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  • Bienvenue chez les Frères de la côte !...

    « Ce peuple [celui des Frères de la côte], qui était allé jusqu'au bout du monde pour ne pas être soumis à la société marâtre, était composé d'aventuriers de toutes sortes : spadassins et pillards, nobles et brutes, hidalgos et picaros. Ils savaient faire de la politique ; autrement, la Tortue n'aurait pas tardé à être écrasée ; mais les frères de la côte savaient bien comment traiter avec les puissances maritimes ; comment obtenir de temps en temps "la letre de marque" ; comment jouer sur les luttes intestines entre ceux qui gouvernaient les terres et les flottes. » Gabriele Adinolfi, Pensées corsaires

     

    Les éditions Tallandier viennent de rééditer l'Histoire de la flibuste de Georges Blond. Journaliste, écrivain et surtout formidable conteur, ami de Robert Brasillach, Georges Blond s'est illustré dans les récits historiques consacrés à la marine ou à l'épopée napoléonienne, mais également dans les récits animaliers.

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    " Leur histoire commence peu après la découverte du Nouveau Monde. Ces aventuriers venus d’Europe, attirés par l’or transporté par les galions espagnols de retour d’Amérique, établirent d’étranges colonies dans les îles des Caraïbes, particulièrement à la Tortue et à la Jamaïque. Tantôt corsaire, lorsque mandatés par leur souverain, tantôt pirate, donc pillant pour leur propre intérêt, ces hommes sont connus dans l’Histoire sous le nom de flibustiers. Pendant près de quatre siècles, pillant et massacrant au gré de leur quête de trésor, ils firent régner la terreur sur ces rivages lointains.     Traînant souvent la réputation de brutes sanguinaires, voleurs sans scrupules, violents et cruels, mais non dénués de talent, les flibustiers écumèrent la mer caraïbe et le golfe du Mexique à la recherche de butin. C’est précisément leur fabuleuse et fascinante épopée que Georges Blond narre ici avec verve. Avec lui, nous suivons les destins de ces chasseurs de trésors, parmi lesquels Henry Morgan au XVIIe siècle et le Français Jean Laffite au XVIIIe siècle. "

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  • Les Icônes du Vide...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de Christian Gambotti, cueilli sur Le nouvel Economiste et consacré à ces icônes vides (quoique gonflées au silicone...) que se donne notre époque post-moderne...

     

     

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    Les Icônes du Vide

    Les sociétés s’organisent autour de figures totémiques qui symbolisent, à un moment donné, l’identité à laquelle elles aspirent. De Vercingétorix à Clovis, de Jeanne d’Arc à de Gaulle, ces figures incarnent l’épaisseur, la stabilité, l’unité d’un destin glorieux qui se confond avec le progrès. La France se construit, au cours des siècles, à travers ces figures de la durée. L’identité intangible de ces figures permet à tout un peuple de partager l’idée d’une destinée commune. La France existe alors comme nation et les Français comme peuple. Dans une France postmoderne, ces figures exemplaires, qui donnent au destin l’épaisseur de la durée, ont été remplacées par les icones du vide que sont Loana, Zahia ou Nabilla, mais aussi tous les acteurs de la télé-réalité. Signe de cette évolution, des journaux comme Libération ou le Figaro choisissent de consacrer une pleine page à Nabilla ou Zahia.

    Jeanne d’Arc est une idée. Nabilla et Zahia sont des corps. Jeanne d’Arc est asexuée, son destin est de sauver la France. Nabilla et Zahia incarnent la sexualité. Elles n’ont pas d’idées, leur destin est de donner leur nom à des lignes de sous-vêtements « sexy », imaginées par des marchands qui transforment chaque produit en objet du désir. L’objet industriel et le désir sont désormais étroitement liés. Smartphones, tablettes, voitures, hôtels, bars, subissent une transformation esthétique qui transcende leur fonction purement utilitaire. Le désir est ainsi le moteur du capitalisme postmoderne : objets, décors, mais aussi corps. L’industrie de la consommation fonctionne sur l’éveil du désir.

