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Métapo infos - Page 1172

  • "Ne pas livrer les Mistral aux Russes ravit les paléo-atlantistes"...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Olivier Zajec à l'hebdomadaire Marianne et consacré à l'affaire de la vente des deux bâtiments de projection et de commandement de type Mistral à la Russie. Olivier Zajec est maître de conférences en science politique à l'université de Lyon 3 et a notamment publié La nouvelle impuissance américaine - Essai sur dix années d'autodissolution stratégique (Editions de l’œuvre, 2011).

     

     

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    "Ne pas livrer les Mistral aux Russes ravit les paléo-atlantistes"

    Marianne : La France a suspendu sine die la livraison du Mistral « Vladivostok » à la Russie. Que vous inspire cette décision et quelles seraient selon vous les conséquences stratégiques et économiques d’une non-livraison de ces bateaux ?
    Olivier Zajec* : Je suis en faveur de la livraison de ce bâtiment, et j’ai peur que le report décidé le 25 novembre ne soit à la fois impolitique, masochiste et décrédibilisant. Impolitique, car nous avons intérêt, sur le long terme, à une relation plus adulte avec la Russie, et ce n’est pas en reniant notre parole que nous y parviendrons.  Masochiste, car nous fragilisons notre industrie de défense, l’un de nos atouts les plus solides sur le plan industriel. Décrédibilisant, car la valeur ajoutée de l’offre française d’armement sur le marché export réside justement dans une alternative à la vassalisation technologique et normative américaine. C’est ce que recherche un client comme l’Inde. Avec cette décision qui ravit les paléo-atlantistes, nous manifestons notre soumission à des postures stratégiques qui ne servent pas nos intérêts (et je ne parle pas seulement de la France, mais de l’Europe). Livrer le Mistral n’empêcherait nullement la France de jouer son rôle dans la crise en cours en Ukraine, qui doit absolument être dénouée. Tout au contraire, en réalité, car cette manifestation d’indépendance lui conférerait le rôle de tiers, ce qui lui permettrait d’arbitrer le pugilat grotesque qui oppose les nostalgiques de l’URSS que l’on rencontre parfois au Kremlin, et les hystériques russophobes qui semblent avoir pris l’ascendant à l’OTAN. Notons tout de même que beaucoup de ceux qui s’élèvent contre cette vente sont les mêmes qui dansaient de joie lors de l’entrée des Américains dans Bagdad en 2003. À défaut d’autres qualités, il faut leur reconnaître une certaine constance dans l’aveuglement. 

    Comment évaluez-vous les conséquences d’une brouille avec Moscou notamment en ce qui concerne les négociations avec l’Iran ou sur la Syrie ?
     Moscou est un acteur incontournable du jeu moyen-oriental, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le regrette. M. François Hollande, étant donné la complexité du puzzle régional et suivant l’impulsion américaine, est en passe, bon gré mal gré, de se convertir au réalisme sur le dossier iranien, ce qui était hors de question il y a encore peu de temps. Puisque cette lucidité bienvenue s’applique désormais vis-à-vis de Téhéran, qui redevient un interlocuteur, pourquoi ne pas l’appliquer – même provisoirement – à Damas, étant donné la nature de l’adversaire commun ? Bachar el-Assad n’est pas la menace immédiate. La fourniture d’armes aux islamistes syriens fut une faute majeure de notre diplomatie. Agir stratégiquement, c’est aussi hiérarchiser les priorités et coordonner les fronts : que se passerait-il si le régime syrien s’effondrait aujourd’hui ? Il suffit d’observer la Libye post-kadhafiste pour le comprendre. L’intervention militaire peut être une solution, il ne faut jamais l’exclure a priori. Mais à condition qu’elle ne perde jamais de vue le contexte de l’engagement. « Frapper » n’est pas une fin en soi, mais seulement le préalable ponctuel et maîtrisé d’un nouvel équilibre instable des forces politiques. L’État islamique n’est pas sorti tout armé des enfers du soi-disant « terrorisme global ». Ce n’est pas un phénomène de génération spontanée. Il est comptable d’une histoire longue qui plonge ses racines dans l’échec du nationalisme laïc arabe. Cet échec a des causes internes, à commencer par la haine qui sépare Sunnites et Chiites, et les réflexes claniques des élites arabes. Mais aussi des causes externes, en particulier l’incroyable légèreté avec laquelle certaines puissances (et d’abord les États-Unis) ont, depuis des décennies, détruit les fragiles équilibres de la région en jouant l’obscurantisme pétro-rentier contre l’autoritarisme laïc, et le wahhabisme contre la puissance iranienne. Les Occidentaux, de ce point de vue, ont aussi besoin de Moscou pour parvenir à une solution sur place, qui prenne en compte l’intérêt de tous les acteurs.

