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  • Requiem pour un empire défunt...

    Les éditions Perrin viennent de rééditer dans leur collection de poche Tempus le superbe ouvrage de François Fejtö intitulé Requiem pour un empire défunt, initialement paru en 1988. Né dans la partie hongroise de l'empire austro-hongrois, François Fejtö s'est réfugié en France après la seconde guerre mondiale et y a mené une carrière de journaliste spécialisé dans les pays de l'est. Il est notamment l'auteur d'une Histoire des démocraties populaires.

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    " Dans un style éblouissant, François Fejtö raconte et dissèque les causes de l'écroulement de l'Autriche-Hongrie, dont la disparition en 1918 a selon lui entraîné l'Europe centrale dans la longue nuit des totalitarismes nazi puis soviétique. Pour ce faire, le grand historien dresse une histoire à rebours des idées recues de la double-monarchie jusqu'en 1914 avant de s'attacher aux causes directes de la première Guerre Mondiale et au déroulement du conflit jusqu'à son terme. Conglomérat de peuples disparates, l'Empire avait su bâtir un modèle original et fédérateur, garant de l'équilibre européen à l'image de son empereur emblématique François-Joseph dont la figure tutélaire fut loué par des écrivains comme Joseph Roth ou Stefan Zweig. Sa désagrégation résulte de la volonté déterminée des Alliés,en particulier de Clemenceau, sous l'influence des exilés tchèques Masaryk et Benes. Elle ouvrit la boîte de Pandore des rivalités nationalistes au cœur de nouveaux Etats (Tchécoslovaquie et Yougoslavie notamment) édifiés par les vainqueurs sans tenir compte des aspirations des peuples. A l'Empire pacifique et arbitre succédaient des pays factices, minés par la question des nationalités que Wilson et Clemenceau avaient prétendu résoudre en mettant à bas L'Empire séculaire. Cette grande leçon d'histoire, qui se lit comme un roman, est présentée par Maurizio Serra, diplomate et historien italien, qui connaissait bien l'auteur avec lequel il avait réalisé un livre d'entretien. " Livre d'historien que ce Requiem pour un empire défunt, mais d'historien engagé. Livre d'érudit, mais aussi essai combatif, puisque à l'encontre de la thèse la plus courante, François Fejtö récuse le terme de désagrégation, qui implique que l'empire est mort de maladie, et lui préfère le mot de destruction, qui implique que l'empire a été assassiné. " (A Finkielkraut) "

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  • La situation après les élections du 25 mai...

    Nous avons cueilli sur RussEurope un entretien donné par l'économiste hétérodoxe Jacques Sapir au site italien Antidiplomatico et consacré aux résultats des élections européennes...

     

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    La situation après les élections du 25 mai

    Aux élections européennes du 25 mai, c’est de France qu’est arrivé à Bruxelles  le message le plus fort avec le Front national comme premier parti du Pays et son programme qui demande clairement la sortie de l’Euro. Il s’agit d’un véritable tremblement de terre comme l’a défini le premier Ministre Manuel Valls. D’après vous qu’est-ce qui a poussé les Français à faire ce choix ?

     

    Le choix des français s’est fait pour de nombreuses raisons lors de ces élections. Certaines tiennent à la nature du processus dit de construction européenne. Il est clair que pour beaucoup, voter pour le Front National c’était envoyer le message le plus clair à Bruxelles que l’on refusait tant l’Euro que l’UE. De ce point de vue, si d’autres partis, comme le Front de Gauche, avaient eu des positions plus claires, et plus compréhensibles, le résultat aurait pu être un peu différent. Les progrès réalisés par le parti « gaulliste » Debout la République, qui a presque atteint les 4% des votes est symptomatique de ce qu’un discours clair est immédiatement porteur dans ce contexte.

