La souveraineté profonde est l’enjeu de ce siècle
Que genre de mouvement l’Histoire du monde connaît-elle actuellement ?
Mouvement dites-vous ? Je dirais que notre Terre est un système énergétiquement ouvert, tournant sur des cycles de 365 jours dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, autour d’une étoile qui est sa source d’énergie principale et qui elle-même tourne autour d’un trou noir supermasssif situé au centre de la Voie Lactée sur un cycle de 220 millions d’années. Sur cette terre existe quelque-chose qui semble rare et peut-être même unique : la vie. Enfin rare pour le moment, puisque que la vie cherche, par les moyens de quelques primates anxieux et calculateurs, à s’implanter sur d’autres cailloux stellaires. La Vie présente trois amusantes caractéristiques et c’est à ça qu’on la reconnaît, si je puis dire. D’abord elle cherche à maintenir son homéostase (sa stabilité face aux discontinuités qui la menacent). Ensuite elle est capable d’apprentissage. C’est un « apprentissage par la mort » selon la loi de la sélection naturelle, bien que nous ayons établis des processus d’apprentissages différents par la culture. Enfin, la Vie cherche à se reproduire et à s’étendre. La vie est donc une structure créatrice d’ordre (de diversité organisée), dissipant de l’énergie dite « libre » (facilement accessible) qui apprend, se reproduit et préserve sa stabilité. Bon, j’imagine que vous n’attendiez pas cette réponse. Mais j’y arrive.
La vie, en s’organisant, procède à des recompositions permanentes qui augmentent sa diversité organisée et la multiplication de ses formes et caractéristiques, malgré la pression permanente du principe inverse, que nous appellerons si vous le voulez bien le mal ou plus prosaïquement le deuxième principe de la thermodynamique. Celui qui homogénéise, désorganise, déconstruit, réduit à l’élémentaire et qui cherche à faire toutes ces saloperies, plus vite que la Vie ne fait l’inverse. L’Histoire du monde est donc une course de vitesse entre la vie qui fabrique des formes, des espèces, des processus, des paysages, des communautés, des écosystèmes, et ce mal qui cherche à restituer à notre caillou stellaire, l’aspect qu’il avait il y a quatre milliards d’années : une sphère à la croute surchauffée et stérile. Si le mal entropique triomphe un jour, personne n’entendra la vie crier en s’éteignant dans les infinités intersidérales.
Alors quel mouvement de l’histoire du monde vivons-nous ? Une forme de vie qui existe depuis peu a pris l’ascendant et réaménage la biosphère pour ses besoins ou l’idée qu’elle s’en fait. Certains de ces aménagements sont clairement entropiques. Pour comprendre pourquoi, il faut s’intéresser à la façon dont les êtres humain ont progressivement substitué à la façon dont la vie apprend (la vie apprend par la mort en éliminant ses formes inadaptées), un apprentissage au sein de sphères culturelles communautaires d’échange de signes, de sens et de pratiques. Ces sphères coopératives produisent un récit sur ce qu’est le monde et la place de chaque chose dans celui-ci. Ces sphères de culture permettent aux humains d’habiter le monde.
