Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Entretiens - Page 210

  • Pourquoi les Français détestent-ils les journalistes ?...

    Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polémia a répondu aux question de l'hebdomadaire Minute à l'occasion de la sortie de son nouveau livre, La tyrannie médiatique, publié aux éditions Via Romana.

     

    Jean-Yves-Le-Gallou.jpg

    Pourquoi les Français détestent-ils les journalistes ?

    « Journaliste est la profession la plus détestée des Français », affirme, preuves à l’appui, Jean-Yves Le Gallou, dans son nouvel ouvrage, La Tyrannie médiatique (à paraître ce 14 février, aux éditions Via Romana). Pour le président de la Fondation Polémia, les médias sont passés du stade de contre-pouvoir, à celui de premier pouvoir : celui qui s’exerce sur les esprits. Pire, « ils ont même pris le contrôle des autres pouvoirs, intellectuel, politique et judiciaire ». C’est ce qu’il appelle « la médiagogie ». La seule alternative, reste, selon lui, de pratiquer la « guerre asymétrique de l’information », sur Internet, ou dans le cadre d’une presse véritablement libre – comme « Minute », qui a droit à tout un chapitre. En attendant la sortie de cet ouvrage déjà dans le viseur des médias dépendants, voici un entretien avec Jean-Yves Le Gallou.

    Minute : Dans votre nouvel ouvrage, vous dénoncez une « tyrannie médiatique » exerçant son emprise sur l’ensemble de la société et des leviers de pouvoir. Sur quoi repose cette analyse ?

    Jean-Yves Le Gallou : Notons d’abord que la corruption des médias et leur transformation en outil de propagande ou d’influence ne constitue pas un phénomène nouveau. De grands scandales ont éclaboussé la presse, dès le XIXe siècle. Avant la Grande Guerre, « Le Figaro » fut mêlé à l’affaire des emprunts russes, parce qu’il était payé par l’ambassade de Russie pour convaincre les épargnants français d’investir dans ces produits « pourris ». Jusqu’à la chute de l’Union soviétique, « L’Humanité » était subventionnée par le Kremlin…

    Mais jusque dans les années 1980, il existait une diversité de la presse. Aujourd’hui, alors que les moyens de communication n’ont jamais été aussi importants, c’est l’uniformité de l’information qui domine. La puissance médiatique est utilisée pour faire vivre les Français dans une bulle virtuelle, régie par les intérêts des actionnaires de presse et le conformisme de la plupart des journalistes. Cette alliance du grand capital et de la pensée unique de salle de rédaction passe l’information au crible d’une idéologie mondialiste satisfaisante pour les deux parties: ouverture des frontières, dé régulation économique, rejets des traditions, antiracisme, exaltation du consumérisme et des modes « sociétales » du type mariage gay, visant à satisfaire des caprices individualistes au détriment de l’intérêt général…

    Sauf qu’on a déjà vu des sociétés de rédacteurs se rebeller contre les souhaits de l’actionnaire…

    Vous faites sans doute allusion à « Libération », où certains journalistes n’ont pas forcément bien pris de passer sous la coupe de M. Rothschild. Mais prenons un exemple: en avril dernier, une petite moitié (114 sur 200) des salariés de la Société civile des personnels de Libération (SCPL) ont signé un texte dénonçant « le sentiment d’être dépossédés du journal » et « l’attitude autoritaire et arrogante de la direction ». On reprochait au directeur du journal, Nicolas Demorand, d’être le zélé représentant de l’actionnaire principal et de faire aller le quotidien « à l’encontre des valeurs qui ont toujours été les siennes » Ce qui veut bien dire, vous en conviendrez, que l’actionnaire dictait sa ligne!

    Evidemment, il y a eu des conciliabules, des promesses, éventuellement des aménagements et des compromis. Mais sur le fond, le journal s’aligne toujours lorsqu’il s’agit des intérêts du propriétaire.

    Le socialiste et militant homosexuel Pierre Bergé, actionnaire du « Monde », a d’ailleurs piqué une colère noire en mai 2011 lorsqu’il a noté des écarts de conduite concernant… un simple article critique à l’égard de François Mitterrand ! Son rappel à l’ordre a été cinglant. Et vous noterez que ce n’est pas dans « Le Monde » que l’on a pu lire, récemment, une analyse équilibrée concernant le mariage gay…

    Vous dénoncez également le rôle de la publicité…

    Ce qui prive un média de sa liberté, c’est la volonté des actionnaires d’engranger de l’argent. Donc de faire passer un maximum de publicité. Aujourd’hui, les conférences de rédaction sont suivies par un directeur de la publication, très vigilant sur les intérêts des actionna ires; et par un commercial jugeant de la pertinence d’un article en fonction de son intérêt publicitaire!

    Tel article pouvant être accolé à une publicité est retenu. Tel autre, pouvant au contraire susciter le mécontentement de l’annonceur, sera écarté. On impose même des sujets liés à un contrat publicitaire: « J’ai une pub pour la vidéosurveillance, il faudrait un sujet sur les vols de voitures. »

    Pourquoi les principaux journaux ont-ils désormais une multitude de suppléments – littéraires, féminins, « culturels »? Parce que ces cahiers sont transformés en catalogues publicitaires, à l’écart des pages consacrées à une actualité potentiellement « anxiogène ».

