Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

russie

  • 2025, année de la clarification douloureuse ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur Geopragma et consacré aux probables clarifications qui vont intervenir au cours de l'année 2025 dans les relations entre les puissances, et notamment dans le conflit russo-ukrainien.

     

    2025_Menaces.jpg

    2025, année de la clarification douloureuse

    Pour chacun, dans le cercle de nos amis et connaissances, ces premiers jours de l’année nouvelle sont ceux des vœux, des pensées amènes, des espérances et des bonnes résolutions.

    Pour le monde occidental, dont la France est partie (même si notre pays a tant renoncé à lui-même depuis des décennies qu’il n’a rien su faire de ses atouts ni su adopter une position non alignée et médiatrice qui aurait été très utile à la paix en Europe sur le dossier ukrainien), ce devrait être l’occasion de revenir sur les erreurs passées, de tenter enfin autre chose que la surenchère guerrière, d’infléchir une trajectoire qui sinon nous promet un enfermement de plus en plus douloureux et dangereux dans les ornières du passé.

    Encore faudrait-il oser identifier les mauvais chemins empruntés, les raisonnements abscons, les postures bravaches si nuisibles aux intérêts des peuples que l’on prétend guider ou représenter ; des peuples in fine toujours victimes, notamment économiquement et socialement dans le cas des Européens, de décisions prises sous l’empire du déni, de la rage, de la haine ou de la prétention.

     Et de ce point de vue, 2024 fut un must, une année perdue et sanglante, une année de trop dans la poursuite effrénée, paniquée même, d’illusions de toute puissance et de maintien d’une domination minée par ses propres flagrants excès.

    Où que se tourne le regard, il contemple donc des champs de ruines et de cadavres innocents livrés sans réfléchir à la lutte implacable que nous livrons à un monde nouveau, récalcitrant à notre férule. Un monde qui n’a pas plié et n’a pas plus l’intention de plier cette année.

    L’Ukraine est le plus proche de ces buchers de nos vanités. Notre « soutien » borné à un régime dévoyé qui n’est que l’instrument de notre indécrottable volonté d’affaiblissement de la Russie, n’a abouti qu’à une situation bien plus dommageable pour ce malheureux pays qu’il y a encore un an ou deux. Si la paix avait été notre préoccupation, nous aurions depuis déjà longtemps recherché les bases d’un accord avec Moscou permettant le retour de la sécurité en Europe. Mais la paix n’est pas notre problème. Nous voulons la guerre jusqu’au dernier Ukrainien, même si nous finissions par y laisser bien plus que des plumes et demain des soldats s’il le fallait. C’est délirant, c’est parfaitement inutile mais c’est ainsi. Une question de « principes » et de « valeurs » parait-il.  Le comble du cynisme.

    Quand je dis si « nous » recherchions la paix, je pense naturellement à Washington, puisque l’Europe ne comprend rien à ses propres intérêts et se contente de donner dans la surenchère belliqueuse pour complaire à la volonté de l’Administration américaine. Donald Trump, qui sera officiellement président dans quelques jours, pourra-t-il changer la donne, mettre au pas l’État profond, purger les abcès de corruption qui gangrènent l’appareil décisionnel américain et proposer les bases pourtant évidentes depuis très longtemps d’un accord à son homologue russe ? Ce n’est pas du tout certain, tant tout est fait pour le désinformer sur la réalité militaire du conflit et l’enfermer dans des logiques guerrières. Il semble néanmoins avoir compris que sa posture initiale consistant à menacer Moscou de faire pleuvoir les armes et l’argent sur Kiev si le président Poutine n’acceptait pas un gel des combats et une force otano-européenne de surveillance, n’avait strictement aucune chance d’engager la Russie aux moindres pourparlers. Moscou néanmoins, connait par le menu la violence de la scène politique américaine et tempère le rythme de ses gains militaires (mais jusqu’à quand ?) pour donner une chance à un dialogue sérieux, même si les pressions internes sont de plus en plus fortes pour pousser le Kremlin à accélérer le rythme de la SMO au premier semestre 2025.

