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Points de vue - Page 131

  • Bienvenue dans le monde d’après !...

    Nous reproduisons ci-dessous une chronique de Xavier Eman, cueillie sur son blog A moy que chault!, désormais hébergé par le site de la revue Éléments, dans lequel il évoque le Paris du XVIIIe arrondissement qui préfigure (peut-être) le monde qui vient. Animateur du site Paris Vox, rédacteur en chef de la revue Livr'arbitres et collaborateur de la revue Éléments, Xavier Eman est l'auteur de deux recueils de chroniques intitulé Une fin du monde sans importance (Krisis, 2016 et la Nouvelle Librairie, 2019) et d'un polar, Terminus pour le Hussard (Auda Isarn, 2019).

     

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    Paris 18e : bienvenue dans le monde d’après !

    Si Dante, ressuscité pour services rendus au génie européen, rédigeait en 2020 une nouvelle version de son œuvre fondamentale, nul doute qu’il y ajouterait la description d’un autre cercle de l’enfer : la station de métro Château-Rouge et ses environs. Bienvenue dans le 18e arrondissement de Paris : le laboratoire du monde d’après !

    Tout d’abord, vous êtes expulsé, plus que vous ne sortez, de la bouche de métro. Vous, petite touche blanchâtre perdue et portée par la densité du flot africain qui vous projette au cœur d’un vaste marché sauvage, misérable et bruyant. Dans les odeurs d’épices et de maïs grillé sur des structures métalliques de caddies de supermarchés, les divers produits sont présentés à même le sol, au mieux sur un bout d’étoffe étendu sur le bitume. Volubiles, les mamas en boubous multicolores négocient hardiment gadgets  made in  China et denrées du « pays » via d’infinis et gesticulants palabres. Pour le néophyte, l’ensemble atteint rapidement un niveau sonore désagréablement assourdissant. C’est Bamako au pied des immeubles haussmanniens. Ou plutôt, c’est un ersatz de Bamako au pied des vestiges lépreux de l’architecture haussmannienne, une sorte de no man’s land ethnico-culturel. Ici, on n’est pas « dépaysé », on est « apaysé ». On n’est nulle part.

    Aux abords de ce marché tiers-mondisé, des individus paraissant désœuvrés « tiennent les murs ». Adossés aux portes des résidents ou abrités sous un porche, ils attendent, le plus souvent plongés dans la contemplation de l’écran de leur smartphone dernier cri. En fait, ils travaillent. Ce sont les entrepreneurs du lieu, les businessmen de la rue, les petits génies de la start-up à fort taux de croissance, bref, des dealers. Inutile d’être Columbo pour les identifier tant leur commerce se déroule au grand jour, de façon on ne peut plus visible, pour ne pas dire ostentatoire. À quelques mètres de là, deux fonctionnaires de police somnolent dans leur voiture de patrouille. Incongru et inutile rappel d’une autorité factice.

    Plus discrets, glissant le long des façades comme des ombres étiques et vacillantes, les clients toxicos quadrillent également la zone. Corps décharnés, visages secoués de tics, à demi clochardisés, ils sont aussi effrayants que pathétiques. Les yeux brûlants de manque, sans doute prêts à vous égorger pour une piquouse ou une pilule, ils ont tout des zombies de films hollywoodiens de série Z, ruines d’humanité, souvenirs d’hommes. Certains mendient, obséquieux ou agressifs, d’autres, ayant déjà basculés dans l’antre de la folie, vocifèrent tout seuls ou entretiennent des conversations avec un interlocuteur imaginaire. Peut-être l’être humain qu’ils ont un jour été…

    À l’exception du visiteur de passage, plus personne ne prête attention à ce spectacle, même quand l’un de ces naufragés défèque dans le caniveau ou urine sur une voiture en stationnement. Le poids de l’habitude. L’indifférence accompagne le renoncement.

    La situation est telle que les riverains ont récemment attaqué l’État et l’ont fait condamner par le tribunal  administratif pour « rupture de l’égalité des citoyens » en matière d’hygiène et de sécurité. Bien entendu, cette décision judiciaire n’a été suivie d’aucun effet, d’aucune ébauche d’intervention, d’aucune velléité d’action.  Malgré les idées immanquablement courageuses et géniales de la mairie de Paris, consistant à envisager d’installer du mobilier urbain « anti vendeurs à la sauvette » et à vouloir « renforcer le dialogue entre les différents acteurs du champ social », c’est toujours la même désolation et le même accablement pour les derniers habitants « historiques » du quartier.

    Que l’on puisse affirmer que cet émétique chaos, un tel maelstrom de misère, de saleté et de vice, représente un quelconque « enrichissement », le moindre « progrès », pour qui que ce soit, s’apparente soit au cynisme idéologique le plus abject, soit à la déficience psychologique lourde.

    On ne peut d’ailleurs s’empêcher ici de penser au désormais fameux « syndrome de Paris », ce mal qui frappe les touristes japonais à leur retour d’un séjour dans la capitale française, traumatisés par le contraste entre l’image qu’ils se faisaient de la Ville Lumière – nourrie par le visionnage des films de Duvivier, Renoir, Audiard et plus récemment de Jean-Pierre Jeunet – et la réalité de ce qu’elle est devenue. Les rues de Montmartre sont des coupe-gorges crasseux, et la vraie Amélie Poulain est une camée accro au crack, qui taille des pipes entre deux poubelles pour se payer sa dose. Le choc est, il est vrai, assez violent…

    Tartuffe à la casbah ou les aventures de Jean-Eudes et Marie-Chantal chez les Bantous…

    Pour tenter de respirer à nouveau, on marche alors quelques centaines de mètres, remontant la rue Custine, et, peu à peu, les kebabs cèdent la place aux salons de thé « bio », et les taxiphones aux épiceries « gluten free ». Une frontière invisible a été franchie, et les catogans et autres pantacourts prennent le pas sur les coupes afros et les djellabas… Sans le savoir, vous avez pénétré dans le « bon XVIIIe », celui que les agents immobiliers vous présentent comme ayant un « fort potentiel », gentrification oblige. Un « quartier populaire » où le mètre carré à 8 500 euros pourrait atteindre les 10 000 sous quelques mois. Bref une « expérience humaine diverse et enrichissante » doublée d’un investissement prometteur. Spéculation et bons sentiments. En un mot : le paradis, pardon, le nirvana, du bobo gauchisto-cosmopolite, vélocipédiste et macronien.

    Ici, autant de drogués qu’un peu plus bas, mais ceux-là, au moins, ont les moyens de leurs addictions, et le vegan cocaïné jusqu’aux sourcils présente mieux – plus proprement – que le prolo gavé aux méthamphétamines. C’est le royaume des chantres de « l’accueil », du « sans-frontiérisme » et du « vivre ensemble », très fiers, en bons anthropologues ouverts et curieux, de côtoyer des « populations issues de la diversité » auxquelles ils se gardent toutefois bien de se mélanger vraiment. Une sorte de « développement séparé », dans les faits, mais accompagné de la douce musique du prêchi-prêcha mondialiste et politiquement correct. Tartuffe à la casbah ou les aventures de Jean-Eudes et Marie-Chantal chez les Bantous…

    Ainsi, en terrasse, les pubards trinquent à grands coups de spritz ou de mojitos avec des architectes d’intérieur ou des conseillers en patrimoine tout aussi soucieux qu’eux de la montée des populismes en Europe et de la situation – inhumaine et inacceptable – des migrants/exilés/réfugiés. Migrants qu’ils pourraient visiter à quelques rues de là, Porte de la Chapelle, entassés dans des bidonvilles infâmes aussi souvent « évacués » qu’immédiatement reconstitués. Ils admireraient alors le résultat concret de leurs utopies, de leur charité théorique et inconséquente, le fruit de leurs choix électoraux « généreux et progressistes » : des miséreux déracinés et déculturés terrorisant la population autochtone en attendant d’être pris en charge à vil prix par les néo-esclavagistes du Medef.