    Il devient impossible d’avoir une ligne vraiment libre et originale. Le modèle du « Figaro magazine » est exemplaire: conçu comme un grand journal d’opinion, où s’exprimaient de talentueuses plumes « de droite », comme Alain de Benoist, Jean-Claude Valla ou Jean Ferré, il a rapidement été mis au pas par les annonceurs. Le nombre de lecteurs s’est effondré, mais les recettes publicitaires ont grimpé. Ce processus est amplifié pour les radios et télévisions. Et il touche à la caricature avec la presse dite « gratuite ». La communication a tué l’information. Qui paie, commande! Si « Minute » vivait de la publicité, vous ne pourriez pas dire le dixième de ce que vous dites. Pareil pour Radio Courtoisie…

    Mais chez nous, les journalistes ne sont pas de gauche…

    Il est vrai que partout ailleurs, la loi de la finance internationale se marie parfaitement avec les préjugés d’une classe journalistique mondialiste, très majoritairement à gauche, sur le plan des idées, et libérale sur le plan économique.

    C’est l’exemple des éditocrates: Audrey Pulvar, Caroline Fourest, Pascale Clark, Jean-Michel Apathie, Michel Field, Bernard-Henri Lévy…

    La campagne présidentielle 2012 a révélé l’incroyable fossé coupant la caste médiatique du reste de la population: des votes fictifs dans les grandes écoles de journalisme ont donné des scores de dictateurs africains à François Hollande et Jean- Luc Mélenchon. Robert Ménard, fondateur de Reporters sans frontières, a déclaré, lors de la 4e journée de réinformation de Polémia, qu’un jeune journaliste osant défendre le pluralisme « ruinerait sa carrière »! Récemment, « Minute » a d’ailleurs évoqué le cas alarmant d’une journaliste d’un grand hebdomadaire, blacklistée car des collègues avaient reconnu… sa voix, dans le cadre d’une campagne contre le racisme antifrançais organisée par le FNJ! La jeune femme a subi en silence, car elle appartient à l’autre versant du monde journalistique: celui des pigistes payés au lance-pierre, précarisés… Une autre forme de dépendance à l’argent.

    Pourquoi les médias seraient-ils devenus le premier pouvoir?

    Parce que la société et ses leviers de pouvoir – la justice, les politiques et l’ensemble des décideurs – sont obnubilés par la « visibilité ». Ce faisant, ils ne parlent plus au nom de l’intérêt général, mais en fonction de l’accueil médiatique de leurs propos. Les politiques n’essaient même plus de séduire le peuple (c’est la démagogie) : ils veulent plaire aux journalistes. C’est la « médiagogie ». Pour cela, ils sont prêts à tout, notamment à réciter le catéchisme politiquement correct. Et les plus dociles y bâtissent une carrière ou assurent leur retraite, voyez Roselyne Bachelot, ancien ministre qui, pour quelques 20000 euros par mois, vient éclater de rire sur les plateaux de D8 en essayant des chaussures qui lui donnent, selon ses propres mots, « un air de pute »!

    Au-delà du spectacle, comment les médias désinforment-ils?

    Les moyens sont légion et je les détaille sur 150 ou 200 pages dans La Tyrannie médiatique. Pour résumer, en alternant habilement et massivement, sous prétexte d’objectivité, des informations vraies et fausses, en mettant sur le même plan la victime et l’agresseur, en fabriquant des héros et des salauds, on finit par faire perdre le sens du vrai. La pseudo-objectivité se substitue à l’honnêteté et l’on finit par faire avaler d’incroyables bobards à la majorité. Souvenez-vous de la Serbie, de l’Irak, de Carpentras, du 21 avril 2002 ou de l’affaire DSK… Je donne des dizaines d’exemples et l’on peut se reporter aux différentes éditions de la cérémonie des Bobards d’or, créée par Polémia pour récompenser les journalistes les plus malhonnêtes…

    Et récemment ?

    Le traitement des manifestations contre le mariage homosexuel a parfaitement illustré la désinformation médiatique. Contre toute évidence, les médias ont minimisé l’ampleur des défilés et le nombre des manifestants. La plupart, toujours sous prétexte d’objectivité, se sont contentés d’annoncer une fourchette entre 340000 (chiffres du ministère de l’Intérieur, supposés vraisemblables) et 800 000 personnes (chiffres des organisateurs, supposés exagérés). Mais le rôle d’un journaliste ne serait-il pas, comme disait Albert Londres, de porter la plume dans la plaie et d’enquêter pour savoir ce qui est vrai? Au vu du Champ-de-Mars rempli, n’auraient-ils pu se livrer à une simple équation en calculant le nombre de manifestants au mètre carré? Ou comparer avec les chiffres concernant d’autres manifestations aussi spectaculaires au même endroit? Ce sont finalement des internautes qui ont fait ce travail de réinformation, révélant de manière éclatante la duplicité ou l’incapacité des médias officiels!