Dans ces sphères qui nous permettent d’habiter le monde, une forme de sélection naturelle se poursuit mais dans des conditions modifiées. Des caractéristiques qui étaient avantageuses pendant des millénaires (comme par exemple celle d’avoir un corps économe en énergie et capable de stocker facilement ses calories) deviennent des freins à la reproduction (obésité), mais surtout, dans ces sphères de culture, les hommes se sélectionnent entre-eux par des biais culturels, comportementaux. Un peu trop certains de pouvoir ignorer ce qui se passe dans le monde vivant autour de nous, nous fonctionnons en vase de plus en plus clos tandis que nous transformons le monde. Notre culture veut tellement ignorer la nature voire parfois se construire contre elle, que des traits culturels peuvent êtres avantageux en milieu culturel tout en étant totalement contre-sélectifs sur le plan biologique pour ses porteurs. Notre « bruit » culturel pris dans un mouvement autoréférentiel permanent étouffe les acquis des expériences culturelles dites traditionnelles qui facilitaient la transmission de la vie. Certains appellent cela « une culture de mort ». C’est peut-être d’ailleurs ce qui caractérise la modernité. Ce moment où le bruit des signes culturels échappent à toute tradition (la culture qui avait appris lentement à vivre avec les impératifs de la biologie) pour estimer qu’il peut ignorer les lois du vivant grâce à une nouvelle forme d’apprentissage, non par la tradition, mais par la raison calculante, l’expérimentation et l’éducation, mais en raccourcissant les processus de feed-back correctifs. Les Lumières avaient cette ambition : permettre de faire une mise à jour du système d’apprentissage traditionnel des êtres humains (l’apprentissage par la culture traditionnelle) en le débarrassant de ses biais, en le rationalisant. Les vecteurs de l’idéologie des Lumières avaient l’ambition de porter un logiciel plus efficace et puissant que l’apprentissage par la sphère de culture et surtout, capable d’être étendu à des foules toujours plus nombreuses rendues coopérantes par l’idéologie, la technique et l’argent.
Mais c’était mal connaître le singe anxieux. Comme la plupart des espèces sociales, nos dispositions naturelles à l’anxiété, notre inaptitude fondamentale à satisfaire nos besoins sociaux dans des structures sociales gigantesques et anonymes, notre tendance bien naturelle à déborder sur nos voisins et réciproquement, ont engagé des processus face auxquels les rêves aristocratiques des Lumières ne pesaient pas lourd. Entrainés par des sirènes hurlantes de la peur et de la démographie, les rêves de raisons, de méthode, de dialogue et de calcul se sont fracassés. Il n’est resté des Lumières que l’explosion de créativité techno-scientifique libérée du contrôle sociale culturel, greffée sur une économie déchaînée et une mystique humaniste (l’humain, sommet de la création se libérant des déterminismes par la raison. Une fois évaporées les utopies il n’est resté de l’idéal aristocratique des Lumières que des foules paniquées, privées progressivement de leurs sphères d’habitation, de sens, de forme et exposées au froid glacial de la raison, aux humiliations coperniciennes et darwiniennes, au nihilisme et au saccage du sens qui leur donnait une situation dans le cosmos, dans l’ordre du monde et sa temporalité.
De cet effroi qui naît de la destruction des sphères culturelles, naît l’absurde. Celui qui rend passif. Nous sommes nombreux à rester silencieux devant l’hallucinante absurdité du sens dans nombre de domaines de la vie collective. Et s’il est une raison pratique au nom de laquelle on pourrait juger de l’entreprise de reconstruction rationaliste engagée au XXème siècle dans le domaine du langage, de l’art, du corps, des marqueurs sociaux, c’est bien l’apathie qu’elle génère. Jérôme Ducros, dans une conférence mémorable au Collège de France sur l’atonalisme et la déconstruction du langage musical, s’était ingénié à jouer faux et à dénaturer des partitions de musique atonales célébrissimes sans que personne ne puisse le détecter. Simultanément, il démontrait qu’une erreur sur une partition dans une composition de musique tonale, pourtant nouvelle car composée pour l’occasion, était instantanément perçue à l’oreille. Il nous avertissait : « On ne peut défigurer sans conséquence, que ce qui n’a pas de sens pour le spectateur ». Cet énoncé résumait très clairement la situation dans laquelle nous-nous trouvons collectivement. La disparition des cultures fabrique le désespoir et au bout, la passivité devant la cheptelisation des populations.
