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Points de vue - Page 136

  • Anthropologie de la racaille...

    Nous reproduisons ci-dessous une chronique de Bruno Lafourcade, cueilli sur son site personnel et consacré à la racaille comme nouvelle espèce anthropologique... Écrivain talentueux, Bruno Lafourcade a publié ces trois dernières années, trois romans, L'ivraie (Léo Scheer, 2018), Saint-Marsan (Terres de l'ouest, 2019) et Tombeau de Raoul Ducourneau (Léo Scheer, 2019) ainsi que deux pamphlets, Les nouveaux vertueux (Jean-Dézert, 2017) et Une jeunesse, les dents serrées (Pierre-Guillaume de Roux, 2019), et un polar, Le Hussard retrouve ses facultés (Auda Isarn, 2019).

     

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    Anthropologie de la racaille

    La révélation d’une nouvelle espèce anthropologique fait la joie du savant, la fierté d’une nation et l’intérêt du public. C’est ce triple effet que nous rencontrâmes en découvrant Homo rascaillus – dont nous présentons ici les origines, le milieu naturel et les mœurs.

    L’origine de Homo rascaillus, racaille en français vulgaire, ou caillera en néo-français vernaculaire, est clairement circonscrite : l’espèce fit son apparition, nul ne l’ignore plus, à la fin du XXe siècle, dans la partie extrême-orientale de l’Europe. Sa variété la plus connue appartient à la souche Rascaillus banleucus, bien que d’autres espèces aient prospéré ailleurs. Nous avions pensé que Homo rascaillus était apparenté à Homo faber pour l’habitude, propre à l’espèce commune, de remplir d’essence une bouteille et d’y glisser un chiffon enflammé, mais nos estimables confrères, les professeurs Mucchielli, Lapeyronnie & Lagrange, ont tendance à rapprocher Homo rascaillus de Homo ludens pour son envie irrépressible de lancer, dans les voitures de ses voisins, la bouteille enchiffonnée, ou, sur des espèces indigènes encasquées et étrangères à son milieu, des pierres, des briques, des cendriers, des boules de pétanque, de vieux annuaires, des os de mouton, des pots de mayonnaise, des bouteilles de gaz, des machines à laver ainsi que d’autres éléments d’électroménager. L’espèce indigène, Homo souchus, se familiarisa rapidement avec Homo rascaillus, dont les us & les mœurs lui furent si sympathiques qu’il partit s’établir ailleurs.

    D’un habitat constitué de hautes barres d’immeubles où se serrent des milliers représentants de l’espèce, Rascaillus banleucus ludens semble avoir retiré de fortes préventions contre la solitude : il ne se déplace seul que contraint et forcé. Il n’est pas rare que des groupes de Rascaillus proposent facétieusement à d’autres groupes croisés, qu’ils soient de milieux banleucus éloignés ou de l’espèce indigène Homo souchus, des coups de poing, de pied, de marteau ou de couteau. MM. Mucchielli, Lapeyronnie et Lagrange voient là une autre résurgence du ludens dans le rascaillus.

    Parallèlement, le Rascaillus banleucus semble incapable de quitter son milieu naturel. Pour ne pas avoir à abandonner celui-ci, qu’il défend contre des prédateurs de milieux éloignés, ou contre l’espèce indigène, il a développé une agriculture parallèle, dont les plants femelles produisent du delta-9-TétraHydroCannabinol, très utile pour passer de la Renault Twingo à la Bugatti Veyron. Il se révèle également incapable de quitter ses origines, sa famille, ce qui le conduit à une endogamie nuisible au développement cognitif. À cet égard, nous avons identifié deux espèces de jeunes femelles rascaillus : la cagole et l’envoilée. Une troisième espèce a sans doute existé, qui constituait vraisemblablement le chaînon manquant, et dont nous constatons la raréfaction, sinon la disparition. Le mâle, cependant, qui cherche la copulation avec la jeune femelle rascaillus, se trouve privé, pour deux raisons, de la satisfaction de ce besoin. D’abord, il convoite la cagole et il en a honte ; ensuite, il ne convoite pas l’envoilée et il en a honte. Les conséquences sont doubles : dans les parties troglodytes de son habitat, il a tendance à pratiquer, seul ou avec d’autres mâles, des activités fellatoires et sodomites, avec la cagole, consentante ou non ; et à se marier avec l’envoilée, quelque peu érectile qu’elle soit.

    La vêture de Homo rascaillus consiste dans un ensemble d’éléments dépareillés. Homo rascaillus dans sa variante la plus répandue est encapuchonnée ; pantalons de survêtement ou de toile de jean : les premiers doivent monter assez haut sur les chevilles que l’on voie les chaussettes, les seconds sont descendus assez bas que l’on voie les dessous (le jean ainsi porté entravant considérablement la marche, il pourrait s’agir d’une mesure auto-coercitive dont nous n’avons pas saisi le sens). D’autre part, si l’espèce est volontiers dolichocrânienne, ou dolichocéphale, c’est qu’elle porte, souvent en arrière et sur le sommet du crâne, comme pour rehausser celui-ci, une casquette, qui semble la coiffe d’été et de printemps, tandis que les automnes et les hivers sont l’occasion de porter des bonnets à oreillettes ou rabats, peut-être pour rappeler le basset artésien.

    La nourriture chez Homo rascaillus est essentiellement articulée autour de la distinction hallal/haram, qui lui semble essentielle et dont nous ne sommes pas parvenus à comprendre le sens ni l’intérêt.

    Homo rascaillus connaît une forme de langage, c’est à peu près certain, bien que peu articulé : il s’apparente plutôt à un grognement. Ainsi, dans un rite propre à l’espèce, il n’est pas rare de voir un Rascaillus en fourrure donner, en grognant des allusions aux mœurs dissolues de certaines mères de la tribu, de nonchalants coups de liasse sur les fesses de cagoles en bikinis. Les mâles les plus évolués possèdent une graphie lointainement apparentée à celle de Homo souchus. Elle consiste dans la calligraphie de signes ésotériques, souvent la stylisation et le coloriage de leurs propres noms abrégés, ou de leurs surnoms, ou encore de leurs pseudonymes. Sur des murs, et sur toute sorte de surfaces non destinées à cet usage, on repère, collées, ou bien dessinées et coloriées, mais aussi gravées à la pointe du compas ou taillées à la lame d’un cutter, ou encore écrites au feutre, au marqueur et à la bombe aérosol, des marques identiques, ou d’autres : dessins de parties corporelles (avec une nette prédilection pour les appareils génitaux des sexes mâle et femelle), signes ou sigles (« BOOBA », « BENLADEN ») et professions de foi diverses (« Jennifer sallope », « Feujs encullé »).

    On note enfin qu’une autre école anthropologique relie Homo rascaillus à Homo œconomicus pour son goût manifeste de la caillasse ; et à Homo religiosus pour certaine passion coupable consistant à se laisser pousser la barbe et bloquer des rues en se mettant à genoux et en baissant la tête au sol. Or ces deux branches devraient être contradictoires tant il apparaît que la première, calquée sur la sous-culture mercantile anglo-saxonne et l’hédonisme de masse (cinéma industriel, clips vidéo, publicités, chansons commerciales), semble incompatible avec la piété, la spiritualité, l’ascèse et les hautes valeurs morales impliquées par la seconde. Curieusement, elles ne le sont pas.

    Il apparaît, au terme de cette communication, que Homo rascaillus, dans son mode de vie, ses vêtements, son langage, ses pratiques est un être neuf, que nous serons amenés à voir croître et prospérer. Si nous devions cependant porter un jugement moral sur lui, nous laisserions parler MM. Mucchielli, Lapeyronnie et Lagrange qui, dans un souci de synthèse, écriraient incidemment et non sans péremptoire :

    « Homo rascaillus, cette espèce neuve, structurée par la subculture encasquettée nord-américaine, par l’avidité pour les biens de consommation les plus immédiats, périssables et médiocres, par la valorisation de la caillasse, du loisir massifié et trépanant, par un tropisme vers le bruyant et le vociférant, par le mépris pour l’école, le savoir et ses bouffons, par la haine et le ressentiment à l’égard des indigènes, par la réification des femmes, par l’auto-victimisation complaisante, par la vénération a-critique de l’islam, par la violence la plus sauvage, la plus gratuite et la plus amorale, Homo rascaillus, donc, est une chance pour la France. »

    Bruno Lafourcade (Site de Bruno Lafourcade, 24 novembre 2019)

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  • Monsieur le Président, encore un effort pour défendre la France !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré aux choix d'Emmanuel Macron dans le domaine de la politique étrangère. Économiste de formation, vice-président de Géopragma et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

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    Monsieur le Président, encore un effort pour défendre la France !

