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  • L’agriculture et l’alimentation modernes préparent l’Homme Augmenté...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien consacré à la question agricole, donné par Hervé Juvin à la revue trimestrielle de Paul-Marie Coûteaux, Le Nouveau Conservateur.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste localiste intitulé Chez nous ! - Pour en finir avec une économie totalitaire (La Nouvelle Librairie, 2022).

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    L’agriculture et l’alimentation modernes préparent l’Homme Augmenté

    Notre dossier «agriculture, alimentation, santé» est au cœur de votre œuvre, comment l’expliciteriez-vous en quelques mots?

    C’est simple : nous sommes ce que nous mangeons. Le geste de manger est à la fois le plus intime, le plus indispensable et le plus risqué qui soit. D’autant plus qu’il est plus inconscient… Notre corps est fait de ce que nous mangeons, ce qui signifie que la santé de la population passe d’abord par la qualité de la nourriture qui améliore son immunité naturelle à travers les vitamines et les autres éléments nutritifs, notamment ceux des fruits et légumes non industriels. L’histoire montre que ce qui a fait décoller l’espérance de vie et la santé de la population française, c’est d’abord l’hygiène et la nourriture, bien avant la médecine. Faut-il ajouter que la dégénérescence d’une majeure partie de la population occidentale, par obésité, abus de sucre et de graisse, manque d’efforts physiques soutenus, est d’abord un effet de la dégradation des pratiques alimentaires ? Et que l’empoisonnement des eaux, des sols et de l’air par l’agrochimie est une menace sur la santé humaine ? 

    Ce constat est de grande conséquence. L’agriculture consista longtemps à produire. Elle sera de plus en plus une question de santé. Le couple « santé sécurité » est en passe de prendre le pas sur tout le reste – libertés publiques, traditions, préférences individuelles, tout aussi bien aménagement du territoire, protection de la diversité, etc. Quelle démonstration éclatante que le régime de la peur qui s’est mis en place en un tournemain à l’occasion de la propagande vaccinale lors de la prétendue « pandémie » dite de la Covid !

    Vous avez développé dans plusieurs ouvrages le localisme dont vous jugez – nous le pensons nous-mêmes – qu’elle peut apporter bien des solutions aux problèmes contemporains. Pouvez-vous nous dire en quelques mots en quoi elle consiste et surtout en quoi elle répond aux maux du mondialisme?

    Le localisme n’est pas une théorie. C’est une approche politique, économique et sociale, celle d’une transformation radicale de nos modes d’agir.

    Politique ; face à l’Etat totalitaire que l’Union européenne entreprend de mettre en place, rien n’est plus urgent que de refonder nos démocraties en partant de la base, c’est-à-dire des citoyens sur leur territoire. Politique aussi, en ce que l’Etat a la responsabilité de l’aménagement du territoire. Il l’a abandonnée, la multiplication des emplois dans les chambres d’agriculture et autres organismes servant à cacher la réalité : l’industrialisation a détruit 80 % des exploitations en quelques décennies, tandis qu’une écologie punitive chasse les habitants des zones rurales et que les SAFER continuent de privilégier les concentrations de terre, au détriment de l’installation de jeunes agriculteurs. Est-ce un désert que nous voulons voir naître entre les métropoles ?

    Economique ; face au capitalisme totalitaire des monopoles, de l’uniformisation des normes et des lois et de l’étouffement de la liberté d’entreprendre, rien n’est plus urgent que de rendre de l’air aux PME et aux indépendants, de restaurer la concurrence et de valoriser nos atouts territoriaux. En matière agricole aussi, l’Etat doit organiser des marchés libres, ouverts et concurrentiels, sinon, la fiction de marchés déréglementés n’aboutit qu’aux monopoles, aux abus de positions dominantes et aux rentes issues de captations réglementaires dont nous voyons les effets. Les agriculteurs ne sont que les faire valoir des banques, du machinisme agricole et des groupes industriels !

    Social, enfin ; la participation à la décision collective et aux bénéfices d’actions réussies, la satisfaction de voir son travail profiter à son lieu de vie et à sa communauté, le constat que son travail est utile, sont des moyens puissants de corriger ce « gouvernement du désir » par lequel la propagande des entreprises nous enchaîne. A cet égard, le localisme est une pratique, mais aussi une éthique, qui consiste à privilégier partout où cela est possible l’impact positif des décisions individuelles ou collectives pour les entreprises locales, la collectivité rurale, l’environnement local.

    J’ajouterais que le localisme est un projet intégral, en ce qu’il intègre par exemple un travail de fond sur le droit de propriété, sur les brevets, sur l’Intelligence Artificielle et le numérique, sur l’usage des techniques et les libertés fondamentales, sur la médecine et la reproduction, bref, autant de sujets qui échappent largement à ce qui continue de s’appeler la politique, bien qu’elle laisse échapper l’essentiel. J’ai choisi de contribuer à un mouvement informel, en mettant le terme de localisme dans le domaine public et j’ai la satisfaction de le voir largement repris, y compris dans le dictionnaire où il a fait son apparition récemment. M. Dupont Moretti, après la première conférence de presse que nous avions tenue, avec Andréa Kotarac et quelques autres, nous avait fait beaucoup d’honneur en attaquant le localisme, l’assimilant au racisme dans un raccourci pour le moins audacieux.

