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  • Il était une fois les mythes...

    Nous reproduisons ci-dessous un article passionnant de Stéphane Foucart, cueilli dans le supplément Culture & idées du journal Le Monde et consacré aux travaux de l'universitaire américain Michael Witzel sur l'origine des mythes dont il a publié récemment une synthèse dans un ouvrage intitulé The Origins of the World’s Mythologies (Oxford University Press, 2013).

     

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    Dans les rêves de Cro-Magnon

    Si nous étions dans le siècle de Darwin, si le temps n’avait pas été accéléré par Internet et les réseaux sociaux, si un livre académique épais et compliqué pouvait encore secouer la grande actualité, celui de Michael Witzel aurait provoqué un formidable séisme. Des colloques de préhistoriens, de linguistes, d’anthropologues auraient été organisés en urgence. Des journalistes auraient été envoyés couvrir des séminaires savants s’achevant, façon bataille d’Hernani, en pugilats de barbes grises et de crânes dégarnis. Pro-Witzel d’un bord, anti-Witzel de l’autre. Il y aurait eu des blessés, et peut-être des morts.

     

    Bien sûr, il n’en a rien été. The Origins of the World’s Mythologies, « Les origines des mythologies du monde » (Oxford University Press), a paru en janvier 2013, et, hors de petits cercles de spécialistes, il est passé remarquablement inaperçu. Le projet et la théorie de Michael Witzel, professeur de sanskrit à Harvard (Massachusetts), sont pourtant d’une extraordinaire portée.

    Qu’on en juge : l’éminent linguiste dit avoir retrouvé rien de moins que les bribes de nos premières histoires, celles qui peuplaient l’imaginaire des quelques centaines d’Homo sapiens qui venaient de quitter l’Afrique de l’Est, voici 65 000 à 40 000 ans, avant de se répandre à la surface de la Terre.

    De ces légendes primordiales, ou plus exactement de ces représentations de l’homme et de l’Univers, dit Michael Witzel, il reste encore les échos dans les grandes mythologies du monde. La thèse est ambitieuse et fascinante : une part de nos réflexes mentaux, la manière dont nous nous représentons l’Univers, nous viendrait de cette époque où Homo sapiens ornait les parois de Lascaux ou d’Altamira, et avait pour seuls instruments des outils taillés dans l’os, le bois ou le silex…

    « L’AMPLEUR DU PROJET EST ÉPIQUE »

    « La lecture est épique, l’ampleur du projet est épique, et ce livre fera l’objet de discussions épiques – pour ou contre – pendant la prochaine génération au moins », estime le linguiste Frederick Smith (université de l’Iowa), dans une recension publiée en septembre 2013 au sein de la Religious Studies Review. De fait, le projet, auquel Michael Witzel travaille depuis plus d’une décennie, est de colossales dimensions.

    « La mythologie comparée, précise celui-ci dans un entretien accordé au Monde lors d’un passage à Paris, a produit énormément de travaux depuis le XIXe siècle, mais ce qui n’avait pas été fait, c’est de comparer l’ensemble des grandes mythologies dans une perspective historique. J’ai pris, pour les comparer, la théogonie grecque d’Hésiode, l’Edda islandais, le Popol-Vuh maya, mais aussi les mythologies de l’Egypte antique, de la Mésopotamie, du Japon ou encore de l’Inde. Et une fois que l’on fait cela, on réalise à quel point ces mythologies se ressemblent, à quel point elles partagent une story line commune, un enchaînement d’une quinzaine d’éléments qui se retrouvent à peu près toujours dans le même ordre, depuis la création de l’Univers. »

    Cette structure narrative commune, Michael Witzel l’a baptisée « laurasienne ». Le mot dérive d’un terme géologique, Laurasie : le nom du supercontinent qui regroupait l’Eurasie et l’Amérique il y a quelque 200 millions d’années.

    Cette trame laurasienne peut être esquissée à grands traits. Le monde est créé à partir du néant ou d’un état chaotique de la matière ; émergent deux figures divines, l’une masculine (le ciel), l’autre féminine (la Terre) ; le ciel engendre successivement deux générations de divinités secondaires ; s’ensuit un enchaînement de cycles au cours desquels le ciel s’élève, le Soleil apparaît, où les dernières générations de divinités usent d’une boisson d’immortalité puis se débarrassent – généralement par le meurtre – de leurs divins prédécesseurs.

    L’un de ces nouveaux dieux terrasse un dragon. Ce n’est bien sûr pas fini : les humains sont ensuite créés par volonté divine comme descendants somatiques d’une déité, puis se rendent coupables d’un excès d’orgueil, qui leur vaut une vaste et meurtrière inondation. Un esprit « farceur » – le mot utilisé par les anthropologues anglophones est trickster, que Claude Lévi-Strauss traduisait par « décepteur » – apporte ensuite la culture aux rescapés : les humains prolifèrent, conduits par de nobles héros d’ascendance divine ou partiellement divine. C’est alors le début de la période historique proprement dite, c’est le règne des hommes qui commence et se poursuit jusqu’à la destruction du monde.

    GAÏA (LA TERRE) ET OURANOS (LE CIEL)

    Un spécialiste de mythologie grecque trouverait cette trame « laurasienne » relativement familière. On y entrevoit Gaïa (la Terre) et Ouranos (le ciel), on y distingue la victoire des dieux olympiens sur les Titans, ou encore le nectar et l’ambroisie. On voit aussi Apollon tuant le serpent – c’est-à-dire le dragon –, de même qu’il n’est pas très compliqué de discerner, dans la grande inondation punitive, celle infligée par Zeus aux hommes de l’âge du bronze et à laquelle seuls Pyrrha et Deucalion, le fils de Prométhée, réchappèrent finalement.