    Mais, comme dirait l’autre, ceci est une autre histoire…

    Xavier Eman (A moy que chault ! , 8 février 2020)

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  • Soyons conservateurs… et révolutionnaires !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Javier Portella qui rebondit sur le discours prononcé à Rome le 4 février 2020 par Marion Maréchal à l'occasion d'une conférence rassemblant quelques ténors de la droite conservatrice européenne. Javier Portella est l'auteur d'un essai intitulé Les esclaves heureux de la liberté (David Reinarch, 2012).

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    « Soyons conservateurs… et révolutionnaires ! »

    Soyons conservateurs… et révolutionnaires. Ou, pour le dire autrement, conservons et innovons, sauvegardons et rompons tout à la fois. L’oxymoron (pour les victimes de nos systèmes éducatifs : la contradiction logique) entre les deux exigences semble manifeste. Et pourtant…

    Et pourtant, je pourrais invoquer qu’une telle dualité avait, par exemple, déjà marqué, voici un siècle, un mouvement aussi important que la Révolution conservatrice allemande (avec des figures aussi éminentes que les frères Jünger, Spengler, Heidegger et tant d’autres). Mais laissons les invocations historiques. Il suffit d’affirmer que de deux choses l’une : ou nous devenons à la fois conservateurs et révolutionnaires, conservateurs et innovateurs – c’est-à-dire des conservateurs d’un type nouveau, très différents des conservateurs traditionnels –, ou rien ne pourra nous sauver.

    C’est d’être conservateur qu’il était question aussi dans le discours récemment prononcé à Rome par Marion Maréchal et dont le niveau intellectuel – il vaut la peine de le souligner – surmonte de très haut la plupart des discours politiques, eux qui ont la platitude comme signe et la langue de bois comme expression.

    Oui, elle a raison Marion Maréchal lorsqu’elle se proclame conservatrice ; lorsqu’elle affirme que, face à la décomposition du monde, face à la folie nihiliste qui nous entoure, il faut conserver les valeurs essentielles de notre civilisation. Quelle société pourrait d’ailleurs exister si elle ne conservait pas ce qui lui est le plus propre, si elle mettait tout constamment en question ?

    Bien entendu. Le problème est qu’une fois admis ce qui précède, c’est alors que les véritables questions se posent. Des questions importantes, décisives. Et difficiles. Examinons-les.

    Il faut conserver, certes… Mais conserver quoi, au juste ? Non pas le monde d’aujourd’hui, bien sûr ; non pas ce monde absurde et gris, laid et triste qu’il s’agit de démolir.

    S’agirait-il donc de conserver (de récupérer, plutôt) le monde d’hier, de revenir à lui et à ses principes ? Pas davantage. Tout d’abord, parce que l’histoire (ce que les réactionnaires s’échinent à ne pas comprendre) ne revient jamais en arrière (tout comme elle n’avance pas vers le Progrès des progressistes). Mais il y a une raison encore plus importante. Même s’il était possible de revenir aux temps d’hier, il ne faudrait pas non plus retourner à des temps dont il faut certes conserver certaines choses (nous verrons lesquelles) mais pas toutes, et pas non plus l’esprit qui y présidait. Il en va de même avec le monde d’aujourd’hui, dont certaines choses méritent d’être conservées (par exemple, les découvertes scientifiques et le bien-être matériel ; par exemple, la liberté sexuelle et la liberté d’expression) mais pas toutes ses choses, et encore moins l’esprit qui y préside.

    S’agirait-il donc de tomber dans éclectisme bon teint et dans l’équidistance molle ? S’agirait-il de mettre en œuvre des recettes telles que : « Un peu de ceci, un peu de cela… Ne tombons pas dans les extrémismes… Le mieux, c’est un bon compromis » ? Absolument pas. Ce dont il s’agit, c’est de tout repenser sur de nouveaux frais, de fond en comble, en sachant ce qu’il faut extirper et préserver (ou récupérer) dans un résultat final – dans une nouvelle vision du monde – qui ne ressemblera (quand ce sera son tour : ce n’est pas une affaire d’un jour ou de deux) ni au monde d’hier ni à celui d’aujourd’hui.

    Je viens de prononcer le mot extirper : ce mot intempestif – presque une grossièreté – que plus personne ne prononce à propos de telles choses. Mais c’est bien le mot qu’il faut prononcer quand il est question de racines et celles-ci sont pourries. « Les racines du mal qui nous ronge », disait Marion Maréchal dans son discours, il faut les chercher dans « le citoyen abstrait de la Révolution française, détaché de sa terre, de sa paroisse, de sa profession […], dans cette matrice du citoyen du monde ! Du citoyen du néant ! ».

    Sans nul doute. Or, qu’est-ce qui fait que ce citoyen s’enfonce dans le néant (tout en se tordant de rire, le malheureux) ? Pourquoi cet homme se détache de ses liens, ignore ses enracinements, méprise ses traditions ? Pourquoi, devenu abstrait, erre-t-il comme un somnambule parmi de nuages inconsistants ?

    Cet homme (ou ceux qui le manipulent) est-il à ce point imbécile ou méchant ? Bien sûr qu’il l’est, en partie du moins ; il ne faut pas charrier ! Mais ne tombons pas dans les simplifications, dans la reductio ad stultitiam et malignitatem (si facile, si commode) dans laquelle tombent parfois nos gens. Si l’homme erre perdu aujourd’hui dans les nuages du néant, s’il essaye de les remplir avec des délires aberrants, c’est pour la simple raison qu’il est resté seul. Seul avec son corps, seul avec sa matière, seul avec sa mort. Réduit à cette solitude, à cette inanité et à cette mort qui constituent le fond même de « la mort de l’esprit », comme elle est appelée dans le Manifeste que j’ai lancé, il y a quelques années, avec le soutien de l’écrivain Álvaro Mutis.

    La mort de l’esprit ?… Mais qu’est-ce que vous racontez là, voyons ! On ne parle pas de ces choses-là, surtout pas en politique ! On ne les envisage même pas. Tout d’abord, parce que la plupart des politiciens n’y comprendraient que dalle, et ensuite parce que ces choses-là ne mobilisent ni ne peuvent mobiliser personne.

    C’est vrai, de telles questions ne mobilisent ni ne peuvent, dans le quotidien, dans l’immédiat,mobiliser personne. Mais il n’est pas question ici de mots d’ordre pour mobiliser qui que ce soit : il n’est question que de la lame de fond qui bouillonne en-dessous de ce par quoi les hommes vivent et rêvent, luttent et se mobilisent – ou, ne le faisant plus, ils périssent.

    La mort de l’esprit… Comprenons : l’évanouissement du souffle spirituel qui avait marqué, de mille façons différentes, toutes les cultures, toutes les sociétés, toute l’histoire : le monde lui-même… jusqu’à l’arrivée du nôtre.

    La mort de l’esprit… S’agit-il donc de la mort de Dieu, de l’évanouissement social de la religion ? S’agit-il de ce fait inouï, énorme, que personne n’avait connu jusqu’à nous ? Non, il ne s’agit pas de cela. Ou plutôt si, mais seulement en partie.

    L’effondrement de la religion n’est qu’une des manifestations où la mort de l’esprit s’exprime. [1] Cet effondrement est accompagné de bien d’autres phénomènes : depuis l’anéantissement systématique du beau, que le soi-disant « art » contemporain entreprend (là aussi pour la première fois dans l’histoire), jusqu’au règne de la laideur et de la vulgarité qui se déploie dans nos villes et nos campagnes, en passant par l’exacerbation du matérialisme et de l’individualisme, pour ne rien dire de tous les délires propagés par l’ultra-féminisme et l’idéologie du genre.

