans parlementer.

    Les plus abjects sont comme d’habitude et sans surprise les journalistes, dont certains ont décidé qu’il ne fallait plus donner les noms des assassins ni montrer leur photos, et ce à l’initiative d’un vaniteux et belliciste personnage dont je ne flatterai pas le narcissisme en me refusant à écrire les trois lettres qui le désignent ordinairement. Trop tard : au moindre attentat, on sait désormais, par habitude, à qui on a à faire. Dès que lesdits journalistes prennent des pincettes pour vous expliquer qu’on ne peut tirer aucune conclusion hâtive et qu’on n’est pas sûr d’avoir entendu le fameux glapissement « allaouakebar », on peut être certain de la nature du crime. Quand il y a un doute, en général, c’est qu’il n’y a pas de doute.

    Il ne nous reste qu’à espérer que la prochaine cible ne soit pas une école maternelle et que les prochaines minutes de silence ne seront pas pour nous ou nos proches. À ceux qui se demanderaient « que faire », je ne peux donner qu’un conseil d’ordre général : soyez une cible difficile. Mentalement aussi bien que physiquement. Ne vivez pas dans la peur, vivez dans l’alerte. Le temps du confort est depuis longtemps révolu.

    Paul Fortune (Blog de Paul Fortune, 27 juillet 2016)

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  • Le réarmement moral passe par un retour au réel !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Mathieu Bock-Côté, cueilli sur Figaro Vox et consacré au déni du réel auquel nous habituent les représentants du système. Québécois, l'auteur est sociologue et chroniqueur à Radio-Canada et est déjà l'auteur de plusieurs essais. Il vient de publier Le multiculturalisme comme religion politique aux éditions du Cerf.

     

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    Déni d'islamisme : le réarmement moral passe par un retour au réel

    On commence à s'y habituer: à chaque attentat terroriste, une bonne partie du système médiatique active le logiciel du déni d'islamisme. Cela a aussi été le cas après l'attentat de Nice. Une chose semble plus importante encore que de pleurer les victimes et d'encombrer les lieux du crime de fleurs et de bougies: c'est de dépolitiser l'attentat. Dans la mesure du possible, on multipliera les hypothèses qui nous éloignent d'un constat pourtant enregistré depuis longtemps dans la conscience populaire: la paix perpétuelle à laquelle nous aspirions dans la dernière décennie du vingtième siècle a été fracassée une fois pour toutes. L'islamisme nous a déclaré la guerre. Il ne nous est plus possible de croire que la guerre appartient à la préhistoire de l'humanité occidentale et qu'il suffirait d'étendre à travers le monde la logique des droits de l'homme pour l'éradiquer une fois pour toutes. Mais le système médiatique travaille fort à nier cette réalité.

    Il y a d'abord la piste psychiatrique. Le terroriste serait un déséquilibré, un fou furieux, un maniaque, un psychopathe, mais pas un islamiste. En un mot, il n'y aurait aucune signification politique à un tel attentat: on devrait le considérer comme une forme de catastrophe naturelle - mais la nature qui se déchaînerait ici sur les sociétés serait la nature humaine et ses failles hantées par de sombres fantasmes de destruction. On ne saurait inscrire le crime dans une trame plus vaste et d'aucune manière, on ne devrait l'expliquer idéologiquement. Le crime n'est plus vraiment un crime: c'est un malheur, une malédiction, un rappel de la part incompréhensible de la condition humaine. C'est ainsi que plusieurs, comme le premier ministre canadien Justin Trudeau, ont parlé d'un acte «insensé» plutôt que de reconnaître dans l'attentat de Nice un épisode dans la guerre de l'islamisme contre l'Occident. Faut-il comprendre, dès lors, que les seuls terroristes qu'on prendra au sérieux sont ceux qui paient leurs impôts à temps, mangent de manière équilibrée et qui ont une connaissance fine du Coran?

    Il y a aussi la piste de l'exclusion sociale: l'homme qui se rendrait coupable d'un attentat serait en fait une victime de la société où il vit. Seule la désespérance sociale le rendrait sensible aux sirènes islamistes. Plus encore: l'exclusion qu'il subirait le pousserait à cette forme de résistance condamnable mais compréhensible que serait le terrorisme islamiste. Il y a plusieurs années, on avait déjà expliqué ainsi les assassinats de Mohamed Merah. Dans nos sociétés qui marginaliseraient les populations issues de l'immigration, la petite criminalité et la grande devraient être considérées comme des actes de résistance. En un mot, l'islamophobie serait à l'origine de l'islamisme. Peut-être est-ce une manière de garder mentalement le contrôle des événements: se dire coupable, c'est demeurer responsable des événements, c'est conserver une emprise sur eux. Si la civilisation occidentale s'amende suffisamment, la guerre cessera et la paix reviendra. Il faudrait s'ouvrir toujours davantage à la diversité pour contenir et refouler l'islamisme.

    On oublie une part essentielle de ce qu'on pourrait appeler la théorie de la guerre révolutionnaire, qui consiste justement à exciter les marges, les éléments sociaux instables et fragiles, pour faire naître chez eux une vocation au Djihad. Il s'agit justement d'exciter les pulsions morbides et de les convertir en un désir terroriste. Les vidéos relayés par l'État islamique où on voyait ses soldats et militants se transformer en égorgeurs avaient justement cette vocation. Pour le dire autrement, il s'agit de mobiliser les marginaux et les déclassés en les retournant contre l'ordre établi. C'est ainsi qu'un homme qui n'était pas fiché par les services de renseignement peut rapidement prendre un étendard et se retourner contre ses concitoyens qu'il ne voit pas comme des compatriotes. Celui qui se laisse convertir peut ainsi espérer une forme de gloire morbide qui transfigurera son existence en devenant un martyr glorieux d'une guerre sainte contre un Occident malfaisant.