    Il faut souhaiter que les avancées russes actuelles constantes dans le Donbass et les très lourdes pertes ukrainiennes depuis plusieurs mois poussent la nouvelle Maison blanche au réalisme, même si le déni demeure très lourd et la volonté de saboter la nouvelle présidence de Donald Trump profonde. On peut donc craindre, si ce dernier ne part pas sur des bases pragmatiques et raisonnables avec Moscou, que la prophétie autoréalisatrice ressassée à Bruxelles, Paris, Londres et (de moins en moins) Berlin ne finisse par advenir : On verrait alors Moscou sevré de ses dernières illusions, finir par avancer vers la Pologne ou les pays baltes alors que cela n’était clairement pas son intention initiale. On serait même capables de s’en réjouir et de dire « qu’on le savait bien ».

    Les USA ont tout intérêt pourtant à trouver une issue en Ukraine et les Russes à leur laisser sauver la face. Washington doit choisir ses combats en fonction de la réalité de ses moyens militaires, de sa relation avec la Chine et de l’état du rapport de force mondial qui n’est plus en sa faveur. Le problème est que même cette évidence ne parvient pas à franchir le front du déni et à atteindre les cerveaux embrumés de nos dirigeants sans expérience ni culture. Ils sont intoxiqués par leur propre propagande délirante depuis trop longtemps et même le pragmatique Trump semble actuellement vouloir s’entourer d’un nombre conséquent de faucons qui risquent de ne pas saisir ce moment historique qui permettrait à l’Amérique d’entamer le sauvetage stratégique mais aussi moral et politique de l’Occident.

    Si le théâtre ukrainien va donc malheureusement rester encore un bon moment actif, le Moyen-Orient n’est pas non plus près de s’apaiser tout au contraire. L’affaissement de la Syrie sur elle-même, tombée d’épuisement et victime de ses illusions de réhabilitation internationale, livrée aux pires djihadistes, l’avancée turque qui pourrait finir par heurter les ambitions américano-israéliennes et se retourner contre Erdogan, celle toute relative d’Israël sur les ruines de la Palestine et du Liban qui ne rêve que de pousser Trump à lancer les hostilités avec l’Iran, tout cela augure une année de violence sectaire et souffrances indicibles pour les Palestiniens, les Syriens et les Libanais, mais aussi de  probables tentatives de déstabilisation redoublées à l’échelle régionale.

    Je pourrais encore évoquer le renforcement de la dynamique des BRICS, la consolidation de la position chinoise au plan diplomatique et stratégique en dépit de ses difficultés économiques conjoncturelles, l’empreinte de plus en plus profonde de la Russie en Afrique sur les ruines notamment de notre politique anachronique, la dureté des affrontements énergétiques, l’Amérique latine et ses incertitudes. Ces sujets ont tous un point commun : ils illustrent, chacun à leur façon, la formidable opposition qui n’est ni « civilisationnelle » ni religieuse, mais bien idéologique et économique, entre d’une part un « vieux monde » longtemps dominant qui ne veut pas reconnaitre sa perte d’influence et de crédit, qui croit encore pouvoir faire la leçon au reste de la planète et régner par le mensonge, la guerre des perceptions, la communication et la propagande, et d’autre part,  lui faisant face avec sérénité et détermination, un « jeune monde » dirigé paradoxalement par de vieilles puissances et des hommes d’État chevronnés qui recherchent la légitimité populaire au lieu de s’en défier, prisent la souveraineté, la tradition, l’égalité internationale, le long terme et la cohérence.

    C’est bien un combat de titans qui se déploie sous nos yeux, dangereux et passionnant.

    Caroline Galactéros (Geopragma, 6 janvier 2025)

    Lien permanent Catégories : Géopolitique, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Le Nouveau Monde des puissances...

    Les éditions Librinova viennent de publier un essai de Gérard Dussouy intitulé Le Nouveau Monde des puissances - L'Heure de l’État-civilisation ?.

