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  • Alain de Benoist : « Les Européens sont incorrigibles »...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Breizh-Info et consacré à la rupture stratégique en cours.

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (La Nouvelle Librairie, 2021), L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021), L'exil intérieur (La Nouvelle Librairie, 2022), Nous et les autres - L'identité sans fantasme (Rocher, 2023) et, dernièrement, Martin Buber, théoricien de la réciprocité (Via Romana, 2023).

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    Alain de Benoist : « Si Trump veut faire l’Amérique « great again », c’est avant tout parce qu’elle ne l’est plus »

    Breizh-info.com : Comment interprétez-vous l’évolution des relations internationales après les récentes déclarations de Trump et de Vance sur l’Ukraine et leurs implications pour les relations entre l’Union européenne et les Etats-Unis.

    Alain de Benoist : Je n’ai connu dans ma vie qu’un seul grand événement historique : la chute du Mur de Berlin et l’implosion du système soviétique. Je pense assister maintenant à un deuxième. Les « observateurs », comme d’habitude, ne l’ont pas venu venir. L’histoire s’accélère brusquement. C’est au point que l’actualité quotidienne prend des allures de dystopie.

    L’élection de Trump avait déjà représenté une rupture historique majeure. La reprise, le 12 février, des contacts entre la Maison-Blanche et le Kremlin en a constitué une autre. Deux jours plus tard, à Munich, le vice-président J.D. Vance déclarait une véritable guerre idéologique à une Europe submergée par l’immigration et en proie à l’amnésie collective, dont il n’a pas dissimulé qu’elle constitue à ses yeux un contre-modèle de décadence et de suicide civilisationnel. Il y a eu ensuite l’annonce que l’Ukraine ne rentrera jamais dans l’OTAN, et qu’elle ne retrouvera pas les territoires qu’elle a perdus dans le Donbass ou en Crimée. Le 3 mars, Donald Trump décidait l’arrêt de toute aide à l’Ukraine. Finalement, c’est à la désagrégation de l’Alliance atlantique que nous assistons en direct. Oui, même si l’on manque encore de recul, c’est un moment historique.

    Breizh-info.com : Que nous dit l’hallucinante altercation du 28 février dans le Bureau Ovale de la Maison-Blanche entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky ?

    Alain de Benoist : S’en tenir aux éclats de voix, c’est comme s’en tenir à regarder le doigt qui vous montre la Lune. Ce qui compte, c’est ce qui s’est dit. Face à un Zelensky proclamant son refus d’arrêter une guerre qu’il ne peut pas gagner, et réclamant des « garanties de sécurité » que les Américains ne sont pas disposés à lui accorder, Trump lui a rappelé qu’il n’est pas en position de dicter ses conditions car il n’a aucune carte ou atout de négociation à faire valoir. Il lui a dit aussi que s’il n’acceptait pas ce qu’on lui propose, il sera obligé de signer un accord encore plus défavorable à son pays, sinon d’aller vers une capitulation totale.

    Notons d’abord qu’il n’y a rien d’anormal à ce que le sort de l’Ukraine soit réglé entre la Russie et les Etats-Unis, puisque la Russie et l’OTAN étaient les vrais belligérants. La guerre en Ukraine a été, dès le départ, une guerre par procuration. On comprend du même coup que ce n’est pas seulement l’Ukraine qui a perdu. Emmanuel Todd l’avait très justement annoncé : « Le job de Trump va être de gérer la défaite américaine face aux Russes ». C’est en effet de cela qu’il s’agit. Ce qui amène à regarder d’un autre œil cette horrible guerre fratricide qui dure maintenant depuis trois ans. Une guerre que je trouve personnellement insupportable parce que j’ai des amis ukrainiens et des amis russes, et que je n’éprouve que de la tristesse à les voir se massacrer mutuellement.

    Tous les experts sérieux savent que la cause première de la guerre a été la volonté des Américains d’installer des troupes de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie. Poutine a réagi comme le ferait n’importe quel président américain qui se verrait menacé de voir des fusées russes déployées à sa frontière avec le Mexique ou le Canada. La guerre a donc commencé bien avant 2022. Et elle aurait pu être évitée. On aurait parfaitement pu, par exemple, régler les problèmes intérieurs de l’Ukraine en y installant un système fédéral dans lequel sa partie russophone aurait joui d’une certaine autonomie. Mais c’est l’inverse qui s’est passé. Montesquieu distinguait ceux qui débutent la guerre et ceux qui la rendent inévitable. Ce ne sont pas forcément les mêmes. François Fillon déclarait récemment : « J’ai toujours dit que cette guerre aurait pu être évitée si les dirigeants occidentaux avaient cherché à en comprendre les causes plutôt que de se draper dans le camp du bien ». Traduisons : s’ils avaient analysé la situation en termes politiques, pas en termes de morale.

