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Points de vue - Page 133

  • Une justice au service du pouvoir ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Régis de Castelnau, cueilli sur son blog Vu du droit et consacré à la condamnation de trois responsables de Génération Identitaire à la suite de leur action contre l'immigration clandestine à la frontière franco-italienne. Régis de Castelnau est avocat.

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    Col de l’Échelle : une justice politique

    La décision rendue par le tribunal correctionnel de Gap à l’encontre de trois militants de « génération identitaire » est un pur et simple scandale judiciaire, juridique, et démocratique. Le fonctionnement de l’appareil judiciaire depuis l’arrivée de François Hollande au pouvoir ne peut que susciter la consternation de quiconque est attaché aux libertés publiques fondamentales.

    Nous avons fréquemment soulevé ici ces dérives et cette connivence idéologique, sociologique et politique avec le pouvoir une magistrature qui n’a plus besoin de recevoir d’ordres, pour se mettre spontanément à son service. Mais cette fois-ci, il se trouve que ce jugement incompréhensible tant en ce qui concerne la manipulation du droit que la sévérité sidérante des sanctions, s’est télescopé avec l’annonce de l’annulation par la Cour de cassation de la condamnation d’un trafiquant d’êtres humains et la tragédie de Villeurbanne où un demandeur d’asile afghan a tué un jeune homme à coup de couteau et blessé six autres personnes parce que ses victimes « ne lisaient pas le Coran ». Dans l’affaire dite du « Col de l’Échelle », les magistrats qui ont joué à ce petit jeu mesurent-ils à quel point leurs manipulations et leur partialité politique, disqualifient l’institution judiciaire, et mettent l’opinion publique majoritaire en rage ?

    De quoi s’agit-il ? Les militants d’un groupuscule d’extrême droite appelé « génération identitaire » ont décidé l’organisation d’une manifestation à la frontière franco-italienne au lieu-dit « Col de l’Échelle » pour protester contre ce qu’ils qualifient de laxisme dans le contrôle de l’immigration clandestine empruntant le passage en France par les Alpes. On peut ne pas partager cette analyse, et même la contester, ne pas avoir la moindre sympathie pour le groupuscule et ses orientations, mais on rappellera que la liberté de manifestation est jusqu’à nouvel ordre une liberté fondamentale et un droit constitutionnel. Deux ou trois cent personnes se sont donc rendues sur le site, y ont déployé quelques banderoles, scandé force slogans, la manifestation se terminant sans violence ni dégradation.

    Les antifascistes de pacotille, ceux dont l’engagement est comme le dit Christophe Guilluy un signe extérieur de richesse, ont poussé des hurlements. Dont les échos, arrivés dans les enceintes judiciaires ont été reçus par quelques oreilles complaisantes. Leurs propriétaires se demandant comment faire pour empêcher le retour des heures sombres et terrasser la bête immonde.

    Premier problème il n’y avait à l’évidence aucune infraction justifiant des poursuites pénales, ce qu’un premier classement sans suite avait été contraint de constater. Ah oui mais non, des magistrats oublieux qu’ils sont là pour rendre la justice et non pas pour faire valoir leurs engagements politiques, se sont dit qu’en grattant un peu c’était bien le diable si on ne trouvait pas quelque chose. En regardant bien les photos de la manifestation paisible, on pouvait constater que les 200 participants portaient, probablement pour éviter la fraîcheur montagnarde, des anoraks tous de la même couleur, un bleu ciel pâle. Eurêka ! Pourquoi ne pas utiliser le port illégal d’uniformes ? Ah non, faisons plus fort, allons carrément sur « l’usurpation de fonctions » celle de l’article 433–13 du code pénal. On a donc considéré que ces jeunes gens avaient décidé de se faire passer pour des douaniers qui contrôlaient les passages aux frontières. Le simple examen des photos, le caractère à la fois public et pacifique de la manifestation démontre l’inanité de cette incrimination. Rappelons que c’est celle qui a été utilisée pour Alexandre Benalla portant un casque de policier et affublé d’un brassard lors de ses rodéos du 1er mai 2018 (À propos comment va-t-il Alexandre Benalla, la vie est belle ? Le business ? L’argent ça va ? Et l’instruction, toujours paisible ?)

     Au tribunal de Gap, cette manipulation n’a gêné personne, au contraire. Le procureur a pris des réquisitions invraisemblables de sévérité. Il a été suivi au millimètre par la collégialité qui a prononcé une décision qui se caractérise par une violence tous azimuts. D’abord six mois de prison ferme pour trois dirigeants du groupuscule, quand on connaît la jurisprudence habituelle des tribunaux français, il y a de quoi être estomaqué. Ensuite l’ampleur des peines d’amende, histoire de ruiner les militants et leur organisation puisque l’association « génération identitaire » a été condamnée en tant que personne morale à 75 000 € d’amende (!) pour avoir organisé l’abominable pogrom. Enfin le maximum de privation des droits civiques, c’est-à-dire d’éligibilité et de droit de vote, pendant cinq ans ! Dites donc Monsieur Macron lorsque vous dites à Vladimir Poutine qu’en France les opposants ont le droit de se présenter aux élections, vous racontez n’importe quoi, vos magistrats ne sont pas d’accord.

