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  • Metropolis...

    Les éditions Delcourt viennent de publier Metropolis, un bande-dessinée scénarisée par Serge Lehman, dessinée par Stéphane de Caneva et colorisée par Dimitris Martinos. Auteur de science-fiction, et notamment de la superbe série Faust, spécialiste du roman d'anticipation européen de la première moitié du XXe siècle, Serge Lehman s'est tournée avec brio vers le scénario de bande-dessinée et on lui doit, en particulier, La Brigade chimérique, une fascinante « plongée archéologique au cœur de l’imaginaire mutilé de l’Europe ».

     

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    " Printemps 1935. L'Europe est en paix depuis trois quarts de siècle. Metropolis en est la capitale politique. Elle est née dans l'Interland franco-allemand suite à la réconciliation des deux pays en 1912. La Belle Epoque n'a jamais pris fin. L'optimisme scientiste et la puissance impériale assurent la prospérité du continent, et, déjà, la conquête de l'espace se prépare sous les auspices d'Albert Einstein.

    Metropolis est la capitale de tous les excès, de tous les délires urbanistiques. Un carrefour de tous les mouvements politiques et artistiques, mais aussi un centre névralgique de l'espionnage et des coups tordus. Pour le jeune inspecteur Gabriel Faune, l'avenir est incertain. Car dans les profondeurs de la ville rôde un tueur introuvable, un démon peut-être porteur d'une autre histoire. "

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  • Logique hygiéniste et État maternel...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque l'empire du Bien et son idéologie...

     

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    Gare à la logique hygiéniste imposée par l’État maternel thérapeutique !

    Vous venez de publier aux Éditions Pierre-Guillaume de Roux « Les démons du bien » , essai dont la première partie se veut une critique radicale de la tyrannie des bons sentiments. A quoi attribuez-vous l’émergence de ce néo-cléricalisme ?

    À l’esprit du temps. Mais l’esprit du temps n’est jamais que la résultante d’une tendance de fond. À partir du XVIIIe siècle, la montée sociale de la classe bourgeoise a simultanément marginalisé les valeurs aristocratiques et les valeurs populaires, en les remplaçant par ce que Tocqueville appelait les passions « débilitantes » : utilitarisme, narcissisme et triomphe de l’esprit de calcul. La vogue de l’idéologie des droits de l’homme a, de son côté, permis à l’égoïsme de se draper dans un discours « humanitaire » dont la niaiserie est le trait dominant. L’accélération sociale et la montée de l’insignifiance ont fait le reste.

    L’un des traits caractéristiques de « l’empire du bien » est cet envahissement du champ politique par le lacrymal et le compassionnel qui fait qu’à la moindre catastrophe ayant une portée médiatique, les ministres se précipitent désormais pour exprimer leur « émotion ». C’est également révélateur de la submersion de la sphère publique par le privé. La vie politique bascule du côté d’une « société civile » appelée à participer à la « gouvernance » par des « demandes citoyennes » qui n’ont plus le moindre rapport avec l’exercice politique de la citoyenneté. Il est désormais beaucoup mieux vu (et aussi plus rentable) d’être une victime qu’un héros.

    Parallèlement, la marchandisation de la santé va de pair avec la médicalisation de l’existence, c’est-à-dire avec un hygiénisme dogmatique qui se traduit par une surveillance toujours plus grande des modes de vie. Elle prescrit socialement des conduites normalisées, cherchant ainsi à domestiquer toutes les façons d’être qui se dérobent aux impératifs de surveillance, de transparence et de rationalité. On assiste à l’instrumentalisation de la vie humaine au travers d’une logique hygiéniste imposée par l’État maternel thérapeutique.