    Les corps de Zahia et Nabilla sont des sculptures érotiques, artificiellement créées par la chirurgie esthétique. Gilles Lipovetsky et Jean Serroy considère, à juste titre, que « le style, la beauté, la mobilisation des goûts et des sensibilités s’imposent chaque jour davantage comme des impératifs stratégiques des marques : c’est un mode de production esthétique qui définit le capitalisme d’hyperconsommation. » (1) Ce qui est vrai pour les objets, inscrits dans la durée, en dehors des phénomènes de mode, est différent pour les corps. Le corps appartient au domaine de l’éphémère et les icones que nous propose la société de l’hyperconsommation et de l’hyperindividualisme respirent le vide.

    La France se défait dans ces icones du vide. Loana, figure inaugurale du capitalisme-désir, a engendré ce basculement vers l’éphémère qui est l’aboutissement final de la société de consommation. Tel est le capitalisme moderne, machine de déchéance intellectuelle, qui remplit le vide de l’existence par des objets esthétisés, mais aussi avec les corps transformés de celles et de ceux qui sont chargés de séduire. Cette beauté artificielle exhibée correspond à une montée de l’individualisme : l’individu se soustrait du collectif pour affirmer une singularité, celle de sa propre vie. Là où Jeanne d’Arc s’inscrit dans le destin de la France, Loana, Zahia et Nabilla répondent à une demande hédoniste. L’individu ne se reconnaît plus dans la nation, il s’affirme dans la consommation et le culte de soi.

    Signe des temps, Nabilla aura sa propre émission de télévision sur NRJ 12. La vie de Nabilla filmée quotidiennement devient le feuilleton d’une civilisation prise aux pièges de ce qu’elle produit de plus inutile. Le néant esthétisé devient la promesse d’un bonheur immédiat. Oubliant la politique, Jean-Marie Le Pen s’extasie devant les « beaux seins » de Nabilla qui, en échange, le trouve « trop marrant ». En vieux renard de la politique, Jean-Marie Le Pen sait qu’il s’adresse à un électorat dépolitisé qui regarde les émissions populaires dans lesquelles l’exhibition des corps huilés des bimbos de la téléréalité tient lieu de politique de civilisation.

    De Platon à Camus ou Sartre, en passant par Nietzsche ou Marx, l’histoire de l’humanité prend la forme d’une formidable bataille des idées. L’homme, pour résoudre la confusion qui naît de Babel, bâtit des cathédrales de mots, car le mot est au début de toute chose. Platon lui-même avait banni l’image, c’est-à-dire l’artiste, de sa cité idéale, car, selon lui, l’image est trompeuse. « Aujourd’hui, maman est morte », écrivait Camus au début de L’Etranger, enfermant ainsi toute la philosophie de l’absurde dans ces quatre mots. Nabilla est célèbre pour sa phrase culte « Non mais allo quoi ! », créant ainsi un paysage du vide dans lequel vont s’engouffrer les offres de l’hyperconsommation.

    Jeanne d’Arc et de Gaulle sont des Sisyphe qui parviennent à poser leur rocher au sommet de la montagne. Loana, Zahia et Nabilla, en stylisant de façon érotique l’univers du vide, nous font oublier Sisyphe. Marx écrit la théorie du matérialisme dialectique sans oublier que « les lois de la beauté » façonnent le monde. Loana, Zahia et Nabilla, qui n’ont pas lu Marx, savent, intuitivement que « les lois de la beauté » et du sexe dirigent le monde. Mais refusant la pornographie, elles proposent du sexe une représentation esthétisée. Le Beau est l’alibi du vide. Longtemps aristocratique, l’esthétisation du monde s’est prolétarisée. Mais, contrairement à Charlie Chaplin, Loana, Zahia et Nabilla sont des travailleuses des temps modernes en rupture avec le mode de production industriel fordien accusé de répandre la laideur. Dépourvu d’intention esthétique et de sexualité torride, le discours politique ne peut plus rivaliser avec le spectacle théâtralisé des corps des bimbos. L’important n’est plus l’idée, mais le corps. qui appartient désormais à la sphère économique et financière.