    Soyons clair, cette décision est un véritable scandale judiciaire, sa partialité politique étant plus qu’une évidence, tant en ce qui concerne l’incrimination choisie, le déroulement de la procédure et la décision elle-même. Les magistrats ont le droit d’avoir des opinions politiques, mais celles-ci ne doivent en aucun cas être à l’origine de leurs décisions. Celle du tribunal correctionnel de Gap est une décision militante, et il est quand même déplorable qu’il faille rappeler que juger ou militer, il faut choisir. Et qu’un jugement rendu au nom du peuple français ne doit pas prendre la forme d’un tract politique.

    Aussi, on peut légitimement être inquiet, lorsque l’on entend les organisations syndicales de magistrats psalmodier le mantra de l’indépendance de la justice, pour ne voir aucun inconvénient à ce qu’elle devienne au contraire de sa vocation, l’outil de la partialité politique.

    Et ce d’autant que la triste affaire du « mur des cons » avait été l’occasion pour les mêmes de théoriser une partialité désormais revendiquée : « Une fois de plus, cette affaire va servir à défendre une conception abstraite et surannée de l’impartialité du juge. »

    On rappellera également la magouille initiée par Christiane Taubira alors Garde des Sceaux (!) pour faire condamner par le tribunal correctionnel de Cayenne en Guyane une militante du FN habitant dans les Ardennes, à neuf mois de prison ferme pour la publication pendant quelques jours sur Facebook d’une photo insultante. La décision déshonorante foulait aux pieds tous les principes du droit pénal et du débat contradictoire. Ce scandale qui aurait justifié la démission immédiate de Taubira et la saisine du Conseil Supérieur de la Magistrature n’a jamais eu la moindre suite, évidemment. Et plus récemment encore le déroulement de l’audience et la condamnation excessive dont a été l’objet Esteban Morillo, jugé non pas pour ce qu’il avait fait mais pour les idées qui furent les siennes quelques années auparavant.

    Ce qui est très grave dans cette affaire, au-delà de cette politisation militante de certains magistrats dans l’exercice de leurs fonctions, c’est que ce genre de décisions est l’occasion de porter atteinte aux libertés fondamentales., et en la circonstance celle de manifestation. Et il est tout à fait lamentable de voir les petits-bourgeois « de gauche », ceux que Jean-Claude Michéa appelle « la gauche du Capital » rejouer no pasaran et applaudir à tout rompre. Témoignant que l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques ne leur pose aucun problème. Jusqu’au jour où c’est sur eux que ça tombera, comme l’a montré la mésaventure de Jean-Luc Mélenchon, se réjouissant plutôt des rodéos judiciaires contre François Fillon et Marine Le Pen avant que cela ne lui tombe sur la figure. Souvenons nous de ce que disait le pasteur Niemoller.

    Une justice au service du pouvoir exécutif dans la répression de masse des gilets jaunes, une justice protégeant l’entourage du pouvoir en lui épargnant le souci de procédures pénales pourtant méritées, une justice revendiquant sa partialité politique, comment en est-on arrivé là ?

    Régis de Castelnau (Vu du droit, 2 septembre 2019)

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  • Réinformation ?...

    Nous vous livrons ci-dessous une chronique d'humeur de Xavier Eman, cueillie sur son blog A moy que chault ! et consacrée à la nécessité de la réflexion critique y compris lorsqu'elle porte sur "notre" camp...  Animateur du site d'information Paris Vox , rédacteur en chef de la revue Livr'arbitres et collaborateur de la revue Éléments, Xavier Eman est l'auteur d'un recueil de chroniques intitulé Une fin du monde sans importance (Krisis, 2016) et d'un polar, Terminus pour le Hussard (Auda Isarn, 2019).

     

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    Réinformation ?

    Lorsque, il y a maintenant pas mal d’années, j’ai commencé à travailler sur divers supports de « réinformation », on m’a fort justement expliqué que celle-ci ne devait pas être une « désinformation inversée »,  ni le « négatif » de la propagande officielle, pas plus qu’une  volonté d’afficher une illusoire et tarfuffe «neutralité» mais la recherche d’une permanente « honnêteté », une volonté  d’« exactitude » dans le traitement de l’information, l’application d’un sourcilleux sens critique ainsi que l’art de la prise de distance et de la mise en perspectives. Or il s’avère que si ce louable programme est relativement aisé à mettre en place pour traiter des informations  venant de "l’adversaire", il est beaucoup plus ardu à appliquer – et beaucoup moins bien accepté – dès lors qu’il s’agit de se pencher sur les faits, propos et gestes « de notre camp » (concept d’ailleurs très flou  dont certains ont une acceptation très extensive…).