    L’évolution du langage est également significative. On préfère parler désormais de « fractures sociales » – aussi accidentelles en somme que les fractures du tibia – que de véritables conflits sociaux. Il n’y a plus d’exploités, dont l’aliénation renvoie directement au système capitaliste, mais des « déshérités », des « exclus », des « défavorisés », des « plus démunis », tous également victimes de « handicaps » ou de « discriminations ». La notion de « lutte contre-toutes-les-discriminations » a d’ailleurs elle-même remplacé celle de « lutte contre les inégalités », qui évoquait encore la lutte des classes. Dans 1984, George Orwell expliquait très bien que le but de la « novlangue » est « de restreindre les limites de la pensée » : « À la fin, nous rendrons impossible le crime par la pensée, car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. » Le politiquement correct fonctionne comme la « novlangue » orwellienne. L’usage de mots détournés de leur sens, de termes dévoyés, de néologismes biaisés ressortit de la plus classique des techniques d’ahurissement. Pour désarmer la pensée critique, il faut sidérer les consciences et ahurir les esprits.

    Les médias ne cessent de dénoncer la menace de l’« ordre moral », tout en nous faisant en permanence la morale. Paradoxe ?

    C’est tout simplement qu’une morale en a remplacé une autre. L’ancienne morale prescrivait des règles individuelles de comportement : la société était censée se porter mieux si les individus qui la composaient agissaient bien. La nouvelle morale veut moraliser la société elle-même. L’ancienne morale disait aux gens ce qu’ils devaient faire, la nouvelle morale décrit ce que la société doit devenir. Ce ne sont plus les individus qui doivent se conduire de façon droite, mais la société qui doit être rendue plus « juste ». L’ancienne morale était ordonnée au bien, tandis que la nouvelle est ordonnée au juste. Alors même qu’elles prétendent rester « neutres » quant au choix des valeurs, c’est à cette nouvelle morale, fondée sur le devoir-être (le monde doit devenir autre chose que ce qu’il a été jusqu’ici), qu’adhèrent les sociétés modernes. Nietzsche aurait parlé de « moraline ».

    L’essentiel de votre livre porte sur la théorie du genre, dont tout le monde parle en ce moment. Vous avez été l’un des premiers intellectuels à en faire une critique argumentée. Une fois de plus, à quoi attribuer ce phénomène venu des USA ? Et d’abord, de quoi s’agit-il exactement ?

    La théorie du genre est une théorie qui prétend déconnecter radicalement l’identité sexuelle du sexe biologique. Le sexe, remplacé par le « genre » (gender), serait une pure construction sociale. Cette théorie repose sur un postulat de « neutralité » de l’appartenance sexuelle à la naissance : il suffirait d’élever un garçon comme une fille pour en faire une femme, ou d’élever une fille comme un garçon pour en faire un homme. Ceux qui sont d’un avis différent sont accusés de propager des « stéréotypes » (on oublie qu’un stéréotype n’est jamais qu’une vérité empirique abusivement généralisée). Cette théorie a pour effet de confondre les deux sexes et de rendre plus difficile à chacun d’eux d’assumer son identité.

    La théorie du genre est en fait insoutenable. Non seulement son postulat d’une « neutralité sexuelle » originelle ne correspond pas à la réalité, mais on constate que l’appartenance sexuée favorise dès la plus petite enfance, avant tout conditionnement, des comportements spécifiques à chaque sexe. Cela ne signifie pas que les constructions sociales ne jouent aucun rôle dans la définition de l’identité sexuelle, mais que ces constructions sociales se développent toujours à partir d’une base anatomique et physiologique. La théorie du genre confond par ailleurs le sexe biologique, le genre (masculin ou féminin), l’orientation sexuelle et ce qu’on pourrait appeler le sexe psychologique (le fait qu’un certain nombre de femmes ont des traits de caractère masculins, et un certain nombre d’hommes des traits de caractère féminins). Reposant sur l’idée qu’on peut se créer soi-même à partir de rien, elle relève en fin de compte d’un simple fantasme d’auto-engendrement. Il faut pourtant la prendre très au sérieux. Dans les années qui viennent, c’est en référence à elle que l’on va voir se multiplier à l’infini les accusations de « sexisme ».

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 13 janvier 2014)

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  • Dans les tempêtes du siècle...

