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  • Le capitalisme à l'agonie...

    Anthropologue et économiste, Paul Jorion avait prévu dès 2004 la crise des subprimes dans son livre, refusé par plusieurs éditeurs, Vers la crise du capitalisme américain (La Découverte, 2007). Il publie cette semaine aux éditions Fayard, Le capitalisme à l'agonie. On peut suivre les travaux de cet auteur sur son blog.

     

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    "À la chute du mur de Berlin en 1989, le capitalisme triomphait. Vingt ans plus tard, il est à l’agonie. Qu’a-t-il bien pu se passer entre-temps ?
    Une explication possible est que le capitalisme a été atteint du même mal qui venait de terrasser son rival, et la complexité devrait alors être incriminée : l’organisation des sociétés humaines atteindrait un seuil de complexité au-delà duquel l’instabilité prendrait le dessus et où, sa fragilité étant devenue excessive, le système courrait à sa perte. Une autre explication serait que le capitalisme avait besoin de l’existence d’un ennemi pour se soutenir. En l’absence de cette alternative, ses bénéficiaires n’auraient pas hésité à pousser leur avantage, déséquilibrant le système entier. Autre explication possible encore : du fait du versement d’intérêts par ceux qui sont obligés d’emprunter, le capitalisme engendrerait inéluctablement une concentration de la richesse telle que le système ne pourrait manquer de se gripper un jour ou l’autre.
    Entre ces hypothèses, il n’est pas nécessaire de choisir : les trois sont vraies et ont conjugué leurs effets dans la première décennie du xxie siècle. Cette rencontre de facteurs mortifères explique pourquoi nous ne traversons pas l’une des crises habituelles du capitalisme, mais sa crise majeure, celle de son essoufflement final, et pour tout dire celle de sa chute."

     

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  • La ville, aujourd'hui...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Pierre Le Vigan sur le thème de la ville. Spécialiste des questions d'urbanisme, Pierre Le Vigan collabore régulièrement à la revue Eléments et est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Inventaire de la modernité, avant liquidation (Avatar éditions, 2007) et Le Front du Cachalot (Dualpha, 2009).


     

     

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    La ville, aujourd'hui...

    Qu’est-ce que la ville moderne selon vous ?

    La ville moderne est un espace urbain marquée par la volonté de rendre rentables tous les espaces de la ville. De ce fait, elle fonctionne sur le mode de la relégation. Il y a assignation à résidence dans des lieux déqualifiés.

     

    La critique de la production et de la reproduction de l'espace urbain est une constante dans vos écrits. Comment percevez-vous l'urbanisme actuel?

     

    Au plan mondial il y a le risque d’une « bidonvillisation » du monde, avec quelques zones hyperprotégées et privatisées pour l’hyperclasse et ses satellites. Au plan français ce qui se dessine c’est l’acceptation de quartiers ghettos, sacrifiés à l’impératif de compétitivité des métropoles et sous-traités aux petits délinquants et aux gros dealers, avec un encadrement culturel de base délégué à l’Islam. C’est le principe de l’instrumentalisation des religions et de la pseudo « insuffisance » de la laïcité – comme s’il n’y avait pas une morale laïque ! Bref on tourne le dos à la République qui veut le droit pour tous et partout chez lui. Il faut viser à une certaine égalité urbaine c'est-à-dire à la qualité urbaine de tous les lieux, même si bien entendu la Courneuve ne sera jamais le Champ de Mars.

    Donc il faut désenclaver la banlieue, la densifier et en contrepartie en diminuer l’étendue. Par plus de densité urbaine il faut transformer la banlieue en ville. Avec plus de 2 fois la superficie de Paris (236 km2 contre 105) la Seine Saint Denis n’a que 1,5 million d’habitants. Avec le double d’habitants, la densité resterait inférieure à Paris, pourtant beaucoup plus agréable.

     

    Comment a évolué l’urbanisme en France ?

    On construit peu en France depuis 1975, moment de la fin du grand boom de la construction de logements, et notamment de logements sociaux. Il y a eu abandon du gigantisme, c’est le bon coté, et nombre de « programmes » de construction, qui concernent 100 logements, ou le double, sont bien conçus, ou en tout cas rarement catastrophiques. On ne peut que s’en réjouir. Ceci dit, boucher des « dents creuses », par exemple une parcelle vide, c’est bien, mais repenser la ville, c’est autre chose.