    En effet, dès que c’est « de chez nous », plus de place pour la réflexion, l’analyse des faits, les constats objectifs, seuls sont tolérés l’acclamation enthousiaste, le soutien aveugle, la louange enamourée,  la défense hargneuse, becs et ongles, mensonges et omissions à l’appui s’il le faut. Toute critique devient une trahison,  tout bémol un crime de lèse-majesté et le travail habituellement tant vantée de « réinformation » devient une œuvre de « dénigrement », odieusement « pessimiste » et décourageante. Tenter d'introduire de l’intelligence et de la mesure, c’est saper la cause ! Car comme jadis il ne fallait pas désespérer Billancourt, aujourd’hui il ne faut pas déranger la quiétude béate du « patriote » ! Car le "patriote" se moque bien des idées, il veut des slogans, il se contrefout des faits tant qu’il a de beaux discours, il ne lit pas les programmes puisque qu’il ne veut qu’applaudir des idoles… A ce titre les figures de Matteo Salvini et Marion maréchal sont archétypales.  Egarez-vous à tenter une analyse  froide et factuelle de ces deux phénomènes et vous serez bien vite rattrapé par la patrouille des godillots et des fanatiques à front bas ! D’ailleurs pourquoi vouloir s’intéresser ainsi à la réalité ? Vous n’êtes qu’un triste sire, nourri par l’aigreur et le ressentiment, qui n’a pour seul but que de doucher les exaltations du bon peuple de droite ! Salaud ! Crevure ! Nul doute que vous serez en bonne place sur la liste des tondus de la future (et imminente !) grande libération libérale-conservatrice !

    Peu importe, par exemple, qu’il n’y ait jamais eu autant d’immigrés en Italie qu’aujourd’hui, que l’on confonde le nombre d’arrivées en bateau et le nombre global d’arrivées d’immigrés (qui, surprise !, viennent parfois par d’autres voies ! Comme en France par exemple…), que l’on soit en train de sacrifier les réformes sociales au profit d’un rapprochement avec la droite affairiste… tout cela ne compte pas, n’a aucun intérêt, la seule chose qui compte c’est que le « personnage médiatique » du ministre de l’intérieur italien nous plaise et nous excite.  Il irrite les chroniqueurs de Libération, cela nous suffit bien. Il est des nôôôôtres, il a été traité de facho comme les auuuutres ! 

    Pourtant il ne s'agit nullement de diffamer ni "d'attaquer" Matteo Salvini, sympathique et courageux à bien des égards, mais simplement de se pencher sur l'application concrète (ou non) de ses promesses de campagne, sur ses forces et ses faiblesses, de jauger l'efficience de sa politique, d'interroger sa marge de manoeuvre vis à vis de l'UE et de ses partenaires européens, ses évolutions, ses changements de stratégie...  Toutes choses non seulement utiles mais indispensables à une véritable pensée - et donc action - politique. Mais non! Tout cela est de la branlette, de l'enculage de mouche, du mauvais esprit et au final du sabotage pour tous nos vaillants sectateurs de l'homme providentiel, les adeptes de la divine surprise, les adorateurs de la nouvelle Jeanne d'Arc ou du sauveur étranger qu'il faut suivre comme un seule homme, sans discuter ni poser de question. 

    Or ce militantisme  à la fois borné et exacerbé, extrémisé, hystérisé, allergique aussi bien à l’analyse qu’à la nuance, n’a rien de « radical ». Tout au contraire. Il se contente de patauger joyeusement dans l’écume médiatique alors que pour prétendre influer sur le réel, il faut d’abord accepter de s’y confronter, et ce dans toutes ses dimensions, pas seulement celles qui nous « conviennent », qui flattent nos egos ou entretiennent nos illusions.

    Xavier Eman (A moy que chault, 23 août 2019)

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  • Amazonie, Iran, GAFA : quand Macron fait du bruit pour masquer son impuissance...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros cueilli sur Marianne et consacré aux "exploits" diplomatiques d'Emmanuel Macron à l'occasion de la réunion du G7 à Biarritz. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et intervient régulièrement dans les médias. Elle a créé récemment, avec Hervé Juvin entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

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    Amazonie, Iran, GAFA… Macron fait du bruit pour masquer son impuissance

    « No comment ». Il est des « coups de théâtre » dont on se demande s’ils visent à masquer une tragédie indépassable, ou à relancer l’intrigue d’une comédie humaine désespérément convenue. « No comment » donc. C’est ainsi que le président américain a rétorqué au coup d’éclat fomenté secrètement par Emmanuel Macron, hôte du sommet du G7, consistant à faire venir – confiné pour un entretien bilatéral dans une petite salle municipale en marge de l’Hôtel du Palais -, le ministre des affaires étrangères iranien, le subtil Jawad Sharif.

    Coup de théâtre ou coup d'épée dans l'eau ?

    Qu’espérait notre Président de cette initiative ? La tient-il pour un succès ? Personnel, collectif ? Pouvait-il sérieusement croire que cela suffirait à replacer la France au cœur du dossier iranien et lui donner une posture dynamique et même offensive ? Le Président américain aurait « admis » in extremis l’invité surprise sulfureux. Mais enfin, depuis quand un président américain a-t-il son mot à dire sur les autres invités de l’hôte d’un sommet en territoire souverain ? Cette rodomontade présidentielle était brillante. Elle masque mal la réalité d’une docilité rémanente qui nous efface jour après jour de la scène du monde, malgré une geste créative. Nous désobéissons timidement et sans conséquences in fine.

    Pour trancher et faire bouger vraiment les lignes, il eut mieux valu, voici plus d’un an, au lieu de nous coucher devant l’oukase américain dans des circonvolutions sémantiques lamentables, dire à Donald Trump que la France était et resterait pleinement satisfaite de l’Accord en l’état, qu’aucune pression ne la convaincrait d’en étendre la portée aux vecteurs balistiques, de le renégocier ou lui substituer un nouvel accord pour complaire aux exigences sans fin de Washington qui cherche l’affrontement avec Téhéran comme on cherche l’eau dans le désert.

