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Métapo infos - Page 1101

  • Quand le Comité Orwell veut relancer le débat...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Alexandre Devecchio, cueilli sur Philitt et consacré à la création du Comité Orwell. Alexandre Devecchio est journaliste au Figaro et responsable des pages Figaro Vox.

    On observera avec intérêt dans les mois à venir avec qui le Comité Orwell s'autorisera à débattre...

     

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    Alexandre Devecchio : « Le Comité Orwell est prêt à débattre avec tous ceux qui représentent une vraie sensibilité dans le pays »

    Alexandre Devecchio est journaliste. Il est en charge du Figaro Vox, la plate-forme débat/opinion du Figaro.fr. Avec une poignée de confrères, il est à l’origine de la fondation du Comité Orwell, une association qui a pour but de réinjecter du pluralisme dans la sphère médiatique.

    PHILITT : Vous avez choisi de mettre votre association sous le patronage d’Orwell. Pourquoi cet auteur en particulier ?

    Alexandre Devecchio : Nous avons choisi le célèbre auteur du roman d’anticipation 1984 parce que c’est un journaliste et un intellectuel qui s’est distingué par son refus absolu de tout manichéisme. Orwell ne se laissait jamais enfermer dans une case. Il était bourgeois mais proche des gens ordinaires, athée et pourtant attaché aux valeurs éthiques de la religion, défenseur des valeurs traditionnelles et néanmoins désireux de bousculer l’ordre social, patriote et révolutionnaire, anarchiste et conservateur. C’est un oxymore à lui tout seul et un formidable empêcheur de penser en rond. Comme le dit Jean-Claude Michéa dans son essai  Orwell, anarchiste tory : « Orwell était un des analystes les plus lucides de l’oppression totalitaire sans pour autant renoncer en rien à la critique radicale de l’ordre capitaliste, un défenseur intransigeant de l’égalité sans souscrire aux illusions progressistes et modernistes au nom desquelles s’accomplit désormais la destruction du monde. »

    Orwell est à des années-lumière de la vision binaire et de la culture du clash qui divisent le monde entre la gauche et la droite, entre les bien-pensants et les mal-pensants, entre les anti-racistes et les racistes. Il aurait vomi notre système politico-médiatique hémiplégique où les opposants au mariage homosexuel, qui pour la plupart se battent contre la marchandisation de la vie, se voient taxés d’homophobie, voire de fascisme. Où on ne peut pas se permettre de critiquer l’islamisme sans être accusé d’islamophobie et, où dans le même temps, on est obligé de se sentir Charlie sous peine d’être renvoyé dans le camp des terroristes.

    PHILITT : Pourquoi ne pas avoir choisi un Français ? Péguy aurait fait l’affaire.

    Alexandre Devecchio : La fondation Marc Bloch, qui était présidée par Élisabeth Lévy, nous a beaucoup inspirés. Cependant, nous ne voulions pas faire exactement la même chose. Charles Péguy est aussi un auteur que nous admirons énormément. Mais le nom  d’Orwell s’est imposé assez naturellement. C’est sans doute l’auteur contemporain qui a le mieux pressenti les conséquences de la mondialisation. Et le fait qu’il ne soit pas Français et Britannique de surcroît est assez ironique. C’est un beau pied de nez à ceux qui chercheraient à nous enfermer dans le parti du « repli » ou de la « France rance ».

    PHILITT : Dans quelle mesure le monde dans lequel nous vivons ressemble à celui décrit par Orwell dans 1984 ?