     

    D’autres raisons tiennent à la situation particulière qu’il y a aujourd’hui en France. Il y a en particulier une montée de l’exaspération contre la politique d’un gouvernement, et d’un Président, qui défait aujourd’hui ce que près de quarante années de luttes sociales avaient construit. Ici encore, à tort ou à raison, le Front de Gauche n’a pu recueillir la part qui était logiquement la sienne dans ce vote d’exaspération en raison de position peu lisibles par l’électorat. Pourtant, la sanction par rapport au vote PS a été très claire et l’effondrement de la popularité de François Hollande le confirme.

     

    Enfin, il y a un vote d’adhésion aux thèmes développés depuis maintenant un peu plus de trois ans par le Front National. Dans ces thèmes, il ne faut pas sous-estimer (ni sur-estimer d’ailleurs) un sentiment si ce n’est de xénophobie mais en tous les cas de lassitude face à l’immigration telle qu’elle se développe aujourd’hui. Pour de nombreux français aux revenus très modestes, les nouveaux arrivants sont en concurrence directe avec eux sur de nombreux points (comme l’obtention de logements ou la santé). Je remarque d’ailleurs que de nombreux français issus de l’immigration des années 1960 à 1980 ont voté Front National. Il suffit d’analyser le vote quartier par quartier pour le voir. Ainsi, dire que ce vote est un vote « raciste » est une idiotie complète, même s’il y a des racistes au Front National, comme il y en a d’ailleurs dans d’autres partis, hélas. Mais, on a mal mesuré le sentiment de vulnérabilité des française des classes populaires à l’arrivée de la vague actuelle d’immigration. Très souvent ce sont des anciens immigrés, naturalisés français, qui se sont intégrés dans la société française, et qui considèrent que les nouveaux arrivants ont plus de droits qu’eux ou mettent en cause les mêmes budgets sociaux sur lesquels ils ont des avantages. Ce phénomène explique le basculement vers le vote Front National des Français les plus modestes.

     

    De ce point de vue, les manifestations des jeunes lycéens et étudiants, guère plus de quelques milliers pour toute la France, ont été très symptomatiques. Dans le cas de la manifestation de Paris, qui a été la plus importante, vous aviez presque uniquement des « blancs » et des « bourgeois ». Il n’y avait pratiquement pas de jeunes issus des lycées professionnels. Aujourd’hui la « protestation » contre le vote FN ne se manifeste que dans les classes supérieures de la société et c’est sans doute cela le véritable « tremblement de terre ».

     

    Le prochain Parlement européen accueillera trois groupes qui se sont opposés dans leurs campagnes électorales aux politiques de Bruxelles, Berlin et Francfort, avec à leur tête :  Marine Le Pen,  Nigel Farage et pour la gauche A. Tsipras. Réussiront-ils à créer un bloc d’opposition compact pour empêcher la technocratie européenne de continuer dans son projet d’austérité ?

     

     

    Je ne crois pas. Je ne sais pas si le Front National va réussir à constituer un groupe au Parlement Européen, mais il est clair qu’il y a trop de différences entre le FN, UKIP ou Syriza. En un sens, ceci vérifie le fait qu’il n’y a pas de peuple européen et que la dimension nationale du vote est toujours prééminente. Après, il est possible qu’au moment des votes des alliances se réalisent, et ceci est même à souhaiter.

     

     

    Le PPE et le PSE seront obligés de tomber les masques du rôle de la fausse opposition  et finiront, comme c’est le cas dans différents pays, par se coaliser pour former la prochaine Commission. Ne craignez-vous pas que ces « ententes européennes élargies » ne favorisent une ultérieure perte de souveraineté nationale, sans tenir compte du cri de détresse qu’ont lancé les peuples européens ?

     

    Je crains qu’hélas ce cri de détresse ne soit pas entendu, parce que les partis du PPE et du PSE ont systématiquement ignorés les réactions et les réticences des peuples depuis maintenant près de 25 ans. Nous aurons une coalition pour faire du Parlement Européen une chambre d’enregistrement de décisions technocratiques prises par la commission.