     

    Qu’est ce qui oppose la ville traditionnelle à la ville moderne ?

     

    La ville traditionnelle est constituée plus ou moins en forme de labyrinthe, avec une multiplicité des modes de transports sur une même voie : piétons, chevaux, diligences… Le principe moderne est de scinder les choses en créant des autoroutes, ou des périphériques exclusivement pour les voitures. Ces voies de communication coupent la ville en morceaux.

     

    En quoi « la banlieue » est-elle « contre les hommes » comme vous l’avez écrit ?

    La banlieue telle qu’elle est devenue est gigantesque et étouffe la ville. Il y a beaucoup plus de citadins qui vivent en banlieue qu’en ville. Historiquement, les villes ont toujours eu des faubourgs, souvent au-delà des remparts. Ces faubourgs sont devenus des banlieues à partir de la fin du XIXe siècle. Au XXe siècle les banlieues se sont développées de manière monstrueuse. Les banlieues ont concentré les nuisances et les populations les plus laborieuses. Les banlieues résidentielles, au sens de banlieues bourgeoises ont toujours été une minorité. La banlieue a souffert des grandes voies routières et de la déshumanisation avec les grands ensembles, vastes zones d’habitat sans entreprises à coté - elles étaient reléguées dans les zones industrielles - et sans histoire. Des villes trop neuves, sans racines.

     

    Vous avez dit du bien des conceptions de Roland Castro. Sur quels aspects précisément le soutenez vous ?

    Roland Castro, qui est un architecte parfois bien inspiré et aussi un agitateur d’idées un peu protéiforme, a eu (et a toujours) le mérite, même s’il n’a pas été le seul, de faire une critique radicale du fonctionnalisme en architecture. Et comme il ne passe pas inaperçu, on a tendance à lui attribuer cette critique bien venue. Bien entendu les gens qui critiquent l’idéologie de Le Corbusier et de la Charte d’Athènes ont raison. A la suite de Castro, je plaide pour mailler le territoire, par exemple utiliser la route des forts en Ile de France, utiliser les fleuves, marquer le territoire de signes forts, qui n’ont pas besoin d’être des tours.

    Ceci clarifié, il y a tout un courant « traditionaliste » en urbanisme qui a fait cette critique bien avant Roland Castro. De fait, l’idéologie de l’urbanisme après guerre – celle qui a été dominante - est fausse : Non, il ne faut pas couper l’homme en tranches : travail, loisir, repos. Non, il ne faut pas raser le centre de Paris, non il ne faut pas construire la même chose partout, comme si l’homme était partout le même. Bien sûr entre ce qu’a vraiment dit et écrit le Corbusier et ce qu’on en a retenu il y a un décalage. On a retenu le plus simple et à quelques nuances près cela convenait aussi bien à la droite modernisatrice et industrialiste qu’à la gauche communisante, « progressiste », et d’ailleurs carrément stalinienne à une époque, gauche elle aussi rationalisatrice et modernisatrice à sa façon. On a voulu faire du logement un objet formaté et reproductible facilement partout et pour tous, à l’instar de l’œuvre d’art qu’analysait Walter Benjamin dés les années 30.

     

    Les lotissements, les zones pavillonnaires et autres néo-villages ne sont-ils pas nés d’une vision exclusivement utilitariste et financière ? En quoi abolissent-ils toutes notions de géographie et de territoire ?