    Même la mythologie judéo-chrétienne, pourtant tardive et marquée par la révolution monothéiste, contient encore bon nombre d’éléments laurasiens. Dans la Genèse biblique, la création du monde ne commence-t-elle pas par la séparation du ciel et de la Terre ? N’y a-t-il pas notre bon vieux mythe du Déluge, avec Noé comme survivant ? N’y a-t-il pas aussi cette discrète référence à des divinités primordiales, apparaissant fugacement avec ce mot désignant des créatures divines et décliné au pluriel, Elohim, parfois utilisé dans le texte hébraïque et commodément traduit par « Dieu » ? D’ailleurs, malgré ces petits arrangements avec les mots, nombre de nos contemporains, monothéistes bon teint, entretiennent encore la vague croyance qu’il existe quelque part une communauté d’anges, sorte de déités secondaires. L’idée d’un affrontement entre divinités survit aussi dans la Bible, puisque l’un de ces anges finit vaincu, déchu, et n’est autre que Satan, l’esprit « décepteur » représenté sous l’apparence d’un serpent et qui incite Adam, par le truchement d’Eve, à croquer le fruit de la connaissance, faisant ainsi basculer l’espèce humaine dans l’état de culture…

    L’intervention de héros humains d’ascendance divine est une constante des mythologies laurasiennes. Le Gilgamesh mésopotamien, l’Héraklès grec, les jumeaux Romulus et Rémus, l’Ayu védique, les empereurs nippons, censés descendre en droite ligne d’Amaterasu (le Soleil), ou encore les héros mayas Hunahpu et Ixbalanque peuvent tous être rapprochés. De même, d’ailleurs, que les patriarches bibliques ou que Jésus, autant leader spirituel et politique que rejeton de Dieu. Aujourd’hui encore, nos mythologies modernes sont hantées par ce motif – celui d’un humain d’ascendance divine ou venu du ciel en sauveur ou en guide. Qui sont Jake Sully (le héros d’Avatar, de James Cameron), Clark Kent (dans le Superman de Jerry Siegel et Joe Shuster) ou Luke Skywalker (le héros de la saga Star Wars, de George Lucas), sinon des succédanés de la figure du héros laurasien ?

    L’affrontement d’une divinité avec la figure du dragon est aussi largement présent – trop, selon Witzel, pour avoir été le fait d’emprunts successifs à partir d’une source récente unique. Dans la mythologie nordique, Beowulf triomphe du dragon ; en Egypte, c’est le dieu Seth qui pourfend le reptilien Apophis ; en Mésopotamie, Mardouk tue Apsou ; dans le monde indo-iranien, c’est Indra, seigneur de la foudre, qui abat le serpent Ahi ; dans le shinto japonais, c’est Susanowo, dieu de la mer, qui débarrasse les hommes de Yamata-no-Orochi, le serpent à huit têtes ; en Chine, c’est la déesse Nuwa qui démembre le dragon noir…

    Car même en s’éloignant radicalement du fertile Proche-Orient, nous dit Michael Witzel, les chevilles du socle narratif laurasien sont toujours là, sous-jacentes, cachées dans la plupart des mythes de création, dans toute l’Eurasie et les Amériques, mais aussi en Afrique du Nord ou en Océanie septentrionale.

    TRAME COMMUNE

    Pour reconstituer la trame commune aux mythes de création rencontrés dans cette vaste aire géographique, Michael Witzel n’a pas comparé tout avec n’importe quoi. Il a utilisé la méthode des linguistes comparatistes. Celle-ci consiste à opérer des comparaisons successives entre langues apparentées, pour reconstruire le vocabulaire et la structure de la langue dont elles sont issues. Comparez ex abrupto le français, le mandarin, le maya quiché et le finnois, et vous ne parviendrez à rien ; comparez le français, l’espagnol, l’italien et le roumain, et vous aurez des chances de retrouver le latin.

    Michael Witzel a procédé de manière analogue avec les mythes, en comparant successivement les grandes traditions mythologiques au sein de chaque grande famille linguistique. Il a également utilisé les données accumulées par l’archéologie et même les sciences du climat : il est ainsi, par exemple, possible de dater les traits communs entre les mythes amérindiens et eurasiens. En effet, les premières populations à coloniser les Amériques passent par l’actuel détroit de Béring, il y a 20 000 ans environ. A cette époque, en pleine ère glaciaire, le niveau de l’océan est plusieurs dizaines de mètres plus bas qu’aujourd’hui et le passage se fait à pied sec. Mais quelques milliers d’années plus tard, avec la déglaciation, l’océan reprend ses droits et sépare le Nouveau et l’Ancien Monde. Ainsi, les traits mythologiques présents des deux côtés du détroit ont de bonnes chances d’avoir été composés il y a plus de 20 000 ans…

    Ces idées sont explorées depuis de nombreuses années par des chercheurs comme Youri Berezkin (Musée d’ethnographie et d’anthropologie de l’Académie des sciences de Russie) ou Jean-Loïc Le Quellec (Centre d’étude des mondes africains et CNRS). Mais Michael Witzel est le premier à les pousser jusque dans leurs limites, en utilisant l’ensemble des savoirs accumulés par les sciences expérimentales.

    Ainsi, la génétique des populations – mais aussi les datations des sites archéologiques fouillés en Europe et au Proche-Orient – permet de dater la trame laurasienne autour de 40 000 ans. C’est en effet à cette époque qu’un petit groupe d’Homo sapiens, quelques milliers d’individus tout au plus, commence sa migration, depuis l’Afrique de l’Est, vers le nord. C’est-à-dire vers l’Europe occidentale actuelle, avant de se diffuser plus tard vers l’est, vers l’Asie. Puis de coloniser les Amériques…

    DES HISTOIRES RAFFINÉES ET COMPLEXES

    La thèse, assez vertigineuse, est donc celle d’une origine commune des mythes de création de l’ensemble du domaine laurasien, remontant au paléolithique supérieur. A en croire Michael Witzel, ceux que l’on imagine volontiers grognant au fond de leur grotte en taillant des silex développaient surtout des histoires raffinées et complexes, liées dans une trame si bien ficelée qu’elle a perduré partout, malgré toutes les innovations sociales ou techniques des millénaires suivants.