    Julien Hervier publie cette semaine aux éditions Fayard Ernst Jünger - Dans les tempêtes du siècle, une biographie de l'auteur d'Orages d'acier. Spécialiste de l’œuvre de Jünger et de celle de Drieu la Rochelle, auteurs auxquels il a consacré sa thèse, Deux individus contre l'histoire - Pierre Drieu la Rochelle, Ernst Jünger (Eurédit, 2010), Julien Hervier est également devenu le principal traducteur du grand auteur allemand et a dirigé l'édition dans la pléiade, en 2008, de ses Journaux de guerre.

     

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    " Témoin exceptionnel du XXe siècle, mort à cent deux ans, Ernst Jünger a vécu en Allemagne sous quatre régimes politiques et participé à deux conflits mondiaux. Héros de la Grande Guerre, d’un nationalisme agressif après la défaite allemande à laquelle il ne se résigne pas, il fait l’éloge du progrès technique et de la mobilisation totale dans les années trente ; mais il refuse sans ambiguïté les avances du régime nazi, avant d’adopter dans la seconde moitié de sa vie une position écologique aussi radicale qu’indifférente aux clivages politiques. Passionnément controversé en Allemagne où il a autant d’adversaires résolus que de partisans enthousiastes, il ne saurait laisser personne indifférent.
    Avant tout, il est dominé par sa passion de la langue ; depuis ses premiers balbutiements littéraires en 1909, il n’a jamais cessé d’écrire, jusqu’aux dernières lignes de son journal en 1996. Grand lecteur de Bloy, de Malraux et de tant d’autres, il a suscité l’admiration de Gide ou de Borges, croisé Braque et Picasso, et incarné la réconciliation franco-allemande aux côtés de Kohl et de Mitterrand. La biographie de Julien Hervier est la première à répondre avec une précision éclairante à la curiosité qu’il suscite auprès du public français. "

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  • La guerre civile froide ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jacques Sapir, cueilli sur son blog RussEurope et consacré à l'ambiance d'avant-guerre civile qui règne en France en ce début d'année.

     

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    La guerre civile froide ?

    Les dernières péripéties, pour ne pas dire les galipettes, de François Hollande ont eu tendance à masquer un instant le sérieux de la situation dans le pays en ce début d’année. Il est vrai que notre Président casqué se rendant à la nuit dans le lit de sa blonde rejoue, mais sur le mode dérisoire et un peu ridicule, les grands mythes de l’Antiquité. Le fait que ce lit soit dans un appartement d’une personne liée au gang de la Brise de Mer ajoute ici ce qu’il faut de sordide à la parodie. L’important n’est cependant pas là ; mais l’important existe bien.

    On peut se demander si, en France, nous ne vivons pas actuellement les prémices d’une guerre civile. Cette question, en apparence absurde, mérite cependant d’être posée à la vue des événements que l’on a connus ces dernières années. Dans une note datant de l’automne 2012, j’évoquais la possibilité de la crise de légitimité du pouvoir. Nous y sommes désormais. L’année 2014 risque fort d’être marquée par une accumulation de mouvement sociaux dont la convergence mettrait directement en cause le pouvoir. Or, la crise de légitimité a ceci de particulier qu’elle pose directement la question non pas de la politique suivie, que l’on peut en fonction de ces opinions considérer comme bonne ou mauvaise, mais du fait que le pouvoir soit habilité à mener une politique. C’est pourquoi il faut s’attendre à ce que la contestation du pouvoir puisse prendre un tour violent dans le cours de cette année.

    En fait, l’exercice du pouvoir, la Potestas, dépend de sa légitimité que lui confère l’Auctoritas. Ces notions, habituelles sous la plume des juristes d’inspiration chrétienne, ne sont pourtant nullement liées obligatoirement à cette sphère. On comprend bien, même intuitivement, la nécessité de séparer la capacité à exercer un pouvoir politique de la légitimité, ou de la justesse, qu’il y a à le faire. Il n’est donc pas nécessaire d’être chrétien, ni même de croire en Dieu, pour remarquer la pertinence de la distinction entre Auctoritas et Potestas.