    Les lotissements sont une réponse à un besoin naturel d’avoir un « bout de terrain » à soi. N’oublions pas que nombre de Français sont des descendants de ruraux, qui étaient encore la majorité dans les années 40. Bien sûr si les promoteurs en font c’est qu’ils y gagnent de l’argent et pourquoi pas si cela reste raisonnable et compatible avec de la qualité ? L’ennui c’est que les lotissements sont mal faits, très consommateurs d’espace, affreusement uniformes, incompatibles avec des transports en commun, générateur de trajets interminables en voitures, celles-ci de plus en plus nombreuses sur des routes et autoroutes, de ce fait de plus en plus embouteillées. Mais ce sont avant tout les maires qui décident d’ouvrir tel terrain à la construction. Ce sont eux, les élus, les premiers responsables, avec ceux qui les ont élus, nous tous ! Je ne pense donc pas que le lotissement soit le bon modèle urbain. Je pense que ce phénomène doit être non pas supprimé – on peut les améliorer au demeurant – mais en tout cas restreint. Ce ne sont pas les « pavillons » - qui doivent être développés pour « produire de la ville ».

     

    Peut-on définir une mode architecturale dans nos villes modernes ?

    Il y a une mode qui est le kitsch, le néo-classique ou encore le néo village que vous avez évoqué. Il y a des pastiches du modernisme de le Corbusier. Il y a toutes les modes possibles et imaginables, et ce n’est pas fini.

     

    Quelle est la place de l’art dans la ville moderne ?

    A notre époque, l’art est utilisé comme parodie. L’art dans la ville fonctionne sur le mode d’un système de renvoi d’ascenseur entre pseudo-artistes et vrais carriéristes. Il y a eu jusqu’à la Révolution française, et un peu après, une tradition d’art populaire, répandu dans le peuple et pratiqué par le peuple. Cela a disparu avec la modernité. L’art est devenu une marchandise. Walter Benjamin a écrit des pages très pertinentes là-dessus.

     

    Paradoxalement, le temps des mégalopoles n’est-il pas celui de la fin des villes ?

    C’est la question. La distinction entre urbain et non urbain devient floue. Les villes deviennent immenses, elles se « banlieueisent ». La campagne est mitée par un habitat pavillonnaire en rupture complète avec les modes de constructions locaux, qui étaient basés sur les matériaux disponibles sur place, sur la connaissance de la géographie, sur les usages locaux.

    Les mégapoles sont souvent basées aussi sur l’immigration de masse et le déracinement, de gens des campagnes ou bien de gens originaires de pays étrangers. Ce n’est pas viable pour le lien social donc pour la ville si ces immigrés sont plus qu’une petite minorité voire s’ils sont – comme c’est le cas en France – la majorité dans certains quartiers. Les traditions de l’habitat sont différentes et l’intégration, alors, ne se fait pas, ou se fait mal, dans le domaine de la culture de l’habitat comme dans les autres domaines culturels. C’est en somme très simple : pour qu’une greffe se produise et réussisse, il faut que le tronc soit fort.

    En matière d’habitat, il y a tout un travail d’éducation qui a pu se faire entre compatriotes, basé sur des non dits, sur des choses qui se sont transmises de génération en génération, des « habitus » (Bourdieu) mais cela sous entend une certaine permanence des gens sur un certain territoire, et une transmission des cultures de « la maison ».

     

    En critiquant les mégapoles soutenez vous que nos villes sont trop grandes ?

    Oui. L’optimum serait de réduire la taille de toutes les villes à la fois trop peuplées et trop étendues. Vaste programme. Paris compte 12 millions d’habitants, je parle bien sûr de l’agglomération au sens large, dont un peu plus de 2 millions sont à Paris intra muros, expression malheureusement très exacte puisque Paris est enserré par le périphérique, construction très dommageable qui était déjà envisagée par les technocrates de Vichy. Je crois à la nécessité de développer avant tout les villes moyennes, de 50 000 à 400 000 habitants, et de mener une certaine décroissance ailleurs. La problématique de l’aménagement du territoire devrait redevenir centrale. On l’a complètement oubliée au profit du mythe des mégapoles « compétitives » ce qui veut dire en clair des villes invivables sauf pour l’hyperclasse mondialisée. Il faut sortir d’une vision des villes totalement dominée par l’impératif économique, en outre un impératif économique dans le cadre d’échanges mondiaux « libérés » c'est-à-dire dérégulés. Dans le domaine des choses très critiquables, n’oublions pas que le rapport Attali pour « libérer la croissance » proposait de réduire les contrôles, les enquêtes préalables, les consultations de façon à « mettre le turbo » en matière de grands projets urbains et en conséquence de super profits immobiliers.