    Partout ? Pas tout à fait. Si tel était le cas, on pourrait croire, comme le psychiatre et psychanalyste Carl Jung (1875-1961) l’a proposé le premier, à une émergence spontanée des mêmes motifs, des mêmes thèmes. Selon Jung, les ressemblances frappantes entre mythologies s’expliqueraient par la structure même de la psyché humaine. Des histoires identiques pourraient indépendamment apparaître, ex nihilo, un peu partout à la surface de la Terre. Si elle se vérifiait, cette théorie, dite des archétypes, rendrait inutile et parfaitement vaine la recherche, dans une perspective historique, d’origines mythologiques communes. Et les quelque 700 pages des « Origines des mythologies du monde » n’auraient été que jeu de l’esprit.

    En bon scientifique, Michael Witzel a donc cherché à tester sa théorie laurasienne sur des populations issues d’une autre vague migratoire. Il faut, là encore, s’appuyer sur les sciences expérimentales, et en particulier la génétique. Celle-ci pose que l’une des premières populations d’Homo sapiens à s’être répandues hors d’Afrique a quitté le continent noir voici 65 000 ans environ et qu’elle n’est pas partie vers le nord, vers l’Europe. Arrivée au carrefour proche-oriental, elle a mis le cap à l’est et a suivi les rivages de la mer d’Oman et du golfe du Bengale, traversant ensuite les îles de la Sonde pour poursuivre et coloniser durablement l’Australie, la Tasmanie et une partie de la Mélanésie.

    Michael Witzel a colligé un grand nombre de mythes de ces régions et a constaté que les principaux éléments de la structure laurasienne en étaient absents. De même qu’ils sont absents des traditions orales d’une grande part de l’Afrique subsaharienne. Le linguiste américain a donné un autre nom (lui aussi dérivé de la géologie) à cette autre grande aire mythologique : le Gondwana. « Dans le Gondwana, au contraire de l’un des traits caractéristiques du monde laurasien, il n’y a pas de création de l’Univers, dit-il. Les mythologies du Gondwana s’intéressent essentiellement à la manière dont les hommes évoluent. Il y a des variations : les hommes peuvent être façonnés à partir d’argile ou de bois, on rencontre également des animaux qui se transforment pour devenir des hommes… Mais toujours l’Univers est déjà là. » Autre grande vague migratoire, autres mythes : l’argument pèse lourdement en faveur de la théorie witzélienne d’un enracinement très ancien des mythologies actuelles.

    DEUX GRANDS ENSEMBLES

    Ainsi se dessinent deux grands ensembles mythologiques. Deux mondes aux conceptions radicalement différentes. Une vision laurasienne, conçue par un petit groupe de quelques centaines ou quelques milliers d’Homo sapiens partis coloniser l’Europe il y a 40 000 ans pour se répandre ensuite autour du globe ; une vision gondwanienne, plus ancienne, retrouvée dans la mythologie des populations qui ont quitté 25 000 ans plus tôt l’Afrique – ou qui ne l’ont pas quittée. D’un côté, une vision dans laquelle l’Univers est soumis au même destin que les hommes, à la nécessité de naître sous les auspices d’un couple puis de subir la tragédie du temps qui s’écoule et qui le précipite vers sa destruction ; de l’autre, une vision dans laquelle l’Univers est plat et immanent, imperméable à la marche du temps, et existe de toute éternité sous la houlette d’un haut dieu.

    Michael Witzel ne se risque cependant pas à proposer une story line caractéristique des mythologies du Gondwana. Celles-ci sont trop disparates, mal documentées car rarement écrites, leur pérennité étant tributaire du travail des rares ethnologues de terrain qui les recueillent.

    Mais à côté des différences – majeures – entre Laurasie et Gondwana, il y a aussi des traits communs. Comme, par exemple, la présence du dieu ou de l’esprit « décepteur » qui apporte aux hommes la culture. Ou, plus fascinant encore, l’omniprésence du déluge ou de l’inondation. Qu’ils soient issus de Laurasie ou du Gondwana, la presque totalité des mythes de création contiennent cet épisode de punition des hommes, coupables d’hubris aux yeux d’une ou de plusieurs divinités… Le motif d’un déluge tuant la plupart des hommes à l’exception de quelques-uns, survivant au sommet d’une montagne ou réchappant au désastre grâce à la construction d’une embarcation, est ainsi présent chez les peuples aborigènes d’Australie. Quantité de variations autour de ce thème se retrouvent dans les traditions orales de l’ensemble du Gondwana.

    Pour Michael Witzel, ces éléments communs sont peut-être des mythes « pangéens », c’est-à-dire forgés de très longue date, bien avant les premières migrations hors d’Afrique de notre espèce (dont les premiers fossiles sont datés de 200 000 ans environ). Des histoires vieilles de 100 000 ans ou plus et dont chacun, au XXIe siècle, a en tête les grandes lignes…

    Bien sûr, la construction de Michael Witzel n’est qu’une théorie. Certains de ses pairs lui opposent déjà des contre-exemples, des exceptions. D’autres vont plus loin. Un anthropologue de l’université de Californie du Sud lui fait même un procès en racisme, l’accusant de chercher à segmenter l’humanité en deux groupes. Personnalité d’une grande modestie, Michael Witzel présente surtout son travail comme une œuvre programmatique qu’il livre à la communauté scientifique. Sans faire mystère des objections qui ne manqueront pas d’être soulevées, le linguiste Frederick Smith conclut que « l’approche interdisciplinaire [de Witzel] a non seulement un avenir prometteur, mais elle parvient aussi à ce que l’on puisse enfin parler d’une science de la mythologie ».