    Vous avez forgé le concept de « guerre asymétrique de l’information »

    Avec le mariage gay, nous sommes au cœur du sujet: c’est une guerre du faible au fort. Depuis dix ans, la dictature médiatique s’est accrue, tout comme le sectarisme des journalistes, ainsi que leur aptitude à mentir de plus en plus délibérément. Mais au cours des dix dernières années, les médias alternatifs se sont multipliés, grâce à Internet. Les adversaires du mariage homo ont remporté la bataille médiatique parce qu’il y a eu publication des photos sur Internet, ce qui a permis une diffusion virale, massive, qui a contré les médias de l’oligarchie. Certes, TF1 reste le plus puissant média français.

    Mais désormais, il est possible de corriger ou de contester la version officielle. Evidemment, ceux qui corrigent sont faibles, par rapport au fort, mais ils existent. Les samizdats circulaient de manière réduite et sous le manteau, à l’époque soviétique. Mais à la fin, le travail des dissidents a payé! Aujourd’hui, en Fran ce, nous prenons moins de risque que ces courageux opposants et, au lieu de photocopier durant des heures dans des refuges incertains, il suffit d’un clic pour agir, derrière son écran! Je crois donc que la cyber-dissidence peut permettre de fissurer le mur de la désinformation. Et ce mur s’effondrera comme le mur de Berlin s’est effondré !

    Jean-Yves Le Gallou, propos recueillis par Patrick Cousteau (Minute, 13 février 2013)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • Politiques d'intégration : 30 ans d'erreur de diagnostic ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Malika Sorel, cueilli sur Atlantico et consacré à la publication d'un rapport sur l'intégration qui propose des mesures particulièrement nocives, destinées à adapter notre pays aux populations immigrès...

    Malika Sorel est l'auteur d'un essai intitulé Immigration, intégration : le langage de vérité (Mille et une nuits, 2011).

    malika_sorel.jpg

     

    Un peuple ne doit pas accommoder ses principes et ses valeurs au profit des immigrés

    Atlantico : Dans un état des lieux commandé par Matignon, le conseiller d'Etat Thierry Tuot dénonce les politiques d’intégration menées par l’Etat depuis 30 ans. Quelles sont les raisons pour lesquelles l’intégration fonctionne mal aujourd’hui ?

    Malika Sorel : Le rapport accuse en réalité l’État de n’avoir en quelque sorte rien fait pour l’intégration et d’avoir coupé les moyens à l’intégration. L’accusation est à mes yeux infondée car, bien au contraire, l’État n’a eu de cesse de consacrer des montants considérables à ce sujet qui est même devenu l’une des obsessions de la classe politique.

    Peut-on ainsi dire que les 43 milliards injectés en dix ans dans la rénovation urbaine, ce n’est rien ? Peut-on considérer comme négligeables les près d’un milliard d’euros qui sont investis chaque année dans l’éducation prioritaire, chiffre qui avait été rendu public dans un rapport de l’Inspection générale de l’Éducation nationale ? Peut-on balayer d’un revers de main tout ce qui a été injecté dans tous les programmes ZFU, ZUS, Halde, plan égalité des chances, ACSÉE, préfets à l’égalité des chances, cordées de la réussite, internats d’excellence, commissariat à la diversité, Plan espoir banlieues, Contrats d’Accueil et d’Intégration, et à présent les emplois dits « d’avenir » ? Sans compter le financement d’associations avec l’argent public, et le manque à gagner lorsque des acteurs publics cèdent des terrains pour 1 euro symbolique par le biais de baux emphytéotiques. Si l’on faisait la somme de tout l’argent public consacré à ce sujet, on en conclurait, au vu du faible retour sur investissement, qu’on le verse dans un puits sans fond. Dans mon dernier livre, j’avais évoqué l’image du châtiment du tonneau des Danaïdes.

    Autant on aurait pu dire que l’État n’avait pas fait grand-chose pour venir en aide aux immigrés des précédents flux migratoires – d’origine intra-européenne –, autant on ne peut pas le dire pour les flux migratoires extra-européens. Mais il est un fait que l’État s’est complètement trompé dans son approche de l’immigration extra-européenne, car il a sans cesse sous-estimé le rôle considérable joué par la dimension culturelle dans la question de l’intégration. Il s’est fourvoyé en croyant que c’était la dimension socio-économique qui était importante, alors qu’elle est négligeable. Le rapport Tuot n’échappe pas à cet écueil. 

    On ne peut pas dire que ce rapport propose une refondation des politiques d’intégration. Il ne fait que pousser à son paroxysme la logique qui est suivie depuis les années 80 et qui nous a conduits au bord du gouffre, comme le confirment les résultats de la récente enquête Ipsos pour le Cévipof « France 2013, les nouvelles fractures ».

    Ce qui ressort du rapport, c’est que le concept même d’intégration est vidé de son sens. On finit par réduire l’intégration à une simple insertion dans la société. Et lorsqu’on évoque l’intégration, on renverse alors les rôles, à savoir qu’il revient au peuple d’accueil de s’intégrer aux derniers arrivés, cela en accommodant le contenu des principes et valeurs qui sont pourtant au cœur de son identité.