    Cette question est d’habitude passée sous silence, parce que nul ne conteste la légitimité du pouvoir, surtout d’un pouvoir issu d’institutions qui sont en théorie démocratiques. Mais, force et de constater que l’opposition au pouvoir, qu’elle vienne de la droite ou de la gauche, est désormais moins une opposition à ce que fait ce pouvoir qu’un opposition à sa capacité même à faire.

    La violence politique, fille de l’illégitimité

    La vie politique française est en effet marquée depuis quelques années par une incontestable montée du niveau des affrontements, qu’ils soient verbaux, symboliques, et parfois même physiques. Nous vivons, en réalité, l’équivalent des prémices d’une guerre civile « froide », qui menace à chaque instant de se réchauffer. L’ex-Président, Nicolas Sarkozy, en a fait l’expérience durant son mandat, et en particulier à partir de 2009-2010. Il fut l’objet d’attaques dont le caractère haineux ne fait aucun doute, et qui provenaient – ce fait est à noter – tant de la gauche, ce qui peut être compréhensible, que de la droite. On a mis ces attaques sur le compte du « style » imposé par ce Président, dont les dérapages verbaux et les outrances étaient légions, et qui tendait à ramener toute action, et donc tout mécontentement, à lui seul. Ce n’était pas pour rien que l’on parlait d’un « hyper-président », rejetant – au mépris de la constitution – son Premier ministre dans l’ombre. Cependant, l’élection de son successeur, François Hollande, se présentant comme un Président « normal », n’a rien changé à cette situation. On peut, par ailleurs, s’interroger sur le qualificatif de « normal » accolé à Président. La fonction présidentielle est tout sauf « normale ». Que le style de l’homme puisse se vouloir « modeste » est plausible, surtout après les outrances, et les Fouquet’s et Rolex de son prédécesseur. Mais il faut bien constater que rien n’y fit. L’opinion, jamais charmée par l’homme qui dès son élection n’a pas eu « d’état de grâce » comme les autres Présidents, s’en est rapidement détournée. Le voici au plus bas des sondages, voué aux gémonies sans avoir jamais été encensé. Tout est prétexte, à tort ou à raison, à reproches et critiques. Il se voit désormais contester par certains la possibilité même de gouverner. Comme son prédécesseur, il fait l’objet de critiques dévastatrices parfois même dans son propre camp politique qui vont bien au-delà de sa simple personne. Les mouvements sociaux, qui sont naturels dans un pays et dans une société qui sont naturellement divisés, prennent désormais des dimensions de plus en plus violentes et radicales. Après la « manif pour tous », voici les « bonnets rouges ».

    On a dit, et ce n’est point faux, que la présence de la crise, la plus significative que le capitalisme ait connu depuis les années 1930, expliquait cette tension. Mais, même si cette crise est exemplaire, le pays en a connu d’autres depuis les années 1980. Il faudrait, pour retrouver ce même état de tension, revenir à la fin des années 1950 et à la guerre d’Algérie. Mais l’on sait, aussi, que la IVème République était devenue largement illégitime. De même, on explique souvent, et pas à tort, qu’Internet est devenu un lieu ambigu, entre espace privé et espace publique, qui est particulièrement propice à la libération d’une parole autrement et autrefois réprimée. Cette explication, même si elle contient sa part de vérité, ne tient pourtant pas face à la spécificité de la crise française. En effet, les effets d’Internet sont les mêmes dans tous les pays développés. Or, du point de vue de la violence politique, pour l’instant essentiellement symbolique, mais dont on pressent qu’elle pourrait se développer en une violence réelle, il y a bien une différence entre la France et ses voisins. Il faut donc aller chercher plus en amont les sources de cette radicalisation et surtout voir qu’au-delà de l’homme (ou des hommes) – aussi ridicule voire haïssable qu’il puisse être – elle touche à la fonction et au système politique dans son entier. Nous vivons, en réalité, une crise de légitimité.