    Stéphane Foucart (Le Monde, 13 mars 2014)

    Stéphane Foucart (Le Monde, 13 mars 2014)

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  • Le cauchemar de Winston...

    Les éditions du Rocher publient cette semaine le nouveau roman de Bernard du Boucheron, intitulé Le cauchemar de Winston. Venu sur le tard à la littérature après une carrière dans l'industrie, Bernard du Boucheron est l'auteur de plusieurs romans marquants, dont le style nerveux et la noirceur ne peuvent pas laisser indifférent, comme Court-serpent (Gallimard, 2004), Coup-de-fouet (Gallimard, 2006), Salaam la France (Gallimard, 2010) ou encore Long-courrier (Gallimard, 2013).

     

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    "Dans ce roman sur un sujet sensible (la France pétainiste, soumise, lâche, cafardeuse..), Bernard du Boucheron récrit l'Histoire avec une verve iconoclaste. Il attente avec irrespect à l'imagerie sacrée de l'histoire de France durant la deuxième guerre mondiale.

    Très bien documenté - notamment sur la carrière de Mitterrand, les accords germano-soviétiques, les exactions des diverses parties, les stratégies politiques des uns et des autres, la psychologie complexe de Hitler, la situation de la France sous Pétain ... – le roman s'apparente à un étonnant pamphlet à l'heure où vont s'égréner les commémorations.

    Un ton inhabituel pour évoquer la France sous l'Occupation."

     

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  • L'UE est une hydre technocratique manipulée par les lobbies...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Anne-Marie Le Pourhiet au Cercle Poincaré. Professeur de droit public à l'université de Rennes-I et spécialiste du droit constitutionnel, Anne-Marie Le Pourhiet s'est fait connaître par la publication dans la grande presse de tribunes libres percutantes dans lesquelles elle défend avec talent des positions souverainistes orthodoxes.

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    Entretien avec Anne-Marie Le Pourhiet sur l'Union européenne - « Renationaliser le pouvoir de décision pour le repolitiser »

    Les élections des députés européens approchent. Les dernières échéances ont montré un fort désintérêt des citoyens de presque tous les pays pour ce suffrage, et certains sondages annoncent une majorité eurosceptique au Parlement européen. Dans cette hypothèse, quelle influence pourrait avoir cette « chambre introuvable » eurosceptique sur le fonctionnement, voire la réforme, de l'Union européenne ?

        Vous savez, je suis constitutionnaliste et non politologue et encore moins voyante, je serais donc bien incapable de vous dire ce que serait et ferait exactement cette chambre à majorité eurosceptique. Mais la logique voudrait qu’elle refuse d’adopter une grande partie de la législation envahissante que propose la Commission en invoquant systématiquement les principes de proportionnalité et de subsidiarité auxquels est consacré un protocole additif au traité de Lisbonne. Défendre l’autonomie des États et saboter les prétentions fédéralistes de l’Union devrait être le premier souci d’une telle chambre.

    Sauf que la nouveauté des élections européennes de 2014, introduite par le traité de Lisbonne, c'est que les têtes de liste des partis européens sont désormais transnationales, désignées au niveau de l'Union, et celle dont le parti sortira premier du scrutin aura de grandes chances d'être élue, à la majorité absolue de la nouvelle chambre, à la tête de la Commission européenne. Le traité de Lisbonne réalise-t-il ainsi l'aspiration que Jacques Delors exprimait en 1990 - rejetée avec vigueur par Margaret Thatcher à la Chambre des Communes, avec son fameux « No ! No ! No ! » - de créer un régime parlementaire fédéral en Europe, où l'exécutif procéderait du législatif et serait responsable devant lui ?

        Que le traité de Lisbonne ait des prétentions constitutionnelles n’a rien d’étonnant puisqu’il est la copie conforme du traité constitutionnel que les Français avaient rejeté et que Nicolas Sarkozy a cependant fait ratifier par les parlementaires, de gauche et de droite, réunis pour contourner le verdict populaire. Le divorce ne peut que s’accroître entre des institutions à prétention fédérale et des peuples rétifs à la supranationalité. Élire des listes anti-fédéralistes aux européennes est donc une bonne stratégie pour essayer de torpiller le système de l’intérieur.

    Ces élections européennes, instaurées en 1979, ont eu pour vocation de démocratiser le fonctionnement de l'UE, en instaurant un corps représentatif émanant directement des citoyens des États-membres. Or l'idée même de « démocratie européenne » est discutée, notamment par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, en Allemagne, qui, dans sa décision du 30 juin 2009, estime qu'en l'absence de peuple européen, il ne saurait y avoir de démocratie européenne possible. Dépourvue de demos, l'UE n'a-t-elle pas vocation à n'être qu'une organisation internationale ?

        Je vous rappelle que le Conseil constitutionnel lui-même a affirmé clairement, dans sa décision du 30 décembre 1976 (n°76-71 DC) relative à l’élection au suffrage universel direct de ceux que l’on appelait encore à l’époque les  « représentants des peuples des États-membres des communautés européennes », qu’ « aucune disposition de nature constitutionnelle n’autorise des transferts de tout ou partie de la souveraineté nationale à quelque organisation internationale que ce soit », que l’élection des eurodéputés au suffrage universel direct n’est pas « de nature à modifier la nature de cette assemblée qui demeure composée de représentants de chacun des peuples de ces États », que «  la souveraineté qui est définie à l’article 3 de la Constitution de la République française, tant dans son fondement que dans son exercice, ne peut être que nationale et que seuls peuvent être regardés comme participant à l’exercice de cette souveraineté les représentants du peuple français élus dans le cadre des institutions de la République ». Le Conseil conclut que « l’acte du 20 septembre 1976 est relatif à l’élection des membres d’une assemblée qui n’appartient pas à l’ordre institutionnel de la République française et qui ne participe pas à l’exercice de la souveraineté nationale ». Dans sa décision du 19 novembre 2004 (n° 2005-505 DC) relative au traité constitutionnel, il a encore rappelé que le parlement européen « n’est pas l’émanation de la souveraineté nationale ».