     

    Que pensez vous du mot d’ordre : « ras le bol du béton » ?

    Le béton peut être très beau, notamment le béton brut, par exemple dans le « nouveau forum » des Halles, celui de Paul Chemetov, un de mes architectes préférés (longtemps communiste). Le moins écologique des matériaux de construction c’est l’acier, qui s’accompagne souvent du verre.

     

    Quel avenir souhaitez vous pour les centre-villes ?

    Il faut qu’il soient l’objet d’une reconquête sociale par les couches populaires, il faut sortir de la muséification des centres-villes, de la piétonisation excessive, il faut retrouver quelque chose dont on ne parle jamais, obsédés que sont les politiques par la « mixité sociale » - ce qui veut dire mettre quelques pauvres dans les quartiers « aisés » – à savoir retrouver la mixité habitat-activités, la mixité entre petites entreprises de proximité et logements. C’est cela qui est nécessaire. Pour cela, il faut tendre à sortir de la « boboisation » des villes, de leur tertiairisation excessive, du confinement des entreprises, notamment industrielles, dans des zones d’activité. C’est aussi d’ailleurs un enjeu national et européen qui m’est cher : il faut ré-industrialisation notre continent, renouer avec une culture industrielle, remettre de l’industrie dans chaque département, dans chaque région, et donc dans chaque ville. C’est comme cela que l’on sortira vraiment des délocalisations. Cela implique une certaine visibilité des industries, alors que la tendance est de les cacher. La France est un pays de très longue tradition industrielle, il y avait déjà une métallurgie chez les Gaulois, il faut assumer ce bel héritage et ne pas devenir un simple pays du tourisme, ce qui n’est pas très glorieux, et ce qui veut dire un pays « au riche passé »… mais sans avenir.

     

    Et quels sont les priorités en général pour les villes ?

    Il faut développer les transports en commun dans les centre villes comme dans les banlieues : les tramways surtout, mais aussi les métros aériens (les métros souterrains sont sinistres à haute dose), il faut une visibilité des transports en commun. Il faut rechercher de la beauté dans ce domaine. Il faut une « démocratie du beau », démocratiser le beau, le rendre accessible au peuple. « Il faut des monuments aux cités de l'homme, autrement où serait la différence entre la ville et la fourmilière ? » disait Victor Hugo. Pour moi la bonne démocratie ce doit être cela, tirer le peuple vers le haut, avoir un certain niveau d’exigence pour le peuple mais aussi d’exigences demandées au peuple.

     

    Existe t-il des projets alternatifs visant à dépasser « l'inhumanité » des grands ensembles urbains?

    Les éco-quartiers sont tout à fait intéressants. Les rues-villages peuvent être assez denses et donc viables, on peut construire un continu des immeubles de 6 ou 8 étages qui sont beaucoup plus dense que les grands ensembles et bien plus agréables. Même un urbanisme d’immeubles de 3 ou 4 étages (pas besoin d’ascenseur jusqu’à 4 étages) peut être plus dense par logements et nombre d’habitants à l’hectare que la plupart des grands ensembles. Le point principal est qu’il ne peut y avoir aucun urbanisme de qualité sans densité. En contrepartie la création ou la préservation de grands parcs est bien sûr nécessaire.

     

    S’il faut construire, comment construire autre chose que des grands ensembles ?

    Il faut construire un habitat dense du type haussmannien, alors que les grands ensembles sont très peu denses, insuffisamment denses. Exemple de quartier néo-haussmannien assez réussi : le quartier Montgolfier à Saint-Maurice dans le Val de Marne. On peut bien sûr ricaner du « néo » dans l’architecture mise en oeuvre. Mais la ville n’est pas un fétiche d’architecte, pas plus qu’une femme n’est une couverture de catalogue. La ville est là pour se donner à vivre. Revenons sur la question de la densité. La densité des grands ensembles (et en prenant vraiment les plus denses) est de 50 à 100 logements à l’hectare, la densité des vieux centres-villes est de 150 à 200 logements à l’hectare, donc plus élévée, avec une correction, les logements sont souvent plus petits en centres-villes que dans les grands ensembles. Cela a une conséquence : la densité moyenne d’une ville constituée essentiellement de grands ensembles comme la Courneuve est de 5000 habitants au km 2, soit 50 habitants par hectare. La densité du 18e arrondissement de Paris est de 32 000 habitants au km2 soit 320 par hectare. Six fois plus. La densité n’est donc pas synonyme de quartier difficile, sacrifié, bien au contraire. La densité permet la qualité de la ville : transports, commerces, vie sociale et culturelle. Celle-ci n’est guère possible sans densité.