    Or, ce ne sont là qu’autant de manifestations d’une perte, d’une disparition bien plus profonde. Si le néant répand son inanité sur le monde, c’est parce que le souffle s’est évanoui, qui faisait que, de mille façons différentes mais dans toutes les sociétés, à toutes les époques, le monde se trouvait comme auréolé d’un sens supérieur, imprégné d’une inquiétude spirituelle qui empêchait les hommes et les choses de rester embourbés dans leur matérialité plate, immédiate et mortelle.

    Et tant qu’un nouvel élan spirituel, un nouveau souffle sacré n’halètera pas dans nos cœurs et dans celui des choses nous resterons au bord de l’abîme sur lequel nous nous tenons à présent.

    Revenons aux questions proprement politiques

    Il est juste et nécessaire d’en finir avec l’invasion migratoire qui nous étouffe. Il est juste et nécessaire d’en finir avec la dissolution anthropologique constituée par l’idéologie du genre et par les effronteries de l’ultra-féminisme. Il est juste et nécessaire d’en finir avec la mise à l’écart qui, exercée sous la houlette de la nouvelle classe dominante – la ploutocratie financière et mondialiste – et frappant presque tout le monde, configure une sorte de confraternité inédite qui va des classes les plus populaires, victimes de la précarité, jusqu’à une bourgeoise (appelée aussi classe moyenne-haute) victime de la spoliation fiscale.

    Tout cela est juste et nécessaire. Tout simplement indispensable. Mais rien ne pourra être réussi sans la force d’un peuple porté, encouragé par un grand idéal, par un idéal supérieur. [2] Or, un tel idéal pourra bien difficilement se déployer et une telle force s’exercer si nos objectifs restent de nature « négative », réactive, d’opposition ; si nous nous bornons à des objectifs qui, comme ceux que je viens de rappeler, consistent finalement à s’opposer à d’autres projets, à barrer le chemin à d’autres idéaux.

    Des idéaux – ceux des « progressistes » – qui, eux, sont affirmatifs, ont une sorte de projet de monde à offrir. Un projet qui anéantit, certes, le monde ; un projet proprement im-monde mais un projet quand même, une affirmation, un espoir (pour ceux qui y croient). Soyons clairs : nous n’avons rien de pareil. Tout ce que nous avons, ce sont des objectifs « défensifs ». Des objectifs absolument indispensables pour nous défendre de la menace qu’aussi bien les progressistes libéraux de droite que les progressistes libéraux ou socialistes de gauche font peser sur la civilisation. Mais rien de cela ne configure un nouveau projet de monde, une nouvelle et stimulante vision des choses, une nouvelle cosmovision qui conserve (ou récupère) le souffle qui permettait à nos ancêtres de se forger un destin où, parmi les bassesses et les misères qui existeront toujours dans toute société, la grandeur et la beauté étaient bien présentes.

    Mais entendons-nous bien. Ce qu’il s’agit de conserver (ou de récupérer), c’est l’exigence d’un souffle spirituel ; non pas le contenu, non pas les modalités, non pas les expressions que ce souffle avait lors de l’Antiquité païenne, ou lors de la Chrétienté moyenâgeuse, ou lors de la Renaissance pagano-chrétienne, ou lors de l’Ancien Régime, ou lors de ce qui pouvait rester de ce souffle aux premiers temps du Nouveau (et actuel) Régime.

    Ce dont il s’agit, c’est de la tâche enivrante (et difficile) de forger un nouveau souffle, un nouvel esprit, un nouveau projet de monde qui, étant porteur de sens, de grandeur et de beauté, façonne le destin des hommes qui, plongés dans la matérialité de l’existence, n’ont plus un destin inspiré par un Dieu, exprimé dans la figure symbolique d’un Monarque, reflété dans les normes intangibles d’une Tradition.

    Une telle chose, est-elle possible ?… Bien sûr qu’elle l’est ! Il ne s’agit ni d’une extravagance ni d’un délire. Certes, nous sommes encore peu nombreux, insignifiants même à l’échelle globale, mais nous sommes là, nous qui portons la Liberté et son indétermination dans notre cœur, nous qui n’avons ni Dieu, ni Loi, ni Tradition qui fixe nos pas ; et nous qui, pourtant, sommes empreints d’un profond sens spirituel, d’un désir profond de beauté et de grandeur, de noblesse et d’héroïcité – et j’arrête de dire des mots qui sont devenus autant de grossièretés (et peut-être bientôt autant de délits).

    Mais la question n’est pas de savoir si un tel projet de monde est possible en soi. La question est de savoir si un tel projet est possible pour le monde. Et être possible pour le monde, cela veut dire aujourd’hui : être possible pour tout le monde – pour l’immense majorité, enfin.

    Est-il possible qu’une nouvelle cosmovision fleurisse où halèterait quelque chose du souffle ayant imprégné l’air qui, sous de formes si différentes, a été respiré par les hommes de tous les temps et de toutes les cultures jusqu’à il y a à peu près un siècle ? Une telle chose est-elle possible sans que cela implique (ne vous faites pas d’illusions, amis réactionnaires et conservateurs) aucun retour au status quo ante ? Une telle chose, est-elle envisageable lorsqu’il semble impossible que la religion – rien qu’un élément du souffle spirituel, certes, mais élément probablement indispensable – puisse revivre dans le monde ?

    Il semble impossible que la religion puisse revivre lorsque l’Église catholique consacre ses efforts depuis plus d’un demi-siècle (l’église protestante depuis presque un demi-millénaire…) à jeter par-dessus bord tout ce qu’elle avait de plus grand et merveilleux – son culte, son rituel – en même temps qu’elle sauvegarde avec soin ce qui mérite les qualificatifs opposés. Mais il n’y a pas que cela. Il y a une autre question plus importante encore. Comment le divin pourrait-il renaître dans le monde dès lors qu’il semble impossible de lui assigner aucune place ou statut ontologique ? [3]

    Et s’il s’agissait peut-être d’assigner au divin une place et un statut profondément différents de ceux qui lui ont été assignés jusqu’à présent (mais à des degrés différents) para l’ensemble des religions ?

    Peut-être, qui sait, sait-on jamais…

    Or, l’affaire est si complexe et cet article si long qu’il vaudra mieux laisser une telle question pour un autre jour.

    Javier Portella (Polémia, 11 février 2020)

     

    Notes :

    [1] Avec l’évanouissement social de la religion, nous sommes probablement en train d’assister au désastre que tant de penseurs de l’Antiquité païenne (un Cicéron, un Lucrèce, un Épicure…) avaient craint.Tout en mettant en doute l’existence physique des dieux ou leur implication dans les affaires de hommes,ces penseurs considéraient que l’existence de la religion n’en était pas moins indispensable, pour la sauvegarde de la société, eu égard aux aspirations et aux sentiments du peuple. Ou du vulgaire, comme on disait il n’y a pas si longtemps.

    [2] Un peuple, d’ailleurs, non seulement « périphérique », comme on le dit, mais « central » aussi. Un peuple non seulement des campagnes et des villes de province mais des grandes capitales aussi.

    [3] Seuls les croyants qui restent encore sont capables d’assigner un statut ontologique au divin. Mais ce statut se borne au sentiment subjectif – et légitime, il va sans dire – d’une foi face à laquelle aucun raisonnement ou explication n’est possible. Par là-même, le croyant ne fait rien d’autre que renforcer l’enfermement du divin dans le domaine de la conscience subjective, individuelle. Encore une expression, finalement, du subjectivisme ou individualisme contemporains.

