Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Métapo infos - Page 1236

  • Un Président en décomposition...

    Nous reproduisons ci-dessous une analyse de Jacques Sapir, cueillie sur son blog RussEurope et consacrée au phénomène de décomposition qui atteint la présidence de François Hollande...

     

    Hollande décomposition.jpg

    Président en décomposition

    Nous sommes désormais non plus dans une crise politique, mais dans une crise de légitimité du Président de la République, et probablement dans une crise de régime. Jamais, même dans les années qui suivirent Mai 1968, nous n’avions connu une telle situation. Sous nos yeux, la présidence de François Hollande se décompose. Au delà de la dimension personnelle de cet échec, c’est bien la question des institutions, et de l’Etat, qui est posée.

    Précis de décomposition.

    Elle se décompose économiquement. La politique menée par les gouvernements Ayrault et Valls est un échec cuisant. Ceci avait été dit dès l’automne 2012. Il n’y a pas eu d’inversion de la courbe du chômage, car la politique suivie, et qui est en continuité avec celle du gouvernement de François Fillon sous la présidence de Nicolas Sarkozy, a durablement cassée les dynamiques de croissance. La répression budgétaire couplée à une inflation très basse enfonce le pays dans des difficultés dont il ne sortira pas. Tout le monde sent qu’il faut un changement radical, et non de simple ajustement, voire ce que propose une partie de la droite parlementaire, un surcroît de répression budgétaire. La désindustrialisation continue de progresser et le gouvernement se réjouit de la baisse de l’Euro, mais sans rappeler que pour être utile à la France, il faudrait que l’on atteigne un taux de change de 1,05 à 1,10 Dollar pour un Euro. Nous en sommes encore très loin. Elle se décompose politiquement. La chute de la confiance des Français dans leur Président atteint des niveaux inégalés. La France est désormais sans voix, que ce soit au sein de l’Union européenne ou de manière plus générale dans les relations internationales ; les dernières palinodies sur le contrat des BPC de la classe « Mistral » en témoignent. Et c’est cette France sans voix qui pourrait parler haut et fort tant à nos partenaires, et en particulier à l’Allemagne, qu’à nos alliés ? On croit rêver. La vérité, cruelle mais limpide, est que nous sommes arrimés au char de l’Allemagne et soumis à la domination de Washington. Mais, cette décomposition politique atteint désormais le cœur de l’appareil d’Etat. Qui peut croire que le Premier Ministre, homme ambitieux et de peu de principes, restera fidèle au Président alors que la chute de popularité de celui-ci l’entraîne vers l’abime ? Manuel Valls cherche désormais fébrilement comment il pourra rompre avec François Hollande pour préserver son capital politique et ne pas couler avec lui. Au sein de la majorité, c’est la débandade. Les socialistes que l’on dit « frondeurs » ou « affligés » sont aujourd’hui devant leurs contradictions. Tout soutien à ce gouvernement est un soutien à une politique qui est, chaque jour, plus antisociale et plus destructrice économiquement. Ils sentent bien que ce ne sont pas des mesurettes tant fiscales que budgétaires qui peuvent inverser la tendance dramatique de l’économie française. Mais, ils renâclent devant la seule solution qui reste aujourd’hui. Seule, une sortie de l’Euro et une dépréciation des monnaies de la France mais aussi des pays d’Europe du Sud permettrait d’inverser la situation, de retrouver la croissance et donc les grands équilibres, qu’il s’agisse du budget, des comptes sociaux ou de la balance commerciale. Ils sont nombreux à le savoir, mais ils restent fascinés par ce totem appelé « Union européenne ». Ce qui reste de l’opposition de gauche est, quant à elle, tétanisée par la perspective de la rupture avec le Parti « socialiste » et prisonnière des alliances électorales qu’impose notre système politique. Cette situation conduit un nombre toujours plus grand de Français à se tourner vers le Front national. Ceci était parfaitement prévisible. Mais, au lieu de réfléchir sur la rupture qui s’impose dans la politique économique du pays, on préfère chercher à se servir de la montée électorale du Front National pour trouver de nouveaux arguments et de nouvelles justifications à un immobilisme tant économique que politique. C’est une stratégie perdante, à l’évidence.