     

     

    D’après vous, quels sont les premières mesures que les nouveaux groupes eurosceptiques qui se sont créés au Parlement européen devraient proposer dans les trois mois ?

     

    Si une alliance est possible, elle devrait se faire autour des mots d’ordres suivants. Tout d’abord, interruption des négociations avec les Etats-Unis du traité de libre-échange transatlantique. C’est un traité léonin, qui va contribuer encore plus au démantèlement du modèle social européen. On a aujourd’hui la preuve que la politique des Etats-Unis est extraordinairement agressive contre l’Europe et les européens. Ensuite, ces partis devraient s’entendre pour refuser toute mesure aggravant les politiques d’austérité qui sont aujourd’hui mises en œuvre en Europe. Sur cette base, il est même possible que des alliances de circonstances soient possibles avec le groupe des « Verts », voire avec certains membres du PSE.

     

     

    La propagande pré-électorale des gouvernements au pouvoir et de Bruxelles        voulait nous rassurer sur la situation économique actuelle, toutefois les économies   de l’Italie, de la Hollande et du Portugal se sont contractées et la France est dans une situation de stagnation. De surcroît, la zone euro est dans une situation de basse inflation – déflation pour de nombreux pays – qui rend de moins en moins soutenable la trajectoire débit/PIB. Dans un tel contexte, pensez-vous que la zone euro risque de connaître une nouvelle crise qui pourrait remettre en question les outils créés ou bien que  «  le pire est derrière nous »  comme on nous le dit ?

     

    Le risque d’une nouvelle crise est d’ores et déjà présent. C’est cela qui obligé M. Mario Draghi, le Président de la Banque Centrale Européenne à agir le 5 juin. Mais, les limites de son action montrent aussi son impuissance de fond. Les seules choses qu’il a pu faire ont été d’introduire un taux négatif sur les dépôts et de mettre en place un nouveau LTRO (1) au profit des banques pour un montant de 400 milliards d’euros, au moment d’ailleurs où il faudra rembourser le premier. Ce n’est absolument pas l’équivalent du « quantitative easing » de la réserve fédérale. On sait que les taux négatifs ont une efficacité plus que limitée. Quand au LTRO, il y en avait déjà eu un en 2012. Il est donc intéressant de regarder comment a réagi le taux de change entre l’Euro le Dollar. Le 5 juin au matin, il était tombé à 1,35 USD pour 1 Euro. Il est remonté à 1,36 dès le soir. C’est la preuve que Draghi n’a plus cette capacité qu’il avait il y a deux ans de charmer les marchés. Ces derniers veulent du tangible. Mais, cela, Draghi ne peut le faire sans un conflit majeur avec l’Allemagne. Par ailleurs, les marchés vont maintenant regarder de très prés l’évolution de la situation dans des pays comme la Grèce, mais aussi l’Italie et la France. Touts les conditions pour une nouvelle phase de crise dans la zone Euro dès cet été ou dès septembre sont réunies.

     

    Nous savons que vous suivez de près la crise ukrainienne. Quel est votre jugement d’ensemble sur l’action de l’UE ? Quelle serait, à l’échelle européenne, la meilleure stratégie à adopter pour sortir de cette dangereuse impasse ?

     