    En donnant une émission de télévision à Nabilla, NRJ 12 n’obéit pas aux injonctions du culte du Beau. C’est au contraire de l’effondrement du Beau dont il est question, effondrement qui prolonge celui d’une société régie par des normes portées historiquement par la bourgeoisie ou la classe ouvrière et dont le projet est de soumettre l’individu au collectif. Jeanne d’Arc et de Gaulle sont les figures d’une société politisée à l’intérieur de laquelle l’individu s’inscrit dans un projet collectif. Loana, Zahia et Nabilla sont les icones d’une société dépolitisée, dans laquelle l’individu refuse l’homogénéisation que propose le collectif pour vivre sa différence radicale, une différence esthétisée. L’émotion politique est une émotion collective, comme celle que peut procurer le spectacle-symbole du défilé du 14 juillet ; l’émotion esthétique postmoderne est provoquée par l’érotisation des corps des bimbos dont les seins augmentent de volume à mesure s’affirme l’autonomie des individus et que diminue leur adhésion à un projet collectif.

    Jeanne d’Arc et de Gaulle provoquent l’extase du plein, de la durée, Loana, Zahia et Nabilla, l’ivresse du vide, de l’éphémère. Après le moment de la nation qui prend le visage d’une succession de figures exemplaires consensuelles, voici venu le cycle nouveau de l’alliance entre la production marchande et l’autonomisation des individus qui additionne les icones du vide. A mesure que l’individu s’éloigne de la nation, se multiplient sur les chaînes de télévision les émissions de télé-réalité dont le rôle est de porter au plus degré l’autonomie de l’individu qui s’affranchit, dans son langage, son apparence, son vestiaire et sa sexualité, des normes civilisationnelles.

    A l’ancien projet d’élévation intellectuelle des individus, nécessairement élitiste, se substitue le projet nouveau de désacralisation du Beau conventionnel à travers la fétichisation du corps des bimbos, forcément plus démocratique. Au-delà des stratégies marchandes d’un capitalisme postmoderne, il faut y voir l’avènement des dictatures « molles » que dénonçait déjà Aldous Huxley dans Le Meilleur des Mondes ou que condamnait Alain Souchon dans Foules sentimentales. Paradoxalement, l’affirmation identitaire de l’individu qui se donne en spectacle est le moyen le plus sûr pour le nier comme être pensant et le reléguer dans la sphère de l’hyperconsommation.

    Jeanne d’Arc et de Gaulle, chargés d’une haute valeur spirituelle, ont pu sauver la France. Loana, Zahia et Nabilla, qui assurent le triomphe du vide, peuvent-elles sauver le monde ? Elles sont, en tous cas, le signe évident de notre entrée dans un âge démocratique postmoderne. Et Dieu… créa la femme, le film de Roger Vadim, marque, en 1956, la première étape de l’émancipation des femmes. Près de 60 ans plus tard, les émissions de téléréalité, qui encouragent le culte des bimbos, sont le signe d’une redoutable régression que nous imposent les ruses esthético-érotiques du nouveau capitalisme marchand.

    Christian Gambotti (Le nouvel Economiste, 3 juillet 2013)

    Note :

    (1) Gilles Lipovetsky, Jean Serroy, L’Esthétisation du Monde, p.11, Gallimard, mars 2013

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  • Les Carnets de guerre d'Ernst Jünger...

    Les éditions Christian Bourgois publient cette semaine les Carnets de guerre 1914-1918 d'Ernst Jünger. Ce sont les notes brutes, prises sur le vif, au front, qui, ont permis à l'auteur d'écrire les chefs d’œuvre que sont Orages d'acier, Le boqueteau 125 ou Feu et sang. Indispensable, évidemment !...