    Il eut aussi fallu se placer en soutien politique résolu de nos entreprises présentes en Iran (notamment de Total qui s’est retiré au profit de Pékin d’un gigantesque projet) au lieu de les laisser seules, donc rapidement inquiètes devant le spectre de sanctions extraterritoriales américaines si elles avaient l’aplomb de demeurer à pied d’œuvre dans le pays pour permettre à l’Iran de survivre et d’espérer un jour renaitre autrement que sous le joug avant la coupe réglée. On me rétorquera que la pression est trop forte, les amendes potentielles trop insoutenables pour nos banques… Mais pourquoi les payer ? Au nom de quoi tolérer un tel chantage ? Au nom de notre alliance avec Washington ? Traite-t-on ainsi ses alliés ? Non. Ses vassaux dont on ne craint rien, oui.

    Quand bien même Donald Trump se serait affranchi à Biarritz, dans un éclair d’autonomie de pensée, de la nécessité d’enrichir les marchands d’armes des « swing states » qui tiennent sa réélection entre leurs mains, et aurait saisi l’occasion de cette « apparition » pour tendre la main à l’Iranien et amorcer un dialogue minimal, Zharif l’outragé s’y serait refusé. Il a ses ordres, ceux du Guide suprême Khamenei, qui l’a autorisé à prendre l’avion pour voir ce que le Français a dans le ventre et oserait éventuellement proposer, certainement pas pour parler au « grand Satan ». Il n’y a plus rien à négocier. Téhéran a gagné la dernière manche de l’affrontement dans le détroit d’Ormuz, mais ce n’est qu’une bataille dans une guerre ouverte ou indirecte, qui sera longue et vicieuse et se jouera sur de multiples fronts. Une guerre pour la souveraineté, l’honneur, la survie économique et l’influence régionale dans le cas iranien ; une guerre pour la déstabilisation d’un régime afin de mettre la main sur son juteux marché pour Washington. Dans cette perspective américaine, Moscou doit être convaincu de son intérêt à lâcher Téhéran en Syrie, et Pékin doit finir par voir le sien dans l’achat de pétrole américain et non plus iranien ou russe pour nourrir sa croissance. C’est là le véritable arrière-fond de la guerre commerciale actuelle comme de l’attitude américaine ambivalente face à Moscou en Syrie.

    Ogre américain

    Revenons donc aux fondamentaux. En Amérique, le besoin d’ennemi est insatiable, structurel, vital. C’est le moteur de l’économie américaine. Au nom de la paix mondiale, du progrès et de la démocratie de marché naturellement. Dès qu’un ennemi disparait, un autre doit être désigné et se dresser, diabolisé, pour nourrir le monstre du complexe militaro-industriel qui vit de, par et pour la guerre ! Le Président Eisenhower lui-même s’était en son temps alarmé de cette puissance vampirique et destructrice de tout apaisement durable.

    Bilan du Sommet : « L’Iran ne doit jamais avoir l’arme nucléaire et cette situation ne doit pas menacer la stabilité de la région » conclut notre Président, qui se dit « convaincu qu’un accord pourra être trouvé si le président iranien rencontre le président américain ». On se pince. Qui menace la sécurité de la région ? Qui cherche à déstabiliser l’Iran, l’asphyxie de sanctions, a dénoncé unilatéralement un accord déjà très douloureux pour Téhéran mais qu’il respectait à la lettre ?

    Nous n’avons donc rien gagné à Biarritz, sauf peut-être d’y avoir inclus l’enjeu climatique autour du drame amazonien comme nécessaire sujet de discussion… mais d’aucun accord. Quoi qu’il en soit, le climat, aussi fondamentale et urgente que soit sa prise en compte dans les politiques des grands États, n’est qu’un leurre qui masque notre impuissance et notre désaccord sur tous les autres dossiers qui comptent, ceux de l’affrontement infantile entre puissances belliqueuses, ceux du multilatéralisme en miettes, ceux de l’introuvable gouvernance mondiale. Ah oui ! Il y a la taxation française des GAFA…. Qui elle aussi sera bientôt réduite et dénaturée à la sauce OCDE.

    Cerise sur le gâteau, c’est encore Trump et non Macron qui a eu l’habileté, en amont du sommet, d’appeler haut et fort à la réintégration de la Russie au sein du G7. Notre président aurait pu très facilement en prendre l’initiative, recevant son homologue russe à Brégançon, au lieu de sembler marcher sur des œufs face à Vladimir Poutine désabusé et narquois pour satisfaire les néoconservateurs et les atlantistes forcenés qui l’environnement et le brident. Ses élans pragmatiques, ses intuitions réalistes, ses initiatives à hauteur de France retombent systématiquement dans le vide, démentis, dévoyés ou réduits à des mots sans lendemain par ceux qui devraient juste mettre en œuvre sa pensée et sa vision au lieu de saper sa crédibilité face à ses interlocuteurs. En politique étrangère, la constance et la fiabilité sont des vertus cardinales si l’on prétend avoir une vision et une ambition nationales. Bref, le président français semble presque aussi prisonnier de son entourage que Trump du sien. Et c’est la logique de l’affrontement infantile qui gagne à ce double enchainement.