    L’action de l’UE a été très néfaste. Elle a mis, de fait, l’Ukraine devant un choix impossible, celui entre l’Europe et la Russie. Or, compte tenu de la complexité et de la fragilité de ce pays, c’était le type même de choix qu’il fallait éviter. Ensuite, les dirigeants de l’UE ont fermé les yeux sur les dérives du mouvement populaire de la place Maidan. Ce mouvement, commencé comme une protestation contre la corruption du régime, a commencé à dériver dès le mois de décembre 2013 quand il a été hégémonisé par des partis d’extrême-droite. Enfin, l’UE a soutenu implicitement le coup d’Etat qui a provoqué le départ du Président Yanoukovitch. Or, un accord avait été signé entre l’opposition et le pouvoir et des élections étaient normalement prévues. Mais, tout cela a été balayé par le coup d’Etat. Désormais, nous vivons une crise de l’Etat ukrainien, avec des référendums d’auto-détermination qui se sont tenus dans la partie est du pays, et qui conduit désormais à une véritable guerre civile. Le gouvernement de Kiev utilise ses avions et ses hélicoptères contre les insurgés, c’est à dire le même niveau de violence qui avait été le prétexte à une intervention en Libye et qui avait suscité l’émotion de la communauté internationale en Syrie. Il serait urgent que l’UE fasse pression sur les autorités de Kiev pour qu’elle proclame un cessez le feu et qu’elles ouvrent immédiatement des négociations inconditionnelles avec les insurgés. Au-delà, il est clair qu’il faut des élections à une Assemblée Constituante, qui seule pourra déterminer la nature et le degré de fédéralisation du pays, et un engagement de toutes les parties extérieures en présence, tant l’UE que la Russie, de respecter l’indépendance et la neutralité de l’Ukraine.

     

     

    En tant qu’économiste de référence en la matière, pensez-vous que les résultats de ces dernières élections ont renforcé la bataille intellectuelle contre la monnaie unique ou non ?

     

    Je pense que c’est parce que nous avons marqué des points importants dans le combat intellectuel que l’on a eu des résultats marqués par cette vague d’euro-scepticisme aux dernières élections du 25 mai. Mais, il est dans le même temps clair que le résultats de ces élections, tant le niveau d’abstention que la montée des forces euro-sceptiques, va rendre bien plus audible les discours que nous tenons depuis des années sur l’Euro.

    Jacques Sapir (RussEurope, 7 juin 2014)

     

    Note :

    1- Long term refinancing operations, prêts à long terme accordés aux banques par la BCE.

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  • Apocalypse du progrès...

    Les éditions Perspectives libres viennent de publier Apocalypse du progrès, un essai de Pierre de La Coste, préfacé par Frédéric Rouvillois. Ancien journaliste au Figaro et à Valeurs actuelles, Pierre de La Coste travaille actuellement à la direction de la Recherche d’un grand groupe français du numérique.

     

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    " D’Hiroshima aux OGM, de Tchernobyl aux fichages numériques des populations, de Fukushima au changement climatique, le Progrès nous inquiète. De l’extase progressiste de Jules Verne et de Victor Hugo, il ne nous reste rien, sinon une vague angoisse. Le moment est de toute évidence venu de se dire que le Progrès, comme mouvement inéluctable de l’Humanité vers le Bien, qui fut peut être une religion de substitution, est devenu un rêve aujourd’hui transformé en cauchemar.

    Devant la crise de la croyance dans le Progrès, il faut s’interroger sur notre dernier grand récit. D’où nous vient cette croyance aussi inébranlable que notre foi religieuse d’antan ? Pourquoi s’inverse-t-elle sous nos yeux ? Vers quelle catastrophe peut-elle nous conduire ?

    Constater la faillite du Progrès-croyance, c’est s’attaquer au mythe fondateur de la modernité, clé de la domination de l’Occident sur le reste du monde.

    Cet ouvrage propose une lecture nouvelle du Progrès. L’ADN du Progrès comme la plupart des grands récits de l’Occident se trouve dans le christianisme et dans les soubresauts de la pensée chrétienne à travers les siècles depuis saint Augustin.  C’est à travers cette histoire revisitée que l’auteur nous guide dans un monde « plein d’idées chrétiennes devenues folles »  comme l’écrivait le grand écrivain catholique anglais G. K. Chesterton."

     

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  • Pourquoi le peuple fait secession ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien avec le sociologue Michel Maffesoli, cueilli sur le site du Figaro et consacré aux résultats des élections européennes...

    Michel Maffesoli vient de publier, avec Hélène Strohl, un essai intitulé Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014).