    Pourquoi bouder son plaisir ? Pour avoir publié en 2009, chez Gallimard, un essai consacré au « Renversement du Monde », je ne peux que saluer le constat établi par Emmanuel Macron le 27 août 2019, dans sa conférence annuelle aux Ambassadeurs, quand il reconnait que l’Occident ne dirige plus le monde.

    Pour avoir publié en 2014, chez Pierre-Guillaume de Roux, «Le Mur de l’Ouest n’est pas tombé », un essai consacré à la fragilité croissante de notre alliance avec les États-Unis, je ne peux qu’entendre le constat livré par Emmanuel Macron à The Economist, l’hebdomadaire de la doctrine libérale anglo-américaine (8 novembre 2019). L’OTAN est une organisation vide de sens, le Traité de l’Atlantique Nord doit être renégocié sur des bases nouvelles, la France et l’Europe doivent compter sur elles-mêmes pour assurer leur défense, et il est urgent de renouer avec la Russie un vrai dialogue stratégique — d’autant plus urgent qu’il sera long. 

    Et pour avoir à maintes reprises dénoncé la dérive de l’Union européenne, qui croit se construire en détruisant les Nations qui la composent, pour m’être élevé contre les européistes béats, les fédéralistes forcenés et le principe imbécile qui veut que si ça va mal en Europe, c’est qu’il faut plus d’Union, je ne peux qu’approuver le constat présidentiel : l’Union européenne est au bord du gouffre. Je lui ajoute mon constat personnel : à chaque séance plénière, le Parlement lui demande de faire un grand pas en avant.

    Des déclarations, toujours des déclarations

    Le sujet n’est pas d’avoir eu raison trop tôt, ce qui est en politique une manière d’avoir tort.

    Le sujet est d’avoir raison pour agir, pour décider, et pour gagner. Et tout suggère qu’Emmanuel Macron ne peut pas savoir ce qu’il sait, qu’il ne veut pas vouloir ce qu’il veut, et qu’il ne pourra pas conduire la renaissance nationale.

    L’essentiel des déclarations d’Emmanuel Macron porte sur la défense, avec une réponse qui n’appartient qu’à lui ; la Défense sera européenne ou ne sera pas ! Mais cette réponse interroge. D’abord, parce que nul n’en veut dans une Europe qui a payé son confort social au prix de l’assurance militaire américaine. Parlez-en à la Pologne, à la Hongrie, à l’Espagne !

    Ensuite, parce que l’inconsistance européenne signifie la débandade du « chacun pour soi » dès qu’un vrai choc sécuritaire atteindra l’un ou l’autre de ses membres, choc nécessairement asymétrique, choc que chaque Nation vivra selon son histoire, ses intérêts et sa pente, choc d’autant plus impossible à affronter que l’Europe s’interdit collectivement de penser invasion, conquête, et guerre. Emmanuel Macron aurait-il oublié le « chacun pour soi » qui a suivi la criminelle décision de Mme Angela Merkel d’ouvrir la porte aux migrants en 2015 ? En clair ; une Europe de la Défense est plus improbable qu’un OTAN redéfini. Et surtout, parce que l’adhésion de l’Union et de M. Emmanuel Macron au mondialisme, au libre-échange et au néo-libéralisme la vide de toute portée ; qu’y a-t-il à défendre, pourquoi tuer et pourquoi mourir, quand tout est à vendre ?

    Que défendre

    Que défendre ? Les Hongrois savent ce que veut dire défendre la Hongrie, comme les Serbes savent ce que signifie défendre la Serbie. Les Français savent-ils ce qu’ils ont à défendre ? Défendre commence par dire « nous », et nommer ses ennemis. Les Français savent bien qui profane les églises, qui engorge les hôpitaux, qui agresse enseignants, policiers et concierges ; les nommer est déjà un délit. Les Français savent bien au nom de quelle idéologie d’importation la France se décompose, le désaménagement des territoires se répand, les services de l’Etat se dégradent et les conquêtes sociales ne sont plus que des freins au « Doing Business ».

    Qui dit qu’il n’y a pas de culture française, qu’il n’y a pas de peuple français, qu’il n’y a pas d’unité nationale, dit qu’il n’y a rien à défendre. La maison est vide, qui paie s’installe. Ceux qui livrent la France à l’immigration de peuplement et aux délires des universités américaines, ceux qui ne reconnaissent pas que l’ennemi est à l’intérieur, et qu’il gagne chaque jour des batailles que les Français ne livrent pas, ont déjà abandonné l’idée de défendre la France.

    Que défendre ? Si tous les hommes sont les mêmes, s’il n’y a sur terre que des individus de droit, et si tout est à vendre, l’idée même de défendre un territoire, une Nation, un régime politique, devient dérisoire.Toute la politique du gouvernement d’Emmanuel Macron continue le travail d’indétermination, d’indifférenciation, de banalisation de la France qui lui interdit de répondre. Ou plutôt, elle répond chaque jour ; la France n’est rien, puisqu’il est interdit de distinguer les Français et de les préférer.

    L’idée même qu’un citoyen français puisse se prévaloir de droits auxquels tout individu ne pourrait prétendre devient coupable — les décisions du Conseil constitutionnel sont constantes sur ce point. Le Conseil d’État a renchéri, en statuant que c’est aux Français de s’adapter à l’étranger . Et l’idée même que la Nation existe, qu’elle compte, et qu’elle vaut, est étrangère à un gouvernement qui nie l’histoire, les racines chrétiennes de la France, la transmission familiale de l’esprit national et la primauté de l’État dans la singularité française. Que défendre, si être Français ne fait plus de différence ? Entre le libéralisme de l’individu souverain, et la France des citoyens, il faut choisir. 

    Que défendre ? Emmanuel Macron constate que l’Europe n’est plus la priorité de l’Amérique. Il redoute l’avènement d’un monde bipolaire qui est déjà là, partagé entre les États-Unis et la Chine. Il en appelle à – à quoi vraiment ? À ce vide béant que creuse l’Union européenne entre les États-Unis, la Russie et la Chine ? À une étonnante complaisance pour des néo-conservateurs qui sont, depuis quarante ans, les premiers coupables de la déstabilisation du monde ?

    N’est pas de Gaulle qui veut

    La lucidité du constat n’assure en rien la pertinence du projet. Sa franchise inattendue provoque déjà les haut-le-cœur chez nos voisins de l’Est, la prudence fuyante de Mme Merkel, les mises en garde de Mike Pompéo. L’appel à une souveraineté européenne attire déjà les réponses des affidés de Washington, comme le gouverneur de la Banque centrale de Hongrie ; l’indépendance de l’Europe, quelle idée ! Et la dureté, voire la violence, du propos d’Emmanuel Macron résonne comme un constat d’échec ; quel contraste avec la boursouflure prétentieuse des discours de la Sorbonne et d’Aix-la-Chapelle, quand celui qui n’arrive pas à gouverner la France prétendait guider l’Europe !

    Face à l’unilatéralisme des États-Unis, face à leur intolérance à l’égard de toute manifestation d’indépendance de la France, face au terrorisme économique qu’ils manient(par exemple contre le Danemark pour s’opposer au passage de Nordstream), le constat vient trop tard, et ses conclusions sont erronées.