    Cela ne date pas d'hier. Les théoriciens révolutionnaires ont toujours su qu'ils ne pouvaient pas se fier à leurs seuls moyens et qu'ils devaient travailler les contradictions sociales inscrites au cœur des sociétés qu'ils veulent bouleverser. Et le fait est que l'appel au Djihad trouve un écho dans les banlieues islamisées issues de l'immigration qui sont la cible d'une propagande antioccidentale permanente, par ailleurs relayée par un système médiatique qui les entretient dans ce sentiment victimaire. L'islamisme y trouve un bon terreau et pousse ainsi à la guerre civile entre les nations européennes et les communautés issues de l'immigration musulmane. On pourrait pousser plus loin la réflexion: qu'on le reconnaisse ou non, la perméabilité absolue des frontières contribue à ce climat anxiogène. Quoi qu'en disent les théoriciens de la diversité, une communauté politique exagérément hétérogène est appelée à vivre des contradictions culturelles de moins en moins soutenables.

    Le système médiatique semble vouloir préserver à tout prix le fantasme de la diversité heureuse, quitte à se couper du commun des mortels et à s'installer dans un univers parallèle. Il y a quelque chose de navrant à constater la puissance médiatique de ce logiciel contribuant à déréaliser l'agression subie depuis quelques années par la nation française, en la dispersant en milliers de faits divers dépolitisés, auxquels on refusera toute perspective d'ensemble. L'Occident sait pleurer mais ne sait plus vraiment combattre - il ne veut pas accepter qu'en guerre, on ne fonctionne plus comme en paix. Évidemment, ceux qui exigent une politique toute faite à la manière d'une douzaine de mesures bien identifiées contre l'islamisme s'illusionnent: bien évidemment, on peut et doit mener une guerre contre l'islamisme intérieur et extérieur mais elle ne sera pas gagnée en quelques mois. Mais ceux qui parlent du nécessaire réarmement moral des nations occidentales visent juste.

    On se demande encore comment certains ont pu s'opposer à la déchéance de nationalité pour les binationaux coupables de trahison ou de terrorisme. Ne permettait-elle pas de redonner au moins symboliquement une certaine force à l'idée de citoyenneté? De la même manière, on comprend l'irresponsabilité criminelle de ceux qui consentent à une immigration massive qui crée les conditions d'une fragmentation massive des pays de la vieille Europe. Qui croit encore qu'il faille s'ouvrir à toutes les différences, sans distinguer entre celles qui sont compatibles avec le monde occidental et celles qui ne le sont pas? Autre question: jusqu'où les sociétés occidentales accepteront-elles de voir la logique des droits de l'homme retournée contre elles, comme si elles devaient s'immoler sur l'autel d'un universalisme si radical qu'il les empêche de se défendre lorsqu'on les agresse?

    Le réarmement moral passe d'abord par un retour au réel.

    Mathieu Bock-Côté (Figaro Vox, 20 juillet 2016)

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  • Trop vite radicalisé ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue de François-Bernard Huyghe, qui, sur son site Huyghe.fr, revient sur la propension qu'ont les médias de mettre en doute les motivations idéologiques des terroristes et de préférer expliquer leurs actes par des raisons psychologiques...

     

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    Trop vite radicalisé ?

    Le rienavoirisme frappe encore

    Petit psychodrame à la française : faut-il parler de "radicalisation express" à propos du tueur de Nice ? Et si la piste était à rechercher du côté de sa dépression (en 2004) ? De son divorce (quelque chose de rarissime en France) ? De sa bisexualité (ah bon, ça rend criminel ?) mais ? Du fait qu'il était un mauvais musulman qui buvait de l'alcool (et Merah, les Kouachi, les Abaoud, ils buvaient du thé avant ?) ? De la rapidité suspecte du phénomène (s'il avait mis plusieurs mois et prévenu ses voisins, ce serait rassurant)... Bref, il aurait agi pour cent motifs, sauf religieux, et aurait eu toutes sortes de fantasmes, mais non idéologiques, en dépit du fait qu'il a exactement réalisé ce que recommande Daesh : si l'on ne peut pas aller émigrer au pays de Cham (faire la hijrah au pays du califat, le seul pays où est appliquée la loi de Dieu), il faut improviser, prendre une pierre, un couteau, une voiture et frapper n'importe quel mécréant. C'est ce que nous appellerions la théorie "hydraulique" : ces gens frustrés ont un trop plein de violence à décharger et ils saisissent l'alibi religieux pour s'en soulagaer. L'idéologie (qui prescrit pourtant exactement ce qu'ils font, le justifie, leur promet le paradis) ou la croyance en général n'a aucun rôle. À ce compte, un nazi est-il vraiment antisémite, s'il a bu dans sa jeunesse ou adhéré à d'autres idées avant d'entrer dans la SS ?

    Il est niais de croire que les gens sont mus uniquement par les représentations explicites (ici, la doctrine clairement exprimée) dont ils se réclament (nous avons tous des problèmes, des frustrations, des intérêts, des désirs qui cherchent à cristalliser...) mais il est encore plus naïf de penser qu'il y a comme une force mortelle qui flotte dans l'air et qui se déverse sous le simple déguisement de la religion. D'autant plus que c'est toujours en conformité aux mêmes ordres de la même hiérarchie représentant la même doctrine et de la même communauté que cela se produit.

