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Décryptage - Page 115

  • Ben Laden et DSK : deux icônes... (2)

    Nous reproduisons ci-dessous la suite de l'entretien avec François-Bernard Huyghe paru dans la lettre d'information Communication & Influence. 

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    La persistance des codes culturels est donc si importante que les effets de telles campagnes ne sont pas forcément maîtrisés en tous temps et tous lieux ?

    C’est une évidence. Prenons le cas de DSK. Les publics américain et français ont réagi de manière très dissemblable. Alors que les Américains se réjouissaient de voir arrêté et puni un DSK considéré comme un pervers, qui plus est français, donc nécessairement arrogant, et qu'ils jugeaient normal qu'il soit ainsi menotté et conduit sans égard devant le juge, à l'inverse, 57% des Français,sous le coup de l'émotion, disaient douter de ces mêmes images – ne serait-ce pas de la mise en scène ? – et de la nature même du crime – n'avons-nous pas affaire à un complot ou à un piège ?...

    Que dire de cette réaction stupéfiante ? Est-ce un réflexe pour refuser la réalité, pour opérer un déni ? Est-ce une manière de dire, non, il n’est pas possible qu’un Français, celui que l’on nous promettait bientôt aux commandes du pays, ait pu commettre un tel acte ? Nous serions-nous trompés à ce point et pouvons-nous admettre que nous nous soyons ainsi égarés ?... Refuser le constat, sortir de ce questionnement angoissant par la facile hypothèse du complot, est certes plus apaisant.

    La mécanique qui se met ainsi en place invite à réfléchir. Très souvent, les masses sont déclarées inaptes à décrypter les arcanes de telle ou telle affaire. D’aucuns prétendent que seuls des spécialistes et intellectuels avertis le pourraient. Or, là, nous sommes confrontés à une autre lecture, puisque, en l’espèce, on se heurte ici manifestement à un scepticisme de masse. Pourquoi y a-t-il doute ? Les causes en sont sans doute multiples, mais de fait l'interrogation existe.

    Un autre exemple d’effet ricochet se traduit par le débat qui s’est très vite engagé en France sur cette affaire DSK, entre deux factions traditionnellement liées. D’une part ses amis politiques, qui ont tenté de minorer les faits, de les mettre en perspective, de prendre du champ, en déplorant ces images très dures. Et d’autre part, certains alliés politiques traditionnels de gauche comme les féministes – ou même les femmes en général – qui ont été choquées en évoquant l’image que l’on ne voyait pas, et donc qui ne se trouvait pas prise en compte : celle de la victime, la femme avilie, forcée, mère isolée, travailleuse, prolétaire, d’origine étrangère, de condition modeste, bref image aux antipodes du président du FMI et ex-futur présidentiable. On a vu DSK humilié mais on n’a pas vu la femme humiliée, de même que l’on ne voit pas ces dizaines de milliers de femmes qui sont violées chaque année et dont très peu vont porter plainte. D’un seul coup, une césure surgissait entre alliés d’hier, de nouveaux champs d’affrontement s’ouvraient.

    Comment s’articulent dès lors les rapports entre l’actualité et la fiction, entre le symbole et l’influence ?

    On sait aujourd’hui que dans la stratégie - militaire, économique, financière ou politique - la réalité est devenue une sorte d’annexe de la virtualité. Ou, en tous les cas, une part mineure de la production de spectacle, de ce qui est vu, perçu, de ce vers quoi on a attiré l’attention. On se trouve ici dans la sphère du "spectaculaire intégré", où la réalité n’a plus beaucoup d’importance, parce que le poids des émotions sur l’esprit humain (la pitié, la colère, la joie, la tristesse…) est finalement le produit d’images – donc de messages – construites en vue d’un effet qui porte en lui sa propre symbolique, et par conséquent, sa propre logique.

    Souvenons-nous cependant que là où existe la possibilité d’un effet, il y a aussi la possibilité d’un raté. Les facteurs culturels et religieux peuvent en particulier constituer des pierres d’achoppement à des entreprises médiatiques, aussi puissantes soient-elles. Ainsi, un sondage récent montre qu’en dépit des innombrables campagnes médiatiques destinées à promouvoir l’idéal américain, démocratique et mondialisé, au Moyen-Orient, une majorité d’Egyptiens préfère l’image de Ben Laden à celle d’Obama. Même mort, même battu, même disparu, Ben Laden reste une icône, un symbole face au Président des Etats-Unis, celui qui a entre les mains les outils les plus performants de la planète : finances, machines de guerre, institutions internationales, médias, etc.

