Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Entretiens - Page 210

  • Le cinéma peut-il aider à aimer la France ?...

    Nous reproduisons ci-dessous l'entretien donné par Arnaud Guyot-Jeannin à Zentropa et consacré au cinéma français. Cinéphile, critique à Spectacle du Monde et grand amateur de cinéma populaire français, Arnaud Guyot-Jeannin a récemment publié Les visages du cinéma - 35 portraits non-conformistes (Xénia, 2012).

     

    hotel_du_nord.jpg

    Le cinéma peut-il aider à aimer la France ?

    Le cinéma peut-il aider à aimer la France ? Ce ne certes pas son rôle, mais cela pourrait-il au moins être l’une de ses fonctions ?

    Arnaud Guyot-Jeannin :  Le cinéma a permis d’aimer la France en la filmant au fond des yeux durant des lustres. Dans un ordre croissant sur le plan chronologique, il faut citer des films très différents qui caractérisent la francité comme Hôtel du Nord de Marcel Carné (1938), Goupi Mains rouges de Jacques Becker (1943), Le Trésor de Cantenac de Sacha Guitry (1950), La Vérité d’Henri-Georges Clouzot (1960), Baisés volés (1968) et Domicile Conjugal (1970) de François Truffaut, auxquels s’ajoutent ceux de Claude Sautet, Claude Chabrol, et Éric Rohmer dans un registre plus élitiste. Entre-temps, il est important de mentionner Julien Duvivier, Claude Autant-Lara, Jean Delannoy, Henry Verneuil, Denis de la Patellière, Georges Lautner, José Giovanni, Robert Enrico, Yves Boisset, Jacques Deray, Pierre-Granier-Deferre, Édouard Molinaro, Jean Yanne, Philippe de Broca et Pascal Thomas. Deux mentions spéciales : l’une pour André Hunebelle qui fit tourner plusieurs films d’aventure – le plus souvent historiques et/ou fantastiques – à Jean Marais, dans lesquels la France renouait avec sa geste héroïque, élégante et brave : Le Bossu (1959), Le Capitan (1960), Les Mystères de Paris (1962), Fantômas (1964) etc. L’autre pour Gilles Grangier qui tourna des films qui alliaient la légèreté drolatique à la solidité populaire : Au pt’it zouave (1950), Le cave se rebiffe (1961) et Le gentleman d’Epsom (1962). Plus Français que Grangier tu meurs ! En évoquant Grangier, Verneuil et Lautner notamment, on pense avec nostalgie aux dialogues de Michel Audiard et d’Albert Simonin dit Monsieur Albert. Des cadors du verbe et de la syntaxe parigote!

    Toujours très enracinées dans le terreau régional et national, les comédies crues et sombres de Joël Séria (Les Galettes de Pont Aven, 1975 etc), avec le prince de la truculence française Jean-Pierre Marielle, ne doivent pas être oubliées. De même que les comédies burlesques d’Yves Robert avec Philippe Noiret comme, par exemple, Alexandre le Bienheureux (1968) ou avec Pierre Richard et Jean Rochefort comme Le grand Blond avec une chaussure noire (1972). À ne pas omettre non plus, certaines comédies sous-estimées de Jean Girault avec le plus grand acteur comique français de tous les temps, Louis de Funès : Pouïc-Pouïc (1963), Le Gendarme de Saint-Tropez (1964), Jo (1965) etc. La France et les Français ont bien changé depuis la sortie des films de Jean Girault. Tant que la France sera déracinée – mais le déracinement excède ses frontières –, ravagée à la fois par le matérialisme consumériste et le cosmopolitisme bobo, elle sera rendue amnésique à sa propre histoire et à son mode de vie différencié que viendra confirmer la décadence de notre propre cinématographe.

    La France contemporaine n’est plus celle de Jean Gabin et de Michel Audiard. Tenant compte d’un visage modifié par quelques décennies d’immigration de masse, quels pourraient être leurs équivalents à venir ? Robert Guédiguian ou Jean Becker ? Ou les deux à la fois ? Sans compter les autres, dont les noms ne sont peut-être pas encore connus ?

    Arnaud Guyot-Jeannin : Guédiguian, c’est l’anti-Becker. Ce metteur en scène réalise des films de cocos pour les bobos. Son cinéma est celui du Front de gauche. Mais, il est surtout totalement fantasmé. Il idéalise la classe ouvrière qui dans la réalité est moins sympathique et conviviale que celle qu’il filme. Réformiste et embourgeoisée, elle est attachée à travailler, produire et consommer plus. Guédiguian fait ainsi l’impasse sur l’aliénation par le travail dans l’entreprise de nos jours. Il exalte un travail humain et solidaire qui redonne toute sa fierté à un homme devenu un simple rouage du système turbo-capitaliste. Des films comme Marie-Jo et ses deux amours (2001) et Les neiges du Kilimandjaro (2011) sont d’une platitude sociale et sentimentale à pleurer. Si Jean-Pierre Daroussin joue ses personnages avec sa justesse coutumière, cette pauvre Ariane Ascaride nous impose son néant existentiel et son physique commun comme pour mieux faire ressortir artificiellement qu’elle vit dans une réalité pure et dure, mais toujours ensoleillée, naturelle et socialisée. Les commentaires du cru sont d’ailleurs globalement irrévérencieux. Les habitants de l’Estaque ne goûtent guère cette bouillabaisse arméno-marseillaise.