    Cette crise se manifeste dans le fait que l’on conteste non plus la politique menée, ce qui est normal en démocratie, mais l’exercice même de la politique tant par l’UMP que par le PS. Désormais la distinction, largement factice la plupart du temps, entre le pouvoir et le pays réel, devient une réalité. Cette opposition n’est pas sans rappeler celle entre « eux » et « nous » (Oni et Nachi) qui était de mise dans les régimes soviétiques lorsque le système a commencé à se bloquer. Toute personne qui a travaillé sur les dernières années du système soviétique, tant en URSS que dans les pays européens, ne peut qu’être sensible à cette comparaison. La perte de légitimité était, là, liée à la combinaison de problèmes économiques (la « stagnation ») et politiques, dont l’origine vient de l’écrasement du réformisme soviétique à Prague en août 1968.

    En France, cette perte de légitimité du système politique et du pouvoir, dont nous voyons les effets se déployer de manière toujours plus désastreuse devant nos yeux, a une cause et un nom : le référendum de 2005 sur le projet de constitution européenne. Les référendums sur l’Europe ont toujours été des moments forts. Contrairement à celui sur le traité de Maastricht, où le « oui » ne l’avait emporté que d’une courte tête, le « non » fut largement majoritaire en 2005 avec 55% des suffrages. Pourtant, ce vote fut immédiatement bafoué lors du Traité de Lisbonne, signé en décembre 2007 et ratifié par le Congrès (l’union de l’Assemblée nationale et du Sénat) en février 2008. De ce déni de démocratie, qui ouvre symboliquement la Présidence de Nicolas Sarkozy, date le début de la dérive politique dont nous constatons maintenant la plénitude des effets. La démocratie dite « apaisée », dont Jacques Chirac et Lionel Jospin se voulaient être les hérauts, est morte. Nous sommes entrés, que nous en ayons conscience ou pas, dans une guerre civile « froide ».

    La souveraineté, la légitimité et la légalité

    Ce déni a réactivé un débat fondamental : celui qui porte sur les empiètements constants à la souveraineté de la Nation et par là à la réalité de l’État. Ces empiètements ne datent pas de 2005 ou de 2007 ; ils ont commencé dès le traité de Maastricht. Mais, le déni de démocratie qui a suivi le referendum de 2005 a rendu la population française plus réceptive à ces questions. Ceci est aussi dû à l’histoire politique particulière de notre pays. La construction de la France en État-Nation est un processus qui remonte en fait au tout début du XIIIème siècle, voire plus loin. On peut prendre comme événement fondateur la bataille de Bouvines (27 juillet 1214), qui a marqué le triomphe d’un roi « empereur en son royaume » face à ces ennemis, les  trois plus puissants princes d’Europe (Othon IV de Brunswick, Jean Sans Terre et Ferrand de Portugal). La culture politique française a intégré ce fait, et identifie le peuple et son État. Plus précisément, le processus historique de construction de la souveraineté de la Nation française n’a été que l’autre face du processus de construction de la communauté politique (et non ethnique ou religieuse) qu’est le peuple français1 . À cet égard, il faut comprendre à la fois la nécessité d’une Histoire Nationale, fondatrice de légitimité pour tous les pays, et le glissement, voire la « trahison » de cette histoire en un roman national. Suivant les cas, et les auteurs, ce « roman », qui toujours trahit peu ou prou l’histoire, peut prendre la forme d’un mensonge (du fait des libertés prises par ignorance ou en connaissance de cause avec la réalité historique). Mais ce mensonge est nécessaire et parfois il est même salvateur en ceci qu’il construit des mythes qui sont eux-mêmes nécessaires au fonctionnement de la communauté politique. Toute communauté politique a besoin de mythes, mais la nature de ces derniers nous renseigne sur celle de cette communauté.