    De fait, les codes culturels peuvent se révéler être des obstacles de taille à l’omnipotence des médias. Et ces codes culturels ne sont eux-mêmes que la partie visible de la résistance du milieu ambiant à la pénétration d’un autre corps (de pensée, de valeurs…) qui lui est étranger.

    Un autre paramètre est à prendre soigneusement en compte. Aujourd’hui, plus personne n’a le monopole des médias. Toute image va entrer en concurrence avec d’autres images. Des scènes prises à partir d’un simple téléphone portable peuvent se révéler être une arme formidable. Par exemple, juste après les images officielles de l’exécution de Saddam Hussein, on a vu surgir d’autres témoignages, filmés à la sauvette, où l’on voyait le déroulement non maîtrisé, réel, de cette mise à mort. Avec tout ce qu’elle comportait de sauvagerie, de cris de haine, de lynchage et de règlement de compte, au final assez sordide. Version officielle contre version réelle en quelque sorte. L’enseignement est clair : toute émission d’images qui véhicule, nécessairement et par nature, un certain point de vue, s’expose à être en concurrence, voire à être contrée par d’autres images, orientées selon un autre but, au nom d’autres valeurs ou d’autres motivations.

    Enfin, il y a la déclinaison de ces faits d’actualité sur des modes plus ludiques, apparemment innocents, mais qui reflètent cette fascination pour l’extra-ordinaire, et qui permettent de s’identifier au drame, d’y prendre part de façon simulée. A chaque grand événement d’amplitude mondiale, on voit apparaître des jeux vidéos qui reprennent et instrumentalisent la thématique. Ainsi, sur l’un, il est proposé de se mettre à la place des soldats qui investissent la tanière de Ben Laden pour le tuer. Sur un autre, on voit un petit DSK tout nu qui doit attraper des femmes de chambre…

    Le fait médiatique engendré par les images perdure donc sur différents registres et contribue à accroître la portée symbolique du fait initial, confirmant en cela la fameuse phrase de Marx qui disait que l’histoire se répète toujours, la première fois comme une tragédie, la seconde fois comme une comédie. A l’heure du tout média, ce qui a été vécu une première fois comme une réalité filmée sera vécue une seconde fois comme une parodie vidéo.

    Si l’on veut bien comprendre les rouages du mécanisme ici à l’oeuvre, s'impose au premier plan la force de l’image. Mais il y a aussi, derrière, la force du texte qui le sous-tend. Et, derrière encore, la force des idées qui, au final, font se mouvoir le tout. Comment s'articule l'ensemble ?

    Il faut bien comprendre que l’image ne se réduit pas à la seule représentation de la réalité. Elle suggère, elle porte en soi une interprétation qui induit un effet psychique. Prenons ainsi la force de l’humiliation, que représente aussi bien une caricature du Prophète que l’effondrement des Twin Towers. Comme aimait à le dire excellemment le cinéaste Jean-Luc Godard, il n’y a pas d’image juste, il y a juste une image. Cette dernière est forcément intentionnelle. On peut, on veut lui faire dire quelque chose. Elle s’inscrit dans un certain contexte. Elle est montée en vue d’un effet à obtenir. Elle est sous-tendue par une vision des choses qui livre à travers elle une interprétation tangible. Et surtout, l’image est soutenue en permanence par un commentaire qui constitue la ligne directrice, obligatoire, à suivre, au cas où nous n’aurions pas vraiment compris la portée et le sens de l’image, au cas aussi où nous aurions des velléités de l’interpréter autrement.

    Plus on va pénétrer dans la sphère de l’autorité, plus on va aller vers les sources qui sont supposées détenir le savoir et avoir la capacité à dire le bien et le mal, plus le texte va prendre de l’importance, et plus la force des idées va se révéler essentielle. On a donc ainsi une hiérarchisation des pouvoirs (images, textes, idées) qui sont en même temps synchronisés par paliers.

    En guise de conclusion, et pour respecter la tradition qui veut que l’on demande à nos invités de bien vouloir préciser leur conception de l’influence, que pensez-vous de la définition qu’en donne Alain Juillet, ancien Haut responsable à l’intelligence économique : "L’influence consiste à amener l’auditeur à sortir de son schéma de pensée pour aller vers un autre. Ce changement est produit par des éléments qu’on lui présente et qui l’amènent à réfléchir. En somme, d’une certaine manière, plus on est intelligent, plus on est influençable. Parce que l’influence fait appel à la capacité d’analyse de l’auditeur, qui doit faire le tri entre ce qu’il pense "habituellement" et les éléments nouveaux qui lui sont soumis, dont il lui appartient de mesurer la validité. Tout argument solide qui lui est proposé peut ainsi le conduire à revoir son jugement, donc son positionnement. C’est à partir de là que s’enclenche le processus de l’influence."