    Le localisme, au contraire, est un moyen d’intégration ; d’où qu’ils viennent, ceux qui partagent un territoire ont quelques raisons de devoir se parler d’abord, de négocier ensuite, d’agir ensemble enfin. Bien loin d’être repli sur soi, le localisme met la mondialisation à l’endroit, celle-ci signifiant que les excellences et singularités de chaque territoire rayonnent et se font valoir sur un marché mondial. Le champagne de France, le cochon noir ibérique ou la burrata italienne sont des vestiges de cette mondialisation des excellences qui a été sacrifiée au profit de l’industrialisation, de la standardisation et des concentrations industrielles. Des drapeaux bretons dans les stades du Qatar, devant la Maison Blanche ou la Grande Muraille de Chine, voilà le localisme !

    Parmi les maux du mondialisme, il y a une agriculture complètement saccagée, aussi bien dans les pays du Nord, notamment en France, que dans les pays du Sud. Vous êtes député européen, ce qui est un poste d’observation, guère d’action. Si vous étiez Ministre de l’Agriculture, quelles seraient les trois priorités de votre action?

    Votre remarque est pertinente. Le député européen d’un groupe minoritaire, ou non inscrit, est d’abord la justification d’un système qui lui laisse peu de capacité à agir ; voilà pourquoi le mouvement localiste accorde tant d’importance à l’aide au développement d’entreprises ou de filières d’excellence, quand du moins je peux leur faire bénéficier d’une ouverture internationale que j’ai cultivée depuis trente ans.

    Votre question est un peu théorique, car je ne suis pas ministre de l’Agriculture. J’y répondrai néanmoins sans hésiter. D’abord, définir notre modèle. Une nourriture de qualité, vendue à des prix accessibles à tous et rémunérant le producteur, et produite en France ; c’était le modèle gaulliste, il est à l’origine de la modernisation de l’agriculture française dans les années 1960, sous l’égide d’Edgar Pisani, en particulier en Bretagne, région la plus pauvre de France dans les années 1950 devenue l’une des plus florissantes trente ans plus tard, non certes sans effets indésirables. Qu’avons-nous à ajouter ?

    Ensuite, restaurer ce modèle, ou aller vers celui que nous aurons défini. Ce n’est pas l’Etat qui va recréer des exploitations, rétablir les revenus de l’élevage et gérer l’alternance des cultures ou décider de la transition en « bio » ! Mais l’Etat peut déjà supprimer les incohérences, voire les contradictions, de sa politique, notamment des aides (plus de 340 !), créer des incitations positives et décider de sanctions qu’il appliquera pour garantir une saine concurrence. Mais l’Etat peut aussi contrôler plus strictement la conformité des produits importés. Si l’objectif est de stabiliser le nombre d’exploitations et de maintenir une agriculture dite « paysanne », peu industrialisée et dispersée, il faut travailler sur des revenus complémentaires à ceux qui sont assurés par la vente des produits – comme l’entretien des haies, des zones humides, de la biodiversité.

    Si l’objectif est de favoriser les circuits courts et la consommation locale, les cahiers des charges des collectivités et leurs appels d’offre peuvent jouer un grand rôle. Et si la question du niveau des prix et du pouvoir d’achat se pose, la régulation des relations entre producteurs et distributeurs peut appeler à un renouveau des coopératives de producteurs, distinctes des fonctions de conseil et des moyens de la mise en marché. La nouvelle PAC, avec les Plans Stratégiques Nationaux, nous en donne la possibilité, mobilisons-là ! Et n’hésitons pas à employer les techniques disponibles lorsqu’elles vont dans le sens de nos objectifs ; des territoires sains, porteurs de productions diversifiées et moins dépendants de l’extérieur ! L’un des moyens les plus puissants du progrès vers une agriculture saine et durable, c’est l’information du consommateur. Les QR code sont le moyen d’une information intégrale ; que contient le produit, d’où il vient, comment il a été produit ou fabriqué, quels en sont les composants, etc.

    Encore, construire le modèle institutionnel de coopération entre écologie et agriculture. Il faut libérer le Ministère de l’Ecologie de l’influence d’ONG et de Fondations étrangères, comme il faut libérer le Ministère de l’Agriculture de la tutelle d’un syndicat de céréaliers qui prétend abusivement parler au nom de toute l’agriculture ! L’opposition entre les deux n’a pas de sens à long, voire à court terme. Il n’y a pas de territoires divers et vivants sans agriculteurs, il n’y a pas d’agriculteurs sans terres vivantes, sans biodiversité. Et il n’y a pas de puissance agricole dans la dépendance aux fournisseurs étrangers, ni dans l’épuisement de nos terres.

    Enfin, reprendre la main sur l’aménagement du territoire, la santé publique et les échanges internationaux. Au Parlement européen, j’ai eu l’occasion de débattre des accords de libre échange dans la commission du Commerce International. Par hasard, la Commission est présidée par un Allemand ; par hasard, les Allemands sont surreprésentés parmi les fonctionnaires de la Commission en charge du commerce ; par hasard aussi, l’agriculture française est sacrifiée à l’intérêt industriel allemand ; il faut que les agneaux, la poudre de lait et les œufs de Nouvelle-Zélande entrent en France pour que l’Allemagne continue à lui vendre ses machines-outils. Je n’accepte pas une situation où l’indépendance et la sécurité alimentaire de la France sont sacrifiées pour sauver l’Allemagne de ses colossales erreurs, dont l’Energiewende (la fin du nucléaire) est la plus éclatante. Je n’accepte pas un modèle agricole industriel tel que les bénéfices des groupes privés signifient une dépendance toujours plus grande à des fournisseurs étrangers d’engrais azotés, de pesticides, d’OGM et des détenteurs de brevets sur le vivant. L’industrialisation de l’agriculture a pour résultat que nous importons les 3/4 de notre consommation de fruits, le tiers de notre consommation de légumes et, sans cesse, plus de poulets, d’agneaux et de viande.