    Alexandre Devecchio« Le parti finirait par annoncer que 2 et 2 font 5, il faudrait le croire. L’hérésie des hérésies était le sens commun », écrit Orwell. 1984 nous plonge dans un monde totalitaire gouverné par un Big Brother qui s’insinue dans les consciences. Le crime de la pensée est passible de mort, et la réalité dictée par la novlangue d’un parti unique et par son ministère de la Vérité. Dans le monde d’Orwell, les nations ont été abolies, il reste trois blocs uniformes qui font semblant de s’affronter en permanence : Océania, Eurasia et Estania. Le but est de créer un homme nouveau et docile, affranchi de tous les déterminismes et donc plus malléable. Big Brother déclare fièrement : « Nous avons coupé les liens entre les enfants et les parents, entre l’homme et la femme. »

    À l’époque, les lecteurs ont vu dans 1984 une critique des régimes soviétiques et nazi. Pourtant en relisant Orwell aujourd’hui, nous avons l’impression d’y retrouver certaines caractéristiques de notre époque. La globalisation, qui pourrait encore être accentuée par les nouveaux traités économiques, a  fait émerger un monde hors-sol, uniforme et post-national proche de celui imaginé par l’écrivain. Le consumérisme a fait de l’individu le petit homme déraciné dont rêvait Big Brother.

    PHILITT : N’est-il pas excessif de penser que nous vivons dans une époque totalitaire ?

    Alexandre Devecchio : Le totalitarisme peut renaître sous de nouvelles formes très différentes du communisme et du nazisme. Le danger qui guette l’Occident est celui d’un totalitarisme soft, celui du marché, de la technique et des normes qui transforment petit à petit l’individu libre en un consommateur docile et passif. Ce totalitarisme a ceci de singulier qu’il ne s’impose pas par la force, même si la loi du marché peut être très brutale. Il fait de l’homme l’esclave de ses propres pulsions. C’est plus pernicieux, plus sournois, mais non moins efficace. L’autre menace, c’est l’islamisme qui se nourrit justement du désert des valeurs de l’Occident consumériste. Au comité Orwell, nous pensons qu’il y a un chemin à trouver entre le progressisme des imbéciles et l’archaïsme des ayatollahs, entre l’homme nouveau sans racines ni nation et le retour du fanatisme, entre la femme objet et la femme grillagée.

    PHILITT : Le Comité Orwell déplore l’unanimisme médiatique. Comment redorer le blason de la profession ?

    Alexandre Devecchio : À notre modeste échelle, nous allons commencer par répondre à la centaine de courriers que nous avons reçue de la part de gens ordinaires qui ne se sentent plus représentés par les médias. Hormis les colloques et les conférences que nous allons faire par la suite, nous organiserons assez rapidement des rencontres pour échanger à propos de notre métier. Les gens veulent comprendre ce décalage entre leur vie réelle et ce qu’ils lisent dans les médias. Il faut être à l’écoute. La force d’Orwell justement, c’est qu’il puise son inspiration dans l’expérience vécue. Quand il écrit Le Quai de Wigan sur la condition ouvrière britannique, il le fait après avoir visité trois fois une mine à Wigan. On va m’accuser de faire de la démagogie, mais je pense que certains journalistes devraient faire un stage  à l’usine. Cela modifierait leur regard sur la société.

    PHILITT : Et concernant plus particulièrement les jeunes journalistes ?

    Alexandre Devecchio : Nous devons faire preuve d’esprit critique et avoir une vision moins techniciste du métier que celle qu’on nous enseigne dans les écoles de journalisme. Notre métier ne consiste pas à recopier des dépêches AFP comme les personnages de 1984 recopient les tracts du parti dans la novlangue officielle. Mais je ne veux pas être manichéen non plus : les journalistes, les jeunes en particulier, comme le reste de la société, évoluent dans un contexte économique difficile où la lutte des âges et des classes est féroce. Même s’ils le voulaient réellement, les jeunes journalistes ne pourraient pas toujours faire assaut de liberté. Enfin, il faudra s’interroger sur les conséquences de la révolution numérique, qui aurait pu être synonyme de davantage de démocratie, et qui pour l’heure marque avant tout le triomphe de l’ère du vide.

    PHILITT : Vous êtes particulièrement sévères avec les médias et leurs méthodes de diabolisation. Sachant que ceux qui critiquent la diabolisation sont souvent à leur tour diabolisés, considérez-vous le Comité Orwell comme une entreprise risquée ?