    Cette approche est effectivement très intéressante, et cette citation s’intègre parfaitement dans la longue suite de réflexions de penseurs qui, depuis l’éclosion de la pensée grecque, se sont efforcés de percer les rouages de l'influence ou de la persuasion, ce que l'on appellerait aujourd'hui le

    soft-power. Permettez-moi donc en guise de conclusion d’en citer une, dont nous sommes séparés depuis vingt-cinq siècles, mais qui n’a rien perdu de son acuité. Dans son Gorgias, Platon écrit : "L’art de persuader dépasse de beaucoup tous les autres car il asservit tout à son empire par consentement et non par force".

    A l’heure du tout médiatique et de la croissance exponentielle des technologies de l’information et de la communication, la maîtrise des stratégies d’influence a de beaux jours devant elle…

    François-Bernard Huyghe (Communication & Influence, mai 2011)

     

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  • Ben Laden et DSK : deux icônes... (1)

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec François-Bernard Huyghe paru dans la lettre d'information Communication & Influence. Docteur en sciences politiques, médiologue et spécialiste des sciences de l'information et de la communication, François-Bernard Huyghe est l'auteur de nombreux essais comme La langue de coton (Robert Laffont, 1991), L'ennemi à l'ère numérique (PUF, 2001), Quatrième guerre mondiale - Faire mourir et faire croire (Editions du Rocher, 2004), Maîtres du faire croire (Vuibert, 2008) ou dernièrement, en collaboration avec Alain Bauer, Les terroristes disent toujours ce qu'ils vont faire (PUF, 2010)

     

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    Le mois de mai a vu éclore sur les médias du monde entier deux événements majeurs dont les images ont marqué les publics : la mort de Ben Laden et la chute de Dominique Strauss-Kahn ? Comment le médiologue que vous êtes interprète-t-il ces séquences d’une grande violence ? De quelle manière ces images qui ont tourné en boucle pendant des jours ont-elles pu influer sur les jugements et analyses des populations et des élites ?

     

    Dans les deux dossiers, on est confronté à une production d’images. Prenons d’abord le cas de Ben Laden. Qu’est-ce qui a assuré sa notoriété, sinon prioritairement la production des terribles images du 11 septembre 2001 ? Au-delà de la mort de 3.000 personnes, c’est le fait d’avoir porté la mort symboliquement au coeur de la puissance de l’occident, d’avoir frappé les Twin Towers, ces modernes tours de Babel qui incarnaient l’argent et l’omnipotence des "Juifs et des Croisés". Tout le monde comprend ce jour-là que cette frappe par l’image inaugure une nouvelle ère. On vit en direct, en regardant des films tournant en boucle sur tous les écrans du monde, un événement d’une puissance inouïe, qui va conduire à un basculement géopolitique majeur. Sous nos yeux se produit une rupture historique, d'une amplitude difficilement appréciable immédiatement. Et Ben Laden en est le père spirituel. Stratège guerrier, il s’impose aussi et avant tout comme stratège médiatique.

     

    Or, presque dix ans plus tard, le paradoxe est que Ben Laden disparaît pratiquement sans image de lui. Analysons cet effacement. Après son coup d’éclat des Twin Towers, Ben Laden perd peu à peu l’initiative dans cette guerre médiatique. Bien sûr, il y a encore des images mythiques, comme celles le montrant à l’entrée de sa caverne au moment de l’invasion de l’Afghanistan, réactivant de vieux mythes et des figures archétypiques. Néanmoins, ses apparitions se font plus rares, elles bouleversent de moins en moins la planète. Ses messages vidéos se tarissent, puis les cassettes audios qui leur succèdent sont de moins en moins audibles, n’intéressent plus grand monde.

     

    Bref, inexorablement, sa sphère médiatique se restreint et ses moyens d’action se trouvent réduits à la portion congrue. D’ailleurs, les dernières images que l’on a de lui – sont-elles vraies ? C’est une autre histoire, et ici peu importe... – le montrent comme un vieillard nostalgique regardant les scènes vidéos de ses heures de gloire. Sa mort survient sans que lui-même n’apparaisse vraiment. Le scénario mérite d'être examiné de plus près. A l’occasion de l’assaut sur sa demeure où il reste cloitré, le public a seulement des images allusives, indicielles. En revanche, ce sont ses ennemis qui sont mis en scène. En témoigne l'image répercutée sur tous les médias du monde montrant Obama et son équipe regardant depuis la Maison Blanche la mort de Ben Laden en direct sur un écran vidéo.