    Rien en effet n’obligeait les Européens à soutenir un camp, que ce soit celui de l’Ukraine ou celui de la Russie, ni à réagir tous de la même façon (en tant qu’« Occident collectif »). La moindre des choses aurait été qu’ils déterminent leur position en fonction de leurs intérêts. Pour des raisons purement idéologiques, ils ont préféré voir dans ce conflit une « guerre juste » où l’ennemi doit être criminalisé et tenu pour un coupable. En prenant position d’entrée de jeu, ils se sont mis en position de ne plus pouvoir proposer leur médiation, renonçant du même coup à se poser en « puissance d’équilibre ».

    Trump est un grand réaliste. Après trois années durant lesquelles on a annoncé toutes les semaines, sur les plateaux de télévision, que la Russie allait s’effondrer, il constate que l’Ukraine a perdu cette guerre, en dépit du matériel militaire et des centaines de milliards qu’elle a reçus, et que les Européens n’ont jamais été capables, durant ces mêmes trois années, de fixer un but à la guerre. Or, la guerre n’est jamais qu’un moyen au service d’un but. Clausewitz : « Le dessein politique est le but, la guerre le moyen ; un moyen sans but ne se conçoit pas ». Les Européens ne savent même plus ce qu’est une guerre, à savoir un acte de violence dont le but est une paix. Dans cette affaire, ils n’ont jamais eu aucun but politique, diplomatique ou stratégique, préférant pousser Zelensky à se précipiter dans le piège qu’il s’était lui-même tendu.

    Contrairement à ce qui se dit ici ou là, Trump n’est pas un isolationniste, pas plus qu’il n’est un « défenseur de la paix ». Comme nombre de ses prédécesseurs, il pense au contraire que la défense des intérêts américains exige un interventionnisme constant. La grande différence est qu’il ne masque pas cet interventionnisme derrière de sublimes idéaux tels que la défense de la démocratie libérale et de l’Etat de droit, (« democracy and freedom »), et qu’au lieu de se lancer dans des aventures guerrières, il veut privilégier le commerce. C’est un va-t-en guerre, mais un va-t-en guerre commercial. Voyez la façon dont il parle du Groënland, du Canada ou du canal de Panama, en adoptant de façon martiale une posture impérialiste fondée sur le vieux mythe américain de la « frontière ». Pour lui, tout est transaction, tout peut être acheté ou vendu, tout se négocie, tout repose sur les démonstrations de force commerciale, sans états d’âme. Il sait très bien que le « doux commerce » n’exclut ni les agressions, ni les chantages, ni les conquêtes. Son « pacifisme » est de même nature : il repose sur le simple constat que la guerre militaire coûte beaucoup plus qu’elle ne rapporte, et que les Etats-Unis sont mieux placés pour gagner les guerres commerciales que pour l’emporter sur le champ de bataille. Pour servir ses intérêts de puissance, il entend s’abriter derrière le chantage aux tarifs douaniers, tout en prônant la dérégulation et le libre-échange quand cela l’arrange.

    Breizh-info.com : A en croire les médias, Trump parle désormais de la même voix que Vladimir Poutine. On parle d’un nouveau condominium américano-russe, voire d’une triple alliance Washington-Moscou-Pékin. Cela vous paraît-il vraisemblable ?

    Alain de Benoist : C’est de l’enfumage. Les deux hommes sont d’abord trop différents : Poutine est un joueur d’échecs, Donald Trump se borne au golf et au Monopoly. Et surtout leurs intérêts géopolitiques sont opposés. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que Trump veut prendre un nouveau départ dans ses relations avec Moscou, car il pense apparemment qu’une normalisation avec la Russie de Poutine sera plus profitable à l’Amérique que ne l’est l’Alliance atlantique. Cela peut se traduire par une levée des sanctions contre la Russie, par des projets énergétiques communs, notamment dans les territoires arctiques, voire par la mise sur pied d’un plan qui éviterait la guerre avec l’Iran. Peut-être espère-t-il aussi desserrer, non l’alliance (le mot « alliance » n’existe pas en chinois), mais les liens d’« amitié sans limite » entre Poutine et Xi Jingping proclamés en février 2022. Mais il ne ralliera pas la Russie à l’« hégémonisme occidental ». Et je ne crois pas non plus à un « triumvirat illibéral » américano-sino-russe, car un tel attelage serait miné par les contradictions.

    Trump est de toute évidence un grand caractériel à tendances paranoïaques (ce n’est pas rare en politique). Il se moque des idées, de la morale ou du droit international (pas plus que Néthanyahou toutefois). Il aime les winners, les gagnants, il préfère le charisme au légalisme. Il n’admire que la force et pense qu’on peut tout gagner par des menaces à l’emporte-pièces. Avec lui, le rapport de forces remplace le droit, ce qui a au moins le mérite d’éclaircir les choses.

    Trump et Poutine ont en commun de voir l’Europe comme une vieille chose fatiguée, incapable de régler politiquement les problèmes internationaux, incapable de s’imposer, une vieille chose divisée, ruinée, submergée, oublieuse de son passé et de ses traditions, battant sa coulpe tout en pratiquant une censure morale permanente, et de façon générale incapable d’affronter les situations d’exception. Dans une telle perspective, le reste du monde se répartit entre des partenaires qui n’ont jamais été des égaux mais des vassaux, des protégés ou des dominés, jamais des alliés. Ce qui ne veut pas dire que les Etats-Unis sont en position de force face à la Chine, à la multipolarité, aux menaces de dédollarisation. N’oublions pas que si Trump veut faire l’Amérique « great again », c’est avant tout parce qu’elle ne l’est plus.