    Mais la présidence Hollande se décompose aussi symboliquement. Une affaire anecdotique prend sous nos yeux la dimension d’une affaire d’Etat. Rien n’est plus symbolique que l’émotion et le tohu-bohu qui ont été provoqués par le livre de Valérie Trierweiler dont chacun soupçonne qu’a défaut d’être exact il pourrait être vrai. L’image d’un Président réduit à la posture d’un adolescent incapable d’assumer la conséquence de ses actes est dévastatrice. Mais, ce livre en dit aussi long sur l’envahissement de la sphère publique par les émotions privées. Avec la fin actée de la séparation entre les deux sphères, nous comprenons tous que la démocratie est en danger. C’est pour cela, sans doute, que l’anecdote d’un livre devient un fait de société. Cette décomposition symbolique scelle alors le caractère irrémédiable de la décomposition économique et politique.

    Cette triple décomposition signe non seulement une dramatique perte de crédibilité du président de la République, mais aussi une perte de sa légitimité. Ce n’est pas seulement la légitimité de l’homme qui est atteinte, et durablement ; c’est la légitimité du système politique. L’échec de François Hollande n’est pas une page blanche sur laquelle un impatient aurait griffonné et raturé. Survenant après la Présidence de Nicolas Sarkozy, qui déjà avait dramatiquement affaibli les institutions, elle signe la crise de l’Etat, et sans doute sa propre décomposition.

    La catastrophe prévisible.

    Cette situation était, hélas, prévisible. Elle était inscrite dans le tour pris par la politique dès l’automne 2012. Elle devenait inévitable avec le choix par le Président de Manuel Valls comme Premier Ministre au printemps 2014, dont on a dit et écrit qu’il constituait une faute grave. Le président pourra toujours invoquer les campagnes menées pas ses ennemis politiques, mais elles ne sont que normales dans une démocratie. De ses adversaires, il ne devait rien attendre, comme il était futile d’espérer en une modification du contexte économique international pour sauver une politique aux effets désastreux. Louis XIV écrivait déjà « toujours, faire fond du pire ; l’espérance est mauvais guide »[1]. Plutôt que de se chercher des excuses, de partir en quête de quelques boucs émissaires, le Président ferait mieux de s’interroger sur lui-même, de se demander pourquoi il a été incapable d’élargir réellement la palette des avis qu’il recevait, ce qui se cache dans le choix de ses amis les plus proches pour l’entourer. Eut-il voulu délibérément se couper du monde et de la réalité qu’il n’y serait pas mieux parvenu. Cette construction autistique traduit un refus de la réalité. Non qu’il faille abandonner ses convictions face au réel. Jamais nous n’avons demandé quelque chose de tel. Mais, l’homme (ou la femme) de caractère se voit en ce qu’il (ou elle) part du réel et se donne les moyens pour le transformer. Ceci, jamais François Hollande ne le fit, et pour cela il va tout perdre, le pouvoir bien sur, mais aussi la réputation et son parti politique, qui risque fort de ne pas se remettre de l’impasse dans lequel il l’a conduit. Il va perdre enfin l’Europe, qui risque fort de ne pas survivre à la crise qui vient et dont on pressent qu’elle sera cataclysmique. Il n’a pas compris qu’en sacrifiant l’Euro, il conservait une chance de sauver l’Union européenne.

    Ce n’est pas un problème d’intelligence, car de cela il apparaît raisonnablement doté. Mais, il combine une vision étriquée des choses, et pour tout dire fort idéologique, avec un manque de courage auquel s’ajoute un manque d’empathie. On n’est pas obligé d’être un parangon de vertu, de ce courage moral prisé par les Anciens. On ne peut s’abonner au courage comme l’on s’abonne à la Revue des Deux Mondes. Mais alors, il convient d’avoir de l’empathie pour ses concitoyens. Or, François Hollande se révèle froid, dur aux faibles accommodant aux puissants. On n’est pas obligé d’être en permanence dans l’empathie, mais alors il faut compenser cette froideur par du courage moral. Ce qui n’est pas acceptable chez un homme politique de cette ambition c’est la froideur pour autrui qui s’accompagne de l’apitoiement sur soi. On ne se fait pas élire pour flatter son égo mais pour servir.

     Refuser le désastre

    De ce désastre qui s’annonce, quels seront donc les formes ? Le pouvoir présidentiel va continuer à de déliter à une vitesse accélérée. Les mois qui viennent verront François Hollande abandonné par ses alliés, que ce soit en Europe ou en France. D’ores et déjà, il est tenu pour quantité négligeable par l’Allemagne, méprisé à Londres et considéré comme un valet à Washington. Mais, c’est en France même que les coups les plus durs se préparent. Il verra dans les six mois qui viennent le Parti « socialiste » passer sous la coupe de ses adversaires, Martine Aubry en tête et surtout il verra Manuel Valls le trahir. Rien de personnel dans l’éclat qui se prépare. Mais, la logique de nos institutions veut que le Premier Ministre, s’il entend préserver ses chances futures, s’oppose à un Président à l’agonie et construise son image contre l’homme qui l’a nommé. Manuel Valls va ainsi chercher progressivement la rupture.