    Pourtant lors du récent G20 de Brisbane, Poutine a été à l’unanimité, par les médias comme les politiques, présenté comme « isolé » sur la scène internationale...
    « Si tout le monde pense la même chose, c’est que quelqu’un ne pense pas ». Cet unanimisme, sur un sujet aussi complexe, n’est certainement pas un très bon signe pour la pensée stratégique et politique française. Vladimir Poutine est moins isolé sur la scène mondiale que François Hollande sur la scène européenne. Tout est question de focale, d’échelles d’analyse, et en l’occurrence, c’est une myopie persistante qui caractérise le commentaire journalistique occidental.

    Lors du dernier sommet de l’APEC (un forum de coopération économique dans la région Asie-Pacifique, ndlr), Moscou et Pékin ont eu, de leur côté,  plaisir à mettre en scène leur rapprochement entre « isolés » de la scène internationale. Ce rapprochement est-il viable et peut-il marquer un changement majeur dans les équilibres internationaux ?

     Très certainement. Mais il ne faut surtout pas surestimer ce rapprochement. Pékin et Moscou se méfient l’un de l’autre. Cependant, sur ce sujet comme sur d’autres (politique spatiale, énergie, défense du principe de non-ingérence dans les relations internationales), Russes et Chinois semblent poussés les uns vers les autres par un certain unilatéralisme moraliste occidental. 

    Beaucoup de commentateurs considèrent que l’objectif de Poutine est de reconstituer un empire soviétique. On retrouve également tout un discours sur les supposés « réflexes de guerre froide de la Russie ». Comment percevez-vous l’agitation de ce spectre d’une nouvelle guerre froide  ? 
    J’y discerne le signe que le logiciel de certains experts est resté bloqué en 1984, et que leur appréhension diplomatique est celle qui prévalait sous Ronald Reagan. Les saillies de M. John McCain sont typiques de ce blocage générationnel : « Nous devons nous réarmer moralement et intellectuellement, dit-il, pour empêcher que les ténèbres du monde de M. Poutine ne s’abattent davantage sur l’humanité. » Sans nier la vigueur des réactions russes en Ukraine, il faut remettre les choses dans leur contexte, car cette crise procède d’éléments de nature différente : la profonde corruption des élites ukrainiennes, pro et antirusses confondus ; l’extension ininterrompue de l’OTAN aux marges de la Russie, depuis plus de vingt ans, alors que la main tendue s’imposait ; la méfiance atavique des Baltes et des Polonais vis-à-vis de Moscou, qui ne cesserait que si les Russes rentraient dans l’OTAN (et encore n’est-ce pas sûr) ; enfin, la propension américaine à jouer sur les divisions européennes. La France et l’Allemagne, qui ont tout à gagner à une relation apaisée avec la Russie, sont les premiers perdants du mauvais remake de John le Carré auquel nous assistons. 

    Que pensez-vous justement de l’absence totale d’identité stratégique de l’Europe, sinon l’alignement aveugle sur Washington ?
    Je crois sincèrement que les mots ont un sens. Il n’y a pas, en l’état, d’identité « stratégique » de l’Europe. Nous apportons simplement un appui tactique ponctuel à des opérations relevant d’une stratégie américaine, qui a intérêt à ce que l’Europe demeure un objet et non un sujet des relations internationales. Cette tutelle prolongée sur des alliés tétanisés permet à Washington de masquer sa propre perte d’auctoritas au niveau mondial. Plus généralement, les démocraties « occidentales » semblent s’ingénier à se placer dans le temps court du spasme moral, et non dans le temps long de la stratégie. S’il en était autrement, nos décisions sur les dossiers ukrainien, irakien, syrien, libyen et iranien auraient pris une autre tournure, moins tonitruante et plus réaliste. Pour avoir une stratégie, il faut avoir une conscience politique. L’Europe prise dans son ensemble n’en a pas, malheureusement. La France, elle, qui a la chance de disposer d’une armée extrêmement professionnelle malgré des budgets en baisse constante, a prouvé au Mali en 2013 et en Côte-d’Ivoire en 2002 qu’elle pouvait agir avec efficacité. Et qu’elle pouvait donc encore avoir une stratégie. Ce sont ces modèles, mesurés et dépourvus d’hubris, qu’il faut considérer en priorité.