    N’est pas de Gaulle ou Kissinger qui veut. Il n’est pas donné à tout le monde d’avoir une vision du monde, les moyens qui la permettent, la profondeur qui la fait tenir. Car l’état du monde est sans ambigüité ; la forme politique de la mondialisation, c’est l’État-nation.

    L’insurrection de la diversité des peuples sera à la mesure du carcan que le mondialisme leur a imposé. La forme économique de la mondialisation gagnante, c’est le nationalisme de marché. La destruction des Nations par les traités de libre-échange, comme le CETA et le MERCOSUR, des Etats par l’ouverture des frontières et le pillage des territoires par les privatisations, voilà les raisons de la crise qu’à juste titre Emmanuel Macron annonce ; il peut la prévoir puisqu’il contribue à la provoquer.

    Seuls survivront ceux qui auront su créer cette unité nationale qui rassemblera le droit, l’économie et la force au service de leur Nation. Car la marche du monde est sans pitié ; ce n’est plus de l’hyperpuissance américaine qu’il convient d’avoir peur, c’est de l’affaiblissement américain, du sentiment d’encerclement vécu par la Russie, et de la revanche de la diversité portée par la Chine et par l’Inde comme par l’Islam.

    Les peuples qui ne savent plus dire « nous » sont condamnés. La question n’est pas de quitter l’OTAN et la dépendance qu’elle impose (voir l’achat forcé de 35 F, l’avion qui ne volera jamais, par tant d’Européens !) mais d’abandonner les rêveries d’une démocratie planétaire instaurée sous les bottes des Marines, qui suscite un rejet universel — pourquoi attendre avant de rouvrir l’ambassade de France à Damas ? La France a mieux à faire du côté de ceux qui refusent le partage du monde, constatent que la Russie est devenue une force de stabilisation aux pourtours de l’Europe, que les routes de la Soie échappent aux péages américains, et que la militarisation du dollar commande de lui trouver un substitut. La question est moins de s’éloigner des États-Unis que d’en finir avec les errements du mondialisme et de l’individualisme libéral ; ce que la France doit au monde, aux Français et à elle-même, c’est de demeurer la France.

    Le constat est là. La brutalité américaine le provoque, les gains accumulés par la Chine plus récemment par la Russie et aussi par l’Iran le justifient, l’impuissance tragique et comique à la fois de l’Union européenne l’oblige. Ce constat ne peut qu’appeler un projet. C’est le projet d’une France libre, d’une France du non-alignement, de la non-conformité, c’est le projet d’une France qui propose aux Nations européennes qui le veulent, si elles le veulent, de devenir le troisième pôle d’un monde réellement multipolaire.

    Et cela se voit

    Emmanuel Macron ne peut le conduire. Trois raisons au moins le lui interdisent.

    Derrière la crise de civilisation qui touche les États-Unis comme l’Europe, l’abandon de la justice et de l’égalité au nom de la performance, la perversion du droit par sa mise en concurrence, la réduction de chaque chose à son prix de marché. Comment l’élu de la banque, des big pharma et du big business mettrait il en cause ce qui assure la fortune du très petit nombre contre l’intérêt de tous ? Le Président de la France qui gagne peut-il être le Président de tous les Français, peut-il inventer la démocratie économique et parler à ceux qui se lèvent tôt, qui travaillent, qui ne sont pas des gagnants, mais qui ne sont pas rien – ils sont seulement Français ?

    Derrière la crise sécuritaire qui balaie l’Europe, le retour de l’affrontement ethnique, religieux et idéologique. La Chine des Hans veut être la Chine des Hans, l’Afrique redevient la terre des Africains, et l’Islam retrouve une dynamique de conquêtes que dissimule l’anecdote terroriste. L’internationalisme est le péché qui achève de tuer le socialisme français. L’individualisme est le voile qui aveugle l’Union et la France sur les masses qui se sont mises en marche et qui les écraseront si elles ne savent retrouver l’unité, la volonté de survivre, la passion de demeurer. Comment ceux qui interdisent de nommer les choses, qui veulent qu’un homme ne soit plus un homme, qu’une femme ne soit plus une femme, et qu’un criminel ne soit qu’un imbécile, pourraient-ils affronter une situation où le pouvoir d’agir dépend du pouvoir de nommer et de dire ?

    Derrière la crise qui secoue la France, le sentiment d’une perte de contrôle, la réalité d’une fuite en avant européenne, la vérité de trente années de renoncement à la Nation. Le malheur français n’a pas d’autre origine que cet abandon de l’idéal de la grande France, présente par ses outre-mer sur tous les océans et tous les continents, du recul d’un État qui assure l’égalité des territoires, le progrès pour tous les citoyens, et cette sécurité globale, économique aussi bien que morale, qui est la condition de la confiance. L’affirmation sans complexe de l’intérêt national, de la prééminence du citoyen français sur tout individu, de l’unité de la France sur tous les facteurs de division que l’Union attise, est la clé. Comment un Président élu par les tenants du mondialisme et du fédéralisme européens pourrait-il incarner l’État et la Nation, comment pourrait-il fournir la solution, alors que sa politique est le problème ?

    Emmanuel Macron a fait un choix

    Oui, la situation est grave. Oui, il faut abandonner l’illusion que la France donnera à une nouvelle Europe son souffle et sa force ; le général de Gaulle, puis François Mitterrand s’y sont essayés sans succès. Deux fois suffisent. Oui, la France a besoin d’alliés qui tiennent leur parole et leurs engagements, et les États-Unis ne sont plus cet allié-là. Oui encore, le sentiment national est le socle à partir du quel tout peut renaître. Dans le désordre et la confusion que répand partout la politique du « en même temps », des éléments de langage et de l’information sous tutelle, l’unité nationale, la garde aux frontières, et l’exigence citoyenne, sont le recours. Et la volonté que la France demeure, quel que soit le prix à payer, en argent, en combats, ou en morts.

    Voilà le point décisif. Au moment où la Grande-Bretagne célèbre le souvenir de ses soldats morts contre l’Allemagne en lançant 750 000 coquelicots dans la mer, ce 11 novembre, l’Union européenne commande à la France d’oublier que sa liberté et ses frontières ont été gagnées au prix de millions de morts. Et certes, de Clemenceau au général de Gaulle, ceux qui ont fait la France libre n’ont jamais hésité sur le prix à payer pour que la France vive. Ils n’hésiteraient pas plus aujourd’hui.

    Emmanuel Macron a fait le choix de mutiler les gilets jaunes, pas ceux qui envahissent la France. Il a fait le choix de poursuivre ceux qui défendent la France, ses frontières et son identité, pas ceux qui s’emploient à détruire l’État social, à précariser les Français et à faire des terres et des paysages de France, des lois françaises, des marques et des villes françaises, des produits comme les autres, en vente comme les autres sur le marché mondial. Quand le moment sera venu de dire non à l’intolérable, comment serait-il celui qui paiera le prix pour rétablir la France dans son histoire, dans ses frontières, dans sa dignité, et dans tout ce qui n’a pas de prix ?

    Emmanuel Macron a fixé l’enjeu de la prochaine élection présidentielle de 2022 ; choisir qui paiera le prix de la France libre, quel qu’il soit. Il faut savoir gré à un Président qui ne peut lui répondre d’avoir déjà posé un tel enjeu. Il est urgent de définir le projet national qui relèvera cet enjeu, un enjeu qui s’appelle simplement la survie de la France.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 13 novembre 2019)

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  • Propagande, le mot et la chose...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et consacré aux nouveaux masques de la propagande... Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015), Fake news - La grande peur (VA Press, 2018), Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019) avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, et dernièrement L'art de la guerre idéologique (Cerf, 2019).

     

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    Propagande, le mot et la chose

    La propagande est une forme d'action sur le cerveau d'autrui définie et décryptée depuis longtemps, mais l'emploi du mot même se fait de plus en plus rare. Serait-elle remplacée par des méthodes plus subtiles ?

