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Points de vue - Page 135

  • Une disparition d'Internet est-elle possible ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son blog Huyghe.fr et consacré à l'hypothèse d'une disparition d'Internet. Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018). Avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, François-Bernard Huyghe vient de publier Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019).

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    La fin d’Internet

    Internet pourrait-il disparaître ? L’hypothèse semble paradoxale, puisque, par définition, il a été conçu (du moins ses ébauches par la Darpa), pour résister à une guerre atomique. Le principe du réseau (x peut passer par A ou par B pour atteindre C) était précisément pensé dans cette perspective : décentralisation contre interruption ; jamais la communication ne serait empêchée puisqu’elle transiterait par d’innombrables canaux. Mais, bien qu’Internet soit supposé ultra résilient - et on le disait aussi dans les années 90 impossible à censurer ou à limiter et nous savons maintenant que ce n’est pas vrai- une thèse s’est répandue très tôt : celle du « big one », la grande catastrophe, le Pearl Harbour informatique » : puisque sur Internet, chaque point du réseau peut joindre tout autre, tout peut être contaminé par tout. Des think tanks comme la Rand imaginent donc qu’une puissance hostile paralyse l’ensemble du système. Une autre variante, beaucoup plus vraisemblable, serait qu’une opération contre certains systèmes informatiques détraque non pas Internet ou tous les pays, mais certaines fonctions indispensables à la vie d’une nation : plus d’électricité, de banques ou de transports, au moins pendant quelques heures, cela permettrait-il à un adversaire de nous imposer sa volonté ou de produire une effet de chaos irréversible ?

    Toute utopie suscite ses dystopies, toute description d’un monde idéal enfin libéré des contraintes du présent appelle des avertissements en retour : si nous n’y prenons garde, des forces mauvaises détourneront les possibilités de la technologie ou les aspirations des hommes pour construire le pire des mondes : toute la rhétorique de la cyberguerre et de la cybersécurité est basée sur l’hypothèse la plus pessimiste.
    Elle n’est pas absurde sur le plan des principes : tout finira un jour, y compris la planète terre ou l’auteur de ces lignes. Mais comment et pourquoi ?
    On peut, et la thèse à déjà circulé, imaginer une fin d’Internet, soit indirectement par suite d’une catastrophe générale ou d’une crise énergétique grave interdisant de l’alimenter en électricité, soit par insuffisance de bande passante (une thèse à la mode vers 2005), soit délibérément.
    Une première idée serait d’interrompre l’infrastructure physique d’Internet : le système repose sur une couche matérielle (à côté des couches dites logicielles et sémantiques, les règles qui font fonctionner le tout et les messages qui s’adressent aux utilisateurs finaux : des êtres humains). Et tout ce qui est matériel peut être saboté. Peut-on couper les câbles sous-marins par lesquels circulent les échanges ? Intervenir de vive force dans les data centers, sur les routeurs, chez les grande plateformes et en tous lieux - après tout situés dans des immeubles, donc susceptibles d’être attaqués ou ravagés ? Pour le dire autrement : tout ce qui passe sur Internet passe quelque part sur des ordinateurs ou les données sont physiquement stockées quelques part, donc, il y a des lieux que pourraient attaquer des terroristes, par exemple.
    On peut imaginer une cause involontaire de destruction des infrastructures - électriques, par exemple - indispensables pour faire fonctionner le tout. Météorites, ondes, tempête solaire, incendies gigantesques ? Cela devient une question d’échelle pour les désastres naturels. D’une panne d’électricité d’une province à la disparition de la Silicon Valley dans une faille, et à une interruption durable à l’échelle de la planète? - Et pour une action menée par l’homme, sauf à imaginer une secte millénariste qui veuille nous ramener à un stade technologique antérieur, quelle serait leur motivation, si l’on part de l’hypothèse qu’une panne générale frapperait aussi tout pays susceptible de les commanditer ?
    De la même façon, il est permis de fantasmer sur un logiciel malicieux qui infecterait l’ensemble du Net, aurait le temps de s’installe et ne rencontrerait pas de contrepoison à sa mesure ? C’est un scénario sur lequel travaillent des gens très sérieux. Mais à supposer même que l’épée transperce le bouclier - et que des centaines de sociétés high tech avec des milliers de chercheurs qui vivent précisément du repérage et de l’élimination des dangers numériques contagieux n’y puissent rien - quel intérêt stratégique autre que nihiliste ? Nous sommes là typiquement devant le « cygne noir » absolu : un événement d’une probabilité presque inenvisageable (et par définition s’en préserver demanderait des efforts immenses destinés à être renouvelés constamment face à l’ingéniosité de l’attaquant présumé, forcément innovant) mais aux conséquences immenses.
    Ce type de terreurs est nourri par le fait qu’il y a eu des coupures partielles d’Internet, soit du fait d’une décision politique comme en Égypte en 2011, soit de manière accidentelle, comme lorsqu’une paysanne géorgienne de 75 ans, la « hackeuse à la bêche » qui préparait son jardin coupa un fil en cuivre et priva d’Internet une partie de l’Arménie en 2011. Il y aussi eu des projets bizarres. Pour mémoire, rappelons qu’en 2010 des sénateurs américains avaient proposé de créer un kill switch, un bouton d’urgence qui aurait permis au Président américain de couper Internet, comme on coupe le courant, en cas d’urgence.
    En toute hypothèse, définitive ou temporaire, partielle ou planétaire, la coupure d’Internet, s’inscrit dans la logique selon laquelle tout ce qui fonctionne est susceptible d’être détraqué ; elle nous obligerait surtout à penser à nos réactions, aux fonctions et aux soutiens, y compris psychologiques, dont nous serions privés et à nos réactions. Dans un livre digne des modernes collapsologues, mais datant de 1971, Il Medioevo prossimo venturo (le Moyen-âge qui vient), Roberto Vacca, un scientifique italien, imaginait une sorte de panne par contagion (électricité, routes encombrées, paniques dans les villes) qui finissait par balayer notre civilisation. Et c’était avant Internet.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 20 juillet 2019)

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  • L’héroïsme de pacotille des nouvelles égéries progressistes...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Anne-Sophie Chazaud, cueilli sur Figaro Vox et consacré aux égéries du progressisme, vendues et sur-vendues par les médias du système... Philosophe et haut fonctionnaire, Anne-Sophie Chazaud est l'auteur d’un livre à paraître aux éditions du Toucan consacré à la liberté d’expression.