    Olivier Zajec, propos recueillis par Régis Soubrouillard (Marianne, 1er décembre 2014)

     

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  • Renverser nos manières de penser ?...

    Les éditions Mille et une nuits viennent de publier dans leur collection de poche un livre d'entretien avec Serge Latouche intitulé Renverser nos manières de penser - Métanoïa pour le temps présent. Principal penseur français de la décroissance, Serge Latouche est l'auteur de nombreux essais importants comme La Mégamachine (La découverte, 1995), Le Pari de la décroissance (Fayard, 2006) et Sortir de la société de consommation (Les liens qui libèrent, 2010). Il a également publié Décoloniser l'imaginaire (Parangon, 2011), Chroniques d'un objecteur de croissance (Sang de la terre, 2012) ou Bon pour la casse (Les Liens qui Libèrent, 2012).

    Serge Latouche a récemment donné à Arnaud Naudin, pour Novopress, un entretien que vous pouvez consulter : « La décroissance n'a pas à se situer sur l'échiquier politique »

     

     

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    " « Jetant un regard rétrospectif sur mon parcours intellectuel, autour d’un objet envahissant et problématique, l’économie, il m’apparaît que mes efforts ont visé à produire ce que les Grecs appelaient une metanoïa, c’est-à-dire un renversement de la pensée. Aujourd’hui, il nous faut renverser nos manières de penser. Parce que le monde n’est plus vivable ainsi, que nous le savons mais restons pris dans les schémas capitalistes et productivistes, il nous faut réinventer notre imaginaire pour trouver une nouvelle perspective existentielle. Qui passera par l’après-développement, la décroissance et l’éco-socialisme. » "

     

     

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  • Il n'y a de solution qu'à la condition de sortir du système

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur le site italien L'Antidiplomatico et consacré à la crise qui continue à sévir en Europe...

     

    Il n’y a pas de solution qu’à la condition de sortir du système. Alain de Benoist

     

     
     

    Il n'y a de solution qu'à la condition de sortir du système

    - Dans votre livre paru en italien sous le titre La fine della sovranità (Arianna, 2014), vous écrivez que la crise actuelle du capitalisme, qui a commencé avec la faillite de la Lehman Brothers, est une crise "structurelle". D'après vous, personne ne trouvera de solutions à la question du fait qu'il n'existe pas de mécanisme qui permette d'en sortir. Vu où en est la situation, la seule solution est celle que vous appelez un « nouveau commencement ». Qu'entendez-vous par là ?

    Je parle de crise « structurelle » (par opposition aux crises de nature purement conjoncturelle) parce que le système capitaliste dans son ensemble est aujourd’hui confronté à de graves perspectives de dévalorisation de la valeur du capital, que le passage d’un capitalisme principalement industriel à un capitalisme principalement spéculatif et financier ne parvient pas à masquer. Au lendemain de l’affaire des subprimes, qui a éclaté aux Etats-Unis en 2008, avant de s’étendre au monde entier, les Etats sont par ailleurs venus au secours des banques et des fonds de pension en leur apportant des milliards de dollars. Pour cela, ils ont choisi de s’endetter massivement auprès des marchés financiers, c’est-à-dire du secteur privé, alors qu’ils étaient déjà pour la plupart confrontés à des déficits budgétaires importants. Après quoi ils ont mis en œuvre des politiques d’austérité insupportables, en s’imaginant à tort qu’ils allaient ainsi pouvoir rétablir l’équilibre. Rien de tout cela ne s’est produit. La politique de la dette a aujourd’hui atteint un tel niveau qu’on peut la comparer à une forme moderne d’usure : incapables de régler leur dette, les Etats doivent s’endetter encore pour payer les intérêts de cette dette, ce qui augmente à la fois le montant principal de la dette et celui des intérêts. C’est une spirale mortifère, mais qui ne peut pas se prolonger indéfiniment. A un moment où un autre, le principe de réalité finira par prévaloir sur la fuite en avant. Le problème est qu’il n’y a pas de solution interne au système. Il ne peut y avoir de solution qu’à la condition de sortir du système. C’est ce que j’appelle un « nouveau commencement ».