    La densité est une chance, elle est la condition de transports en commun développés et elle ne passe nullement par des tours mais par des immeubles dont le gabarit peut aller de 4 étages à 8 étages, qui peuvent avoir des terrasses, comporter des terrasses en gradins à la Henri Sauvage, etc.

    En ce qui concerne l’avenir des barres et tours des grands ensembles, des destructions sont nécessaires mais il faut surtout ajouter de la ville à la non ville qu’est le grand ensemble. Ainsi on fera de la ville. Avec un mélange d’accession à la propriété et de locatif.

    Je suis pour des immeubles « simples à vivre » : jusqu’à 4 étages, on peut ne pas mettre d’ascenseurs, (c’est pour cela qu’à Berlin ex-Est il y a plein d’immeubles de 4 étages maximum !). Bien sûr on peut aussi avoir des immeubles jusqu’à 7 étages voire un maximum de 10. Ceci permet déjà de varier à l’infini les formes urbaines, les façades, etc. Prenons le jeu d’échec, il y a un nombre limité de pions, n’est ce pas ? il y a pourtant une quasi infinité de combinaisons. La ville c’est pareil, il faut un règlement contraignant en matière de volumétrie et d’occupation du sol, de distance entre les immeubles, etc, et ensuite laisser une liberté aux architectes, pour les façades, pour les formes, pour les conceptions intérieures. Par ailleurs je ne suis pas contre le moderne y compris la juxtaposition du moderne et de l’ancien. L’hôtel de ville moderne de Saint-Denis à coté de la basilique, cela passe bien.

     

    Voulez vous nous citer quelques exemples de constructions que vous trouvez réussies ?

    Un exemple de ce j’aime : le musée du quai Branly de Jean Nouvel, les immeubles de Portzamparc rue des Hautes Formes à Paris 13e, les « tours Castro » d’Oullins, tours en fait pas plus hautes que l’église d’à coté (10 étages – ce qui me parait un maximum admissible). Je n’aime pas : la Bourse du travail de Castro à Saint-Denis, l’Opéra Bastille de Carlos Ott, la BNF (grande bibliothèque) de Dominique Perrault.

     

     

    Rendre la ville « vivable » passe par la défense des quartiers populaires face à la spéculation immobilière, l'abandon des pouvoirs publics et l'insécurité. Cela implique une reprise en mains par les populations de leur vie quotidienne et par des liens sociaux forts. Qu'en pensez-vous ?

    Pour l’insécurité, s’il n’y a pas de solution miracle, il me semble qu’une sorte de garde nationale, ancrée dans le peuple serait nécessaire, une sorte de garde civique, en complément de la police. Dans divers quartiers la reprise en main des questions urbaines par les habitants, avec un encadrement de terrain, et une formation, serait nécessaire. Des associations pourraient promouvoir de l’auto-construction, de l’auto-réhabilitation. Nous serions loin des « rénovations » décidés d’en haut.

    Un urbanisme vernaculaire pourrait naitre, en respectant bien sur des plans directeurs communaux et inter-communaux quant aux voiries, aux hauteurs, aux volumes. Mais il faut du jeu, de la souplesse. Comme dans le montage d’une serrure sur une porte, un serrurier vous dira qu’il faut toujours un peu de jeu. En urbanisme c’est pareil, il faut toujours un peu d’espace d’appropriation, un peu d’espace libre, en friche, tout ne doit pas être défini strictement. Il faut un cadre mais pas un carcan. Il faut des marges de manœuvre. A Paris et dans les grandes villes, plus rien n’est autorisé, tout est vidéo surveillé et pourtant il y a beaucoup plus d’insécurité que dans les années 60, où il y avait beaucoup plus de libertés dans les villes. Il ne faut pas vouloir tout contrôler en matière d’usage des espaces publics. Il faut « un peu de jeu », un peu de marge d’ajustement. Il y aurait des erreurs sans doute, mais l’urbanisme administré et celui des groupes de promoteurs privés comporte lui aussi bien des erreurs, et des injustices flagrantes. Prenez La Défense ou encore Issy les Moulineaux, est-ce une grande réussite ? certainement pas à mon avis.