    Breizh-info.com : Que pensez-vous de l’activité fébrile déployée par les Européens, Emmanuel Macron en tête, en vue d’un réarmement de l’Europe ?

    Alain de Benoist : Les Européens sont incorrigibles. Ils n’ont pas vu venir la déferlante populiste, ils ont parié sur l’élection de Kamala Harris, ils se sont reposés pendant des décennies sur le « parapluie américain » au lieu de prendre leurs responsabilités. Ils constatent maintenant que, conformément à leurs habitudes, les Américains lâchent les Ukrainiens comme ils ont lâché les Sud-Vietnamiens et les Afghans. (On connaît l’adage : être l’ennemi des Américains est dangereux, être leur ami est fatal). Ils n’ont pas vu non plus le tropisme qui conduit depuis des années les Etats-Unis à s’éloigner de l’Europe. Ils constatent maintenant que les Américains, qui se réservent pour une confrontation avec la Chine, sont en train de se désengager de la sécurité européenne, ce qui les laisse tout nus. Ils ne comprennent pas ce qui leur arrive. Devant l’ampleur du gouffre qui s’est creusé entre les deux bords de l’Atlantique, ils ne parviennent pas à y croire. Tétanisés comme des lapins pris dans les phares, ils pleurent le démantèlement de l’Otan, une organisation dont Macron avait en 2019 affirmé qu’elle était en état de « mort cérébrale ».

    Mais rien ne leur sert de leçon. Ils auraient pu profiter de ce basculement pour réfléchir à ce que la guerre en Ukraine leur a coûté. Ils ont englouti 150 milliards d’euros en pure perte, perdu l’accès au gaz et au pétrole russe, perdu aussi des dizaines de milliards d’investissements en Russie, ils ont accepté sans mot dire le sabotage du gazoduc Nordstream, mais ils s’imaginent être en mesure de donner à l’Ukraine des garanties de sécurité et de faire en sorte qu’on puisse continuer le massacre. Leur seule réaction, en d’autres termes, c’est de remettre une pièce dans la machine.

    Après nous avoir répété durant plus d’un demi-siècle que « l’Europe, c’est la paix », ils veulent continuer la guerre, au risque d’être considérés comme des belligérants à part entière. Comme ils ne tirent jamais la leçon de leurs erreurs, ils sont prêts à remettre le doigt dans un nouvel engrenage, dont on ignore jusqu’où cela nous entraînera. Les écologistes eux-mêmes prêchent le militarisme. Une fuite en avant dans une surenchère belliciste totalement délirante qui montre que les Européens n’ont toujours rien compris au nouvel Ordre Mondial, au nouveau Nomos de la Terre, qui se met en place sous leurs yeux. Ils étaient montés à bord d’un bateau ivre, ils veulent maintenant embarquer sur une comète morte.

    Ceux-là mêmes qui ont, depuis trente ans, détruit toutes les capacités de production industrielle et militaire des nations européennes, se proposent maintenant, sous la conduite de l’agent d’influence Ursula von der Leyen (la Hyène), de mettre en place une « économie de guerre » européenne en vue d’un « réarmement ». Macron, à la tête d’un pays qui est de plus en plus isolé sur la scène internationale, politiquement paralysé et endetté au point que le paiement des intérêts de la dette (plus de 50 milliards d’euros par an) représente maintenant le second poste des dépenses de l’Etat, rêve visiblement de prendre la tête de ce parti de la guerre (« nous sommes en guerre, quoi qu’il en coûte », air connu). L’armée française, dont les arsenaux sont presque vides et dont le budget a été réduit jusqu’à l’os, est incapable de participer plus de huit jours à une guerre de haute intensité, mais il n’en assure pas moins qu’on va voir ce qu’on va voir. Ah que la guerre est jolie quand on ne l’a jamais faite ! Lui qui recommandait en juin 2022 à ses partenaires de « ne pas humilier la Russie » appelle aujourd’hui à faire exactement l’inverse. Il est incapable de dire son fait au président algérien ou d’affronter celui des Comores, mais il roule des mécaniques en assurant qu’il va faire face à la « menace russe » qui, selon lui, pèse sur la France et l’Europe occidentale. Une menace qui n’est qu’un fantasme grotesque dont le seul objectif est de créer la peur. Une menace brandie comme un épouvantail. C’est le moment de se souvenir d’un excellent proverbe géorgien : le mouton passe sa vie dans la peur du loup, mais à la fin c’est le berger qui le mange !