     

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    " Les Carnets de guerre 1914-1918 constituent la face cachée d'Orages d'acier, qui, pour André Gide, était « incontestablement le plus beau livre de guerre » qu'il ait jamais lu. Écrits directement dans le feu de l'action, ces quinze petits carnets d'écolier nous révèlent la matière brute sur laquelle Jünger se livra, une fois la paix revenue, à un savant travail de réécriture.
    Fort peu de témoins sont restés autant d'années que lui en première ligne des combats, sans jamais cesser de prendre des notes d'une acuité stupéfiante. Sept fois blessé, Jünger a pu relater avec une objectivité volontairement glaciale les souffrances du fantassin.
    Ce témoignage sans fard d'un engagé volontaire de dix-neuf ans ne cache rien des horreurs de la guerre. Mais il ne dissimule pas non plus l'enthousiasme de départ, la joie de se battre et le délire meurtrier qui s'empare des hommes au moment de l'assaut. D'où l'incontestable intérêt historique et documentaire de ces carnets qui révèlent également des aspects inconnus de la personnalité complexe d'Ernst Jünger. "

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  • La liberté de s'exprimer et de rire ne se partage pas !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans leque il s'exprime sur l'affaire Dieudonné, le rire et la liberté d'expression ...

    Alain de Benoist vient de publier un essai intitulé Les démons du Bien aux éditions Pierre-Guillaume de Roux.

     

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    La liberté de s'exprimer et de rire ne se partage pas !

    Les médias s’excitent sur le phénomène Dieudonné, l’artiste qui a vendu le plus de billets en 2012. D’ailleurs, est-ce que monsieur M’Bala M’Bala vous fait rire ?

    Parfois, pas toujours. Je dois dire que ma conception de l’humour se situe quelque part entre Buster Keaton et Raymond Devos. Les comédies me font rarement rire, et je déteste Louis de Funès. Le style pamphlétaire me fatigue vite, lui aussi. Cela dit, Dieudonné a du talent. Il n’a pas de mal à surclasser les autres humoristes actuels, qui sont presque tous nuls. Facteur aggravant : il a du succès et ses partisans, qui sont en majorité « hors système », ne sont pas du genre à se laisser intimider.

    Mais savoir ce que l’on pense de Dieudonné est tout à fait secondaire par rapport au projet de Manuel Valls de l’empêcher « dans le cadre de la loi » de s’exprimer. La seule vraie question qui est en cause est évidemment, comme d’habitude, celle de la liberté d’expression. Dans Le Nouvel Observateur, Laurent Joffrin, coutumier du genre, expliquait récemment que la liberté d’expression a des limites. La démocratie ne saurait accepter que s’expriment des opinions antidémocratiques. On pourrait dire aussi que sous le nazisme, toutes les opinions étaient admises à condition de ne pas être antinazies, sous les régimes communistes qu’elles étaient toutes autorisées à condition de ne pas être anticommunistes, etc. De ce point de vue, la démocratie selon Laurent Joffrin ne me paraît pas représenter un grand progrès. Je crois au contraire que la liberté d’expression n’a de sens que pour autant qu’elle est indivisible, et qu’en matière d’opinions, elle ne tolère par principe aucune dérogation. La liberté d’expression – faut-il le rappeler ? – n’a pas pour vocation de protéger les opinions convenables ou consensuelles, et moins encore celles qu’on partage ou qu’on approuve, mais au contraire celles qui nous choquent et que nous trouvons détestables. Voltaire se disait prêt à mourir pour permettre à ses adversaires de s’exprimer. C’est cette phrase qui a inspiré les fondateurs de Boulevard Voltaire (mais visiblement pas les aboyeurs de commentaires).

    Les mêmes médias n’en finissent plus de célébrer le culte de Pierre Desproges et de Coluche, alors que la plupart de leurs sketches seraient aujourd’hui censurés, pour racisme notamment…

    Il ne fait pas de doute que Dieudonné tient souvent des propos qu’on peut considérer comme inacceptables, voire odieux. Ceux qui s’indignent des caricatures de Mahomet les considèrent elles aussi comme inacceptables, voire odieuses. Pour tout un chacun, il y a des choses inacceptables, voire odieuses. Toute la question est de savoir si le fait de blesser gravement les sentiments ou les convictions d’une catégorie de personnes justifie une interdiction. La perception subjective que l’on se fait d’une opinion peut-elle constituer le fondement de la loi ? Si l’on estime que Dieudonné blasphème, ne faut-il pas considérer plutôt que le droit au blasphème ne se partage pas ?