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    L’héroïsme de pacotille des nouvelles égéries progressistes

    Elles s’appellent Greta Thunberg, Carola Rackete, Megan Rapinoe… Elles circulent avec aisance à travers les airs, les routes et les océans dans un monde qui, d’une certaine manière, leur appartient, afin d’y répandre la bonne parole. Elles font la une des médias, sont portées au firmament par les faiseurs d’opinion «progressistes» (autoproclamés tels), figures de proue de quelqu’improbable armada de la post-modernité bien-pensante. Elles jouent au foot, empochent de prestigieux trophées, pilotent des navires, bravent supposément les interdits, défient les puissants de la planète (surtout occidentale, c’est moins risqué) en décelant paraît-il le CO2 à l’œil nu, alertant sans relâche sur les dangers du réchauffement climatique, du sexisme, de l’homophobie, du racisme atavique de l’homme blanc ou de quelqu’autre grande cause à la mode…

    Ces figures portent des combats, des convictions, qui sont celles du camp du Bien à l’ère politiquement correcte et c’est leur droit le plus absolu: abolition des frontières, écologie, néo-féminisme, luttes pour les minorités, multiculturalisme, rien ne manque et toutes les panoplies du combat sociétal sont représentées comme à la parade.

    Pourtant, si ces égéries sont, pour la plupart, dotées de compétences et de personnalités particulières, ce qui les a conduites là où elles sont, les modalités de leurs interventions et leurs prises de position semblent, sous couvert d’impertinence, bien conventionnelles et bien peu audacieuses au regard de la morale ambiante et dominante dont elles ne font que répandre docilement les poncifs.

    Dans un discours halluciné prononcé lors du retour victorieux de l’équipe américaine de football dont elle est la capitaine, à New York ce 10 juillet, Megane Rapinoe a probablement, en plus de son trophée sportif, remporté également celui de la célébrité progressivo-compatible ratissant le plus large, afin de ne laisser échapper aucune miette de cet indigeste gâteau revendicatif. Celle qui s’était distinguée en déclarant avec subtilité qu’elle ne se rendrait pas à «la putain de Maison Blanche» dans un grand moment d’élégance (qui n’a pas été du goût de nombreux Américains) ou qui refuse ostensiblement de chanter l’hymne national, n’est jamais en reste pour adopter les postures les plus donneuses de leçons possibles: invitant tel un télévangéliste chacun à «être meilleur» (au football?), la joueuse de Seattle, solidement campée sur ses petits crampons, n’hésite pas à prendre à tous propos son bâton de pèlerin pour défendre tout à trac les homosexuels (dont on ignorait qu’ils étaient encore institutionnellement persécutés aux États-Unis), les différentes communautés qui sont autant de gruyères dans lesquels faire des trous d’un marché lucratif, pour fustiger les bases naturellement perverses et pourries de son pays, et autres combats ou nobles causes se découvrant à marée basse.

    On peut toutefois s’interroger sur le niveau réel de bravoure que cela requiert pour quelque star que ce soit de s’opposer publiquement au président Trump et de relayer en battant sa coulpe le sanglot de l’homme blanc. Cette hostilité affichée ne constitue-t-elle pas au contraire un passage obligé? N’est-ce pas plutôt l’inverse qui serait particulièrement dangereux et risqué? Imagine-t-on le traitement médiatique et la popularité d’une quelconque célébrité se déclarant ouvertement pro-Trump ou hostile aux vagues migratoires incontrôlées, ou considérant que les combats sociétaux ont été assez loin et qu’il est peut-être temps de cesser d’hystériser et d’exacerber les revendications minoritaristes? Celle-ci récolterait sur-le-champ l’opprobre et sa carrière serait barrée. L’originalité, la transgression de ces postures vindicatives, le grand frisson de l’interdit bravé qu’elles représentent sont de pure façade et masquent la vacuité d’un système qui s’autopromeut complaisamment. Ces postures constituent à la fois la bibliothèque rose de l’engagement public mais aussi l’indispensable sésame pour recueillir la précieuse onction médiatico-mondaine laquelle n’est, comme chacun sait, pas décernée par l’électorat populaire de Donald Trump.

    Dans un autre style, la jeune (et légèrement inquiétante) Greta Thunberg, manifestement échappée de quelque thriller scandinave, n’est pas en reste, sillonnant l’espace européen pour sensibiliser les grands de ce monde quant aux méfaits du réchauffement climatique. Elle-même fait d’ailleurs l’objet d’une évidente instrumentalisation de la part de son entourage et de certains militants écologistes et investisseurs experts en greenwashing qui la poussent ainsi sous les feux des projecteurs, sans souci de préserver sa jeunesse ou son évidente fragilité. On peut pourtant se demander si se placer ainsi du point de vue de la jeunesse pour interpeller des adultes dont on postule a priori qu’ils sont fautifs, inconscients et irresponsables est si audacieux, si risqué, si dangereux, si anticonformiste, dans une société où les parents sont systématiquement culpabilisés, où toute forme d’autorité et d’expertise dans la prise de décision est contestée, comme le démontre par exemple la logique théorique inhérente à la récente loi dite «anti-fessée» laquelle vient, précisément, de l’exemple (pourtant désormais contesté) de la Suède qui fut naturellement précurseuse en la matière. L’infantilisation du combat social et l’infantilisme sociétal vont main dans la main depuis une bonne quarantaine d’années: pour l’audace, la nouveauté et la disruption, il faudra donc repasser.

    Carola Rackete, quant à elle, médiatique capitaine allemande du navire «humanitaire» Sea Watch, qui a accosté de force à Lampedusa avec l’onction de toute la bien-pensance européenne, ne prend pas non plus grands risques à relayer la ligne autoritaire et dominante imposée par exemple par le Traité de Marrakech ou par la vulgate libre-échangiste en matière d’acceptation de l’immigration non maîtrisée. C’est contester cette dernière qui constitue une prise de risque au regard de la morale ambiante. S’opposer théâtralement à Matteo Salvini est le plus sûr moyen de se notabiliser, de s’attirer les sympathies du camp progressiste, d’en recueillir là encore l’onction et la reconnaissance. C’est la garantie d’une carrière médiatique assurée. Peu importe que cela se fasse en surfant sur le business des passeurs et autres trafiquants de chair humaine et de main-d’œuvre à bas coût: tous les moyens seront bons pour asseoir la vulgate en vogue et le marché qui l’accompagne.