    Pas de chance : l'État islamique revendique. Regain de suspicion conspirationniste : ils ont mis trente heures, n'est-ce pas suspect ? Ne seraient-ils pas en train de récupérer des actes - motivés par quoi, grands dieux ? - et qu'ils ont appris par le plus grand des hasards ? Le fait que des gens semblent parfaitement se conformer aux instructions et justifications de Daesh (comme dans le cas tout récent de l'agression à la hache dans un train allemand) serait une illusion dont seraient victimes à la fois le terroriste ou l'organisation terroriste, mais pas l'intellectuel critique français qui pose un diagnostic psychiatrique par écran de télévision interposé. La formule rituelle "L’auteur de l’opération exécutée à XXX est l’un des soldats de l’Etat islamique, . Il a effectué son opération en répondant aux appels incitant à frapper les pays de la coalition qui combat l’Etat islamique." serait un vœu pieu ou une tromperie envers les autres ou envers soi-même. Si vous n'avez pas un certificat de la DGSI, une fiche S, si possible quelques condamnations pour radicalisation, un longue barbe et des confessions mises en ligne depuis des mois sur Facebook, n'espérez pas tromper ces vigilants. Les jihaddistes appliqueraient donc la formule : puisque les événements nous dépassent, feignons de les organiser. Mais l'hypothèse que des gens puissent être séduits par la triple perspective de sauver leur âme en gagnant la gloire au passage, de participer à la conquête du monde par les forces de la justice et de punir des mécréants (coupables à leurs yeux), cela vous semble incompréhensible mes bons maîtres ?

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 19 juillet 2016)

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  • En finir avec la cécité volontaire !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur le Figaro Vox et consacré à la réaction que doit susciter l'attentat islamiste commis à Nice le 14 juillet au soir.

    Docteur en science politique et dirigeante d'une société de conseil, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013).

     

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    Nice : après le temps de la cécité volontaire, réapprendre à défendre ce qui nous est précieux

    Pleurer nos morts et ceux, touristes étrangers, qui ont chez nous perdu la vie, Oui. Se recueillir et leur rendre hommage, évidemment. Mais pour eux, pour tous ceux qui tomberont encore, passer enfin des paroles aux actes. Ouvrir les yeux en grand, prendre courage et aller au choc.

    Un choc de lucidité en premier lieu.

    Il ne s'agit pas d'accabler nos dirigeants. Mais sans doute doit-on les exhorter à quitter enfin les hauteurs de leurs certitudes satisfaites pour se confronter à la triste réalité. Nous ne sommes pas à bord du Titanic prêt à sombrer, regardant l'eau qui monte en état de sidération. Nous sommes la France. Nous pouvons encore redresser la barre. Il faut juste le vouloir enfin et le faire avec courage, lucidité et méthode. Des vertus qui paraissent en perdition elles aussi.

    D'abord le diagnostic.

    Le terrorisme islamique ne frappe pas seulement la France, pas seulement l'Europe. Il frappe le monde entier.

    L'Afrique a perdu plus de 20 000 personnes dans des attaques islamistes depuis 2002. La guerre est totale et globale. La problématique aussi. Comme la solution. Gageons que la présence à Moscou du secrétaire d'Etat américain Kerry marque une inflexion sérieuse dans la gestion de la crise au Moyen-Orient.

    En Europe, depuis plus de 18 mois, notre pays est frappé, comme d'autres certes, mais clairement plus massivement que d'autres. Pourquoi? Car nous avons la première communauté musulmane d'Europe, qu'il s'agit elle aussi de sidérer pour la dominer et la retourner contre son pays d'accueil. Car nous menons au loin des actions militaires nombreuses et importantes, qui visent à contenir ou affaiblir certains foyers de l'islamisme conquérant. Cet activisme militaire sert malheureusement aussi de défausse à une politique étrangère brouillonne et incohérente. Une incohérence qui produit des fruits vénéneux. Nous combattons les islamistes au Mali, nous les soutenons en Syrie, nous hésitons en Libye. Nous tirons à hue et à dia. Mais nos forces armées loyales et vaillantes agissent légitimement en fonction de ces mandats politiques. Elles font des miracles avec des moyens trop comptés et sont sur tous les fronts d'une menace intérieure et extérieure dont le spectre s'étend toujours plus. Nos forces de police et de l'appareil de sécurité aussi sont courageuses, compétentes, et totalement dévouées à la protection du pays et de nos concitoyens. L'ennemi lui, observe cette posture combattante courageuse, mais mesure aussi nos ambivalences et nos soutiens contradictoires. Il sent enfin la faiblesse du politique face à l'emprise délétère d'un communautarisme que l'on n'ose plus endiguer et que l'on prend pour de la modernité politique. Alors la terreur mute. Daech, affaibli territorialement en Irak et en Syrie, donne de nouvelles consignes. «Ne venez plus ici ; Restez chez vous, et frappez chez vous. Des civils surtout».

    L'emploi du véhicule comme arme avait aussi déjà été expressément conseillé par ses porte-parole. «Porter la guerre au Loin» était d'ailleurs déjà la stratégie d'Al-Qaïda, maison mère du Califat. Une preuve de plus que celui-ci n'est que la face spectaculaire d'une hydre gigantesque qui irrigue nos sociétés à divers niveaux et selon des modes de relation différents, et travaille au corps et au cœur une partie de notre jeunesse en mal de lien avec la nation. Des adolescents ou des jeunes hommes et femmes, chacun en mal d'identification à «quelque chose de plus grand que soi». Un destin commun, un faisceau de vertus et de principes de vie qui rassemble et inspire fierté et projets. C'est aussi cela qu'il faut reconstruire.