    Pour les Européens, la guerre n’oppose pas des ennemis, au sens traditionnel du terme, mais un « agresseur » et un « agressé ». Dans un conflit il faut toujours donner tort à l’« agresseur », car c’est lui le coupable – alors que cet « agresseur » peut très bien avoir agi parce qu’il était en situation de légitime défense. Ce changement de vocabulaire confirme le grand retour de la « guerre juste ». Ramener la guerre à un duo de l’« agresseur » et de la « victime » (comme dans les attaques au couteau ou les agressions sexuelles) fait nager en pleine moraline. Cela nous ramène au beau temps de la Société des Nations, dont on connaît l’histoire, et plus encore du Pacte Briand-Kellogg de 1928, à l’époque où l’irénisme consistait à penser qu’on pouvait mettre la guerre hors-la-loi. Aujourd’hui, c’est le bellicisme qui donne le ton. Mais c’est tout aussi impolitique.

    Il n’est certes pas mauvais pour les différents Etats européens de se doter d’une puissante industrie de défense, mais à condition qu’elle soit indépendante, c’est-à-dire à condition d’oublier les Etats-Unis. Ce n’est pas cela en tout cas qui sauvera Zelensky : si l’Ukraine ne peut plus bénéficier de l’aide américaine, ce ne sont pas les maigres moyens dont dispose l’Union européenne qui vont le faire gagner. Il y a en outre trop de divergences entre les Etats-membres pour qu’on puisse définir entre eux des intérêts ou des buts communs, et donc des politiques opérationnelles communes. Il ne peut y avoir d’armée européenne aussi longtemps que l’Europe n’est pas unie politiquement, ce qui revient à dire que c’est aujourd’hui une chimère. Quant à un « parapluie européen » qui naîtrait de la décision de la France d’étendre à ses voisins le périmètre de sa dissuasion, il serait moins crédible encore que ne l’a jamais été le « parapluie américain ». Comme l’a souligné Jacques Sapir, qui peut penser que la France accepterait de « risquer de voir Paris vitrifié pour sauver Bucarest, Prague ou Varsovie » ? Bref, dans l’immédiat, on va multiplier les palabres sur des moyens militaires et financiers que nous n’avons pas et continuer à brasser du vent.

    Breizh-info.com : J.D. Vance, figure montante du trumpisme, semble incarner une nouvelle droite américaine antilibérale et conservatrice, mais en même temps totalement décomplexée face au gauchisme. Voyez-vous en lui une réorientation durable du conservatisme américain ?

    Le trumpisme est un mélange improbable de plouto-populisme, de césarisme technologique, d’anarcho-capitalisme, de souverainisme anti-étatique et d’idéologie libertarienne. Donald Trump y forme avec Elon Musk un duumvirat césarien qui évoque irrésistiblement la fin de la République romaine. J.D. Vance a des côtés très sympathiques, mais il est difficile de savoir ce qu’il représente exactement dans cette constellation, où l’on retrouve aussi bien des mythes américains : : la « destinée manifeste » et la nouvelle Terre promise, l’analyse de la société à partir de l’individu, l’autosuffisance du marché, le primat de l’économie et du commerce, la dévotion envers la technique et l’optimisme messianique. N’oublions pas, surtout, que ce n’est pas la grandeur de l’Europe que Donald veut restaurer, mais celle de l’Amérique, qu’il sait menacée.

    Breizh-info.com : Comment percevez-vous la division profonde (irréparable) entre l’Amérique conservatrice anti-woke et l’Amérique progressiste ou gauchiste ? N’est-ce pas le même chemin que prennent les nations et les peuples européens ?

    Il n’est pas impossible que les Etats-Unis soient au bord d’une guerre civile, ou d’une nouvelle guerre de Sécession. Mais je ne pense pas que ce scénario vaille pour les Européens. Ce qui menace le plus l’Europe, ce n’est pas la guerre civile. C’est pire encore : c’est le chaos.

    Breizh-info.com : L’Union européenne (ou plutôt ses dirigeants) semble s’enfermer dans des combats idéologiques alors que le reste du monde redevient pragmatique et brutal. Faut-il voir cela comme une marque de décadence ou comme une tentative désespérée de maintenir une domination morale sur les peuples ?

    Ni l’un ni l’autre – d’autant que la domination morale n’est pas incompatible avec la décadence ! L’Union européenne ne s’enferme pas non plus dans des « combats idéologiques », elle s’enferme dans une idéologie bien particulière dont les trois piliers essentiels sont la société des individus, le capitalisme libéral et les droits de l’homme. La démocratie libérale, l’Etat de droit et le règne des seules valeurs marchandes en sont les conséquences.

    Breizh-info.com : Quid du rôle de l’Europe dans le nouvel ordre mondial qui se dessine sous nos yeux. Quelles stratégies devrait-elle adopter pour maintenir son influence ?

    Il est inutile de parler de stratégies quand les hommes ne sont pas là pour les concevoir ou les appliquer. Les Européens sont aujourd’hui les hommes malades de la planète. Ils n’ont pas la moindre idée de ce que pourrait être le destin de l’Europe, parce que le mot « destin » n’a pas de sens pour eux. Dirigée par des ectoplasmes ou des somnambules, qui n’ont jamais eu l’occasion de se battre mais sont aujourd’hui prêts à engager leurs peuples dans une guerre nucléaire, l’Europe est en état d’épuisement civilisationnel, conformément aux prédictions de Spengler. Viennent à l’esprit ces mots terribles de Cioran : « C’est en vain que l’Occident se cherche une forme d’agonie digne de son passé ».