    Le «progressisme» on le sait fonctionne par oppositions binaires et manichéennes entre le Bien et le Mal. Ce paradigme permet une simplification du débat public mais aussi une stigmatisation prompte de ceux dont on disqualifiera ainsi les points de vue déviants. Cette partition sommaire entre les «déplorables» (comme les avait nommés sans vergogne Hillary Clinton) et les fréquentables se reflète aussi dans le schématisme caricatural de ces égéries, lesquelles finissent par conséquent par ressembler plutôt à des produits marketing. Les marchés de niche des Social Justice Warriors ont tendance à créer des combattants qui s’apparentent in fine plutôt à des têtes de gondoles. Gageons donc qu’elles seront pareillement remplaçables, au gré des évolutions du marché de la revendication, ou en fonction de l’air du temps.

    Anne-Sophie Chazaud (Figaro Vox, 15 juillet 2019)

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  • Pas de « défense économique » sans « attaque économique »...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Duranthon, cueilli sur Geopragma et consacré à la défense économique. Jean-Philippe Duranthon est haut-fonctionnaire.

     

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    J.-P. Duranthon : Pas de « défense économique » sans « attaque économique »

    De façon assez discrète, le gouvernement réorganise ses services chargés d’œuvrer de manière non militaire à la défense du pays. Après les différentes structures de renseignement c’est au tour des structures économiques d’être repositionnées. Alors qu’une rivalité entre les services d’intelligence économique de Bercy et de Matignon (auquel le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale – SGDSN – est rattaché) créait depuis longtemps des tensions néfastes, une clarification des rôles de chacun est intervenue récemment. Le schéma retenu, si l’on en croit la presse, pour coordonner l’action de tous les intervenants n’est pas vraiment caractérisé par une grande simplicité : c’est le service de sécurité économique (SISSE) du ministère des Finances qui coordonne le dispositif, donc l’action du comité de liaison entre les ministères concernés par les dossiers traités par le Conseil national de défense (le « COLISE ») ainsi que le volet économique de l’action des différents services de renseignement ; mais, pour mener à bien cette mission, le SISSE agit sous la présidence du directeur du SGDSN. Il faut donc faire preuve d’optimisme pour imaginer que l’enchevêtrement des compétences respectives des différentes entités concernées sera toujours harmonieux. Mais cette volonté d’organiser l’action des différentes structures doit être saluée, de même que le choix du vocable utilisé : il y a peu, parler d’ « intelligence » (au sens anglo-saxon du terme, celui de « renseignement ») économique était jugé provocateur dans certains milieux, assumer aujourd’hui la nécessité d’une « défense économique » montre que le réalisme fait parfois des progrès.

    De cette initiative peut être rapprochée la publication, le 26 juin, du rapport élaboré, à la demande du Premier Ministre, par le député Raphaël Gauvain, dont le titre est à lui seul révélateur d’un nouvel état d’esprit (« Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale ») et dont certaines affirmations témoignent d’une volonté de ne pas se voiler la face : « Les Etats-Unis ont entraîné le monde dans l’ère du protectionnisme judiciaire… Les entreprises françaises ne disposent pas aujourd’hui des outils juridiques efficaces pour se défendre contre les actions judiciaires extraterritoriales engagées à leur encontre… Les actions engagées (par les Etats-Unis) semblent motivées économiquement et les cibles choisies à dessein ». Même si, sur le fond, il n’y a là rien de nouveau, l’affirmer de manière aussi claire et quasi-officielle est loin d’être neutre.

    Réjouissons-nous donc de ces évolutions. Reste à savoir quelles en seront les conséquences pratiques. Car poser les problèmes et mieux se coordonner pour les traiter ne sont que des préalables à l’action. A cet égard quatre principales questions se posent.

    La première interrogation porte sur ce que l’on veut protéger. La volonté de Bercy est surtout d’éviter que des entreprises françaises qui constituent un enjeu technologique, industriel ou économique passent sous le contrôle d’entreprises étrangères, une attention particulière étant portée aux PME et aux start-up, nécessairement plus fragiles et qui ont régulièrement besoin de ressources supplémentaires qu’elles peinent souvent à trouver en France, où les investisseurs n’aiment pas beaucoup le risque et sont découragés à l’aimer. Mais de quelles entreprises parle-t-on ? Celles dont le siège social, ou le principal centre de recherche, est implanté en France ? Celles dont la majorité des actionnaires, ou ceux qui contrôlent ses instances dirigeantes (quand ils existent), sont français ? Celles dont le gouvernement a considéré qu’elles interviennent dans un secteur jugé par lui stratégique, ou qu’elles sont indispensables à l’équilibre du tissu industriel local ? Celles qui ont en France la plus grande part de leur chiffre d’affaires ou de leur effectif, ou le syndicat le plus remuant, etc. ? Ou bien, plus simplement, une entreprise a-t-elle autant de nationalités que d’implantations, auquel cas le concept est vidé de son sens et l’on n’a guère avancé pour définir les enjeux de la défense économique ?

    Une autre approche pour répondre à cette première interrogation consiste à prendre en compte les menaces que recèlent les nouvelles technologies, en particulier les technologies numériques : Thierry Breton, le PDG d’Atos, estime qu’après avoir réussi à maîtriser les trois espaces territorial, maritime et aérien, les hommes doivent aujourd’hui apprendre à dominer l’ « espace informationnel », pour éviter de passer sous la domination d’entreprises ou d’Etats qui utiliseraient les données qu’elles recueillent pour remettre en cause la souveraineté de tiers ; il plaide donc — c’est bien sûr son intérêt mais cela ne disqualifie pas pour autant son propos — pour la constitution dans ce domaine de champions mondiaux et pour un soutien accru à l’intelligence artificielle, seule capable d’exploiter des quantités énormes de données. L’image des quatre espaces est belle mais la problématique n’est-elle pas plus large ? Doit-on protéger le potentiel économique d’un pays ou les conditions qui permettent à ce pays d’acquérir ce potentiel, d’en profiter et de le développer ? Auquel cas il est difficile de donner des limites à ce qui relève de la seule « économie » : la « défense économique » n’est jamais qu’un aspect de la défense tout court.