    L’intégration fonctionne mal pour de multiples raisons : la nature des flux a changé ; les flux migratoires de ces trente dernières années sont en outre bien plus conséquents que ce que n’importe quelle société eût été capable d’ingérer ; l’école n’est plus guère en capacité de faire son travail de préparation des futurs citoyens – là aussi pour d’innombrables raisons - ; nous assistons à un repli identitaire qui s’accompagne d’un violent retour aux sources culturelles dans la plupart des sociétés sources de l’immigration, et ce repli trouve sa traduction jusque sur le sol des terres d’accueil. Il y a aussi le fait que l’on pense que tout le monde a vocation à s’intégrer, ce qui est impossible. Rappelons pour mémoire que sur la vague migratoire italienne de 1870 à 1940, seul un Italien sur trois s’est intégré.

    AtlanticoQuels sont les tabous qui pèsent sur le débat ? On parle beaucoup de problèmes d’intégration, mais que doit-on vraiment mettre derrière ce terme ? Est-ce que cela a toujours un sens de parler d’intégration au bout de la deuxième et de la troisième génération ?

    Il y a trop de tabous pour tous les citer ici. Ces tabous entravent toute réflexion politique sérieuse sur le sujet. Cela commence dès l’emploi du mot d’intégration lui-même. On réduit l’intégration dans la communauté nationale à une simple insertion au sein de la société. Or pour les Français, une personne est reconnue comme intégrée une fois qu’elle est identifiée comme partageant la même conception de principes tels que la liberté individuelle, l’égalité homme/femme, la fraternité, la laïcité. 

    L’intégration se traduit par une myriade de signes dont, entre autres, le respect de l’individu dans sa liberté de pensée, de jugement et d’opinion ; un certain sens de l’humour et de l’autodérision. Dans son rapport, le conseiller d’État Thierry Tuot déplore que les Français puissent continuer de considérer comme étrangères des personnes d’ascendance étrangère auxquelles la nationalité française a été accordée. C’est un fait, en matière d’intégration, c’est le corps social, et non le politique au travers de l’administration, qui décide au final qui est intégré et qui ne l’est pas. Le peuple est souverain, il faudra s’y faire. 

    Contrairement à ce qui avait cours pour l’immigration intra-européenne, il y a aujourd’hui un sens à parler d’intégration au bout de plusieurs générations, car la dégradation de l’intégration dans le temps est une réalité qui se mesure chaque jour. Elle se mesure au travers du refus d’utiliser la langue française au quotidien, y compris dans les cours de récréation. Elle se mesure au travers de la remise en cause de la neutralité religieuse dans les universités, dans les entreprises, dans les hôpitaux. Cette dégradation a d’ailleurs été consignée par un certain nombre de chercheurs, dont récemment Hugues Lagrange dans son ouvrage Le déni des cultures, où il écrit que nous assistons à « un réenracinement des troisièmes et quatrièmes générations de l’immigration dans la culture de leurs parents et de leurs pays d’origine. »

    Il faut évoquer le tabou du taux de natalité qui conduit à feindre de croire qu’un enfant éduqué au sein d’une fratrie nombreuse, avec des parents qui ne détiennent ni le niveau d’instruction, ni la maîtrise des codes de la société française, pourra réussir à terme aussi bien qu’un enfant éduqué dans une fratrie de taille raisonnable et dont les parents détiennent suffisamment de clés, l’une des plus importantes étant au demeurant le souci de l’enfant et l’écoute de ses besoins pour un développent harmonieux au sein de notre société.

    On évoque peu la question des personnes d’origine asiatique. Certes, elles réussissent vite et bien leur insertion au sein de notre société. Mais peut-on pour autant en déduire qu’elles s’intègrent en majorité dans la communauté nationale française ? Je pense que pour l’heure, nous ne pouvons pas le conclure. Il faudrait analyser les mariages qu’ils contractent, car comme l’a très justement écrit l’anthropologue Emmanuel Todd dans Le Destin des immigrés : « Le taux d’exogamie, proportion de mariages réalisés par les immigrés, leurs enfants ou leurs petits-enfants avec des membres de la société d’accueil, est l’indicateur anthropologique ultime d’assimilation ou de ségrégation, qui peut opposer sa vérité à celle des indicateurs politiques et idéologiques. »

    AtlanticoLe rapport Tuot place d’abord le débat sur l’intégration sur le terrain social. A l’inverse, un récent rapport du Haut conseil à l'intégration – "Une culture ouverte dans une République indivisible", enterré par le Premier ministre – faisait état d'un séparatisme culturel et géographique croissant dans la société française. Au-delà de la question sociale, existe-t-il aussi des problèmes culturels ? A refuser de voir certaines réalités ne se condamnent-on pas à l'échec ?