    Originellement, le latin, propaganda signifie «devant être propagées» et se réfère à des vérités de la foi. Le mot se retrouve dans la langue médiévale. Au XII° siècle, le dominicain Humbert de Romans écrit un Manuel de propagande des croisades, méthode censée inciter le lecteur à aller guerroyer en Terre Sainte. La notion prend tout son poids lorsque le pape Grégoire XV institue une la Congregatio de Propaganda Fide le 22 Juin 1622. Elle répandra la religion dans les contrées mal évangélisées en usant des moyens rhétoriques ou psychologiques les plus propres à impressionner ceux qui n’ont pas encore reçu la bonne nouvelle évangélique.

    Premiers dispositifs

    Le premier appareil de propagande est donc une congrégation de cardinaux commandant des armées de missionnaires au service d’un message doctrinal, le tout formant un véritable dispositif : organisation, relais et arguments.

    Dans les dictionnaires français, « propagande » apparaît vers 1790 avec des associations laïques cette fois, voire révolutionnaires qui se consacrent à la diffusion de certaines opinions. Puis le sens du mot glisse de l’acteur à l’action : la propagande, ce sera désormais l’ensemble des méthodes visant à répandre certaines idées auprès du peuple. Des bureaux de propagande se proposent de diffuser la Raison et la Liberté en lieu et place de la Foi et du Dogme.

    Encore une étape et nous retrouvons le mot propagande dans le vocabulaire des partis ouvriers, : faire de la propagande, c’est faire partager l’idée socialiste aux masses, les éduquer à la lutte des classes. Par la parole, par l’écrit, par l’organisation, mais aussi ajoutent certains anarchistes, par l’action. « Propagande par l’action », ou encore « action directe » vont vite devenir synonymes de terrorisme, ou du moins d’une stratégie de rupture visant à exacerber les conflits sociaux

    S’il fallait assigner une date de naissance à la propagande dans son sens moderne, - celui d’une forme de communication politique destinée à agir sur les masses- nous dirions qu’il est popularisé au début du XX° siècle dans un double contexte : partis de masse et massacres de masses (avec en arrière-plan des mass media pour faciliter les deux).

    Pendant la première guerre mondiale, les belligérants pratiquent tous la propagande : ils créent même des bureaux pour cela. Ils sont chargés de censurer les mauvaises nouvelles et de présenter les bonnes, de convaincre le front, l’arrière, voire d’inciter l’opinion internationale à soutenir la juste guerre de la patrie.

    L'entre-deux guerres voit éclore des ministères de la Propagande En URSS, l'existence d'un Département pour l'agitation et la propagande, organe des Comités centraux et régionaux du parti communiste soviétique (Dotdel agitatsii i propagandy) ne choque personne ; il est vrai qu’en russe, propagande signifierait simplement diffusion d’idées.

    Mais propagande se veut aussi un concept scientifique : les laboratoires, surtout outre-Atlantique, étudient les méthodes de persuasion directe ou via les médias. Les uns pour en préserver les citoyens, les autres pour exploiter cette nouvelle rhétorique qui passe aussi par l’image, dans le cadre de la publicité ou pour améliorer les grandes campagnes d'opinion. Si les partis communistes, fascistes et nationaux-socialistes pratiquent ouvertement la propagande, le mot répugne aux libéraux.

    Éviter le mot qui chagrine

    Depuis au moins la chute du Mur, le mot est devenu quasiment tabou : il évoque une vision à la fois idéologisée et conflictuelle de la politique. Les politiciens modernes, surtout libéraux, se réfèrent plutôt à la communication, à la proximité, à la participation, à la transparence… La plupart du temps, le « communicant » se contente de dire qu’il informe ou qu’il pratique les relations publiques, simple mise en valeur d’un homme ou d’une cause.

    Le double impératif de la force des choses (les lois du marché, les contraintes de la modernisation, les impératifs d’une politique moderne, la fin des dogmes…) et de la « proximité » (être réactifs, proches des gens, à l’écoute…) incite à abandonner cette vieillerie que serait la propagande. En paroles au moins…

    Car le terme est concurrencé à la fois par des concepts proches et par quelques périphrases un peu compliquées.

    L’administration U.S. se montre particulièrement inventive pour désigner par euphémisme ce que les «good guys» devaient faire pour contrer la propagande des « bad guys ». Elle a baptisé les agences ou institutions vouées à la diffusion de la bonne parole de noms étranges, et les spécialistes du Pentagone remplissent des dictionnaires entiers d’acronymes.

    Dans la pratique, on s’aperçoit vite que cette logomachie (Office of Strategic Influence, Psyop, Office of Global Communication, Under Secretary of State for Public Affairs and Public Diplomacy, Strategic Communications. Information Operation Task Force.) renvoie à des activités qui répondent bien à la définition officielle de la propagande par l’Otan : « Toutes les informations, idées, doctrines, appels, communiqués pour influencer l’opinion, les émotions, les attitudes ou le comportement de tout groupe particulier dans le but d’obtenir un bénéfice direct ou indirect. »
    On retrouve notamment diverses combinaisons de termes suivants :

    - psychologique (guerre psychologique ou opérations ou actions psychologiques, psychological warfare…) incluant des offensives destinées à affaiblir des groupes ennemis.
    - déception : toutes les formes de tromperies réservées à l’adversaire
    - influence (p.e . influence stratégique comme dans Office of Strategic Influence )
    - perception (management de…, guerre de la…)
    - diplomatie publique (qui contrairement à la diplomatie « classique » s’adresserait directement aux peuples)
    - soft power (pouvoir « doux » d’attraction ou de séduction des valeurs américaines)

    Cette phraséologie repose pourtant sur des notions simples :

    - Il s’agit dans tous les cas de fournir, de diffuser, de sélectionner, des «informations» pour des publics (en anglais « audiences »)

    - Ces informations, données ou indicateurs suscitent, ou renforcent des raisonnements, sentiments ou attitudes chez leurs destinataires

    - Le but recherché est soit que ces publics soutiennent la réalisation de certains objectifs des USA, soit deviennent «favorables» aux intérêts américains (directement s’ils sympathisent, indirectement et a contrario s’il s’agit d’adversaires paralysés, démoralisés ou poussés à la faute). On notera que la jurisprudence US distingue bien le mensonge d’État condamnable s’il s’adresse à des citoyens américains des actions d’intoxication, leurre, déception, désinformation et autres, acceptables si elles s’adressent à des publics étrangers et même si elles supposent le recours au mensonge.

    Pour le dire autrement, cet ensemble englobe deux types d'action ; les premières ressortent à la bonne vieille guerre psychologique, telle que la pratiquait l'armée française dans les années 60, ordinateurs en moins : se concilier les populations, affaiblir ou diviser l'adversaire. Quant aux secondes, il s'agit de glorifier l'Amérique, ou du moins de «faire entendre sa voix» pour en exalter le modèle.

    Tout cela fonctionne suivant un schéma simpliste stimulus réponse : de « bonnes » informations engendrent des bonnes pensées ou sentiments d’où de bons résultats. Surtout, elles peuvent couvrir à peu près n’importe quelle sorte de communication.

    Autour de la propagande

    Mais la question des mots laisse intacte celle de la chose.

    Or le mot de propagande en évoque plusieurs autres, qui forment autant de domaines adjacents souvent évoqués sur ce site :

    - La désinformation. Celle-ci porte par définition sur un fait faux, fabriqué, mis en scène ou du moins très déformé et se présente toujours comme neutre (passant souvent par l’intermédiaire d’un tiers, par exemple un média réputé objectif, pour que les destinataires ne puissent pas comprendre la finalité de la manœuvre). Autre caractère qui différence la désinformation : elle est presque toujours négative et vise à diaboliser ou décrédibiliser un adversaire. Faire une belle affiche, disant « votez pour moi », c’est de la propagande. Répandre dans les rédactions des rumeurs et calomnies sur l’intégrité ou le passé politique de son adversaire, c’est de la désinformation. Le Cuirassé Potemkine est un film de propagande soviétique, les mises en scène par lesquelles Staline a tenté d’accréditer l’idée que le massacre de Katyn en Pologne avait été perpétré par la Wehrmacht, non par l’Armée Rouge, offrent un parfait exemple de désinformation. Comme on s’en doute, cette distinction, claire sur le papier, l’est beaucoup moins dans la pratique. Car dans la vie quotidienne, nous sommes surtout confrontés à la mésinformation.