    Professeur émérite à l'Université de Bordeaux, Gérard Dussouy est l'auteur de plusieurs essais, dont Les théories de la mondialité (L'Harmattan, 2011) et Contre l'Europe de Bruxelles - Fonder un Etat européen (Tatamis, 2013).

    dussouy_Le Nouveau Monde des puissances.jpg

    " La Chine est, à la fois, l'acteur majeur de la transformation de la scène géopolitique planétaire et le symbole du changement civilisationnel global. En se posant comme État-civilisation, la Chine entend préserver sa pensée et son identité plurimillénaires, mais en même temps elle défit l'universalisme hégémonique occidental. Sa démarche a fait des émules telles que l'Inde, la Russie. La nouvelle bipolarité sino-américaine change la carte du monde désormais centrée sur l'Asie du Sud-Est. Elle se nourrit d'un antagonisme directeur qui remet au goût du jour les théories de l'équilibre mondial lequel se focalise sur la recherche d'un équilibre eurasiatique. À lui seul, cet impératif fait que la politique extérieure des États-Unis restera toujours la même, quelle que soit l'administration, républicaine ou démocrate, au pouvoir. Il est probable que ce même impératif finira par favoriser la résolution de la guerre russo-ukrainienne, en fonction des intérêts de Washington. En ce qui concerne l'Europe, son inexistence politique et le dépassement géopolitique de ses États-nations l'excluent du grand jeu diplomatique et stratégique. "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Ukraine, Proche-Orient : une révolution mondiale ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous Le samedi politique de TV Libertés, diffusé le 14 décembre 2024 et présenté par Élise Blaise, qui recevait Alain Juillet pour évoquer les bouleversements au Proche-Orient et l'instabilité géopolitique mondiale...

    Alain Juillet a été Haut responsable chargé de l’intelligence économique auprès des premiers ministres de 2003 à 2009 (Jean-Pierre Raffarin, Dominique de Villepin et François Fillon), après avoir été, notamment, officier au service Action du SDECE, cadre dirigeant dans plusieurs entreprises du secteur privé et directeur du renseignement à la DGSE.

     

                                             

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Géopolitique, Multimédia 0 commentaire Pin it!
  • La profondeur stratégique russe mise à l’épreuve ?...

    Pour son émission sur TV Libertés, Chocs  du monde, Edouard Chanot reçoit Jacques Hogard,pour évoquer avec lui le grave revers que vient de subir l'armée syrienne à Alep, face aux milices djihadistes, malgré le soutien de l'aviation russe.

    Ancien officier de Légion, au prestigieux 2ème REP, Jacques Hogard a servi au Kosovo, au sein du Commandement des opérations spéciales (COS), et est désormais expert en intelligence stratégique. Il vient de publier La guerre en Ukraine - Regard critique sur les causes d’une tragédie (Hugo Doc, 2024).

     

                                        

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Géopolitique, Multimédia 0 commentaire Pin it!
  • Guerre en Ukraine: la désescalade doit désormais être la priorité absolue...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Tomasz Froelich, cueilli sur Euro-Synergies et consacré à la récente escalade dans la guerre russo-ukrainienne provoquée par le président américain Joe Biden. Tomasz Froelich est député européen de l'AfD.

     

    Ukraine_Désescalade.jpg

    Guerre en Ukraine: la désescalade doit désormais être la priorité absolue

    La guerre en Ukraine menace d’entrer à nouveau dans une phase d’escalade après près de trois ans de conflit

    Pourrions-nous nous réveiller un matin en découvrant l’Europe en proie aux flammes, celles d’une Troisième Guerre mondiale ? Après trois années de conflit, la guerre en Ukraine menace de s’intensifier à nouveau. Peu avant la fin de son mandat, le président américain Joe Biden attise une fois de plus les tensions sur la scène internationale : il a donné son aval pour que l’Ukraine utilise des missiles longue portée contre le territoire russe. Les Britanniques et les Français ont également donné leur feu vert. De son côté, le ministre polonais des Affaires étrangères, Radosław Sikorski, avait déjà appelé à une telle action il y a plusieurs semaines. Cela franchirait une ligne rouge fixée par Vladimir Poutine. Et ce, alors que les chances de victoire de l’Ukraine sont quasiment nulles et que le moral des troupes est au plus bas. Alors que le conflit semblait s’être figé, une nouvelle étape d’escalade se profile.

    En Suède, des brochures informatives sont désormais distribuées pour préparer la population à des attaques nucléaires, cybernétiques ou biologiques. En Allemagne, la Bundeswehr s’entraîne à un scénario de guerre. Des câbles sous-marins entre la Lituanie et la Suède ont été endommagés, et des avions britanniques rencontrent des problèmes de communication en survolant l’Europe.