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    Abstention, vote FN : pourquoi le peuple fait sécession

    Vous parlez dans votre livre Les nouveaux bien-pensants de «la secessio plebis, cette séparation politique d'un peuple ne se reconnaissant plus dans l'erratique discours d'une élite on ne peut plus déphasée.». A-t-on assisté dimanche 25 mai à l'éclatante manifestation de cette secessio plebis, tant par le score du Fn que par celui de l'abstention? Est-ce inquiétant?

    Le résultat des élections de dimanche dernier traduit, d'une manière paroxystique, le décalage grandissant existant entre les élites et le peuple que celles-ci sont censées représenter. Élites? Intelligentsia? tous ceux qui ont le pouvoir de dire et celui de faire: politiques, journalistes, divers experts et autres hauts fonctionnaires.

     

     

    Ce n'est pas la première fois, pour reprendre une expression classique de la pensée politique qu'une telle secessio plebis se manifeste.

    C'est à partir d' une telle mise en perspective que l'on peut comprendre, à la fois, le vote du Front national, mais plus encore celui de l'abstention. (26,8 millions d'abstentions, 4,7 millions de votes FN). On a pu, à cet égard, remarquer que celle-ci était particulièrement forte chez les jeunes générations (73% d'abstentions pour les 18-35 ans). Tout cela, bien entendu ne manque pas d'être inquiétant. En tout cas nous force à penser, en profondeur, la nouvelle époque qui s'amorce. Puis-je, à cet égard, rappeler que ce mot tout à fait anodin: «époque», signifie en grec parenthèse . Et n'oublions pas qu'une parenthèse s'ouvre et une parenthèse se ferme. La parenthèse moderne est en train de se fermer et l'incapacité des élites à voir celle qui s'ouvre conduit aux conséquences que l'on vient d'énoncer. D'où la méfiance qu'elle suscitent, en particulier chez les jeunes générations qui, blogs, forums de discussion et autres sites communautaires aidant, ne s'en laissent plus conter!

    Quels sont les ressorts profonds de cette rupture entre les élites et le peuple que vous décrivez? Est-ce un phénomène typiquement français?

    Les racines d'une telle rupture, dans le sens fort du terme d'un tel désaccord, se trouvent, certainement, dans le fait que cette intelligentsia reste figée sur les certitudes théoriques qui lui paraissent comme autant d'assurances, mais qui en fait l'empêchent, tout simplement, d'accompagner les mutations dont il est vain de nier l'importance. On peut pourtant, quand on regarde sur la longue durée les histoires humaines, observer que le déclin d'un vivre-ensemble s'accompagne toujours de l'émergence d'une autre forme de socialité. Ce processus, je l'appelle saturation .C'est-à-dire qu'une nouvelle construction va s'élaborer à partir des éléments tombés en décadence.

    Par exemple, à l'individualisme qui avait prévalu, succède un idéal communautaire qu'il est abusif et surtout dangereux de nommer communautarisme. En effet, dans tous les domaines, le «Nous» prévaut sur le «Je». C'est en comprenant un tel glissement que l'on peut saisir les nouvelles formes de solidarité, de générosité qui sont en train de s'élaborer sous nos yeux. De même, le rationalisme (c'est-à-dire une systématisation de la raison dans la vie sociale) est en train de laisser la place à une conception plus ouverte de la rationalité: pour user d'un oxymore, je dirais que ce qui est en jeu est le désir d'une raison sensible où l'imaginaire occupe une place de choix. Cela s'observe dans l'émergence des passions, des émotions collectives. C'est ainsi que les affects ne sont plus cantonnés derrière le mur de la vie privée, mais tendent à se capillariser dans l'ensemble du corps social. Et il est très réducteur de réduire, comme le font la plupart des politiques, les valeurs populaires au pouvoir d'achat et à la recherche de la sécurité économique. Enfin, le simple progressisme, la recherche de la société parfaite dans le futur, la tension vers les «lendemains qui chantent», tout cela est en train de laisser la place à une accentuation sur le présent, un vivre ici et maintenant et ce à partir des racines, à partir des traditions. Tout cela peut se résumer au travers du terme de progressivité qui insiste sur ce qu'on peut appeler l'enracinement dynamique. Le lieu fait lien!