    Breizh-info.com : Vous avez souvent mis en garde contre l’uniformisation du monde. Voyez-vous dans ce basculement global une chance pour les peuples d’Europe de retrouver une souveraineté culturelle et civilisationnelle ?

    La lutte finale est maintenant engagée : soit une planète régie par une seule puissance hégémonique (ou une seule idéologie universaliste), soit un monde articulé entre plusieurs pôles de puissance et de civilisation, des « grands espaces » correspondant aux grandes régions du monde, dirigés pour chacun d’eux par le pays qui est le plus à même d’exercer son influence dans l’aire civilisationnelle à laquelle il appartient. Mais rien ne sera possible aussi longtemps qu’on s’obstinera à croire que le monde est d’abord peuplé par des individus, alors qu’il est d’abord partagé entre des peuples, des langues, des nations, des aires civilisationnelles différentes, ayant leurs ambitions et leurs principes propres. Le nouveau Nomos de la Terre exige que ces grandes aires civilisationnelles tiennent compte en priorité de leur identité, c’est-à-dire de leur histoire, et s’abstiennent d’intervenir dans les autres aires pour y appliquer des valeurs pseudo-universelles qui en réalité leur sont propres. Les « Etats civilisationnels » ou le chaos !

    Breizh-info.com : L’accélération formidable de l’histoire à laquelle nous assistons aujourd’hui est-elle pour vous une source d’inquiétude… ou bien d’optimisme ?

    Je ne suis ni optimiste ni inquiet. J’essaie seulement de comprendre ce qui va se passer.

     

    Alain de Benoist, propos recueillis par Yann Vallerie (Breizh-Info, 12 mars 2025)

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  • Trump, Musk et l'écho de la République romaine : l'Occident à l'aube de sa fin...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous la chronique de David Engels sur Ligne droite, la matinale de Radio Courtoisie, datée du 7 mars 2025 et consacrée au césarisme qui s'installe aux États-Unis et à ses conséquences pour l'Europe...

    Historien, essayiste, enseignant chercheur à l'Instytut Zachodni à Poznan, à l'Institut Catholique de Vendée ainsi qu'au Mathias Corvinus Collegium de Bruxelles, David Engels est l'auteur de trois essais traduits en français, Le Déclin - La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013), Que faire ? - Vivre avec le déclin de l'Europe (La Nouvelle Librairie, 2024) et, dernièrement, Défendre l'Europe civilisationnelle - Petit traité d'hespérialisme (Salvator, 2024). Il a  également dirigé deux ouvrages collectifs, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020) et Aurë entuluva! (Renovamen-Verlag, 2023), en allemand, consacré à l’œuvre de Tolkien.

     

                                           

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  • De quoi Louis Sarkozy est-il le nom ?...

    Les éditions Perspectives libres viennent de publier un essai de Rodolphe Cart intitulé De quoi Louis Sarkozy est-il le nom ?

    Partisan d'un nationalisme populaire et identitaire, Rodolphe Cart, qui, après avoir réussi des études juridiques, a exercé la profession de charpentier, est déjà l'auteur de trois essais, Georges Sorel, le révolutionnaire conservateur (La Nouvelle Librairie, 2023), Feu sur la Droite nationale ! (La Nouvelle Librairie, 2023), Faire légion - Pour un réveil des autochtones (Hétairie, 2024) et La menace néo-conservatrice - Une France et une Europe sous influence (La Nouvelle Librairie, 2024).

     

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    " Nous avons eu le père, voici le fils. Après des apparitions remarquées sur le plateau de LCI ou dans les tribunes du Figaro, Louis Sarkozy a fait son baptême du feu lors d’une soirée organisée par les Jeunes Républicains, en décembre dernier.  Simple coup médiatique ou réel engagement politique ? Quelques semaines plus tard, Valeurs Actuelles nous offre la réponse en faisant de lui l’un de ses éditorialistes vedettes. Depuis quelques mois, et au milieu d’une agitation médiatique grandissante, Louis multiplie les visites aux caciques de l’ancien parti de son père : Bruno Retailleau, Rachida Dati, etc. Peu à peu il s’installe dans le paysage médiatique de droite. Un tel lancement pose question. Qui est Louis Sarkozy ? Quels sont les réseaux qui le soutiennent ? Quel est son rôle au sein de la droite française ?"

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  • Quelle Europe devrions-nous sauver ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Emmanuel Goût cueilli sur Geopragma et consacré aux gesticulations de la Commission européenne sur la question de la guerre en Ukraine et de la défense européenne. Emmanuel Goût est membre du Conseil d’Orientation Stratégique de Geopragma.

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    Quelle Europe devrions-nous sauver ?

    Le vendredi 28 février 2025 restera mémorable pour le déroulé de la rencontre entre le Président ukrainien ad intérim Zelensky et le Président américain Trump qui, rappelons-le aux virtuoses de la défense de la démocratie, a battu dans sa récente réélection des records de suffrages populaires. 