    La deuxième interrogation concerne le fait de savoir contre quoi, ou qui, l’on doit se « défendre ». Le problème ici vient de ce que les alliances militaires ne recouvrent pas nécessairement les communautés d’intérêt économique, ce qui vient en contradiction avec la conclusion du point précédent. Même s’il faudrait être bien naïf pour s’imaginer que les alliances militaires sont fondées sur le précepte cher aux mousquetaires de d’Artagnan et que les Etats y oublient leurs intérêts pour ne penser qu’au bien du groupe, les porosités sont plus fortes dans le domaine économique, qui est de plus régi par des horizons temporels différents de ceux des alliances militaires. Les entreprises, plus que les Etats, ignorent les frontières. Si la ligne Maginot s’est révélée être une illusion militaire, les murs sont encore plus facilement contournables dans le domaine économique ; seuls les financiers font semblant de croire aux chinese walls.

    L’efficacité économique d’un pays repose aujourd’hui sur une conjonction de grosses entreprises qui sont les leaders de leur secteur d’activité et de start up agiles : les premières doivent avoir une taille mondiale, ce qui passe nécessairement par des alliances, de formes diverses, avec des entreprises étrangères, alliances qui les obligent à concilier les intérêts de plusieurs nations, voire à acquérir une double ou triple nationalité, comme Renault-Nissan et Air-France-KLM se relaient pour nous le rappeler ; les secondes doivent pouvoir séduire chercheurs, innovateurs et investisseurs là où ils se trouvent et pas seulement dans leur pays d’origine, à supposer que celui-ci ait pu les conserver. Seuls les pays-continents peuvent envisager de se développer de manière à peu près autonome mais les nouvelles Routes de la Soie montrent que vient un temps où cela ne suffit plus et où il faut sortir de ses frontières. Dans ces conditions, il n’est pas facile d’agir autrement qu’au cas par cas et de définir a priori une stratégie, ce qui serait pourtant nécessaire pour être efficace. Ne poussons pas, toutefois, le raisonnement trop loin : certains pays et certaines entreprises ont une stratégie de conquête quasiment affichée et leurs projets nécessitent d’être examinés sans qu’il soit nécessaire de tergiverser longtemps.

    La troisième interrogation concerne les moyens pouvant être utilisés au titre de la défense économique. Certains relèvent de problématiques juridiques, la puissance publique devant autoriser, ou pouvant s’opposer, à la prise de contrôle d’une entreprise française par une entreprise étrangère : le « décret Montebourg » de 2014, qui renforce un texte de 2005, en est un exemple. Le problème est que ces dispositifs, s’ils traitent de manière indifférenciée toutes les entreprises étrangères, peuvent entrer en conflit avec des directives européennes (voir les débats relatifs aux golden shares), voire avec les normes de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). D’autres moyens d’intervention supposent l’existence de ressources publiques pouvant être investies dans l’entreprise qui demande à être défendue ou qui veut financer un programme de recherche ou de développement stratégique (les aides à la production étant prohibées, sauf exceptions) : la France s’est, avec la Banque Publique d’Investissement (BPI) d’une part, les programmes d’investissement d’avenir (PIA) financés par des emprunts comptabilisés de manière spécifique, d’autre part, dotée d’outils financiers adéquats mais ceux-ci font pâle figure par rapport aux fonds d’investissement des grands pays, ou de pays qui, tels les pays pétroliers – y compris la Norvège -, ont accumulé des réserves financières importantes. La nationalisation peut constituer une arme de défense ultime mais elle ne saurait être plus qu’une situation d’attente donnant le temps de trouver une solution plus durable.

    Mais la problématique traditionnelle atteint vite ses limites. En premier lieu, une entreprise a peu de chance de se développer dans un pays qui s’affaiblit et dont la situation économique se dégrade : les entreprises dont l’essor est constaté sur les seuls marchés étrangers quittent rapidement leur pays d’origine pour transférer leurs actifs stratégiques dans la région où leur chiffre d’affaires est le plus important et où elles trouvent le plus facilement les financements qui leur sont nécessaires. La défense économique d’un pays passe d’abord par la prospérité économique de ce pays. En second lieu, les moyens d’intervention traditionnels sont impuissants devant certaines méthodes ou technologies nouvelles : d’une part, l’importance des technologies numériques et les pouvoirs qu’elles confèrent aux entités qui les maîtrisent donnent à celles-ci une puissance qui contourne les pouvoirs juridiques et financiers ; d’autre part, l’extraterritorialité du droit américain, à laquelle personne n’a, jusqu’ici, trouvé la possibilité de s’opposer, l’Iran n’est plus payé pour le savoir, fait voler en éclat les règles du jeu traditionnelles et crée de fait une dépendance qu’aucun traité, aucune norme ne prévoit mais devant laquelle les outils traditionnels de la défense économique sont impuissants.

    Reste la dernière interrogation, classique désormais, celle consistant à savoir quelle est la bonne échelle géopolitique pour mener cette politique : nationale ou européenne. Ceux qui réfléchissent à ces sujets considèrent très généralement que rien d’efficace ne peut être fait autrement qu’au niveau européen, mais les faits sont parfois têtus, comme l’a par exemple montré la nationalisation, à l’été 2018, des chantiers navals de STX pour éviter qu’ils ne passent sous le contrôle absolu de Fincantieri, l’Italie pouvant pourtant difficilement être accusée d’impérialisme planétaire. Le réalisme oblige à reconnaître qu’à part le Royaume Uni – mais celui-ci veut encore croire qu’il n’est pas qu’européen – les autres pays européens ne raisonnent pas en termes de défense économique et, s’ils défendent bien sûr leurs intérêts économiques nationaux, considèrent que cette défense n’est pas antinomique avec une prise de contrôle étrangère. La Commission, pour sa part, estime que le concept de défense économique est trop proche de celui, honni, de politique industrielle et ne saurait agir autrement qu’au nom de la concurrence ou de l’urgence climatique. Le gouvernement français a pour ambition de faire partager ses analyses et ses dispositifs juridiques par ses partenaires, espérons que cette ambition sera couronnée de succès.