    L’idéologie dominante a su tourner la difficulté grâce à une invention remarquable : pour faire disparaître les opinions détestables (il y en a), il suffit de décréter qu’elles ne sont plus des opinions mais des délits. Il suffisait d’y penser. Mais a-t-on bien mesuré les conséquences ? D’abord, on crée un abominable refoulé, que l’on se condamne à voir exploser un jour ou l’autre sous une forme elle aussi abominable (plus on pourchassera le « sexisme », plus il y aura de femmes battues ; plus on dénoncera « l’homophobie », plus se multiplieront les « ratonnades de pédés »). Serait-ce l’effet recherché par ceux qui sont tentés de « gouverner par le chaos » ? Ensuite, on introduit une distinction désastreuse entre des groupes protégés, bénéficiant grâce à la loi d’une sorte de statut privilégié les immunisant contre les critiques dont ils pourraient faire l’objet, et des groupes non protégés, dès lors fondés à dénoncer cette nouvelle discrimination. Situation malsaine.

    Et toujours la même rengaine : on peut rire de tout, mais pas de n’importe quoi et surtout pas avec n’importe qui. Et surtout, l’esprit de dérision permanente, incarné par les Guignols de l’info – pour ne citer qu’eux –, ne serait-il pas mortifère à long terme, les hommes politiques étant résumés à de simples marionnettes en latex ?

    Le rire implique la connivence et peut avoir un effet cathartique. Je pense que dans une société normale on devrait pouvoir rire de tout, de n’importe quoi et avec n’importe qui. Des mecs et des nanas, des Blacks et des Toubabs, des juifs et des goyim, des homos et des hétéros, des Amerloques et des Ritals, des Boches, des Gaulois et des Espingouins. Pas de discrimination ! Mais bien entendu, nul n’est obligé de trouver ça drôle. L’esprit de dérision auquel vous faites allusion est autre chose. Au-delà de ce qu’elles peuvent dire des hommes politiques actuels, qu’on a d’autant moins envie de défendre qu’ils font eux-mêmes preuve d’une incroyable complaisance envers leurs caricatures, les émissions du type des Guignols de l’info contribuent de manière incontestable à ridiculiser la chose publique, à désacraliser ce qu’il peut rester de sacré dans l’exercice du pouvoir. Certes, les politiciens actuels méritent rarement le respect, mais en les tournant tous en dérision, on décrédibilise aussi les fonctions et les institutions qu’ils représentent. L’esprit de dérision systématique est un poison de la vie sociale. Les « petits malins à qui on ne la fait pas », qui ne sont émus par rien, qui ne respectent rien, pour qui rien ne saurait être noble ou sacré, cachent leur impuissance derrière leur cynisme. Ils avouent par là même qu’ils ne sont pas grand-chose.

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  • Sabandonner à vivre...

    Les éditions Gallimard viennent de publier un nouveau recueil de nouvelles de Sylvain Tesson intitulé S'abandonner à vivre. Géographe, aventurier et journaliste, Sylvain Tesson, bien connu pour ses récits comme L'axe du loup (Robert Lafont, 2004) ou Dans les forêts de Sibérie (Gallimard, 2011), est également un auteur de nouvelles, souvent teintées d'un humour un peu grinçant, comme dans Une vie à coucher dehors(Gallimard, 2010) ou dans Vérification de la porte opposée (Phébus, 2010).

     

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    " Devant les coups du sort il n'y a pas trente choix possibles. Soit on lutte, on se démène et l'on fait comme la guêpe dans un verre de vin. Soit on s'abandonne à vivre. C'est le choix des héros de ces nouvelles. Ils sont marins, amants, guerriers, artistes, pervers ou voyageurs, ils vivent à Paris, Zermatt ou Riga, en Afghanistan, en Yakoutie, au Sahara. Et ils auraient mieux fait de rester au lit."

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  • Michéa face à la stratégie Godwin...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec le philosophe Jean-Claude Michéa, publié dans l'hebdomadaire Marianne (n°871, du 20 décembre 2013 au 3 janvier 2014) et consacré aux attaques par les chiens de garde du système dont il fait l'objet depuis plusieurs mois...