    J’ai en partie répondu à cette question dans la précédente. Comme je l’avais d’ailleurs écrit dès mon premier livre, la question sociale est la plus petite pièce du puzzle de l’intégration. Et tant qu’on persistera à ne considérer que la plus petite pièce, on se condamnera à l’échec. Nous le constatons dès à présent, les conséquences de ces erreurs d’analyse sont catastrophiques et dramatiques pour l’ensemble de la société.

    Je ne sais pas si le Premier ministre a « enterré », pour reprendre votre expression, le rapport Une culture ouverte dans une République indivisible. Il se trouve que ce rapport date de novembre 2012 et que le décret de nomination du collège du HCI était lui daté du 4 septembre 2009 et que le collège était nommé pour trois ans. Je continue pour ma part à faire partie de la mission laïcité du Haut Conseil à l’Intégration. 

    En ce qui concerne le séparatisme culturel et géographique, il se mesure désormais. Là où des populations immigrées, ou issues de l’immigration mais perçues comme non intégrées, s’installent ou sont déjà présentes en nombre, on observe des mouvements d’autres populations, dans lesquels on compte d’ailleurs également des familles d’origine étrangère qui souhaitent que leurs enfants puissent vivre dans un environnement culturel français. L’assouplissement de la carte scolaire qui avait été mise en place par le précédent gouvernement a d’ailleurs aidé à la fuite d’élèves d’un certain nombre d’établissements scolaires quand leurs parents en avaient les moyens.

    Sur cette question du séparatisme, il serait d’ailleurs très intéressant de se pencher sur l’envers des chiffres publiés au sujet de Paris intra-muros. D’un côté, les études montrent que les couples qui souhaitent agrandir leur famille finissent par quitter la capitale pour cause de cherté des loyers et de la vie ; et de l’autre, le taux de natalité recommence à y croître. Peut-être faudrait-il, pour décrypter ces résultats, les analyser à l’aune du séparatisme culturel et géographique. Plusieurs arrondissements de Paris sont au demeurant déjà, pour certaines parties, assimilables à des formes de ghettos.

     

    Malika Sorel, propos recueillis par Alexandre Devecchio, (Atlantico, 11 février 2013)


     

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • Jean-Yves Le Gallou à propos de "La tyrannie médiatique"...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous la présentation par Jean-Yves Le Gallou de son nouveau livre, La tyrannie médiatique, qui paraît cette semaine aux éditions Via Romana.

    La tyrannie médiatique de Jean-Yves Le Gallou peut être commandé dès maintenant aux éditions VIA ROMANA, 5 rue du Maréchal-Joffre – 78000 Versailles – 06 87 53 96 45, ou à Polémia 60 ter rue Jean-Jacques-Rousseau – 92500 Rueil-Malmaison, 01 47 49 74 16, au prix de 23 euros, franco de port.

     


    Jean-Yves Le Gallou : "La Tyrannie Médiatique" par MrPierreLegrand

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Multimédia 0 commentaire Pin it!
  • La criminalité a explosé !...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Laurent Obertone, cueilli sur le site de Causeur et consacré à son livre La France Orange mécanique (Ring, 2013).

     

    braquages.jpg

     

    La criminaité a explosé

    Entretien avec Laurent Obertone


    Votre essai s’appuie sur des chiffres différents de ceux du ministère de l’Intérieur. En quoi sont-ils plus fiables que les statistiques officielles ?

    En France, toutes les 24 heures, on compte 13 000 vols, 2 000 agressions et 200 viols. Ces chiffres sont ceux de l’Office national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), institut public qui réalise depuis plusieurs années des enquêtes de victimisation auprès de 17 000 personnes. Ces enquêtes jugées fiables par les criminologues (et désormais par Manuel Valls) recensent 12 millions de crimes et délits, soit trois fois plus que les chiffres avancés par le ministère de l’Intérieur, basés uniquement sur les plaintes, et sujets à quantité de manipulations. L’enquête de l’ONDRP y échappe, et échappe donc aux indécentes petites querelles politiciennes autour d’oscillations infimes d’un taux de criminalité qui a explosé depuis les années 60, et qu’aucune politique n’a su ou voulu contenir.

    Vous semblez nourrir une très mauvaise opinion des médias français. Sont-ils vraiment tous aveugles et angéliques face à l’insécurité ?

    L’immense majorité des journalistes (94% selon une enquête de Marianne) et des étudiants en journalisme (jusqu’à 100% d’entre eux dans certaines écoles) se revendiquent de la gauche et de l’extrême gauche. Ils ont un logiciel idéologique dans la tête, qui n’est pas compatible avec le devoir d’informer. Par réflexe, ils nient la réalité, l’édulcorent, la minimisent, éventuellement méprisent, culpabilisent ou insultent ceux qui osent la montrer du doigt. Entre grands médias, c’est une compétition à celui qui ira le plus loin dans l’excuse et la compréhension du criminel. Les gens le savent, donc ils ne lisent plus cette presse-là, qui est maintenue en vie par des subventions publiques plus ou moins déguisées, pour donner l’illusion qu’une information indépendante existe encore et que notre démocratie se porte bien. Tout ça est un théâtre et même, hélas, une tragédie.