    La souveraineté est indispensable à la constitution de la légitimité, et cette dernière nécessaire pour que la légalité ne soit pas le voile du droit sur l’oppression. De ce point de vue il y a un désaccord fondamental entre la vision engendrée par les institutions européennes d’une légalité se définissant par elle-même, sans référence avec la légitimité, et la vision traditionnelle qui fait de la légalité la fille de la légitimité. Cette vision des institutions européennes aboutit à la neutralisation de la question de la souveraineté. On comprend le mécanisme. Si le légal peut se dire juste par lui-même, sans qu’il y ait besoin d’une instance capable de produire le juste avant le légal, alors on peut se débarrasser de la souveraineté2. Mais, sauf à proclamer que le législateur est omniscient et parfaitement informé, comment prétendre que la loi sera toujours « juste » et adaptée ? Ceci est, par ailleurs le strict symétrique de la pensée néoclassique en économie qui a besoin, pour fonctionner et produire le néo-libéralisme, de la double hypothèse de l’omniscience et de la parfaite information3. La tentative de négation si ce n’est de la souveraineté du moins de sa possibilité d’exercice est un point constant des juristes de l’Union Européenne. Mais ceci produit des effets ravageurs dans le cas français.

    La question de l’identité

    Dès lors, une remise en cause de la souveraineté française prend la dimension d’une crise identitaire profonde mais largement implicite, pour une majorité de français. Dans cette crise, les agissements des groupuscules « identitaires » ne sont que l’écume des flots. Les radicalisations, qu’elles soient religieuses ou racistes, qui peuvent être le fait de certains de ces groupuscules, restent largement minoritaires. Les Français ne sont pas plus racistes (et plutôt moins en fait…) que leurs voisins, et nous restons un peuple très éloigné des dérives sectaires religieuses que l’on connaît, par exemple aux États-Unis.

    Mais, le sentiment d’être attaqué dans l’identité politique de ce qui fait de nous des « Français » est un sentiment désormais largement partagé. La perte de légitimité de ceux qui exercent le pouvoir, qu’ils soient de droite ou de gauche, peut se lire comme un effet direct de l’affaiblissement de l’État qui découle de la perte d’une partie de sa souveraineté. On mesure alors très bien ce que la légitimité doit à la souveraineté. Non que l’illégitimité soit toujours liée à la perte de souveraineté. Des pouvoirs souverains peuvent s’avérer illégitimes. Mais parce qu’un pouvoir ayant perdu sa souveraineté est toujours illégitime. Or, la légitimité commande la légalité. On voit ici précisément l’impasse du légalisme comme doctrine. Pour que toute mesure prise, dans le cadre des lois et des décrets, puisse être considérée comme « juste » à priori, il faudrait supposer que les législateurs sont à la fois parfaits (ils ne commettent pas d’erreurs) et omniscients (ils ont une connaissance qui est parfaite du futur). On mesure immédiatement l’impossibilité de ces hypothèses.

    Pourtant, considérer que le « juste » fonde le « légal » impose que ce « légal » ne puisse se définir de manière autoréférentielle. Tel a d’ailleurs été le jugement de la cour constitutionnelle allemande, qui a été très clair dans son arrêt du 30 juin 2009. Dans ce dernier, constatant l’inexistence d’un « peuple européen », la cour arrêtait que le droit national primait, en dernière instance, sur le droit communautaire sur les questions budgétaires. Il est important de comprendre que, pour la cour de Karlsruhe, l’UE reste une organisation internationale dont l’ordre est dérivé, car les États demeurent les maîtres des traités4, étant les seuls à avoir un réel fondement démocratique. Or, les États sont aujourd’hui, et pour longtemps encore, des États-Nations. C’est la souveraineté qu’ils ont acquise qui leur donne ce pouvoir de « dire le juste ». Bien sûr, un État souverain peut être « injuste », ou en d’autres termes illégitime. Mais un État qui ne serait plus pleinement souverain ne peut produire le « juste ». De ce point de vue, la souveraineté fonde la légitimité même si cette dernière ne s’y réduit pas.