     

    Chacun joue là un rôle dont le symbole est net, Hillary Clinton la première. Si l’on excepte une vague tentative de substitution de corps reprise par une télé pakistanaise, on ne voit pas son cadavre. Celui-ci est très vite déclaré comme ayant été jeté à la mer. En revanche, les médias diffusent des images qui tournent autour de sa disparition et forment une longue chaîne d’indices devant permettre de conclure à sa mort, de lui donner un contexte et des auteurs. On voit ainsi des plans, des descriptions du lieu pris d’assaut, des reconstitutions modélisées expliquant de quelle manière les Navy Seals ont opéré au coeur même de sa résidence et ont pu éliminer l’ennemi n° 1 de l’Amérique.

     

    Le rôle de l’image est également déterminant dans l’affaire Strauss-Kahn…

     

    Oui, bien sûr. Toutes choses égales d’ailleurs, on se trouve là aussi confronté, dans l'affaire Strauss-Kahn, à un cas de réussite et de chute par l’image. DSK était extraordinairement présent dans les médias. Bien avant d’être le candidat du PS, il était d’abord le candidat d'Euro RSCG. Il s’imposait sur la scène politique, et économique comme une icône intouchable, sacré d’emblée par les faiseurs d’opinion comme le meilleur économiste de la planète, comme Raymond Barre en son temps avait été décrété meilleur économiste de France ! DSK, meilleur économiste, c’était plus qu’un postulat, c’était un credo auquel chacun était prié de se soumettre sans autre forme de procès. DSK était devenu l'icône de cette nouvelle société mondialisée, icône incarnant la quintessence de l’élite et mise en scène par ses communicants. Bref, DSK, c’était le chevalier blanc qui allait sauver le monde, avec à ses côtés son épouse aimante et dévouée Anne Sinclair !

     

    Le public était fortement incité à croire sans suspicion cette bande-son nous interprétant les pensées du grand homme, muet à l’image. Car DSK ne parlait pas. Il devait se montrer à nous comme un sphinx omniscient ne pouvant s’exprimer du fait de sa hauteur de vue et de ses fonctions. Face à cette résurrection d'une pythie des temps anciens, les communicants étaient les interprètes de ses oracles. Un sourire, un pincement de lèvres, une mimique suffisaient à alimenter les rédactions du monde entier. Au-delà des réserves inhérentes à sa fonction, son pouvoir était d’être silencieux. Il régnait par l’étonnant mystère du silence. Plus il se taisait, plus il était ambigu et mystérieux sur ses intentions présidentielles, plus cela le dispensait de s’exposer dans les bagarres de clans et de chapelles, plus il se tenait éloigné des prises de position sur les délicates questions de programme politique, plus son aura s’accroissait au regard de ses amis du PS et de la cour innombrable des observateurs et autres experts.

     

    Dans le même temps, l’image de son concurrent direct, Nicolas Sarkozy, était vouée aux gémonies. Sans nul doute, clamaient les pontes du cénacle médiatico-politique, l’hôte actuel de l’Elysée était appelé inéluctablement à disparaître. Nicolas Sarkozy, affublé des pires caricatures, représenté comme l’agité permanent, l’homme des riches, l’instable, apparaissait bel et bien aux antipodes de cette solennité silencieuse et majestueuse qu’était supposé – selon le monde de la presse et des médias – incarner DSK.

     

    Or, de manière fulgurante, des images vont venir détruire avec une violence inouïe cette patiente et subtile construction. Aucun scénariste n’aurait osé écrire une telle oeuvre de fiction ! Et pourtant, ces images surgissent de l’impensable et font le tour du monde. Elles montrent un DSK perdu, hagard, mal rasé, les menottes aux poignets, encadré par des policiers comme un petit délinquant du Bronx, et ainsi, font exploser le mythe. La scène est cruelle, il est amené vers les flashs des caméras comme vers un peloton d’exécution médiatique. Circulant en flux continu autour de la planète, elle consacre sa chute. Chaque spectateur ressent alors une impression d’irréalité, a le sentiment d’évoluer dans l’une de ces séries télévisées auxquelles nous sommes accoutumés, à la différence près que le héros déchu est un puissant de ce monde, un puissant qui existe vraiment.