    - La mésinformation. La mésinformation est en principe non délibérée. Vérités partielles, événements ou images présentés hors de leur contexte, faux effets de symétrie entre deux opinions, balance inégale entre deux courants ou deux types de faits comparables… Les procédés sont multiples qui s’interposent entre la réalité et son reflet médiatique. S’ils résultent d’une simple déformation, idéologique ou autre, mais involontaire par les médias, il faudrait en principe parler de mésinformation, pas de désinformation ou de propagande, qui sont de vraies stratégies. Reste à savoir ce qui est volontaire…

    - L’influence. Si la propagande fait partie des procédés d’influence, elle n’en couvre pas tout le champ. La seconde comporte aussi une action par l’image que l’on émet, par l'intermédiaire de réseaux que l’on mobilise et par toutes sortes de stratégies indirectes… La propagande peut être considérée comme l’équivalent politique ou idéologique de la publicité : votez pour moi, soutenez mon pays, je suis le meilleur... C’est un message qui ne cache pas sa source ni ses objectifs et qui est censé persuader directement et positivement. Le domaine de l’influence, en tant que stratégie indirecte, est forcément plus vaste : le lobbying, la désinformation, le formatage des esprits, l’action sur l’opinion à travers des ONG ou des personnalités prestigieuses, l’art de trouver des alliés pour soutenir votre point de vue... Cela dit, il y a des moments où les deux méthodes se recoupent. Par exemple, si vous créez une radio arabophone comme al Sawa, destinée d’abord à la population de l’Irak et qui se présente comme un média de distraction et d’information, donnant une image favorable des USA, c’est censé être une action d’influence. Néanmoins, pour les auditeurs hostiles qui savent qui finance ce média, cela apparaît comme de la propagande grossière qui déforme la réalité. La propagande apparaît comme la forme la plus visible, la plus naïve et la moins sophistiquée de l’influence.

    - La publicité. A priori la distinction semble évidente. La publicité vend des choses, pas des idées. Elle promet d’avoir et ne commande pas de devenir. Elle incite à consommer, pas à faire des choix politiques, encore moins à mourir ou à tuer. Son action est orientée vers un but unique et limité (achetez ce produit) non vers la transformation profonde du destinataire ou de sa vision du monde. La publicité, même comparative, dit du bien de la marchandise, elle ne diabolise pas des gens, des idées, des partis, des nations…. Pourtant la frontière peut être poreuse dans les deux sens. D’une part, nombre de procédés de marketing politique ou des relations publiques, qui sont une forme ou un avatar de la propagande de papa, consistent à « vendre » un homme politique « comme une savonnette », suivant la formule consacrée. D’autre part, la publicité dans son ensemble promeut globalement des valeurs. Ce peut être explicite, notamment lorsqu’une pub tente de nous persuader qu’en consommant X nous faisons acte de militantisme écologique et contribuons à sauver la planète. Ce peut-être implicite : la pub véhicule un idéal, une image du bonheur ou de l’individu épanoui qui n’est pas neutre idéologiquement.

    - La distinction entre culture et propagande n’est pas si évidente qu’il semblerait a priori. D’une part, la propagande même sous sa forme la plus grossière, cherche à s’approprier des valeurs culturelles supérieures. Son esthétique souvent kitsch est un hommage indirect aux pouvoirs supposés de l’art, comme ses références fréquentes à un passé mythifié ou à des autorités intellectuelles constituent un tribut à la mémoire et à la pensée des peuples. Mobiliser le monde de la culture pour sa cause, par exemple en expliquant que l’on est dans le camp des valeurs universelles, de l’Art, de la Pensée, etc.. – tandis que l’autre est un affreux barbare ennemi de toute liberté de l’Esprit – est une des plus vieilles recettes de la propagande. Mais, si nous considérons la chose dans l’autre sens, toute institution vouée à la transmission des valeurs, que ce soit l’École, le Musée ou une Église est aussi une machine à faire croire, à valoriser certaines représentations de la réalité, des courants d’idées, des principes éthiques ou politiques. La différence serait-elle que la propagande s’adresse à des citoyens lambda inconscients de ses effets, voire qui n’ont pas demandé à y être soumis ? alors que celui qui s’est mis en situation d’apprendre ou d’imiter sait qu’il est là pour être transformé (et pense-t-il amélioré) à un degré ou à un autre ?

    - Si toute propagande est aussi la propagation d’une idéologie (des explications du monde entraînant un jugement de valeur et visant à une transformation ou une justification de la réalité), l'inverse est-il vrai ? Peut-on propager une idéologie – dont la vocation est précisément de se répandre contre d'autres visions du monde – sans faire de la propagande ? Un théoricien qui a écrit un in-octavo bourré de notes sera choqué de se voir comparer à un distributeur de tracts. Il a le sentiment d’argumenter non de séduire ou d. Est-ce si certain ?

    - Enfin la propagande suppose la persuasion : le but est que des gens soient convaincus que.. (par exemple que c’est l’ennemi qui a déclenché la guerre, ou que le plan quinquennal a été dépassé) voire persuadés de faire… (voter, s’engager…). Pour autant la persuasion n’est qu’un des aspects de la propagande qui suppose d’autres modes d’orchestration, de diffusion des messages et d'incitation à l'engagement. Et toute persuasion n’est pas de la propagande : la persuasion par démonstration scientifique, ou encore celle qui intervient dans les relations interpersonnelles. Persuader quelqu’un de vous épouser, ce n’est pas de la propagande.

    Au total les définitions de la propagande suggèrent pourtant des conditions minimales :

    - une foi et une volonté de la faire partager, ou au moins des principes politiques généraux : pour faire de la propagande, il faut avoir une cause et des idées. Pas de propagandiste sans conviction, réelle ou feinte.
    - le pouvoir politique, celui de l’État ou d’un parti qui cherche à assurer un consensus ou celui de la faction qui cherche le conquérir
    - des spécialistes de la persuasion qui pratiquent cet art en toute conscience
    - des idées qui cherchent repreneurs et relais contre des résistances: elles doivent multiplier leurs disciples en situation de concurrence
    - des moyens matériels de diffusion : des médias et des relais humains pour les faire passer
    - le caractère unilatéral de la propagande, relation asymétrique entre un émetteur et un récepteur passif qui ne peut qu’adhérer ou refuser
    - l’idée enfin que la propagande sert les intérêts du propagandiste n serait-ce qu’en lui faisant gagner des partisans.

    Il semble plutôt exister une fonction propagande (remplie par des moyens matériels, humains et symboliques au service d’une intentionnalité) plutôt qu'une entité propagande. Cette fonction n'est pas la même
    - dans une situation de compétition (ou, comme pour la publicité, divers «produits» idéologiques cherchent à conquérir le public en respectant peu ou prou des règles), - dans une situation de domination où toutes les ressources de la propagande servent à maintenir un ordre déjà accepté,
    - -ou encore dans une configuration où la propagande doit conquérir, qu'il s'agisse de gagner des âmes ou de faire une révolution.