    Quant au polar historique L’Armée du crime (2009), il s’agit d’un film présentant avantageusement le réseau Manouchian, composé de communistes étrangers. Guédiguian nous le fait passer pour « héroïque et patriote », alors qu’il pratiquait un terrorisme aveugle et tirait ses ordres de Moscou. Guédiguian ne sait ni transposer, ni sublimer la réalité de la résistance à l’écran comme Melville l’avait fait efficacement dans L’Armée des ombres (1969). Seul beau film de Guédiguian : celui sur François Mitterrand, Le Promeneur du Champ de Mars (2004) avec le toujours remarquable Michel Bouquet. Un hymne paradoxal à la France ! C’est justement de ce cinéma très français que nous entretiennent les films de Jean Becker. Fils du grand Jacques et probe artisan, Becker est véritablement le dernier résistant du cinéma français. Les enfants du Marais (1999), Deux jours à tuer (2008), La tête en friche (2010), Bienvenue parmi nous (2011) et surtout ses Effroyables jardins (2002) sont quelques-uns des films enracinés, poétiques et rafraîchissants que Becker a réalisés avec toute son âme française pour notre plus grand bonheur. Souvent derrière les carences ou la fêlure de ses personnages se cachent des qualités humaines insoupçonnées qui surgissent bravement avec une émotion toujours contenue. D’une plus jeune génération et dans une veine très différente, Lucas Belvaux m’épate, d’autant plus qu’il s’améliore de film en film (Rapt, 2009 ; 38 témoins, 2012). Il arrive aussi que tel ou tel metteur en scène fasse un ou deux bons films comme Philippe Harel, Yves Angelo ou François Dupeyron. Même Jacques Audiard, dont le cinéma m’indispose, a réalisé un excellent Héros très discret (1996). C’est très peu, trop peu…

    S’il fallait sélectionner quelques films éminemment français, quel serait votre palmarès ?

    Arnaud Guyot-Jeannin :  Je vais m’en tenir à une dizaine en précisant que la tâche est rude et que la liste est le reflet d’une grande part de subjectivité. Autant le premier film de la liste est vraiment mon préféré de toute l’histoire du cinéma – c’est d’ailleurs aussi le cas des Français d’après les sondages qui se succèdent depuis sa sortie –, autant les autres films sont classés dans le désordre.

    1. Les Enfants du Paradis de Marcel Carné (1945) : le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre d’une poésie à couper le souffle.

    2. Le Procès de Jeanne d’Arc de Robert Bresson (1962).

    3. Ma nuit chez Maud d’Eric Rohmer (1968).

    4. La Bête humaine de Jean Renoir (1938).

    5. La Grande illusion de Jean Renoir (1937).

    6. Le Doulos (1962) de Jean-Pierre Melville (mais, mon cœur balance avec Le deuxième souffle,1966 ; Le Samouraï, 1967 ; Le Cercle rouge, 1970) qui sont des films plus français qu’on ne le dit généralement. Dans son Dictionnaire du cinéma consacré aux réalisateurs, Jean Tulard résume en une formule limpide ce qui caractérise le cinéma de Melville : « Il a parfaitement assimilé la leçon des Américains, mais a su rester français ».

    7. La 317e section de Pierre Schoendoerffer (1965).

    8. Le Crabe Tambour de Pierre Schoendoerffer (1976).

    9. Les Choses de la vie de Claude Sautet (1970) (mais il faudrait quasiment citer tous les films du metteur en scène).

    10. Que la bête meure de Claude Chabrol (1969).

    Arnaud Guyot-Jeannin (Zentropa, 19 juin 2013)

    Lien permanent Catégories : Cinéma / Théatre, Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • Robert Ménard en liberté...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien décapant donné par Robert Ménard, l'animateur de l'excellent site Boulevard Voltaire, à Reportage 34 à propos de l'Algérie, de la colonisation et de la liberté d'expression...

     

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Multimédia 1 commentaire Pin it!
  • Quand les socialistes défendaient le peuple...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Nicolas Gauthier et publié sur Boulevard Voltaire. Alain de Benoist y évoque la trahison par la gauche des idéaux du socialisme...

     

    Alain_de_Benoist 6.jpg

    Quand les socialistes défendaient le peuple

    Vous venez de publier Édouard Berth ou le socialisme héroïque (Pardès). Pourquoi s’intéresser à un homme aussi peu connu ?

    Il est en fait bien connu de tous les historiens des idées, qui le considèrent en général comme le plus fidèle disciple de Georges Sorel, auteur des Réflexions sur la violence et des Illusions du progrès. Édouard Berth (1875-1939) a été l’un des principaux théoriciens du syndicalisme révolutionnaire, c’est-à-dire de cette branche du mouvement ouvrier qui, estimant que la classe ouvrière ne pouvait compter que sur elle-même pour instaurer la « société des producteurs », n’avait qu’hostilité pour les partis politiques et donnait la priorité à « l’action directe » (soit l’action sur les lieux de travail) développée par les syndicats. Ce sont les représentants les plus actifs de cette tendance révolutionnaire, Victor Griffuelhes et Émile Pouget, qui parvinrent, en octobre 1906, à faire adopter par la CGT la célèbre Charte d’Amiens que l’on considère aujourd’hui comme l’acte fondateur du syndicalisme français. Berth eut, par ailleurs, un itinéraire extrêmement original puisque, sans jamais abandonner ses convictions, il participa, à la veille de la Première Guerre mondiale, à l’aventure du Cercle Proudhon, où se rencontrèrent maurrassiens et syndicalistes révolutionnaires, puis s’enthousiasma vers 1920 pour la révolution russe, au point de collaborer régulièrement à la revue Clarté, fondée par Henri Barbusse. Revenu de son léninisme, il collabora jusqu’à sa mort à La Révolution prolétarienne de Pierre Monatte.