    La dilution des valeurs qui firent la modernité (individualisme, rationalisme, progressisme) serait la cause du rejet de l'Europe de Bruxelles?

    Oui, l'accentuation d'une Europe purement institutionnelle au détriment d'un sentiment européen et d'une expression de la culture et de la tradition européennes vivantes ont certainement détourné nombre d'électeurs du vote.

    Les élites ne comprennent pas un tel glissement. Elles méconnaissent l'importance de la communauté (le «Temps des tribus» est bien arrivé!), de l'émotionnel, d'un présent partagé . Elles sont, ainsi, éloignées de la vie de tous les jours, ce qui ne manque pas d'entraîner la rupture avec les conséquences que l'on voit. C'est en se contentant de répéter, mécaniquement, des mots incantatoires que, d'une manière inexorable, l'on se coupe de ce que Auguste Comte nommait le «pays réel». Quand ceux qui sont censés le faire ne savent plus dire ce qu'est la conscience collective il n'est plus étonnant que celle-ci n'ait plus confiance!

    Vous avez dénoncé dans votre livre «les nouveaux bien-pensants», un entre-soi politico-médiatique en rupture totale avec la réalité. Qu'est-ce que cette bien-pensance que vous dénoncez? N'est-ce pas un mot galvaudé?

    Certes la «Bienpensance» est un mot qui, utilisé sans distinction, peut devenir une formule vide de sens. Pour ma part, c'est en me souvenant des vigoureuses analyses de Georges Bernanos qui, dans ses écrits de combat, s'élevait contre les facilités de pensée et les divers conformismes du moment, que je reprends, à mon tour, ce terme. Et ce en rappelant que le conformisme logique, les «éléments de langage» et autre «langue de bois» favorisent un «entre-soi» . Une véritable endogamie engendrant une rupture totale entre le peuple et ceux qui sont censés le représenter.

    Vilfredo Pareto, avec justesse et acuité, soulignait d'ailleurs que quand une époque s'achève, on voit s'amorcer une «circulation des élites». C'est quelque chose de cet ordre qu'il faut avoir à l'esprit, alors que les générations vieillissantes, et surtout figées sur leurs certitudes, s'accrochent à leur pouvoir, politique, économique, intellectuel, social. La pensée «établie» fonctionne à partir d'une conception moraliste du monde, c'est-à-dire, pour reprendre une expression de Max Weber, envisageant le monde comme «il devrait être» et non pas «comme il est». Ce faisant, ce dernier reprenait l'ironique remarque de Nietzsche parlant de la «moraline» suintant d'un corps moribond . C'est cette sécrétion nauséabonde qui fait fuir ceux qui ont envie de respirer un air pur. Peut-être est-ce en ayant cela à l'esprit que l'on peut comprendre le dégoût qui se manifeste vis-à-vis des diverses élites contemporaines.

    Une conception morale de la politique qui propose de «changer l'homme..

    On peut penser que les derniers débats dits sociétaux, c'est-à-dire ceux proposant une dénaturation de la structure anthropologique qu'est l'altérité sexuelle, la manie du niveau dans le rapport entre les sexes, obsession de l'asepsie sociale dans le domaine de santé et de prévention , tout cela tient moins du détournement: ne pas parler du chômage, que de cette volonté paranoïaque de plier la société à un modèle unique, considéré comme le meilleur.

    En ce sens l'Europe, considérée par de nombreux Français comme responsables des multiples règlements régissant notre vie quotidienne, ( règlements souvent impulsés par nos bureaucrates nationaux) a payé ce refus d'une intrusion étatique dans l'intimité.