     

    D’ailleurs, ironie de l’histoire, le soir où DSK tombe, TF1 diffuse New York unité spéciale, une série consacrée aux policiers en charge des affaires de moeurs délicates et crimes sexuels. Quel clin d’oeil du destin ! Plus que jamais s'opère un aller-retour incessant entre la réalité et la fiction. Et puis, il y a la bande-son incessante, qui, en France, diffuse sans relâche des appels à la présomption d’innocence, comme pour exorciser ces images auxquelles on ne peut croire. C’est là toute l’ambiguïté des médias qui se targuent d'objectivité et simultanément, se repaissent du terrible spectacle, se prétendant tout à la fois juges impartiaux tout en étant cependant moteur de ce même drame.

     

    Bref, subsiste un terrible enseignement : DSK qui a vécu par l’image est tué par l’image.

     

    Ces techniques d’influence par le biais de l’image prouvent-elles qu'en fait, la réalité importe finalement assez peu, ou du moins, est fortement modulable ou modelable ?

     

    On ne peut pas faire l’économie de la réalité. On part ici de faits tangibles, dont l’interprétation peut varier, mais qui ont une certaine densité, un fond, une consistance, sinon, quelles qu’en soient les causes, l’événement n’aurait pas eu lieu. Non, ce qui me paraît plus important, c’est de comprendre le pourquoi de ces images. Comme nous l'avons dit, dans le cas de la mort de Ben Laden, Obama devait être mis en scène, il devait produire des images dans une configuration bien précise. Il était important que le Président des Etats-Unis ordonne et respecte une dramaturgie montrant qu’il avait victorieusement dénoué l’écheveau du Mal. Il ne pouvait décemment pas prendre le risque d’inventer une mort de Ben Laden, si ce dernier avait pu réapparaître quelques jours après, avec une vidéo le montrant en train de brandir le journal du jour ! Obama devait assister à la mise à mort, comme guerrier en chef d'abord, pour endosser dans la séquence suivante la fonction de juge suprême, en affirmant à la face du monde que "justice avait été faite".

     

    Pour ce qui est de DSK, il n’y a pas eu, me semble-t-il, de volonté délibérée de l’humilier. C’est simplement la triste routine de la justice américaine. Cette dernière est par nature scénarisée. D’ailleurs, on peut observer que toute justice de par le monde se trouve être d’une manière ou d’une autre scénarisée. Il y a presque toujours une mise en scène où le corps du prévenu ou du coupable est montré, donc exhibé à la foule de ceux qui veulent voir. L’affaire présente une densité très forte dans le cas américain puisque l’on observe alors une exacerbation du phénomène, de par le tourbillon médiatique qui prend forme et de par sa répétition sans relâche sur les myriades de canaux qui répercutent inlassablement ces images. Il y a comme une sarabande des innombrables matériels, caméras, projecteurs, micros, photos, qui se déchaîne autour du corps de celui qui est, de fait, désigné à la vindicte publique.

     

    L’humiliation symbolique est un ressort puissant de cette logique. Le 11 septembre 2001 comme la descente aux enfers de DSK, à des degrés divers bien sûr, et sur des plans dissemblables, relèvent de cette même logique d’humiliation publique de maîtres du monde. On évolue là dans des sphères où le mythique ressurgit des tréfonds de l’archaïsme. C’est sans doute un écho du syndrome du bouc émissaire. Mais attention cependant à ne pas avoir qu’une lecture unilatérale ! On peut aussi souligner que les interprétations des publics sont différentes selon leurs traditions, leur histoire, leur manière de percevoir les choses.

    (A suivre)

    François-Bernard Huyghe (Communication & Influence, mai 2011)

     

     

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  • Des intellectuels faussaires ?...

    Directeur de l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques, Pascal Boniface vient de publier aux éditions Jean-Claude Gawsewitch un essai polémique intitulé Les intellectuels faussaires - Le triomphe médiatique des experts en mensonge.  Ce livre, d'après son auteur, aurait été refusé par quatorze éditeurs ! Il faut dire qu'il s'attaque au gratin des aboyeurs du système : Alexandre Adler, Caroline Fourest, Mohamed Sifaoui, Thérèse Delpech, Frédéric Encel, François Heisbourg, Philippe Val et, bien sûr, BHL !