    Ceci permet de comprendre pourquoi il faudra revenir sur ces trois notions, Souveraineté, Légitimité et Légalité, à la fois du point de vue de leurs conséquences sur la société mais aussi de leur hiérarchisation. Ces trois notions permettent de penser un Ordre Démocratique, qui s’oppose à la fois à l’ordre centralisé des sociétés autoritaires et à l’ordre spontané de la société de marché. Il peut d’ailleurs y avoir une hybridation entre des deux ordres, quand l’ordre planifié vient organiser de manière coercitive et non démocratique le cadre dans lequel l’ordre spontané va ensuite jouer. C’est d’ailleurs très souvent le cas dans la construction de l’Union européenne dont la légalité est de plus en plus autoréférentielle. La notion d’Ordre Démocratique assise sur la hiérarchisation des Souveraineté, Légitimité et Légalité aboutit à une critique profonde et radicale des institutions européennes. Mais le problème ne s’arrête pas là. En effet, il nous faut aussi penser ces trois notions hors de toute transcendance et de toute aporie religieuse, car la société française, comme toutes les sociétés modernes, est une société hétérogène du point de vue des croyances religieuses et des valeurs. C’est pourquoi, d’ailleurs, la « chose commune », la Res Publica, est profondément liée à l’idée de laïcité, comprise non comme persécution du fait religieux mais comme cantonnement de ce dernier à la sphère privée. Voici qui permet de remettre à sa juste place le débat sur la laïcité. Cela veut aussi dire que la séparation entre sphère privée et sphère publique doit être perçue comme constitutive de la démocratie, et indique tous les dangers qu’il y a à vouloir faire disparaître cette séparation. Mais, parce qu’il a renié les principes de cette dernière, parce qu’il vit en réalité dans l’idéologie du post-démocratique, notre Président est bien le dernier qui ait le droit de s’en offusquer.

    Jacques Sapir (RussEurope, 12 janvier 2014)

     

    Notes :

    1. On se reportera ici au livre de Claude Gauvart, Histoire Personnelle de la France – Volume 2 Le temps des Capétiens, PUF, Paris, 2013. []
    2. Maccormick, Neil, Questioning Sovereignty, Oxford, Oxford University Press, 1999 []
    3. Sapir, Jacques, Les trous noirs de la science économique, Paris, Albin Michel, 2000. []
    4. M-L Basilien-Gainche, L’Allemagne et l’Europe. Remarques sur la décision de la Cour Constitutionnelle fédérale relative au Traité de Lisbonne, CERI-CNRS, novembre 2009, http://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/art_mbg.pdf []
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  • La gauche et ses mystères...

    Les éditions Flammarion viennent de rééditer, dans leur collection de poche Champs, Les mystères de la gauche, le dernier essai de Jean-Claude Michéa. Nous reproduisons ci-dessous la recension qu'en avait fait Alain de Benoist dans la revue Éléments.

     

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    Vers un nouveau bloc historique

    Dans ce nouveau livre, dont chaque page serait à citer, Jean-Claude Michéa approfondit le sillon creusé avec Le complexe d'Orphée (2011). Il rappelle que la « gauche» moderne est née, au moment de l'affaire Dreyfus, d'un compromis tactique entre l'aspiration ouvrière à la justice sociale et l'idéologie bourgeoise du progrès illimité. Cette fusion contre-nature ne pouvait qu'être provisoire, car le socialisme, s'il rejette assurément les institutions d'Ancien Régime, n'implique nullement le refus d'un modèle de vie communautaire hérité du passé, et moins encore celui de l'idée que la capacité de l'homme à agir indépendamment de ses seuls intérêts égoïstes est le fondement de toute attitude honorable. Aujourd'hui totalement coupée du peuple et convertie au modèle du marché, la «gauche» reconnaît implicitement dans le capitalisme le meilleur moyen de « progresser» dans la fuite en avant vers l'éradication du passé, le déracinement intégral, la suppression des frontières et la suraccumulation des profits. Son libéralisme « sociétal» (le « pourtoussisme») rejoint alors tout naturellement le libéralisme économique d'une« droite» acquise à l'individualisme rapace - Caroline Fourest pourrait épouser Laurence Parisot! -, l'un et l'autre dérivant d'une même pulsion, aujourd'hui mise au service de la construction d'une Europe procédurière et marchande. Le « nom de gauche», dit Michéa, est devenu «inutilement diviseur». Le clivage droite-gauche n'a dès lors plus lieu d'être. Il n'est plus qu'imposture et mystification, ainsi que Cornelius Castoriadis l'avait déjà constaté il y a plus d'un quart de siècle.