    La puissance de notre agriculture ne peut être fondée sur une dépendance toujours accrue à des pays extérieurs. La responsabilité des politiques dans l’abandon de l’agriculture nationale est criante. Ici comme ailleurs, les politiques ont abdiqué devant le marché ou ce qui est en réalité la loi des plus forts et d’intérêts étrangers, et laissé faire des mouvements dont ils déploraient en public les conséquences. Qu’il s’agisse des prix qui ne rémunèrent plus le producteur, qu’il s’agisse de l’invasion de produits qui ne respectent aucune des conditions imposées à nos propres producteurs, qu’il s’agisse d’obligations administratives multipliées sans compensation ou indemnisation, les pouvoirs publics et les élus ont laissé s’instaurer un protectionnisme à l’envers ; nous imposons à nos producteurs des contraintes qui ne le sont pas aux produits importés. Dans le domaine alimentaire comme dans celui des migrations, l’intérêt national a dû céder devant un dogme contraire aux réalités les plus éclatantes.

    Les localistes ne sont pas naïfs. Nous faisons face à des intérêts puissants, qui ne sont pas les nôtres et qui sont hostiles à ce que nous reprenions le contrôle de nos propres affaires. Est-ce pourquoi les effectifs de la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence), entité performante chargée de traquer les fraudes des entreprises et garante de la qualité sanitaire de nos aliments, sont constamment réduits depuis vingt ans ? Nous les augmenterons fortement, comme ceux des Douanes chargés de contrôler la conformité des produits importés. La santé des Français vaut mieux que le « laissez faire, laissez passer » qui tient lieu de politique.

    Lors d’une conférence devant l’Academia Christiana, vous montriez une certaine angoisse devant ce qu’il est convenu d’appeler la privatisation du vivant. Quels en sont les aspects les plus graves et les conséquences, notamment sur l’agriculture? Vous posiez la question de l’expansion des techniques OGM et NGT, qui permettra à quelques multinationales, comme Bayer ou BASF, de contrôler toute notre agriculture?

     « Qui possède les semences, possède le pouvoir. » Main basse sur la vie, expulsion de ceux qui vivent de la nature qui les entoure : je pourrais résumer ainsi l’une des transformations décisives du capitalisme contemporain, qui s’éloigne de plus en plus du libéralisme.

    Première transformation ; le retour des grandes découvertes. Dans les années 1980, sous l’effet d’une intense pression des entreprises et des cabinets d’avocats spécialisés, l’autorité américaine des brevets reconnaît la brevetabilité des découvertes et non plus seulement des inventions. L’évolution est majeure. Alors que seule l’invention d’une nouvelle technique, d’un nouveau procédé, etc., permettait de déposer un brevet, il suffit désormais d’être le premier à décrire une singularité, un élément, une propriété alléguée d’un organisme ou d’un gène pour pouvoir déposer un brevet et s’assurer ainsi la perception de royalties sur toute exploitation ultérieure de cette singularité ou de cet élément. A titre d’exemple, une université australienne a déposé un brevet portant sur la découverte du lien entre un gène et un cancer du sein ; tout laboratoire qui voudra développer une thérapie sur ce sujet devra payer des royalties à l’Université puisqu’elle exploite sa « découverte ». La démarche reproduit, cinq siècles plus tard, celle qui a permis à l’Europe de parler de découvertes là où il s’agissait de territoires habités, organisés, certains d’un haut niveau de civilisation, comme les Aztéques, les Zulus ou les Incas, mais territoires que les Colomb, Pizarre, Stanley ou Léopold, considéraient terra nullius, « terre de personne », parce que leurs habitants n’étaient pas des Européens.

    La colonisation, pourtant jugée crime contre l’humanité trouve une actualité saisissante dans la colonisation du vivant par les entreprises déposant par milliers des brevets sur leurs « découvertes », ce qui a pour premier effet de privatiser les services des écosystèmes et d’en finir avec les gratuités de la nature – nous sommes tous les colonisés des envahisseurs du vivant. Ce mouvement majeur, passé largement inaperçu, a transformé les entreprises américaines d’abord, dont beaucoup ne sont plus que des gestionnaires de portefeuilles de brevets ; l’entreprise sans usine, dont Nike est le modèle, est née de cette évolution juridique. Il bouleverse ensuite les conditions de l’innovation et de la recherche ; les détenteurs de brevets peuvent protéger leur activité de toute concurrence, lever le seuil d’accès et s’entendre avec d’autres codétenteurs pour former de véritables oligopoles protégés de la concurrence de nouveaux entrants. Une économie de péages voit le jour, voire une économie de rentes. Enfin, et surtout, la brevetabilité du vivant découle de la transformation du droit des brevets ; et des entreprises s’engouffrent dans la brèche, accumulant des milliers de brevets sur tous les êtres vivants de manière à s’assurer ensuite des revenus sur toute exploitation d’espèces sur lesquelles des brevets ont été déposés. A titre d’exemple, une seule entreprise, BASF, possède aujourd’hui plus de la moitié des droits existants sur les génomes des organismes marins !