     Il n’empêche que les révisions constitutionnelles ad hoc auxquelles nous procédons avant la ratification de chaque nouveau traité obscurcissent la situation juridique et que le Conseil est contraint de rédiger des motivations complexes. Dans la même décision, après avoir constaté que les stipulations du traité constitutionnel concernant son entrée en vigueur, sa révision et sa possibilité de dénonciation lui conservent « le caractère d’un traité international » et que sa dénomination (constitution pour l’Europe) est « sans incidence sur l’existence de la constitution française et sa place au sommet de l’ordre juridique interne », il affirme cependant que « l’article 88-1 de la Constitution française, issu de la révision de 1992, consacre l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à l’ordre juridique interne et distinct de l’ordre juridique international ». C’est peu dire que le raisonnement est confus et que sa cohérence laisse à désirer. La Constitution française reste donc au sommet d’un ordre juridique interne auquel un traité international intègre cependant un ordre juridique externe distinct de l’ordre juridique international mais dont les normes priment sur le droit interne ! Allez comprendre !

    En tout état de cause, il eût fallu s’entendre effectivement, depuis longtemps, sur le fait que l’Europe ne devait pas dépasser le stade d’une confédération et d’un marché, mais nul n’a été capable d’arrêter le délire mégalomaniaque qui inspire cette machine infernale.

    — À ce propos, les évolutions récentes de la construction européenne laissent transparaître l'ascendant qu'a l'Allemagne sur le fonctionnement présent et futur de l'Union européenne. Pour autant, avec la décision de la Cour de Karlsruhe mentionnée plus haut, le juge constitutionnel allemand a clairement identifié les domaines où tout nouvel approfondissement de l'intégration européenne requerrait préalablement une réforme substantielle – et improbable - de la Loi fondamentale allemande. L'idée de construire les « États-Unis d'Europe », si elle existe encore, est-elle vouée à mourir à Karlsruhe ?

       Par rapport au Conseil constitutionnel français, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe est obligée d’être beaucoup plus rigoureuse car les justiciables qui la saisissent produisent des recours rédigés par des juristes pointus, dont les arguments ne peuvent être évacués par des pirouettes. En outre la Constitution allemande consacre une forme de supra-constitutionnalité interdisant de réviser les principes posés à l’article 20, essentiellement le principe démocratique de souveraineté du peuple. La Cour est donc en effet condamnée à se montrer sévère et à déterminer un seuil au-delà duquel il ne serait plus possible de renforcer la supranationalité européenne dans le cadre de la loi fondamentale existante.

    Dès après sa réélection, Angela Merkel annonçait vouloir une réforme des traités européens pour 2015, notamment en faveur d'un renforcement de la gouvernance de la zone euro. David Cameron a quant à lui instauré une forme d'ultimatum à la réforme de l'Union européenne en fixant à 2017 le référendum d'appartenance du Royaume-Uni à l'UE. François Hollande préfère, de son côté, jouer la montre. Face à ces aspirations centrifuges des trois grandes puissances européennes, quelles devraient être, selon vous, les priorités d'une refonte de l'UE ?

        Les aspirations de Hollande et de Merkel ne me semblent pas « centrifuges », contrairement à celles de Cameron. Je dois dire que nous devons une fière chandelle aux conservateurs britanniques et que je ne peux m’empêcher de penser avec satisfaction : « Messieurs les Anglais, tirez-vous les premiers ! ». C’est aussi à eux, et à la conférence de Brighton qu’ils avaient convoquée, que l’on doit le protocole n°15 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme introduisant expressément dans son préambule le respect du « principe de subsidiarité » et de la « marge nationale d’appréciation » que la Cour de Strasbourg a une fâcheuse tendance à piétiner.

        La priorité d’une refonte de l’Union consiste à changer complètement le mode de définition des compétences de l’union en s’inspirant d’un modèle confédéral et d’une répartition centrifuge et  statique à l’américaine plutôt que d’une répartition centripète et dynamique à l’allemande. Il faut impérativement renationaliser le pouvoir de décision pour le repolitiser et faire reculer cette hydre technocratique manipulée par des lobbies.

    Mais les adversaires d'une réforme de l'Union en faveur des États arguent souvent du caractère irréversible de la construction européenne. Le traité de Maastricht était d'ailleurs écrit dans cet esprit, alors que celui de Lisbonne ouvre une brèche avec l'article 50 du Traité sur l'Union européenne (TUE) qui permet le « retrait volontaire » d'un État-membre de l'Union. Que l'on parle de rapatriement de compétences ou d' « Europe à la carte » avec des coopérations renforcées entre certains États, comment pourrait-on concrètement, et juridiquement, mettre en œuvre cet éventuel détricotage de l'UE actuelle ?

        C’est d’une simplicité biblique ! Vous prenez les traités actuels, vous raturez partout et surtout vous réécrivez les dispositions essentielles définissant les « objectifs » de l’Union en des termes filandreux et sans fin, car ce sont partout ces objectifs qui justifient les compétences, rendant par là-même celles-ci illimitées. Il faut revoir tout cela « au karcher ». C’est très facile, il suffit de le vouloir.

    À l'occasion de l'adoption du pacte de stabilité, vous aviez dénoncé un texte qui, par le biais de la « règle d'or » budgétaire que certains voulaient inscrire dans la Constitution, importait en France la préférence allemande pour la règle. Votre position se fondait alors sur les différences de nature qui existent entre les modèles constitutionnels français et allemand ; ce dernier étant centré sur une Loi fondamentale précise et, dans une certaine mesure, exhaustive. Quels risques cette tendance fait-elle courir sur la lettre et l'esprit de la Constitution de la Ve République, et sur l'équilibre institutionnel qu'elle consacre ?