    Mais la presse parle de votre livre…

    Une certaine presse. Valeurs actuelles, Atlantico, Éric Brunet, Éric Zemmour… La plupart des grands médias se taisent, et nous font parfois savoir, comme La Croix ou Le Parisien, qu’ils le font pour des raisons idéologiques. Or des milliers de victimes témoignent que l’insécurité n’est pas une idéologie.

    En pointant le multiculturalisme comme source de la délinquance, ne redoutez-vous pas de radicaliser certaines personnes, soit vers l’extrême droite soit vers un fanatisme de type salafiste ?

    L’hétérogénéité d’une nation est non seulement un facteur de criminalité, mais aussi un facteur d’incivisme, de précarité, d’effondrement du “capital social”, comme l’a démontré le célèbre sociologue – de gauche – Robert Putnam, duquel je parle longuement dans La France orange mécaniqueC’est un constat : les pays hétérogènes sont plus violents que les pays homogènes. Il n’est pas question de réécrire cette réalité sous prétexte qu’elle pousserait des gens à se radicaliser. Aujourd’hui, dans notre pays, des milliers de criminels radicaux agressent, violent et tuent d’honnêtes gens sans que ça n’intéresse personne. Ceux qui fuient cette réalité en brandissant le fantasme de l’extrême droite se font les complices de ces criminels. Mais ils n’ont plus le choix : leur idéologie est boiteuse, et ce fantasme de l’extrême droite est leur seule béquille.

    Quid de la dérive islamiste ?

    Je note que cette radicalisation est consubstantielle aux populations musulmanes installées en Europe. Elle est un accélérateur identitaire de la tribalisation de certaines communautés.

    À vous lire, certains délinquants sont parfaitement de bonne foi lorsqu’ils pensent ne transgresser aucun interdit en commettant des délits ou des viols…

    En effet. Leur morale est celle de leur groupe, hiérarchisé selon des règles qui ne sont pas les nôtres. C’est une loi anthropologique : tuer un membre de son groupe est interdit, tuer un étranger est admis, parfois encouragé. En témoigne le soutien sans faille des “proches” de “jeunes” interpellés par la police, quoi qu’ils aient fait.

    Vous expliquez que, contrairement à une idée bien ancrée, la délinquance et la criminalité ne sont pas liées à des facteurs économiques. Mais peut-on sérieusement comparer des départements ruraux, certes classés parmi les plus pauvres et des zones hyper urbanisées comme le 93?

    Je constate que les villes aux populations homogènes, qui comportent leur lot d’habitants pauvres, sont très peu criminelles. Le Paris du début  du XXe siècle ou même du XIXe était particulièrement pauvre et surpeuplé. Pourtant, il était beaucoup moins violent qu’il ne l’est depuis les années 60. La ville ne fait pas le criminel, disons qu’elle lui sert de refuge. Ce qui fait le criminel, c’est la sous-adaptation culturelle, la tribalisation du pays, le laxisme judiciaire, la morale de l’excuse.

    D’où vient la quasi-impunité que vous dénoncez ? De la police ou de la justice?

    Entre la paperasse, la politique du chiffre, la barbarie de la rue, les consignes pour ne pas “provoquer”, le mépris médiatique, la colère populaire, les policiers, désabusés, font ce qu’ils peuvent, avec courage et efficacité. En revanche, la justice ne suit plus depuis longtemps. 53 000 places de prison, 67 000 détenus. 82 000 peines non exécutées chaque année, faute de place. Construire des prisons ? “Ça coûte cher”, nous explique-t-on sans trembler du côté du syndicat de la magistrature. Pas un seul gouvernement n’a eu le courage de mettre au pas son administration pour construire des prisons. Pourquoi ? Parce que construire des prisons serait reconnaître l’explosion de la criminalité depuis l’ordonnance de 1945 et la généralisation du laxisme judiciaire. Idéologiquement, les progressistes ne peuvent pas admettre l’échec de leurs utopies. Ils préfèrent couler à la barre du navire. Ce qu’ils décident n’a rien à voir avec la réalité empirique, ce sont des “avancées” morales sur lesquelles personne ne doit jamais revenir. C’est un comportement suicidaire.

    Ce n’est donc pas de la responsabilité de Christiane Taubira, l’actuelle Garde des Sceaux ?

    Taubira est autant responsable de la situation que ses prédécesseurs, elle a l’immense mérite de passer pour ce qu’elle est.

    Plus que le niveau de sécurité, n’est-ce pas notre seuil de tolérance face à la criminalité et à la délinquance qui a fléchi au cours des dernières décennies ?

    Si les médias tentaient d’amplifier ce phénomène, ils commenceraient sans doute par ne plus parler de “sentiment”, de “jeunes”, ou “d’incivilités”. Dans La France orange mécanique, je montre que la criminalité française était insignifiante des années 1830 aux années 1950. Dans tous les pays d’Europe, la criminalité a explosé à partir des années 1950, avec la mondialisation, l’immigration et la fin de la justice strictement punitive. Ce n’est pas une fatalité : les pays qui ont abandonné le laxisme judiciaire, comme les États-Unis, ont obtenu d’excellents résultats en matière de lutte contre la criminalité. Aujourd’hui, la criminalité des États-Unis est proportionnellement inférieure à celle de la France.