    Tout ça pour finir par tenir une conférence de presse de clôture avec le président américain ! Comme pour s’excuser de l’audace du « vrai-faux » invité surprise. Comme si les autres chefs d’État étaient ravalés au rang de figurants, comme si l’Occident rentrait dans le rang et avait retrouvé son père tonitruant et brutal dont on aime les coups, comme si la France était fière de juste passer les plats. Cela rappelle les « Accords de Rambouillet » en 1999, prélude manipulé à la curée lancée contre la Serbie récalcitrante. Un mauvais souvenir… Celui d’un renoncement à réfléchir et décider seuls. Nous étions en cuisine déjà. Il n’existe pas de relation stratégique privilégiée entre Paris et Washington. C’est l’écart, la sortie du rang déterminée, non la servilité qui peut la faire naitre. De la posture à la stature, il y a le courage et la cohérence. Ce sont ces invités surprise-là que l’on attend pour enfin faire la différence.

    Pour le reste, sans la Russie, sans la Chine et sans l’Inde, le G7 n’a plus qu’une représentativité résiduelle. Il est complètement décalé par rapport aux nouveaux rapports de force du monde. Il fait figure de vieux club poussiéreux de ronchons déphasés qui jouent au bridge tandis que la vraie partie se joue ailleurs et sans eux, dans un gigantesque jeu de go. Vladimir Poutine l’a d’ailleurs cruellement rappelé à Brégançon. Certes, l’Occident a de beaux restes. Asinus asinum fricat. Entre Boris Johnson, désormais sans équivoque aux ordres de Washington et salivant à l’idée des retombées commerciales qu’il en attend pour une Grande-Bretagne débarrassée de l’Europe technocrate, Jair Bolsonaro – hors club mais qui éructe sa grossièreté brouillonne envers Paris, Angela Merkel qui compte les jours la séparant d’une sortie de ce panier de crabes ingrats, et les autres qui font de la figuration dans cet aréopage de carpes et de lapins, Paris va devoir changer de niveau.

    Et surtout réfléchir au fond. Des actes, du courage enfin ! Un changement de pied radical sur les dossiers syrien et yéménite (il n’y aura pas un mot à Biarritz sur cette atroce guerre pour rien !), de l’audace sur l’Iran, les sanctions russes et les accords de Minsk. Voilà l’occasion d’être « disruptif » pour de bon. Sur tous ces dossiers, nous avons d’évidentes positions à prendre pour faire bouger les lignes dans le bon sens et nous rendre enfin de nouveau utiles. Vue l’aboulie des Européens sur tous ces sujets, faire la différence n’est pas difficile. L’heure est grave pour la France. Il faut se réveiller et sortir de la politique spectacle. Je ne peux croire que notre président préfère la fausse lumière des idéalités qui s’abiment dans un réel sanglant à la chaleur d’une politique moins cynique, plus humaine et enfin efficace.

    Caroline Galactéros (Marianne, 27 août 2019)

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  • Greta divina ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte de François Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et consacré aux ressorts du succès de l'opération "Greta Thunberg" ... Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018). Avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, François-Bernard Huyghe vient de publier Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019).

     

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    Greta divina ?

    Traversant l’Atlantique dans un voilier à 4 millions de dollars, comme elle surfe sur l’opinion de millions de jeunes, Greta Thunberg arrive à New York. Triomphe, directs et extase mystique garantis : l’enfant sauveur fend des flots pour annoncer la perte ou le salut. Montage des médias, diront certains : une gamine bien coachée, avec une bouille ronde de poupée et des yeux qui transpercent, c’est une cliente idéale. Unique, saine et cathodique.

    Certes, mais derrière le spectacle, il y a un rapport subtil entre le message et la messagère.
    Le message est assez binaire : la richesse ou la nature, arrêter ou mourir, vivre raisonnablement ou périr apocalyptiquement. L’urgence ou la fin.

    Pour le rendre persuasif, Greta virgo sancta cumule de nombreux atouts
    Le premier est de parler au nom de la Science (autiste, désintéressée de presque tout, elle a eu le temps de lire des milliers de pages, nous pas). Elle retourne habilement l’argument : les autistes, c’est vous qui refusez de voir l’imminence du désastre, de lire ce qui est affirmé et vous détournez des tables de la loi scientifique. Je parle au nom du principe de réalité. Irréfutable.
    Greta gloriosa joue aussi de son statut. Enfant ? n’est-ce pas la preuve que seuls les cœurs purs voient la vérité ? Handicapée ? Vous ne seriez pas un petit peu phobe ? Quel mépris !
    Je ne vais plus à l’école ? A-t-on besoin de diplômes pour réclamer le droit de ne pas périr, et de ne pas faire périr la nature avec nous ? Qui ose m’attaquer révèle la noirceur de son âme. Greta salavtrix nous appelle à la conversion du cœur. Elle parle au nom de la vie et de l’innocence. Incritiquable.

    Et ceci fonctionne sur un double registre.
    Le premier est de tradition chrétienne : il nous ramène à notre statut de pécheurs qui offensons sans cesse la nature et menaçons la création. Devant un choix aussi évident - tout détruire ou nous reprendre, l’apocalypse ou l’ascèse - comment hésiter ? Avantage collatéral : nous redécouvrons les délices de la casuistique. Chaque acte de notre vie peut devenir objet d’un débat moral et l’occasion d’une rédemption : prendre l’avion ou le voilier ? changer de vêtements ou pas ? manger de la viande (quitte à devoir transformer les terres d’élevage en cultures) ou pas ? Métro ou trottinette devient un cas de conscience. Avoir des enfants un crime probable. À chaque geste, à chaque décision, nous mettons un peu en péril la planète. À chaque contrainte que nous nous imposons, nous prolongeons la vie des espèces d’un instant. Repentez-vous.