    Resterait par ailleurs à savoir si cette fonction est remplie de même façon suivant les époques. Les différences sont profondes entre les propagandes de type totalitaire et celle qui se pratique en situation de compétition pluraliste. Cette évolution ne tient pas seulement au contraste entre un discours unique, appuyé sur la censure et sur le monopole de la parole d’une part et d’autre part un langage « plus modéré » ou « moins délirant » tenu par celui qui sait qu’il risque d’être contredit. L’ancienne propagande évoquait slogans, foules alignées parfois en uniformes, d’affiches montrant des héros aux mâchoires d’acier, doctrine officielle, appels à la lutte… Mobilisation en somme. Ce qui en tient place aujourd’hui fonctionne au sondage, au message personnalisé, à la séduction douce, aux images de candidats en chemise entourés de leur famille et de leur chien, aux réunions qui rassemblent tous les people pour un show en prime time. Elle se réfère à l’intimité et à la proximité, se vante de son pragmatisme et de sa modestie…

    L’ancienne propagande tonitruait, la nouvelle susurre. L’ancienne voulait créer un homme nouveau, la nouvelle satisfaire un consommateur. La première faisait descendre sa révélation sur les masses, la seconde est « à l’écoute des courants d’opinion ». La première est « hard », la seconde « soft ».… Nous reviendrons ailleurs ce qu’un tel changement, symbolisé par l’apothéose des « spin doctors » et autres conseillers en communication, doit à l'évolution de nos systèmes politiques et ce qu’il doit à l’ère de la télévision et maintenant d’Internet.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 16 novembre 2019)

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  • Le grand retour du mépris de classe ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Eman, cueilli sur son blog A moy que chault ! , qui prend l'occasion d'une polémique médiatique provoquée par les propos d'une (ex-)chroniqueuse de L'Incorrect sur LCI pour évoquer le délitement de la société et la montée du mépris de classe.  Animateur du site d'information Paris Vox , rédacteur en chef de la revue Livr'arbitres et collaborateur de la revue Éléments, Xavier Eman est l'auteur d'un recueil de chroniques intitulé Une fin du monde sans importance (Krisis, 2016) et d'un polar, Terminus pour le Hussard (Auda Isarn, 2019).

     

    Julie Graziani_Lci.jpg

    Le grand retour du mépris de classe

    Bien sûr, il n'avait jamais vraiment disparu – consubstantiel qu'il est à la nature de certaines catégories d'individus – mais il s'était fait beaucoup plus discret, prudent, retenu, se rabattant largement sur la sphère privée. Évidemment, dans les couloirs des conseils d'administration, sur les parcours de golf et sous les poutres apparentes des demeures bourgeoises, on n'en pensait pas moins, on pensait même toujours rigoureusement la même chose mais on en réservait l'expression à un entre-soi choisi. Car le mépris social n'était plus à la mode, plus tendance, en tout cas médiatiquement, remplacé qu'il était – dans notre société moderne inapte à la mesure et à la nuance - par une survalorisation de la figure de la victime, du précaire, du chômeur en fin de droit.... Le temps était à la compassion lacrymale et à la « solidarité », du moins déclamatoire. C'était le temps où l'on essayait de nous faire pleurer sur les étudiantes « contraintes» de faire des pipes pour pouvoir suivre leur cursus de sociologie sans travailler au MacDo et où l'on applaudissait les actions du Droit Au Logement qui occupaient des immeubles inoccupés. « L'argent sale, l'argent qui corrompt... »... Tout le monde s'en foutait plein les fouilles, comme d'habitude, mais le discours était au misérabilisme bienveillant envers les « losers » de la mondialisation. Les socialistes existaient encore et, tout en menant des politiques capitalistes, devaient bien tenter de justifier encore ce nom, tandis que, de leur côté, les libéraux, ayant raflés toutes les mises, pouvaient bien accepter de cohabiter avec quelques discours « sociaux » qui ne mangeaient pas de pain, ni de brioche. Les médias, eux, se complaisaient à flatter généreusement un « petit peuple » qu'ils ne connaissaient pas et ce avec d'autant plus d'empressement que ce dernier avait le bon goût de voter à gauche, d'adhérer à la CGT et de respecter les dogmes de la bien-pensance « antiraciste ». Hélas cette tendance ne fût que temporaire, et, trop violemment bousculés dans leur existences quotidiennes par les soubresauts mondialistes et l'invasion migratoire, les « ploucs », les « prolos » se sont mis à dériver dangereusement vers le conservatisme et l'identitarisme tant honnis... Ils ne méritaient donc plus d'être défendus, même purement symboliquement. Coupables d'élire des maires FN, les chômeurs du Nord n'étaient désormais plus des victimes de la désindustrialisation mais des consanguins attardés. De la même façon, les fonctionnaires – dont le vote systématique pour le PS commençait à être ébranlé - n'étaient plus les nobles défenseurs du service public, mais d'infâmes parasites surnuméraires. Il n'y avait maintenant plus de « prolétaires » mais des « sans dents », et l'existence des pauvres « n'était rien »... Les masques pouvaient enfin tomber, il n'était plus nécessaire de prendre des gants, de faire semblant. Le PS disparaissait et la droite se « décomplexait », c'est à dire qu'elle retrouvait la mâle assurance des Maîtres des forges et des propriétaires miniers qui lui manquait tant. La réussite financière, la rapacité, l'accumulation matérielle, la spéculation et l'usure reprenaient leurs droits et pouvaient désormais être encensés sans gêne dans un pays dirigé comme une « start up » par un président banquier.

    Certaines résistances morales subsistant malgré tout, on envoya au casse-pipe une ravissante idiote vaguement droitarde qui dît crûment ce que tout le monde répétait depuis des mois en des formulations alambiquées nourries au sein du politiquement correct et de la langue de bois : « Dans notre beau monde libéral, ceux qui ne réussissent pas, qui ne gagnent pas suffisamment leur vie, qui se retrouvent en difficulté... ben c'est avant tout leur faute, ils n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes et s'ils rechignent à se sortir les doigts du cul, au moins qu'ils ferment leur gueule. » (Sentence ne s'appliquant étrangement qu'aux petits blancs, aux « de souche », le migrant, bien qu'assisté des orteils à la pointe des cheveux, nourri , logé, blanchi, soigné aux frais de la princesse, n'entrant jamais dans la ligne de vindicte du libéral qui, au contraire, Medef en tête, lui trouve tous les charmes et mérites... Peut-être parce que, malgré son énorme coût social (public), son exploitation professionnelle (privée) sera particulièrement juteuse ? On n'ose y croire... ; ).

    Ces propos de notre Bécassine LCIsée avaient en tout cas au moins le mérite de la franchise et de la clarté. Quelques pousses-mégots s'offusquèrent, un employeur « incorrect » - dont on apprit à l'occasion qu'il était le vaisseau amiral de la « cause des pauvres », navire armé par ce nouvel Abbé Pierre qu'est donc, semble-t-il, Charles Beigbeder – l'abandonna au milieu du champ du déshonneur médiatique, mais au final, elle eut autant de soutiens que de contempteurs et, sans ces embarrassants engagement parallèles, notamment pro-vie, sans doute en aurait-elle eu bien davantage.

    Car au final, aussi maladroitement que brutalement, elle n'aura fait que mettre des mots sur ce qu'est devenu notre pays : une non-société où le prisme économique domine tout, où le Bien Commun n'est plus qu'un lointain souvenir, remplacé par l'implacable tyrannie de l'individu et la guerre de tous contre tous. Plus de compatriotes, des concurrents. Plus de concitoyens, des agents économiques. Tant un tel monde, ce qu'on donne à l'autre (qui n'est rien pour moi), on me l'enlève injustement à moi (qui suis tout) et les décrochés de la course au pognon deviennent des entraves à ma propre réussite, des boulets plombant mon plan de carrière. J'ai donc le droit de les mépriser. En attendant de les haïr.

    Xavier Eman (A moy que chault ! , 16 novembre 2019)

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  • Communautarisme, radicalisme: l’armée française est-elle aussi vulnérable que la police ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un article d'Edouard Chanot, cueilli sur Sputnik et consacré à la question du communautarisme au sein des armées françaises.

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    Communautarisme, radicalisme: l’armée française est-elle aussi vulnérable que la police ?

    Devant lui, une vingtaine de candidats à la réserve se tiennent au garde-à-vous. Treillis impeccables, rangers cirées, ils sont prêts à recevoir leur première instruction au tir au fusil d’assaut. Pourtant, dans ce régiment du génie, l’un d’entre eux détonne. Sa barbe islamique et des propos prosélytes tenus les derniers jours font craindre le pire au sous-officier instructeur. Dans quelques minutes, l’individu aura dans ses mains un Famas chargé de 27 cartouches de 5,56 mm. Dans l’esprit du sous-off’, le scénario du pire. Il tranche alors: le candidat tirera seul et les 19 autres candidats devront reculer derrière un blindé!