     

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    "Depuis quelques années, le « mentir vrai » est devenu la marque de fabrique de nombreux intellectuels ayant acquis une certaine crédibilité dans notre pays. Ces faussaires qui assènent sans aucun scrupule des contrevérités pour défendre telle ou telle cause sont quasi intouchables. Véritables docteurs es malhonnêteté intellectuelle, ils ne sont jamais inquiétés même lorsqu’ils sont pris en flagrant délit de mensonge. Quoiqu’ils racontent, on les respecte et ils peuvent donc distiller leurs boniments en toute impunité dans les médias. Le triomphe des faussaires constitue une menace pour l’information du public. L’honnêteté intellectuelle est devenue un handicap et non un atout. Pourquoi les intello baratineurs ne sont-ils pas démasqués ? Comment procèdent-ils ? Quelle est la responsabilité des médias dans ce triomphe du mensonge ? Dans cet essai corrosif, Pascal Boniface décrypte les ressorts et méthodes qui permettent à des intellectuels serial-menteurs d’occuper avec un culot inouï l’espace médiatique. Comment ils brandissent « la morale » pour nous faire avaler leurs couleuvres ou encore quels sont leurs terrains de jeu idéologique préférés (Islamisme, Israël, défense de l’Occident…). Mais, l’auteur pousse sa réflexion plus loin en dénonçant les boniments de « grands » Intellectuels faussaires français. Dans une série de portraits incisifs documentés et croustillants, l’auteur lève le voile sur les pratiques des menteurs en série."

     

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  • Droit de cuissage ?...

    Les élites mondialisées, comme dirait Eric Zemmour, pensent-elles bénéficier d'un droit de cuissage sur les "serfs" dont elles assurent la gouvernance ? C'est la question que l'on est en droit de se poser en prenant connaissance des brillantes "aventures" de DSK dans un hôtel de New York, à la suite desquelles il a été arrêté et placé en garde à vue pour agression sexuelle et tentative de viol sur la personne d'une femme de chambre...

    Ces événements, s'ils sont avérés, viendraient confirmer des rumeurs persistantes qui courrent sur ce personnage, directeur du FMI et candidat présumé à l'élection présidentielle,par ailleurs richissime grâce à la fortune personnelle de sa femme, la journaliste Anne Sinclair, qui se monte en dizaines de millions d'euros. On peut, par exemple, visionner cette intéressante vidéo mise en ligne il y a quelques mois par le site Agoravox...


    Les coulisses de la nouvelle affaire DSK par AgoraVox

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  • Heil Grand Schtroumpf !...

    Nous espérions avoir sauver nos enfants du racisme et du colonialisme en supprimant de leur bibliothèque Tintin au Congo, du sinistre Hergé... Erreur ! La Bête est partout, comme le révèle Antoine Buéno dans Le Petit Livre bleu, essai à paraître aux éditions Hors collection... Inconscients du danger, nous laissons nos chérubins lire Les Schtroumpfs alors que la société dans laquelle vivent ces inquiétants petits hommes bleus "est un archétype d'utopie totalitaire empreint de stalinisme et de nazisme" ! Sans parler de la Schtroumpfette (blonde évidemment...), des méchants Schtroumpfs contaminés (noirs comme de bien entendu...) et du chat maléfique (qui s'appelle... Azraël...). Alors n'écoutez pas les pleurs de vos enfants...pour leur bien, schtroumpfez au feu la collection complète des Schtroumpfs !

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    La face cachée des Schtroumpfs dévoilée dans "Le Petit Livre bleu"

    PARIS - Les Schtroumpfs, charmants lutins bleus ou horribles staliniens, racistes et antisémites ? Pour y schtroumpfer plus clair, Antoine Buéno offre dans "Le Petit Livre bleu" une lecture socio-politique inédite et ludique de la saga de Peyo, de retour au cinéma en août.

    Maître de conférence à l'IEP de Paris et romancier, l'auteur, qui ne veut en rien casser la magie des petites créatures bleues, n'en analyse pas moins leur société avec les armes féroces de la science politique et de la schtroumpfologie.

    Après avoir traité de questions fondamentales sur la nature biologique ou la sexualité des Schtroumpfs -- au fait, pourquoi n'y a-t-il qu'une seule schtroumpfette ' --, Antoine Buéno tente de démontrer que leur société "est un archétype d'utopie totalitaire empreint de stalinisme et de nazisme".

    Le nom et la "novlang" schtroumpf étaient nés lors d'un déjeuner entre Pierre Culliford, alias Peyo, et son complice André Franquin, en avril 1958 : au lieu de "passe-moi le sel !", Peyo lança "passe-moi le schtroumpf !"

    Ce nom imprononçable devint "Puffi" en Italie, "Pitufos" en Espagne, "Smurfs" en anglais, "Stroumfakia" en grec ou encore "Kumafu" en japonais. Et "Schlümpfe" Outre-Rhin, schtroumpf signifiant chaussette en allemand...

    Né en 1928 à Bruxelles, Peyo, le père des Schtroumpfs, avait connu l'occupation allemande et n'en gardait aucune nostalgie mais, relève Antoine Buéno, "une oeuvre peut véhiculer une imagerie que son auteur, de bonne foi, ne cautionne pas (...). Les Schtroumpfs reflèteraient donc plus l'esprit d'une époque que celui de leur créateur".