    Alexandre Devecchio : Nous ne sommes pas des héros. Le petit agriculteur qui se bat pour préserver notre art de vivre est mille fois plus courageux que nous. Il est vrai cependant que le clergé médiatique pratique une sorte d’inquisition à l’encontre de ceux qui s’éloignent des dogmes en vigueur. Celle-ci peut être synonyme de mort sociale et professionnelle. Longtemps, une minorité silencieuse et atomisée a choisi de réprimer « ses pensées déviantes ». Mais des hérauts de la liberté d’expression comme Jean-François Kahn, Éric Zemmour, Élisabeth Lévy, Natacha Polony, présidente du Comité Orwell, ou le regretté Philippe Cohen ont montré la voie en refusant de céder à la logique de la terreur. Le soutien populaire dont ils ont bénéficié leur a permis de continuer à exister malgré les oukases. Je crois que rien ne sera plus jamais comme avant. Grâce à la puissance des réseaux sociaux notamment, la nouvelle génération se sent moins isolée que la précédente. Forts du sentiment que nous ne marcherons plus jamais seuls, comme chantent les supporters de Liverpool, nous n’avons pas l’intention de baisser la tête.

    PHILITT : Natacha Polony était récemment sur France Inter et la journaliste qui l’interrogeait lui faisait remarquer : « Vous vous plaignez d’être marginalisés, mais regardez les néo-réacs sont partout ». Que répondez-vous à ça ?

    Alexandre Devecchio : D’abord, je préfère le terme d’ « insoumis » à celui de « néo-réac ». L’utilisation de cette expression connotée montre déjà une certaine forme de partialité de la part de la journaliste en question. Mais peu importe : au Comité Orwell, nous revendiquons une certaine subjectivité. Encore faut-il que cette dernière soit clairement affichée et ne prenne pas les atours de l’objectivité. Avec l’émergence des réseaux sociaux qui permettent aux citoyens de réagir en temps réel, la censure ne peut plus s’exercer de manière aussi brutale que par le passé. Mais nous sommes loin d’ « être partout ». Prenons l’exemple le plus symbolique : celui d’Éric Zemmour, même si nous ne partageons pas forcément toutes ses idées. Il a dû quitter France 2 et plus récemment I-Télé. Bien que minoritaire dans le peuple, l’idéologie dominante reste majoritaire dans la technostructure, chez les élites. Les gens qui partagent notre diagnostic demeurent rares dans les ministères, la haute fonction publique, les grandes entreprises, et bien sûr les médias.

     PHILITT : À vos yeux, le référendum de 2005 sur la Constitution européenne a entériné la fracture entre le peuple et les élites. Est-il possible de réunir ce qui a été séparé et, si oui, comment ?

    Alexandre Devecchio : Il faut commencer par respecter le vote des Français. C’est le minimum en démocratie. Ensuite, au risque de me répéter et de me faire taxer de populiste, renouer avec le bon sens populaire, ce qu’Orwell appelait « la décence commune », me paraît incontournable. Les élites politiques et médiatiques doivent descendre de leur tour d’ivoire. Sans quoi, la fracture deviendra une rupture et ceux qui restent sourds et aveugles aujourd’hui accuseront demain le peuple français d’être envieux et animé par de bas instincts. Mais n’est-il pas logique que l’incompétence conjuguée à l’injustice, à l’arrogance et au mépris nourrissent le ressentiment et la colère ?

    PHILITT : Un de vos objectifs consiste-t-il à réhabiliter la notion de souveraineté, constamment renvoyée à cet épouvantail fatigué qu’est le FN ? S’agit-il de défendre la souveraineté populaire ou la souveraineté nationale ?

    Alexandre Devecchio : Les deux sont indissociables. La souveraineté populaire ne peut s’exercer que dans le cadre de l’État-nation. La dissolution de celui-ci, dont rêvent certains, entraînerait également la disparition de la démocratie. Bien que révolutionnaire, Georges Orwell était patriote et savait bien que l’attachement des  gens ordinaires à la nation n’est pas synonyme de haine de l’Autre.