    Ce qui frappe, c’est aussi le contraste entre socialisme d’antan, tout entier voué à la défense de la classe ouvrière, et Parti socialiste actuel. Ce PS est-il encore socialiste ?

    En janvier 1905, le « règlement » de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) – Parti socialiste de l’époque – se présentait comme un « parti de classe qui a pour but de socialiser les moyens de production et d’échange, c’est-à-dire de transformer la société capitaliste en société collectiviste, et pour moyen l’organisation économique et politique du prolétariat ». Allez donc demander aujourd’hui aux travailleurs de PSA, de Florange ou d’ArcelorMittal ce qu’ils pensent du « socialisme » de Hollande !

    Qu’un dirigeant du PS, en l’occurrence Dominique Strauss-Kahn, ait pu être appelé à la direction du Fonds monétaire international (FMI) pour y mettre en œuvre la même politique que pratique aujourd’hui Christine Lagarde était déjà tout un symbole. Et maintenant ? Ni le mariage homosexuel, ni la légalisation du cannabis, ni la lutte pour la parité (sauf dans le mariage !), ni l’immigration incontrôlée, ni l’abolition des frontières, ni même la défense des « droits de l’homme » (dont Marx avait fait une critique impitoyable) ne sont évidemment des mesures « socialistes ». Ce sont des mesures libérales, censées répondre aux caprices et aux désirs individuels. Devenu un parti social-libéral – de plus en plus libéral et de moins en moins social –, le PS ne conçoit plus la société que comme une addition d’individus. C’est pour cela que le gouvernement actuel, privilégiant le sociétal au détriment du social, a choisi de faire diversion en cachant les cinq millions de chômeurs derrière le mariage pour tous.

    Le bilan social-défaitiste de François Hollande est évident dans tous les domaines. De l’abandon de toute réforme fiscale d’envergure à l’absence de politique industrielle, de la révision du Code du travail dans le sens exigé par le MEDEF au chantage à l’emploi pour faire baisser les salaires – tandis que ceux des grands patrons ne seront finalement pas « encadrés » –, sans oublier la loi sur la « sécurisation de l’emploi » (sic), qui a signé l’arrêt de mort du contrat à durée indéterminée (CDI), chaque jour qui passe administre la preuve de la totale soumission de François Hollande aux exigences de la finance.

    Rallié depuis au moins trente ans au système de l’argent, le PS est devenu un parti de fonctionnaires, de technocrates et de bobos ayant oublié le socialisme depuis belle lurette et ne s’intéressant qu’au « pourtoussisme », aux interventions « humanitaires » et à la défense des « victimes » sur le mode émotionnel et lacrymal. Ce n’est donc pas sur ses dirigeants qu’il faut compter pour expliquer que la crise actuelle est d’abord une crise du mode de production capitaliste, c’est-à-dire une crise généralisée de la logique de valorisation du capital, et moins encore pour tenter d’y remédier.

    Comment expliquer cette évolution ? Passer d’un Édouard Berth à un DSK…

    Ce qu’on appelle la « gauche » est né en France, à l’époque de l’affaire Dreyfus, de la fusion de deux courants totalement différents : une aspiration à la justice sociale portée par le mouvement ouvrier et une philosophie du progrès héritée des Lumières, que Sorel a justement définie comme fondamentalement bourgeoise. Le problème est que l’idéologie du progrès n’a que méfiance pour ce que Pasolini appelait la « force révolutionnaire du passé ». Or, le socialisme originel, s’il s’opposait bien entendu aux hiérarchies d’Ancien Régime, n’entendait nullement abolir les solidarités organiques traditionnelles ni s’attaquer aux fondements communautaires du lien social. Il contestait en revanche hautement l’idée libérale selon laquelle le marché, la logique de l’intérêt et le droit procédural suffiraient à faire tenir ensemble une société.

    Dès les années 1980, la gauche, sous couvert de se « moderniser », a commencé à s’adapter aux modèles libéraux. Elle a, de ce fait, abandonné les idéaux du socialisme. Il lui reste la métaphysique du progrès, qu’elle partage avec la droite libérale. Dans ces conditions, le libéralisme sociétal de la gauche rejoint tout naturellement le libéralisme économique de la droite. Être de gauche, désormais, c’est adhérer à la logique de « l’antiracisme » et de la « lutte-contre-toutes-les-discriminations » pour masquer le fait que l’on a cessé d’être anticapitaliste.