        Hélas, ce risque est depuis longtemps consommé. Voyez les révisions constitutionnelles qui se sont accumulées depuis les années 1990 et qui ont multiplié les dispositions lourdingues et indigestes dont certaines incompréhensibles avec des renvois à un arsenal complémentaire de lois organiques et ordinaires en cascade, c’est un hamburger juridique inspiré des façons de légiférer germaniques et européennes. Ceci s’observe dans des révisions qui ne sont pourtant pas directement « commandées » par l’Europe elle-même, comme celle de 2003 sur l’organisation décentralisée (encore que la Charte européenne de l’autonomie locale ait inspiré l’ensemble)  ou celle de 2008 sur la modernisation des institutions.  C’est une mode, un travers calamiteux, une véritable « addiction » à la norme, un « maldroit »  que je compare volontiers à la « malbouffe » nutritionnelle et qui débouche sur la même obésité. Voyez la proposition de loi constitutionnelle socialiste sur la ratification de la Charte européenne des langues régionales, c’est une parfaite caricature de cette pathologie.

    D'ailleurs, l'Union européenne semble se construire et se légitimer par la norme justement, que ce soit par l'orthodoxie budgétaire dans la gouvernance de la zone euro ou par l'inflation normative qui résulte de l'activisme de la Commission et du Parlement. En quoi est-ce un problème que le projet européen, à défaut d'avoir un objectif et une forme clairs, repose au moins sur un appareil juridique « solide » ?


        Solide ? Ce n’est sûrement pas l’accumulation de normes tatillonnes, envahissantes et illégitimes qui rend un système juridique solide. Envoyez un obèse aux jeux olympiques, vous allez voir son degré de performance et de compétitivité !

    Certes. Mais dans le cas de la France, cette « importation » de la préférence allemande pour la règle n'a-t-elle pas au moins l'intérêt d'être un rempart contre les errements d'une classe politique française accaparée par la compétition politicienne, elle-même permise par diverses évolutions du régime de 1958 ?

        Oh la-la ! Vous m’entraînez dans la sociologie politique. Allez voir le dernier film de Roberto Ando « Viva la libertà » qui ressasse l’éternel problème de la classe politique italienne, sans toutefois faire encore autre chose que de s’indigner et d’en appeler de façon incantatoire à  la repolitisation et au réenchantement… Les belles paroles et les leçons de morale ne suffisent pas à révolutionner les hommes et leurs mœurs ! Les Italiens comme les Français ont sûrement la classe politique qu’ils méritent : elle est sans doute à leur image. Il n’y pas de société politique corrompue sans société civile corruptrice. Mais je ne pense pas  que la solution à cette « catastrophe » (selon le terme du film) consiste à accepter de se soumettre à la schlague allemande. Je n’oublierai jamais la lettre péremptoire adressée en pleine crise financière par le commissaire européen Olli Rehn à Guglio Tremonti (ministre italien de l'économie et des finances de 2008 à 2011) et le priant de répondre « in english »…. L’horreur absolue, une gifle à la démocratie, mais Rome s’est couchée ! Et à quel terrible spectacle avons-nous assisté lorsque le Premier ministre grec a proposé d’organiser un référendum sur la mise sous tutelle de son pays … On venait tuer la démocratie à domicile ! Pierre-André Taguieff a écrit en 2001 sur l’Union une phrase dure mais vraie: «  L’Europe est un empire gouverné par des super-oligarques, caste d’imposteurs suprêmes célébrant le culte de la démocratie après en avoir confisqué le nom et interdit la pratique » (« Les ravages de la mondialisation heureuse », in Peut-on encore débattre en France ? Plon – Le Figaro, 2001).

    Pour terminer l'entretien et élargir le propos, éloignons-nous (quoique) de l'Union européenne et parlons du Conseil de l'Europe, et de sa célèbre charte sur les langues régionales et minoritaires. D'aucuns décrient une atteinte d'une rare gravité contre le modèle républicain français. Qu'en pensez-vous ?


        Je ne peux que vous renvoyer à mon article récemment publié dans Marianne le 31 janvier 2014. Mon point de vue est clair : cette charte et ses promoteurs sont anti-républicains.

    Vous avez parfois dénoncé la dimension anglo-saxonne qui tend à caractériser de plus en plus le droit européen, incompatible selon vous avec le droit continental, et a fortiori avec le droit républicain français. En quoi consiste cette incompatibilité ? Quelles conséquences produit cette différence de nature entre les différents droits applicables en France ?

        Outre les vieilles différences de système juridique entre la common law et le droit continental, il y a surtout une différence culturelle colossale entre le multiculturalisme anglo-saxon et le modèle républicain français. Lorsque nous organisons des colloques juridiques communs entre l'université de Rennes 1, celle de Louvain-la-Neuve en Belgique et celle d'Ottawa, au Canada, je me rends compte que nous sommes tous francophones mais que les Belges et les Canadiens ne raisonnent pas comme nous. C’est frappant. Tous les conflits qui traversent actuellement la société française résultent de cette confrontation entre le modèle républicain et le multiculturalisme (féminisme compris) anglo-saxon. Et vous remarquerez que tous ces conflits atterrissent dans la Constitution puisque c’est elle qui fonde notre contrat social et notre « tradition républicaine » (cf. révisions sur la Nouvelle-Calédonie, l’organisation décentralisée version fédéralisme asymétrique, parité, Europe, langues régionales, etc …). C’est incontestablement notre « identité constitutionnelle » qui est en jeu. 

    Vous avez mentionné plus tôt la Cour européenne des Droits de l'Homme, parlons-en. Ses juges sont réputés pour les controverses politiques que créent leurs jugements dans certains États, et plus généralement pour l'interprétation extensive qu'ils auraient de leur office. La justice ayant pour but de faire appliquer les lois qu'une société se donne, et en l'absence de société européenne, quelle est la légitimité d'une justice européenne s'appliquant uniformément à des pays de cultures et de traditions différentes ? Quelle place et quel crédit accorder à la supranationalité normative ?