    La montée du Front National traduit-elle un sentiment d'exaspération, de saturation par rapport à la politique politicienne des partis établis, ou bien une véritable adhésion aux thèses de Marine Le Pen? En d'autres termes: assiste-t-on à une «droitisation de la société» ou à un simple désir de changement?

    Je ne suis pas certain que les exacerbations s'exprimant dans les diverses élections que l'on vient de vivre traduisent une adhésion aux thèses du Front national. Il est également trop facile, et cela s'inscrit bien dans la bienpensance, c'est-à-dire dans la routine philosophique, de croire que l'on assiste en France ou dans d'autres pays européens à «une droitisation de la société». De la même manière il est peut-être trop rapide de voir là un simple désir de changement. En fait, tout simplement, comme la représentation philosophique ( c'est-à-dire les systèmes de pensée hérités du 18ème et du 19ème siècles) ne parait plus pertinente, les peuples n'ont plus envie de se reconnaître dans une représentation politique restant figée sur un mode de pensée quelque peu obsolète. Il est fréquent de dénoncer, ou à tout le moins de moquer le bon sens populaire. Or celui-ci d'une manière plus ou moins souterraine est au cœur même du vivre-ensemble. On retrouve chez des auteurs aussi différents que Descartes ou Joseph de Maistre des analyses insistant sur la nécessité de s'accorder «à la droite raison et au bon sens réunis».

    Pour ma part je considère que c'est cette conjonction qui s'exprime dans les diverses «humeurs» sociales dont on n'a pas fini de mesurer les effets. En bref, on ne supporte plus l'aspect péremptoire, intolérant de ce que Tacite nommait , «tristis arrogantia», l'arrogance triste de ces moralistes ayant, pour tous les problèmes, une réponse universelle . Solution, de surcroît, inefficace! Tout est bon pour leur rappeler leur impuissance.

     

     

    Pour le dire en d'autres termes, la verticalité du pouvoir (politique, médiatique, universitaire, administratif) ne fait plus recette et il va falloir s'ajuster à une horizontalité de plus en plus importante dans nos sociétés. C'est cela la mutation de fond, et la rabattre sur une soit-disant adhésion aux thèses de Marine Le Pen est une pensée à courte vue. Élargissons le débat, sachons ,véritablement, penser de ce qui est en jeu . En son temps, Jean Baudrillard avait attiré l'attention sur le «ventre mou du social» ou sur les «majorités silencieuses». Voilà que ce silence devient assourdissant! Le lepénisme n'est qu'un pré-texte parmi d'autres ; il faut savoir repérer et lire le vrai «texte».

    N'y a-t-il pas un danger à dire que le peuple a toujours raison, parce qu'il est peuple? Quand le FN se réclame systématiquement du «peuple», ne risque-t-il pas de basculer dans la démagogie pure?

    Le FN sait être sensible au fait que c'est le peuple et ses valeurs qui sont au fondement même de tout vivre ensemble.

    Les classiques de la pensée politique rappellent qu'il n'existe de Nation qu'à partir d'une «affectio societatis». Ce désir d'être et de vivre ensemble. C'est cela le peuple. Il est frappant d'observer que ces mots, en soi si riche de peuple ou de populaire, sont, la plupart du temps, interprétés par les élites en termes de populisme . Avec , bien sûr, la connotation péjorative que ne manque pas d'avoir un tel mot . C'est quand justement, l'élite ne sait plus dire ce qui est vécu que l'on peut voir le succès des diverses formes de démagogie. Je ne sais pas si le Front national dit que le peuple a toujours raison, mais ce qui est certain, c'est qu'il ne sert à rien de le diaboliser lorsque il rappelle que l'on ne peut penser et agir qu'en référence aux racines populaires.

    Pour ma part, je considère que c'est si , et uniquement si, on sait s'accorder à de telles assises, que l'on pourra penser, avec justesse, le nouveau vivre-ensemble postmoderne en gestation. En rappelant que , lorsqu'on observe sur la longue durée les histoires humaines le pouvoir n'est légitime que lorsqu'il reste enraciné dans la puissance populaire . C'est cette constatation de bon sens que l'intelligentsia française tend à oublier ou qu'elle ne sait pas dire . Souvenons, ici, d'Albert Camus: «mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde». Aussi convient-il de trouver les mots pertinents qui, dés lors, deviendront paroles fondatrices.

