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nietzsche

  • Un cœur révolté...

    Les éditions Hérodios viennent de publier un recueil d'aphorisme de Nicolás Gómez Dávila intitulé Un cœur révolté. Écrivain colombien, contempteur de la société moderne et auteur de milliers d'aphorismes, Nicolás Gómez Dávila (1913-1994) s’est inspirée de Thucydide, Montaigne, Pascal, Nietzsche et Burckhardt.

     

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    " Nicolás Gómez Dávila (1913-1994) consacra sa vie à la lecture et à l’écriture. Chez lui, à Bogota, sa bibliothèque était le centre de sa maison, un lieu de recueillement et de méditation d’où se dégageait le parfum du savoir et de la littérature de l’ancienne Europe. Selon son ami Alvaro Mutis, son oeuvre est « un livre immense, un territoire jalousement maintenu dans la pénombre. »

    Reconnu comme un des penseurs les plus radicaux de son temps, la tranquillité de ce sage insolent a conquis le monde. Son œuvre est une critique radicale de la modernité et de ses phénomènes les plus importants: la démocratie, les Lumières, l’empire de l’homme sur la nature.
    L’originalité toute révolutionnaire de sa pensée est de donner sa place à la religion dans le domaine des idées, après deux siècles de désert. Son humour décapant, son écriture à la pointe de diamant lui ont valu le surnom de « Nietzsche des Andes ». "

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  • Tout Nietzsche... ou presque !

    Les éditions Flammarion viennent de publier sous la direction de Patrick Wotling un volume (énorme !) des Œuvres complètes de Nietzsche. Une séduisante tentation pour les lecteurs passionnés du philosophe de Sils Maria...

     

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    " Nietzsche a profondément influencé l'évolution de tous les champs de la vie intellectuelle contemporaine, des sciences humaines aux arts plastiques et à la musique, en passant par la littérature. Mais il a surtout révolutionné la compréhension de la tâche philosophique elle-même, et inventé une manière nouvelle de penser, en même temps qu'un nouveau langage. En montrant que la question des valeurs est plus profonde que celle de la vérité, en dévoilant les soubassements infraconscients de la rationalité, en détectant les activités pulsionnelles qui guident nos comportements, il a révélé le conditionnement clandestin auquel obéissent les domaines, que l'on croyait autonomes et objectifs, du savoir, de la morale, de la politique. Et déchiffré de manière inédite la nature du réel. Ce volume comprend la totalité des ouvrages publiés de Nietzsche, ainsi que l'ensemble de ses textes intégralement rédigés mais non publiés de son vivant, dont certains sont inédits en français. Il constitue la seule édition française complète de ses textes philosophiques hors fragments posthumes. "
     
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  • Islam(s) ?...

    Le numéro 56 de la revue Krisis, dirigée par Alain de Benoist, avec pour rédacteur en chef Thomas Hennetier, vient de paraître. Cette nouvelle livraison est consacrée à l'islam ou aux islams...

    Vous pouvez commander ce nouveau numéro sur le site de la revue Éléments.

    Bonne lecture !

     

     

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    Au sommaire :

    Entretien avec Yves Le Pesqueur / « Le cadavre de l’Occidentchrétien s’est décomposé, celui de l’islam s’est momifié. »

    Hocine Kerzazi / L’islam à l’épreuve de ses origines.

    Débat : Alain de Peretti / Oui, nous sommes en guerre avec l’islam.

    Débat : Marvin T. Neumann / Non, nous ne sommes pas en guerre avec l’islam.

    Annie Laurent / Le regard de l’islam sur l’homme.

    Razika Adnani / La défaite de la pensée musulmane.

    Pierre et Alexandre Lochak / L’islam sunnite et la modernité : une histoire triste.

    Philippe Conrad / Al-Andalus, du mythe à l’histoire.

    Franco Cardini / Ces quelques petites choses que l’Europe doit à l’islam.

    Pierre Manent / L’islam, la France et la République.

    Michel Lhomme / Entre sel et rouge à lèvres, Indonésie et Nigéria, ou l’islam des géants.

    Maxence Smaniotto / 1979, une révolution conservatrice iranienne ?

    Claudio Mutti / Nietzsche et l’islam.

    Le Texte : Gustave Le Bon / Causes de la grandeur et de la décadence des Arabes

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  • Pierre Drieu la Rochelle : le rêve ou l'action...

    Les éditions de La Nouvelle Librairie, associées à l'Institut Iliade, viennent de publier dans leur collection Longue mémoire un court essai de Jeremy Baneton intitulé Pierre Drieu la Rochelle - Le rêve ou l'action.