        Vous savez, Jean Foyer, quand il était garde des sceaux du général de Gaulle, avait compris que si le texte de la Convention européenne des droits de l’homme ne soulevait aucune objection en lui-même, c’est l’existence d’une Cour chargée de l’interpréter qui allait poser de graves problèmes de souveraineté. Il avait donc mis le général de Gaulle en garde contre le risque qu’il y avait à placer ainsi la France sous tutelle de juges européens. Au Conseil des ministres suivant, après que Couve de Murville eut exposé l’intérêt de ratifier la Convention, le Général conclut, en s’adressant à son garde des Sceaux: « J’ai lu votre note. Vous m’avez convaincu. La Convention ne sera pas ratifiée. La séance est levée ». Il lui avait précédemment enseigné : « Souvenez-vous de ceci : il y a d’abord la France, ensuite l’État, enfin, autant que les intérêts majeurs des deux sont sauvegardés, le droit ». Et il avait raison. Le droit n’est légitime que s’il traduit la volonté populaire, la « supranationalité » normative n’est évidemment pas légitime dès lors qu’elle échappe au contrôle des représentants de la nation.

    Anne-Marie Le Pourhiet (Cercle Poincaré, 2 mars 2014)

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  • Comment les labos nous rendent fous...

    « Entre 1979 et 1996, on a multiplié par sept, en France, le nombre de diagnostics de dépression. Cela ne veut pas forcément dire qu'il y avait sept fois plus de déprimés, mais qu'on a abaissé le seuil de tolérance sociale par rapport aux anomalies de comportement. Pourquoi ? Parce que nous sommes, de plus en plus, dans une société de contrôle. On assiste à une médicalisation de l'existence. » Roland Gori, entretien donné au quotidien Le Monde (13 mai 2005)

     

    Les éditions de La Martinière viennent de publier une enquête de Cédric Morin intitulée Comment les labos nous rendent fous. Cédric Morin est journaliste, spécialisé notamment dans les questions de santé et travaille depuis au mensuel Que choisir.

    Cédric Morin.jpg

    " Cette enquête raconte comment les labos pharmaceutiques font de maladies avérées, mais relativement rares, un risque général de santé publique et rendent pathologiques des maux normaux de l’existence. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, la recherche pharmaceutique en santé mentale stagne. Pourtant le nombre de patients traités pour des dépressions a été multiplié par 15 en 40 ans, si bien qu’un Français sur quatre consomme des psychotropes au cours d’une année. De nombreuses études scientifiques ont démontré l’efficacité douteuse, parfois la dangerosité de ces traitements, mais sans changement, car les laboratoires ont la main sur le secteur de la recherche et étouffent les études défavorables. Sous l’impact de l'industrie pharmaceutique, la timidité devient un "trouble de l’anxiété sociale", les tensions familiales sont le syndrome "du tigre en cage" ou celui "de l’aliénation parentale"… Le nombre de maladies mentales répertoriées par le DSM, le manuel international de classification des troubles mentaux, est passé de 77 à 525 depuis 1952 ! Les liens financiers de ses rédacteurs avec les laboratoires pharmaceutiques ne sont pas un secret. Le processus de mise sur le marché d’un nouveau médicament est toujours le même : un laboratoire pharmaceutique finance une étude scientifique et des médecins comme porte-paroles. Au préalable ou ensuite, la pathologie est reconnue par le DSM, puis un traitement est lancé, avec des campagnes marketing ciblées sur le grand public et les médecins prescripteurs. Cette pratique théorisée par l’un des grands maîtres du marketing américain, Vince Perry porte un nom : la vente (ou fabrication) de maladies. "

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  • Référendum en Crimée...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue solidement argumenté de Jacques Sapir, cueilli sur son blog  RussEurope et consacré au référendum organisé en Crimée à propos du rattachement à la Russie.

    Référendum Crimée.jpg

    Référendum en Crimée

    Les résultats du référendum ont confirmé la volonté d’une majorité de la population de la Crimée de rejoindre la Russie. Ils ont aussi confirmé l’incapacité des dirigeants, qu’ils soient français ou de l’UE et des Etats-Unis, de saisir la nature de ce vote. On rappelle donc dans le texte qui suit quelques points d’importance.

    1. La Crimée fut attribuée administrativement de la Russie à l’Ukraine dans le cadre de l’URSS en 1954. Ceci ne fit l’objet d’aucun vote des populations concernées. Lors de la dissolution de l’URSS en 1991, il fut admis que la Crimée resterait dans l’Ukraine, moyennant la reconnaissance de son statut de république autonome et le respect de la constitution.

    2. Il y a eu, à la suite de 21 février 2014, une interruption de l’ordre constitutionnel en Ukraine. Ceci est reconnu par les pays occidentaux qui qualifient le gouvernement de « révolutionnaire ». Ceci découle surtout du fait que nulle autorité qualifiée (la Cour Constitutionnelle étant dissoute par le nouveau pouvoir) n’a constaté la vacance du pouvoir. Le nouveau gouvernement est d’ailleurs loin de représenter tous les Ukrainiens, comme on aurait pu s’y attendre logiquement. C’est donc une autorité de fait.

    3. À la suite de cela, les autorités de la République Autonome de Crimée ont considéré que cela créait une nouvelle situation, dans laquelle les droits de la Crimée n’étaient plus garantis, et ont décidé la tenu du référendum du 16 mars. Leur décision est donc une réaction à la rupture de l’ordre constitutionnel à Kiev. Elle n’est ni légale ni illégale dans la mesure où cet ordre constitutionnel n’existe plus. Qualifier le référendum d’illégal du point de vue de la loi ukrainienne est donc une profonde sottise et montre de la part des dirigeants qui utilisent cet argument une incompréhension totale des principes du Droit.