     

    Pierre Le Vigan

     

    Quelques extraits de cet entretien sont parus dans Réfléchir et Agir, n° 36, automne 2010, dossier « Ralentir la ville », et pour d’autres extraits dans Rebellion n° 44, septembre-octobre 2010, dossier « Ni bidonvillisation ni ville-bidon ».

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  • Bainville ou la monarchie des lettres...

    Les éditions Robert Laffont, dans leur remarquable collection Bouquin, viennent de publier dans un fort volume un choix d'oeuvres du journaliste et historien monarchiste Jacques Bainville. L'édition de La monarchie des lettres : histoire, politique et littérature a été établie par Christophe Dickès, docteur en histoire et auteur d'une étude intitulée Jacques Bainville : les lois de la politique étrangère (Bernard Giovanangelli Editeur, 2008).

     

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    "Ce volume comprend quatre parties : " Histoire et politique ", " Voyages ", " Contes et romans " et " Bainville en son siècle ".

    La première illustre l’aspect le plus connu de Bainville : l’historien des relations internationales et en particulier franco-allemandes (relations analysées dans ses livres Bismarck, Histoire de deux peuples, Histoire de trois générations, Les Conséquences politiques de la paix, La IIIe République, mais aussi dans ses articles parus dans de multiples journaux, dont L’Action française, Candide, L’Éclair de Montpellier ou La Revue universelle). Bainville a beaucoup voyagé en Allemagne, il en connaît la culture, en maîtrise la langue : ses analyses s’imposent, on dit à l’époque qu’il " fait le Parlement ".

    Les deuxième et troisième parties sont plus inattendues : Bainville, tout d’abord, raconte ses périples en Grèce (Les Sept Portes de Thèbes), en Italie (Tyrrhénus), en Europe centrale (Vienne, Budapest, Prague.) et en Russie, où il est envoyé par Aristide Briand en 1916. Fait notable, alors que le " pèlerinage " en Grèce est incontournable pour tout intellectuel qui se respecte, il en revient déçu et n’hésite pas à écrire ses désillusions. Bainville se fait ensuite romancier (auteur notamment d’une Histoire d’amour) et conteur (Jaco et Lori, La Tasse de Saxe). Le conte est en effet un univers dans lequel il évolue avec délectation, idéal, dit-il, pour les " esprits ironiques ". L’histoire et la politique, toutefois, habitent chaque voyage, chaque conte : tout est prétexte à analyse, à élévation. La dernière partie entend situer Jacques Bainville " en son siècle ", celui de l’affaire Dreyfus et de l’Action française, qu’elle a enfantée. Historien monarchiste, proche de Charles Maurras, les lettres échangées avec ce dernier et publiées ici témoignent de cette proximité, Bainville, analyste froid et modéré, pragmatique, est cependant dreyfusard ! Homme de convictions, donc, travailleur insatiable, auteur à succès, il est reconnu par ses pairs et élu à l’Académie française en 1935. Son discours de réception et celui de son successeur sont essentiels pour la compréhension de cet homme pessimiste, emporté par un cancer moins d’un an après son élection, le 9 mars 1936.

    Quelques années avant sa mort, Jacques Bainville avait commencé à coucher quelques pensées intimes dans un petit cahier d’écolier intitulé " Pour moi ". Il est donné ici dans son intégralité pour la première fois. Pour la présente édition, l’auteur a rédigé une introduction générale, " Le stoïcisme d’un Cassandre ", et quatre autres pour ouvrir chaque partie. Une bibliographie bainvillienne commentée et un index onomastique complètent cet ouvrage."



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  • Immigration, déracinement et logique du capital...