     

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    " Drieu la Rochelle est un auteur qui ne se laisse pas aisément définir. L’homme a en effet collectionné les étiquettes les plus contradictoires : nietzschéen, surréaliste, révolutionnaire, radical, réactionnaire, socialiste, nationaliste, européaniste, pacifiste, fasciste, etc. Sa vie et son oeuvre épousent les convulsions de son siècle et en sont le reflet. Fin connaisseur de son œuvre, Jeremy Baneton nous offre une intime compréhension de cet être qui a souffert avant tout « de l’inachèvement des hommes » et nous dévoile un penseur éminemment visionnaire pour qui l’Europe seule pouvait sauver la France. "

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  • Nietzsche et le dépassement de la métaphysique...

    Nous reproduisons ci-dessous une réflexion de Pierre le Vigan autour du rapport de Nietzsche à la métaphysique cueillie sur le site de la revue Éléments.

    Philosophe et urbaniste, Pierre Le Vigan est l'auteur de plusieurs essais comme Inventaire de la modernité avant liquidation (Avatar, 2007), Le Front du Cachalot (Dualpha, 2009), La banlieue contre la ville (La Barque d'Or, 2011), Nietzsche et l'Europe (Perspectives libres, 2022), Le coma français (Perspectives libres, 2023), Clausewitz, père de la théorie de la guerre moderne ou tout récemment Les démons de la déconstruction - Derrida, Lévinas, Sartre (La Barque d'Or, 2024).

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    Il n'y a nul doute sur le fait que Nietzsche a voulu penser un monde sans arrière-monde, un monde sans principe extérieur à lui-même, un monde sans dualisme entre un créateur et une création. A bon droit, on a appelé cela une critique radicale de la métaphysique. C’est-à-dire de toutes les métaphysiques précédentes, à commencer par celle de Platon, accusée de préférer l’Idée, le Beau abstrait, au sensible, au réel, au déjà-là. Nietzsche, destructeur « au marteau » de la métaphysique : telle est l’image que l’on en a. Une vision que Pierre Le Vigan interroge au regard des analyses de Martin Heidegger.

     

    Nietzsche et le dépassement de la métaphysique

    Martin Heidegger, quelque cinquante ans après Nietzsche, a vu sa pensée comme une nouvelle métaphysique. Et il l’a dit dans des textes qui, dans le contexte de l’époque, voulaient interdire toute récupération de Nietzsche par le national-socialisme allemand. Le surhomme ? La volonté de puissance ? Ce serait la métaphysique ultime. Avec ce thème de la volonté de puissance, Nietzsche aurait contribué à la dernière manifestation de la métaphysique : le règne de la technique. La volonté de puissance comme hypostase (ce qui soutient, ce qui est la substance) de la domination de la technique : voilà le bilan de Nietzsche selon Heidegger. Nietzsche : un philosophe immense, mais qu’il ne faut pas surtout pas suivre ?  Cela mérite d’aller y voir de plus près. D’autant que Heidegger lui-même porte sur Nietzsche un regard plus complexe que ce qui parait au premier abord.

    Au-delà de la métaphysique

    Dépasser la métaphysique, c’est une affaire, dit Nietzsche, qui exige « la plus haute tension de la réflexion humaine. » La  métaphysique, c’est le lieu qui essaie de penser l’étant, et donc l’être (l’essence) de l’étant. Elle cherche à définir le principe de cet être de l’étant (Dieu comme créateur du monde avec les monothéismes, la coïncidence de l’histoire avec le Soi de l’homme et le Soi du monde avec Hegel, le sens de l’histoire comme sens de l’homme avec Marx, etc). Ce programme parait à première vue légitime. Pourtant, selon Martin Heidegger, ces différentes tentatives de métaphysique tendent à nous éloigner de l’essentiel, qui est l’attention au monde, l’écoute de l’être. Une contemplation. « Il est vrai, écrit Heidegger, que la métaphysique représente l’étant dans son être et pense ainsi l’être de l’étant. Mais elle ne pense pas la différence de l’Être et de l’étant […]. La métaphysique ne pose pas la question de l’Être lui‑même. » (Lettre sur l’humanisme, 1947). Et c’est ici que Nietzsche est rencontré, mais il est rencontré comme un obstacle.