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  • Vers la dissolution des peuples : un projet de gouvernance supranationale des migrations...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue éclairé de Michèle Tribalat cueilli sur Figaro Vox et consacré aux mécaniques de gouvernance supranationale de l'immigration qui vont progressivement nous broyer si nous ne réagissons pas politiquement. Démographe, Michèle Tribalat a été directrice de recherche à l’INED (Institut national des études démographiques) et membre du Haut Conseil à l’Intégration. Elle a publié plusieurs livres remarqués dont Les Yeux grands fermés (Denoël, 2009) et Assimilation : la fin du modèle français (Toucan, 2017).

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    Michèle Tribalat: les politiques seront-ils bientôt dépossédés de la question migratoire ?

    Il y a une quinzaine de jours, un collège d’experts remettait un rapport au Président de la République et au gouvernement afin qu’ils amendent leur politique migratoire jugée inutilement restrictive.

    Ce rapport se présente comme une troisième voie entre une posture qui n’a que les apparences de la fermeté mais reste impuissante et une posture qui prône l’ouverture complète des frontières sans poser aucune limite. En somme, la seule voie raisonnable, qui affiche l’ambition de «reconstruire un consensus autour de la politique des étrangers», de mettre les Français enfin d’accord sur un sujet aussi contentieux.

    Pourtant, il ne déroge pas à la rhétorique technocratique qui affirme que l’immigration ne s’est pas accélérée dernièrement - «leur nombre [des étrangers] est d’ailleurs stable» - se référant en cela aux tours de magie d’Hervé le Bras sur l’évolution du solde migratoire depuis 1955. Tout en affirmant que cette accélération est inéluctable - «l’immigration plus ou moins qualifiée de jeunes en provenance d’Afrique, du Maghreb et du Moyen-Orient est inscrite dans l’évolution récente de ces pays» - que la démographie française commande d’y avoir recours - «le vieillissement de la population rend nécessaire l’augmentation du solde migratoire» - et que, de toute façon, c’est bon pour l’économie. Rien de très neuf.

    La première question qui vient à l’esprit à la lecture du document porte sur l’appellation «politiques migratoires» pour caractériser les préconisations de ce collège de praticiens. En effet, dans cette expression, le mot «politique» suppose à la fois une volonté de répondre aux attentes des citoyens et une capacité de l’État à formuler un objectif qui permettrait d’y répondre. Or tel n’est pas du tout le propos de nos experts qui, d’ailleurs, annoncent la couleur dans le sous-titre - «Faire reculer les situations de non-droit» -. Leur objectif est d’étendre toujours plus les droits des étrangers à séjourner en France, par la loi et la gestion administrative ou judiciaire de l’immigration, afin d’être à la hauteur de l’idée qu’ils se font de la République. Leur méthode: «adapter les normes de droit et leurs conditions de mise en œuvre pour régler par le séjour le plus grand nombre de situations selon des critères transparents». À terme, les procédures de régularisation sont appelées à se raréfier puisqu’elles auront été intégrées dans la loi. Mais, en attendant, il faut, disent les experts, adapter la circulaire Valls afin d’écouler le «stock» d’étrangers en situation irrégulière. Ils nous assurent que les reconduites prononcées devront par la suite être effectives. Pour cela, ils invoquent des contrôles renforcés aux frontières de l’UE dans des centres établis dans des ports européens. Pas sûr que les pays situés aux frontières maritimes de l’UE soient très emballés par le projet d’installation de camps chez eux.

    Les effets quantitatifs des mesures qu’ils préconisent leur sont, au fond, indifférents, comme l’est leur coût sur lequel ils ne fournissent aucune information, si ce n’est le souhait d’une grande réactivité afin que les budgets s’adaptent très vite à la demande.

    L’extension des droits

    L’outil décisif est le couperet mis sur le délai de gestion des dossiers: accès à un titre de séjour (sauf motif d’ordre public) ou départ effectif du territoire national en six mois. Par ailleurs, l’administration se devrait d’examiner, avant tout rejet, si l’intéressé peut bénéficier d’un autre titre que celui demandé. Si tel est le cas, elle serait tenue de le lui délivrer. Cette machine à régulariser mettrait sûrement en échec et l’administration et les juges chargés des recours.

    D’ailleurs, le juge administratif saisi d’un recours contre un refus de titre de séjour deviendrait un juge de plein contentieux, ce qui lui permettrait de substituer sa décision à celle de l’administration et de forcer cette dernière à délivrer un titre de séjour pour le motif qu’il aurait retenu (familial ou humanitaire).

    S’y ajoute la création d’un titre de séjour mention «humanitaire», censé répondre à des situations de détresse les plus variées, lesquelles ne manquent pas dans le monde, après avis d’une commission départementale du séjour humanitaire composée de médecins, psychologues, psychiatres et travailleurs sociaux. Seraient ainsi visés les victimes de la traite, de violences domestiques ou familiales, de sévices au cours du parcours migratoire et les étrangers dont les problèmes de santé nécessitent un traitement durable inaccessible dans leur pays d’origine. Les experts renoncent à renégocier la Convention de Genève pour y introduire de nouvelles catégories de réfugiés tant le résultat d’une pareille renégociation leur paraît incertain. Ils préconisent, dans l’attente d’une Convention internationale pour la protection des déplacés environnementaux, dont ils esquissent le profil dans une annexe, de créer un visa humanitaire «pour pouvoir agir dans des cas de catastrophes naturelles».

    La simplification préconisée, réduisant à 6 catégories (étudiant, vie privée et familiale, activité professionnelle, asile/apatride, humanitaire et excellence) le nombre de titres de séjour possible, s’accompagne elle aussi d’une extension de droits. Cette extension se porte tout particulièrement sur les titres «vie privée et familiale». C’est le cas, par exemple, des droits des conjoints de Français ou d’étrangers en situation régulière qui s’étendent au-delà du mariage aux concubins et aux pacsés ou de ceux des parents d’enfants français pour lesquels aucune condition n’est posée. De même, les étrangers confiés à l’Aide sociale à l’enfance comme mineurs non accompagnés obtiendraient de plein droit un titre «vie privée et familiale» à leur majorité. Ce serait également le cas des étrangers ayant séjourné irrégulièrement pendant dix ans ou dont l’éloignement a échoué par deux fois. Une telle mesure ne pourrait que rendre plus difficile l’éloignement.

    Dans la perspective d’une relance de l’immigration professionnelle, tout étranger muni d’une promesse d’embauche dans un secteur figurant sur une liste d’emplois établie après consultation d’un Comité d’évaluation de la migration de travail aurait droit à un titre de séjour. Idem pour l’étranger qui a obtenu un diplôme universitaire en France ou qui détient un master, mais sans limitation sur les secteurs d’activité pourvu que cette promesse concerne une activité en lien avec son diplôme.

    Un même titre de séjour serait attribuable aux réfugiés et aux bénéficiaires d’une protection subsidiaire ou de l’asile constitutionnel, à leurs conjoints (mariés ou non), leurs enfants majeurs ou leurs parents s’ils sont mineurs. Les experts souhaitent d’ailleurs qu’on incite les mineurs isolés à demander l’asile, ce qui réglerait d’emblée la question de la régularisation de leur situation à la majorité. Les autorités diplomatiques et consulaires seraient tenues de délivrer un visa «asile» à toute personne invoquant une raison crédible. En cas de refus et de recours gracieux, c’est l’OFPRA, une fois consulté, qui aurait le dernier mot. Il est également proposé, dans l’attente d’une solution européenne, de restreindre unilatéralement les dispositions de Dublin en permettant à l’État, de manière discrétionnaire, d’examiner les demandes d’étrangers visés par la procédure Dublin lorsqu’il s’agit de personnes vulnérables ou pouvant arguer de liens avec la France. C’est déjà un peu ce qui se fait aujourd’hui lorsqu’on décide de l’extinction des procédures Dublin. Ce ne serait évidemment pas de nature à freiner les mouvements secondaires à destination de la France. Enfin, en fondant l’aide médicale d’État (AME) dans la protection universelle maladie (PUMA), comme le propose le défenseur des droits, les experts espèrent «éviter l’effet de cristallisation qui résulte de l’existence d’un dispositif spécifiquement conçu pour les étrangers en situation irrégulière». C’est si joliment dit!