Cette toute puissance du verbe et des idées sur la vie s’est particulièrement matérialisée au XXe siècle quand des personnalités schizoïdes (qui s’intéressent plus à la carte qu’au territoire) ont compris que l’on pouvait fabriquer des coopérations de crise grâce à la puissance de la propagande et provoquer ainsi des signaux de récompense chimique à des millions de singes anxieux pour les rendre plus agressifs, efficaces, coopératifs et prêts au sacrifice, que d’autres. Que l’issue de la guerre ne dépendait pas seulement du nombre et de la technique mais de la capacité à produire des stress vitaux capables de créer des paniques coopératives à l’échelle industrielle (des « radios des milles collines »). Le plus grave, c’est que les gagnants gagnaient aussi le droit de raconter le monde et l’histoire à leur façon. Car perdre c’est aussi perdre son droit à faire entendre aux oreilles des siens et du monde son propre récit. Perdre c’est laisser votre adversaire raconter pourquoi vous vous battiez, viviez et qui vous étiez à votre place. Voilà pourquoi nous n’aimons pas beaucoup perdre.
Mais bref ! Au moment de la révolution industrielle donc, les Etats-nations étaient les usines les plus efficaces pour transformer un héritage bioculturel d’une richesse inouïe, en bio-machineries expansionnistes mobilisatrices et transformatrices en ressources. Il y avait bien des modèles vaguement alternatifs comme les empires depuis des siècles, mais les Etats-Nations c’était autre-chose ! C’était, grâce à la langue, le niveau parfait de mobilisation efficace des signaux de récompenses chimiques. La langue commune était un moyen puissant pour activer des stress sociaux unificateurs, des synchronisations par la culture, les rites et les récits, des coopérations étendues et efficaces renforcées par la technique, la monnaie et la puissance du nombre. Les Etats-Nations étaient plus efficaces que les empires car ils pouvaient aligner des armées plus unies par les mêmes récits et les mêmes stress, plus cohérentes face à des empires hétérogènes et aux coopérations plus lâches et étendues souvent composées de nations ethniques qui se regardaient en chien de faïences. Certaines de ces nations, limitées par la puissance de leurs voisins se sont trouvées de nouveaux territoires à annexer par delà les océans. Ce fut le début de la colonisation. Face à eux, des Etats fragiles ou des populations peu nombreuses ne purent pas opposer de résistance à la puissance de mobilisation des Etats-Nations européens. Plusieurs nations européennes devinrent des empires transcontinentaux qui produisirent des oligarchies transcontinentales. La langue, la monnaie, la technique et la religion qui facilitent toutes les quatre les coopérations étendues, faisaient office de bicarbonates pour faciliter la digestion de nouveaux territoires et de nouvelles populations.
L’Empire français et l’Empire espagnol, l’Empire anglais et l’Empire portugais, l’Empire belge et l’Empire néérlandais, l’empire italien et l’empire allemand redevinrent des nations européennes après avoir conquis à elles-toutes la plus grande partie du monde et s’être entretuées dans des guerres transcontinentales. A la fin de la dernière guerre mondiale, effarées par la violence, la dévaluation de toutes leurs normes, les nations européennes se retrouvèrent côte à côte dans leurs frontières métropolitaines, progressivement privées de leurs colonies, prises en étau entre deux empires qu’elles avaient enfantés, avec une idéologie impériale dans des corps d’Etat-nation. Une mise à jour du logiciel devenait indispensable. Certains, comme Charles de Gaulle comprirent que cela voulait dire qu’il fallait restaurer des moyens de puissance, d’autonomie et de coopérations réalistes entre peuples européens sur des bases souverainistes et qu’un nouvel ordre du monde était né. A côté, chez nous, chez elles, les élites internationalisées, enrichies par la période coloniale européenne, commencèrent à construire un monde post-national et même post-culturel, uni par la monnaie, la technique et un messianisme à forte tonalité religieuse. La globalisation engendrée par la technique, la monnaie et l’accès à des sources d’énergies libres et accessibles (les fameuses énergies fossiles) a rencontré l’utopie des Européens déprimés par les boucheries du XXème siècle. Et sur cette mondialisation, comme le fait dire Tolkien à Saroumane, du haut de la tour d’Orthanc : « Un nouveau pouvoir s’élève». Les élites occidentales administrent les nations en les estimant déjà obsolètes et s’occupent de transformer les Etats-Nations européens en Länder d’un empire nord-atlantique en construction. Les rouages institutionnels des Etats nationaux en Europe se chargent de traduire les objectifs des oligarchies transnationales qui ont court-circuité les processus démocratiques « du, par et pour le peuple » en modifiant le peuple par l’immigration de masse et en captant la narration collective via les médias. Les Etats-Nations jouent l’air du One World, de la dette, de l’ouverture, de l’urgence écologique mondiale, à leurs populations en vendant les bijoux de famille alors que les gens du peuple en attendent surtout des sphères d’inclusion, de sens, de protection et d’organisation efficace. Un quiproquo qui pourrait mal se terminer d’ici peu.