    « La pensée de Nietzsche, explique Heidegger, est, conformément à la pensée occidentale depuis Platon, métaphysique. » (Achèvement de la métaphysique et poésie, Gallimard, 2005, cours de 1941-42 et 1944-45). En outre, souligne Heidegger, la question : « Quel est l’être (ou l’essence) de l’étant ? » n’est qu’une ontologie régionale (de même qu’il existe des géographies régionales). Le monde ne se réduit pas à ce qui existe, il inclut différentes possibilités d’être. Ou, si on préfère, ce qui existe n’est pas simplement ce qui se voit, ce qui se manifeste.  Il faut aussi comprendre que toute pensée de l’étant existe du point de vue de l’homme. Elle implique donc une anthropologie, elle est aussi une entreprise historiale car l’homme est l’histoire constitutive de lui-même, à la différence de l’animal.

    La métaphysique consiste donc à dire quelque chose à propos de ce qu’est l’étant. De ce point de vue, Nietzsche ramène la métaphysique à ce que l’on peut strictement dire de la physique (phusis : la nature). C’est une hyperphysique. Nietzsche est destructeur d’idoles et accoucheur d’étoiles. Pour Nietzsche, l’essence de la physique, c’est-à-dire de l’étant, c’est la volonté de puissance. Son mode d’existence, c’est l’Éternel Retour. Son horizon, c’est le nihilisme qu’il faut faire toujours reculer, mais qui ne doit pas disparaître de notre horizon. S’il disparaît de notre horizon, si nous ne le voyons plus, c’est que nous sommes devenus le nihilisme. C’est que le nihilisme est caché en nous.

    Mais au nom de quoi lutter contre le nihilisme ? Au nom du vrai ?  Qu’en est-il alors de celui-ci ? La vérité dans la métaphysique est une notion délicate chez Nietzsche. On pense parfois que Nietzsche récuse la notion de vérité et on passe à autre chose. Nietzsche contre « la vérité » ? Ce n’est pas tout à fait cela. La vérité selon Nietzsche, c’est la justice dans le tragique. C’est l’amour du destin (amor fati). L’être, c’est la vie, Être, c’est vivre, et la persistance de l’être n’est pas autre chose selon Nietzsche que la volonté de vie. « L’être – nous n’en avons pas d’autre représentation que le vivre. Comment alors quelque chose de mort peut-il être ? »

    Volonté de vie. Cette volonté produit des valeurs qui sont sans cesse menacées de ruine et doivent constamment être régénérées et métamorphosées. Chaque nouvelle valeur produit de nouvelles vérités. La vérité existe donc, mais elle est historiale. Elle correspond à des époques historiques.  Elle varie en fonction des paradigmes que l’homme se donne et qui lui permettent de se produire et de se reproduire lui-même à différentes époques et en fonction de différentes représentations du monde (notion centrale qui veut dire que le monde se présente à nous différemment en fonction des époques). 

    Dans cette perspective, l’éternel retour est éternel retour du surpassement des valeurs et donc de la volonté de puissance. Abolition et dépassement (Aufhebung). Ce qui est vrai, c’est ce qui est juste, et ce qui est juste, c’est ce qui permet la pérennité, et donc la réinvention permanente, de la puissance. Le surhomme est l’horizon de l’homme en tant qu’il nie et dépasse l’homme sans cesse, afin de mieux saisir l’être de l’étant, c’est-à-dire afin de mieux affirmer la vie de l’étant. Le surhomme est Selbstüberwindung, dépassement de soi. Le surhomme est donc au plus près du nihilisme, il est inscrit dans le même horizon, mais il lutte contre ce nihilisme (pour lutter, il faut être au contact). C’est pourquoi l’homme doit accepter d’être cyclique et sphérique comme l’est le monde. « Il me faut, pareil à toi [soleil] décliner… redevenir un être humain. » (Le Gai savoir, XII, 254-255). « Et ce sera le grand Midi quand l’homme sera au milieu de sa route entre la bête et le surhomme, quand il fêtera, comma sa plus haute espérance, son chemin qui conduit au soir, car c’est la route d’un nouveau matin. » (Ainsi parlait Zarathoustra, XIII, 99).

    Vérité du sensible ou vérité du supra-sensible ?

    Une vérité inscrite dans l’éternel retour de la volonté humaine, telle est la vérité selon Nietzsche. Cette conception de la vérité  est au rebours de celle développée par Platon. Si pour Platon, l’art est une imitation de l’apparence de la vérité (apparence qui n’est pas son essence), pour Nietzsche, l’art est une invention de la vérité. La vérité n’est pas derrière nous, elle est devant nous. C’est à nous de l’inventer. En poussant à peine les choses, on peut dire que pour Nietzsche, il n’y a de vérité que dans l’art. Ce qui est vrai et ce qui est juste, c’est ce qui donne de la force à la puissance. De la puissance à la puissance.