    La durée des titres serait de cinq ans d’emblée et leur renouvellement conduirait à un titre de séjour permanent, sauf pour les études et les motifs professionnels. La durée du titre serait alors adaptée à celle des études ou du contrat.

    Que reste-il comme marge de décision à l’État ?

    Pas grand-chose, si ce n’est la tentative de réexpédier chez eux ceux qui auraient échappé à la mansuétude de l’administration ou des juges qui sont sommés de personnaliser l’examen des situations individuelles - «l’administration et le juge seront tenus d’examiner l’ensemble des possibilités de délivrance d’un titre de séjour» - ce qu’ils faisaient déjà de leur plein gré. Si la politique d’immigration n’est plus guère de son ressort, il resterait à l’État la tâche de mettre en œuvre une politique d’intégration dont, évidemment, le rapport ne donne aucune évaluation puisque, de toute façon, la question du nombre ne compte pas.

    Les experts préconisent de placer, auprès du Premier ministre, un Haut-Commissariat à l’asile et aux migrations dont la tâche serait de veiller à assurer l’homogénéité de la doctrine de ses services dans une «logique d’effectivité des droits et de sortie du non-droit». Ce Haut-Commissariat exercerait ainsi la tutelle d’une Agence de l’asile qui prendrait en charge l’intégralité du parcours des demandeurs, fusionnant les services de l’OFPRA, ceux de l’OFII et du ministère de l’Intérieur sur l’asile, tout en restant en prise avec les collectivités territoriales, les travailleurs sociaux, les associations et la recherche. Resterait à l’OFII (lui aussi sous tutelle de ce Haut-Commissariat), rejoint par les services actuels du ministère de l’Intérieur, la gestion de la migration économique, des mesures d’intégration en début de séjour et du retour volontaire. Le ministère de l’Intérieur conserverait la mission d’éloignement et la gestion des titres de séjour. Ce Haut-Commissariat serait doté d’un comité d’évaluation composé d’experts et de partenaires sociaux chargé d’évaluer les besoins de la France en main-d’œuvre et de communiquer sur «la réalité des migrations». Il devrait établir chaque année un rapport sur l’immigration et l’émigration. Les experts rédacteurs de cette proposition ne s’interrogent guère sur les manières d’y parvenir ni sur les outils statistiques qui permettraient d’informer sur «la réalité des migrations». Rien d’étonnant à cela quand on voit la rareté des informations chiffrées figurant dans leur rapport. Il existe bien un tableau sur l’éloignement en France, en Allemagne et dans l’UE, mais sans que soient indiquées ni la date, ni la source.

    Le Haut-Commissariat serait également doté d’un service de la protection humanitaire qui superviserait l’action de commissions départementales du séjour humanitaire.

    Une «politique» de l’asile sous direction européenne

    Deux options sont envisagées. La première affecte à une agence de l’asile européenne l’élaboration des lignes directrices encadrant l’instruction des demandes d’asile et éventuellement la mise en œuvre des opérations de relocalisation. Les agences nationales, toutes indépendantes du pouvoir politique, reconnaîtraient les décisions prises par chacune d’entre elles. La seconde option serait de disposer d’une agence unique indépendante dont les agences nationales ne seraient que les antennes.

    Quoi qu’il en soit, en cas d’alerte du type de celle connue en 2015, l’agence européenne pourrait prendre la main et aurait la faculté de distribuer les demandeurs sur l’ensemble du territoire de l’UE. Si ce n’est pas possible avec tous les États, cette organisation pourrait se mettre en place dans le cadre d’une coopération renforcée.

    Une gouvernance mondiale: la convention internationale de protection des déplacés environnementaux

    Cette convention, dont le projet figure en annexe, si elle voyait le jour, créerait un statut légal de déplacé environnemental, qui supposerait d’établir des liens de causalité entre le déplacement et des dommages liés à l’environnement et de fixer des seuils de gravité aux impacts du réchauffement climatique. Les États seraient en cela aidés par un «appareil scientifique de référence, dans la lignée des travaux du GIEC».

    Comme on y est habitué avec ce genre de texte (cf. pacte de Marrakech), la convention s’appliquerait «dans le respect du principe d’égalité souveraine des États parties, de leur intégrité territoriale et de leur indépendance politique, tel qu’énoncé par la Charte des Nations unies». Rien n’est moins sûr puisqu’on apprend que, si tout État ayant ratifié la convention pourrait la dénoncer «à tout moment par notification motivée et adressée au Comité d’experts indépendants», cet État devrait en discuter avec les autres États chargés de tout faire pour l’en dissuader.

    Si cette dissuasion s’avérait infructueuse et que le comité d’experts indépendants ne validait pas la dénonciation, l’État ne pourrait pas sortir de la convention. Ce comité serait composé de 17 experts «indépendants et impartiaux» renouvelé par moitié à la majorité qualifiée tous les cinq ans. Ces experts seraient choisis lors d’une des conférences annuelles, chaque candidat devant représenter au moins 5 États. Par ailleurs, c’est le comité d’experts qui proposerait un financement plancher pour chacun des États (qui seraient invités à aller au-delà) afin d’alimenter un fonds international.

    Avec cette convention nous aurions franchi le stade ultime de la dépolitisation de la question migratoire, sans possibilité de retour en arrière. Tout le contraire de ce que semblent souhaiter les citoyens français. Difficile de croire que ce rapport d’experts, s’il était suivi d’effets, serait en mesure d’atteindre l’objectif affiché d’un «consensus national apaisé autour des migrations».

    Michèle Tribalat (Figaro Vox, 7 février 2020)

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  • L’Eurasie : le nouveau Far East économique et stratégique pour la France et l’UE ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur le site de Geopragma et consacré à la question de l'Eurasie. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    L’Eurasie : le nouveau Far East économique et stratégique pour la France et l’UE ?

    « Celui qui domine le Heartland commande « l’ile-monde » (l’autre nom de l’Eurasie) ; celui qui domine « l’ile-monde » commande le monde. » 

    Ainsi parlait le géographe- stratège britannique Mackinder …en 1904 ! L’Amérique a fait son mantra géopolitique de cet oracle et le grand Z. Brezinski conseiller de bien des présidents américains jusqu’à Barack Obama, l’a candidement expliqué dans son remarquable « Grand échiquier » en 1997.

    Eh bien nous y sommes ! La hantise de la géopolitique américaine a toujours été l’unification de l’Eurasie et l’émergence d’une puissance continentale la contrôlant. Les Etats-Unis s’appliquent à dominer cet espace géopolitiquement concurrent par l’éparpillement et l’affaiblissement des souverainetés étatiques européennes et eurasiatiques. Via l’embrigadement otanien, l’extraterritorialité juridique, les sanctions contre la Russie, les intimidations et chantages de tous ordres, etc… Divide et impera. C’est la raison de toute la pression exercée depuis 60 ans sur l’UE – comme de toutes les politiques antirusses -, afin que jamais l’Europe de l’Ouest n’ose se tourner vers l’est du continent. Car, sans même parler d’union ou d’intégration, un simple rapprochement tactique assumé entre l’UE et l’Eurasie amoindrirait mathématiquement l’influence américaine globale et régionale, y compris face désormais à la puissance chinoise.  