    Édouard Berth se faisait une idée « sublime » de la classe ouvrière, appelée selon lui à détruire le capitalisme bourgeois en reprenant à son compte les valeurs héroïques de l’Antiquité. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la gauche actuelle n’a pas le même rapport au peuple…

    Le peuple et la gauche n’ont jamais été des notions équivalentes, comme on l’a vu lors des journées de juin 1848 et de la Commune de 1871, lorsque la gauche bourgeoise faisait tirer sur le peuple. Lisez le livre de Bertrand Rothé récemment paru aux Éditions du Seuil, De l’abandon au mépris, sous-titré Comment le PS a tourné le dos à la classe ouvrière. Le mot de mépris n’est pas exagéré. L’auteur explique très bien comment les élites du PS ont abandonné les ouvriers au nom de la modernité, et parfois aussi de la « préférence étrangère ». Éric Zemmour résume parfaitement la situation quand il écrit que « la gauche se croit aujourd’hui antilibérale alors que son obsession progressiste en fait la meilleure servante du marché », tandis que la droite s’imagine « défendre les valeurs traditionnelles alors que le marché, qu’elle admire, détruit ce qu’elle est censée défendre ». Le grand clivage actuel n’est plus celui qui oppose la droite et la gauche, mais celui qui oppose des classes populaires encore « territorialisées » à une nouvelle classe globalisée, engendrée elle-même par un néocapitalisme financiarisé et de plus en plus déterritorialisé. Cette nouvelle classe s’est formée sous l’effet d’une intensification des mobilités dans un climat marqué par la déréglementation des marchés et des innovations technologiques rétrécissant l’espace et le temps. Face à elle, la frustration des classes populaires, et celle des classes moyennes menacées de déclassement, pourrait bien devenir le moteur d’une nouvelle lutte des classes.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 9 juin 2013)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 5 commentaires Pin it!
  • Non à l'hégémonie de l'anglais d'aéroport !...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Nicolas Gauthier et publié sur Boulevard Voltaire. Alain de Benoist y évoque la langue française et sa défense...


    Libération 201052013.jpg

    La une du 21 mai 2013 du quotidien collaborationniste Libération

     

     

    Non à l'hégémonie de l'anglais d'aéroport !

    Dans Mémoire vive, votre livre de mémoires paru l’an dernier, vous dites vous sentir « très profondément citoyen de la langue française ». C’est une métaphore à laquelle aurait pu souscrire Cioran, comme aujourd’hui Renaud Camus ou Richard Millet ?

    Et aussi Albert Camus, qui disait que la langue française était sa « patrie ». Le problème, c’est que le périmètre de cette « citoyenneté » se réduit actuellement comme peau de chagrin. Effondrement de l’orthographe, appauvrissement du lexique (Mitterrand utilisait deux fois plus de mots que Sarkozy), fautes gravissimes de grammaire et de syntaxe, disparition de fait du futur antérieur, dislocation de la forme interrogative (« T’es qui, toi ? »), tout cela a maintes fois été décrit. S’y ajoutent les expressions convenues d’une langue de bois mêlée de politiquement correct, où il n’est plus question, par exemple, que de « soutenabilité » et de « traçabilité », d’« images difficiles » enregistrées dans les « cités sensibles », de « cellules d’aide psychologique » permettant de « reconstruire » son « ressenti » par une « démarche citoyenne » consistant à « acter des principes » et à « poser des actes forts » pour retrouver ses « fondamentaux ». Ce fatras de langue de bois et d’euphémismes niais engendre des mantras propagés par Internet, les SMS et les textos, que répètent en boucle les bulletins paroissiaux de la bien-pensance quotidienne (Le Monde, Libération, etc.). Ceux qui prétendent défendre l’identité de la France ne sont malheureusement pas les derniers à en maltraiter la langue, comme en témoignent les commentaires hirsutes que l’on retrouve sur presque tous les blogs.

    Mais il y a aussi le détournement de sens de certains mots, qui évoque la novlangue orwellienne. Michèle Delaunay, ministre des Personnes âgées, a décidé tout récemment que pour évoquer la « dépendance », les textes officiels ne parleront plus désormais que d’« autonomie », terme qui dit exactement le contraire. La « diversité » légitimait déjà toutes sortes d’hybridations dont le seul effet sera de réduire les différences. La « gouvernance » désigne pudiquement une façon de gouverner sans le peuple (le 17 avril dernier, François Hollande appelait à « renforcer la gouvernance mondiale »). La « présomption d’innocence » n’est plus elle-même employée que par antiphrase puisque, si l’on est mis en examen (on disait autrefois inculpé), c’est que l’on est au contraire suspecté d’être coupable. N’oublions pas non plus la « lutte-contre-toutes-les-discriminations », formule qui ne veut strictement rien dire, mais qui tend aujourd’hui à se substituer à tous les programmes politiques…

    La langue française est le fruit d’une histoire commune, mais aussi le produit d’innombrables ajouts, ceux de l’argot d’autrefois, de la « langue des cités » aujourd’hui. Faut-il tout prendre en bloc ? Ou, sinon, comment faire le tri ?

    Je ne suis pas hostile aux néologismes, et je préfère assurément la langue de Villon ou de Rabelais à celle de l’Académie (« Enfin Malherbe vint… »). Mais les nouveautés doivent sortir de l’usage, c’est-à-dire de la langue populaire. Ce qui est insupportable, c’est le vocabulaire imposé d’en haut, pour des raisons relevant du politiquement correct, tels ces vocables féminisés inventés de toutes pièces pour satisfaire aux exigences de la « parité » : « auteure », « professeure », « écrivaine » – en attendant « dictateure, » sans doute.