    - Avec les politiques d’austérité, les pays d’Europe du sud ont été foudroyés par la dépression, la déflation ainsi que des taux de chômage très élevés. Pour l'instant, aucun pays n'est capable de freiner la chute de son économie, c'est pourquoi vous écrivez qu'une explosion généralisée semble inévitable dans les deux ans à venir. Jusqu'où les conflits sociaux pourraient arriver en Europe ? Et quelle pourra être la goutte qui fera déborder le vase ?

    Je ne fais pas profession de lire l’avenir, et l’histoire est par définition imprévisible ! Mais ce sont parfois de très petits événements (ce que vous appelez la « goutte d’eau ») qui ont les plus vastes conséquences. Ce qui est sûr, c’est que la société est aujourd’hui totalement bloquée. Aucun des plans adoptés pour améliorer les choses n’a réussi. Le chômage et les « plans sociaux » continuent à se multiplier, les délocalisations se poursuivent, la désindustrialisation également. En France, la dette a désormais atteint le chiffre de 2000 milliards d’euros, soit près de 100 % du PIB. Nombre de jeunes préfèrent s’expatrier vers des destinations lointaines. Les classes populaires et les classes moyennes sont les plus touchées. Malgré cela, les milieux libéraux restent convaincus qu’il ne faut pas changer de cap mais au contraire accélérer dans la même direction. Quant à la situation politique, elle est bloquée elle aussi, avec une classe dirigeante de plus en plus coupée du peuple, qui cherche à nier la souveraineté populaire et ne se cache pas de préférer faire allégeance à la mondialisation économique plutôt que de se soucier des intérêts des nations. A cela s’ajoute enfin une crise généralisée de la décision. Un tel mélange est explosif. La seule question est de savoir si l’on s’oriente effectivement vers une explosion ou vers une implosion, c’est-à-dire un effondrement.

    - L'introduction du MES et du Pacte fiscal, outre à celle de commissaires spéciaux, ont mené des experts comme Raoul Marc Jennar et Paolo Becchi à parler de « coup d’État ». Les États ont, en effet, renoncé à leur prérogative principale, à savoir leur souveraineté sur le bilan, en voyant leurs parlements et leurs gouvernements nationaux devenir de simples exécuteurs. Les partis historiques de droite comme de gauche ont accepté la fin de la souveraineté, en faveur d'un modèle qui est en train de détruire les constitutions et les droits sociaux constitutionnels établis. Croyez-vous que les nouvelles forces politiques puissent recouvrer la souveraineté perdue ? Existe-t-il, selon vous, un modèle socio-économique dont elles devraient s'inspirer ?

    Les coups d’Etat sont généralement des actes politiques. Il faudrait trouver une autre expression pour désigner la manière dont les Etats ont renoncé à leur souveraineté pour se placer sous l’autorité des marchés financiers. En fait, ce qui est en cause, c’est la prise de contrôle du politique par l’économique. Inverser cette priorité n’est pas une mince affaire, car il ne suffit pas de proclamer qu’il faut « recouvrer la souveraineté perdue » pour la retrouver effectivement. On peut d’ailleurs se demander si des Etats-nations isolés peuvent atteindre un tel objectif. C’est la raison pour laquelle je suis sur ce point assez pessimiste. Je crois plus à la capacité du système à se détruire lui-même, à son corps défendant bien sûr, qu’à celle de ses adversaires à l’abattre. Quant aux modèles à suivre, je crois qu’ils sont surtout à inventer !

    - Par le passé, vous avez déclaré être favorable à une fédération politique de l’Europe, sans considérer comme problématique l'introduction de l'euro comme monnaie unique. Dans La fine della sovranità, vous reconnaissez toutefois que la fédération politique est désormais irréalisable et que la nouvelle intégration (MES, Pacte fiscal et autorité bancaire) ne sert qu'à sauvegarder les crédits de la grande finance au détriment des États. Dans un tel décor, ne pensez-vous pas qu'aujourd'hui la seule solution soit un retour aux monnaies nationales et à une pleine souveraineté monétaire, avec une banque monétaire centrale qui dépende du trésor ?