    A l’autre bout du monde, le nouveau « deuxième Grand » du duopôle stratégique, la Chine, via les Nouvelles routes de la Soie, cherche à prendre l’Europe en sandwich. Et que dit la malheureuse proie ? Elle s’insurge mollement, se laisse faire et se croit même maligne en jouant la Chine contre la Russie. La tenue en 2016 du Forum de « l’initiative des Trois mers » (Baltique, Adriatique, Mer noire) a vu s’ébaucher le raccordement de 12 pays d’Europe centrale et orientale au projet des Routes de la Soie…mais contre la Russie. En 2020 doit se tenir 1er forum UE-Asie centrale, qui sera lui aussi dirigé indirectement contre la Russie. L’UE veut donc bien collaborer avec l‘Asie centrale…. Mais en en excluant la puissance centrale et stratégiquement pivot ! Elle voit l’Eurasie…. à moitié. Ce n’est évidemment pas un hasard, mais c’est une erreur stratégique lourde qui procède d’un aveuglement atlantique. Encore une fois, nous faisons le jeu américain sans voir que nous en sommes la cible. 

    Pourtant, si l’UE (et ses acteurs économiques petits ou grands) se rendaient compte du potentiel économique, géopolitique et sécuritaire qu’un dialogue institutionnel et une coopération étroite avec l’Eurasie au sens large (Asie centrale plus Russie) recelait, elle sortirait ipso facto de sa posture si inconfortable entre USA et Chine et constituerait une masse stratégique-économique considérable qui compterait sur la nouvelle scène du monde. 

    Or, ce sujet n’est quasiment jamais abordé dans son potentiel véritable et est totalement absent des radars de l’UE et de celle de la plupart de nos entreprises. Par anti-russisme primaire, inhibition intellectuelle, autocensure, aveuglement.  

    Les parties orientale et occidentale du continent eurasiatique sont les 2 plus grandes économies mondiales : UE et Chine. Pour ne parler que de l’UEE  -pendant de l’UE- : un marché de plus de 180 millions d’habitants (sans parler de tous les accords de partenariat en cours de négociation). L’Organisation de Coopération de Shangaï (OCS) représente 43% de la population mondiale mais est dominée par la Chine. La force de l’Eurasie tient à son capital en matières premières et ressources minérales. 38% production mondiale d’uranium sont notamment concentrés au Kazakhstan. 8% du gaz et 4% du pétrole aussi, pour les seuls pays d’Asie centrale, sans compter naturellement la Russie. La construction d’infrastructures gigantesques à l’échelle continentale de l’Eurasie est la grande affaire du 21 siècle. Avec le passage des corridors et routes de transit, on est face à un gigantesque hub de transit eurasiatique. 

    L’Eurasie est donc l’espace naturel du maintien de la puissance économique européenne et de son renforcement stratégique à court, moyen et long terme.Bref, c’est le socle du futur dynamique de l’Europe. Nous devons nous projeter vers cet espace plutôt que de nous blottir frileusement en attendant que Washington, qui poursuit à nos dépens ses objectifs stratégiques et économiques propres, consente à nous libérer de nos menottes. 

    On retorquera que rien n’est possible sans le règlement des questions de l’Ukraine et de la Crimée ? C’est faux ! Ce sont des freins largement artificiels et gonflés pour les besoins d’une cause qui n’est pas la nôtre et nous paralyse. Ce syndrome de Stockholm nous affaiblit et justifie les sanctions interminables pour limiter les capacités économiques et financières russes face à Pékin et neutraliser le potentiel économique européen. Tout cela saute aux yeux. Pourquoi, pour qui se laisser faire ? Il nous faut prendre conscience d’une communauté d’intérêts et d’une urgence à changer drastiquement d’approche en y associant des partenaires européens parfois contre-intuitifs, tels la Pologne, pont logistique idéal entre les deux espaces.

    Comme la Russie, l’Europe est en effet prise entre USA et Chine. Le point de rencontre -et de concurrence- Russo-chinois est l’Asie centrale. Certes il existe depuis 2015 un accord d’intégration de l’UEE dans les projets de la Routes de la Soie conclu entre les présidents Poutine et Xi Jing Ping. Mais c’est un accord inégal, du fait des masses économiques et financières trop disparates entre Moscou et Pékin qui avance à grands avec l’OBOR et au sein de l’OCS pour contrôler l’Asie centrale, pré carré russe, puis se projeter vers l’UE.

    Nous avons en commun avec la Russie tant de choses, mais certainement une commune crainte d’un engloutissement ou du dépècement chinois. Ainsi, l’Eurasie est prise entre deux poids lourds et promise à la dévoration si UE et Russie ne se rapprochent pas autour d’enjeux économiques industriels et sécuritaires notamment. La Russie est en conséquence, n’en déplaise à tous ceux qui la voient encore comme une pure menace, l’alliée naturelle de l’UE dans cette résistance qui ne se fera ni par le conflit, ni par l’intégration stricte, mais par la coopération multilatérale et multisectorielle. Il faut en conséquence ne pas craindre d’initier des coopérations économiques, politiques, culturelles, scientifiques et évidemment sécuritaires entre ces deux espaces. 

    L’intégration continentale eurasiatique en tant que coopération des sociétés et des économies à l’échelle du continent eurasiatique tout entier doit devenir une priorité pour l’UE et la nouvelle Commission européenne. La modernisation et la puissance économique sont en train de changer de camp. L’Europe s’aveugle volontairement par rapport à cette révolution. Ses œillères géopolitiques et l’incompréhension dans laquelle elle demeure, face à la Russie qui est pourtant son partenaire naturel face à la Chine comme face aux oukases américains extraterritoriaux, l’empêchent de tirer parti des formidables opportunités économiques, énergétiques, industrielles, technologiques, intellectuelles et scientifiques qu’une participation proactive aux projets d’intégration eurasiatique lui permettrait. Il faut en être, projeter nos intérêts vers cet espace d’expansion et de sens géopolitique si proche et si riche, et cesser de regarder passer les trains en attendant Godot.

    Caroline Galactéros (Geopragma, 3 février 2020)

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  • Interdit de ne pas interdire ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et consacré aux nouvelles formes de censure instaurées au nom du politiquement correct. Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015), Fake news - La grande peur (VA Press, 2018), Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019) avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, et dernièrement L'art de la guerre idéologique (Cerf, 2019).

     

     

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    Interdit de ne pas interdire ?
     
    Interdits de parole publique à tel endroit ou menacés pour tel propos sur telle antenne : Agacinski, Finkielkraut, Zemmour, Sifaoui, Zineb el Rhazoui, G. Lejeune. Tous ces gens connus, qui ne disent ni ne pensent la même chose, ont en commun de subir l’interdit pour crimepensée. Ils ont été menacés et empêchés de parler depuis quelques mois (et bientôt depuis quelques lois). De belles âmes (de Nutella aux associations antifas) le réclament de la justice, de l’administration qui gère des salles et des formations, ou des médias (menace de boycott par les annonceurs via les Sleeping Giants): faites les taire.

    Certains au nom de l’héritage de Mai 68. Le « il est interdit d’interdire » est devenu « censurer sans entraves ».

    Bien sûr, les suspects peuvent encore écrire ou fréquenter des plateaux de télévision. Là, avant le clash qui fera le buzz, ils entendront le rituel : « Ne nous assommez pas avec votre on ne peut plus rien dire, la preuve : vous êtes à l’antenne ». Mais ils sont placés en situation de défense, confrontés à des accusateurs, toujours en position de se justifier: sous-entendus, faux degrés d’interprétation, complicité objective qu’ils entretiendraient avec les forces du mal, peurs et des haines qu’ils déclencheraient. On attendra qu’ils franchissent une ligne rouge ou révèlent leurs sous-entendus. Pour ce qu’ils penseraient subjectivement voire inconsciemment comme pour ce qu’ils provoqueraient objectivement (comme la « libération des tabous »). Avant de parler, ils doivent prouver d’où ils parlent et qui visent leurs paroles.