    Si François Hollande peut, théoriquement, rester en fonction jusqu’en 2017, il sera probablement contraint de dissoudre ce printemps, si ce n’est avant. Il pourrait choisir de précipiter l’épreuve. Une dissolution dans les semaines qui viennent serait douloureuse incontestablement pour le Parti « socialiste », mais elle prendrait de court l’UMP, qui n’est pas remise de la guerre fratricide en Fillon et Copé, et elle confronterait le Front National à une échéance à laquelle il n’est sans doute pas prêt. Une dissolution rapide serait sans doute une solution moins douloureuse qu’une dissolution contrainte par le délitement des soutiens parlementaire au printemps prochain. Une dissolution rapide serait aussi moins catastrophique pour l’élection présidentielle de 2017.

    Une autre solution est cependant possible, qui au lieu de chercher à limiter le désastre se donne pour objectif d’inverser la tendance. C’est la rupture symbolique avec l’Allemagne pour tenter de retrouver des marges de manœuvres économiques. Cette rupture aurait l’avantage de permettre au Président de se présenter comme celui qui a tout tenté et qui, devant l’obstination allemande, en prend acte et provoque une crise. Renverser la table peut être une méthode pour retrouver du crédit quand on est dans une position de faiblesse. Le Général de Gaulle en usa ainsi en des moments terribles. Cela implique alors de se séparer rapidement de Manuel Valls, prenant ainsi de court ses velléités d’indépendance, et de choisir un homme qui incarne, depuis maintenant des années, « l’autre politique ». Cette politique passe par la sortie de l’Euro, faite de manière décidée et irrémédiable. Car, une sortie de l’Euro redonnerait immédiatement un dynamisme économique à la France qui changerait du tout au tout la situation. L’Euro est une vache sacrée, mais c’est dans le cuir des vaches sacrées que l’on taille les chaussures pour qui veut avancer.

    Quand tout semble perdu, c’est le moment de passer à l’attaque. Tel devrait être le raisonnement tenu par François Hollande. La logique de la situation devrait le conduire à cette conclusion. Sinon, il sera comme la bête de boucherie que l’on conduit à l’abattoir. Mais peut-être est-ce cela sa vérité profonde. Qu’il ne nous demande pas, alors, de nous apitoyer sur son sort.

    Jacques Sapir (RussEurope, 9 septembre 2014)

    Note

    [1] Instruction à l’attention du Grand Dauphin.

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Rome et l'héritage indo-européen...

    Les éditions Terres de promesse viennent de publier un essai de Valery Raydon intitulé Héritages indo-européens dans la Rome républicaine. Docteur en histoire ancienne et chercheur indépendant, Valéry Raydon a notamment publié Apologie du dieu Kronos (Le Labyrinthe, 2007).

     

    Héritages indo-européens.jpg

    " L’importance de l’héritage culturel indo-européen dans la société romaine antique n’est plus à démontrer. Georges Dumézil et ses continuateurs, armés du comparatisme structural indo-européen, ont mis à jour de nombreux cas d’exploitation de l’idéologie indo-européenne des trois fonctions, intervenus dans l’organisation du système religieux le plus ancien, dans la composition de récits historiographiques, ainsi que dans l’aménagement d’institutions juridico-sociales ou militaires majeures.
         L’auteur, poursuivant dans cette ligne de recherche, entend mettre en lumière deux nouveaux faits institutionnels romains de la période républicaine proposant des applications de l’idéologie trifonctionnelle des Indo-Européens. Le premier regarde une pratique diplomatique de donation réalisée en faveur de rois barbares, le second concerne l’organisation de l’administration républi-caine. Ces deux usages gouvernementaux d’importance ont en commun d’avoir été élaborés à partir de la triade des insignes de la souveraineté républicaine. Ces insignes républicains prolongeaient, de l’aveu des Romains, les ornamenta des anciens rois de l’Urbs, et distribuaient le pouvoir sur la société autour de trois pôles de compétences relevant chacun d’un des niveaux du système théorique trifonctionnel au moyen duquel les Indo-Européens appréhendaient l’Univers : la gestion des affaires religieuses (première fonction sacrée), la gestion des affaires militaires (seconde fonction guerrière), et la gestion des affaires politiques (troisième fonction d’abondance, présidée à Rome notamment par le dieu Quirinus, patron et protecteur du collectif des ‘citoyens’ Quirites).
         Un des résultats majeurs de cette étude est la démonstration que, tout au long des presque cinq cent années d’existence du régime républicain, les Romains ont continué de codifier l’autorité politique suprême suivant le même cadre de pensée indo-européen qui structurait déjà antérieurement leur conception de la royauté. "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Croissance et décroissance...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré aux questions de la croissance et de la décroissance...