    Je ne dit pas que la fédération politique est irréalisable. Elle est réalisable, mais dans les circonstances présentes elle impliquerait des transferts de capitaux massifs auxquels les pays les plus riches, à commencer par l’Allemagne, ne peuvent évidemment pas consentir. Je reste attaché sur le principe à une monnaie unique, ne serait-ce que pour faire face au dollar, mais je suis le premier à reconnaître que son instauration s’est faite en dépit du bon sens. Compte tenu de la disparité des niveaux économiques, des législations fiscales et sociales, etc., l’immense majorité des pays européens ne pouvaient pas utiliser une monnaie aussi forte que l’était auparavant le mark allemand. Cette survalorisation de l’euro a incontestablement aggravé la crise financière globale de ces dernières années. Quant à un retour aux monnaies nationales, certains économistes le préconisent, mais pour l’instant aucun Etat n’en veut. Tout montre au contraire qu’ils sont prêts à tout pour « sauver l’euro » – ce qui ne signifie évidemment pas qu’ils y parviendront. Un « retour aux monnaies nationales » n’implique d’ailleurs pas forcément de revenir à la lire, au franc, à la peseta, etc. On pourrait tout aussi bien imaginer plusieurs euros nationaux (un euro allemand, un euro français, un euro italien), voire un euro pour le nord de l’Europe et un euro pour le sud, exactement de la même façon qu’il existe un dollar étatsunien, un dollar canadien, etc. Mais je crois aussi, si l’on abandonnait l’euro comme monnaie unique, qu’il serait nécessaire de le conserver comme monnaie commune pour les échanges extra-européens. Monnaie unique et monnaie commune ne sont pas la même chose…

    - En septembre dernier, l’UE a signé un traité de libre-échange avec le Canada (Ceta) et elle négocie actuellement un traité semblable avec les États-Unis (TTIP), la voie à suivre semble donc celle des privatisations, des libéralisations, des facilités pour les capitaux financiers et des bénéfices pour les multinationales au détriment des petites entreprises et des travailleurs. Vous écrivez qu'à travers le TTIP, le projet de Washington et de Bruxelles serait celui de créer une union politique transatlantique : la souveraineté des parlements nationaux serait donc sujette aux volontés des États-Unis (avec la médiation de Bruxelles). Sommes-nous encore à temps de stopper ce scénario dramatique ?

    C’est difficile à savoir. L’Union européenne est dans l’ensemble très favorable à la conclusion d’un tel accord de libre-échange avec les Etats-Unis, mais le projet de Traité transatlantique achoppe sur deux points essentiels : les obstacles non tarifaires, c’est-à-dire la question des normes sociales, fiscales, environnementales, etc., qui ne sont pas les mêmes des deux côtés de l’Atlantique. Le risque le plus grand est que les normes européennes soient abandonnées au profit des normes américaines, jugées moins contraignantes. Le second problème tient aux procédures qui permettraient à des firmes transnationales d’engager des procédures judiciaires contre les Etats ou autres collectivités qui prendraient des décisions considérées par les firmes en question comme de nature à nuire à leurs intérêts ou à diminuer leurs profits. Ces deux points sont difficiles à régler, à moins de s’aligner sans mot dire sur Washington. Pour les Américains, cette union commerciale transatlantique ne serait en effet qu’une étape vers une union politique. Mais j’ai quand même du mal à imaginer qu’une telle union puisse voir le jour, tant les intérêts américains et européens sont divergents, et tant elle serait contraire aux plus élémentaires données de la géopolitique. Cela dit, le plus inquiétant est l’opacité dans laquelle se déroulent actuellement les négociations, et aussi l’indifférence du grand public pour ce projet qui lui paraît si lointain. 

    - Après l’introduction des sanctions contre la Russie, Moscou a commencé à intensifier ses relations avec la Chine, enclenchant ainsi un processus de plus en plus vaste de dé-dollarisation qui concerne désormais, entre autres, tous les pays du groupe BRICS. Ces derniers sont arrivés avec l'accord de Fortaleza à projeter un modèle alternatif au Washington concensus. Pensez-vous qu'il s'agit d'un système financier international capable de défier l’hégémonie américaine et peut-il être la voie de l'émancipation pour les pays européens ?