    Cette asymétrie (nul ne soumet à pareil examen les tenants du consensus idéologique), montre qu’une idéologie dominante se défend aussi par interdits et soupçons. Cela consiste ici à créer une catégorie de: les « dangers » de leurs propos sont pesés (incitation ?), leurs arrière-pensées (discriminantes ?).

    Le rétablissement de l’interdit au nom d’une prétendue post-gauche (celle qui ne veut plus changer le monde, mais les âmes des phobes et haineux) repose sur trois postulats. Ils ont mis quelques décennies à s’imposer, notamment via le politiquement correct.

    Le postulat d’irréversibilité. L’État de droit libéral, le mariage pour tous et la PMA, l’ouverture européenne et multiculturelle, la tragédie du réchauffement climatique, etc. sont définitivement entrés et dans les faits et dans les cerveaux. Ce sont des cliquets d’irréversibilité. Toute critique à cette égard est non seulement réactionnaire (jusque là on peut admettre), mais c’est une non-pensée. Voire un négationnisme. Elle est socialement dangereuse et s’exclut ipso facto du champs du débat : il ne peut porter que sur l’approfondissement de ce qui est. Et il implique la liquidation des dernières poches de domination, dans la tête des gens.

    Le postulat de fragilité des masses (devenues des foules et sur lesquelles décidément on ne peut plus compter). Elles ne peuvent bien voter, c’est-à-dire soutenir les élites bienveillantes, que protégées du faux (fake news), rassurées (certains pourrait surfer sur leurs peurs) et convenablement protégées des pseudo-idées populistes qui sont autant d’incitation à la haine. Isoler leur cerveau des contagions complotistes ou autres désinformations, c’est garantir la démocratie et nos valeurs. À ce compte, pourquoi ne pas rétablir le suffrage censitaire : il n’y aurait plus que des gens ouverts et bien informés qui voteraient.

    Le postulat victimaire. Il consiste à évaluer une idée ou une affirmation à l’aune de la souffrance présumée qu’elle cause à telle communauté ou de l’affront fait à telle identité imaginaire. Les idées ne sont plus soumises au critère de vérification mais de réception : ça fait mal à qui se réclame de telle identité ou telle conviction ? Il faut aussitôt en contrôler la diffusion.

    L’affaire Mila l’illustre parfaitement : une LGBT de seize ans dit détester toutes les religions, en particulier l’islam qu’elle qualifie de religion de haine et de merde. Aussitôt pleuvent des milliers de menaces de mort ou de viol sur les réseaux sociaux. Mais le plus significatif est la réaction embarrassée des médias, des leaders d’opinion ou des dirigeants. On se polarise sur le droit (on n’a pas le droit de menacer, le blasphème n’est pas interdit, mais où passe la frontière avec l’injure aux personnes et non aux idées ?), on se demande même si la gamine n’a pas un peu attenté à la liberté de conscience des croyants. Mais en adoptant ces postulats - et pour certains en mettant sur le même plan des injures et menaces de mort à une personne dont la vie est maintenant brisée et la souffrance subjective que l’on éprouve de savoir que d’autres méprisent nos convictions -, on fait de l’argument victimaire une arme paradoxale : plus vous hurlez que vous souffrez, plus vous avez le droit de menacer.

    Ce processus fait partie de l’américanisation de la vie intellectuelle française : les principes de politiquement correct et de respect des sensibilités chers aux universités américaines. Toute pensée qui fait obstacle à une identité, héritée ou choisie, vaut oppression. Elle ne peut donc être - on en revient au même - une pensée mais une action agressive. Donc punissable.

    Et si tous ces postulats relevaient d’une forme d’idéalisme ? Pour lui, les pensées perverses sont puissantes, elles naissent absurdement dans certaines cervelles, ils faut donc les faire disparaître pour abolir toutes les dominations. Élégante façon d’oublier les rapports sociaux au profit des rapports de censure.
     
    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr,
     

     

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  • La colonisation et sa « légende noire »...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bernard Lugan, cueilli sur son site et consacré à la question complexe de la colonisation. Historien et africaniste, Bernard Lugan a publié de nombreux ouvrages, dont  Osons dire la vérité à l'Afrique (Rocher, 2015), Histoire de l'Afrique du Nord (Rocher, 2016), Algérie - L'histoire à l'endroit (L'Afrique réelle, 2017), Heia Safari ! - Général von Lettow-Vorbeck (L'Afrique réelle, 2017), Atlas historique de l'Afrique (Rocher, 2018) et Les guerres du Sahel (L'Afrique réelle, 2019).

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    Quand Arte apporte sa pierre à l’escroquerie historique de la «légende noire» de la colonisation

    La chaîne Arte vient de se surpasser dans le commerce de l’insupportable escroquerie historique qu’est la « légende noire » de la colonisation. Or, le bilan colonial ne pourra jamais être fait avec des invectives, des raccourcis, des manipulations et des mensonges.

    Regardons la réalité bien en face : la colonisation ne fut qu’une brève parenthèse dans la longue histoire de l’Afrique. Jusque dans les années 1880, et cela à l’exception de l’Algérie, du Cap de Bonne Espérance et de quelques comptoirs littoraux, les Européens s’étaient en effet tenus à l’écart du continent africain. Le mouvement des indépendances ayant débuté durant la décennie 1950, le XXe siècle a donc connu à la fois la colonisation et la décolonisation.

    Quel bilan honnête est-il possible de faire de cette brève période qui ne fut qu’un éclair dans la longue histoire de l’Afrique ? Mes arguments sont connus car je les expose depuis plusieurs décennies dans mes livres, notamment dans Osons dire la vérité à l’Afrique.J’en résume une partie dans ce communiqué.

     

    1) Les aspects positifs de la colonisation pour les Africains

    La colonisation apporta la paix

    Durant un demi-siècle, les Africains apprirent à ne plus avoir peur du village voisin ou des razzias esclavagistes. Pour les peuples dominés ou menacés, ce fut une véritable libération.

    Dans toute l’Afrique australe, les peuples furent libérés de l’expansionnisme des Zulu, dans tout le Sahel, les sédentaires furent libérés de la tenaille prédatrice Touareg-Peul, dans la région tchadienne, les sédentaires furent débarrassés des razzias arabo-musulmanes, dans l’immense Nigeria, la prédation nordiste ne s’exerça plus aux dépens des Ibo et des Yoruba, cependant que dans l’actuelle Centrafrique, les raids à esclaves venus du Soudan cessèrent etc.

    A l’évidence, et à moins d’être d’une totale mauvaise foi, les malheureuses populations de ces régions furent clairement plus en sécurité à l’époque coloniale qu’aujourd’hui…

    La colonisation n’a pas pillé l’Afrique

    Durant ses quelques décennies d’existence la colonisation n’a pas pillé l’Afrique. La France s’y est même épuisée en y construisant 50.000 km de routes bitumées, 215.000 km de pistes toutes saisons, 18.000 km de voies ferrées, 63 ports équipés, 196 aérodromes, 2000 dispensaires équipés, 600 maternités, 220 hôpitaux dans lesquels les soins et les médicaments étaient gratuits. En 1960, 3,8 millions d’enfants étaient scolarisés et dans la seule Afrique noire, 16.000 écoles primaires et 350 écoles secondaires collèges ou lycées fonctionnaient. En 1960 toujours 28.000 enseignants français, soit le huitième de tout le corps enseignant français exerçaient sur le continent africain.