    Selon Nietzsche, contrairement à Platon, l’art et le sensible sont plus importants que la vérité et le supra-sensible. Ceci explique que selon Heidegger, Nietzsche renverse le schéma de Platon, mais ne le détruit pas. La volonté sans telos (finalité) devient, selon la lecture de Nietzsche par Heidegger, volonté de volonté, tournant sur elle-même, dans la lignée de la notion d’impetus (théorie expliquant le mouvement et son progressif épuisement). Une preuve que la volonté veut exister à tout prix, indépendamment de tout telos, est énoncée ainsi par Nietzsche : « L’homme préfère encore avoir la volonté du néant que de ne point vouloir du tout. »  (La Généalogie de la morale). 

    Mais du point de vue de Heidegger, la volonté de volonté débouche sur la dernière étape de la métaphysique, à savoir le triomphe de la technique. Cela n’a rien d’évident. Pourquoi la volonté de volonté serait-elle le prélude à une métaphysique de la technique plutôt que, par exemple, à une métaphysique de la guerre ? Pourquoi ne serait-elle pas plutôt un conatus spinoziste ? Conatus : énergie de persister. On peut questionner la thèse de Heidegger sur la métaphysique de la technique. Est-elle vraiment sans telos, cette technique qui constitue désormais la trame de notre monde commun ? Ou les hommes qui produisent et maîtrisent la technique ont-ils un telos en vue ? Reste que l’on ne peut contester le constat comme quoi la technique envahit tout le monde humain.

    L’idée de la puissance novatrice de la technique se trouve chez Nietzsche lui-même.  « La machine [existe] en tant qu’enseignante. » (Humain trop humain II). Ce qui veut dire que la machine a des choses à nous apprendre, et à nous apprendre sur nous. D’autant que Nietzsche doute que l’on puisse connaître de l’être humain « autre chose que ce qu’il est en tant que machine » (L’Antéchrist). Nietzsche se voit du reste lui-même comme « une machine prête à exploser. » La figure de la machine n’est ainsi pour Nietzsche pas le contraire de la figure humaine, Elle en est une représentation, y compris dans sa dimension d’accident et d’imprévisibilité.  Et la machine fascine Nietzsche : « Je songe beaucoup à m’acheter une machine à écrire » (Lettre à Peter Gast, 17 janvier 1882).

    Le moteur comme figure de l’éternel retour

    Heidegger relève que « le moteur est une figure très convaincante de l’éternel retour de l’identique » (In Essais et conférence, Gallimard, 2010). Et pour cette raison même,  Heidegger affirme que Nietzsche n’a pas annoncé la fin de la métaphysique mais un nouveau stade de celle-ci, qui serait la volonté de puissance culminant dans l’appel au surhomme. Le nietzschéisme : la forme métaphysique de l’ère de la technique. Nietzsche, dit Emmanuel Chaput suivant les traces de Heidegger, renverse le platonisme « aboutissant à l’accomplissement de la métaphysique dans la figure historiale de la technique ».

    Mais la figure du surhomme peut être vue sous différents angles, comme Nietzsche nous apprend à le faire pour toute chose. Heidegger lui-même, après-guerre, voit le surhomme nietzschéen d’une manière moins négative que ce fut le cas auparavant. Le surhomme de Nietzsche ne serait-il pas proche du « berger de l’être », que Heidegger nous demande d’imaginer et d’accueillir ? C’est ce que suggère le texte Qu’appelle t-on penser (1951-1952). C’est aussi l’interrogation de « Pourquoi des poètes ? » qui refait surface (in Chemins qui ne mènent nulle part, 1962) : « Plus la nuit du monde va vers sa mi-nuit, plus exclusivement règne l’indigence, de sorte que son essence [du monde] se dérobe. Même la trace du Sacré est devenue méconnaissable. La question de savoir si nous éprouvons encore le Sacré comme trace de la divinité du divin, ou bien si nous ne rencontrons plus qu’une trace du Sacré, reste indécise. Ce que pourrait être la trace de la trace reste confus (undeutlich : indistinct). Comment une telle trace pourrait se montrer à nous demeure incertain. » (« Pourquoi des poètes ? »in Holzwege-Chemins  qui ne mènent nulle part).