    En bref, la situation sur notre continent est grave. Et elle devient de plus en plus préoccupante. Les tensions montent à nouveau, tandis que les appels à la désescalade, souvent qualifiés de « propagande du Kremlin », restent minoritaires.

    Une guerre rationnelle dans ses origines

    Comment en est-on arrivé là ? La plus grande erreur des dirigeants ukrainiens, comme celle des politiciens occidentaux intervenants, a été de transformer ce conflit en une lutte pour la survie. Une bataille historique contre un ennemi éternel, un affrontement existentiel, un combat entre le bien et le mal, tout ou rien, avec pour objectifs soit des troupes ukrainiennes à Moscou, soit des bombes russes à Lisbonne.

    De telles représentations conduisent naturellement à exiger une guerre totale : tout est permis pour que l’Ukraine puisse l’emporter. C’est ce qu’on nous répète depuis presque trois ans. De nombreux États occidentaux, notamment l’Allemagne, ont offert à l’Ukraine leurs moyens de défense déjà limités, comme s’ils étaient eux-mêmes engagés dans une bataille pour la Crimée. On respire une atmosphère de « bataille décisive » historique. Pourtant, cette guerre a des origines rationnelles, aux objectifs concrets et aux frontières claires : les intérêts sécuritaires de la Russie en Ukraine étaient évidents, en conflit avec la politique américaine de domination mondiale, et le gouvernement ukrainien a accepté de jouer le jeu. Ce conflit aurait pu prendre fin depuis longtemps si des figures comme Boris Johnson n’étaient pas intervenues, et si le moralisme ambiant ne dominait pas tous les médias.

    Ce conflit mêle le pire de la vieille politique mondiale occidentale à une approche parfois irréfléchie de la Russie dans la défense de ses intérêts. Certes, Moscou ne peut être exonéré de la responsabilité de son attaque et des vies sacrifiées. Mais cette attaque s’inscrivait dans un contexte plus large, dans une stratégie occidentale risquée qui s’est finalement soldée par un échec. La victime de cette folie est la nation ukrainienne, qui sacrifie sa jeunesse dans une guerre insensée, sans véritable espoir de victoire.

    Une garantie d’indépendance nationale ukrainienne, imprudemment perdue

    Cela doit cesser immédiatement. Selon un sondage Gallup, 52 % des personnes interrogées souhaitent des négociations pour mettre fin rapidement à la guerre – contre un peu plus de 20 % au début du conflit. Une paix est envisageable, qui offrirait à l’Ukraine un avenir en tant qu’État neutre – sans avancée supposée de Poutine jusqu’à Berlin ou Lisbonne, ni stationnement d’armes nucléaires américaines dans une Ukraine membre de l’OTAN. Toute autre option est irresponsable et irréaliste.

    L’Ukraine est déjà à terre : une génération entière est tombée au combat ou s’est réfugiée dans la diaspora. Une intégration occidentale entraînerait des migrations massives pour compenser la perte démographique, les habituels investissements de reconstruction par des entreprises comme BlackRock, et une présence militaire américaine accrue. Cela rendrait un autre conflit inévitable – et celui-ci pourrait être vraiment existentiel, cette fois pour tous les Européens.

    Je respecte les sacrifices du peuple ukrainien. Toute personne prête à prendre les armes mérite le respect. Et bien sûr, le droit à la légitime défense nationale est inaliénable. Mais après plus de 1000 jours, il est clair que ce peuple est broyé entre deux grandes puissances, et que la garantie d’un État national ukrainien a été imprudemment perdue.

    Bruxelles et sa soumission transatlantique

    Les Zelensky comme les Poutine partiront un jour, mais les Ukrainiens et les Russes continueront d’exister – tout comme le reste de l’Europe. C’est pourquoi la désescalade doit être la priorité absolue. L’Europe n’a toujours pas gagné en poids géopolitique. Notre continent reste un échiquier pour des puissances extérieures. Et l’Union européenne, loin de résoudre ce problème, l’aggrave. À Bruxelles, on rivalise de soumission transatlantique – même au sein de nombreuses formations populistes de droite.

    Cela ne peut être l’ambition des Européens intègres. Les slogans de soutien inconditionnel à l’Ukraine, sans plan réaliste pour mettre fin au carnage, ne reflètent ni solidarité ni souveraineté européennes. Ils illustrent au contraire la soumission aux Américains, pour qui les Ukrainiens ne sont rien de plus que de la chair à canon. La tragédie de l’Ukraine est le symptôme d’une paralysie continentale et civilisationnelle qui nous affecte aujourd’hui partout.