    Il y a par conséquent encore beaucoup de travail à faire pour que les responsables de la défense économique aient à leur disposition une doctrine et des moyens d’action efficaces. Mais n’oublions pas que, comme l’affirment les Clauzewitz des cafés du commerce, « la meilleure défense, c’est l’attaque » : la façon la plus efficace de préserver et de pérenniser le potentiel économique d’un pays, c’est de faire en sorte qu’il dispose d’entreprises performantes, capables d’affronter la concurrence internationale, d’investir dans les technologies d’avenir et de conquérir des marchés à l’export. Le rôle de l’Etat est de le leur permettre, et aussi, parfois, de passer lui-même à l’attaque, ainsi qu’il lui est arrivé de le faire, par exemple lorsqu’il a fait condamner en 1999 par l’OMC le dispositif américain du Foreign Sales Corporation (FSC). Ne nous contentons pas de la seule défense économique.

    Jean-Philippe Duranthon (Geopragma, 8 juillet 2019)

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  • Fin de la récré...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Eman, cueilli sur son site A moy que chault ! et consacré au rôle de l'Education Nationale dans la fabrication à la chaîne de crétins lobotomisés et soumis... Animateur du site d'information Paris Vox , rédacteur en chef de la revue Livr'arbitres et collaborateur de la revue Éléments, Xavier Eman est l'auteur d'un recueil de chroniques intitulé Une fin du monde sans importance (Krisis, 2016) et d'un polar, Terminus pour le Hussard (Auda Isarn, 2019).

     

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    Fin de la récré

    La liberté d’expression dans l’espace public est en voie d’éradication. Ce n’est pas un nouveau  fantasme complotiste mais un simple et froid constat que tout un chacun peut faire en se penchant notamment sur la loi dite « contre la haine en ligne » actuellement en cours de vote au Parlement … Entre autres sympathiques facéties, celle-ci transfère à des opérateurs privés des pouvoirs qui jusque-là étaient octroyés aux juges…  Nous entrons donc aujourd’hui dans l’ère du contrôle à priori, de la censure « de précaution », et de la soumission automatique et désormais « légitime » à toutes les délations et les dénonciations « citoyennes »… « L’incitation à la haine » étant un concept si vaste, si fumeux, si subjectif, si imparfaitement défini, il apparaît d’évidence  qu’à peu près tout et n’importe quoi pourra être soumis à cette infamante définition. C’est bien d’ailleurs en ce sens que la loi a été pensée et écrite.

    Cette disparition programmée d’une liberté pourrait être terrible et tragique… Ce n’est finalement qu’anecdotique. Car en effet à quoi bon légiférer contre la liberté d’expression dans une société où plus personne n’a rien à exprimer, où plus personne bientôt n’aura même les moyens intellectuels de former et  de formuler une idée ?

    Le vrai drame n’est en effet pas le nouvel épisode de la grande saga des lois liberticides, qui, si scélérates soient-elle, ont toujours produit leurs propres contestations, oppositions et remises en cause…  Non, la véritable – et sans doute définitive – défaite, c’est la disparition généralisée, générationnelle, de l’intelligence, de la culture et du sens critique… Ce ne sont ni les députés vendus ni les juges larbins qui assassinent de façon rédhibitoire la pensée dissidente et la liberté d’expression, c’est bel et bien l’Education nationale. Priver les gens de leurs capacités de réflexion et de d’expression est un moyen d’asservissement beaucoup plus efficace, d’un point de vue radical et totalitaire, que chercher à sanctionner ou réprimer la dite pensée.

    Nos politiciens, leurs cornacs oligarchiques comme leurs domestiques magistrats, ne sont en fait que des gens trop pressés. Ils pondent encore des lois pour accélérer l’avènement d’une situation qu’encore deux générations de « citoyens » obligatoirement  lobotomisés de 3 à 20 ans leur apporteront inéluctablement… L’observation du bac 2019 est à ce sujet particulièrement révélatrice… Le niveau n’est même plus affligeant, il est d’une certaine façon sublime de nullité… Et quoi de plus facile que de régner sur une population de crétins de cet acabit ? Aux trois quarts illettrés, incapables de placer Napoléon et Charlemagne dans le temps, déstructurés, accrocs à Insta et aux écrans, n’aspirant qu’à une réussite purement matérielle, s’amusant de leur propre sottise, curieux de rien, veules et drogués…  Encore mieux que des esclaves puisque nos néo-bacheliers sont pour leur part satisfaits et volontaires…  Aucun mépris d’ailleurs  dans ce constat car ce ne sont bien sûr que des victimes d’un plan organisé mis en place depuis des décennies, et dont  tous les adultes ou parents que nous sommes sont partiellement complices…  

    La grande machine à décérébrer et à émasculer intellectuellement qu’est l’Education Nationale depuis 40 ans est en tout cas  aujourd’hui en phase de pouvoir se prévaloir d’avoir atteint l’objectif pour lequel des milliards lui ont été versés : créer une nouvelle race « d’hommes », la grande armée des zombies consuméristes, gigantesque dégueulis d’abrutis vulgaires et hautains, aussi prétentieux que geignards et pleurnichards, ayant le caractère au même niveau que leur bagage intellectuel, bloqué au début de la petite enfance, pour ne pas dire au stade anal.