    Or, c’est bien de marcher sur cette trace qu’il est question avec le surhomme. « Le surhomme est plus pauvre, plus simple, plus tendre, plus dur, plus calme, plus généreux, plus lent dans ses décisions et plus économe dans sa langue. », dit Heidegger (Qu’appelle t-on penser ?).  Cette révision de la critique de Nietzsche par Heidegger amène à se poser une autre question : Nietzsche se contente-il de renverser la platonisme sans rien changer à sa structure ? Se contente-t-il de valoriser  le sensible en lieu et place du supra-sensible ? Le ressenti au lieu de l’Idée ? Le Zarathoustra ne nous fait-il pas entrer dans un au-delà de la distinction entre le sensible et le supra-sensible ?

    Réponse : le monde des phénomènes comporte lui-même la dimension de profondeur qu’on veut lui dénier et à quoi on veut l’opposer. « Mon moi m’a enseigné une nouvelle fierté, je l’enseigne aux hommes : ne plus cacher sa tête dans le sable des choses célestes mais la porter fièrement, une tête terrestre qui crée le sens de la terre. » (Ainsi parlait Zarathoustra). Pour l’ultime Heidegger, la figure de Zarathoustra peut relever d’un au-delà de la métaphysique, et donc d’un au-delà de sa dernière manifestation qu’aurait été la volonté de puissance nietzschéenne. Le philosophe de Sils Maria pourrait lui aussi avoir prôné une écoute de l’être qui est la définition même de ce que Heidegger appelle un « au-delà de la métaphysique ». En tout cas un « au-delà » de toutes les métaphysiques antérieures voulant rendre compte, de manière rationnelle, de l’existence éternellement mystérieuse du monde.  C’est le retour, comme l’écrit Gilbert Durand dans L’âme tigrée, du « grand nocturne du symbole, de la pensée indirecte, [c’est] le renouveau du mythe, la prédilection pour l’intimisme. »

    Pierre Le Vigan (Site de la revue Éléments, 27 août 2024)

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  • Nietzsche : sous le soleil exactement...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte de Pierre le Vigan cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à la pensée de Nietzsche et notamment à son annonce de l’ « éternel retour »...

    Philosophe et urbaniste, Pierre Le Vigan est l'auteur de plusieurs essais comme Inventaire de la modernité avant liquidation (Avatar, 2007), Le Front du Cachalot (Dualpha, 2009), La banlieue contre la ville (La Barque d'Or, 2011), Nietzsche et l'Europe (Perspectives libres, 2022), Le coma français (Perspectives libres, 2023), Clausewitz, père de la théorie de la guerre moderne ou tout récemment Les démons de la déconstruction - Derrida, Lévinas, Sartre (La Barque d'Or, 2024).

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    Nietzsche : sous le soleil exactement

    Quand Nietzsche découvre Sils Maria, il n’en est qu’au début de sa vie philosophique. Pour être précis, c’est la fin du commencement de sa vie philosophique. Nous sommes en 1879. Nietzsche a publié la Naissance de la tragédie en 1872, et les Considérations inactuelles entre 1873 et 1876. Il vient de publier un livre « pour les esprits libres », qui s’appelle Humain trop humain (printemps 1878). C’est cette même année 1879 qui voit Nietzsche démissionner de l’université de Bâle, après 10 ans de professorat en philologie – et non en philosophie – activité dans laquelle il a difficilement trouvé sa place. Il a alors 35 ans.  C’est une démission qui donne à Nietzsche la plus complète liberté, mais aussi ce qui accompagne toujours la liberté : le plus grand danger. Il est seul face à son destin.

    Sils Maria se trouve en Suisse italienne et romanche, à 1800 mètres d’altitude. C’est tout d’abord pour Nietzsche « la fusion de l’Italie et de la Finlande » (qu’il ne connaît pas). C’est en tout cas le coup de foudre. « De tous les endroits de la terre, je me sens le mieux ici, en Engadine ». Dans une lettre à Peter Gast (Heinrich Köselitz), Nietzsche écrit : « Le soleil d’août brille au-dessus de nos têtes, l’année s’écoule, montagnes et forêts se font de plus en plus paisibles et silencieuses. A mon horizon des pensées montent qui m’étaient encore inconnues – Je n’en révélerai rien et veux me maintenir dans un calme inébranlable. Il faudra bien que je vive quelques années encore ! Ah ! Mon ami, parfois le pressentiment me traverse l’esprit que je mène en somme une vie très dangereuse, car je suis de ces machines qui peuvent exploser ! L’intensité de mes sentiments m’épouvante et me fait rire – déjà un certain nombre de fois, je n’ai pu quitter la chambre, pour le motif risible que j’avais les yeux enflammés – par quoi ? Chaque fois, j’avais trop pleuré la veille pendant mes vagabondages, et non point des larmes sentimentales, mais des larmes de jubilation, cependant que je chantais et divaguais, doué que je suis d’une vision nouvelle par quoi je me trouve en avance sur les autres hommes. » Pleurs de joie.