    Les Schtroumpfs vivent en autarcie. C'est une société collectiviste et dirigiste, avec un chef unique et omnipotent, le grand Schtroumpf.

    Ils prennent tous leurs repas au réfectoire, sont puritains jusqu'au ridicule. Le racisme est patent dans l'album des "Schtroumpfs noirs" où la pureté du sang devient vitale et le brun, laid. Ou dans celui de "La Schtroumpfette", quand le blond aryen est idéalisé, estime l'auteur.

    Ce petit monde est aussi mobilisé contre un ennemi juré, Gargamel, dont le profil rappelle une caricature antisémite et dont le chat s'appelle Azraël.

    C'est le fils de Peyo, Thierry Culliford, qui a poursuivi l'oeuvre de son père après son décès en 1992. Dans ses albums, beaucoup plus pédagogiques, "le village des Schtroumpfs se fait plus explicitement métaphore du réel", souligne l'auteur.

    Le 3 août, un film américano-belge de Raja Gosnell, mi-animé en 3D et mi-live, fera surgir "Les Schtroumpfs" sur les écrans. Les créatures bleues investiront pour l'occasion le coeur de New York.

    Le film sera précédé au Lombard du 29e titre de la série, "Les Schtroumpfs et l'arbre d'or". En novembre, sortira une "Encyclopédie des Schtroumpfs".

    ("Le Petit Livre bleu" - Antoine Buéno - Editions Hors Collection - 192 p. - 12,90 euros - mise en vente le 1er juin)

    Par AFP

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  • Qui sera le prochain Goldstein ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent article de Jérôme Leroy, cueilli sur Causeur, à propos de l'élimination de Ben Laden. Il faut relire Orwell !...

     

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    Ben Laden : qui sera le prochain Goldstein ?

    Dans 1984 de George Orwell, qui reste décidément le livre essentiel pour comprendre notre modernité, l’archétype du traître, le génie du mal, le grain de sable dans les rouages de l’Angsoc de Big Brother s’appelle Goldstein. Il a été l’un des principaux compagnons de Big Brother dans la conduite de la Révolution avant de se retourner contre lui et de lui livrer une guerre sans pitié, menant des opérations de déstabilisation depuis l’étranger, organisant des attentats au cœur de Londres et exhortant les citoyens pourtant si heureux d’Oceania à la révolte.

    Le lecteur se demande d’ailleurs si Goldstein, tout comme Big Brother, existe vraiment en tant que personne ou si c’est l’incarnation fictive de celui qu’il faut détester collectivement pour assurer la cohésion aléatoire d’une société elle-même minée par des contradictions intenables. Autrement dit Orwell montre, à travers ce personnage de Goldstein, opposant à la fois radical et complètement instrumentalisé par le pouvoir, la façon dont nos sociétés savent intégrer leur part de négatif pour continuer à avancer dans la bonne conscience la plus totale.

    La Minute de la Haine

    Dans 1984, Goldstein est la vedette d’une cérémonie bien particulière qui est la Minute de la Haine. Chaque jour, chaque citoyen sur son lieu de travail est prié de se rendre dans une salle de projection où il va exprimer en groupe sa détestation absolue de la figure honnie en hurlant des slogans haineux et en crachant sur l’écran. Cette Minute de la Haine est d’ailleurs un moyen pour la Police de la Pensée de détecter ceux qui ne communient pas suffisamment dans la détestation de ce qu’il faut détester.

    Goldstein est aussi un opposant très utile parce que sa haine du système de Big Brother est telle, ses propos et ses actes tellement effroyables, qu’il rend impossible toute critique car critiquer reviendrait à adhérer à ses
    thèses monstrueuses.
    Ces dernières années, nous avons connu de nombreux Goldstein

    En France, Goldstein s’est longtemps appelé Jean-Marie Le Pen. Jean-Marie Le Pen avait été inventé par Mitterrand puis entretenu par le discours sécuritaire de la droite pour empêcher de penser toute alternative crédible à l’ensemble RPR-UDF puis UMP ou au Parti Socialiste. Ce dispositif a permis d’éliminer tous ceux qui pouvaient incarner le « troisième homme ». On faisait monter en puissance Goldstein dans les sondages et c’est ainsi que Chevènement ou Bayrou perdaient tout espoir d’incarner une alternative crédible. Le Pen, Goldstein, même combat. Quand, au soir du 21 avril 2002, le scénario a failli déraper et que Goldstein s’est retrouvé au second tour, on a, comme dans le roman d’Orwell d’ailleurs, transformé la Minute de la Haine en Semaine de la Haine et ce fut la fameuse « quinzaine antifasciste » qui vit l’électeur de gauche se précipiter vers les urnes pour faire barrage à la Bête Immonde.