    Les va-t-en-guerre transforment l’Ukraine en un second Afghanistan. Nous devrions plutôt œuvrer à faire de l’Ukraine une « Suisse de l’Est » neutre, une zone tampon et un instrument d’équilibre entre la Russie et l’Occident.

    Cette neutralité entre blocs de pouvoir pourrait, et doit, un jour conduire à une neutralité paneuropéenne, qui se transformerait alors en indépendance. L’Europe doit devenir un pôle à part entière. Et puisque nous partageons un continent avec la Russie, nous devrons coexister pacifiquement. Cette logique n’a pas de pertinence pour les Américains, protégés par l’Atlantique. Ceux qui veulent avant tout s’opposer à la Russie tout en comptant sur l’appui des États-Unis doivent en être conscients : le risque est de se laisser entraîner dans la catastrophe. L’Ukraine est un exemple à méditer.

    Tomasz Froelich (Euro-Synergies, 1er décembre 2024)

     

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • L’Arctique : Guerre Froide ou Guerre Congelée ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Christopher Coonen cueilli sur Geopragma et consacré à l'Arctique, future zone de conflit géopolitique...

    Secrétaire général de Geopragma, Christopher Coonen a exercé des fonctions de directions dans des sociétés de niveau international appartenant au secteur du numérique. 

    Arctique.jpg

    L’Arctique : Guerre Froide ou Guerre Congelée ?

    Le conflit ukrainien a été le révélateur d’un nouvel échiquier géopolitique mondial, mettant fin à presque sept décennies d’un affrontement bipolaire entre les États-Unis et l’Union Soviétique, suivi d’une vision unipolaire américaine après l’éclatement de son empire rival russe. Nous avons bel et bien basculé dans un nouveau paradigme multipolaire assorti d’opportunités et de tensions inévitables entre l’Occident, les BRICS+ et le « Grand Sud ».

    Les ramifications de cette rivalité remettent en cause à juste titre l’hypocrisie occidentale sur son rôle soi-disant « juste et de principes » en termes de Droits de l’homme et de démocratie ; l’attitude cynique, belliqueuse et extraterritoriales des USA et le suivisme attentatoire européen sont passés par là. Elles englobent les questions de culture, d’économie, de sécurité et de défense, allant même jusqu’à œuvrer pour la dédollarisation des échanges commerciaux mondiaux et des réserves de devises détenues par les banques centrales.

    Ce nouvel échiquier cristallise aussi des aspirations de projection de puissance et de rapports de force, laissant poindre les zones géographiques terrestres ou du Cosmos qui deviennent ou deviendront des enjeux de tensions et de crises actuelles et futures. L’un de ces espaces est l’Arctique.

    Longtemps perçu comme un territoire hostile et inaccessible, l’Arctique redevient une préoccupation pour les grandes puissances en 1996 avec la création du Conseil de l’Arctique, un forum d’échanges et de coopération autour des sujets touchant le climat, l’environnement, la science et la sécurité, entre les 8 pays frontaliers de l’Arctique : la Russie, les États-Unis, le Canada, le Danemark (Groenland), la Suède, la Finlande, la Norvège et l’Islande. A noter que cinq des huit sont membres de l’OTAN, avec deux pays supplémentaires en lice suite aux candidatures exprimées en juin dernier par la Finlande et la Suède. Sous le droit international existant, les huit nations se sont mises d’accord alors pour définir les zones exclusives économiques (ZEE), comprenant les 12 milles d’eaux territoriales et limitées aux 200 milles d’eaux internationales au-delà.

    Cependant deux enjeux majeurs ont amplifié depuis quelques années ces sujets : le réchauffement climatique et les questions militaires.