    On rappellera qu'Alain de Benoist est l'auteur d'un essai intitulé Demain la décroissance (E-dite, 2007).

    alain de benoist,turbocapitalisme,hollande,taubira,révolution

     

    Croissance et décroissance

    Grande est l’impression d’être gouverné par des comptables – d’ailleurs pas toujours très doués pour la comptabilité. Mais au fait, comment mesure-t-on la croissance ? Et, pour reprendre un slogan de Mai 68, peut-on tomber amoureux d’un taux de croissance ?

    C’est une paraphilie parmi d’autres ! Mais défions-nous pour commencer de ces statistiques qui reflètent davantage la capacité des banques centrales à créer de la monnaie plutôt que celle des nations à créer de la richesse (la Réserve fédérale américaine crée tous les mois de 50 à 85 milliards de dollars de papier, soit ce que François Hollande cherche à économiser annuellement avec son « pacte de compétitivité »). Et n’oublions pas, non plus, que nous ne sommes plus à l’époque où une forte croissance permettait des compromis de classe positifs entre le travail et le capital. Aujourd’hui, la croissance ne profite pas également à tous, puisque beaucoup ne cessent de s’appauvrir tandis que d’autres ne cessent de s’enrichir. Elle n’est donc plus un vecteur de réduction des inégalités.

    La croissance se mesure au moyen du produit intérieur brut : 1 % de croissance en plus, c’est 1 % de PIB de gagné. Le PIB mesure sous une forme monétaire la quantité de biens ou de services produits dans un pays sur une période donnée, mais cela ne veut pas dire qu’il mesure le bien-être ni même la richesse nette. Il est en effet parfaitement indifférent aux causes de l’activité économique, ce qui veut dire qu’il comptabilise positivement les catastrophes ou les accidents pour autant que ceux-ci provoquent une activité engendrant elle-même production et profits. Les dégâts causés par la tempête de décembre 1999, par exemple, ont entraîné une hausse de 1,2 % de la croissance. Il en va de même du nombre de pollutions. D’autre part, le PIB ne prend pas en compte les coûts non marchands (ce qu’on appelle les « externalités »), par exemple ceux qui résultent de l’épuisement des ressources naturelles et des matières premières, alors que la croissance dépend au premier chef des apports énergétiques et des flux d’énergie.

    La croissance, donnée pour infinie, serait-elle un but en soi ?

    Évidemment pas. Mais la question est de savoir si elle est seulement possible. Une croissance matérielle illimitée sur une planète aux ressources limitées est un non-sens, et il en va de même de la croissance démographique. Si tous les habitants de la planète consommaient à l’égal d’un Occidental moyen, il nous faudrait trois ou quatre planètes supplémentaires pour faire face aux besoins. Les « décroissants », menés en France par Serge Latouche, appellent depuis des années à revoir notre mode de vie et à envisager une « décroissance soutenable ». George W. Bush disait en 2002 que « la croissance est la solution, non le problème ». Et si c’était le contraire ?

    Après la chasse au Dahu, celle de la « croissance » qui, décidément, n’est pas « au rendez-vous »… Manuel Valls se fait fort de la faire revenir, mais c’était aussi l’objectif de Montebourg. Qu’est-ce donc qui différencie ce nouveau gouvernement du précédent ?

    Le putsch du 25 août, qui a permis à Manuel Valls de faire sortir du gouvernement ses deux alliés de la veille, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, a eu comme effet remarquable de confirmer l’unité profonde du libéralisme économique, représenté par le nouveau ministre de l’Économie, le banquier Emmanuel Macron (promotion 2012 des « young leaders » de la French-American Foundation), et du libéralisme « sociétal » incarné par Najat Vallaud-Belkacem. On espère, sans trop y croire, que le ralliement officiel du gouvernement à la politique du Medef dessillera les yeux des derniers zozos encore assez candides pour croire que nous sommes dirigés par des « socialistes ». Quant à la droite UMP, elle ne dissimule pas sa gêne puisque, ne pouvant plus proposer une « autre politique », elle se trouve condamnée à dire qu’elle fera la même, mais en mieux. C’est-à-dire en pire.