    Avec des effets redoutables. Le maïs fait l’objet d’hybridations depuis un bon demi-siècle. L’objectif unique était de produire plus et le maïs « amélioré » a perdu sa capacité naturelle à se défendre contre la pyrale, en émettant une molécule qui attirait le prédateur de la pyrale dès qu’elle s’attaquait aux racines. Capacité gratuite, fruit de la coévolution sur des millénaires entre le maïs et deux espèces d’insectes. En même temps, la suppression des haies a fait disparaître les oiseaux, mangeurs des pyrales à l’état de papillons. Et voilà comment la disparition de mécanismes naturels bénéfiques a permis à l’industrie de vendre des pesticides, d’abord, puis du maïs « OGM Bt [bacillus thurigiensis] » breveté produisant une toxine qui tue tous les insectes sensibles à cette toxine – toxine présente dans tous les organes de la plante et donc dans ce que nous mangeons ! Et voilà comment l’extinction des ressources de la nature permet à l’industrie d’y substituer ses produits ! Rappelons par ailleurs que les OGM ou autres NGT ne font pas baisser la quantité de pesticides ou d’herbicides utilisés au contraire ; les données du Brésil et de l’Inde montrent que les résistances développées très vite par les plantes invasives supposent au contraire l’usage plus abondant de ces produits, puis le recours à des composants plus toxiques.  

    Seconde transformation ; le retour du mouvement des enclosures, mouvement d’expulsion de millions d’Anglais de leurs terres, quand les propriétaires ont commencé à interdire aux populations locales de faire valoir leurs droits coutumiers à l’affouage, au ramassage du bois mort, à la pêche ou la chasse et à supprimer the chapter of the forests, contemporain de la Magna Carta (1217) et qui garantissait à toute la population l’accès aux biens communs et aux services gratuits des écosystèmes. Nous vivons à bas bruit le même « mouvement des enclosures » sur l’ensemble du vivant ; l’industrie entend substituer partout ses produits et procédés payants aux gratuités de la nature. Nous payons déjà l’air que nous respirons à travers les diverses taxations du CO2. Les heureux propriétaires d’un jardin devront de plus en plus payer redevance aux semenciers ou aux reproducteurs ; plus question de voir les plants de tomates ou de pommes de terre, les poules ou les lapins, échapper au péage des manipulateurs de gènes ! Et les agriculteurs pris au piège des OGM devront chaque année payer pour utiliser des semences dont ils ne sont plus propriétaires ; les propriétaires des brevets font main basse sur toutes les variétés culturales, rachetant les petites structures propriétaires de semences « naturelles » pour les faire disparaître !

    Ce mouvement est décisif. Nous sommes expulsés du vivant. L’industrie entend s’interposer à travers les brevets déposés, entre chacun de nous et les services gratuits de la nature. Quel plus bel exemple que la Banque du Vivant, créée par le WEF en janvier 2018, qui permet aux sociétés privées de détenir la propriété du génome de toutes les espèces vivantes et de se la répartir sous forme de blockchain, tout en ménageant avec générosité une part de revenus aux territoires dont elles sont issues ! Ou encore, celui de ces sociétés qui proposent de remplacer les abeilles par des drones ! L’extinction totale des abeilles leur ouvrirait un marché de dizaines de milliards de dollars ; allez vous étonner si les abeilles disparaissent !

    Les localistes ne sont pas plus naïfs à ce sujet. Le combat pour la vie est engagé. Il faut saluer le courage et le rôle clé pour notre avenir des paysans et des jardiniers qui continuent d’assurer la culture de plantes dont la commercialisation est interdite et qui prennent le risque de les diffuser, comme les associés de Kokopelli ! Pour gagner leur combat, il faudra dénoncer les brevets ne portant pas sur des inventions et refuser totalement les brevets qui privatisent le vivant, les gènes des plantes, des animaux et des hommes. Et il faudra réactiver les procédures employées contre les cigarettiers, en créant la qualification pénale d’entreprise criminelle pour celles qui ne peuvent ignorer les effets nuisibles pour la santé humaine de leurs produits ou d’un modèle économique, qui produit de la fausse science en achetant la complicité des medias et des dirigeants. La société anonyme ne peut pas disposer d’une irresponsabilité illimitée et la dissolution de sociétés dont les opérations menacent la santé humaine doit entrer dans le droit, leurs actifs venant indemniser leurs victimes.

    Autre point concernant l’agriculture; vous affirmez que, à force d’engrais et de surexploitation des terres, certaines des meilleures terres de France, notamment la Beauce, seront dans vingt ou trente ans improductives, comme stériles; cela signifierait-il, entre autres maux, la fin de notre souveraineté alimentaire, déjà très mise à mal, alors qu’elle était assurée depuis des siècles?

    J’ai cité, dans mon ouvrage Chez nous! Pour en finir avec une économie totalitaire, une déclaration du PDG de Nestlé, géant de l’agroalimentaire, évoquant son inquiétude sur la dégradation des terres en Europe.

    Quelle est la situation ? Depuis la révolution agricole de la mécanisation et de la « chimie verte », les mécanismes de la nature ont été de plus en plus artificialisés et transformés par les engrais, par les pesticides et herbicides, par les apports de toute sorte, des labours profonds aux mutations génétiques. Le résultat est paradoxal ; une partie croissante des terres agricoles est « hors sol ». Nos terres sont ce que l’industrie en a fait. Et elle les détruit. Notre puissance est en danger, car la destruction des terres est une perte de puissance et d’autonomie. Et elle est en cours. L’abus d’intrants, de labours profonds, provoque l’érosion des sols, la perte des vers de terre, des bactéries, des insectes qui font la vie des sols. La monoculture épuise les sols en exploitant la même profondeur, alors que les cultures en mélange ou en rotation utilisent différents niveaux de sol sans en épuiser aucun. Les études ont montré que la diversité des espèces en forêt expliquait la résistance aux maladies, aux évènements extrêmes, en même temps qu’elle augmente la captation de carbone.