    Votre constat est effrayant, mais quelles solutions préconisez-vous ?

    Aucune, ce n’est pas mon rôle. Je suis un témoin, je pose un constat. Constat de faillite judiciaire, de faillite du multiculturalisme, de faillite de la morale progressiste. Avant de s’attaquer à la réalité, il faut cesser de l’ignorer. C’est tout le thème de mon livre;

    Laurent Obertone, propos recueillis par Sophie Flamand (Causeur, 8 février 2013)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • Enracinement et universalisme...

    « Le déracinement intégral (…) constitue bien, pour tout libéral conséquent, l’unique condition préalable de toute société réellement libre et universelle. »

    Vous pouvez lire ci-dessous un extrait d'un entretien avec Jean-Claude Michéa, publié dans le journal espagnol El Confidential, et reproduit sur Ragemag. Auteur de plusieurs essais essentiels, Jean-Claude Michéa a récemment publié Le complexe d'Orphée - La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès (Climats, 2011).

     

    BHL_Dombasle.jpg


     

    1/ Pourquoi les élites font-elles l’éloge d’un mode de vie nomade et itinérant ?

    La mobilité perpétuelle du capital et du travail est au cœur même de la logique capitaliste. Elle est le seul moyen – soulignait déjà Adam Smith – de permettre à l’offre et à la demande de s’ajuster de façon optimale. De là, la nécessité libérale d’un monde sans frontières dont l’invitation permanente à la mobilité – géographique ou professionnelle – constitue aujourd’hui la valeur centrale. Dans la mesure où la gauche occidentale contemporaine considère désormais ce cadre du capitalisme mondialisé comme historiquement indépassable – au nom de l’idée, médiatiquement imposée par Bernard-Henri Levy et les « nouveaux philosophes », selon laquelle toute volonté de rompre avec le capitalisme ne pourrait conduire qu’au goulag – il est donc logique que la célébration du caractère émancipateur de la mobilité généralisée soit devenue un rouage essentiel de son nouveau programme. Le problème c’est que ce mode de vie « nomade » (qui est d’abord, on l’oublie trop souvent, celui des élites globales et du monde médiatique) ne saurait être universalisé sans contradiction.

    Contrairement à l’illusion que s’efforcent de répandre les classes dirigeantes, il faut rappeler, en effet, que le fameux « tourisme de masse » ne met en jeu que 4% de la population mondiale et que l’immigration, au sens strict, n’en concerne que 2% (même en comptabilisant les nombreux « expatriés » des pays riches). Si ce nouveau mode de vie sans frontière devait devenir la norme – comme le capitalisme global l’exige à présent – on se heurterait donc rapidement à des problèmes écologiques et énergétiques insurmontables (sans même prendre en considération le fait qu’il rendrait impossible tout investissement affectif durable et tout lien social solide). L’ONU elle-même reconnaissait, dans un rapport récent, que d’ici 2050 il sera absolument indispensable de réduire de façon drastique « les transports automobile et aérien et le commerce international à longue distance ». Avec cet éloge du mode de vie migratoire et de la mobilité généralisée on retrouve donc, sous une autre forme, l’éternel problème que posera toujours le projet libéral d’une croissance infinie dans un monde fini.

     

    2/ Comment articuler enracinement et universalisme ?

    La question de l’enracinement est particulièrement complexe, ne serait-ce que parce qu’elle autorise bien des dérives. Il faut donc d’abord rappeler – conformément aux enseignements de base de l’anthropologie et de la psychanalyse – que l’aptitude à donner, recevoir et rendre (c’est-à-dire l’aptitude à dépasser son idéal de toute-puissance infantile et à s’inscrire sous les chaînes humanisantes de la réciprocité) ne s’acquiert habituellement que dans ces relations en face à face qui définissent la socialité primaire (la famille, le village, le quartier, le lieu de travail etc.). Il est, en effet, extrêmement difficile d’accéder au sens des autres – ou d’intégrer une quelconque « loi symbolique » (Lacan) – quand on n’a jamais connu la moindre relation un peu stable ou, a fortiori, quand son seul partenaire est un écran d’ordinateur. Bien entendu, cela ne signifie pas que les dispositions à la solidarité qui auront pu prendre naissance dans ce cadre local s’appliqueront ensuite automatiquement aux autres groupes humains (nous savons bien, malheureusement, qu’une communauté n’est jamais si unie que lorsqu’elle a su s’inventer des boucs émissaires). Le processus d’universalisation critique qui permettra éventuellement d’élargir à d’autres communautés les relations de confiance et de réciprocité forgées au sein de ces « groupes primaires » (Charles Cooley, 1864-1929) ne saurait être « naturel » (même si on ne doit pas négliger le fait que toutes les sociétés connaissent, par ailleurs, les principes de l’alliance et de l’hospitalité). Il exigera toujours un travail de remise en question éthique et politique, fondé sur la prise de conscience – comme l’écrivait Levi-Strauss – que l’humanité ne s’arrête pas aux frontières de la tribu. Et aucun « sens de l’histoire » ne rend un tel travail « inéluctable » ni même « irréversible »