    Pour le reste, ils sont tous d’accord : la solution, c’est la croissance ! Politique de l’offre ou politique de la demande, invocation des mânes de Keynes ou de Milton Friedman, aide aux ménages ou politique d’austérité propre à transformer les Français en Grecs comme les autres, tous les moyens sont bons pour « aller la chercher », la « débusquer », la « retrouver », etc. Nicolas Sarkozy se faisait même fort de la « décrocher avec les dents ». Emmanuel Macron a lui-même appartenu à la Commission Attali pour la « libération de la croissance ». Les hommes politiques sont des « true believers » : la croissance, c’est leur croyance rédemptrice, leur planche de salut, la condition de la « reprise » et de la baisse du chômage, la sortie du tunnel, la fin de la récession. On connaît la chanson.

    Et si c’était fini ? Et si la croissance telle qu’on l’a connue à l’époque des Trente Glorieuses était tout simplement terminée ? Cette question iconoclaste, certains, comme les économistes Robert Gordon et Paul Krugman, commencent à la poser. Le déclin de la productivité, la raréfaction des ressources énergétiques, la baisse tendancielle des taux de profit, nourrissent la thèse d’un essoufflement de la dynamique expansive du capitalisme, la financiarisation croissante du capital constituant une sorte de réponse fonctionnelle à la stagnation des économies occidentales. Sous l’influence de l’idéologie du progrès et de l’obsession productiviste, l’imaginaire contemporain s’est habitué à l’idée que la croissance est un phénomène normal, naturel en quelque sorte, ce qui n’a jamais été le cas pendant des siècles, et même des millénaires. Or, on constate aujourd’hui qu’entre 1990 et 2011, 54 % des pays ont déjà connu une croissance négative. Ce n’est pas terminé.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 5 et 7 septembre 2014)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • Un grand méconnu...

    Les éditions Pardès viennent de publier dans leur collection Qui suis-je un Brigneau signé par Anne Le Pape. Une biographie sympathique consacrée à François Brigneau, mort en 2012, un personnage haut en couleur, à la fois militant, polémiste, journaliste et auteur de polars*... A découvrir !

     

    *On notera que la réédition d'un de ses romans avait provoqué en 2010 une violente polémique orchestrée par l'ineffable Didier Daeninckx...

    Didier Daeninckx, flingueur de Baleine

    Gérard Delteil se paie Daeninckx

    Thierry Marignac vide son sac

    Intrigues dans le polar : la loi du milieu (avec une réponse de Métapo infos...)

     

    François Brigneau.jpg

    " Sous de multiples noms, François Brigneau a été journaliste, travaillant aussi bien pour la presse à grand tirage que pour des feuilles confidentielles voire clandestines. En 1965, rédacteur en chef d’un jeune mais vigoureux hebdomadaire, un sondage IFOP le désigna comme le deuxième journaliste le plus connu de France. En 2012, à sa mort, le quotidien Le Monde, qui mettait un point d’honneur à ne pas le citer, se trouva toutefois obligé de lui consacrer une nécrologie. Il laisse une œuvre publiée abondante et variée : chroniques en langue parlée, romans policiers (il reçut en 1954 le Grand prix de littérature policière pour La beauté qui meurt), reportages à travers le monde, évocations de lieux, livres historiques, souvenirs de la vie journalistique et politique, etc.
    Il a été apprécié par des hommes aussi différents que Frédéric Dard et Jean Madiran, Céline et Hubert Beuve-Méry, Robert Brasillach et Jean Gabin, Arletty et Marcel Pagnol, sans oublier Pierre Lazareff ou Alphonse Boudard. Pourquoi alors, pour reprendre un mot d’Alexandre Vialatte, fait-il aujourd’hui partie des auteurs «notoirement méconnus»? Tout simplement parce qu’au long de sa vie, fils d’un instituteur syndicaliste révolutionnaire mais s’étant toujours défini comme un Français de souche bretonne, François Brigneau, dont la plume valait une épée, a obstinément et fidèlement choisi « le mauvais camp», celui de «la France française», selon sa propre expression.
    Ce « Qui suis-je?» Brigneau constitue la première biographie de ce journaliste de combat. Il s’appuie sur de nombreux entretiens avec lui et sur des archives familiales. "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Le spectacle de l'insignifiance...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par le sociologue Jean-Pierre Le Goff au Figaro et consacré à la désacralisation du pouvoir politique. On lira, en particulier, avec intérêt la conclusion...