    Cette terreur a de nombreux visages. Il y a ceux, de confession musulmane ou fraîchement convertis, qui reçoivent des ordres précis, des cibles et des «top départ» pour agir. Il y en a d'autres qui, chez nous ou ailleurs, «s'auto saisissent» d'un mandat de tuer et passent à l'acte sur impulsion ou opportunité, au terme d'une radicalisation - humaine ou de plus en plus souvent numérique - directe mais aussi diffuse, sans être «recrutés» sur le net ni exhortés personnellement à l'action. L'appel du djihad vient conforter, justifier leurs névroses propres, donner un sens à leur ressenti vertigineux d'une inutilité, d'un abandon, d'un égarement qui les «salit» en nos pays encore majoritairement «mécréants». Cela peut nous paraître fou, stupide, irréel. Mais ce sont des faits, aussi immatériels que concrets dans leurs tragiques conséquences. Nombre de ces djihadistes, petits délinquants ou «jeunes» plutôt intégrés, qui n'ont rien à voir avec «les damnés de la terre» auxquels nos bonnes âmes voudraient les identifier - pour les excuser ou pour s'excuser peut-être elles-mêmes de n'y rien comprendre - vivent en fait dans une schizophrénie glaçante. Ils grandissent et vivent au cœur de nos cités ou de nos campagnes, sans rien dévoiler de la rage qui les étreint, en lien avec leur voisinage, buvant, fumant, dissimulant leur dessein macabre sous un masque de normalité «laïque», fomentant ainsi leur passage à l'acte à l'abri de tout soupçon. Car ce sont des combattants, qui ont besoin de secret, d'une double vie pour propager la mort et échapper ainsi à la souillure des mécréants dans un martyr envisagé comme une échappatoire bénie.

    Le pronostic ensuite. Il est très sombre si l'on persiste à ne pas mesurer la profondeur de l'emprise du mal sur notre société. Il y aura d'autres camions, d'autres voitures piégées ou folles, d'autres attaques kamikazes dans nos écoles ou nos bâtiments publics les plus symboliques. Il y aura toujours pire.

    Le choc de l'action enfin.

    Les symboles importent mais ne suffisent pas. Jamais. Après ce nouveau carnage il faut mettre en actes une politique ferme et sans pitié. Il faut enfin faire preuve d'autorité. Le manque de moyens? Evidemment. Il en faut plus, beaucoup plus pour traquer, déjouer et répondre à la violence qui cible notre pays. Mais les moyens ne suffiront pas. Et ce n'est pas comme on l'entend parfois, parce qu'il y a eu un nouvel attentat que les dispositifs mis en place sont inutiles! Qui peut oser par exemple dire que le dispositif Sentinelle n'a pas permis d'éviter bien d'autres attaques à Paris? Ces soldats sont lourdement protégés, armés, entraînés et très courageux. Les tueurs du Bataclan avaient soigneusement étudié et esquivé leurs positions… aucun dispositif n'est toutefois imparable et l'imagination du mal est foisonnante. Il faut en tout cas donner des ordres clairs et des règles d'engagement adaptées qui libèrent le courage et l'initiative de nos forces policières et militaires sur le territoire national. Il faut étendre le dispositif, le rendre très mobile, aléatoire et extrêmement coordonné. Il faut en finir avec les querelles territoriales des services de police et de gendarmerie, comme avec l'inhibition et cette autre schizophrénie du pouvoir qui parle de guerre, dénonce l'innommable, multiplie les déclarations martiales et se gargarise d'avoir assuré la sécurité de l'Euro, baissant immédiatement la garde en réduisant des effectifs de Sentinelle, certes comptés, de 10 000 à 7000 hommes. Sans prendre garde au message qu'il envoie ainsi à ceux qui guettent et en oubliant presque le terrifiant signal qu'a constitué le double meurtre d'un couple de policiers chez eux, à Magnanville. Il n'y a plus de limites ni de frontières à la terreur. Plus aucun tabou, plus aucune inhibition. Comment, dans un tel contexte, croire encore possible d'exorciser le mal en le niant? La guerre, que d'aucuns refusent même de nommer, est sans trêve. La France est ciblée car elle a peur. Peur de prendre des mesures répressives symboliques. Or, quel que soit le rapport de force, ce sont toujours les forces morales qui assurent la victoire.

    Réapprendre à mourir pour vivre enfin. Réapprendre ce qui est précieux, ce qu'il faut aimer, le prix des idéaux, et les contraintes personnelles que les individus doivent tolérer pour pouvoir vivre pacifiquement ensemble, quelle que soit leur confession et entre confessions sur le territoire français. Nous sommes arrivés au stade terminal de la cécité volontaire, du déni de réalité, de la croyance dans le pouvoir des seuls mots, du refus de tirer les conséquences politiques d'une impuissance trop longtemps supportée voire encouragée.

    Le pouvoir qui prendra la sécurité des Français en main dans quelques mois aura le devoir d'oser l'impopularité, d'affronter pressions et controverses et de prendre des mesures radicales pour protéger nos concitoyens et rétablir sans équivoque ni angélisme une claire autorité de l'Etat au service des principes et valeurs incarnés par notre nation. Celui qui est encore en place pourrait, devrait engager ce processus douloureux indispensable et assumer pleinement ses erreurs et ses défaillances. Il le doit aux Français de nouveau pris pour cibles.

    A la guerre comme en amour, la peur n'évite pas le danger. Il faut assumer ce que l'on est, ce que l'on veut être. On peut résister à la tentation ou y succomber, mais en connaissance de cause. Aucune liberté ne vaut sans responsabilité.

    Caroline Galactéros (Figaro Vox, 17 juin 2016)

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  • Nice : le carnage de trop ?...

    Nous reproduisons ci-dessous une réaction de Xavier Raufer, criminologue et spécialiste du terrorisme, au massacre commis à Nice par un terroriste islamiste au volant d'un camion à l'occasion du feu d'artifice du 14 juillet.

     

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    Nice, le carnage de trop : désormais, dans les forces de police, chez nombre de magistrats, dans les services spécialisés, monte l'exaspération

     

    Après Paris, Nice. Encore 90 morts. Depuis janvier 2015, le terrorisme a tué 230 personne en France. Le pire étant qu'à ce jour, un exécutif hébété ne semble toujours pas comprendre le film - bien que les assassins soient de sempiternels voyous fanatisés, issus de l'immigration maghrébine.