    De ce point de vue, la critique des limites d’une vie purement locale – de son étroitesse culturelle et des risques de « repli identitaire » qu’elle inclut par définition – est forcément au cœur de toute démarche universaliste qui – à l’image de celle qui sous-tend le projet socialiste – entend bien élargir à des groupes humains toujours plus vastes, voire à l’humanité toute entière, le bénéfice de ces habitudes premières de loyauté, de générosité et de reconnaissance. Toute la question est alors de déterminer quelle conception des rapports dialectiques entre l’universel et le particulier est la plus à même de favoriser l’avènement d’une société véritablement « ouverte » et qui ne renoncerait pas pour autant à encourager cet esprit du don et ces pratiques de solidarité qui ne peuvent surgir qu’à partir d’un enracinement culturel particulier. Or pour les libéraux (et particulièrement pour les libéraux de gauche) la réponse ne saurait faire aucun doute. Leur philosophie utilitariste les amène toujours, en effet, à saisir les impératifs traditionnels du don et de la réciprocité sous leur seul aspect « étouffant » et « culpabilisant» (un psychanalyste verrait sans doute dans cette forme d’affectivité un effet classique des ravages exercés dans l’enfance par une mère possessive et castratrice ou par un père absent).

    D’un point de vue libéral, l’idée même de dette symbolique – ce que nous devons, par exemple, à nos parents, nos voisins ou nos amis – ne peut être comprise que dans sa dimension contraignante (il suffit de relire Adolphe de Benjamin Constant) et jamais dans ce qu’elle peut aussi avoir d’humainement enrichissant et donc d’émancipateur. C’est pourquoi, aux yeux des libéraux, l’individu ne saurait connaître de liberté effective que s’il parvient à s’arracher définitivement au monde étouffant des appartenances premières (on songe à tous ces films hollywoodiens qui diabolisent les modes de vie de l’« Amérique profonde ») et à placer sa nouvelle existence – celle du self made man qui ne doit plus rien à personne – sous la seule protection tutélaire des mécanismes impersonnels du marché autorégulé et du droit procédural. Deux institutions censées être « axiologiquement neutres » et qui ne font appel, par définition, qu’à l’« égoïsme rationnel » du sujet (Ayn Rand), sans jamais exiger de lui la moindre implication psychologique ou morale. En ce sens, le déracinement intégral (dont la figure platonicienne de l’ « intellectuel sans attache » de Karl Mannheim représente une forme extrême) constitue bien, pour tout libéral conséquent, l’unique condition préalable de toute société réellement libre et universelle (et c’est ce qui explique, au passage, que le mépris de la vie paysanne ait toujours formé le noyau dur de l’imaginaire capitaliste).

    Tout le problème est ainsi de déterminer dans quelle mesure un monde sans frontière, qui se serait émancipé de toutes les contraintes traditionnelles du don et de l’échange symbolique, pourrait encore être dit véritablement humain. S’il est clair, en effet, que l’expérience locale ne peut jamais constituer que le point de départ de l’aventure humaine, il est non moins clair que c’est le développement dialectique des acquis moraux et culturels liés à cette expérience première – et non leur négation abstraite – qui seul pourra conduire à un monde effectivement commun, autrement dit à un monde dont les valeurs universelles ne seront jamais séparables du cheminement concret qui aura permis à chaque peuple – à partir de ses traditions culturelles particulières – de se reconnaître en elles et de se les approprier (rien n’est donc plus absurde, de ce point de vue, que l’idée qu’on pourrait exporter les « droits de l’homme » par la seule force des baïonnettes). C’est ce que Miguel Torga avait su formuler de façon admirable lorsqu’il écrivait, en 1954, que « l’universel, c’est le local moins les murs » (le penseur occitan Felix Castan évoquant, quant à lui, l’idéal d’un monde situé « à mi-chemin du tout abstrait et du tout enraciné »). C’est pourquoi le célèbre avertissement que Rousseau avait placé au début de l’Emile s’applique plus que jamais au monde uniformisé du marché-roi et du droit abstrait. « Défiez vous – écrivait-il – de ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres les devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux. Tel philosophe aime les Tartares pour être dispensé d’aimer ses voisins ». C’était assurément une critique lucide et prophétique de ces nouvelles élites globales (et de tous ceux qui en ont intériorisé l’imaginaire touristique) qui entendent désormais décider du destin de tous les peuples de la terre en fonction de leur seul intérêt égoïste. Il est à craindre, en effet, qu’un « citoyen sans frontière » ne puisse jamais devenir un véritable citoyen du monde.

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • Le point de vue d'Alain de Benoist sur la situation en Egypte...

    Alain de Benoist, directeur des revues Nouvelle Ecole et Krisis et éditorialiste de la revue Eléments, répond aux questions de la radio iranienne francophone, IRIB, à propos de la situation insurrectionnelle en Egypte, dans un entretien diffusé le 31 janvier 2013.

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Multimédia 0 commentaire Pin it!