    Le caractère révolutionnaire de la Forme-Capital s'opposant au goût de la « décence commune» du socialisme véritable, la coupure essentielle ne passe plus entre la droite et la gauche, mais entre une oligarchie qui aspire à l'« atomisation du monde» (Engels) et les classes populaires de toutes origines. Signe avant-coureur d'un nouveau bloc historique? Intelligent et lucide, perspicace et exaltant.

    Alain de Benoist (Éléments n°147, avril - juin 2013)

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  • De quoi la haine contre Dieudonné est-elle le nom ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue de Pierre Le Vigan, cueilli sur Voxnr et consacré à l'affaire Dieudonné...

     

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    La haine contre Dieudonné. De quoi est-elle le nom ?

    Pour Bertrand Delanoé, c’est un « criminel », pour le patron de L’Express, il faut « l’éradiquer ». C’est une sorte de virus, il relève de l’hygiène sociale. Il faut en tout cas interdire ses tournées, lui faire rendre gorge de ses dettes fiscales (on ne passe pas l’éponge comme pour L’Huma !). On est proche de l’appel au lynchage (il est vrai qu’il a le profil idéal). Il ne s’agit évidemment pas de Bertrand Cantat, mais de Dieudonné.

    Ses spectacles sont pourtant privés (il sera même privé de spectacles bientôt…), il ne vit pas de subventions publiques, les murs du métro ne sont pas inondés d’affiches vantant ses sketches. Ses vidéos ne sont accessibles qu’à ceux qui les cherchent. Bref, on peut apprécier ou pas l’humour de Dieudonné, y mettre des guillemets, voire trouver ses spectacles du plus mauvais goût (on peut même s’en contrefiche !) mais si le mauvais goût devient un critère, que penser de la diffusion de nombre de clips de rap ou de pseudo-comiques sur les chaines publiques. Et Philippe Val, et Nicolas Bedos c’est le bon goût pour tous ?

    Le fond des choses c’est que l’humour a toujours quelque chose à voir avec la critique sociale. Par définition, l’humour ne peut pas faire l’unanimité. "Dieudo" fait dans l’« hénaurme », le provoquant et le transgressif. Et alors ? Il n’a tué personne. Ce n’est pas Breivik, Youssouf Fofana, Mohammed Merah.

    De quoi la haine contre Dieudonné est-elle le nom ? De l’imposture de nos gouvernants. Car le monstrueux Fofana, de quoi était-il le fruit ? Du nihilisme de notre civilisation, du cynisme immigrationniste de nos dirigeants, de l’idéologie de l’argent-roi qu’ils ont tant contribué à répandre. Et l’atroce Merah, qui a tué des soldats français et des enfants français juifs ? Venait-il des « réseaux Dieudonné » ? Non. Il est le fruit de la politique de l’Occident. Il est le fruit du jeu américain en Afghanistan contre les Russes, puis des deux guerres contre l’Irak, puis de l’intervention française en Libye qui a fait sauter Kadhafi, barrière contre le terrorisme d’Al-Qaïda, il est le fruit de notre action belliciste visant à alimenter la guerre civile en Syrie, il est le fruit de notre destruction des frontières et des identités. Et les jeunes dépouillant morts et blessés à Brétigny sur Orge lors de l’accident ferroviaire ? Ils étaient inspirés par Dieudonné ? Non, là aussi, ils étaient le fruit de notre nihilisme, de l’inconscience de nos gouvernants, de leur court-termisme, de leur mépris de ce que, quand on bouscule l’équilibre toujours fragile des civilisations, on déclenche des catastrophes en chaîne.

    L’ « affaire » Dieudonné relève d’une stratégie de nos gouvernants : banaliser la vraie violence en créant un écran de fumée. Un de plus.

    Pierre Le Vigan (Voxnr, 11 janvier 2014)

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