    Trop peu, trop tard, trop court, bricolage bureaucratique, cérémonies lacrymales - rien de concret, de décisif. Or en stratégie, la théorie se vérifie par la pratique : si l'action antiterroriste est juste et forte, les attentats s'arrêtent, le terrorisme recule. 

    Au delà des mesurettes et tergiversations, quoi de fort à attendre de cet exécutif là, qui inverse la tendance, remonte la pente, frappe l'ennemi plus vite et fort qu'il ne nous frappe?

    Car il y a urgence : désormais, dans les forces de police, chez nombre de magistrats, dans les services spécialisés, monte l'exaspération. 

    - Premier motif : l'épuisement. Dans les unités de police, de gendarmerie et du renseignement les plus engagées, nombreux sont ceux qui n'ont pas eu un vrai week-end de repos depuis novembre dernier. Toujours sur le qui-vive, toujours sur le pont, dans une situation qui sent toujours plus l'enlisement : un gros choc, quelques semaines de folie, retour au calme. Puis choc violent à nouveau, etc. Et pas de fin en vue.

    - Plus grave encore l'impression que, derrière les coups de menton et les affirmations type "on contrôle", l'équipage discerne mal qui pilote l'avion : mesures contradictoires... saupoudrage... forcing dans la com' - mais pas de stratégie réaliste et réfléchie de riposte, et de reconquête de la paix civile.

    Colère sourde encore - mais gare à la suite : la récente explosion de rage de gendarmes du GIGN (modèles de discipline en temps ordinaire) prouve que la coupe est pleine - et peut bientôt déborder.

    D'ores et déjà, voilà les critiques et observations que l'on entend chez ces acteurs de l'antiterrorisme au quotidien :

    - Conceptuellement, le problème est simple : la France compte quelques milliers d'individus plus ou moins durablement fanatisés. Là-dedans, des bombes humaines type Merah, Kouachi, Abdesslam etc. Pour gagner la guerre contre le terrorisme islamiste, il faut, et il suffit, de déceler A TEMPS ces possibles kamikazes parmi les fanatisés - puis de les mettre hors de combat.

    - Pour cela, la France doit d'abord connaître son ennemi, l'Etat islamique. Ensuite, configurer face à lui un outil visant à le combattre et l'abattre, de Paris aux confins syro-irakiens. Or aujourd'hui, un exécutif somnambule pense encore puérilement que l'Etat islamique voudra bien se plier aux "ça va mieux" et autres "tout est sous contrôle", souvent proférés en guise de rituel de conjuration.

    - Aujourd'hui, disent les acteurs de l'antiterrorisme, nous frappons à l'aveuglette un ennemi incompris. Que veut vraiment l'Etat islamique ? Qui l'influence et lui insuffle vie ? A qui ses crimes terroristes profitent-t-il vraiment ? Cela, disent ces acteurs, nous l'ignorons quasiment.

    De même ajoutent-ils, les règles du terrorisme moyen-oriental sont incomprises de nos dirigeants. A Raqqa et alentours, que signifie un attentat pour ses commanditaires ? Quel est son sens ? Qu'est-il supposé produire comme effet ? 


    Paris, Nice : lorsqu'on est ainsi frappé, ne faudrait-il pas, au lieu de propos belliqueux lancés dans le vide, s'interroger sur le pourquoi de tels actes ? Se demander sur la queue de quel scorpion on a bien pu marcher ?

    Or ça n'est pas fait. A l'inverse, on recense des attentats passés - Charlie-Hebdo, Hyper Casher, Bataclan, etc. Puis lentement, on bâtit là dessus et à contretemps, un échafaudage antiterroriste, déjà caduc lors de sa conception.

    Opérer ainsi revient à préparer la guerre d'hier puisque d'évidence, les terroristes de frappent jamais deux fois identiquement. Fanatiques, oui, débiles, non.

    - Face à un ennemi protoplasmique, qu'il faut d'abord savoir comprendre et suivre dans sa mobilité même, la France d'aujourd'hui n'a pas d'outil antiterroriste dédié. De longue date, elle possède un service de contre-espionnage contraint, vers 1970, d'ajouter l'antiterrorisme à ses missions - ce dont il ne voulait pas. Jadis, l'auteur entendit ainsi Raymond Marcellin, ministre de l'Intérieur qui imposa l'antiterrorisme à la DST, narrer qu'il avait alors dû menacer du placard le préfet chef du service, pour le faire obéir.

    Jamais par la suite, ni la DST, ni la DCRI, ni la DGSI n'ont vraiment dominé leur sujet. Quand vers 1993, le Groupe islamique armé algérien menace puis frappe la France, le renseignement intérieur met des mois à réaliser que ce GIA n'est pas une sorte de Hezbollah algérien - ce qu'il croyait du fait que le Hezbollah était l'ennemi du coup d'avant - mais une entité terroriste toute différente.

    La France a besoin de cet outil antiterroriste nouveau, agile, proactif, jeune dans sa tête. Mais voilà : le ministre de l'Intérieur et son chef du renseignement intérieur n'en veulent pas. Refus de cet étrange tandem, où l'un joue Napoléon au pont d'Arcole tandis que l'autre s'effraie d'un loufoque danger d'ultra-droite - providentiel écho aux "moi ou le chaos" de François Hollande. Ni l'un ni l'autre n'écoutent vraiment leurs propres cadres et experts qui vivent toujours plus mal cette arrogance et cet aveuglement. Désormais - mais l'exécutif saura-t-il réagir ? - le ministre de l'Intérieur et son chef du renseignement intérieur font clairement plus partie du problème que de sa solution.