    Michel Maffesoli (FigaroVox, 30 mai 2014)

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  • Le destin de Mishima...

    Les éditions Dissidenz films viennent de publier en DVD le film de Koji Wakamatsu intitulé 25 novembre 1970 : le jour où Mishima a choisi son destin. Auteur de nombreux films, Koji Wakamatsu a notamment réalisé United Red Army (2008), qui s'intéresse l'Armée rouge japonaise, une organisation terroriste des années 70...

     

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    " Le 25 novembre 1970, un homme se donne la mort dans le quartier général du commandement de l’armée japonaise à Tokyo, geste qui va durablement marquer le pays du soleil levant. Il laisse derrière lui une longue liste de chefs-d’œuvre littéraires et une controverse qui ne s’est jamais éteinte. Cet homme s’appelait Yukio Mishima, un des romanciers les plus célèbres et les plus respectés du Japon.

    Quelques heures auparavant, avec quatre membres de son armée personnelle, le Tatenokai, Mishima avait pris en otage le commandant du quartier général. S’adressant aux soldats rassemblés dans la cour, il leur demanda de l’aider à renverser le régime et restaurer le pouvoir de l’Empereur. Lorsque pour toutes réponses il ne reçut que des insultes, il interrompit son discours, se retira dans le bureau du commandant et choisit de commettre le seppuku, le suicide rituel du samouraï.

    Que voulait exprimer Mishima à travers ses derniers actes ? Quel était le sens de son action et comment des centaines d’étudiants en sont-ils venus à s’engager à ses côtés ?

    Afin de saisir l’ampleur de ce geste extrême dans l’histoire et la vie politique japonaise, le dernier grand film de Wakamatsu relate les dernières années de Mishima ainsi que ses nombreux combats idéologiques. Alors qu’il est en lice pour un Prix Nobel, l’artiste entame un rigoureux entraînement militaire où il fait la rencontre d’étudiants de droite. Ensemble, ils forment une milice privée, le Tatenokai (la société du Bouclier), voué à  la défense des valeurs japonaises et de l’honneur des samouraïs. Selon Mishima en effet, seule la restauration du pouvoir de l’Empereur peut sauver le Japon, et il est prêt à tout pour concrétiser ce projet, même y laisser sa vie.

    Avec cette fresque biographique, Koji Wakamatsu, l’enfant terrible du cinéma pink, poursuit un cycle entamé en 2007 avec United Red Army, où il relate les sombres chapitres de l’histoire contemporaine de son pays. En traçant le portrait chaotique de l’un des plus grands romanciers de son époque, le réalisateur du Soldat Dieu signe une critique sévère mais juste des sacrifices qu’entraîne inévitablement le militantisme poussé à l’extrême, qu’il soit de gauche ou de droite. Wakamatsu ne représente pas Mishima comme un héros, mais plutôt comme un homme déchiré par ses propres principes, et surtout interroge ses motivations et celles de ses jeunes disciples, en quelques mots : les notions d’engagement et d’action individuelle vs collective qui lui sont chères.

    Et bien qu’il traite d’événements ayant eu lieu il y a près d’un demi-siècle, 25 novembre 1970 : Le jour ou Mishima choisit son destin n’en demeure pas moins un film rouge d’actualité. Il s’agit de la lettre qu’adresse un cinéaste de la révolte aux jeunes manifestants du monde entier, alors que le vent commence à tourner…"

     

     

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  • Gauchisme culturel et démocratie du chaos...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une conférence de Jean-Pierre Le Goff sur le thème « Gauchisme culturel et démocratie du chaos», prononcée le 29 mars 2014 devant le cercle Politique autrement.

     

     

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