    Sont également insupportables les emplois d’un mot pour un autre, souvent sous l’influence de l’anglais. En français, le mot « initier » signifie conférer une initiation, et non commencer ou débuter, privilège de l’anglais to initiate. En français, on dit « chargé de » et non « en charge de » (in charge of). On dit aussi « décennie », et non « décade », qui signifie « dix jours ». « Supporter » (les supporters du PSG) ne veut pas dire soutenir, mais endurer ou subir patiemment. J’entends partout dire aujourd’hui qu’on « se revendique » de ceci ou de cela. Or, dans la langue française, on revendique mais on ne se revendique pas : on se réclame. Plus récemment est également apparue l’habitude ridicule d’employer le mot « réfuter » à la place de « démentir », dont le sens est tout différent. Démentir, c’est simplement contredire ou nier. Réfuter, c’est recourir à une démonstration permettant de prouver la fausseté d’une assertion ou d’une proposition. Bernard Cahuzac, accusé de fraude fiscale, n’a rien réfuté du tout. Il a démenti !

    Depuis peu, l’anglais a supplanté le français au sein de l’Union européenne en tant que langue internationale… Un renoncement linguistique peut-il précéder une défaite géopolitique ?

    Il faudrait plutôt dire que ce sont les défaites géopolitiques qui entraînent les défaites linguistiques. L’anglais progresse au détriment du français parce que les États-Unis restent actuellement plus puissants que ne le sont les pays européens, lesquels acceptent que soit consacrée comme langue internationale une langue qui n’est celle d’aucun des pays de l’Europe continentale. La soumission des uns renforce la puissance des autres. D’où cette hégémonie de « l’anglais d’aéroport » qui fait partout reculer la diversité linguistique, c’est-à-dire aussi la diversité de pensée. La plus grande erreur que l’on puisse faire est, en effet, de croire que les langues ne sont qu’un moyen de communication. Elles correspondent en réalité à autant de façons différentes de penser. Je parle à peu près quatre ou cinq langues, mais si je pense la même chose dans chacune de ces langues, je ne la pense pas de la même manière. Il est révélateur que le linguiste Claude Hagège, ancien professeur au Collège de France, ait intitulé Contre la pensée unique son dernier livre, qui se veut précisément une contestation de l’imposition à l’échelle mondiale d’une langue dominante unique.

    Au moment où la langue française est plus menacée que jamais, même Yamina Benguigui, pourtant statutairement chargée de la défendre, ne dit rien… Serait-ce à désespérer ?

    Yamina Benguigui, qui n’est pas une femme dénuée de talent, a probablement fort à faire. Membre du Siècle, marraine de la Bibliothèque sans frontières, adjointe à la mairie de Paris « en charge des droits de l’homme et de la lutte contre les discriminations », fondatrice avec Marc Ladreit de Lacharrière d’une société de production (Elemiah) dont l’objectif est de « favoriser la représentation des minorités à la télévision et au cinéma », elle n’a visiblement plus beaucoup de temps à consacrer à ses fonctions de ministre délégué à la Francophonie. De passage à New York en septembre dernier, elle avait indiqué vouloir promouvoir une « langue égalitaire et solidaire, débarrassée des oripeaux du colonialisme ». Il faudrait lui demander si c’est de la langue française qu’elle voulait parler.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 26 mai 2013)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 5 commentaires Pin it!
  • Dominique Venner, un homme qui a choisi de mourir debout...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Boulevard Voltaire à propos du suicide de Dominique Venner...

     

    dominique-venner 3.jpg

    Dominique Venner, un homme qui a choisi de mourir debout

    Vous connaissiez Dominique Venner depuis 1962. Au-delà de la peine ou du chagrin, êtes-vous étonné par son geste ? Se place-t-il dans la logique de sa vie, de son combat politique, même si la politique, il avait arrêté d’en faire depuis longtemps ?

    Dans l’immédiat, je suis surtout empli de dégoût en lisant les commentaires qui me tombent sous les yeux. « Suicide d’un ex-OAS », écrivent les uns, tandis que d’autres parlent d’une « figure de l’extrême droite », d’un « opposant violent au mariage gay » ou d’un « islamophobe ». Sans compter les insultes de Frigide Barjot, qui a révélé le fond de sa nature en crachant sur un cadavre. Ces gens-là ne connaissent rien de Dominique Venner. Ils n’ont jamais lu une ligne de son œuvre (plus de cinquante ouvrages et des centaines d’articles). Ils ignorent même qu’après une jeunesse agitée, qu’il avait évoquée dans l’un de ses plus beaux livres – Le cœur rebelle (1994) -, il avait définitivement rompu avec toute forme d’action politique il y aura bientôt un demi-siècle. Je peux même donner la date exacte, puisque j’étais présent lorsqu’il déclara prendre cette décision : c’était le 2 juillet 1967. À compter de ce jour, Dominique Venner s’était entièrement consacré à l’écriture, d’abord avec des ouvrages sur la chasse et les armes (il était, en ce domaine, un expert reconnu), ensuite avec des travaux d’historien, écrits avec une plume étincelante et dont beaucoup font aujourd’hui autorité. Il était enfin le fondateur de La Nouvelle Revue d’histoire, un bimestriel de haute qualité.