    Xavier Raufer (Atlantico, 16 juillet 2016)

     

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  • Brexit : un coup de poignard dans le dos des Etats-Unis

    Nous reproduisons ci-dessous une note d'Hajnalka Vincze, cueillie sur le site de l'Institut de Veille et d'Etude des Relations Internationales (IVRIS) et consacré à la perception très négative que les Etats-Unis ont du Brexit... Analyste indépendante en politique de défense et de sécurité, Hajnalka Vincze a travaillé pour le ministère hongrois de la défense et a fondé l'IVRIS, un réseau d'experts européens dans les questions de défense et de géostratégie.

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    Brexit : un coup de poignard dans le dos des Etats-Unis

    Au lendemain du référendum britannique, le vice-président américain, Joe Biden s’est exprimé en disant : « Nous aurions préféré un résultat différent ».[1] Quelques jours après, le Secrétaire d’Etat Kerry estime qu’il n’est toujours pas impossible de revenir en arrière.[2] En effet, au cours des six dernières décennies, l’Amérique avait fait des pieds et des mains pour obtenir, puis perpétuer la présence de son allié préféré au sein de la construction européenne. La raison en est simple. Comme l’explique l’ambassade US à Londres, « l’Union européenne est l’organisation la plus importante du monde dans laquelle l’Amérique n’a pas de place à la table ». Pour y faire entendre sa voix, il a donc besoin d’un cheval de Troie ou, en termes diplomatiques, « l’expression dans l’UE de l’approche commune américano-britannique grâce au statut de membre du Royaume-Uni ».[3] Sauf que les électeurs britanniques viennent d’opter pour la sortie…

    Pressions américaines

    Dès le départ, les Etats-Unis avaient œuvré sans relâche pour que Londres se joigne à l’Europe alors en pleine formation. Lorsque les Britanniques ont refusé de participer aux négociations sur la CECA (Communauté européennes du charbon et de l’acier) des voix se sont même élevées au Congrès pour les menacer d’exclusion des aides du plan Marshall. Mais ce n’est que dix ans plus tard que le gouvernement britannique a fini par se résigner à ce que le Premier ministre Harold Macmillan appelait alors « le sinistre choix ».

    Lorsqu’il pose la candidature de son pays pour se joindre à ce qui était devenu entre-temps le CEE (Communauté économique européenne, ou Marché commun), sa décision n’est pas sans rapport avec les injonctions venues de l’autre côté de l’Atlantique et relayées de façon insistante par le diplomate US George Ball, co-auteur du plan Schuman, et futur Secrétaire d’Etat adjoint. « Les Etats-Unis sont fortement investis dans le succès des négociations », répète, à longueur de télégrammes, l’ambassadeur britannique à Washington.

    Pour David Ormsby-Gore, il n’y a pas de doute : « si nous décidions de rester en dehors du Marché commun, la réaction à laquelle nous devrions nous attendre aux Etats-Unis serait, au minimum, la perplexité et une neutralité peu serviable vis-à-vis des conséquences de notre décision. » Et il y ajoute cette phrase qui n’est pas sans lien avec la situation post-référendum : Washington « n’accepterait sans doute pas un échec comme définitif et leurs ingénieurs de sauvetage seraient vite sur le site de l’épave ».[4]

    C’est d’ailleurs exactement ce qui s’est passé après le premier veto opposé par le général de Gaulle à l’entrée de la Grande-Bretagne, un veto destiné à empêcher que la CEE ne se transforme en « une communauté atlantique colossale, sous dépendance et direction américaines, et qui aurait tôt fait d'absorber la Communauté européenne »[5]. Trois ans plus tard, le président Johnson revient à la charge. Il explique au nouveau Premier ministre Harold Wilson, d’abord anti-intégrationniste, que « Votre entrée aidera certainement à renforcer l’Occident » et que les Etats-Unis « feront tout pour faciliter votre adhésion ».[6]

    Cinquante ans après, l’administration US est tout aussi mobilisée, cette fois-ci pour éviter la sortie des Britanniques de l’Union européenne. Après avoir estimé, dès 2015, que la présence du Royaume-Uni dans l’UE « nous donne beaucoup plus de confiance dans l’Union transatlantique »,[7] le président Obama s’est invité dans la dernière ligne droite de la campagne du référendum sur le Brexit. En visite à Londres, il a mis en garde les partisans de la sortie qu’avec un départ de l’UE, le UK se retrouverait tout au bout de la file d’attente pour la négociation des traités de libre-échange.[8] 

    Dans une tribune dans The Telegraph, le président américain a expliqué que « les Etats-Unis portent un profond intérêt au résultat de la décision » des Britanniques. Il a évoqué les liens étroits qui unissent les deux pays et dont témoignent, a-t-il tenu à préciser, « les dizaines de milliers d’Américains qui reposent dans les cimetières en Europe ». En s’adressant aux électeurs britanniques, le président américain a souligné que « votre voix puissante en Europe garantit que l’UE reste ouverte et étroitement liée aux alliés de l’autre côté de l’Atlantique ». L’Amérique souhaite donc « que votre influence continue au sein de l’UE ».[9] Car votre influence c’est, au final, la nôtre, aurait-il pu ajouter.