    Le système financier international est aujourd’hui à bout de souffle. Les Russes, les Chinois et la plupart des pays émergents souhaitent lui substituer un autre système, plus équilibré. En attendant que cela soit possible, on voit d’ores et déjà se multiplier les échanges bilatéraux qui ne font plus appel au dollar (paiement en euros, en roubles, en yuans, en escudos, etc.). L’agressivité des Etats-Unis envers la Russie, la renaissance de la guerre froide, l’adoption de sanctions contre-productives contre le Kremlin comme conséquence de la crise ukrainienne, ont eu pour seul effet de pousser Vladimir Poutine à se rapprocher encore plus de la Chine et des BRICS, et à accélérer la mise en place de son projet d’union économique eurasiatique. En ce sens, il n’est pas exagéré de parler d’un début de dé-dollarisation. Il faut voir maintenant jusqu’où ce processus peut aller. Les Etats-Unis, qui sont désormais sur la défensive, feront évidemment tout pour s’y opposer. Mais ils auront en face d’eux des partenaires plus résolus que ne le sont les Européens à faire valoir leurs intérêts. Comme toujours, il s’agit d’une affaire de rapport de forces, où le politique est appelé à jouer le rôle essentiel.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Alessandro Bianchi (L'Antidiplomatico, 25 novembre 2014)

     

     

     

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  • Une Internationale fasciste ?...

    Les éditions Dualpha viennent de publier un récit de Jean Mabire intitulé L'Internationale fasciste. Décédé en 2006, Jean Mabire est un des grands écrivains de l'aventure, qu'elle soit historique, mythologique ou politique. Sa série d'ouvrages intitulés Que lire ? reste une mine d'or indispensable à tous les amoureux de la lecture !...

     

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    " Avant qu’elles ne deviennent alliées, entre l’Italie fasciste et l’Allemagne national-socialiste se dressent non seulement la barrière des Alpes, mais aussi la frontière de la conception du monde : pour les Allemands, la race est tout ; ce qui comp­te, c’est le sang. Pour les Italiens, c’est l’État, l’Empire.

    Pour Mussolini, dans le secret de son esprit, le dilemme n’est plus seulement « Moscou ou Rome », c’est aussi, c’est d’abord, en 1933 : « Rome ou Berlin ». Une des tâches les plus urgentes est donc d’attirer vers l’Italie les différents mouvements fascistes et fascisants de l’Europe et du monde, de les empêcher de tomber sous l’influence de l’Allemagne, qui commence, dans un délire de parades et de discours, à rassembler le vieux monde germanique, celui, qui voici deux millénaires regroupait ses tribus guerrières aux frontières de l’Empire romain.

    Aussi sont créés les Comitati d’Azione per l’Universalità di Roma ou CAUR (en français « Comités d’action pour l’universalité de Rome ») pour fédérer divers mouvements politiques européens favorables à la politique du Duce et à elle seule. Ce sont eux qui organisent le « Congrès international fasciste » à Montreux les 16 et 17 décembre 1934. Sont  présents le français Marcel Bucard (Parti franciste), le belge Paul Hoornaert (Légion nationale), le roumain Ion Motza (Garde de fer), le norvégien Vidkun Quisling (Nasjonal Samling), l’espagnol Gimenez Caballero (Phalange), l’irlandais Eoin O’Duffy (Army Comrades Association), le néerlandais Wouter Loutkie (Front noir), le danois Frits Clausen (Parti national-socialiste danois), le suisse Arthur Fonjallaz, le portugais António Eça de Queirós (Nacional-Sindicalismo Português) et un représentant de l’Heimwehr autrichienne.

    L’internationale fasciste fut ainsi une brève tentative d’entente entre des mouvements trop directement inspirés de l’exemple mussolinien. La guerre d’Espagne semble bientôt exacerber l’Inter­nationale fasciste. En réalité, elle marque l’entrée en scène du IIIe Reich qui va complètement supplanter l’Italie.