     Il faut mesurer l’ampleur de l’artificialisation qui nous met hors sol. Parler d’agriculture, d’alimentation, de santé, c’était parler de modes de vie, de lieux de vie, de relief et de terre – la campagne, et tout ce qui va avec – et c’était parler de ce qui dure. C’est parler de business, de capital investi, de rendement financier et d’entreprises. De brevets, de technique, d’innovation. Oublier la nature, le territoire et la vie. L’histoire veut que les patrons des compagnies pétrolières n’aient jamais vu un derrick ; les agriculteurs de demain n’auront jamais tenu de la terre dans leurs mains. Agriculture, alimentation et santé sont pris à leur tour dans la révolution résumée par Hayek : « Ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur ». Pas de valeur un troupeau sur les Causses, pas de valeur la tomate cueillie à la main, chaude encore du soleil d’après-midi ; pas de valeur, le retour des champs derrière le troupeau qui musarde ; pas de valeur, l’ordonnancement de la campagne française ou de ce qu’il en reste – murets suivant les courbes de niveau, haies sculptant le paysage, palette entière des verts, des jaunes, exaltés par les jeux d’ombre et de lumière dessous les arbres, et pas de valeur non plus pour le bond du lièvre, la charge des sangliers, la veille obsédée du busard. Agriculture, alimentation et santé se réduisent aux prix, au rendement et au chiffre des ventes, rien de plus et rien de moins. Et fruits et légumes se réduisent à un prix au kilo et à un bel aspect – quant à la saveur et au goût… L’alliance de la chimie et du numérique promet à l’exploitant d’oublier la terre comme géographie, relie, exposition – ces artifices oblitèrent lieu et temps ; l’agriculture moderne est hors sol !

    Le projet poursuivi par tous les accords de libre échange est d’en finir avec toute marque ou appellation territoriale. La terre est un actif comme un autre, évaluée selon son rendement à l’hectare et son statut d’investissement refuge, et négociable sur le marché mondial des terres. Et de même, c’en est fini et bien fini du médecin qui connaissait l’histoire de la famille, des maladies d’enfance aux accidents de toute vie, et qui jugeait d’un coup d’œil si « c’est grave, docteur ? » Contre toute l’expérience de l’art médical, le corps humain est pris pour une mécanique comme une autre et la médecine est priée de se plier à sa vocation – devenir le prescripteur des Big Pharma qui lui fournissent de quoi soigner, surtout pas guérir – l’idéal étant le vaccin qu’il faudra refaire sa vie durant, source de revenus inépuisables et prévisibles ! Autant dire qu’il n’y a plus aucun respect de l’être humain dans cette vision, de même qu’il n’est plus question de respect du vivant dans l’agro-industrie. Quant à l’alimentation, qui y voit autre chose que le moyen de soumettre les peuples, selon le fort mot de Kissinger, « On tient les Etats par l’énergie et les peuples par l’alimentation » ? Les commentateurs naïfs ont cru que c’était un constat ; ils n’ont pas compris que c’était un programme, que les multinationales américaines ou chinoises se mettent en demeure de réaliser à travers la concentration, la norme et le droit. Qui croit que le territoire, la tradition ou la liberté ont quelque chose à y voir ?

    Si la première priorité est celle de l’autonomie alimentaire, elle dépend d’abord, sur le moyen et long terme, de terres vivantes et fécondes. C’est pourquoi il est non seulement vain, mais dangereux, d’opposer écologie et puissance. Au moment où plus de 60 % des terres agricoles européennes sont menacées de devenir stériles du fait de mauvaise pratiques culturales, la priorité s’impose : la restauration de la nature, des haies, des zones humides, la protection des sols, le retour de la biodiversité, ne s’opposent pas à la puissance, comme une propagande dictée par les industriels de l’agrochimie le fait accroire, mais elle en est une condition. Ajoutons ce constat ; même si quelques entreprises agricoles issues de la coopération, comme Limagrain, le groupe Avril, etc., ont connu de remarquables succès à l’international, contribué à la balance commerciale de la France et bien servi la puissance de la France dans le monde, cette contribution à la sécurité et à l’autonomie alimentaire est contestable. Plus la France est engagée dans la globalisation et les échanges de marché, plus elle est dépendante d’intérêts qui ne sont pas les siens. Plus la France parvient, dans le cadre des accords de libre-échange et dans les quelques domaines où elle atteint une excellence reconnue, par exemple les vins, à gagner des parts de marché et à s’ouvrir de nouveau marchés, plus elle est dépendante de contre-mesures et plus elle est en danger, puisque toute interdépendance est aussi une dépendance.

    Hervé Juvin (Le Nouveau Conservateur, 24 janvier 2024)

    La suite de cette analyse est à retrouver dans le numéro XII du Nouveau Conservateur.

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  • Le combat culturel pour sauver du naufrage la civilisation européenne...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous sur TV Libertés la deuxième partie d'une conversation de Paul-Marie Coûteaux avec Jean-Yves Le Gallou au cours de laquelle, au travers de son parcours, ce dernier évoque la nécessité du combat culturel pour sauver notre civilisation.

    Ancien haut-fonctionnaire, président de la Fondation Polémia, Jean-Yves Le Gallou a, notamment, publié La tyrannie médiatique (Via Romana, 2013),  Immigration : la catastrophe - Que faire ? (Via Romana, 2016), Européen d'abord - Essai sur la préférence de civilisation (Via Romana, 2018) et Manuel de lutte contre la diabolisation (La Nouvelle Librairie, 2020).