     

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    Michéa face à la stratégie Godwin

    Marianne : Un hebdomadaire faisait sa une, il y a quelques semaines, sur les «néocons», vous bombardant comme l'idéologue le plus emblématique d'une véritable lame de fond identitaire, souverainiste et protectionniste, et amalgamant votre nom à celui de Marine Le Pen, soi-disant admirative de vos écrits. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

    Jean-Claude Michéa : N'exagérons rien ! Le magazine de François Pinault a d'ailleurs bien pris soin - sans doute pour brouiller un peu plus les pistes - d'inclure également, dans sa liste noire des «néoconservateurs à la française», des personnalités telles que Régis Debray, Arnaud Montebourg, Natacha Polony, Benoît Hamon ou Yves Cochet. Liste dont l'absurdité devrait sauter aux yeux puisque la nébuleuse «néoconservatrice», telle qu'elle a pris naissance aux Etats-Unis, est plutôt connue pour son soutien constant aux politiques de Reagan et de Bush père et fils - trois présidents qu'il est difficile de tenir pour de farouches contempteurs du capitalisme ! Naturellement, la pratique qui consiste à inverser délibérément le sens des mots afin de rendre plausibles les amalgames les plus fantaisistes n'a rien de nouveau.

    Clemenceau et Staline avaient ouvert la voie - le premier en forgeant, en 1906, la notion de «complot anarcho-monarchiste» et le second, dans les années 30, celui d'«hitléro-trotskisme». Ce qui est nouveau, en revanche, c'est l'agenda idéologique qui préside à ce type d'amalgame. Au XXe siècle, en effet, les évangélistes du capital se contentaient généralement de dénoncer la «main de Moscou» dans toute critique - fût-elle simplement keynésienne - de l'économie de marché. Or, une telle stratégie est devenue sans objet une fois l'empire soviétique disparu et actée la conversion définitive des gauches occidentales au culte du libéralisme économique et culturel. De ce point de vue, c'est certainement la publication, en 2002, du Rappel à l'ordre, de Daniel Lindenberg (ouvrage qui entendait déjà dresser la liste des «nouveaux réactionnaires»), qui symbolise au mieux la nouvelle donne idéologique. Ce petit livre, écrit à la demande de Pierre Rosanvallon (alors l'un des membres les plus actifs du Siècle, le principal club de rencontre, depuis 1944, de la classe dirigeante française), est en effet le premier à avoir su exposer de manière aussi pédagogique l'idée selon laquelle le refus «d'acquiescer à l'économie de marché» et l'attachement corrélatif aux «images d'Epinal de l'illibéralisme [sic]» constituait le signe irréfutable du retour des «idées de Charles Maurras». C'est, bien sûr, dans le cadre de cette stratégie (que j'appellerais volontiers, en référence au point du même nom, la stratégie Godwin) qu'il faut interpréter la récente initiative du Point (magazine dont la direction compte d'ailleurs dans ses rangs certains des membres les plus éminents du Siècle). Tous ceux qui pensent encore que la logique folle de la croissance illimitée (ou de l'accumulation sans fin du capital) est en train d'épuiser la planète et de détruire le principe même de toute socialité ne devraient donc nourrir aucune illusion. Si, comme Bernard-Henri Lévy en avait jadis exprimé le vœu, le seul «débat de notre temps» doit être «celui du fascisme et de l'antifascisme», c'est bien d'abord au prétexte de leur caractère «conservateur», «réactionnaire» ou «national-nostalgique», que les contestations radicales futures seront de plus en plus diabolisées par les innombrables serviteurs - médiatiques, «cybernautiques» ou mandarinaux - de l'élite au pouvoir.

    De plus en plus de figures de la droite dure, d'Eric Zemmour à Alain de Benoist, le directeur de la revue «pour la civilisation européenne», Eléments, se réclament de vous depuis deux ou trois ans. Comment expliquez-vous cet intérêt, au-delà du simple bénéfice de voir vos écrits désosser idéologiquement la gauche molle ? Cela relève-t-il clairement d'une interprétation abusive de vos thèses ?