    Avec eux, plus besoin de lois, de juges, de condamnations, de mitards et de matons… Leur vide est leur plus  efficace geôlier et ils ne pourront jamais être tentés par une quelconque pensée divergente puisque – faute d’instruments, de connaissances, de vocabulaire, de lectures, d’entraînement…-  le concept même de penser leur sera devenu inaccessible. Au mieux (au pire) - en cas d’échec social ou de cassure psychologique- ils aboieront des slogans simplistes et caricaturaux, glapiront une « haine » pour le coup bien réelle, seul sentiment désormais à leur portée, sombreront dans une violence nihiliste et seront alors le repoussoir idéal tout autant que le matériau parfait de toutes les manipulations…

    Xavier Eman (A moy que chault ! , 6 juillet 2019)

     

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  • Vers un nouveau recul de la liberté d'expression...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Yves Mamou, cueilli sur internet et consacré à une proposition de loi, porté par le parti d'Emmanuel Macron, visant à restreindre la liberté d'expression sur internet et les réseaux sociaux. Ancien journaliste du Monde, Yves Mamou a publié Le Grand abandon - Les élites françaises et l’islamisme (Toucan, 2018).

     

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    Réputée pour son mordant, Laetitia Avia, députée de La République en Marche d'origine togolaise, défend une proposition de loi qui restreindra considérablement la liberté d'expression sur internet...

     

    Loi Avia: l’inquiétant précédent en matière de liberté d’expression

    Si l’on veut avoir une idée des conséquences possibles de la proposition de loi de lutte contre la haine sur internet portée par la député LREM Laeticia Avia, alors il convient de porter la plus extrême attention au sondage récemment publié en Allemagne par le Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ). Ce sondage réalisé par l’Institut für Demoskopie Allensbach porte sur la perception par les Allemands du droit à la liberté d’expression. Compte tenu du fait que la proposition de loi Avia est la copie conforme de la loi allemande NetzDG du 1er octobre 2017 qui oblige les réseaux sociaux (Facebook et Twitter principalement) à organiser «le retrait des contenus illicites sous 24 heures sous peine de lourdes sanctions financières», il n’est pas interdit de penser que les mêmes causes produiront les mêmes effets.

    Que nous apprend le sondage allemand? Qu’il est de moins en moins possible d’exprimer son opinion dans l’espace public allemand, que «des lois non écrites» tracent une frontière de plus en plus imperméable entre les opinions socialement acceptables et les opinions qu’il convient de réserver à la seule sphère domestique.

    Près des deux tiers des citoyens interrogés sont convaincus qu’ «aujourd’hui, il faut être très prudent sur les sujets sur lesquels on s’exprime» tant le fossé s’est creusé entre «les opinions acceptables» et celles qui le seraient moins. Parmi les sujets inacceptables, arrive en tête «la question des réfugiés … suivis des opinions que l’on peut avoir sur les musulmans et sur l’islam». 71% des Allemands interrogés estiment devoir faire preuve de prudence sur la question des migrants. Toutes les références «au nazisme et aux juifs entrent dans la catégorie des sujets devenus très sensibles» indique une majorité de personnes interrogées. Pour un peu moins de la moitié des sondés, «l’extrémisme de droite et les discussions sur l’AfD» sont aussi des sujets qu’il est presque tabou d’aborder en public.

    Le nombre de sujets tabous a aussi augmenté. Le sondage ajoute que «de larges couches de la population ont le sentiment qu’il faut faire preuve aujourd’hui de la plus extrême prudence sur des sujets tels que le patriotisme, l’homosexualité ou le genre».

    En revanche, une majorité d’Allemand respire librement et se sent en droit de s’exprimer publiquement sur «des sujets comme la protection du climat, l’égalité des droits, le chômage ou l’éducation des enfants», Là, l’expression franche en public est «permise» (les guillemets sont de l’auteur).

    Point très intéressant, le sondage allemand exprime un doute sur la motivation des élites dirigeantes. «La population n’est plus tellement sûre que les élites qui prônent l’intégration européenne au sein d’une économie mondialisée aient une quelconque estime pour la nation (allemande)...» En fait, les Allemands se demandent s’ils ne risquent pas «d’être considérés comme des extrémistes de droite s’ils se déclarent patriotes». Pour un tiers des personnes interrogées, les hommes politiques qui ne veulent pas s’exposer à de violentes attaques doivent éviter «d’exprimer (publiquement) un quelconque sentiment de fierté nationale».

    Le sentiment que les sujets qui préoccupent le plus n’ont plus droit de cité est illustré par le fait que 62% des Allemands pensent qu’un homme politique verrait son avenir sérieusement compromis s’il s’avisait d’exprimer l’idée que l’islam a trop d’influence en Allemagne. 22% seulement seraient choqués de voir exprimée une idée similaire dans la sphère privée. L’idée qu’on «en fait trop pour les migrants» est également perçue par la majorité des sondés comme une idée à risque si cette idée est exprimée publiquement. Mais ils ne sont plus qu’un tiers (31%) a trouvé choquante la même idée exprimée en privé.

    Les auteurs du sondage mettent carrément les pieds dans le plat en affirmant que «nombre d’Allemands ont le sentiment que le contrôle social s’est renforcé sur l’expression publique et que les comportements et les propos publics font désormais l’objet d’une surveillance renforcée».

    La loi NetzDG n’est pas seule responsable du sentiment général qu’ont les Allemands de vivre sous surveillance, un sentiment exprimé plus fortement encore par les Allemands qui vivent dans les territoires de l’ex-République démocratique allemande, lesquels gardent encore frais dans leur mémoire la pesante surveillance de la Stasi, la police politique du régime.

    En Allemagne, des procès ubuesques ont été intentés à des citoyens qui tentaient d’exprimer leur inquiétude sur la politique migratoire de la chancelière Merkel. L’analyste Judith Bergman rappelle dans un article récent du Gatestone Institute qu’ «en 2016, un couple marié, Peter et Melanie M., ont été poursuivis en justice pour avoir créé un groupe Facebook très critique de la politique migratoire du gouvernement… Dans son verdict, le juge a déclaré: «le groupe se définit par une série de généralités qui ont un arrière-plan clairement de droite.» Peter M. a été condamné à neuf mois de prison avec sursis et son épouse à une amende de 1 200 euros. Le juge a ajouté: «Vous comprenez j’espère, la gravité de la situation. Si nous nous revoyons à nouveau, c’est la prison.»

    Judith Bergman ajoute qu’ «en août 2017, le tribunal d’instance de Munich a condamné le journaliste Michael Stürzenberger à six mois d’emprisonnement avec sursis pour avoir publié sur sa page Facebook une photo du grand mufti de Jérusalem, Haj Amin al-Husseini, serrant la main d’un haut dignitaire nazi à Berlin en 1941. Le procureur a accusé Stürzenberger d’avoir «incité à la haine contre l’islam» et d’avoir «dénigré l’islam».