    En 1939, en ce mois de mars qui est celui de la guerre, tandis que le Führer entre à Prague le 15 et le Caudillo à Madrid le 27, le Duce sent brusquement sa solitude et son échec. Il ne sera plus le chef du fascisme universel, sous le signe de l’universalité de Rome, mais le second de cet inquiétant disciple qui règne de l’autre côté du Brenner.

    À la veille de la guerre, l’Internationale fasciste est morte. Adolf Hitler l’aura tuée… "

     

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  • Comment les pédagogistes ont tué l'école...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Paul Brighelli, cueilli sur le site du Point et consacré à l'action criminelle des pédagogistes au sein de l’Éducation nationale.

    Professeur en classes préparatoires et défenseur de l'élitisme républicain, Jean-Paul Brighelli a publié dernièrement dernièrement Tableau noir (Hugo et Cie, 2014), un nouvel essai sur l’école.

     

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    Comment les pédagogistes ont tué l'école

    Républicains contre pédagos (pour "pédagogistes") : cet affrontement entre les tenants d'une tradition scolaire héritée de Jules Ferry et les jusqu'au-boutistes de l'expérimentation pédagogique a commencé il y a une trentaine d'années, lorsque les premiers, qui comptaient sur Jean-Pierre Chevènement pour faire avancer leurs idées, ont été supplantés par les seconds, arrivés dans les fourgons de Lionel Jospin. Dans le Figaro du 25 novembre, un sociologue québécois réputé, Mathieu Bock-Côté, analyse avec une grande finesse les enjeux de cette guerre - dont, disons-le tout de suite, la conclusion est d'ores et déjà connue : l'école républicaine, qui mettait le savoir au coeur du système, est morte, vive l'école de la pédadémagogie, qui met "l'élève au centre" et cherche son bonheur immédiat, au détriment de sa formation, de sa culture et de sa réussite future.

    Le pédagogue Ponce Pilate

    Par parenthèse, que ce soit dans le Figaro que cet excellent article paraisse ou que j'écrive dans les colonnes du Point.fr n'est pas tout à fait indifférent : en face, les pédagogistes ont le Monde, l'Obs et Libération. Cet affrontement entre deux conceptions violemment antagonistes de l'école est aussi une rivalité de presse, sous-tendue en partie par une opposition droite/gauche. Même si le noyau dur des républicains est constitué de chevènementistes, voire d'anciens gauchistes. Paradoxe, c'est le Front national qui aujourd'hui reprend sans vergogne, avec un opportunisme impeccable, les thèses des républicains (sans que cela implique en quoi que ce soit que lesdits républicains adhèrent aux thèses du Front national), et le PS se coule dans les propositions des pédagos. Par exemple, comme le souligne Bock-Côté, la récente décision de remplacer les notes par des pustules vertes, ou de renoncer définitivement au redoublement tout en imposant l'évaluation par compétences et non par performances, est une victoire majeure du clan pédago, qui proclame que c'en est fini de l'évaluation-sanction : désormais, tout le monde s'aime, et tout le monde réussira. Encore un effort, et l'élève s'autoévaluera, ce qui, soyons-en sûrs, lui évitera tout traumatisme. On est tellement mieux dans le coton. 80 % d'une génération au bac - on y est. Et puis après... Après, c'est l'écrasement contre le mur du supérieur - mais là aussi, on arrondit les angles, on n'a que 50 % de pertes en première année. Après, c'est l'éclatement contre le mur de l'embauche. Évidemment, Ponce-Pilate-pédago s'en lave les mains, il n'est plus concerné.