    La fonte accélérée de la banquise ouvre deux nouvelles opportunités : les passages maritimes et l’accès facilité aux ressources gisant sous la calotte de glace. À ces événements géopolitiques s’ajoutent des observations scientifiques inédites. Les grandes puissances prennent alors véritablement conscience du bouleversement à venir. Selon les experts du Giec, avec la hausse des températures, la banquise pourrait totalement disparaître en été d’ici 2030, ouvrant de nouvelles voies maritimes, c’est à dire le passage du Nord-Est, ouvrant la voie la plus courte pour relier l’Europe à l’Asie ou vice-versa, le long des côtes russes, plutôt qu’empruntant le canal de Suez. Temps de croisière diminué de 24 à 12 jours. De plus, l’Institut polaire norvégien révèle que, pour la première fois depuis le début de ses constatations en 1972, le passage du Nord-Ouest (reliant l’Alaska à l’Europe) est « entièrement ouvert à la navigation ».

    Selon une étude en 2008 du très sérieux US Geological Survey, la zone arctique recèlerait plus de 10 % des réserves mondiales de pétrole et près de 30 % des réserves de gaz naturel. Et la fonte des glaces apparaît alors comme une aubaine économique pour les pays concernés car l’Arctique regorge d’autres trésors : nickel, plomb, zinc, uranium, platine, terres rares … Cependant une grande majorité de ces hydrocarbures et ressources est située dans la ZEE russe.

    Vladimir Poutine mise beaucoup sur cet eldorado polaire et veut quadrupler d’ici 2025 le volume de fret transitant par l’Arctique. Symbole de ces aspirations, la gigantesque usine de liquéfaction de gaz naturel dans la péninsule de Yamal, conçue en collaboration avec la Chine et le groupe français Total. Outre la possibilité de développer des routes commerciales plus courtes par les passages du nord, la Chine veut ainsi imprimer sa présence sur les « routes de la Soie polaire » car les projets de GNL représentent la pierre angulaire de la coopération sino-russe en Arctique. En général, l’Empire du Milieu ne cache pas son attrait pour ce vaste territoire situé pourtant à 1.400 km de ses côtes. « Ce regain d’intérêt s’est matérialisé dès 2004 par la construction d’une station scientifique sur l’archipel norvégien du Svalbard » ; la Chine s’est peu à peu imposée comme un partenaire scientifique mais aussi comme un partenaire économique majeur.

    En 2013, l’Islande devient ainsi le premier pays européen à signer un accord de libre-échange avec Pékin. La même année, la Chine fait son entrée au Conseil de l’Arctique avec un statut de pays observateur. En 2018, la Chine présente pour la première fois sa politique arctique et se définit désormais comme un « État proche-Arctique » – un statut inventé et fondé sur une nouvelle interprétation des cartes. En quelques années, Pékin est devenu le premier investisseur dans la zone et s’est impliqué dans des dizaines de projets miniers, gaziers et pétroliers.

    La Russie, qui détient la frontière la plus longue avec l’océan Arctique, pourrait être tentée de bloquer ces routes en cas de tensions et d’escalade avec les pays occidentaux. Si les démonstrations de force de la Russie en Arctique inquiètent les pays occidentaux, pour le moment aucun pays arctique n’a intérêt à développer un conflit armé dans la région car l’instabilité ferait sans doute fuir les investisseurs, à minima.

    Des tensions géopolitiques ou de la militarisation, il n’en a pas été question à Reykjavik en mai 2021 lors du dernier Forum ; il s’était officiellement réuni pour parler développement durable, coopération économique et pacifique et protection des populations autochtones menacées par le réchauffement climatique, trois fois plus rapide dans le Grand Nord que sur le reste de la planète. « Nous nous engageons à promouvoir une région arctique pacifique où la coopération l’emporte en matière de climat, d’environnement, de science et de sécurité », a déclaré alors le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken.

    Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, a martelé que l’Arctique était une zone d’influence légitime de Moscou et dénoncé « l’offensive » occidentale dans la région, tandis son homologue américain en visite au Danemark quelques jours auparavant, avait pointé du doigt « l’augmentation de certaines activités militaires dans l’Arctique ».

    Ce dernier conclave a débouché sur une déclaration commune sur la nécessité de préserver la paix et de lutter contre le réchauffement climatique. Une entente de façade alors que les rivalités ne cessent de grandir dans cette région devenue le pôle de toutes les convoitises.