    Un autre évènement a aussi retenu mon attention par sa logique copier-coller, avec le monde d’Hollywood et de Taylor Swift mobilisés pathétiquement pour Kamala Harris, c’est la cérémonie des Césars. On y vit une Catherine Deneuve, de retour à cette cérémonie qu’elle a tant « snobée », avoir le besoin de dédier cette soirée à l’Ukraine… 

    On imagine en effet le désarroi d’une communauté dite « culturelle », de part et d’autre de l’Atlantique, perdre ses repères, depuis la chute du Président Biden (et de sa Vice-présidente), un Biden reconnu pourtant gâteux une intervention sur deux, pourfendeur de guerres toute sa vie durant, et demeurant néanmoins symbole du ralliement occidental ! 

    Malheureusement, il n’y a pas que cette communauté « culturelle » qui vocifère, car aux cotés de celle-ci, tous nos leaders politiques n’ont pas manqué d’exprimer leur soutien à Zelensky, se disant choqués, leurs déclarations faisant écho aux aboiements désespérés de nos médias mainstream.

    Face à une telle avalanche d’avis en tout genre, sur les dynamiques du monde et de la géopolitique, je finis par penser, en les écoutant, à mon barbier qui sans aucun doute peut me confier ses propres commentaires sur le monde mais dont, honnêtement et sans lui manquer de respect, je limite ma reconnaissance à ses compétences professionnelles qui m’ont amené à franchir son pas de porte. J’applique la même sentence aux artistes. Ils pourraient nous économiser des prises de position aussi prévisibles que superficielles, sans pour autant renoncer bien entendu au cinéma engagé : ma conscience politique doit sûrement encore beaucoup, à titre d’exemple, à Costa Gavras et son « Z » ou à Apocalypse Now de Coppola. 

    Mais que dire alors desdits experts et des journalistes ?

    Aux origines du mal, il faut sûrement pouvoir dénoncer l’aveuglement de deux professions en particulier : les journalistes et les diplomates. Ils assument, sans prendre le moindre recul, des conclusions manichéennes, conditionnées par une communication « tweetérisée ».

    Ils deviennent la matrice des politiques ou des analystes en tout genre, de tout niveau, ceux-là même qui refusent tout débat contradictoire, et dont les compétences improvisées ne peuvent prétendre à la moindre autorité. 

    Un peu comme si demain votre serviteur voulait se projeter conseiller pour la constitution de l’équipe de France…

    Aux origines du mal repose cette totale incapacité à ne pas savoir écrire, à ne pas savoir raisonner sans partir d’une conclusion apriori. Un tel obscurantisme se voit tristement consolider par un refus systématique de débattre avec les opinions différentes. 

    La formation des décideurs résulte par conséquent exclusivement de ces a priori

    En ce qui concerne les journalistes en particulier, ce comportement partisan remonte sûrement en grande partie au moment où la rédaction d’une information finit par se fondre avec l’éditorial :

    La présentation d’une information et d’interprétations enrichies par des recherches et vérifications les concernant devrait constituer deux moments distincts de l’écriture, en mesure d’offrir aux lecteurs une véritable stimulation à la réflexion. 

    Il en va de même pour les diplomates qui ont depuis trop longtemps abandonné les conseils qui ressortent des « portraits de diplomates qui ont changé le monde », dirigés par Hubert Védrine et que sont la curiosité et l’écoute

    Dans ce nouvel environnement géopolitique, l’Europe de la Commission, prolongeant les déclarations de nos politiques, refuse toute remise en cause, tout « mea culpa », gesticule, renouvelle son soutien indéfectible à l’Ukraine quitte à y risquer plus de morts et un élargissement du conflit, tire à boulets rouges sur le président de cette Amérique dont nous sommes vassaux affirmés depuis des décennies, et revendique même un nouveau leadership pour le « monde libre », dixit Madame Kallas. On croit rêver, c’est un cauchemar.

    L’Europe, que la Commission dirige, a en trois ans rendu nos foyers et nos entreprises dépendants énergétiques des USA – aujourd’hui les vrais gagnants – et de l’Algérie par exemple depuis l’abandon des fournitures énergétiques en provenance de Russie, sans oublier le surcoût que cette politique comporte : je vous renvoie à votre dernière facture.

    Cette nouvelle dépendance énergétique vient compléter la dépendance de nos économies à l’économie américaine – en particulier l’Allemagne -. Mais aussi, alors que nos politiques européens font un credo de la nécessité d’une défense européenne, faut-il ne pas négliger notre dépendance technologique globale aux USA puisque 50 %, pas moins, de nos équipements militaires dépendent directement ou indirectement des USA avec tout ce que cela comporte et que d’un point de vue pratique, à titre d’exemple, sur le front ukrainien, sans les réseaux satellitaires américains et leurs radars, nous nous retrouverions fort démunis, pour ne pas dire impuissants.