     

    Trierweiler.jpg

    Jean-Pierre Le Goff : «Scandales, révélations... Nous assistons au spectacle de l'insignifiance»

    FigaroVox : Dans quelle mesure le livre de Valérie Trierweiler dégrade-t-il la politique?

    Jean-Pierre Le Goff : Ce livre n'est pas seulement le déballage et la revanche d'une femme humiliée. L'auteur du livre a participé aux côtés du Président de la République aux cérémonies officielles ; elle a occupé pendant quelque temps une fonction à l'Élysée qui dépasse sa personne privée. Ce livre dévoile et met en question les comportements du chef de l'État qui n'est pas un individu comme tout le monde, mais il incarne et représente le pays à travers sa fonction. Qu'ils le veuillent ou non, les deux protagonistes ont un statut particulier qui les distingue des citoyens ordinaires. C'est cette dimension symbolique essentielle à la représentation qui est déniée quand on veut en faire une simple affaire privée de règlement de comptes au sein d'un couple qui s'est séparé, comme on en voit beaucoup aujourd'hui. Ce déni et l'irresponsabilité politique qui l'accompagne sont symptomatiques d'un individualisme nouveau en politique pour qui le rapport à l'institution, les contraintes et les sacrifices qu'implique le service de l'État et du pays ne vont plus de soi. Après la publication des photos de l'escapade de François Hollande à scooter dans Closer, la publication de ce livre est un nouveau coup porté à l'autorité politique, au plus haut sommet de l'État, dans un moment particulièrement critique marqué par une crise politique et l'impuissance face au chômage de masse, sans compter les effets délétères sur l'image de la France dans le monde.

    La proximité qu'affichent les politiques avec «les vrais gens» n'est-elle pas la cause profonde de ce genre d'événements?

    Jean-Pierre Le Goff : Cet événement s'inscrit dans un processus d'érosion de la dimension transcendante de l'État et de dévalorisation de la représentation politique auquel les hommes politiques ont participé. Ils portent une responsabilité particulière, à gauche comme à droite, dans la mesure où beaucoup ont voulu donner à tout prix une image d'eux-mêmes qui soit celle de tout un chacun. Après les années gaulliennes et ce qu'on a appelé la «monarchie républicaine», le rapprochement entre l'État et la société a marqué une nouvelle étape démocratique. Les présidences de Georges Pompidou et de Valéry Giscard, d'Estaing puis celles de Mitterrand et de Chirac ont développé un nouveau lien entre gouvernants et gouvernés, tout en maintenant, tant bien que mal, la distance nécessaire. Mais très vite, avec le déclin du sens historique et de l'institution, beaucoup d'hommes politiques ont fait du surf sur les évolutions sociétales problématiques en espérant en tirer quelques profits électoraux. Dès les années 1980-1990, on a vu apparaître sur les plateaux de télévision le mélange des genres entre des animateurs de télévision plus ou moins drôles, des personnalités du show-biz et des politiques cherchant une notoriété à bon compte, au risque de l'insignifiance et du ridicule. Certains hommes politiques se sont mis à la chansonnette, racontant leur vie ou faisant visiter par le menu leur appartement devant les caméras. À la même époque, les premières émissions de déballage psychologique en direct ont vu le jour, avec une nouvelle catégorie d'animateurs-psychologues au style décontracté. Les chaines du service public ont suivi.

     

     

    La campagne de 2007 fut une étape décisive?

    La campagne présidentielle de 2007 a franchi une nouvelle étape en faisant apparaître une génération d'hommes et de femmes politiques élevés et éduqués dans une nouvelle époque marquée par l'érosion des repères symboliques de l'autorité et l'«ère du vide» des années 1980. Cette génération a poussé plus loin la volonté d'être à tout prix «proche des vrais gens», en faisant valoir le thème de la souffrance et une subjectivité quelque peu débridée dans le domaine sentimental comme dans les autres. Durant la campagne pour l'élection à la plus haute fonction de l'État, les démêlés sentimentaux de Nicolas Sarkozy et ceux de Ségolène Royal ont donné lieu à un feuilleton politico-médiatique comme on n'en avait encore jamais vu. Dans l'émission de télévision «Saga», la candidate a demandé François Hollande en mariage, sans du reste que le principal intéressé ait été mis préalablement au courant. En pleine soirée électorale du second tour des législatives, la «séparation du couple Hollande-Royal» a constitué un «événement» que les journalistes ont cru bon de mettre en avant face à des hommes politiques traditionnels visiblement décontenancés. Quelques années plus tard, en 2008, on assistera à une opération semblable dans un autre domaine, quand Raymond Domenech tentera de masquer sa responsabilité dans l'échec de l'équipe de France de Football, en faisant sa demande en mariage en direct à la télévision.