    L’entrisme anglo-saxon

    Avant même son lancement, la construction européenne suscitait, à Washington, une approche fort ambivalente. Un rapport du Département d’Etat, daté de 1943, l'a clairement dit : « Pour nos intérêts économiques à long terme, une union européenne pourra être soit une très très bonne chose soit horrible ».[10] A mesure que la puissance économique de l’Europe s’accroît et que de timides velléités politiques apparaissent, cette ambivalence initiale se transforme en une méfiance grandissante vis-à-vis du projet. Le « grand sage » de la diplomatie US, Zbigniew Brezinski, en a conclu au début des années 2000 : « Une Europe politiquement forte, capable de rivaliser en matière économique, et qui ne serait plus militairement dépendante des Etats-Unis, remettrait inévitablement en cause la suprématie américaine et confinerait la sphère de la prédominance des USA grosso modo à la région du Pacifique. »[11]

    Pour contrer une telle évolution, Washington avaient tôt identifié deux fronts. Sur le plan économique, l’Europe devait rester grand ouverte et sans même la trace d’un quelconque protectionnisme, a fortiori dans les secteurs stratégiques et/ou d’un intérêt particulier pour l’Amérique. Dans le domaine militaire, l’Alliance atlantique devait, elle, perpétuer la dépendance des Européens par rapport aux Etats-Unis. Les deux aspects sont d’ailleurs intimement liés. Comme le président Nixon l’a très clairement expliqué : « Les Européens ne peuvent pas d’un côté bénéficier de la participation et de la coopération des Etats-Unis sur le front sécuritaire et, de l’autre, développer une attitude de confrontation, voire d’hostilité sur les fronts économiques et politiques ».[12]

    Le rôle dévolu aux Britanniques a toujours été d’assurer que, sur ces deux fronts, la CEE, puis l’Union européenne, se développe dans un sens conforme à la vision et aux intérêts de l’Amérique. D’où leurs efforts infatigables, et largement réussis, pour rendre l’Europe à la fois économiquement ultralibérale et dépourvue de dimension militaire proprement dite. Qu’ils le fassent par conviction ou en raison de leur dépendance excessive (laquelle les conduit à intérioriser les priorités US)[13], le résultat est le même : l’activisme du Royaume-Uni en Europe sert d’abord et avant tout les intérêts américains (et bien souvent contre les intérêts britanniques eux-mêmes)[14].

    L’exemple de l’élargissement de l’UE illustre à merveille cette approche suicidaire. Après la fin de la guerre froide, de réelles avancées stratégiques étaient enfin devenues une vraie option pour l’Europe. Sur les deux fronts, militaire et économique, la perspective d’importants changements se profilait à l’horizon. Pour éviter un tel mouvement vers l’approfondissement de l’Union, le Royaume-Uni a tout fait pour diluer celle-ci par le biais du « grand élargissement » (aux pays de l’Europe de l’Est, atlantistes et libéraux), dont il s’est fait le champion. On vient d’en constater le résultat, à l’issue du référendum…[15]

    Quant aux deux aspects fondamentaux du point de vue de l'Amérique, Londres a tout fait pour entraîner l'ensemble de l'UE dans la direction prescrite. Sur le plan économique, il a toujours affiché sa préférence pour une Europe-supermarché, dépourvue de véritables politiques, et ses initiatives visaient prioritairement à mettre en place un grand marché commun transatlantique. Il s'y emploie avec tant de zèle que même l’ancien chef d’orchestre des tentatives précédentes, l’ex-Commissaire européen Sir Leon Brittan, s’est exprimé avec un brin d’ironie quand il parlait du Royaume-Uni comme étant « le cheerleader le plus enthousiaste » du TTIP, l’actuel projet de traité de libre-échange.[16]

    D’après le Service de recherches du Congrès des Etats-Unis, « les responsables américains craignent qu’un Brexit ne conduise en Europe à une influence américaine réduite et à une UE moins libre-échangiste ». Ils y ajoutent à chaque fois la peur de la voir devenir, en matière de sécurité et de défense, un partenaire « moins fiable ».[17] A leurs yeux, un partenaire fiable, c’est une UE qui respecte la primauté de l’Alliance atlantique et qui se cantonne soit à de sympathiques missions civiles, soit à des opérations de petite envergure, pré-approuvées par l’OTAN/l’Amérique. Jusqu’ici, le Royaume-Uni a toujours été là pour faire en sorte que, à chaque nouvelle initiative européenne, cela soit effectivement le cas.[18]

    Impact du Brexit

    En 1964, l’ambassadeur britannique auprès des Communautés avait estimé que « si l’unité européenne se poursuit sur la base des seuls Six », la CEE et les Etats-Unis « pourraient se diriger vers la rupture ». L’ancienne secrétaire d’Etat du président Bush, Mme Condoleezza Rice s’est récemment exprimée à une conférence de Chatham House, en disant que « C’est une Europe très différente si c’est une Europe continentale ».[19] Comme on vient de le voir, les craintes US portent, à l’époque comme aujourd’hui, sur les conséquences à attendre dans les domaines militaire et économique. 

    Sur le plan commercial, avec le Brexit, le TTIP (le traité transatlantique de libre-échange en négociation en ce moment) perdra son plus fervent partisan. Plus généralement, en l’absence du Royaume-Uni, les Allemands pourraient être « contraints à travailler plus étroitement avec les Français » et « devenir moins libre-échangistes » eux aussi, comme cela a été souligné, il y a 4 ans déjà, lors d’une audition du Parlement britannique.[20] De là, il n’y aurait qu’un pas vers la mise en place d’une sorte de préférence européenne.[21] Or les Etats-Unis, tout en pratiquant une politique protectionniste pour leurs propres produits, se sont toujours catégoriquement opposés à ce que l’Europe fasse de même.[22]

    L’autre série de craintes anglo-américaines concernent l’évolution, post-Brexit, de la défense européenne. Comme l’a indiqué un rapport récent du Parlement britannique « La Grande-Bretagne, si elle reste dans l’UE et qu’elle continue sa politique actuelle, empêche la création d’une identité de défense forte de l’UE, en s’opposant par exemple à la mise en place d’un quartier général militaire opérationnel. Il est donc possible que le Brexit et l’absence du veto britannique débloque l’UE pour qu’elle poursuive une politique de défense commune plus unie et plus efficace. » Or une telle évolution pourrait conduire à un découplage UE-OTAN et à une Europe qui adopte, sur le dossier russe par exemple, une position indépendante…[23]

    Hélas, on n’en est pas encore là. Au cours des dernières décennies, et en particulier après le grand élargissement, l’UE dans son ensemble a été largement façonnée à l’image de la Grande-Bretagne : servilement pro-Américaine et farouchement ultralibérale. La nouvelle donne va obliger les pays fondateurs d’annoncer la couleur. Avec Londres écarté du jeu, ce sera l’occasion pour voir si c’est vraiment le seul Royaume-Uni qui fut à l’origine des multiples dérives et des blocages. Ou si les autres ont simplement profité de sa présence et de son activisme pour dissimuler leurs propres choix.