Les personnes qui vous suivent savent que vous êtes féru d’éthologie. L’heure du réveil du « gros animal » aurait-elle sonné ?
Le gros animal collectif se réveille toujours lorsque les individus sont confrontés à des stress vitaux. C’est très intéressant à observer dans toutes les structures de coopération sociale dans la nature. Par exemple, lorsqu’ils se sentent menacés, les rennes s’engagent dans un fascinant mouvement cyclonique. Ils se mettent à tourner collectivement autour d’un point invisible, pendant des heures, parfois des jours, jusqu’à ce que la perception de la menace disparaisse. Le mouvement suivi par la harde produit plusieurs effets. D’abord, les rennes placent les plus fragiles d’entre eux au centre du tourbillon. Ensuite, ce mouvement circulaire instinctif rapproche les rennes et les sécurise, en rendant presque impossible pour un prédateur, de cibler un individu en particulier. C’est ainsi que ces rennes engagent eux aussi une sorte de processus d’auto-renforcement sous stress qui produit la mise à distance de ceux qui ne font pas partie du groupe ou le menacent. Il s’agit là de la maitrise défensive et temporaire d’un territoire, de la protection de sa progéniture (l’avenir génétique du groupe) et surtout d’un transfert des fonctions de défense de l’individu vers le groupe, dissuadant les comportements défensifs ou les stratégies de survie (purement) individuelles.
Dans un essai publié en 2005 sous le titre Maximal-Stress-Cooperation, le philosophe allemand Heiner Muhlmann a proposé une thèse expliquant les liens entre la formation des groupes culturels et les stress de survie. Il expliquait en synthèse que, soumis à un enjeu de survie, les individus se regroupent par instinct et nécessité et s’engagent dans un processus d’approfondissement et d’intensification des modalités de leur fonctionnement collectif pour créer un collectif de survie. On assiste alors à l’apparition de communautés de culture solidement unifiées sous l’effet de stress vitaux. Un processus que la psychologie nomme « autorenforcement » . Pour Muhlmann, ce processus constituerait l’événement fondateur des communautés culturelles dans l’histoire. En clair, ceux qui coopèrent, se protègent, communiquent, s’entraident, produisent des récits consensuels sur la réalité qu’ils vivent, et vont renforcer ce processus coopératif à très grande vitesse, jusqu’à ce qu’apparaisse une sorte de fusion sociale. Cette fusion sociale va produire des formes de coopération intensive, une augmentation de l’allopathie (partage de la souffrance), d’alignement des représentations de la réalité entre les membres (homogénéisation idéologique) et la synchronisation intense de ses membres à mesure de l’urgence de la menace perçue.