     

     

    Le nouveau style politique s'est développé dans les années suivantes avec un ministre de l'intérieur qui reçoit torse nu des journalistes en pratiquant des jugements à l'emporte pièce sur ses «amis» politiques, un président de la République qui grimpe les marches de l'Élysée en tenue de jogger, déclare tout bonnement qu'«avec Clara, c'est du sérieux», ou encore un président qui se veut «normal» en prenant le train comme tout le monde, trompant sa compagne et s'éclipsant discrètement de l'Élysée à scooter pour retrouver sa nouvelle conquête… La «normalité» s'étend désormais au nouvel état des mœurs.

    À force de se présenter comme des hommes ordinaires, les femmes et les hommes politiques dévalorisent eux-mêmes leur rôle et leur fonction. Le discours politique officiel tend désormais à s'aligner sur un «franc parler» qui fait fi de la syntaxe ; on parle mal mais comme tout le monde ; les femmes et les hommes politiques font volontiers la bise et appellent chacun par son prénom. Nous sommes arrivés au paroxysme de cette évolution.

    Quel rôle joue l'information continue et les réseaux sociaux dans ce bouleversement?

    Jean-Pierre Le Goff : Ils y participent pleinement et l'accélèrent en lui donnant un plus large écho, créant une sorte de bulle médiatique et communicationnelle au sein de laquelle les individus et les politiques peuvent perdre le sens du réel, s'enfermer dans un entre soi coupé d'une bonne partie de la société, avec l'illusion de peser sur les événements et la réalité quand on les a beaucoup commentés et que l'on a exprimé son «ressenti». Là aussi, les politiques ont une responsabilité particulière quand ils cherchent à se faire valoir dans les médias par quelques formules chocs ou quand ils twittent à la moindre occasion. Quand on en arrive à interdire l'usage des smartphones lors des conseils des ministres, on ne peut s'empêcher de penser aux classes turbulentes d'adolescents avec leur portables que les enseignants confisquent pendant les cours… Comme les nouvelles technologies de l'information, les évolutions des mentalités et des comportement s'accélèrent: l'important est d'en être et d'apparaître à tout prix moderne, au risque de faire basculer la politique vers la «peopolisation» et le spectacle de l'insignifiance, au moment même où la crise s'aggrave et où les foyers de guerre se développent dans le monde. Le modernisme à tout prix est aussi une «politique de l'autruche».

    En quoi publication du livre Valérie Trierweiler est elle révélatrice d'un certain état de la société?

    Jean-Pierre Le Goff : Cette nouvelle «affaire» est en même temps révélatrice d'un éthos dégradé et du désarroi d'une partie de la société. Elle révèle un nouvel individualisme autocentré qui a le plus grand mal à s'oublier, à contenir et à transcender ses affects, pour se consacrer à une fonction ou une œuvre impliquant engagement dans la durée, dévouement et sacrifices. Les déchirements de l'ancien couple présidentiel et les aventures amoureuses d'un président en scooter reflètent une situation qui paraît banale, à l'heure des «liaisons extraconjugales» et des familles dite «recomposées», alors qu'elles sont décomposées et donnent lieu à de multiples conflits et déchirements dont les enfants sont les premières victimes.

     

    Les rapports amoureux sont marqués par ce narcissisme pour qui l'amour est synonyme d'une état fusionnel permanent qui, à la moindre déception ou contradiction, peut se retourner en ressentiment ou en haine. L'érosion globale du mariage, avec ce qu'il implique d'engagement public dans la durée aux yeux des autres, est pareillement symptomatique du développement d'une mentalité adolescente ou post-adolescente pour qui la liberté signifie refus de la limite, maintien de choix en suspens. En tout cas, le non mariage offre l'avantage d'un engagement temporaire et révisable, incluant la possibilité d'une infidélité qui peut paraître banale, alors qu'il n'en est rien. Toute une presse people, féministe et psychologique, s'en délecte et en tire profit.