    Aujourd’hui, l’ancien sous-off raconte cette anecdote en riant, ajoutant avoir gardé «sa main sur la crosse de son pistolet pendant tout l’exercice». Mais quand on lui demande s’il regrette d’avoir succombé à la paranoïa, son rire s’interrompt: «non, je ne regretterai jamais d’avoir pris une telle décision!», avant d’expliquer: «c’était en 2013. Aujourd’hui [après Charlie Hebdo ou le Bataclan, ndlr], un type pareil ne passerait sans doute pas la sélection».

    Il est vrai, l’armée française a serré la vis et n’a pas attendu d’attentat en son sein. Alors que la Police subissait une attaque dans son Saint des Saints le 3 octobre dernier, la question de la vulnérabilité de l’armée française semblait déjà réglée. La Grande muette, déployée à la fois en OPEX (opération extérieure) contre des mouvements djihadistes et dans l’Hexagone pour protéger les civils et les lieux à risque, aurait d’ores et déjà maîtrisé la radicalisation, avec une efficacité toute militaire. Vraiment?

    Des soldats musulmans refusent de combattre «leurs frères»

    Cet l’été 2019, les députés Éric Poulliat (LREM) et Éric Diard (LR) se sont voulus rassurants dans leur rapport sur la radicalisation au sein des services publics. Malgré le contexte, les forces armées seraient «globalement étanches» à la menace: «par essence, l’institution militaire est peu permissive, ne laissant ainsi que peu de place à des comportements incompatibles avec le service de la Nation et les valeurs républicaines», écrivaient-ils. La Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD) suivrait ainsi une cinquantaine de cas, et tiendrait donc la baraque. «La proportion de suspicion de radicalisation est évaluée à 0,05%», indique le rapport, pour près de 115.000 militaires et 24.000 réservistes. Ainsi les dossiers seraient-ils donc «en nombre très limité» et ne présenteraient que «des signaux faibles»: «comportement vestimentaire, mode de vie, pratique religieuse, relations, prosélytisme ou fréquentation de certaines mosquées».

    Le problème est que ce rapport indiquait par ailleurs que la Police et la Gendarmerie étaient aussi, de leur côté, «préservées dans l’ensemble de toute radicalisation significative». Une affirmation qu’est venue contredire Mickaël Harpon. Certes, l’Armée de terre a mis en place une chaîne des officiers de protection du personnel, triant les informations concernant d’éventuelles radicalisations, qui informent la DRSD. En amont, lors du recrutement, une enquête de sécurité est systématiquement réalisée en vue «d’écarter tout candidat présentant des signaux, même faibles, de radicalisation».

    L’armée, «globalement étanche» à l’infiltration djihadiste?

    Le Centre National des Habilitations défense, dépendant de la DRSD est chargé de ce premier contrôle. En aval et depuis mars 2018, l’armée est mesure de radier les soldats en voie de radicalisation après une enquête administrative présidée par un membre du Conseil d’État. Mais ces filtres sont analogues à ceux de la Police nationale. Ils restent imparfaits face à la dissimulation et face à la radicalisation ou à la conversion postérieure à l’entrée dans la police ou l’armée.

    Force est de constater que des précédents existent. En 2008, un fantassin du 1er régiment d’infanterie refusait de partir en Afghanistan pour ne pas combattre «ses frères musulmans». Deux autres du 501e régiment de chars de combat de Mourmelon déclinaient de même. L’un d’entre eux sera puni par 40 jours d’arrêt et la résiliation de son contrat d’engagé volontaire. «On choisit de s’engager, on ne choisit pas sa mission», dit-on dans l’Armée. «Moins de cinq cas par an», avait-on dit à l’époque. Mais quelques années plus tard, un ancien membre des forces spéciales, passé par le très prestigieux 1er RPIMa de Bayonne, rejoignait les rangs de Daesh, en 2015. Une dizaine d’anciens militaires français, dont les unités n'ont pas été dévoilées, auraient fait de même.

    Les parachutistes du prestigieux 1er Régiment Parachutiste d"Infanterie de Marine (RPIMa): l"élite de l"élite. Un ancien de cette unité des forces spéciales a pourtant rejoint Daesh en 2015.

    Ces cas sont-ils isolés ou la face immergée de l’iceberg? Du côté de l’état-major, on se veut rassurant. Mais le précédent historique existe: durant la guerre d’Algérie, de nombreux rebelles avaient été formés au sein de l’armée, de même durant celle d’Indochine. La menace ne peut être sous-estimée: l’armée de Terre reste l’endroit parfait pour que des djihadistes en puissance y apprennent à tuer.

    L’armée, creuset d’assimilation ou de tensions intercommunautaires?

    Impossible de connaître le nombre de soldats de confession musulmane. Mais une chose est sûre: leur situation a évolué et les Français issus de l’immigration sont une part grandissante des soldats du rang et des sous-officiers. S’il y a deux décennies, les musulmans pouvaient ne pas se sentir à leur place dans l’armée de Terre, les rations hallal depuis 2011 et la présence d’aumôniers musulmans depuis 2005, dans la foulée de la création du Conseil français du culte musulman, ont changé leur situation.

    Alors l’armée est-elle le creuset de l’assimilation ou est-elle traversée de tensions, comme le reste de la société française?

    Face aux polémiques, les militaires ont tendance à serrer les rangs et à protéger l’institution. Ces arguments apaisants se fondent en effet sur certains exemples criants: les Français de confession musulmane qui servent sous les drapeaux sont des cibles pour les terroristes, comme Mohammed Merah en mars 2012. Celui qui avait déclaré aux négociateurs du RAID «aimer la mort autant que vous aimez la vie» avait en effet ciblé délibérément et exécuté trois militaires français d’origine maghrébine avant d’assassiner trois enfants juifs. Et les cas de soldats musulmans au comportement remarquable au feu, en Afghanistan comme au Mali, sont nombreux. 

    Des unités plus exposées que d'autres

    Pourtant, certains témoignages remontent. Plutôt qu’un exemple d’assimilation, et malgré la discipline qui en fait un cas à part, l’armée française semble refléter les tensions de la société française contemporaine. Ainsi, un ancien sous-officier parachutiste nous a-t-il rapporté sa gêne, à la vue du coran sur le bureau de son supérieur: «si cela avait été une bible, qu’aurait-on dit?», souffle-t-il avant d’ajouter que le vin et la viande de porc avaient, la plupart du temps, disparu des pots de départ, au grand regret de certains. Les soldats auraient aussi tendance à se regrouper selon leurs communautés d’origine, au risque de fracturer l’esprit de corps. Un officier commando-parachutiste d’une autre unité, qui a accepté de nous répondre sous anonymat, précise la situation:

    Une distinction entre régiments de soutien peu attractifs et de mêlée plus prestigieux qui semble probante, à en croire un officier chasseur alpin qui nous a commenté, lapidaire: «Ah oui, c’est la soupe là-bas… une annexe de Pôle emploi!» En cause donc, le recrutement, comme le sous-entend aussi l’officier commando parachutiste: 


    En effet, l’armée entend développer son recrutement dans les zones dites sensibles. «Un vivier très intéressant qui reste à conquérir», selon le Lieutenant-colonel Olivier Destefanis, cité dans Le Parisien en juin 2019 à l’occasion de l’ouverture d’un centre de recrutement à Saint-Denis. À n’en pas douter, et ce depuis la fin de la conscription annoncée par Jacques Chirac en 1996, l’armée peine à atteindre ses objectifs de recrutement. Elle n’arrive notamment pas à compenser les départs à la retraite des sous-officiers, des cadres indispensables comme le savent les militaires. L’objectif de recrutement annuel est de l’ordre de 15.000 soldats. Paradoxalement, la fin de la conscription avait pour ambition une armée professionnelle, mais la réalité fait craindre un recrutement au rabais, des volontaires choisissant l’armée moins par vocation que pour y trouver un simple emploi.