    Première partie de l'entretien : Plutôt Athènes que Jérusalem

     

                                                   

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  • Plutôt Athènes que Jérusalem...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous sur TV Libertés une conversation de Paul-Marie Coûteaux avec Jean-Yves Le Gallou pour évoquer, au travers de son parcours, la diabolisation de la droite.

    Ancien haut-fonctionnaire, président de la Fondation Polémia, Jean-Yves Le Gallou a, notamment, publié La tyrannie médiatique (Via Romana, 2013),  Immigration : la catastrophe - Que faire ? (Via Romana, 2016), Européen d'abord - Essai sur la préférence de civilisation (Via Romana, 2018) et Manuel de lutte contre la diabolisation (La Nouvelle Librairie, 2020).

     

                                             

     

    " Qui mieux que Jean-Yves Le Gallou, co-fondateur du Club de l’Horloge en 1975, puis de la Fondation Polémia, enfin de l’Institut Iliade, ancien député européen, ancien président de groupe au Conseil général d’Ile-de-France, passé en 1985 de la droite parlementaire au Front National avant de soutenir en 2022 la candidature d’Eric Zemmour, peut décrire et même expliquer la façon dont la gauche est parvenue, dès le début des années 70 à exclure de la sphère médiatique les intellectuels et hommes politiques de droite, au point de marginaliser en France toute pensée de droite ? Formé très tôt par les idées du GRECE et de la Nouvelle Droite, admirateur de la civilisation européenne depuis ses plus lointaines origines, choisissant Athènes plutôt que Jérusalem, cet énarque intrépide et cultivé a découvert, dès ses années à Sciences Po, la gravité du problème migratoire, a connu toutes les étapes de la "diabolisation ". Il montre comment la droite française a été "cornérisée" puis quasiment réduite au silence par un système médiatique qu’il suit et analyse de près afin d’instaurer un "contre-pouvoir médiatique", assurer la réinformation des Français et "reprendre le pouvoir" - à commencer par le pouvoir intellectuel. Voici la première de deux conversations consacrées à l’étonnant parcours de celui qui est devenu un pilier de la droite française (et de TVL) retraçant ici les étapes de sa formation dans les années 60 à son entrée au Front National en 1985. "

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  • Démographie, immigration, totalitarisme... : un tour d’horizon avec Alain de Benoist

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Paul-Marie Coûteaux, pour la revue Le nouveau Conservateur, cueilli sur le site de la revue Éléments.

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (La Nouvelle Librairie, 2021), L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021) et, dernièrement, L'exil intérieur (La Nouvelle Librairie, 2022).

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    « Tout projet qui vise à imposer une pensée unique est totalitaire »

    LE NOUVEAU CONSERVATEUR : Alain de Benoist, n’êtes-vous pas alarmé par ce chiffre que donne le démographe Illyès Zouari : le nombre des décès, au sein de l’UE, a dépassé celui des naissances de 1,231 million en 2021 ? Reprendriez l’expression qu’il emploie d’« autogénocide » de l’Europe ?

    ALAIN DE BENOIST. Non, je ne reprendrais pas ce terme, parce que je le trouve à la fois excessif et inutilement polémique. Le mot « suicide » aurait sans été plus raisonnable, même si je crois qu’il ne correspond pas non plus exactement à la réalité. D’une façon plus générale, je ne pense pas qu’il faille raisonner sous l’horizon de l’apocalyptisme, que ce soit en matière écologique ou démographique. La démographie est une discipline dans laquelle il est notoirement impossible de faire des prédictions à long terme : dire qu’au rythme actuel nous allons bientôt disparaître n’a guère de sens puisque nous ignorons si ce rythme va se maintenir (et jusqu’à quand).

    Je suis par ailleurs, comme Renaud Camus, de ceux qui estiment qu’un espace fini comme notre planète ne peut pas accueillir une masse infinie de population. Olivier Rey a bien montré dans ses ouvrages, d’inspiration profondément conservatrice, que toute augmentation de quantité entraîne, une fois passé un certain seuil, un sauf qualitatif qui transforme la nature des phénomènes. C’est la raison pour laquelle la surpopulation a pour effet d’aggraver tous les problèmes que nous connaissons. Il nous a fallu 200 000 ans pour arriver à 1 milliard de bipèdes sur la planète, puis 200 ans seulement pour arriver à 7 milliards. Nous venons maintenant de passer le cap des huit milliards, et nous pourrions être à 11 milliards à la fin de ce siècle, ce qui veut dire que la population mondiale augmente en moyenne d’un milliard de personnes tous les 12 ans Je n’ai personnellement pas envie de vivre dans des villes de 50 ou 60 millions d’habitants…

    Quand une population moins nombreuse succède à une population plus nombreuse, il est inévitable que le nombre des décès l’emporte à un moment ou à un autre sur le nombre des naissances. Cette détérioration de la pyramide des âges est par définition transitoire. La France de 1780, avec ses 27 millions d’habitants (dont la majorité ne parlaient pas le français) se portait beaucoup mieux que la France actuelle avec ses 65 millions d’habitants. J’ajoute que, contrairement à une idée reçue, la baisse de la fécondité ne s’explique pas fondamentalement par la contraception ni même par l’avortement, mais par deux phénomènes essentiels dont on parle trop peu, à savoir la fin du monde paysan (dans lequel une forte descendance était indispensable au maintien des lignées sur leurs terres) et l’entrée massive des femmes sur le marché du travail (qui a considérablement retardé l’âge de la femme à la naissance du premier enfant). S’y ajoutent d’autres facteurs : les effets d’une mentalité hédoniste portée à juger que les enfants coûtent trop cher, les problèmes de logement en milieu urbain (plus de la moitié de la population mondiale vit désormais dans les grandes métropoles, et d’ici 2050 ce sera le cas des deux tiers).