    Pour ce qui est du FN, je citerai de nouveau Orwell : « L’argument selon lequel il ne faudrait pas dire certaines vérités car cela « ferait le jeu » de telle ou telle force sinistre est malhonnête en ce sens que les gens n’y ont recours que lorsque cela leur convient personnellement. Sous-jacent à cet argument, se retrouvent habituellement le désir de faire de la propagande pour quelques intérêts partisans et de museler les critiques en les accusant d’être objectivement réactionnaires », écrit-il. Le parti de Marine Le Pen est un diable bien pratique, peut-être le meilleur allié du système qu’il prétend pourfendre. En effet, depuis des décennies, toutes les autres alternatives sont systématiquement assimilées au FN et accusées de faire son jeu.

    Nous sommes une association non partisane. Régis Debray dans un récent entretien à l’hebdomadaire Marianne déclarait, « le citoyen, c’est l’homme sans étiquette ». Cela pourrait résumer notre démarche. Le débat entre les marques que sont Les Républicains, le PS et le FN ne nous intéresse pas. Nous préférons le débat d’idées.  Si certains préfèrent avoir tort avec Sartre que raison avec Aron, nous préférons avoir raison avec Aron que tort avec Sartre, ou raison avec Onfray que tort avec BHL. Le fait que Marine Le Pen défende le protectionnisme ou la laïcité ne nous empêche pas de mener également ces combats. De même, quand José Bové critique les dérives de la GPA, nous ne nous interdisons pas d’applaudir des deux mains.

    PHILITT : Vous vous proposez de réinjecter une dose de pluralisme dans le débat d’idées. Votre rôle consistera-t-il à donner la parole à des gens qui ne sont pas sur la ligne du Comité Orwell ?

    Alexandre Devecchio : Je parlais des excommunications tout à l’heure… Nous sommes de bons chrétiens, nous dialoguerons donc avec tout le monde. Nous n’allons pas débattre entre nous. Cela commencera sans doute à la rentrée par un premier colloque sur le thème du journalisme.

    PHILITT : Jusqu’où êtes-vous prêt à aller dans le pluralisme ?

    Alexandre Devecchio : Nous sommes prêts à débattre avec tous ceux qui représentent une vraie sensibilité dans le pays et qui ont de vraies convictions.  Et si nous ne sommes pas d’accord, ce sera l’occasion de le dire avec force et d’exposer nos arguments. Nous n’avons pas peur du débat. Ce que nous refusons, en revanche, c’est l’interdiction de penser autrement.

    Alexandre Devecchio, propos recueillis par Matthieu Giroux (Philitt, 14 juin 2015)

     

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  • Drieu la Rochelle face à son œuvre...

    Les éditions Infolio viennent de publier un essai de Frédéric Saenen intitulé Drieu la Rochelle face à son œuvre. Critique littéraire, Frédéric Saenen a déjà publié un Dictionnaire du pamphlet (Infolio, 2010).

     

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    " En 2012, Pierre Drieu la Rochelle (1893-1945) faisait son entrée dans la Bibliothèque de la Pléiade. Le chantre de Doriot, l’ami d’Otto Abetz, le fasciste, le collabo, l’antisémite, se retrouvait dans le panthéon des Belles Lettres, entre Dostoïevski et Dumas. Sept décennies après son suicide, l’heure a sonné de tenter le bilan d’une œuvre dont la valeur littéraire est toujours occultée par les choix idéologiques de son signataire. Pourquoi lire Drieu aujourd’hui, comment approcher cet auteur qui paraît si loin des repères et des codes actuels, quelle est sa place au sein des Lettres françaises du XXe siècle ? Tels sont les buts de cet ouvrage : interroger dans sa globalité la légende de ce personnage complexe, affronter le mentir-vrai qu’il s’est attaché à pratiquer, aussi bien dans ses romans que dans ses essais. Il est temps d’appréhender sans complaisance suspecte ni mauvaise foi cet écrivain de sang et d’encre, de rêve et d’action. "

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  • Dans le silence des statues...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Xavier Bellamy, cueilli sur son site Pensées pour le jour qui vient et consacré à l'installation posée par le spéculateur en art contemporain Anish Kapoor. Agrégé de philosophie, François-Xavier Bellamy a récemment publié Les déshérités (Plon, 2014).