    Pour la seule décennie 1946 à 1956, la France a, en dépenses d’infrastructures, dépensé dans son Empire, donc en pure perte pour elle, 1400 milliards de l’époque. Cette somme considérable n’aurait-elle pas été plus utile si elle avait été investie en métropole ? En 1956, l’éditorialiste Raymond Cartier avait d’ailleurs écrit à ce sujet : 

    « La Hollande a perdu ses Indes orientales dans les pires conditions et il a suffi de quelques années pour qu'elle connaisse plus d'activité et de bien-être qu’autrefois. Elle ne serait peut-être pas dans la même situation si, au lieu d’assécher son Zuyderzee et de moderniser ses usines, elle avait dû construire des chemins de fer à Java, couvrir Sumatra de barrages, subventionner les clous de girofle des Moluques et payer des allocations familiales aux polygames de Bornéo. »

    Et Raymond Cartier de se demander s’il n’aurait pas mieux valu « construire à Nevers l’hôpital de Lomé et à Tarbes le lycée de Bobo-Dioulasso ».

    Jacques Marseille[1] a quant à lui définitivement démontré quant à lui que l’Empire fut une ruine pour la France. L’Etat français dût en effet se substituer au capitalisme qui s’en était détourné et s’épuisa à y construire ponts, routes, ports, écoles, hôpitaux et à y subventionner des cultures dont les productions lui étaient vendues en moyenne 25% au-dessus des cours mondiaux. Ainsi, entre 1954 et 1956, sur un total de 360 milliards de ff d’importations coloniales, le surcoût pour la France fut de plus de 50 milliards.

    Plus encore, à l’exception des phosphates du Maroc, des charbonnages du Tonkin et de quelques productions sectorielles, l’Empire ne fournissait rien de rare à la France. C’est ainsi qu’en 1958, 22% de toutes les importations coloniales françaises étaient constituées par le vin algérien qui était d’ailleurs payé 35 ff le litre alors qu’à qualité égale le vin espagnol ou portugais était à19 ff.

    Quant au seul soutien des cours des productions coloniales, il coûta à la France 60 milliards par an de 1956 à 1960.

    Durant la période coloniale, les Africains vivaient en paix

    Dans la décennie 1950, à la veille des indépendances, à l’exception de quelques foyers localisés (Madagascar, Mau-Mau, Cameroun) l’Afrique sud-saharienne était un havre de paix.

    Le monde en perdition était alors l’Asie qui paraissait condamnée par de terrifiantes famines et de sanglants conflits : guerre civile chinoise, guerres de Corée, guerres d’Indochine et guerres indo-pakistanaises.

    En comparaison, durant la décennie 1950-1960, les habitants de l'Afrique mangeaient à leur faim, étaient gratuitement soignés et pouvaient se déplacer le long de routes ou de pistes entretenues sans risquer de se faire attaquer et rançonner.

    Soixante-dix ans plus tard, le contraste est saisissant: du nord au sud et de l'est à l'ouest, le continent africain est meurtri :

    - Dans le cône austral, ce qui fut la puissante Afrique du Sud sombre lentement dans un chaos social duquel émergent encore quelques secteurs ultra-performants cependant que la criminalité réduit peu à peu à néant la fiction du "vivre ensemble".

    - De l'atlantique à l'océan indien, toute la bande sahélienne est enflammée par un mouvement à la fois fondamentaliste et mafieux dont les ancrages se situent au Mali, dans le nord du Nigeria et en Somalie.

    - Plus au sud, la Centrafrique a explosé cependant que l'immense RDC voit ses provinces orientales mises en coupe réglée par les supplétifs de Kigali ou de Kampala.

    Si nous évacuons les clichés véhiculés par les butors de la sous-culture journalistique, la réalité est que l’Afrique n’a fait que renouer avec sa longue durée historique précoloniale. En effet, au XIX° siècle, avant la colonisation, le continent était déjà confronté à des guerres d’extermination à l’est, au sud, au centre, à l’ouest. Et, redisons-le en dépit des anathèmes, ce fut la colonisation qui y mit un terme.

    Aujourd’hui, humainement, le désastre est total avec des dizaines de milliers de boat people qui se livrent au bon vouloir de gangs qui les lancent dans de mortelles traversées en direction de la "terre promise" européenne. Les crises alimentaires sont permanentes, les infrastructures de santé ont disparu comme l'a montré la tragédie d'Ebola en Afrique de l'Ouest ou la flambée de peste à Madagascar, l'insécurité est généralisée et la pauvreté atteint des niveaux sidérants.

    Economiquement, et à l’exception d’enclaves dévolues à l’exportation de ressources minières confiées à des sociétés transnationales sans lien avec l’économie locale, l’Afrique est aujourd’hui largement en dehors du commerce, donc de l’économie mondiale, à telle enseigne que sur 52 pays africains, 40 ne vivent aujourd’hui que de la charité internationale

     

    2) Les conséquences négatives de la colonisation

    La colonisation a déstabilisé les équilibres démographiques africains

    La colonisation a mis un terme aux famines et aux grandes endémies. Résultat du dévouement de la médecine coloniale, la population africaine a été multipliée par 8, une catastrophe dont l’Afrique aura du mal à se relever.

    En effet, le continent africain qui était un monde de basses pressions démographiques n’a pas su « digérer » la nouveauté historique qu’est la surpopulation avec toutes ses conséquences : destruction du milieu donc changements climatiques, accentuation des oppositions entre pasteurs et sédentaires, exode rural et développement de villes aussi artificielles que tentaculaires, etc.

    La colonisation a donné le pouvoir aux vaincus de l’histoire africaine

    En sauvant les dominés et en abaissant les dominants, la colonisation a bouleversé les rapports ethno-politiques africains. Pour établir la paix, il lui a en effet fallu casser les résistances des peuples moteurs ou acteurs de l’histoire africaine.

    Ce faisant, la colonisation s’est essentiellement faite au profit des vaincus de la « longue durée » africaine venus aux colonisateurs, trop heureux d’échapper à leurs maîtres noirs. Ils furent soignés, nourris, éduqués et évangélisés. Mais, pour les sauver, la colonisation bouleversa les équilibres séculaires africains car il lui fallut casser des empires et des royaumes qui étaient peut-être des « Prusse potentielles ».

    La décolonisation s’est faite trop vite

    Ne craignons pas de le dire, la décolonisation qui fut imposée par le tandem Etats-Unis-Union Soviétique, s’est faite dans la précipitation et alors que les puissances coloniales n'avaient pas achevé leur entreprise de « modernisation ».

    Résultat, des Etats artificiels et sans tradition politique ont été offerts à des « nomenklatura » prédatrices qui ont détourné avec régularité tant les ressources nationales que les aides internationale. Appuyées sur l’ethno-mathématique électorale qui donne automatiquement le pouvoir aux peuples dont les femmes ont eu les ventres les plus féconds, elles ont succédé aux colonisateurs, mais sans le philanthropisme de ces derniers…

    Les vraies victimes de la colonisation sont les Européens

    Les anciens colonisateurs n’en finissent plus de devenir « la colonie de leurs colonies » comme le disait si justement Edouard Herriot. L’Europe qui a eu une remarquable stabilité ethnique depuis plus de 20.000 ans est en effet actuellement confrontée à une exceptionnelle migration qui y a déjà changé la nature de tous les problèmes politiques, sociaux et religieux qui s’y posaient traditionnellement.

    Or, l’actuelle politique de repeuplement de l’Europe est justifiée par ses concepteurs sur le mythe historique de la culpabilité coloniale. A cet égard, la chaîne Arte vient donc d’apporter sa pierre à cette gigantesque entreprise de destruction des racines ethniques de l’Europe qui porte en elle des événements qui seront telluriques.

    Bernard Lugan (Blog de Bernard Lugan, 13 janvier 2020)

     

    Note :

    [1] Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français, histoire d’un divorce. Paris, 1984. Dans ce livre Marseille évalue le vrai coût de l’Empire pour la France.

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