    La «déculturation» des «petits blancs»

    En 2017, le plafond d’emplois avait été fixé à 273.280 et seuls 267.263 postes ont été pourvus. En 2018, la Seine-Saint-Denis 93 fournissait 310 recrues, contre 341 pour Paris ou 161 pour les Yvelines. Si les campagnes d’affichage se veulent multiculturelles, l’armée de terre n’a pas encore suivi le «modèle» britannique. En 2018, un clip de recrutement avait fait grand bruit: on y voit un soldat musulman ôter son casque et ses bottes pour prier durant une mission.

    L’herbe ne serait donc pas forcément plus verte ailleurs et en définitive, «la hiérarchie militaire, sa rigueur nécessaire et ses valeurs traditionnelles fortes font que [l’armée] est l’institution française qui intègre le mieux... sans faire de miracle», vient tempérer l’officier commando-parachutiste.

    À l’écouter, le problème majeur ne serait justement pas les revendications communautaires des Français d’origine étrangère, mais «la déculturation des “petits blancs”»: «Un phénomène plus inquiétant encore, nous dit-il avant de le décrire: fainéantise, absence de volonté de bien faire et d’attache au pays et à ses symboles et traditions.» Si les cas d’insubordination sont minimes, le problème des «cas sociaux en arrêt de travail» s’accompagnent «d’analphabétisme et de musique rap». Et là encore, faudrait-il un miracle?

    Edouard Chanot (Sputnik, 14 novembre 2019)

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  • Sahel : et maintenant, que faire ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bernard Lugan, cueilli sur son blog et consacré à l'enlisement de l'opération Barkhane menée par la France au Sahel.  Historien et africaniste, Bernard Lugan a publié de nombreux ouvrages, dont  Osons dire la vérité à l'Afrique (Rocher, 2015), Histoire de l'Afrique du Nord (Rocher, 2016), Algérie - L'histoire à l'endroit (L'Afrique réelle, 2017), Heia Safari ! - Général von Lettow-Vorbeck (L'Afrique réelle, 2017), Atlas historique de l'Afrique (Rocher, 2018) et Les guerres du Sahel (L'Afrique réelle, 2019).

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    Sahel : et maintenant, que faire ?

    Au Sahel, dans la même semaine, un militaire français a été tué, les armées du Mali et du Burkina Faso ont subi plusieurs graves défaites, perdant plus d’une centaine de morts, cependant que cinquante travailleurs civils employés d’une mine canadienne ont été massacrés au Burkina Faso, un pays en phase de désintégration. Même si la France annonce avoir tué un important chef jihadiste, la situation échappe donc peu à peu à tout contrôle.

    La réalité est que les Etats africains faillis étant incapables d’assurer leur propre défense, le G5 Sahel étant une coquille vide et les forces internationales déployées au Mali utilisant l’essentiel de leurs moyens à leur autoprotection, sur le terrain, tout repose donc sur les 4500 hommes de la force Barkhane.

    Or :

    1) Avons-nous des intérêts vitaux dans la région qui justifient notre implication militaire ? La réponse est non.

    2) Comment mener une véritable guerre quand, par idéologie, nous refusons de nommer l’ennemi ? Comment combattre ce dernier alors-que nous faisons comme s’il était surgi de nulle part, qu’il n’appartenait pas à des ethnies, à des tribus et à des clans pourtant parfaitement identifiés par nos services?

    3) Quels sont les buts de notre intervention ? Le moins que l’on puisse en dire est qu’ils sont « fumeux » : combattre le terrorisme par le développement, la démocratie et la bonne gouvernance, tout en nous obstinant, toujours par idéologie, à minorer, ou parfois même, à refuser de prendre en compte l’histoire régionale et le déterminant ethnique qui en constituent pourtant les soubassements ?

    4) Les Etats africains impliqués ont-ils les mêmes buts que la France ? Il est permis d’en douter…

    L’échec est-il donc inéluctable ? Oui si nous ne changeons pas rapidement de paradigme. D’autant plus que le but prioritaire de l’ennemi est de nous causer des pertes qui seront ressenties comme intolérables par l’opinion française.

    Dans ces conditions, comment éviter la catastrophe qui s’annonce ?

    Trois options sont possibles :

    - Envoyer au moins 50.000 hommes sur le terrain afin de le quadriller et de le pacifier. Cela est évidemment totalement irréaliste car nos moyens nous l’interdisent et parce que nous ne sommes plus à l’époque coloniale.

    - Replier nos forces. Barkhane est en effet dans une impasse avec des possibilités de manœuvre de plus en plus réduites, notamment en raison de la multiplication des mines posées sur les axes de communication obligés. Mais aussi parce qu’elle consacre désormais une part de plus en plus importante de ses faibles moyens à son autoprotection.

    - Donner enfin à Barkhane les moyens «  doctrinaux » de mener efficacement la contre-insurrection. Et nous savons faire cela, mais à la condition de ne plus nous embarrasser de paralysantes considérations « morales » et idéologiques.

    Cette troisième option reposerait sur trois piliers :

    1) Prise en compte de la réalité qui est que la conflictualité sahélo-saharienne s’inscrit dans un continuum historique millénaire et que, comme je le démontre dans mon livre Les Guerres du Sahel des origines à nos jours, nous ne pouvons prétendre avec 4500 hommes changer des problématiques régionales inscrites dans la nuit des temps. 

    2) Eteindre prioritairement le foyer primaire de l’incendie, à savoir la question touareg qui, en 2011, fut à l’origine de la guerre actuelle. En effet, si nous réussissions à régler ce problème, nous assécherions les fronts du Macina, du Soum et du Liptako en les coupant des filières sahariennes. Mais, pour cela, il sera impératif de « tordre le bras » aux autorités de Bamako en leur mettant un marché en main : soit vous faites de véritables concessions politiques et constitutionnelles aux Touareg qui assureront eux-mêmes la police dans leur région, soit nous partons et nous vous laissons vous débrouiller seuls. Sans parler du fait qu’il devient insupportable de constater que le gouvernement malien tolère des manifestations dénonçant Barkhane comme une force coloniale alors que, sans l’intervention française, les Touareg auraient pris Bamako…

    3) Ensuite, une fois le foyer nordiste éteint et les Touareg devenus les garants de la sécurité locale, il sera alors possible de nous attaquer sérieusement aux conflits du sud en n’hésitant pas à désigner ceux qui soutiennent les GAT (Groupes armés terroristes) et à armer et à encadrer ceux qui leur sont hostiles. En d’autres termes, nous devrons opérer comme les Britanniques le firent si efficacement avec les Mau-Mau du Kenya quand ils lancèrent contre les Kikuyu, ethnie-matrice des Mau-Mau, les tribus hostiles à ces derniers. Certes, les partisans éthérés des « droits de l’homme » hurleront, mais, si nous voulons gagner la guerre et d’abord éviter d’avoir à pleurer des morts, il faudra en passer par là. Donc, avoir à l’esprit, que, comme le disait Kipling, « le loup d’Afghanistan se chasse avec le lévrier afghan ». Il ne faudra donc plus craindre de dénoncer les fractions Peul et celles de leurs anciens tributaires qui constituent le vivier des jihadistes. Mais, en même temps, et une fois encore, il faudra imposer aux gouvernements concernés de proposer une solution de sortie aux Peul.

    Il sera alors possible d’isoler les quelques clans donnant des combattants aux « GAT », ce qui empêchera l’engerbage régional. Le jihadisme qui affirme vouloir dépasser l’ethnisme en le fondant dans un califat universel se trouvera ainsi pris au piège d’affrontements ethno-centrés et il pourra alors être réduit, puis éradiqué. Restera la question démographique et celle de l’ethno-mathématique électorale qui ne pourront évidemment pas être réglées par Barkhane.

    Placées à la confluence de l’islamisme, de la contrebande, des rivalités ethniques et des luttes pour le contrôle de territoires ou de ressources, nos forces percutent régulièrement les constantes et les dynamiques locales. Or, le chemin de la victoire passe par la prise en compte et par l’utilisation de ces dernières. Mais encore faut-il les connaître...

    Bernard Lugan (Blog de Bernard Lugan, 7 novembre 2019)

     

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