Dans ces phases de crise, de peurs collectives, ceux qui ne participent pas à ces mouvements coopératifs, soit parce qu’ils n’accordent pas au reste du groupe sur la nature de la menace, soit parce qu’ils n’acceptent pas le narratif de crise qui s’installe dans le groupe, sont progressivement bannis. Ils deviennent même souvent eux-mêmes des « menaces » pour le groupe en phase de construction sous stress maximal. C’est la raison pour laquelle ces périodes sont propices aux épurations et exclusions. Sous l’effet de la peur et de l’impératif d’unité fonctionnelle provoqué par l’enjeu de vie ou de mort, le stress provoque une réaction immunitaire collective qui va pousser les membres du groupe à s’attaquer aux éléments qui ne participent pas à la mobilisation. La communauté de survie en formation ne tolère pas les « dissonances » d’interprétation, les écarts de stratégie, les individus ou petits groupes qui ne lient pas leur sort à celui de la communauté en formation. C’est évidemment durant les phases de stress critiques, que les groupes de coopération sont sujets à une forme de paranoïa collective (maximisation de la menace sous l’effet du stress) qui aboutissent notamment à des représentations paranoïdes de l’adversaire. La représentation « paranoïde » de l’adversaire consiste à considérer comme problématique, voire comme menaçant, tout élément extérieur ou intérieur neutre ou incertain, ou encore à attribuer aux « stresseurs » des capacités de nuisance exagérées. C’est aussi cette paranoïa et l’attribution de ces marqueurs immunitaires qui favorise les relations à l’intérieur du groupe au détriment de l’extérieur. Il est important de comprendre que ce n’est pas du fait de son caractère maléfique qu’une communauté engagée pour sa survie cherche instinctivement à établir son unité interne et sa cohésion parfois par la violence. Ces phases sont des modalités de la recherche urgente d’une synchronisation fonctionnelle et affective optimale pour la survie. Inutile de vous dire que les Etats ont bien pigé et depuis longtemps, comment utiliser ces dispositions coopératives sous stress face à un enjeu vital. Le « forçage coopératif » est dans l’ADN des Etats depuis longtemps et les Etats-Nations sont passés maîtres dans l’art d’utiliser ou de fabriquer les stress de mobilisation totale dans leurs populations pour assurer la survie du collectif.
C’est d’ailleurs ce que leurs reproches les élites du One World tout en manipulant elles-mêmes des stress collectifs pour obtenir un alignement légitimiste des populations et un acceptation des lois d’exception. Bref. Les partisans de la fin des « nations-dangereuses », sont contraints de réactiver des stress de dénonciation/mobilisation exactement dans les mêmes conditions que les Etats-Nations du 19 et du 20 ème siècles alors qu’ils se construisent précisément sur le rejet des Etats-Nations présumés bellicistes et expansionnistes. Pendant ce temps les héritiers de Karl Popper, mais aussi Muhlmann, ou Harari, se creusent la tête pour savoir comment déminer le potentiel explosif des communautés nationales en pratiquant une forme d’ingénierie sociale fragmentaire et déconstructive, ce que Bazon-Brock appelle « civiliser la culture ». De ce point de vue, la guerre sociétale de déconstruction s’apparente à une thérapie immunosuppressive semblable à celle que l’on administre à la suite d’une greffe pour empêcher le corps de rejeter le greffon. Le problème c’est que tout cela n’est pas fait très intelligemment puisque tandis que l’on administre des immunosuppresseurs idéologiques à forte dose pour neutraliser les réaction immunitaires collectives, on stresse les populations en s’attaquant aux murs porteurs de la culture populaire, à la cohésion ethno-culturelle et normative des populations. En clair, on fait le constat que les collectifs de culture s’engagent dans des processus dangereux lorsqu’ils se sentent menacés et on prétend désamorcer ces processus tout en exposant les populations à des stress vitaux (démographiques, économiques, etc.) en tentant de domestiquer, de civiliser les communautés de culture. En clair : « Tu vas mourir, soit cool!»
Sur les territoires qu’elle administre, l’oligarchie occidentale produit ainsi des populations divisées, trahies, faibles et coupées de leurs élites. L’Occident ne produit plus de populations vigoureuses et combattantes mais des individus domestiqués ou révoltés, dépressifs et mentalement éloignés des conditions du sacrifice au profit de la collectivité. L’Occident est un très mauvais éleveur de peuples et doit donc utiliser ses marges géographiques mais aussi idéologiques, les « radicalisés » que sa politique destructrice fabrique à la pelle, pour réussir à trouver des populations à engager contre ses adversaires. Une double bonne affaire pour les élites libérales occidentales, qui se débarrassent de leurs individus radicalisés et risqués en les mobilisant contre leurs adversaires géopolitiques.