    Le second registre est celui de la culture individualiste et du refus de l’autorité. Nous sommes les enfants, nous sommes le monde et nous faisons la nique aux adultes. Nous les mettons en accusation et ils nous écoutent avec componction. La sincérité de nos cœurs et notre angoisse de disparaître bousculent toutes les hiérarchies. Un doux parfum de rébellion nous enveloppe ainsi sans risque et permet d’interdire à tout va.

    Peu de messages pouvaient rencontrer autant de réceptivité dans notre culture. Greta met tout sur le plan de la conscience morale : croyons, ouvrons nos cœurs, abstenons-nous du mal et la Terre sera sauvée. Le problème est qu’entre la Science (en l’occurrence les rapports du Giec dont la partie futurologique n’est pas si assurée) et la Morale (qu’elle semble réduire à l’abstention et à l’ascèse), elle occulte la question politique, c’est-à-dire celle de la contrainte sur les hommes.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 30 août 2019)

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  • Border...

    Nous reproduisons ci-dessous un billet de Bruno Lafourcade, cueilli sur son site personnel et consacré à la question de la frontière. Écrivain talentueux, Bruno Lafourcade a publié ces deux dernières années, deux romans, L'ivraie (Léo Scheer, 2018) et Saint-Marsan (Terres de l'ouest, 2019) ainsi que deux pamphlets, Les nouveaux vertueux (Jean-Dézert, 2017) et Une jeunesse, les dents serrées (Pierre-Guillaume de Roux, 2019). Pour la rentrée, il publie un polar, Le Hussard retrouve ses facultés, chez Auda Isarn, et un roman, Tombeau de Raoul Ducourneau, aux éditions Léo Scheer.

     

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    Border

    La question centrale est celle de la frontière : tout vient d’elle. Il s’agit d’ailleurs de ne pas la limiter à la géographie, à la façon étroite des No Border : comme il y a une frontière entre l’homme et l’homme, entre l’indigène et l’étranger, il y en a une entre l’homme et la femme, entre l’homme et l’animal, entre l’homme et la machine – et toutes ces frontières doivent être abolies. Les antifas, les féministes, les végans et les trans-humanistes sont des No Border spécialisés : on a pris son panier recyclable, sa bicyclette citoyenne, et on a pédalé jusqu’au marché équitable de la discrimination ; là, on a choisi sa frontière, son mur et sa statue, à franchir, casser et abattre, en fonction de ses origines, de ses intérêts et de son cul (on sous-estime les dégâts causés par les culs sous-estimés). On s’entend bien, d’ailleurs, entre abolisseurs : chacun respecte l’abolition de l’autre ; en tout cas, on s’entend comme peuvent s’entendre des chefs de rayon, confrères un peu concurrents, d’une même grande surface : il faut seulement se mettre d’accord sur les nouveaux produits, les animations commerciales et les têtes de gondole.

    « Encore Greta ! Et mes Femen, j’en fais quoi ?

    ― Mais y a longtemps que ça ne se vend plus ! D’ailleurs, j’aurai du Richard Gere, la semaine prochaine : ça optimise bien, ça, comme produit, le Richard Gere… »

    Le progressiste voit dans la frontière le signe d’une arriération contraire aux droits de l’Homme, de la femme, de l’enfant et du moustique [1], puisqu’elle est responsable des guerres, de Trump, du bonnet d’âne et des bombes insecticides ; pour le réactionnaire, elle est au contraire l’essence même de la civilisation, qui jamais ne se conçut autrement que bornée, limitée, encadrée, emmurée. Les deux y voient une hiérarchie, une inégalité : l’étranger, l’élève et le moustique n’ont pas les mêmes droits que l’indigène, le professeur et M. Aymeric Caron ; une discrimination salvatrice pour le réactionnaire, fasciste pour le progressiste.

    Si en anglais border signifie frontière, « border », en français, peut signifier « protéger » : la mère borde son enfant – et c’est bien, pour le réactionnaire, le rôle de la frontière, en effet, que de protéger et défendre toutes choses, pour qu’aucune ne ressemble à une autre. Pour le progressiste, c’est exactement l’inverse : la frontière interdit, bride et tue ; en la supprimant, la femme, le migrant et le moustique auront la chance de devenir des mamans comme les autres, des Juifs allemands et des citoyens du monde.

    Cependant, le progressiste utilise la question des frontières nationale, raciale et genrée comme un prétexte. D’abord, il ne croit pas à l’égalité : la femme, l’enfant et le migrant doivent dominer ; il ne croit pas davantage à la justice : les Blancs doivent payer ; surtout, il y trouve un double intérêt.