    L'éditeur a prévu un tirage exceptionnel d'un livre dont la promotion médiatique est assurée d'avance, à l'heure d'un désir de «transparence» à tout prix qui fait sauter les barrières entre vie publique et vie privée, et pratique la délation. Le spectacle télévisuel, y compris sur les chaînes publiques, la «télé-réalité», internet et les selfies mettent en scène des individus narcissiques qui n'hésitent pas à afficher leurs aventures amoureuses et des «secrets d'alcôve» qui relevaient antérieurement d'une littérature de gare. Le grand déballage médiatique du couple Trierweiler/Hollande a les allures d'un mauvais feuilleton ou d'une série de télévision qui n'en finit pas, chaque nouvel épisode voyant ses antihéros s'enfoncer un peu plus dans le méli-mélo et le règlement de compte.

    Sommes nous, selon vous, au terme d'un cycle politique?

    Jean-Pierre Le Goff : Une partie de la société a déserté mentalement le champ politique et ce qu'on appelle l' «affaire Trierweiler» creuse en peu plus le fossé avec une partie de la classe politique et médiatique qui vit dans un monde à part, en ayant tendance à se prendre pour le centre du monde. Au sein de la société, existe un phénomène de «ras le bol» et de rejet de cette surmédiatisation et de ce milieu qui vit un circuit fermé. L'effet de résonnance médiatique ne saurait faire oublier les forces vives du pays qui demeurent ancrés dans le réel, se passionnent pour leur activité, ont le souci des autres et de leur pays. C'est de ce côté-là que résident le renouveau et non du côté des «m'as-tu vu» qui étalent leur image et leur rancœur à tout va.

    On ne saurait désespérer de la politique dans un pays qui est le fruit d'une longue histoire marquée par l'attachement à la puissance publique et à la capacité de la politique à changer le cours des choses. Mais encore faut-il que les politiques cessent de flirter avec un nouvel air du temps problématique et une «réactivité» à tout crin. Le pays disposent encore d'hommes et de femmes politiques qui ont gardé le sens de l'État et de l'«intérêt supérieur» du pays. Aux compétences nécessaires, s'ajoute un charisme indispensable à la fonction politique. Ces qualités ne se sont pas données à tout le monde ; elles ont un caractère aristocratique (au sens grec, premier du terme, qui signifie le pouvoir des «meilleurs») ou élitaire par le type de vertu qu'elles exigent et qui peut apparaître hors du commun. Si l'on ne reviendra pas à un ancien modèle autoritaire et hautain, la crise dans laquelle le pays est plongé implique de telles exigences, faute de quoi le pays sombrera un peu plus dans une démocratie informe et le morcellement. Le délitement n'en «finit pas de finir»… Il est temps de passer à une nouvelle étape de notre histoire.

    Jean-Pierre Le Goff (Figarovox, 5 septembre 2014)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • Tableau noir...

    Les éditions Hugo et Cie viennent de publier Tableau noir, un essai décapant de Jean-Paul Brighelli. Normalien et agrégé de lettres, ancien professeur de classes préparatoires, Jean-Paul Brighelli est un défenseur inconditionnel de l'élitisme républicain et aussi un redoutable polémiste. On lui doit déjà plusieurs essais consacrés à l'école, réédités en format poche, comme La fabrique du crétin (Folio, 2006) ou A bonne école (Folio, 2007).

     

    Tableau noir.jpg

    " Il y a dix ans La Fabrique du crétin dressait le constat lucide et accablant des dysfonctionnements de l’école de la République. Aujourd’hui, Tableau noir dresse le constat impitoyable d’une faillite générale, malgré les réformes entreprises, ou à cause d’elles. Venu au pouvoir avec un pseudo-projet de refondation, le gouvernement socialiste a achevé le désastre initié dans les années 1990. Une faillite voulue, conforme aux engagements européens d’une France à bout d’école comme on est à bout de souffle; faillite de la formation, faillite de la transmission, parce que la faillite principale, c’est celle du renouvellement social.

    Ce sont prioritairement les plus pauvres qui paient le plus cher. Loin de les pousser au plus haut de leurs capacités, on ne leur donne même plus les bases qui leur permettraient de comprendre qu’on les sacrifie. Et parallèlement, on massacre aussi les enseignants, quand on en trouve encore : parce qu’il ne suffit pas de vouloir recruter, encore faut-il réinventer un métier chaque jour plus difficile; les ambitions sont chaque année revues à la baisse ou les résultats flamboyants d’un baccalauréat qui ne veut plus rien dire sont l’attestation la plus exemplaire de la faillite du système. Tableau noir, au-delà du constat accablé, est un livre de propositions."

     

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!