    4. Du point de vue du Droit international, deux principes s’opposent, l’intangibilité des frontières et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Si les pays qui aujourd’hui s’opposent au référendum avaient fait pression pour que le gouvernement de Kiev remette son pouvoir à un gouvernement de concorde nationale, réunissant toutes les parties en présence, ils auraient eu quelques droits à faire valoir le principe de l’intangibilité. Mais, ayant choisi de reconnaître unilatéralement un gouvernement ne représentant qu’une partie de la population, ils ne peuvent plus user de cet argument sans contrevenir directement au second argument, celui sur le droit des peuples. L’argument d’une illégalité du point de vue du droit international tombe alors de lui-même en raison de la carence des pays soulevant cet argument à faire valoir la nécessité d’un gouvernement de concorde national en Ukraine qui seul, avec une assemblée constituante, aurait été en mesure d’offrir une issue légale à cette crise.

    5. Dans ces conditions, la seule position possible était de demander la présence d’observateurs officiels pour ce référendum. Cela ne semble pas avoir été fait. Les observateurs (députés du Parlement Européen) présents le sont donc en leur nom personnel. Ils disent ne rien avoir vu de scandaleux. Cela laisse cependant planer un doute sur les conditions de tenue du scrutin, mais ce doute provenant de l’attitude même des pays occidentaux, il doit profiter aux autorités de la République Autonome de Crimée. Ce vote, dans les faits, semble s’être tenu dans les conditions habituelles pour l’Ukraine.

    6. On notera dans le cas de la France que les dirigeants qui aujourd’hui contestent le référendum en Ukraine sont ceux qui n’ont pas voulu reconnaître le résultat du référendum de 2005 et l’ont remplacé par un traité (le Traité de Lisbonne) qui ne fut pas présenté au peuple. Ces mêmes dirigeants on accepté le referendum séparant Mayotte des Comores et rattachant cette île à la France. Ces deux faits soulignent que la légitimité de la position de ces dirigeants sur la question du référendum de Crimée pourrait être facilement mise en doute.

    7. Il convient maintenant de regarder l’avenir. Il ne fait guère de doute que la Russie reconnaîtra le référendum, même si – en théorie – elle peut toujours refuser l’adhésion de la Crimée. Le problème qui va être posé dans les semaines qui viennent est celui des provinces de l’Est de l’Ukraine ou des incidents mortels se multiplient. Toute tentative d’imposer une solution par la force risque de conduire à la guerre civile. Il est donc urgent que toutes les parties prenantes à cette crise, et ceci vaut pour les pays européens comme pour la Russie, exercent une pression conjointe sur les autorités de Kiev pour qu’elles constituent un gouvernement de concorde nationale réunissant tous les partis, pour qu’elles désarment les groupes extrémistes et qu’elles mettent sur pied les élections à une assemblée constituante. La signature de tout accord international par ce gouvernement ne saurait engager que lui-même. L’Union Européenne irait contre le droit si elle signait avec lui un quelconque traité.

    Jacques Sapir (RussEurope, 16 mars 2014)

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  • Ballard et sa trilogie de béton...

    il faut une dose d'aspérité émotionnelle car une société aseptisée produit un besoin désespéré de chaos. On ne peut pas vivre dans une atmosphère d'école du dimanche. 
    En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/culture/livre/j-g-ballard_807391.html#XdYzGrPUf2Wt1X7c.99
    il faut une dose d'aspérité émotionnelle car une société aseptisée produit un besoin désespéré de chaos. On ne peut pas vivre dans une atmosphère d'école du dimanche. 
    En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/culture/livre/j-g-ballard_807391.html#XdYzGrPUf2Wt1X7c.99

     « Il faut une dose d'aspérité émotionnelle car une société aseptisée produit un besoin désespéré de chaos. On ne peut pas vivre dans une atmosphère d'école du dimanche. […] Et puis, il y a les polices intellectuelles, le "politically correct" qui surveille subrepticement nos comportements les plus intimes. Plus une société est civilisée et normée, moins elle a de choix moraux à faire. Aujourd'hui, le seul dilemme auquel on est confronté est le choix entre deux paires de baskets. Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que cet ensemble de conventions, de régulations et de lois a toujours été perçu de façon positive, comme faisant partie des dernières contractions des Lumières. Les dictatures du futur seront obséquieuses et patelines plutôt qu'ouvertement violentes, elles seront douces mais sinistres. » J.G. Ballard, in L'Express (7 juillet 2011)

     

    Les éditions Gallimard rééditent en un volume, dans leur collection de poche Folio,  Crash! , L'île de béton et I.G.H. , les trois romans de J.G. Ballard qui composent la trilogie de béton. Jetant un regard incisif et critique sur le monde moderne, J.G. Ballard est l'auteur de nombreux romans, dont Super-Cannes (Fayard, 2001), Millenium people (Denoël, 2005) ou Sauvagerie (Tristram, 2008).

     

    Trilogie de béton.jpg

    "Crash ! Après avoir causé la mort d'un homme lors d'un accident de voiture, James Ballard, le narrateur, développe une véritable obsession y compris sexuelle pour la tôle froissée.

    L'île de béton. Alors qu'il revient de son bureau, Robert Maitland est victime d'un accident : sa voiture quitte l'autoroute et vient s'échouer en contrebas sur un îlot surplombé par un échangeur. A priori rien de plus simple que d'être secouru, mais Maitland est blessé et personne ne s'arrête.

    IGH. Dans une tour de mille appartements répartis sur quarante étages, la population apparemment homogène ne tarde pas à se scinder en clans. La tour se balkanise et devient le siège d'une nouvelle forme de guerre.

    Crash !, L'île de béton et IGH forment la bien nommée "Trilogie de béton", une des oeuvres majeures de la littérature du XXe siècle, où se mêlent esthétique automobile, architecture visionnaire, folie sociétale et une forme de pornographie si élaborée qu'elle donne un nouveau sens à ce mot."

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