    Il reste, cela dit, deux sujets réels de préoccupation : d’abord le fait que la part des naissances extra-européennes en Europe augmente régulièrement au détriment des naissances « de souche », ce qui induit une transformation du stock génétique de la population, ensuite le différentiel de croissance démographique entre les différences parties du monde : la population de l’Afrique subsaharienne devrait bondir à elle seule de 100 millions d’habitants à 1900 à 3 ou 4 milliards à la fin du siècle, ce qui ne manquera évidemment pas d’avoir des conséquences auxquelles nous sommes très mal armés pour faire face.

    LE NOUVEAU CONSERVATEUR : Voici un siècle paraissait le livre d’Oswald Spengler « Le déclin de l’Occident ». Dans « Mémoire vive », série d’entretiens avec François Bousquet où vous retracez votre itinéraire intellectuel, on comprend que Spengler a exercé sur vous une grande influence. Qu’en diriez-vous aujourd’hui ? Et pour commencer, avalisez-vous le terme d’« Occident » ? Ne pensez-vous pas que parler du déclin de l’Europe serait plus approprié ?

    ALAIN DE BENOIST. Dans son livre, qui lui a valu une renommée mondiale, Spengler proposait une conception de l’histoire allant exactement à rebours d’une idéologie du progrès pour laquelle l’avenir ne peut être que meilleur que le présent et le passé (ce dont il se déduit que le passé n’a rien à nous dire). Pour Spengler, les cultures sont des organismes collectifs qui, comme tous les organismes, naissent, se développent, atteignent leur apogée, vieillissent et disparaissent. Après quoi Spengler établissait un parallèle morphologique entre les dix ou douze grandes cultures de l’humanité, pour démontrer qu’elles ont toutes illustré ce schéma. Ce travail a évidemment été très mal accueilli dans les milieux progressistes, mais aussi dans les milieux libéraux qui, ignorant la mise en garde de Paul Valéry, s’imaginent que certaines civilisations peuvent être éternelles.

    Le terme d’« Occident » était en effet équivoque. Vous le savez, le mot a une longue histoire. Aujourd’hui, il tend à désigner un bloc qui, pour l’essentiel, associerait les États-Unis d’Amérique et les Européens. Cette façon de voir me paraît un non-sens géopolitique. L’Amérique, comme l’Angleterre avant elle, est une puissance de la Mer, tandis que l’Europe, avec ses prolongements eurasiatiques, représente la puissance de la Terre. Carl Schmitt résumait l’histoire à une lutte séculaire entre les puissances maritimes et les puissances telluriques et continentales. Que les intérêts américains et les intérêts européens (et, au-delà, leurs idéologies fondatrices respectives) soient fondamentalement les mêmes est une absurdité dont le spectacle des dernières décennies devrait nous convaincre. On en a encore eu un bon exemple avec la façon dont, dans l’affaire ukrainienne, l’Union européenne a adopté sur pression des États-Unis des sanctions contre la Russie dont les Européens seront les premières victimes.

    LE NOUVEAU CONSERVATEUR : En Allemagne, la vie intellectuelle, voici un siècle, a été marquée par ce qu’on a appelé la « Révolution Conservatrice ». Pensez-vous qu’elle pourrait inspirer aujourd’hui une nouvelle conception du réflexe conservateur qui est avant tout une protestation du monde ancien, de nature humaniste, comme vous l’avez dit sur Radio Courtoisie, face au totalitarisme ?

    ALAIN DE BENOIST. Pourquoi pas, mais à condition d’en faire un examen attentif. Ce qu’on a appelé « Révolution Conservatrice » (l’expression est d’Armin Mohler et date du tout début des années 1950) désigne une vaste mouvance comprenant plusieurs centaines d’auteurs, de groupements politiques et de revues théoriques, qui ont joué en Allemagne un rôle très important entre 1918 et 1932. Cette tendance comprenait des tendances différentes, les quatre principales étant les jeunes-conservateurs, les nationaux-révolutionnaires, les Völkische et les Bündische. Tous ne présentent évidemment pas le même intérêt. En outre, dans le syntagme « Révolution Conservatrice », il ne faut pas oublier que le mot « Révolution » et tout aussi important que l’adjectif « Conservatrice ». Les révolutionnaires conservateurs sont des penseurs ou des acteurs politiques (Spengler, Carl Schmitt, Arthur Moeller van den Bruck, Othmar Spann, Albrecht Erich Günther, Ernst Jünger, Arthur Mahraun, etc.) qui considèrent, à l’encontre du conservatisme du XIXe siècle, que dans les conditions présentes, seule une révolution peut permettre de conserver ce qui mérite de l’être. Leur idée fondamentale est que le conservatisme ne doit pas chercher à préserver le passé, mais à maintenir ce qui est éternel. On pourrait dire aussi : entretenir la flamme et non conserver les cendres.