    La mise à mort de la culture

    Pour que des non-enseignants comprennent bien les enjeux de cette lutte, il faut énoncer les choses clairement. Le remplacement de la transmission de connaissances par l'évaluation de compétences revient à mettre à mort la culture classique - à commencer par la maîtrise de la langue. À qui s'étonnerait que les enfants et les adolescents maîtrisent désormais de façon fort aléatoire les codes du français, à commencer par l'orthographe, si discriminatoire, les pédagos rétorqueront qu'il ne faut pas s'arcbouter sur des codes bourgeois désormais dépassés. Et que s'accrocher à l'apprentissage de la lecture par des méthodes alpha-syllabiques (le B.-A. BA), c'est vouloir perpétuer une école à deux vitesses, où les enfants de classes dominantes voyaient confirmés à l'école les codes appris à la maison, pendant que les enfants du peuple ramaient pour les rejoindre. Désormais tous nuls, les voici à égalité. Apprendre à lire de façon méthodique, c'est l'horreur pédagogique, affirme, encore récemment, la grande prêtresse des pédagos, Évelyne Charmeux. Dans le même élan, les chronobiologistes et les didacticiens, deux tribus constituant des sous-groupes de la nouvelle élite autoproclamée, affirment que l'enfant ne doit pas commencer en même temps toutes les opérations de base, mais n'en venir à la multiplication que bien après - quant à la division, la voici désormais reléguée en CM1. Que les mathématiciens déplorent la dyscalculie qui en résulte pendant que les profs de français pleurent sur la dysorthographie n'émeut guère nos révolutionnaires. Philippe Meirieu, gourou en chef, ne proclamait-il pas jadis qu'il fallait apprendre à lire sur les modes d'emploi des appareils ménagers ? Voir ce qu'en pense Jean-Paul Riocreux, qui en tant qu'ancien inspecteur d'académie, a vu de près les dégâts de cette idéologie qui se fait passer pour "naturelle". Autre grand ancêtre de ces déconstructeurs, Pierre Bourdieu, qui n'a pas hésité à affirmer que dans la transmission de la culture, le problème, c'est la culture. Éliminons-la : l'enfant ne s'en portera que mieux. Il y a du rousseauisme dégénéré dans ces conceptions mortifères.

     

    Les plus fragiles sacrifiés

    La distinction droite/gauche est d'autant moins pertinente que les grands nuisibles mis au pouvoir sous Jospin sont demeurés en place sous la droite - et se sont même renforcés, tant les ministres de Chirac et de Sarkozy, à la louable exception de Xavier Darcos, étaient ignorants des rouages de la rue de Grenelle. Robien, par exemple, voulut promouvoir la méthode syllabique : ses services, infiltrés à tous les étages, à commencer par les corps d'inspection, par les réformateurs pédagos, en sortirent une circulaire sur la liberté pédagogique des enseignants. Et les plus jeunes, les plus tendres, formatés dans les IUFM (et désormais dans les ESPE) institués tout exprès pour promouvoir les théories des gourous, continuèrent à utiliser des méthodes létales, sous la houlette (ou la cravache) d'inspecteurs primaires particulièrement motivés. Comprenons-nous bien : ce qui se joue depuis trente ans, c'est la mort programmée de l'école - ça, c'est quasiment acquis - et, en sous-main, la mort décidée de la France - ou tout au moins son déclin. Parce que le pédagogisme ne s'arrête pas aux méthodes de lecture. Le pédagogisme, c'est le collège unique, la "séquence pédagogique" qui a remplacé le cours et qui saucissonne la transmission, c'est aussi une façon de "comprendre" les filles qui arrivent voilées, la libre expression de tous les extrémismes, et la fin des inégalités insupportables nées de cette "constante macabre" qui suppose qu'il y a - quelle honte - des bons élèves à côté d'élèves en difficulté : inventer un ministère de la Réussite scolaire participe de cette idéologie mortifère à force d'être lénifiante. À terme, ces destructeurs de l'École publique qui se veulent de gauche entraînent le glissement des élèves et des parents vers une école de plus en plus privée. Le succès des structures indépendantes ne s'explique pas autrement. À terme également, ce sont les plus fragiles qui paient le prix de ces illusions : les élèves de ZEP, par exemple, pour lesquels on feint de faire des efforts, mais qui sont de moins en moins incités à aller au bout de leurs capacités - ce à quoi devrait se limiter l'école, et ce serait déjà une grande idée républicaine et humaniste.

    Jean-Paul Brighelli (Le Point, 28 novembre 2014)

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  • Les snipers de la semaine... (94)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur Acrimed, Julien Salingue rafale Bernard-Henry Lévy et son zélé complice Frédéric Haziza...

    BHL et Frédéric Haziza, son fidèle valet, pulvérisent les Palestiniens et la déontologie journalistique

    BHL Haziza.jpg

     

    - sur Polemia, Michel Geoffroy dézingue nos gouvernants et leur frénésie de commémoration...

    Ras-le-bol des commémorations pleurnichardes !

    Commémoration 14.jpg

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