    La révélation de Zarathoustra

    Nietzsche revient régulièrement à Sils Maria de 1881 à 1888. C’est en 1881 que Nietzsche a la révélation de Zarathoustra. C’est l’époque où il travaille à Aurore (qui parait cette même année), et vient de finir Le Voyageur et son ombre (tome II de Humain trop humain). Et voilà que se produit une rencontre. Il entendait « le souffle malicieux et heureux du vent ». Et soudain :. « J’étais assis là dans l’attente – dans l’attente de rien, par-delà le bien et le maljouissant, tantôt de la lumière, tantôt de l’ombre, abandonné à ce jeu, au lac, au midi, au temps sans but. Alors, ami, soudain un est devenu deux – Et Zarathoustra passa auprès de moi…». Voilà une nouvelle métamorphose de Nietzsche.

    Sils Maria, c’est le lieu de la découverte de l’éternel retour. Et ce retour, c’est avant tout celui de Dionysos. Il est le dieu associé à l’ivresse et au chaos. Il est le dieu des forces élémentaires, du sexe, de la force. Il est le dieu de la transgression des limites, des frontières et des formes. Il est le dieu de la terre, et non le dieu des idées. Mais ce dieu ne peut être créateur sans Apollon, qui est le dieu de la mesure, de la raison, de la beauté, de l’ordonnancement, de la clarté. Tout est là, dans ce jeu du monde entre Dionysos et Apollon. Pour qu’il y ait de l’ordre, il faut partir du chaos et du désordre. Pour qu’il y ait de la forme, il faut partir de l¨’informe. Pour raffiner la matière, il faut partir de la matière brute. Pour apprécier l’Italie, le soleil et la lumière, il faut avoir connu les brumes du nord, leur lourdeur, leur épaisseur, et la force brutale de leurs paysages sombres. Pour apprécier la philosophie des Lumières – celle de Voltaire, que Nietzsche admirait tant (il lui dédie Humain trop humain pour le centenaire de sa mort), il faut connaître la pesante (mais puissante) philosophie allemande.

    Se libérer de la peur de la mort

    Apollon et Dionysos sont tous deux nécessaires. L’un est la puissance, l’autre est l’acte. Mais Dionysos est un dieu étrange. Il est né deux fois, d’abord d‘une femme, puis d’un homme (Zeus). Il a franchi deux fois les portes de la vie. Il est comme la vigne. Elle naît en raisin. Elle renaît en vin. Dionysos est le dieu qui libère de la crainte de la mort et des obsessions morbides. Il est le dieu qui libère des passions tristes. Il est le dieu de l’approbation inconditionnelle de la vie. « Me voici venu ici, au pays des Thébains, moi, fils de Zeus, Dionysos, qu’a enfanté jadis la fille de Cadmos, Sémélé, accouchée par la foudre qu’arment les éclairs. J’ai changé ma forme divine pour celle d’un mortel et j’arrive à la fontaine de Dircé et au fleuve d’Isménos. Je vois le tombeau de ma mère foudroyée, ici, près du palais, les ruines encore fumantes de sa demeure, et la flamme toujours vivante du feu divin. Immortelle vengeance d’Héra contre ma mère ! Je bénis Cadmos de rendre ce lieu impénétrable et de consacrer cet enclos à sa fille. Une vigne l’entoure et, par mes soins, le cache sous sa verdure chargée de grappes. J’ai quitté la Lydie [région d’Anatolie], ses guérets [les terres labourées] si riches en or, et la Phrygie; j’ai parcouru les plaines de la Perse frappées par le soleil, les remparts de la Bactriane, la terre des Mèdes aux terribles frimas, l’Arabie heureuse, toute l’Asie, qui repose au bord de la mer salée; les Grecs s’y mêlent aux Barbares en des villes populeuses munies de belles tours. C’est ici la première des cités grecques où je sois venu. » (Euripide, Les bacchantes, env. 405 av. notre ère). On le voit : Dionysos, c’est le goût de l’approbation du monde, de l’aventure et de la profusion. C’est le goût du jeu.

    Dionysos, c’est cela, et l’éternel retour, c’est cela plus encore, c’est l’éternel retour de Dionysos, sans quoi Apollon s’endormirait, sans être sollicité par de nouveaux défis. Nous avons vu que Dionysos est né deux fois. Nietzsche le dit : il faut qu’il revienne. L’éternel retour, c’est celui d’un troisième Dionysos. Le premier est en grappe, le deuxième est en vin, que vienne le troisième, dont la forme ne nous est pas encore connue – et ce sera le surhomme.