    Pour compléter le tout, nos eurocrates, à commencer par Mario Draghi, poussent à un endettement européen pour financer cette hypothétique défense européenne indépendante. Compte-tenu de ce qui précède, elle ne nécessiterait pas moins de 30 ans pour sa mise en place, privée de toute dépendance… Ce financement nécessaire de 800 milliards, décrit et promu entre autres par Draghi, reposerait sur un endettement européen (comme celui pour le Covid qui a tristement ouvert la brèche). Qui dit endettement dit impôt européen à venir ; M. Draghi est italien, pays qui pratique traditionnellement la culture du plus de dettes et de plus d’impôts !

    Sans compter enfin le contexte et la précipitation dans lequel se développe l’idée d’une défense européenne, celui d’une paranoïa maladive qui verrait la Russie vouloir s’en prendre à l’Europe. C’est ignorer l’histoire et la réalité.

    Tristes fondamentaux d’une Europe de la Commission que nous avons le devoir de combattre et d’empêcher nous conduire à un nouveau conflit mondial.

    Dans cette « illogisme destructeur », nous devons dénoncer et tenter de stopper les va-t-en guerres, les va-t-en impôts, les va-t-en règlements de l’information, les Van der Leyen, Kallas, Draghi, Macron.

    C’est servir une Europe qui pourrait sinon paradoxalement éclater. 

    Les européens doivent pouvoir prendre le dessus sur les européistes.

    L’Allemagne n’économise pas depuis les dernières élections, par la voix du leader de CDU Merz, des revendications et surenchères européennes. Elle oublie, comme sa maison mère l’Europe, qu’elle s’est générée depuis le conflit aux portes de l’Europe une nouvelle dépendance, une profonde dépendance énergétique aux USA qui s’additionne à sa dépendance économique qui résulte des déséquilibres des échanges bilatéraux. L’Allemagne parle d’une Europe plus européenne désormais… mais elle finira par se réconcilier avec son Est géopolitique aux dépends de la France, même si l’Angleterre fera tout pour entretenir, comme par traditions millénaires la permanence du conflit qu’elle favorise – comme au printemps 2022 faisant sauter l’accord de paix -, contribuant ainsi à l’affaiblissement de l’Europe continentale.

    Puis il y a toute une série de pays, Hongrie, Slovaquie…, qui ne voudront plus subir la politique de chantage qu’imposent ces prétendus illuminés de démocratie de la Commission pour les garder dans le giron des politiques de sanctions européennes à la Russie.

    Enfin il y a ceux, comme la Pologne qui parieront toujours plus sur les américains que sur l’Europe ou comme le Danemark qui doit protéger ou négocier son Groenland…

    Le monde est en totale ébullition. L’Histoire pluri-millénaire enseigne qu’il n’y a rien d’irrévocable et que les a priori ne sont que des manquements à l’intelligence.

    Il ne faut pas sauver cette Europe mais il y a urgence à penser l’Europe différemment, urgence à sauver une autre Europe. 

    Il y a ceux qui veulent le retour aux Nations souveraines, ceux qui veulent reparcourir l’idée de l’Europe des Nations ou ceux qui voudraient un leadership européen plus éclairé, indépendant et capable d’interagir tant à l’ouest qu’à l’est, forte d’une vocation « civilisationnelle » qui, aux côtés d’autres civilisations du monde, fait la richesse de notre terre et de sa diversité.

    Confrontés à cette effervescence géopolitique, toujours sujette à retour de flammes, n’oublions jamais que quel que soit le Président américain, démocrate ou républicain, gâteux ou illuminé, ce sera toujours America first ! Et les russes le savent. 

    Emmanuel Goût (Geopragma, 3 mars 2025)

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  • Feu sur la désinformation... (504) : Macron face humilié par Trump ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un nouveau numéro de l'émission I-Média sur TV libertés consacrée au décryptage des médias et animée par Jean-Yves Le Gallou et Floriane Jeannin.

     

                                      

    Au sommaire cette semaine :

    L'image de la semaine : Pierre-Alain Cottineau, un scandale pédocriminel à bas bruit médiatique...

    Dossier du jour : Qu’a vraiment obtenu Macron pour la France et l’Europe? Si certains affirment qu’il a “retourné” Donald Trump en le contredisant avec fermeté, d'autres affirment au contraire que cette rencontre révèle les tensions entre la France et les États-Unis...

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    Pastilles de l’info:

    • Roumanie : Calin Georgescu : le candidat populiste sous contrôle judiciaire
    • Élections allemandes : montée de l’AfD, la fin du modèle Merkel ?
    • LCI : guerre et “optimisme"… vraiment ?
    • L’ARCOM dans le viseur de C8 après des propos "off" au restaurant
    • Jean-Michel Aphatie : voix de l’Algérie
    • Des policiers pourchassés… à la Tour Eiffel !

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    Portrait piquant (en partenariat avec l’OJIM) : Jean-Michel Aphatie...

     

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  • Le retour de la Realpolitik...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Maurizio Bianconi, cueilli sur le site d'Euro-Synergies et consacré aux négociations russo-américaines sur la question de l'Ukraine et à l'exclusion de l'Union européenne.

    Maurizio Bianconi est un avocat et un homme politique italien, député entre 2008 et 2018.