La technologie et sa fascination pour le pur calcul semblent avoir pris le pas sur le souci des ressources de la maison, propre à l’économie. Quel type de danger cela fait-il courir sur les occupants de notre maison commune ?
L’économie est l’ensemble des activités de production, de distribution et de consommation des humains, pratiquées en vue de la satisfaction de leurs besoins. Et sans doute faut-il s’être sérieusement intéressé à la question du « besoin » et de sa « valeur » pour parler sérieusement d’économie. La constitution de l’économie en sphère d’activité autonome, inassignable, et disembedded (desinsérée) comme le disait Karl Polanyi) est un processus décrit dans le détail depuis 20 ans par Serge Latouche et d’autres auteurs qui ont fréquentés le MAUSS (Mouvement anti-utilitariste dans les Sciences Sociales). L’économie n’est plus insérée, dévolue à des fins extérieures à elle-mêmes (la religion, la culture, la politique ou plus fondamentalement la loi naturelle (la loi de la bonne conservation du collectif qui l’exerce) mais a prétendu un temps, s’émanciper des besoins politiques et sociaux pour définir elle-même ses propres fins. C’était en fait un faux débat. L’économie n’a jamais constituée une sphère d’activité autonome. Plus personne ne croit que si chaque « acteur économique » poursuit la recherche de son meilleur intérêt, il contribue de fait, à la satisfaction de l’intérêt collectif. Non. L’économie a été réorganisée et mise au service d’autres forces humaines. Elle est régulée plus que jamais mais ne l’est plus par des communautés politiques souveraines, mais par une oligarchie financiaro-bancaire qui multiplie les braquages après avoir pris le contrôle des banques centrales, de la dette et de la production monétaire dans l’ensemble du monde occidental. De ce point de vue, derrière les conflits désormais ouverts de la multipolarité se profilent une question fondamentale : la libération des peuples des chaînes de l’usure.
Comment expliquer que les contempteurs du « repli sur soi » soient souvent, simultanément, les adeptes de l’ostracisation ? N’est-ce pas délicieusement contradictoire ?
L’injonction à refuser le « repli sur soi » est une injonction à l’ouverture et un leitmotiv fondamentalement entropique donc morbide. On cherche à expliquer à des peuples que ça leur fera moins mal s’ils ne résistent pas à leur désappropriation culturelle, écologique, économique, patrimoniale, etc. Derrière ce matraquage, il a toujours une variante du discours qui consiste à persuader une personne qui se sent menacée, que c’est sa résistance qui créé le problème. C’est aussi pour les adeptes du terrorisme intellectuel une petite astuce rhétorique et bon marché, pour continuer à dominer les échanges. Il faut être un peu idiot ou innocent pour se laisser encore terroriser par ces crétins. Il me revient souvent en mémoire le premier acte de protestations des Gilets Jaunes : s’emparer des ronds-points aux portes de leur ville pour filtrer, décider de ce qui entre et sort de chez soi. C’était inconscient bien-sûr, mais on avait là un geste vital et symbolique très révélateur.
