En cette rentrée universitaire, plusieurs conférences se penchent sur la liberté académique. À l'université Versailles Saint-Quentin, une conférence-débat était intitulée «Savoir et censure, où en sont nos libertés académiques ?». À Bordeaux se sont tenues deux journées de tables rondes sur la question : «Engagement et distanciation. Quelle place pour la liberté académique en sciences sociales ?». Cette liberté exigeante, soumise aux critères de la rationalité, est en effet de plus en plus dévoyée et contestée, comme l'ont mis en évidence les récents travaux d'Olivier Beaud et de Nathalie Heinich. Certains chercheurs sont empêchés de l'exercer tandis que d'autres la pervertissent en substituant l'activisme politique à la quête du vrai. Dès 1997, l'Unesco se disait «préoccupée par la vulnérabilité de la communauté universitaire à l'égard des pressions politiques indésirables qui pourraient porter atteinte aux libertés académiques», et jugeait utile de rappeler : «les universités sont des communautés d'érudits qui ont pour mission de préserver et de diffuser le savoir traditionnel et la culture, d'exprimer librement leur opinion à ce sujet et de poursuivre leur quête de la connaissance sans être entravés par des impératifs doctrinaires».
Ces «pressions indésirables» se multiplient pourtant dans le monde académique. Apparues en Amérique du Nord, elles y ont pris une ampleur sidérante. L'Association américaine d'anthropologie (AAA), reconnue comme la plus grande société savante américaine dans ce domaine, travaillant en partenariat étroit avec plusieurs départements universitaires, vient d'annuler au dernier moment une conférence intitulée : «Let's talk about sex baby» et sous-titrée : «Pourquoi le sexe biologique reste une catégorie d'analyse indispensable en anthropologie». Dans la foulée, l'Association a promis de «s'assurer que de tels débats à propos de la réalité et de l'importance du sexe ne pourront plus être approuvés à l'avenir». En effet, explique le site, l'existence du sexe heurte le premier principe éthique de l'Association : ne pas blesser (do no harm). Quand la vérité blesse, le mensonge est donc le premier devoir du savant, peu importe que l'on offense, que l'on meurtrisse même l'objectivité scientifique puisqu'elle n'a pas de larmes pour pleurer.
Cet aveuglement se développe aujourd'hui en France, pays qui fut longtemps, pour le monde, celui de la liberté de l'esprit. Là aussi, souvent, la subjectivité prend le pas sur la rationalité, l'affirmation brutale des droits piétine la liberté d'expression et violente la réalité. Depuis un an, tous les colloques et conférences visant à porter un regard scientifique sur le phénomène transgenre ont été annulés ou perturbés, telle la journée d'études du 22 juin dernier où plusieurs juristes de Paris I et Paris II ont essuyé des jets de peinture et de clous. Les activistes se sentent d'autant plus dans leur droit qu'ils obéissent à l'idéologie imposée au sein des départements de sciences humaines par le zèle intolérant des «académo-militants».
La Sorbonne, censée mettre en valeur et déployer le génie de notre langue, s'attaque à elle. Oubliant qu'elle est au principe de l'esprit et de la liberté, elle ne veut y voir qu’un vecteur d'oppression et concourt ainsi à la dévaluer autant qu'à l'enlaidir. Elle se targue en effet, sur son site, d'adopter «l'écriture égalitaire», ce bégaiement inclusif («les étudiantes et étudiants présentes et présents») fondé sur une pseudo-linguistique qui attribue au langage le pouvoir magique de penser à notre place et de déterminer les faits sociaux. Le même déni de réalité la conduit à promouvoir l'idéologie du genre ; le site insiste sur la nécessité de «lutter contre les stéréotypes de genre», c'est-à-dire contre l'étrange lubie consistant à attribuer aux hommes et aux femmes «des caractéristiques supposées “naturelles”».
De même, la Mission égalité – qui combat à juste titre toute forme de harcèlement – organise des formations et des spectacles interactifs dont les participants sont invités à se demander «Comment interroger les assignations de genre», ce concept militant soutenant que le sexe est attribué arbitrairement à la naissance, ou à «identifier la confiscation de la prise de parole des femmes» – en Iran ? En Afghanistan ? Non, non : en France, bien sûr. De même, un petit film, chef-d’œuvre de démagogie, a été réalisé pour alerter sur les biais sexistes dans le recrutement des universitaires. Les présidents de tous les comités de sélection sont vivement incités à le projeter avant chaque élection ; peu importe que dans les départements de sciences humaines, la proportion de femmes varie de la moitié aux trois quarts, voire davantage.
Certaines universités tendent ainsi à renier leur mission pour s'enrôler dans une guerre idéologique, visant à imposer l'idée que les rapports sociaux se résument à la domination des ci-devant «hommes» sur les ci-devant «femmes» et à détruire tous les repères anthropologiques en portant aux nues les hommes enceints et les femmes à pénis après avoir banni les mots «père» et «mère». Comme dans le lexique du Planning familial, les termes «Monsieur» et «Madame» peuvent être considérés comme des injures : pour les avoir prononcés en saluant son jury, un brillant candidat a été saqué au concours d'une grande école, et les cas se multiplient de discrimination pour pensée non conforme. Le simple fait d'organiser un colloque hétérodoxe et de publier dans Le Figaro peut vous valoir un rappel à l'ordre pour infraction à la déontologie, faux nez de l'idéologie.
La conception du monde qui anime toutes les dérives précitées, le wokisme, est une idéologie en ce qu'elle est essentiellement incohérente : elle croit voir, elle s'aveugle, elle croit émanciper, elle aliène, elle croit libérer, elle censure, elle croit inclure, elle divise. Au lieu de voir le mur auquel aboutit l'impasse post-moderne, elle fonce dedans tête baissée. Les universités ont été créées pour transmettre et faire avancer le savoir, pas pour promouvoir la servitude volontaire. Il est temps que la liberté académique reprenne tous ses droits.