    Vous pouvez visionner ci-dessous sur Realpolitik.tv un exposé brillant d'Hervé Juvin sur la question de l'immigration. Clair et percutant... A voir et à faire voir !

     


    Immigration de peuplement : le sujet qui ne dit... par realpolitiktv

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  • La dynamique des conflits...

    Les éditions Berg international publient cette semaine, sous la direction de Pierre-André Taguieff, les actes du colloque consacré à l'oeuvre du philosophe politique Julien Freund, auteur de L'essence du politique, qui s'est déroulé à Strasbourg en mars 2010 et dont nous avions parlé. L'ouvrage est intitulé Julien Freund et la dynamique des conflits, et comprend notamment des textes de Gil Delannoi, de Philippe Raynaud, de Pascal Hintermeyer et de Pierre-André Taguieff.

     

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    "Julien Freund (1921-1993), auteur d'une oeuvre abondante au rayonnement international, s'est fait connaître par sa thèse de philosophie, préparée sous la direction de Raymond Aron et intitulée L'Essence du politique (1965). Il y tient le conflit pour l'une des données fondamentales de la vie sociale et politique. Comme pour d'autres universitaires très influents de leur vivant, la mort de Julien Freund a ouvert une période où la réception de son oeuvre est restée en suspens. C est à l'université de Strasbourg, qu'il avait suivie en tant qu'étudiant lorsqu'elle s'était repliée à Clermont Ferrand au début de la Seconde Guerre mondiale, qu'un premier colloque a été consacré à son oeuvre les 11 et 12 mars 2010. Ce colloque, résolument transversal, a réuni des philosophes, sociologues, politistes, anthropologues, juristes, linguistes, autour de la manière dont Julien Freund a renouvelé les recherches sur le conflit dans les sciences sociales contemporaines. Le présent ouvrage est le prolongement de ces perspectives croisées et de cette réflexion commune.
    À partir de ses connaissances et de ses réflexions sur l'histoire, Julien Freund s'est beaucoup interrogé sur l'instabilité des sociétés contemporaines et notamment sur les multiples conflits qui les traversent et les opposent, donnant lieu à d'incessantes résurgences. Cette permanence des risques délétères que comportent les conflits le conduit à s'intéresser à toutes les ressources permettant de les stabiliser, de les désamorcer et d'en tirer parti. Cela le conduit à réaffirmer l'importance du politique et de sa vocation à assurer la sauvegarde collective. En même temps, Freund élabore une conception d'ensemble des processus conflictuels envisagés comme un continuum. À la suite de Georg Simmel, il relève les conditions propices à l'actualisation des potentialités socialisatrices des conflits et précise selon quelles modalités les conflits peuvent être source de transformations et de structurations sociales.
    Les contributions ici réunies se proposent de montrer la fécondité de l'approche de Julien Freund pour analyser et comprendre les dynamiques conflictuelles contemporaines."

     

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  • La guerre des mots...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de Xavier Raufer, publié le 3 mars 2011 dans Valeurs actuelles et intitulé La guerre des mots...

     

     

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    La guerre des mots

    La France traverse une crise criminelle grave et, comme trop souvent, sa classe parlementaire fait comme si tout cela était quantité négligeable – voire n’existait pas. Exagération ? Faisons un test et cherchons “braquage” sur Google, en limitant notre recherche au dernier mois.

    Nous y voyons bien sûr défiler une interminable litanie de vols à main armée, souvent commis dans des conditions proches de la guerre. Sur tout le territoire français, on constate, par le haut, une professionnalisation et une militarisation des hold-up ; par le bas, une multiplication des violences crapuleuses (“vols avec violence”). Nous trouvons encore sur Google des articles plus généraux, s’inquiétant de “l’explosion” (terme d’usage fréquent) des braquages dans une ville, ou dans une région. Exemple : un quasi-doublement en 2010 des vols à main armée dans les Alpes-Maritimes.

    Notre recherche relève enfin de virulentes réactions à cette dégradation criminelle – provenant toutes de sites ou de médias… d’extrême droite. Sinon, dans toute la classe parlementaire, silence radio.