Sinon, évidemment, nous vivons dans un système ouvert. Nous tirons notre énergie du soleil et l’enveloppe d’une cellule est certes une frontière de protection mais c’est aussi une zone de contact, de prélèvement, de captation de ressource, etc. Nous devons nous protéger et privilégier les échanges et coopérations internes mais ne devons évidemment pas tomber dans le piège d’une version caricaturale du Sakoku. D’autant que cette expérience politique et économique a des choses à nous apprendre. Le Sakoku désigne la politique d’isolement relatif (on parle de « politique des quatre portes » aussi) qui fût menée par le Japon à l’initiative du shogun Tokugawa par une série de décrets entre 1633 et 1639 et qui perdurera jusqu’en 1853. Le bilan de cette ère de « contrôle maitrisé » de ses relations avec le monde (qualifiée donc abusivement de « fermeture » : Sakoku) est pourtant intéressant à méditer à l’ère des contractions dangereuses de la globalisation. En voici quelques caractéristiques : Dévalorisation de la fonction marchande et valorisation des fonctions productives ; protection contre la colonisation religieuse occidentale ; grande stabilité sociale (shi-no-ko-sho) et approfondissement des « voix » intérieures ; disparition des guerres intérieures (Pax Tokugawa) ; quelques famines mais aucune épidémie notable qui réapparaitront immédiatement après la « réouverture » forcée du Japon ; augmentation rapide de l’alphabétisation, atteinte d’un optimum démographique suivi d’une stabilisation durable ; essor de l’innovation et de la production artisanale mais stagnation dans certains secteurs industriels qui mettront le Japon en position de fragilité dans la seconde moitié du 19ème. Certaines de ces faiblesses constitueront aussi des atouts durant l’ère Meji. Une innovation politique à méditer et peut-être aussi, actualiser, sans perdre de vue que cela se termina par une réédition face aux navires de guerre américains, qui forcèrent le Japon à s’ouvrir au commerce sous la contrainte. Notre enjeu aujourd’hui est moins d’assurer l’autonomie totale, que de maîtriser les éléments vitaux de l’équilibre social (les trois premiers étages de la pyramide de Maslow) et pour le reste, de veiller à avoir prise sur ce qui a prise sur nous. L’immigration par exemple n’est pas seulement une affaire de ressource, de coexistence ou de culture, mais de souveraineté anthropologique (Pierre-Yves Rougeyron). Nous ne sommes pas du bétail et nous devrions pouvoir envisager la question de l’implantation massive de populations dans nos sanctuaires historiques, du point de vue de ce que nous voulons choisir collectivement de devenir ou de ne pas devenir.
Comment comprenez-vous la manière dont l’Union européenne entend la notion de puissance et celle de concurrence ? On a l’impression qu’elle s’interdit d’être puissante, et qu’elle rechigne à prendre toute sa place dans le jeu de la concurrence en préférant jouer les arbitres.
L’UE c’est un truc compliqué. Il y a en son sein des tendances contradictoires. Elle veut exercer sa puissance à la façon d’une vieille personne cherchant à terroriser sa famille par un mélange de chantage à l’héritage, à la réputation et de menaces d’exclusion des récalcitrants aux diners de familles dominicaux. La concurrence intéresse l’UE quand elle lui permet de déconstruire les Etats-Nations en sapant les bases de leur autosuffisance et en facilitant la transnationalisation de leurs infrastructures. L’UE est une vieille personne riche, tyrannique et toxique avec les siens. l’Europe comme civilisation s’effondre à mesure que l’UE renforce son emprise c’est un fait. Ce qui est fascinant, c’est que nous avons atteint un niveau de finesse et de compréhension qui nous permettraient de progresser dans tous les domaines et que nous voyons pourtant nos sociétés saturées par la médiocrité, les passions basses et l’incompétence. Nos élites célèbrent l’entropie comme si elle était devenue la religion souterraine du monde occidental. Cette absurdité alimente un sentiment de trahison qui porte en germe des révoltes extrêmement violentes. Ceci-dit, on aurait tort de limiter la question souverainiste au pompage des Etats-Nations européens par la technostructure bruxelloise.
La question de la souveraineté, si l’on veut bien la considérer plus profondément, est une affaire bien plus complète et l’Etat-National en tant que courroie de distribution de l’idéologie néo-impériale nord-atlantique, fait lui-aussi partie du champs des problèmes. Nous perdons notre souveraineté à tous les niveaux de l’existence. Après nous avoir persuadé qu’on ne pouvait naître sans assistance hospitalière, vivre en bonne santé sans médicaments, faire pousser des plantes sans intrants chimiques, faire fonctionner une économie sans immigration massive, être libre sans journalisme, éduquer ses gosses sans éducation Nationale, vivre en sécurité sans flics et assurances, etc. On finira par nous persuader qu’on ne peut pas faire de gosses sans FIV, se déplacer sans pass, régler ses problèmes sans assistance psychologique, etc. La souveraineté profonde est l’enjeu de ce siècle.