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    Le retour de la Realpolitik. La leçon de Kissinger

    L’administration américaine négocie la paix en Ukraine avec la Fédération de Russie, en excluant toute autre partie prenante. Henry Kissinger est le politicien-diplomate américain le plus célèbre et le plus apprécié de ces dernières décennies. Son action reposait sur le dialogue entre grandes puissances, reléguant au second plan les acteurs secondaires et les « implications régionales », qu'il jugeait négligeables et encombrantes. On a écrit à son sujet : « Sa vision de la realpolitik le conduisait à considérer les conflits internationaux comme faisant partie d’un jeu de pouvoir entre les principaux acteurs mondiaux, plutôt que comme un ensemble de problèmes uniques à traiter individuellement ». Il est hors de propos de s’étonner de la résurgence de la politique de Kissinger, au lieu de simplement l’admettre.

    Il déclara un jour : « Être ennemi des Américains peut être dangereux, être leur ami est assurément mortel ». Une prophétie dont Zelensky vérifie aujourd’hui la justesse.

    Il en va de même pour son adversaire, qui remet au goût du jour le refrain éternel de la Grande Russie et redonne vie à une politique impériale, interrompue avec la fin de l’URSS. La Russie de Poutine entend reconquérir son hégémonie sur la Baltique et l’Europe de l’Est, tout en repoussant l’avancée des Américains via l’OTAN jusqu’à ses frontières géographiques occidentales. Un sentiment largement partagé en Russie, obsédée par sa propre sécurité et animée par une fierté patriotique. L’occidentalisation de l’Ukraine, terre contestée et jadis soumise, est perçue comme une humiliation, qui revêt également des dimensions économiques et des enjeux liés à l’exploitation de ses ressources minières.

    Pour éviter de finir comme l’agneau face au loup de la fable d’Ésope, la meilleure stratégie pour l’Europe occidentale serait de garder ses distances avec les deux puissances et de se rappeler que, dans les affaires géopolitiques, il n’existe ni raison ni tort absolus, ni bons ni mauvais. Il n’y a que des acteurs plus ou moins acceptables aux yeux de l’opinion publique et des normes culturelles, qui ne poursuivent que leurs propres intérêts.

    Soudain, l’Occident prend conscience que la Chine progresse – trop et trop vite, aussi bien aux yeux des États-Unis que de la Russie. Contenir et ralentir son expansion est, malgré leurs différences, un objectif commun aux deux puissances. Le Moyen-Orient reste une priorité pour les États-Unis, tandis que la Russie semble vouloir relâcher son emprise – mais sans pour autant ouvrir la porte à la Chine. Washington referme la plaie ukrainienne, et Moscou lui laisse le champ libre au Moyen-Orient, abandonnant la Syrie d’Assad à son sort. L’Arabie saoudite se joint à la manœuvre pour apaiser la situation, maintenir les marchés ouverts et trouver des alliés pour contenir les influences turques, iraniennes et chinoises – autant de foyers potentiels de nouveaux conflits dans la région. Gaza elle-même devient une plaie à suturer.

    Ce nouvel ordre mondial a pris au dépourvu les principales nations d’Europe occidentale, qui se retrouvent humiliées et confrontées à la preuve de leur propre insignifiance dans un monde structuré en blocs.

    Ce n’est pas tant la faiblesse économique que l’inconsistance politique de l’Union européenne qui a scellé son sort. Les États européens ont démontré qu’ils étaient désorganisés, enfermés dans une cage bureaucratico-financière qu’ils ont eux-mêmes construite, affaiblis par des pratiques autodestructrices et dépourvus de stratégies et de dirigeants de valeur. Chacun agit pour son propre compte, avec 27 gouvernements avançant en ordre dispersé, certains se comportant comme si les autres étaient à leur service.

    Ces élites dirigeantes se sont réveillées un matin, complètement désorientées, cherchant non seulement à se rhabiller, mais surtout à brouiller les caméras en attendant de trouver une direction. Cela a donné lieu à une farce indécente : chacun a tiré la couverture à soi. Macron organise un petit-déjeuner privé réservé à quelques privilégiés. Son idée ? Entrer en guerre au nom de la grandeur française. D’autres fantasment sur la création d’une « armée européenne », idée portée par le ministre italien des Affaires étrangères, aussi utopique que la fable des « deux peuples, deux États ». Le président de la République française établit un parallèle hasardeux entre le Troisième Reich et la Russie, une comparaison discutable mais suffisante pour susciter les réactions escomptées. D’autres encore, pour sortir de l’impasse, imaginent un rôle de médiatrice pour la Première ministre italienne.

    Le grand responsable de cet échec collectif déclare que les 27 doivent parler « d’une seule voix ». Comme si l’on pouvait faire remonter le Pô de l’Adriatique jusqu’au Mont Viso…

    Le meilleur moment revient sans doute à Ursula von der Leyen, qui, imperturbable, annonce un 16ème paquet de sanctions contre la Russie. Chacun essaie de sauver ce qui peut l’être, exposant au grand jour son impuissance. Pendant ce temps, les peuples se recroquevillent et attendent.

    Maurizio Bianconi (Euro-Synergies, 20 février 2025)

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