    Je n’ai absolument pas été surpris par son suicide. Je savais depuis longtemps qu’à l’exemple des vieux Romains, et aussi de Cioran, pour ne citer que lui, il admirait la mort volontaire, qu’il y voyait la façon la plus conforme à l’éthique de l’honneur d’en finir avec la vie dans certaines circonstances. Il avait en tête le souvenir de Yukio Mishima, et ce n’est pas un hasard si son prochain livre, à paraître le mois prochain chez Pierre-Guillaume de Roux, s’intitulera Un samouraï d’Occident. On peut dès à présent en mesurer le caractère testamentaire. Je n’ai donc pas été étonné par cette mort exemplaire. Je suis seulement surpris du moment et du lieu.

    Dominique Venner n’avait aucune « phobie ». Il ne cultivait aucun extrémisme. C’était un homme attentif et secret. Au fil des années, le jeune activiste de l’époque de la guerre d’Algérie s’était mué en historien méditatif. Il soulignait volontiers à quel point l’histoire des hommes reste toujours imprévisible et ouverte. Il y voyait motif à ne pas désespérer, car il récusait toute forme de fatalité. Mais il était avant tout un homme de style. Chez les êtres, ce qu’il appréciait le plus était la qualité humaine, laquelle se résumait chez lui à un mot : la tenue. En 2009, il avait consacré à Ernst Jünger un bel essai dans lequel il expliquait que son admiration pour l’auteur de Sur les falaises de marbre tenait d’abord à sa tenue. Dans son univers intérieur, il n’y avait place ni pour les cancans, ni pour la dérision, ni pour les disputes de la politique politicienne qu’il méprisait à juste raison. C’est pour cela qu’il était respecté. Parfois jusqu’à l’excès, il recherchait la tenue, le style, l’équanimité, la hauteur d’âme, la noblesse d’esprit. Ce sont là, malheureusement, des mots dont le sens même échappe sans doute à ceux qui regardent les jeux télévisés et se ruent chez Virgin Megastore pour profiter des soldes…

    Dominique Venner était païen et ne s’en cachait pas. Il aura pourtant choisi une église pour mettre fin à ses jours. Y voyez-vous une contradiction ?

    Je pense qu’il a lui-même répondu à votre question dans la lettre qu’il a laissée derrière lui, en demandant qu’elle soit rendue publique : « Je choisis un lieu hautement symbolique, la cathédrale Notre-Dame de Paris, que je respecte et admire, elle qui fut édifiée par le génie des mes aïeux sur des lieux de culte plus anciens, rappelant nos origines immémoriales. » Lecteur de Sénèque et d’Aristote, Dominique Venner admirait surtout Homère : l’Iliade et l’Odyssée étaient à ses yeux les textes fondateurs d’une tradition européenne qu’il avait reconnue pour sa patrie. Il faut vraiment être Christine Boutin pour s’imaginer qu’il s’est « converti à la dernière seconde » !

    Politiquement, cette mort spectaculaire sera-t-elle utile, tel cet autre sacrifice demeuré célèbre, celui de Jan Palach, en 1969 à Prague, ou celui, plus récent, de ce petit commerçant tunisien ayant en partie déclenché le premier « printemps arabe » ?

    Dominique Venner s’est aussi exprimé sur les raisons de son geste : « Devant des périls immenses, je me sens le devoir d’agir tant que j’en ai encore la force. Je crois nécessaire de me sacrifier pour rompre la léthargie qui nous accable. Alors que tant d’hommes se font les esclaves de leur vie, mon geste incarne une éthique de la volonté. Je me donne la mort pour réveiller les consciences assoupies. » On ne saurait être plus clair. Mais on aurait bien tort de ne pas voir que cette mort volontaire va bien au-delà du contexte limité des débats sur le « Mariage pour tous ». Dominique Venner ne supportait plus, depuis des années, de voir l’Europe sortie de l’histoire, vidée de son énergie, oublieuse d’elle-même. L’Europe, disait-il souvent, est « en dormition ». Il a voulu la réveiller, à la façon d’un Jan Palach en effet, ou en d’autres temps d’un Alain Escoffier. Il a ainsi fait preuve de tenue jusqu’au bout, restant fidèle à l’image qu’il se faisait de ce que doit être l’attitude d’un homme libre. Il a écrit aussi : « J’offre ce qui me reste de vie dans une intention de protestation et de fondation. » Il faut retenir ce mot de fondation, que nous lègue un homme qui a choisi de mourir debout.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 23 mai 2013)


    Lien permanent Catégories : Entretiens 1 commentaire Pin it!
  • Aller aux « racines du mal » ? ...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Malika Sorel au site Atlantico, à propos des violences commises par les casseurs de banlieue au Trocadéro et sur les Champs-Elysées...

     

    Casseurs trocadéro.jpg

     

    Casseurs du Trocadéro : Hollande veut aller "aux racines du mal" mais sommes-nous prêts à les regarder en face ?

    Atlantico : Quelles sont ces fameuses "racines du mal" dont parle le président de la République ? De quels renoncements profonds ce mal est-il le produit ?