    Depuis 2010, la Russie a en effet construit ou modernisé 14 bases militaires datant de l’époque soviétique et multiplié les exercices militaires. En mars 2017, Moscou a simulé une attaque d’avions contre un radar norvégien. Puis les forces russes ont réalisé l’exploit d’un parachutage à 10.000 mètres d’altitude dans le cercle polaire, démontrant leur capacité de projection dans des conditions extrêmes. Des images satellites récentes montrent ces vieilles bases militaires et hangars sous-marins de l’époque soviétique rénovés, des stations radars flambant neuves installées non loin de l’Alaska et des pistes d’atterrissage qui sont apparues dans l’archipel des îles de Nouvelle-Sibérie, confirmant l’ampleur de cet effort. Pour souligner le tout, Vladimir Poutine a signé au cœur de l’été 2022 une nouvelle doctrine pour sa marine, indiquant que la Russie défendrait « par tous les moyens » ses eaux arctiques ; le document les mentionne 66 fois.

    C’est en effet dans cette région que se trouve la flotte du Nord, la plus puissante des quatre flottes russes, et qui constitue la colonne vertébrale de la dissuasion nucléaire maritime russe.

    En face, l’OTAN montre aussi les muscles avec des exercices militaires de plus en plus fréquents. En 2018, l’exercice « Trident Juncture » en Norvège a rassemblé des troupes des 29 pays membres, rejointes par celles de la Suède et de la Finlande. D’une ampleur inégalée depuis la fin de la Guerre froide, cette manœuvre avait provoqué la fureur du Kremlin. En amont d’une visite en août 2022 du système de radars de Cambridge Bay, au Canada, le Secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a indiqué dans une tribune que l’organisation militaire « muscle la sécurité de l’Arctique », soulignant que « le chemin le plus court vers l’Amérique du Nord pour les missiles ou bombardiers russes serait le pôle Nord ». Les États-Unis voient d’un mauvais œil cette montée en puissance militaire à quelques centaines de kilomètres de leur territoire en Alaska. “Nous avons des intérêts de sécurité nationale évidents dans cette région que nous devons protéger et défendre”, a averti en 2021 John F. Kirby, alors porte-parole du Pentagone.

    Mais dans l’esprit américain, cette militarisation de l’Arctique n’est pas seulement à but défensif. Washington craint le spectre du missile sous-marin Poséidon que la Russie serait en train de mettre au point dans l’une de ses bases tout au nord du pays. Si ces nouvelles armes inquiètent tant, c’est qu’il s’agit de drones capables de déjouer les systèmes américains de détection sous-marine et qui sont équipés de têtes explosives de plusieurs mégatonnes. En explosant, elles pourraient créer des ‘tsunamis’ radioactifs au large des côtes américaines.

    La multiplication des bases militaires russes permettrait de préparer le contrôle de facto par la Russie du trafic maritime le long de cette route. Les États-Unis n’ont aucune envie de voir se répéter dans cette région la même situation qu’en mer de Chine méridionale, où Pékin essaie d’imposer sa souveraineté en construisant un réseau d’installations militaires. Mais les Chinois essayent aussi de projeter leur influence en Arctique, en témoignent les récents exercices navals avec la Russie dans cette zone.

    Si vis pacem para bellum. Alors que John F. Kirby semblait suggérer en 2021 que “personne n’a intérêt à ce que l’Arctique devienne une zone militarisée”, ce n’était pas tant un appel à la paix dans le monde des glaciers, qu’une mise en garde indiquant que les États-Unis sont prêts à défendre leurs intérêts économiques. Les États-Unis ont déployé le 28 février dernier l’un de leurs seize Boeing E6-Mercury en Islande, qui servent (avec une autonomie de 12.000 kilomètres) de postes de commandement aériens et de relais de communication pour le National Command Authority américain, pour des attaques intercontinentales nucléaires potentielles à partir des silos aux US ou depuis les SNLEs américains qui rôdent sous la banquise à l’année, jouant au chat et à la souris avec les vaisseaux russes ou français … Des E6 additionnels pourraient rejoindre prochainement d’autres cieux otaniens en Europe.

    Plus l’Arctique se libère, plus il est rentable et intéressant d’y mener des activités économiques et militaires. Il va donc devenir un point de convergence de rivalités croissantes des puissances de l’hémisphère nord: États-Unis, Russie et Chine. L’Arctique, c’est l’enjeu du siècle à venir.

    Christopher Coonen (Geopragma, 18 novembre 2024)

    Lien permanent Catégories : Géopolitique, Points de vue 0 commentaire Pin it!