    Quoi qu’il en soit, une chose est certaine : les « ingénieurs de sauvetage » américains vont activer tous leurs relais et leviers britanniques et européens pour que, au final, le Brexit ne se réalise pas. Peu importe qu’il s’agisse d’une ingérence flagrante dans les affaires intérieures de l’UE et de la Grande-Bretagne. En dépit de la voix des urnes et de la fermeté des premières réactions européennes, les Etats-Unis ne sont pas près d’accepter cette débâcle… et ils le font savoir. Interrogé sur la possibilité de revenir sur le vote, John Kerry s’est exprimé en ces termes : « il y a un certain nombre de moyens. Je ne veux pas, en tant que secrétaire d’Etat, les exposer aujourd’hui. Je pense que ce serait une erreur. Mais il y a des moyens ». [24] Vu l’enjeu, il semble plus que probable que l’Amérique compte bien les mettre tous en œuvre.

    Hajnalka Vincze (Iveris, 2 juillet 2016)

     

    Notes

    [1] “U.S. would have preferred a different Brexit outcome – Biden”, Reuters, 24 juin 2016.
    [2] “John Kerry: Brexit could be 'walked back'”, The Guardian, 29 juin 2016.
    [3] Government foreign policy towards the United States, Eighth Report of Session 2013–14, 25 mars 2014.
    [4] John Dulbrell, A Special Relationship, Anglo-American Relations in the Cold War and After, Palgrave Macmillan, 2001, pp 178-179.
    [5] Conférence de presse du 14 janvier 1963. 
    [6] Le Général y a opposé un deuxième veto en novembre 1967, il aura fallu attendre son départ du pouvoir pour que le Royaume-Uni puisse entrer dans la CEE en 1973.
    [7] “Britain needs to stay in EU to support transatlantic ties”, Obama says, Reuters, 24 juillet 2015.
    [8] “Barack Obama says Brexit would leave UK at the 'back of the queue' on trade”, BBC News, 22 avril 2016.
    [9] Barack Obama: As your friend, let me say that the EU makes Britain even greater, The Telegraph, 23 avril 2016.
    [10] Cité dans Pascaline Winand, Eisenhower, Kennedy and the United States of Europe, 1993, p1.
    [11] Zbigniew Brzezinski, The Choice: Global Domination or Global Leadership, 2004.
    [12] Richard Nixon, 15 mars 1974. In Public Papers of the Presidents of the United States: Richard M. Nixon, 1974, p276.
    [13] Voir Petites perles de la relation (très) spéciale UK-USA, par Hajnalka Vincze, Theatrum Belli, 4 octobre 2014.
    [14] Un épisode édifiant est celui d’un contrat saoudien de 6 milliards de dollars passé au rival américain Boeing suite à des informations fournies aux USA par Londres, alors même que le gouvernement britannique était actionnaire d’Airbus à l’époque. Rapport du Parlement européen sur l'existence d'un système d'interception mondial des communications privées et économiques (système d'interception ECHELON), 11 juillet 2001 (A5-0264/2001).
    [15] Fidèle à son rôle de champion de l’élargissement, le Royaume-Uni fut l’un des seuls pays à ne pas imposer de mesures transitoires pour les travailleurs des 8 nouveaux Etats membres de 2004, qui y sont donc allés en masse (plus de 30 fois les estimations initiales, jusqu’à 600 000 en seulement deux ans et demi). Vu l’importance qu’a prise la question des immigrés européens dans la campagne du référendum, il ne fait guère de doute que le vote pour le Brexit est, en partie, la conséquence de cette politique.
    [16] Audition de Lord Brittan à la Commission des affaires européennes du Parlement britannique, 10 octobre 2013.
    [17] Derek E. Mix, The United Kingdom: Background and Relations with the United States, CRS report, 29 avril 2015; The United Kingdom and the European Union: Stay or Go?, CRS Insight, 20 juin 2016; United Kingdom Votes to Leave the European Union, CRS Insight, 24 juin 2016.
    [18] Voir, à ce sujet, L’Europe de la défense, éternelle pomme de la discorde entre la France et le Royaume-Uni, par Hajnalka Vincze, 31 janvier 2014.
    [19] Condoleezza Rice, Renewing the Transatlantic Alliance, Chatham House, 29 octobre 2015.
    [20] Audition de Charles Grant, directeur du Centre for European Reform, à la Commission des affaires étrangères du Parlement britannique, 10 juillet 2012.
    [21] Hajnalka Vincze, Europe européenne ou Europe atlantique : une question de «préférence»…, La Lettre Sentinel n°47, octobre 2007.
    [22] Nicole Bricq : « Les États-Unis sont très protectionnistes », entretien d’Anne Cheyvialle avec la ministre du commerce extérieur, Le Figaro, 5 octobre 2013
    [23] House of Commons Foreign Affairs Committee, Implications of the referendum on EU membership for the UK’s role in the world, Fifth Report of Session 2015–16, 26 avril 2016, p28.
    [24] John Kerry estime que le Brexit pourrait ne jamais se réaliser, AFP, 29 juin 2016.

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