    J.-C.M. : Une partie de ce que vous appelez «la droite dure» a effectivement pris l'habitude de placer sa nouvelle critique du libéralisme sous le patronage privilégié de ses anciens ennemis, qu'il s'agisse de Jaurès, de Marx ou de Guy Debord [lire le dossier de décembre de l'excellente revue Fakir, justement intitulé «Quand Marine Le Pen cause comme nous»]. On doit certes s'interroger sur le degré de sincérité de ces hommages récurrents. Mais que cette droite puisse me citer aux côtés de ces grandes figures de la tradition radicale n'a donc, en soi, rien d'illogique. Je serais plus inquiet, en vérité, si ma critique du libéralisme culturel rencontrait l'approbation enthousiaste d'une Laurence Parisot ou d'un Pierre Gattaz. Il s'agit donc seulement de déterminer dans quelle mesure ce nouvel antilibéralisme de droite recoupe, ou non, une partie de la critique socialiste.

    Passons très vite sur le cas des véritables «néoconservateurs à la française», c'est-à-dire cette fraction de la droite classique qui, selon le mot du critique américain Russell Jacoby, «vénère le marché tout en maudissant la culture qu'il engendre». On comprend sans peine que ces «néoconservateurs» puissent apprécier certaines de mes critiques du libéralisme culturel (notamment dans le domaine de l'école). Le problème, c'est que leur vision schizophrénique du monde leur interdit d'utiliser ces critiques de façon cohérente. Si le libéralisme se définit d'abord comme le droit pour chacun de «vivre comme il l'entend» et donc «de produire, de vendre et d'acheter tout ce qui est susceptible d'être produit ou vendu» (Friedrich Hayek), il s'ensuit logiquement que chacun doit être entièrement libre de faire ce qu'il veut de son argent (par exemple, de le placer dans un paradis fiscal ou de spéculer sur les produits alimentaires), de son corps (par exemple, de le prostituer, de le voiler intégralement ou d'en louer temporairement l'usage à un couple stérile), ou de son temps (par exemple, de travailler le dimanche). Faute de saisir cette dialectique permanente du libéralisme économique et du libéralisme culturel, le «néoconservateur à la française» (qu'il lise Valeurs actuelles ou écoute Eric Brunet) est donc semblable à ces adolescents qui sermonnent leur entourage sur la nécessité de préserver la planète mais qui laissent derrière eux toutes les lumières allumées (analyse qui vaut, bien sûr, pour tous ceux, à gauche, qui vénèrent le libéralisme culturel, tout en prétendant maudire ses fondements marchands).

    Tout autre est la critique du libéralisme par les héritiers modernes de l'extrême droite du XIXe siècle. Sous ce dernier nom, j'entends à la fois les ultras qui rêvaient de restaurer l'Ancien Régime et les partisans de ce «socialisme national» - né des effets croisés de la défaite de Sedan et de l'écrasement de la Commune - qui, dès qu'il rencontre les conditions historiques de ce que George Mosse nommait la «brutalisation», risque toujours de basculer dans le «national-socialisme» et le «fascisme». Or, ici, l'horreur absolue que doivent susciter les crimes abominables accomplis au nom de ces deux dernières doctrines a conduit à oublier un fait majeur de l'histoire des idées. Oubli dont les moines soldats du libéralisme tirent aujourd'hui le plus grand bénéfice. C'est le fait que les fondateurs du socialisme partageaient consciemment avec les différentes droites antilibérales du temps un postulat anthropologique commun. Celui selon lequel l'être humain n'est pas, comme l'exigeait le libéralisme des Lumières, un individu «indépendant par nature» et guidé par son seul «intérêt souverain», mais, au contraire, un «animal politique» dont l'essence ne peut se déployer que dans le cadre toujours déjà donné d'une communauté historique. Bien entendu, en dehors de ce refus partagé des «robinsonnades» libérales (le mot est de Marx), tout, ou presque, séparait l'idéal socialiste d'une société sans classe dans laquelle - selon le vœu de Proudhon - «la liberté de chacun rencontrera dans la liberté d'autrui non plus une limite mais un auxiliaire», des conceptions alors défendues par la droite monarchiste et le «socialisme national». La première, parce que son intérêt proclamé pour les anciennes solidarités communautaires masquait d'abord son désir d'en conserver les seules formes hiérarchiques (le «principe d'autorité» de Proudhon). Le second, parce qu'en dissolvant tout sentiment d'appartenance à une histoire commune dans sa froide contrefaçon «nationaliste» il conduisait à sacrifier l'idéal d'autonomie ouvrière sur l'autel ambigu de l'«union sacrée». Comme si, en d'autres termes, un métallurgiste lorrain ou un pêcheur breton avaient plus de points communs avec un riche banquier parisien qu'avec leurs propres homologues grecs ou anglais.