    Il y a d’abord la vertu : ça l’intéresse beaucoup, au progressiste, d’être un saint. Il fallait la voir, la prude actrice américaine, dans son pull à col roulé, balancer son porc, des sanglots dans la voix ; il fallait le voir, l’ancien acteur crypto-bouddhiste, rayonner de contentement de soi, à bord de l’Open Arms ; il fallait le voir, Aymeric Caron, parler, avec la bêtise de l’amoureux, de la maman moustique. Il faut la voir, la laideur narcissique du progressiste, pour comprendre à quel point ça l’intéresse, la vertu, à quel point il jouit de se voir si saint dans son selfie. Il en jouit doublement, puisque le pouvoir l’attend. Il ne veut pas seulement le renverser, il le veut : il y a des lieux à vider et des sièges à prendre – le pouvoir est au bout des followers.

    Il produira des émissions, dirigera des journaux, tournera des films, écrira des livres : il y a tant à faire, il y en a tant à éduquer. Ça n’empêche pas la sincérité, d’ailleurs. Sincère, il serait même préjudiciable que le progressiste ne le soit pas ; évidemment, ça rend con comme la Lune, la sincérité, mais ça rend aussi efficace : l’intelligence et l’autodérision, ça vient du doute, ça freine, et ce frein, c’est l’effet du doute sur les certitudes – et c’est pourquoi les humoristes d’aujourd’hui sont tellement sinistres : la bêtise de leur certitude n’a pas de frein.

    Sincère, le progressiste l’est en conscience et inconsciemment : la petite journaliste de BFM, le jeune député macroniste, la primo-romancière de la maison Grasset ne se posent pas la question de la légitimité de leurs préjugés, ils ne doutent pas que la vertu consiste à balancer son porc, accueillir les migrants et respecter le « lundi sans viande » de Mme Binoche – le Bien ne doute pas de lui-même. C’est d’ailleurs l’inverse exactement de toute la tradition occidentale, qui consistait à partir du Mal, du péché originel, pour espérer l’amélioration de soi et l’élévation jusqu’au Bien ; le progressiste a fait d’emblée le plus dur : il est arrivé à la sainteté du premier coup et sans effort, il ne peut que s’y maintenir par la surenchère. Il ne peut surtout que chuter : tous les progressistes, de Dominique Sopo à Asia Argento, sont appelés à tomber au moins une fois de leur statue – et tout est à refaire. Les pauvres, c’est tellement plus intéressant de commencer par être un salaud : tout est à faire.

    Bruno Lafourcade (Site de Bruno Lafourcade, 23 août 2019)

     

    Note :

    [1] Les mamans moustiques, explique M. Aymeric Caron, « cherchent dans le sang de leur victime des protéines pour nourrir leurs œufs en développement et donc leurs bébés. » Lorsque l’on « est attaqué par un moustique, [on] a en fait affaire à une mère, qui essaie de remplir son rôle de future mère. Donc, ce moustique qui nous agace, est en fait une dame qui risque sa vie pour ses enfants en devenir ».

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  • Le mouvement des Gilets jaunes est-il terminé ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François Bousquet, cueilli sur Figaro Vox et consacré au mouvement des Gilets jaunes. Journaliste, François Bousquet est rédacteur en chef de la revue Éléments et auteur de Putain de Saint Foucault - Archéologie d'un fétiche (Pierre-Guillaume de Roux, 2015) La droite buissonnière (Rocher, 2016).

     

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    Le mouvement des ‘’Gilets jaunes’’ est-il terminé?

    Son Panthéon, c’est la fosse commune. Ses Champs-Élysées, un rond-point. Sa garden-party, un barbecue. Voici, résumée à gros traits, la France périphérique, entrée par effraction dans l’actualité à l’automne 2018. Avant qu’elle ne se revête de jaune, quasiment personne ne voulait en entendre parler. Trente ans déjà que cette France-là a été rejetée dans les ténèbres extérieures. Un trou noir. Des millions de vies en jachère, enterrées vivantes sous les décombres des politiques de la ville, entre deux friches industrielles, entre deux commerces fermés, entre deux fermes à l’abandon, entre deux vagues d’immigration. Un pays englué dans ce que Louis Chauvel, l’un des très rares chercheurs, avec Christophe Guilluy, à avoir vu venir le mouvement des «gilets jaunes», a appelé la «spirale du déclassement», le grand fait social des trente dernières années. Or, ce déclassement est passé quasi inaperçu du pays central puisque la scène du crime a été rejetée dans les marges hexagonales: le peuple disparu, occulté des écrans-radars médiatiques. Il a refait surface, à l’automne, en bloquant les péages et en occupant les ronds-points, point nodal de cette périphérie, symbole de sa circularité: on tourne en rond dans un périmètre de 30 à 50 km, où tout a fermé, les usines, les épiceries, les cafés.

     

    Pour une fois, ce n’était pas la rue qui manifestait, mais la route. Pour une fois, ce n’était pas la ville qui se soulevait, mais la campagne. Une sorte de démocratie participative 2.0 à ciel ouvert. Des réseaux sociaux aux réseaux routiers. Du jamais vu. Partout, un même slogan, peu ou prou: «Baissez les prix et le mépris!» Aucun mouvement dans l’histoire récente n’avait suscité un tel engouement. Il est parvenu à coaguler une colère jusque-là disséminée, à l’image de la France périphérique dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Comment donner corps à ce mécontentement beaucoup plus homogène que l’inventaire à la Prévert à quoi on l’a trop souvent réduit, mais socialement atomisé et géographiquement dispersé? Un symbole - le gilet jaune - y est parvenu.