    Sur le plan international, les Goldstein furent légion, notamment lors de la guerre en Yougoslavie. On se souvient évidemment de Karadzic et de Mladic (ce dernier court toujours mais n’intéresse plus grand monde, dirait-on) chez les Serbes de Bosnie. Leurs exactions avérées rendaient absolument impossible toute réflexion sur les vraies raisons de l’explosion de la Yougoslavie ou sur les horreurs commis par d’autres, comme les Croates quand ils chassèrent les Serbes de Krajina. De même, au moment de la guerre du Kosovo, l’intervention de l’Otan fut en partie motivée par l’épuration ethnique privée que menait le Goldstein du moment, Arkan, un super-méchant que l’on aurait pu croire sorti d’un SAS avec sa femme chanteuse et les supporters de son club de foot transformés en Tigres noirs avec fusils d’assaut et gros 4X4.

    Une des caractéristiques de Goldstein est qu’il connaît une mort violente ou suspecte. Arkan est mort assassiné devant un grand hôtel tandis que Milosevic lui-même, président de la Yougoslavie avec lequel on négociait avant qu’il ne devienne un criminel de guerre, est mort en prison à la Haye, d’une crise d’hypertension. Dommage pour la fin d’un procès pourtant bien intéressant.

    Que dire aussi d’un Goldstein particulièrement réussi, Saddam Hussein, qui après avoir été traité, pendant la guerre Iran/Irak des années 1980 comme la pointe avancée de la lutte de l’Occident contre l’obscurantisme chiite, a fini vingt ans plus tard pendu par les mêmes chiites dans une exécution complaisamment filmée.

    Tuer un ennemi est une victoire, pas une fête

    Ben Laden fut évidemment le Goldstein le plus réussi des dernières décennies. Depuis 1998, date à laquelle il fit exploser deux ambassades américaines en Afrique de l’Est, et encore plus depuis le 11 Septembre, il était devenu l’ennemi absolu. Il y avait de quoi, direz-vous et vous aurez raison. En même temps avec un ennemi tel que lui, il devenait absolument impossible de penser les rapports entre le Nord et le Sud, l’Occident et le monde arabo-musulman, Israël et la Palestine autrement qu’en termes de choc des civilisations, ce qui arrangeait bien les idéologues néoconservateurs du temps de Bush.

    Le « Printemps arabe » a changé la donne, et c’est tant mieux. Ben Laden est mort et c’est tant mieux aussi. Même si on aurait préféré pour lui le sort d’Eichmann et un procès exemplaire qui aurait dissipé les fantasmes que ne manqueront pas d’entretenir les conditions rocambolesques de sa mort et de la cérémonie funèbre et maritime qui s’en est ensuivie. Même si on aurait préféré, également, ne pas voir les scènes de liesse dans la rue américaine qui ne sont jamais que le reflet symétrique des scènes de liesse qui eurent lieu dans certains pays arabes après le 11 septembre. Je ne sache pas qu’on ait dansé dans les rues de Tel-Aviv ou de Haïfa après la pendaison d’Eichmann.
    Tuer un ennemi est une victoire, pas une fête.

    En ce qui concerne Ben Laden, et c’est là aussi une des caractéristiques du Goldstein d’Orwell, on lui accorde d’autant plus d’importance qu’il a de moins en moins de puissance. On a peut-être tué un symbole mais certainement pas un chef de guerre enfermé dans un QG et donnant ses ordres à ses troupes à travers une chaine de commandement clairement définie. Penser que la mort de Ben Laden signe l’acte de décès d’Al Qaïda, c’est un peu comme croire que tuer le clown Ronald Mc Donald entrainerait la fermeture de tous les fast-foods de la marque à travers le monde.

    Celui que les Américains avaient équipé en missiles Stinger contre les Soviétiques, celui dont la famille entretenait de cordiales relations d’affaires avec la famille Bush, était devenu le Génie du Mal officiel. Il n’est plus là. Un seul Goldstein vous manque et tout est dépeuplé.

    La succession est donc ouverte au bal des Affreux. De l’Iran à la Corée du Nord, les prétendants ne manquent pas. Et comme nous avons a terriblement besoin d’eux pour éviter de nous regarder en face, on ne devrait plus tarder à connaître le nom du successeur.

    Jérôme Leroy (Causeur, 5 mai 2011)


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