    Or, dans l’année écoulée, des signes inquiétants ont démontré que la situation n’avait cessé de se dégrader. Exemple, la désertion croissante par les concierges et gardiens (signalée par l’Union sociale pour l’habitat, premier organisme HLM français) des quartiers hors contrôle, où ils sont « de plus en plus exposés à la violence » car ils « dérangent les trafiquants ». Ainsi, dit le Monde du 21 août 2010, 20 % des « cités sensibles » d’Île-de-France n’ont plus aucun gardien, « faute de pouvoir y assurer leur sécurité ».

    Dans ces cités et quartiers rôdent nombre de malfaiteurs hyperactifs, du type défini comme “prédateurs violents” par la criminologie. La préfecture de police (Paris et petite couronne) en compte 19 000, ayant tous commis au moins 50 infractions – vols avec violence, outrages à dépositaire de l’autorité, trafics de stupéfiants, etc.

    Des paumés ? Non, des professionnels du crime utilisant « d’innombrables alias ou pseudos, vivant sous de fausses identités et n’habitant évidemment jamais à l’adresse indiquée sur leurs papiers ».

    Or la plupart devraient être incarcérés et sont libres, du fait de la non-exécution des peines – 82 000 peines de prison exécutoires, dont 7 500 de plus d’un an, ne sont pas exécutées ! Un fait regretté par la préfecture de police : « Nous arrêtons des braqueurs condamnés à cinq ans de prison ». Ceux-ci, libres comme l’air quoique condamnés – et parfois récidivistes –, déménagent et poursuivent paisiblement leur business illicite !*

    Telle est, en France, l’évolution criminelle. Avec courage, policiers et gendarmes tentent d’inverser la tendance et de ramener l’ordre, mais semblent un peu dépassés par la situation, faute d’outils de renseignementvperformants pour cibler les bandes commettant la plupart des braquages et autres crimes graves dépeints plus haut.

    Face à cela, que font les parlementaires – hélas, parfois de la majorité ? Usant à tort et à travers des termes inappropriés, ils empêchent que l’opinion publique réalise l’ampleur de cette crise criminelle, et sèment malheureusement la confusion.

    D’abord, ils édulcorent en ne parlant que de “délinquants” et de “délits” – quand, par exemple, toutes les infractions ici évoquées sont des crimes, passibles de la cour d’assises. Ne pas savoir évaluer, dit la philosophie, condamne à dévaluer : comment s’alarmer de simples délits, aimables peccadilles du type chapardage dans un magasin ? Alors que, dit le Monde qui n’est pas un brûlot sécuritaire, des policiers doivent désormais « répliquer à balles réelles à des tirs d’armes à feu » ? Pourquoi ne pas appeler les choses par leur nom, et un crime, un crime ?

    Autre usage maladroit, celui du terme “émeutes”. Y a-t-il des “émeutes” dans les banlieues françaises ? Nullement. Une émeute (du mot “émouvoir”, dit le Larousse) est un “soulèvement populaire”. Or dans les banlieues, seules agissent de petites bandes armées, quelques milliers d’individus en France en comptant leurs complices directs, ciblant d’usage des lieux sans défense : abribus, écoles, crèches, petites entreprises, casernes de pompiers, etc.

    Et les “populations défavorisées” ? Tremblantes, elles attendent chez elles le retour du calme, conscientes ô combien ! qu’incendier des autobus accable seulement les plus pauvres.

    On a récemment vu de vraies émeutes à Tunis, au Caire, à Tripoli – mais dans les banlieues françaises ? Jamais, dans les vingt ans écoulés. Aussi, user de ce terme pour qualifier les exactions de gangsters est-il un dangereux contresens.

    Espérons donc que les élus de droite, usant des termes appropriés, reviendront bientôt sur le terrain de la violence criminelle. Sinon, d’autres le feront à leur place – pas forcément là où on l’imagine. Car, lues de près, les propositions de Martine Aubry sur la sécurité (Villepinte, novembre 2010) révèlent de discrètes évolutions sémantiques – « zones de non-droit… violences urbaines… » – vers un plus grand réalisme en matière criminelle.

    Xavier Raufer, criminologue (Valeurs actuelles, 3 mars 2011)

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