    Malika Sorel : Au vu de ses premières mesures, je pense que le Président se trompe de diagnostic. Ses mesures ont quasiment toutes déjà été testées par ses prédécesseurs, avec les extraordinaires résultats que les Français ont sous les yeux. Il continue de miser sur la politique de la ville avec le programme de rénovation urbaine qui avait été mis sur pied par Jean-Louis Borloo et qui est un échec cuisant sur le plan de l’intégration. Récemment, en Seine-et-Marne, la présidente du Front national les a rejoint dans la croyance en les miracles de la rénovation urbaine, prônant "la destruction des cités construites dans les années 55 à 70 et leur remplacement par un habitat de taille et d'esthétique traditionnelles", poursuivant avec un "on peut déjà éviter (...) de donner à la Seine-Saint-Denis une architecture traditionnelle de bétonnage, parce qu'en fait, c'est ça le problème". Rappelons que le programme Borloo a coûté la bagatelle de 43 milliards d’euros sur 10 ans. À l’heure où l’on en vient à vouloir priver une partie des familles d’allocations familiales, cela compte. Le Président a aussi ressorti les emplois jeunes de Lionel Jospin, qui n’ont rien donné sur le moyen et le long terme en matière d’employabilité, et dont tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire qu’ils comportent de nombreux effets pervers. De toute façon, nous sommes là sur des chiffres minuscules au regard des chiffres actuels du chômage des jeunes, sans compter que chaque année 150 000 élèves sortent du système éducatif sans rien en poche.

    Évoquons à présent les racines du mal. Il y a une racine principale et des racines secondaires. La plus importante, la racine principale, c’est l’ignorance et l’incompétence de très nombreux acteurs politiques sur le sujet de l’immigration-insertion-intégration, et ce depuis maintenant plus de trente ans. J’ai pu le mesurer, toutes ces dernières années, au travers des nombreuses réunions auxquelles j’ai participé. Cela a constitué un véritable choc. Comme tout citoyen, je pensais en effet que l’accession à de hautes responsabilités, que ce soit dans la haute administration ou dans le monde politique, avait rapport avec les compétences détenues sur les dossiers à traiter. Aujourd’hui, j’ai compris que cela n’était pas nécessairement corrélé. Cela continue de me choquer, et même de m’indigner.

    La déferlante de lundi dernier au Trocadéro est en rapport direct avec la question de l’intégration, que les hommes et femmes politiques de tous bords ont instrumentalisé chacun à leur tour. Cette instrumentalisation n’est pas étrangère au fait qu’il a été impossible de traiter les problèmes considérables que cela posait, pose et posera de plus en plus à la France. L’instrumentalisation fait donc aussi partie du mal.

    Comme j’ai maintes fois eu l’occasion de le dire et de l’écrire, l’importance des flux migratoires qui a conduit à la reconstitution des terres culturelles d’origine sur le sol d’accueil a fini par rendre impossible l’intégration des entrants suivants. C’est ce que le Premier ministre Michel Rocard avait déjà pronostiqué en 1990. Que se passe-t-il aujourd’hui ? Nous constatons que l’intégration dans la communauté nationale a échoué pour un nombre conséquent d’enfants de l’immigration, et même que l’insertion au sein de la société – le simple respect des règles du vivre-ensemble – pose problème pour un nombre inquiétant d’entre eux. Or qu’ont fait les gouvernements successifs ? Aucun n’a résolu ce problème des flux. L’immigration familiale est considérable. Elle s’accroît sans cesse par le biais des mariages contractés entre les deux rives de la Méditerranée. Sous le précédent gouvernement, on avait créé de nouvelles portes d’entrée avec le travail en signant des accords avec les pays sources de l’immigration. Aujourd’hui on en rajoute une couche avec le ministre de l’Intérieur qui ouvre de nouvelles portes pour les étudiants et instaure des titres de séjour pluriannuels. Autre racine du mal : dans ce sujet de l’immigration, la dimension culturelle est capitale et on la voit régulièrement ressortir par exemple dans les questions de laïcité. Or elle a été systématiquement négligée alors que Georges Marchais avait insisté sur cette dimension dès 1981.

    Bien sûr, il y a d’autres racines que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer. Je vais en citer quelques unes de nouveau, comme la responsabilité des parents de l’immigration qu’il faudrait engager dans bien des situations et ce, pour le bien de leurs enfants ; l’impunité qui entraîne les incivilités et la violence qui gangrènent le vivre-ensemble ; l’école qui ne parvient plus à jouer son rôle intégrateur – et ce ne sont pas les réformes rachitiques de Vincent Peillon qui risquent de l’y aider, je le regrette vivement car il avait l’intelligence pour agir ; le poison de la repentance qui déprécie la France aux yeux des enfants de l’immigration et les amène à la mépriser puis à la violenter ; l’idéologie de la victimisation qui a fini par convaincre bien des jeunes qu’ils ne réussiraient jamais puisque les Français entraveraient leur réussite – cette victimisation attise leur rage ; la géopolitique avec le retour des crispations religieuses et identitaires…

    Parmi les 36 gardés à vue, il n’y a aucun interdit de stade. Pourtant le soir des évènements les commentateurs se sont focalisés sur les ultras. "Il s'agit d'un problème spécifique au PSG" a même déclaré le président de la République. N’y a-t-il pas une forme d’hypocrisie dans cette présentation des faits ? En quoi ? 

    Malika Sorel : Le président de la République peut bien dire ce qu’il veut, les Français ont vu les images qui ont tourné en boucle, et cela leur suffit pour se faire une idée de la réalité des faits. Heureusement d’ailleurs que des cameramen ont pu tourner avant que les équipes médias ne soient évacuées. On se demande au demeurant qui a donné l’ordre d’évacuation des journalistes. Sommes-nous encore dans une démocratie ? Même sur les théâtres de guerre, il y a des équipes qui filment ! Les tentatives de camouflage, le  déni du réel ne font que renforcer la défiance qui s’est installée dans notre pays. Certes cette défiance, et les études sont là pour en attester, ne date pas d’hier, mais le haut niveau qu’elle atteint désormais commande un autre comportement de la part de la classe politique.