    Pensez-vous que la réconciliation de la gauche moderne avec les dogmes de l'anthropologie libérale soit irréversible ?

    J.-C.M. : Ce sont hélas eux qui expliquent qu'on ne puisse trouver beaucoup d'esprits, à gauche, encore capables de critiquer - comme jadis Engels - la dynamique aveugle qui conduit peu à peu le marché capitaliste à «désagréger l'humanité en monades dont chacune a un principe de vie particulier et une fin particulière» (ou - version saint-simonienne - à transformer la société en «une agrégation d'individus sans liens, sans relations et n'ayant pour mobiles que l'impulsion de l'égoïsme»). Et qui expliquent donc aussi pourquoi, de nos jours, ce sont des intellectuels issus de la droite anticapitaliste qui parviennent le plus souvent (sous des formes, on s'en doute, souvent très ambiguës et parfois même ouvertement antisémites) à proposer - à l'image, effectivement, d'un Alain de Benoist - certaines des critiques les plus lucides de l'individualisme libéral, de ses fondements anthropologiques et de ses conséquences morales et culturelles désastreuses sur la vie quotidienne des gens ordinaires. Critiques qui constituaient, il y a trente ans encore, l'un des axes majeurs des contestations radicales du capitalisme mais qui ont aujourd'hui presque entièrement disparu du discours de la gauche.

    Cette situation paradoxale - qui n'est, encore une fois, que la contrepartie logique de la conversion de la gauche à l'idée que le capitalisme est «l'horizon indépassable de notre temps» - n'a évidemment rien pour enthousiasmer les partisans d'une sortie aussi «civilisée» que possible du système capitaliste. Elle risque même de conférer une apparence de sérieux à cette stratégie Godwin qui est devenue l'idéologie du Siècle. Car, si le vide idéologique créé par les renoncements successifs de la gauche ne devait plus être rempli que par les seuls penseurs issus de la droite radicale (quels que soient leurs mérites individuels), ce serait, en effet, un jeu d'enfant pour les Godwin boys de convaincre les nouvelles générations (déjà privées par les réformes libérales de l'école de toute culture historique un peu solide) que ce qui constituait jadis l'essence même du socialisme ouvrier ne représente, en fait, qu'une idéologie «nauséabonde» et «réactionnaire». Il suffirait, en somme, de marteler avec encore un peu plus d'aplomb que toute volonté de protéger les peuples de la folie du capitalisme globalisé ne peut être, par essence, que «barrésienne, avec juste ce qu'il faut de xénophobie» (Pascal Lamy, dans le Point du 19 janvier 2012). Dans cette hypothèse glaçante, les ultimes héritiers de la tradition révolutionnaire devraient donc apprendre très vite à vivre sous les lois d'un monde paradoxal (mais dont Orwell, avec sa double intuition d'une «novlangue» et d'une «police de la pensée», avait su anticiper le principe). Celui où, d'un côté, et pour la première fois dans l'histoire moderne, toute opposition officielle à la dynamique aveugle du capital aurait définitivement disparu, mais dans lequel, simultanément, les nuisances de cette dynamique seraient devenues plus manifestes que jamais. Sombre hypothèse, assurément. Mais qui a prétendu que la révolution serait un dîner de gala ?

    Jean-Claude Michéa, propos recueillis par Aude Lancelin (Marianne, 4 janvier 2013)

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