    Au plus fort du mouvement, un vent de panique a soufflé sur l’Élysée. Impossible de ne pas songer à la prise des Tuileries ou à la fuite à Varennes, imprimées dans l’imaginaire collectif, au vu des images saisissantes du couple présidentiel poursuivi dans les rues du Puy-en-Velay, début décembre, après l’incendie de la préfecture. Alors pour beaucoup la jacquerie menaçait de se transformer en grand brasier collectif, la révolte en révolution. Mais le mouvement s’est progressivement délité en raison même de sa nature éruptive et fiévreuse, autant populaire que populiste.

    Il faut dire que la réponse de l’exécutif a été à la hauteur de la vague jaune. Quelque 80 000 forces de l’ordre mobilisées chaque week-end, filtrant les gares et les péages aux portes des grandes villes noyées dans d’épais nuages de lacrymogène, l’emploi de LBD controversés, une surabondance de gardes à vue, des expulsions chahutées de ronds-points, des cahutes démontées, et même des lésions de guerre au dire de certains médecins.

    Résultat: entre le dernier trimestre 2018 et le premier trimestre 2019, le mouvement a muté. D’une année à l’autre, ce n’étaient plus les mêmes lieux de manifestation, ni les mêmes manifestants, ni les mêmes options politiques. L’extrême gauche - qui regardait jusque-là les gilets jaunes comme l’expression d’un poujadisme honni et attardé - s’est invitée au cœur des défilés. Le cahier de doléances a été capté et détourné. À la demande de reconnaissance de la France périphérique s’est substituée une demande d’assistance qui n’était pas initialement à l’ordre du jour. Jusqu’au RIC, certes central, mais qui a viré à l’assemblée citoyenne avec les habituelles rêveries autogestionnaires du gauchisme. Les «gilets jaunes» demandaient un référendum sur les questions régaliennes, dont les enjeux liés à l’insécurité culturelle, pas sur la piscine municipale. Ils plébiscitaient même, à la différence des jacqueries d’Ancien Régime, le retour de l’État, mais un État qui aurait rempli le contrat hobbesien qui nous lie à lui. Or, il apparaît de plus en plus à beaucoup qu’il ne le remplit plus tant il a cessé d’être protecteur. Les sacrifices fiscaux et les contraintes légales qu’il exige n’ont plus la contrepartie attendue. C’est donc la nature même du pacte politique que les «gilets jaunes» ont remis en cause. D’où la crise, générale, massive, de la représentation, tant politique et syndicale que médiatique. Cette crise de la représentation est si forte qu’elle a eu ironiquement raison des «gilets jaunes»: qui les représente? Question restée en suspens jusqu’à ce jour.

     

    Le philosophe Alain de Benoist a pu dire au début du mouvement que les «gilets jaunes» étaient en mesure d’exercer leur pouvoir destituant, en attendant d’exercer leur pouvoir constituant. Ce pouvoir de révocation, focalisé autour de la personne du Président («Macron démission!»), a échoué en raison même de la structure volatile du mouvement: son horizontalité, son spontanéisme, son inaptitude organique à se structurer, ses micro-rivalités intestines. Le «narcissisme des petites différences», pour parler comme Freud, a triomphé de l’unanimisme initial: dès qu’une tête dépassait, elle était dans la foulée coupée.

    On touche ici les limites de la révolte populaire, observables sur la très longue durée. La vérité, c’est que le peuple ne s’organise pas tout seul, il est organisé. Il ne s’institue pas tout seul, il est institué. Il y a toujours une avant-garde, révolutionnaire ou pas ; une élite, conservatrice ou pas. Que nous disent la vague populiste ou le mouvement des «gilets jaunes»? Que le peuple cherche un bon pasteur, le bon pasteur. Certes il veut choisir son maître, mais il cherche un maître, à l’instar des hystériques selon le psychanalyste Lacan, lequel ajoutait qu’elles ne cherchaient un maître que pour pouvoir le dominer. C’est de cela qu’il s’agit ici. Mais manifestement, les «gilets jaunes» ne l’ont pas trouvé dans les assemblées citoyennes.

    Quid aujourd’hui de la révolte? Il y a toujours des chasubles jaunes au-devant des voitures, mais c’est désormais plus un phénomène de persistance rétinienne. Il y a toujours des gens qui battent le pavé chaque samedi pour maintenir une flamme plus que vacillante, mais le cœur n’y est plus. Post politicum animal triste.

    Il n’empêche: il y a un avant et un après. Les raisons de la colère des «gilets jaunes» n’ont pas disparu dans le grand débat macronien. Elles sont objectives, structurelles, stratégiques. Elles augurent l’ouverture d’un nouveau cycle de révoltes, hors des corps intermédiaires, hors des médiations politiques traditionnelles défaillantes. Le harcèlement des élus et des permanences de la LREM, la grogne paysanne contre le Ceta, la réforme des retraites à venir, une économie structurellement en berne incapable de produire des richesses tangibles (la tertiarisation), les nouvelles vagues migratoires attendues, tout laisse à penser que les braises ne se sont pas éteintes, qu’elles ne demandent qu’à enflammer de nouveau la périphérie, pour peu que cette dernière apprenne de ses erreurs, renouvelle ses modes d’intervention et d’organisation, trouve enfin un débouché politique.

    François Bousquet (Figaro Vox, 14 août 2019)

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