    LE NOUVEAU CONSERVATEUR : Dans « Communisme et nazisme », ouvrage que vous avez publié en 1998 et qui était sous-titré « 25 réflexions sur le totalitarisme au XXe siècle, de 1917 à 1989 », vous dressiez une liste impressionnante de similitudes entre les deux totalitarismes qui ont pour ainsi dire cohabité au XXe siècle, en comparant notamment ce qu’était la classe pour le communisme à ce que fut la race pour le nazisme : deux catégories à éliminer physiquement (Staline : « Les koulaks ne sont pas des êtres humains, la haine de classe doit être cultivée par les répulsions organiques à l’égard des êtres inférieurs. ») Dans les deux cas, ces totalitarismes du siècle dernier n’ont-ils pas cédé à l’illusion progressiste selon laquelle il était possible, en éliminant les êtres inférieurs, de créer un homme nouveau ? N’est-ce pas aujourd’hui encore le même délire visant à créer par la technique une nouvelle race d’hommes ?

    ALAIN DE BENOIST. La thématique rupturaliste de l’« homme nouveau » remonte à saint Paul, mais celui-ci ne lui donnait évidemment pas le même sens que les grands totalitarismes modernes, ni non plus celui des tenants du « transhumanisme » contemporain. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que dans tous les cas cette thématique tend à justifier des mesures d’élimination de ceux que l’on regarde, soit comme inférieurs, soit tout simplement comme « des hommes en trop » (Claude Lefort), à l’exception de ceux qui acceptent de se convertir à la nouvelle doxa dominante. Aujourd’hui, l’homme nouveau dont on nous annonce l’avènement est avant tout un homme « augmenté » par le moyen des technologies nouvelles – mais dont on a toute raison de penser (je renvoie à nouveau aux écrits d’Olivier Rey) qu’il s’agira en réalité d’un homme diminué. La cancel culture, le « wokisme », la théorie du genre contribuent à cette poussée qui semble annoncer une véritable mutation anthropologique, face à laquelle l’action politique sera, je le crains, parfaitement impuissante.

    LE NOUVEAU CONSERVATEUR : Vous introduisiez le même ouvrage (« Communisme et nazisme ») par une citation d’Alain Finkielkraut : « Naguère aveugle au totalitarisme, la pensée est maintenant aveuglée par lui. » Ne sommes-nous pas entrés, sans toujours nous en apercevoir, dans une nouvelle ère totalitaire ?

    ALAIN DE BENOIST. Sans doute, mais encore faut-il ne pas céder à une certaine tendance actuelle, que l’on rencontre surtout à droite, qui consiste à voir de façon polémique du « totalitarisme » partout. Il faut de la rigueur pour manier les mots qui ont trop servi. Je m’en tiendrai pour ma part à une observation simple. On a trop fait l’erreur de définir le totalitarisme par les moyens auxquels ont eu recours les grands totalitarismes historiques (censure, parti unique, arrestations arbitraires, déportations, Goulag, camps de concentration, etc.), sans s’interroger outre-mesure sur les fins. Or les moyens totalitaires n’usaient de ces moyens qu’en vue d’une fin bien précise : l’alignement (la Gleichschaltung), la suppression des façons de penser dissidentes, l’éradication de toute pensée qui s’écartait de l’idéologie dominante. Le totalitarisme, en d’autres termes, était dans la fin beaucoup plus encore que dans les moyens Une fois qu’on a compris cela, on ne peut que constater que les sociétés libérales contemporaines visent exactement le même but, mais avec des moyens différents – des moyens moins brutaux, voire de nature à plaire et à séduire, qui vont de pair avec la mise en place d’une surveillance de contrôle et de surveillance d’une ampleur (et d’une efficacité) jamais vue. Cela s’appelle la pensée unique, et tout projet qui vise à imposer une pensée unique est totalitaire. D’où ma méfiance vis-à-vis de l’Unique, auquel j’ai coutume d’opposer ce que Max Weber appelait le « polythéisme des valeurs ».

    Alain de Benoist, propos recueillis par Paul-Marie Coûteaux (Site de la revue Éléments, 17 janvier 2023)

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  • Le conservatisme a-t-il encore un avenir ?...

    Dans ce nouveau numéro de l'émission de TV Libertés, « Les idées à l’endroit », Rémi Soulié, pour évoquer la question du conservatisme, reçoit Paul-Marie Coûteaux, haut fonctionnaire, essayiste, directeur de la rédaction de la revue Le Nouveau Conservateur, Bérénice Levet, philosophe, auteur notamment du Crépuscule des idoles progressistes (Stock, 2017), et Frédéric Rouvillois, professeur de droit public à l’Université Paris-Descartes, co-directeur, avec Olivier Dard et Christophe Boutin, du Dictionnaire du conservatisme (Cerf, 2017).

     

                                                

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  • La fin de l'africanisme...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous sur TV Libertés la quatrième partie des conversations de Paul-Marie Coûteaux avec Bernard Lugan, dans laquelle celui-ci évoque les études africaine au sein de l'université française.

    Historien et africaniste, Bernard Lugan a publié de nombreux ouvrages, dont Histoire de l'Afrique (Ellipses, 2009), Atlas historique de l'Afrique (Rocher, 2018), Esclavage, l'histoire à l'endroit (L'Afrique réelle, 2020) et dernièrement Pour répondre aux « décoloniaux », aux islamo-gauchistes et aux terroristes de la repentance (L'Afrique réelle, 2021).

    Il est également l'auteur de deux romans avec Arnaud de Lagrange, Le safari du Kaiser (La Table ronde, 1987) et Les volontaires du Roi (réédition : Balland, 2020), ainsi que d'un récit satirique, Le Banquet des Soudards (La Nouvelle Librairie, 2020) et d'un recueil de nouvelles, Nouvelles incorrectes d'une Afrique disparue (La Nouvelle Librairie, 2021).

     

                                            

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