    Aucun sondage du type de celui qu’a publié le Frankfurter Allgemeine Zeitung n’a été mené en France. Si la chose se produisait, faudrait-il s’étonner d’obtenir des résultats similaires? Les procès intentés en série en France à Eric Zemmour, à Marine Le Pen, à Georges Bensoussan ou à Mohamed Louizi pour avoir émis des propos jugés offensants pour l’islam et les musulmans ne sont pas très différents du procès qui a été intenté en Allemagne au journaliste Michael Stürzenberger. Tous ces procès montrent que la machine judiciaire est lancée à plein régime pour redéfinir ce qui est de l’ordre du dicible dans la sphère publique de ce qui ne l’est pas. En d’autres termes, pour les élus comme pour les juges, l’acceptation de la «diversité» passe par une restriction de la liberté d’expression.

    En France, comme en Allemagne, en Angleterre ou en Suède les pouvoirs publics pensent que tolérance et liberté d’expression s’excluent l’un l’autre. La diversité culturelle aurait donc pour corollaire obligé un lissage et une uniformisation de l’expression.

    En réalité, ce que les démocraties sont en train de perdre ou ce à quoi elles ont entrepris de renoncer est un élément clé de ce qui constitue la vie en démocratie. La démocratie n’a pas été conçue pour protéger la sensibilité de telle ou telle partie de la population. La liberté d’expression en démocratie repose précisément sur le droit à offenser. Une société multiculturelle devrait, plus encore qu’une société homogène sur le plan ethnique, marquer sa préférence pour la liberté d’expression. «La liberté d’expression fait surtout sens dans une société qui est tolérante à l’égard de ceux avec lesquels on est en désaccord. Historiquement, tolérance et liberté d’expression sont des prérequis plutôt que des extrêmes qui s’opposent.

    Dans une démocratie libérale, ils devraient être étroitement entrelacés» écrit Flemming Rose, l’ex- rédacteur en chef du Jylland Posten, dans Tyranny of silence, un ouvrage malheureusement non traduit en français. Rappelons-le, le Jylland Posten est ce journal danois qui a pris l’initiative de publier quelques caricatures de Mahomet, lesquelles ont mis le Moyen Orient et une partie de l’extrême Orient à feu et à sang, tuant des dizaines de personnes.

    Les Allemands devraient eux se réjouir de voir la liberté d’expression réservée à la sphère domestique. Les Français eux, n’ont pas cette chance. Le 3 août 2017, peu après l’élection d’Emmanuel Macron, un décret a rendu passible des tribunaux toute personne qui tiendrait des propos jugés offensants dans la sphère domestique.

    Yves Mamou (Figaro Vox, 2019)

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  • Ce que veut le peuple français...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Romain Sens, cueilli sur L'Incorrect et consacré aux quatre grands thèmes sur lesquels la réponse aux attentes du peuple français doit s'articuler.

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    Ce que veut le peuple français

    Le Grand Débat voulu par Emmanuel Macron s’est donc finalement achevé, sans qu’une fois encore, les véritables sujets chers aux Français aient pu être mis en lumière. Identité, Europe, Ecologie, Social, quatre thèmes pourtant primordiaux qui n’ont pas pu être traités sans les sempiternels tabous imposés par le système libéral-libertaire. 

    L’identité, ce grand questionnement des peuples du XXIe siècle, exacerbé par la mondialisation et les flux migratoires croissants, est le sujet fondamental à traiter lors des prochaines échéances présidentielles, sous peine d’être à nouveau confrontés à une élection pour rien, à un quinquennat pour rien. Cette identité, nationale, puisqu’il est bien question avant tout de l’identité française, est le tabou suprême imposé par la classe médiatique depuis que l’homogénéité européenne de ce peuple français a commencé à être remise en question. Pour preuve, le fameux « débat sur l’identité nationale » souhaité par Nicolas Sarkozy il y a dix ans de cela, a été immédiatement honni, conspué, censuré, voué aux gémonies, par tout ce que la classe médiatique et la gauche politique et intellectuelle compte d’opposants à la préservation du peuple français sous sa forme européenne. De ce débat confisqué, il n’est donc rien resté. Sauf une colère sourde du petit peuple français qui, une nouvelle fois dépossédé par les décideurs de la possibilité d’utiliser son droit à la liberté d’opinion et d’expression, ne put défendre sa volonté de rester ce qu’il est.

    Patrick Buisson, fort décontenancé par le peu de courage politique dont avait fait preuve le président de l’époque avait malgré tout réussi à identifier là où le bât blessait. L’identité est bien devenue la cause du peuple. Son suprême combat. Son ultime rempart face à la déferlante mondialisée. Refuser de travailler et d’assumer une position ferme et claire sur cette question essentielle ne peut conduire qu’à de futures incompréhensions, désillusions, déceptions et frustrations qui porteront en elles un déchaînement de violences. Cité par Alain Peyrefitte, le Général de Gaulle, dernier père de la France d’avant, donnait sa définition de l’identité française en affirmant que « nous sommes avant tout un peuple de race blanche, de culture grecque et romaine et de religion chrétienne » et qu’« il peut bien sûr y avoir des Français noirs, des Français jaunes, des Français bruns mais que ceux-ci ne devaient rester qu’une petite minorité sinon la France ne serait plus la France ». Une majorité de Français se rassemblerait probablement derrière cette vision de notre identité. Quoi qu’il en soit, débattons maintenant pour éviter de nous battre demain.

    L’Europe a été le sujet décisif des débats qui se sont tenus lors de la dernière élection présidentielle. Et une grande incompréhension là encore en a résulté. Le Front national, représentant le camp que souhaitait lui faire incarner Florian Philippot, celui des souverainistes. En Marche porté par Emmanuel Macron et l’ensemble du reste de la classe politique se sont auto-proclamés « européens ». Las, les Français étant favorables dans leur très grande majorité (plus de 7 sur 10) à la poursuite de la construction européenne, Emmanuel Macron après avoir avantageusement orienté le débat sur ces sujets a remporté la mise. L’erreur majeure qu’ont commise les patriotes a été de se laisser présenter comme anti-européens. Même si toutes les dérives de l’Union Européenne et de ses dirigeants, réalisant un projet allant à l’encontre des intérêts des peuples européens, étaient bien évidemment critiquables, notre discours a été bien trop perçu comme caricatural et manquant de nuance.