    L’éternel retour c’est, dit Nietzsche, « la  formule d’approbation la plus haute qu’on ait jamais atteinte ». C’est l’intuition qu’a Nietzsche dans ce qui est alors un minuscule hameau de six maisons, au Surlej, prés du lac de Silvaplana, à deux pas de Sils Maria. Mais qui incarnera ce message de l’éternel retour ? Nietzsche écrit à Peter Gast : « Je ne suis pas encore assez mûr pour les pensées élémentaires que je veux exposer… Il y a entre autre une pensée qui, en vérité, requiert des millénaires pour s’affirmer. Où puiserai-je le courage de la formuler ? » (25 janvier 1882). C’est ici qu’il nous faudra patienter. Il nous faudra attendre Zarathoustra. Les fruits peuvent être murs sans que nous ne soyons murs pour les fruits. Cela vaut aussi pour Zarathoustra. Il est un messager, et non un surhomme.

    Sommes-nous prêts à entendre le message du démon ? « Que dirais-tu, écrit Nietzsche en 1882 dans Le Gai Savoir, si un jour, si une nuit, un démon se glissait jusque dans ta solitude la plus reculée et te dise : “Cette vie, telle que tu la vis maintenant et que tu l’as vécue, tu devras la vivre encore une fois et d’innombrables fois ; et il n’y aura rien de nouveau en elle si ce n’est que chaque douleur et chaque plaisir, chaque pensée et chaque gémissement, et tout ce qu’il y a d’indiciblement petit et grand dans ta vie, devront revenir pour toi et le tout dans le même ordre et la même succession […]” ? » (Le Gai savoir, § 341). Le grand mystère de l’éternel retour, et sa difficulté logique, c’est qu’il est l’éternel retour du même, et non pas un simple éternel retour de la vie. L’éternel retour de Nietzsche est une tautologie. Je suis la somme de mes actes et de mes pensées. Ce qui a été n’aurait pas pu ne pas être, sans quoi je n’aurais pas été moi. L’approbation de mes actes, de tous mes actes, doit donc être inconditionnelle, pour vouloir tous les revivre. Je suis donc, je vis donc dans un cercle éternel (certains observateurs l’ont qualifié de cercle vicieux) et éternellement identique.

    L’éternel retour du même

    A ce stade, nous ne pouvons que constater que Nietzsche est très loin d’Héraclite, et est proche de Parménide (deux penseurs prétendument opposés qui disent la même chose mais à l’envers de ce qui dit l’autre : ‘’tout est devenir’’ veut dire aussi que ‘’tout est être’’. Ce qui ne change pas, c’est tout, puisque tout est devenir). Pourquoi Nietzsche s’inflige t-il cette pensée de l’éternel retour du même ? Parce que Nietzsche refuse toutes les pensées consolantes. Parce qu’il choisit de toujours penser ce qui est le plus dur pour lui. Ce qui lui fait le plus mal. Non pas par dolorisme, mais parce que ce qui fait le plus mal est par définition le plus grand défi.

    C’est près de Gènes, en janvier 1883, que Nietzsche a la révélation de Zarathoustra, qui complète celle de l’éternel retour.  « Pour peu que nous soyons restés superstitieux, nous ne saurions nous défendre de l’impression que nous ne sommes que l’incarnation, le porte-voix, le médium de puissances supérieures. L’idée de révélation, si l’on entend par là l’apparition soudaine d’une chose qui se fait voir et entendre avec une netteté et une précision inexprimable, bouleverse tout chez un homme, le renversant jusqu’au tréfonds tant cette idée de révélation correspond à un fait exact. » (Ecce homo). Quel est le sens du défi de l’éternel retour du même ? C’est qu’il nous faut vivre chaque jour, chaque heure comme un créateur, comme un artiste, comme un aigle, comme un enfant qui joue. « C’est que l’enfant est innocence et oubli, un commencement nouveau, un jeu, une roue qui roule sur elle-même, un premier mouvement, un ’’oui’’ sacré. » (Ainsi parlait Zarathoustra, « Les trois métamorphoses »). Toujours refaire le tour du cercle. Le cercle toujours identique est un anneau. Il symbolise la réconciliation de l’homme et du temps. L’homme ne court plus après le temps. Le cercle est la liberté : c’est le vol circulaire de l’aigle. Il est en même temps la finitude, la mort et le néant. C’est le serpent qui enserre le cou de l’aigle. Il nous faut vouloir les deux actes : le vol de l’aigle et l’étreinte du serpent. L’éternel retour du même fait que rien n’est du passé.  Tout est du présent, puisque tout revient. Là est la réconciliation de l’Homme et du Temps.