Quasiment tous les corps intermédiaires sont à terre. Reste encore la famille « traditionnelle », qui est elle-même en cours de liquidation. L’atomisation générale qui laisse l’individu seul face à l’Etat ou aux grandes entreprises pourrait-elle susciter un mouvement de re-constitution de communautés ?
La famille on s’en fait une idée un peu fantasmée et largement déformée par la représentation qu’en avait la bourgeoisie. Dans le peuple on a toujours été un peu plus pragmatique avec l’institution familiale. Je crois qu’au sujet de la famille, le plus inquiétant et peut-être d’ailleurs le plus lourd dans ses effets sociaux et démographique, c’est l’éparpillement intergénérationnel. La famille traditionnelle populaire n’est pas constituée d’un papa, une maman et des enfants, qui se retrouve le soir après l’école ou le travail et le week-end chez les grands-parents. Les familles c’étaient des communautés de vie, de travail et de défense durables. La charge des enfants était répartie sur la sœur qui n’en avait pas ou la grand-mère. On travaillait en famille, etc.. La famille traditionnelle est mal en point peut-être aussi parce que nous cherchons à préserver une forme d’organisation non viable de la famille. Cette véritable famille traditionnelle, à savoir, la communauté génétique transgénérationnelle de vie, de travail et d’éducation, retrouvera probablement sa place au fur et à mesure de la perte d’emprise de l’économie officielle sur la satisfaction des besoins des gens via l’extension des zones d’exclusion-réclusion sociaux-économiques.
On présente souvent la technologie comme un moyen de « disruption ». Comment pourrait-elle être utilisée à des fins de perpétuation voire de « résurrection » ?
La technologie est une optimisation fonctionnelle artificielle. Elle devrait donc faire l’objet d’une évaluation sur ces valeurs ajoutées là avant toute diffusion : optimisation, fonction, interaction, maîtrise ou souveraineté. Si c’était fait, on pourrait alors parler de technologies appropriées qui pourraient par exemple être détaxées en fonction de leur utilité sociale (si du moins ce ne sont pas quelques technocrates hors-sol qui évaluent cette utilité. La notation d’utilité sociale des produits et technologies pourrait intégrer des critères supplémentaires comme par exemple le principe de la détaxation de la proximité afin de favoriser la compétitivité des produits locaux. C’est une idée que j’ai formulée voici une quinzaine d’année et qui fait son chemin. Mais pour faire ce boulot, il faudrait traduire ces grands principes pour les politiques. Autant dire que c’est mal barré. Un think tank souverainiste pourrait contribuer à alimenter cette réflexion dans des élites souverainistes et la faire avancer pour recréer de la typicité et de la résilience dans les sphères culturelles humaines et résoudre les crises de la mondialisation. Il semblerait que la pression adaptative soit, comme en écologie des populations, le facteur principal d’innovation fonctionnelle. La peur, non le conflit est mère de toutes choses. Du coup, comme je ne vois pas trop le stress populaire descendre ces prochaines années, je dirais que nous sommes à l’heure des introspections colériques.
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A la lecture des œuvres d’anticipation, on peut rapidement se demander si l’humanité ne s’ingénie pas à donner vie à ce qu’elle redoutait. Qu’en pensez-vous ?
Dans le cadre de votre question, ce qui semble évident, c’est qu’il y a des gens qui espèrent quelque-chose que l’immense majorité de la population craint. « Un rêve pour certains, un cauchemar pour d’autres » disait Merlin l’enchanteur dans Excalibur de John Boorman ! Lorsqu’une situation paraît absurde ou insoluble, nous devons partir du principe que c’est parce que nous posons mal le problème et dans la mesure où nous en avons le temps, chercher à regarder les choses avec l’œil de ceux qui veulent ce que nous craignions ou craignent ce que nous voulons. Comprendre mieux son adversaire c’est se donner les moyens d’une action plus juste et, ce qui ne gâche rien, d’emporter la victoire.
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Laurent Ozon (Souverainetech, 16 septembre 2022)