    Alors même que les soi-disant « pro-européens » Macron et Merkel en tête, travaillent chaque jour à la destruction de la civilisation européenne, en laissant celle-ci être submergée par une immigration extra-européenne massive. Notre devoir désormais, est de nous présenter pour ce que nous sommes réellement : des Alter-Européens. Contre l’Europe des marchés, de l’Argent-roi, des idéaux libéraux-libertaires, nous, Européens enracinés, devons nous montrer les garants de la préservation de cette civilisation Européenne. Que ce soit sous la forme d’une Fédération, d’une Confédération, d’une Union Européenne, d’une Union des Nations Européennes, la forme doit importer moins que le fond. Ce fond est bien le substrat, le germen, le ciment de notre Europe, à savoir, la grande famille des peuples européens. Face aux flux extra-européens massifs qui pénètrent notre continent avec l’aval de nos chefs, les peuples doivent se réveiller. Les résultats des dernières élections européennes ont confirmé ce réveil civilisationnel. À notre tour désormais de clamer haut et fort : oui nous sommes Français et Européens et nous comptons bien le rester.

    L’écologie ne doit plus faire débat. Personne ne peut nier que le bouleversement climatique en cours résulte d’une part de l’action de l’homme, d’autre part de sa surpopulation. Si des millions d’êtres humains quittent aujourd’hui leurs terres pour de plus fertiles, bouleversant ainsi des écosystèmes entiers, qu’en sera-t-il dans quelques années quand la population mondiale comptera quatre milliards d’âmes supplémentaires ? Si tous les Chinois, les Indiens et demain les Africains souhaitent, bien légitimement, vivre chacun selon les standards de confort occidentaux, la planète pourrait-elle rester ce trésor naturel que l’Homme a toujours connu ? Il importe tout d’abord que tous, d’un bout à l’autre du spectre politique, reconnaissent la surpopulation humaine comme un problème majeur et s’emploient à le résoudre. Notre Europe ayant largement achevé sa transition démographique, c’est bel et bien aux autres continents ne l’ayant pas encore entamée qu’incombe cette obligation.

    Là où la Chine a su faire preuve d’une spectaculaire volonté en la matière, les pays d’Afrique subsaharienne doivent eux-aussi trouver d’urgence des solutions pour résoudre cette question vitale. A nous Européens de conditionner nos accords de coopération en matière économique ou autres à cet impératif. De même, il nous faut prendre conscience que notre insolent confort matériel dont nous jouissons ne saurait qu’entraîner des conséquences négatives sur l’environnement. Néanmoins, nos cerveaux aguerris à tous les défis que l’histoire de l’humanité a su leur proposer peuvent trouver les solutions adéquates s’ils sont suffisamment stimulés. Appliquons le principe de localisme cher à Hervé Juvin, partout où celui-ci pourra être appliqué. Produire local et consommer local sera la clé d’un développement humain respectueux de la Terre nourricière. Et donnons à nos chercheurs et scientifiques les moyens pour cela en investissant une part bien plus importante de notre PIB dans la recherche et le développement. L’objectif est bel et bien de faire de toute croissance future au cours de ce siècle une croissance verte. La préservation de notre environnement est la cause de tout être humain, soyons à la hauteur de ce défi en faisant de ce sujet un élément charnière d’un programme patriote.

    Nous, France, sommes le pays qui en Europe, a le plus eu le souci du traitement social de ses citoyens depuis que nos États modernes furent formés. Notre caractère de peuple extraordinaire s’incarne encore pleinement dans le mouvement inédit des Gilets jaunes, dont le Rassemblement National se veut le premier soutien. Ne dérogeons pas à nos traditions sociales, enivrés que nous serions par un libéralisme libertaire en marche. Nous sommes le pays d’un Jules Ferry qui a su instituer l’école gratuite, laïque et obligatoire. Nous sommes le pays de Napoléon III qui s’est laissé convaincre par les mineurs d’offrir le droit de grève à tous. Nous sommes le pays de Léon Blum qui a imposé les congés payés. Les affrontements idéologiques entre capitalistes, socialistes et communistes ont su trouver un compromis dans la France d’après-guerre. Le Général de Gaulle a su, dans sa grande intelligence et son souci de rassembler la France faire prévaloir nombre de demandes du Conseil National de la Résistance qui sont devenus aujourd’hui des piliers essentiels de notre État-Nation tels que la sécurité sociale.

    Au-delà des clivages partisans et des oppositions idéologiques, sachons reconnaître qu’il n’est plus acceptable de laisser dormir nos compatriotes dans la rue et de les voir mourir à petit feu sur les trottoirs aux côtés desquels sont garés de luxueuses voitures. Sachons admettre l’évidence qu’un progrès technologique phénoménal ne saurait oublier de mettre en œuvre un progrès social équivalent. Si un robot peut éviter à un être humain de se tuer à la tâche, l’intelligence collective doit permettre à chacun de trouver une place, porteuse de sens au sein de notre société. La France n’est ni adepte du communisme, ni volontaire pour un libéralisme toujours plus mondialisé, toujours plus débridé, qu’on cherche pourtant à lui imposer. C’est bien ce juste milieu, ce compromis intelligent entre la liberté d’entreprendre et la protection par l’Etat de tous ses citoyens qui doit continuer à nous animer.

    La crise des Gilets jaunes toujours en cours comme la forte participation aux dernières élections européennes montrent à l’évidence que les Français sont désespérément à la recherche de solutions à ces problèmes existentiels. Face à ces quatre thèmes essentiels qui s’imposent à nous, le peuple Français saura faire preuve du bon sens et de la grande intelligence qui lui sont propres, pour se construire un avenir meilleur, lorsque demain, des dirigeants soucieux du bien de leur peuple et la possibilité d’un référendum d’initiative populaire lui seront proposés.

    Romain Sens (L'Incorrect, 26 juin 2019)

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