    Au sujet des commentateurs qui se sont focalisés sur les ultras : j’ai eu la chance de tomber ce soir-là sur BFMTV sur une table ronde à laquelle participaient des journalistes sportifs. Les vrais sujets ont de ce fait été d’emblée posés sur la table. Tout dépend donc de qui parle. Les journalistes politiques (radio, télé, presse écrite) sont malheureusement, pour un nombre non négligeable d’entre eux, de connivence avec le personnel politique car ils font partie du même monde. Dans mon dernier livre, j’ai beaucoup abordé le rôle, dangereux pour notre démocratie, joué par les médias. Beaucoup trop de journalistes ont changé de registre et sont devenus des acteurs politiques à part entière. Sur les sujets importants, il faut que les citoyens tirent parti des moyens technologiques que notre époque met à notre disposition pour recouper les informations, croiser les données et ainsi être en mesure de se forger leur propre opinion.

    Ces affrontements témoignent-ils d'un problème plus large en France qui touche à la question de l'intégration ?

    Malika Sorel : Oui, c’est une évidence. Il suffit d’analyser les territoires choisis par Manuel Valls pour en faire des Zones de Sécurité Prioritaires.

    Les affrontements qui ont eu lieu au Trocadéro se sont aussi produits à Lyon, Saint-Étienne, Marseille, certes avec une moindre ampleur. Mais c’est parce que cela s’est produit à Paris, et que Paris est aux yeux du monde la vitrine de la France, que cela a autant marqué les esprits. En gros, tant que cela ne se voit pas trop, on détourne le regard et on laisse faire. L’ennui, c’est que le laxisme conduit toujours à un point de non-retour. C’est le laxisme qui a conduit au sentiment de toute-puissance des voyous. Regardez ce qui se passe à Marseille. Et des élus marseillais ont osé publier récemment un communiqué relayé par la presse dans lequel ils imputaient la situation marseillaise à la pauvreté ! Tous les politiques qui osent justifier la violence et la délinquance devraient être débarqués. Participer à leur donner du pouvoir, c’est collaborer à la mise en danger de notre société. Quand les citoyens comprendront-ils qu’ils ne sont pas neutres et qu’ils ont leur part de responsabilité dans la situation que nous vivons ?

    En quoi peuvent-ils être le reflet d'une certaine crise de l'autorité ?

    Malika Sorel : Je pense avoir répondu à cette question en abordant celle du laxisme et du refus de responsabiliser les parents ; comme si leurs enfants tombaient du ciel ! De manière générale, jusque très récemment nous étions dans une société où ceux qui faisaient preuve d’autorité et assumaient leurs responsabilités managériales n’étaient pas appréciés. Pour être apprécié il fallait toujours faire des sourires, jouer dans le registre de la séduction, dire aux citoyens ce qu’ils souhaitaient entendre. Si les bobos de gauche comme de droite ont tant proliféré et prospéré, c’est qu’ils correspondaient aux attentes de l’époque. Avec la perception d’un certain nombre de tensions, les citoyens éprouvent désormais le besoin de se sentir protégés et renouent de ce fait de plus en plus avec le besoin d’autorité. Ce besoin d’autorité a été mesuré dans de récentes études et enquêtes.

    Les images qui tournaient en boucle sur les chaînes d’infos rappelaient les émeutes de 2005. Peut-on parler d’un choc Paris/banlieue ? Cela signifie-t-il que les violences urbaines s’étendent ? Cela peut-il modifier le regard parfois complaisant des habitants des centres-villes sur les banlieues ?

    Malika Sorel : Vous pointez là une des racines du mal : tant que les citoyens ne sont pas concernés dans leur quotidien, ils vivent et réagissent en égoïstes et non comme des membres d’une communauté nationale. Dès qu’ils sont concernés dans leur vie quotidienne, que ce soit directement ou à travers l'école de leurs enfants, alors oui, leur regard et leurs comportements évoluent, mais c’est souvent trop tard. L’image qui me vient à l’esprit n’est pas celle du choc Paris/banlieue que vous évoquez, mais celle d’un choc bien plus grave qui est celui entre deux systèmes de normes collectives.

    En 1998, après la victoire de l’équipe de France, on avait célébré la France Black/Blanc/Beur. Aujourd’hui, les images de liesse sur les Champs-Élysées ont laissé place à des images de groupes violents dévalisant les cars de touristes. Comment en est-on arrivé là ?

    Malika Sorel : Il faut oublier l’image de 1998. C’était une illusion. À l’époque, les problèmes étaient déjà là. Depuis, ils n’ont fait qu’empirer. Les politiques de l’époque ont voulu s’étourdir avec ces images-clichés et ont refusé d’agir. Ils portent une très lourde responsabilité. Pourtant, la plupart sont encore là dans le paysage politique !!! Il est urgent, si l’on veut sauver notre société, de trouver le moyen de faire en sorte que la politique ne soit plus un métier.

    Malika Sorel (Atlantico, 19 mai 2013)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!