    Le vouloir est ainsi prisonnier de lui-même. Si tout passe, c’est que tout mérite de passer. Si tout revient, c’est que tout mérite de revenir. C’est pourquoi, si nous ne nions pas le monde, nous devons vouloir l’éternel retour du même. Le ‘’non-vouloir’’ de Schopenhauer serait accepter que rien ne vaut la peine d’être voulu. C’est pourquoi Nietzsche a rejeté Schopenhauer. Le ‘’surhomme’’, ce n’est pas autre chose  que l’homme qui se réjouit de ce que le vouloir ne puisse pas ne pas être. L’éternel retour du même écarte tout ressentiment vis-à-vis du passé mais aussi toute crainte vis-à-vis de l’avenir. L’homme se réconcilie avec le temps. Le temps, « image mobile de l’éternité » (Platon, Timée). Ce qui est éternel est toujours présent. Or, l’homme est présent dans la Présence. De ce fait, l’Homme égale le Temps.

    Seul le courage est une issue

    Le lieu du secret de l’éternel retour, c’est la mer. Élément féminin, élément immense, élément matriciel. La mer, immense et noire. Le lieu des abysses et de l’abîme. Face au gouffre, seul le courage est une issue, car dans l’éternel retour du même, il n’y a pas de mort possible. L’éternel retour est l’égalité et la réconciliation de l’Être et du Temps. A partir du Présent, on voit l’éternité du temps à venir et l’éternité du temps passé. Le Présent est un chemin de crête. Mais c’est un chemin circulaire. Nous sommes sur un point de ce chemin. Que l’on prenne à droite ou que l’on prenne à gauche, on reviendra au même endroit. On finira toujours par passer par les mêmes lieux. Pour le dire autrement, le Temps tourne en rond, et l’homme avec lui. Le Temps est une toupie. « Tout ce qui est droit ment, toute vérité est courbe, et le temps lui-même est un cercle. » (Ainsi parlait Zarathoustra, 222).  Ce que dit la pensée de l’éternel retour, c’est la nécessité de l’approbation du monde.

    A la source de cette approbation, il y a toujours la volonté. C’est pourquoi, en amont de la volonté de puissance – qui est bien un thème de Nietzsche – , il y a toujours la volonté de volonté. Car il y a pire que la volonté de néant, qui est encore une volonté, il y a le néant de la volonté, il y a l’impossibilité de vouloir quoi que ce soit. Mieux vaut vouloir le néant que de ne rien vouloir. « Et pour répéter encore en terminant ce que je disais au début : l’homme préfère encore avoir la volonté du néant que de ne point vouloir du tout… » (La généalogie de la morale, 283).

    La pensée de l’’’éternel retour de l’identique’’ (la formule est de Heidegger)  est un pont au-dessus d’un abîme. Mais de l’autre côté du pont, il y a la libération. Tout pont peut se parcourir dans les deux sens : en-deçà de l’épouvante, au-delà de l’épouvante. Dans le monde libéré (libéré de tout ce qui pèse trop lourd), il n’y a plus d’individualité, l’homme ne fait qu’un avec le monde. Le moi n’a plus de dehors, et donc plus de dedans. Le Je est partout. C’est un monde d’avant le langage. Un monde d’avant le « dialogue ». Un monde Un, entièrement immanent. L’homme n’est pas seulement un animal dans le monde. Il est un animal du monde. « Tout se brise, tout se rajuste, éternellement s’édifie la même demeure de l’être. Tout se disjoint, tout se retrouve, éternellement l’anneau de l’être reste fidèle à lui-même. » (Ainsi parlait Zarathoustra, III, « Le convalescent »). « Je reviendrai avec ce soleil, avec cette terre, avec cet aigle, avec ce serpent — non pas pour une vie nouvelle, ni pour une vie meilleure ou semblable  — je reviendrai éternellement pour cette même vie, identiquement pareille, en grand et aussi en petit, afin d’enseigner de nouveau l’éternel retour de toutes choses, — afin de proclamer à nouveau la parole du grand Midi de la terre et des hommes, afin d’enseigner de nouveau aux hommes la venue du Surhumain. »

    Pierre Le Vigan (Site de la revue Éléments, 2 juillet 2024)

     

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