     

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    Dans le silence des statues

    « Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome

    Et rien de Rome en Rome n’aperçois… »

     

    Au XVIème siècle, Du Bellay écrivait ses Regrets, pour dire la désolation d’une civilisation disparue. Au XXIème siècle, c’est peut-être à Versailles qu’il pourrait contempler une civilisation qui s’effondre – la sienne, la nôtre… Les formes de cet effondrement ne sont peut-être pas les mêmes, mais c’est à ce même spectacle que nous allons convier cet été des millions de visiteurs : « Vois quel orgueil, quelle ruine… »

     

    Au cœur en effet du jardin qui vit éclore parmi les créations les plus accomplies de l’art occidental, s’installe pour quelques mois l’un des plus purs produits de la culture contemporaine. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que, comme à chaque fois, le contraste est cruel pour notre modernité pourtant si contente d’elle-même. L’installation d’Anish Kapoor à Versailles est comme un révélateur implacable du vide absolu qui caractérise un art stérile. Bien sûr, les apparences sont sauves : le tout-Paris se pressera à l’inauguration, on fera de belles images, on écrira de grands commentaires. En installant ces œuvres dans l’un des monuments les plus visités en France, on évite de toutes façons le risque d’un bide : il suffit de les infliger à des millions de visiteurs qui venaient là pour voir autre chose, et l’on est déjà certain de pouvoir se féliciter dans quelques mois des chiffres de fréquentation dont personne ne pourra dire qui les a vraiment suscités. Malheureusement, toute cette vanité ne cache pas la vacuité d’une production culturelle déjà morte de l’intérieur.

     

    Tout l’art en effet consiste à révéler par le détour. L’œuvre d’Anish Kapoor exhibe, et ne dit rien. Les jardins de Versailles étaient une immense métaphore, biologique, mythologique, cosmologique – une histoire du pouvoir et de la société, une histoire de la paix enfantée par la guerre, de l’harmonie du monde née du conflit infini des hommes avec la nature et la terre… Il n’est pas une allée, pas un bosquet, pas une statue, qui n’ait quelque chose à dire en silence, dans le mystère d’une parole muette dont la discrétion éveille l’intelligence. Cheminer dans ces jardins, c’est atteindre ce lieu où Baudelaire voyait la métaphore de l’art tout entier, ce pays « où tout parlerait / à l’âme en secret / sa douce langue natale… »

     

    La métaphore, voilà tout l’effort de l’art occidental – et voilà précisément ce que l’art contemporain s’acharne à déconstruire. La finesse de la métaphore, voilà bien ce dont l’œuvre de Kapoor est incapable. Avec une lourdeur grossière, elle installe au milieu de la grande perspective des tonnes de fonte rouillée, et, plus lourde encore que la ferraille, toute l’impudeur obsessionnelle de l’art contemporain. « Le vagin de la reine » : ce n’est pas là l’interprétation maladive d’esprits mal tournés, mais celle qu’en donne l’auteur lui-même… La peinture, la sculpture ont pendant des siècles apprivoisé le mystère des corps, Kapoor prostitue le plus intime. Il ne suggère pas, il exhibe. La révélation du poète, c’était celle « où l’indécis au précis se joint », « pas la couleur, rien que la nuance ! ». Ainsi chantait Verlaine : « c’est des grands yeux derrière des voiles, c’est le soleil tremblant de midi… » Au cru midi d’Anish Kapoor, les voiles ont été arrachés, et les corps sont « mis en bouillie. »

     

    Mais tout cela n’est qu’un symptôme : de Kapoor à Paul McCarthy, l’art contemporain ne semble plus obsédé que par ses fantasmes primaires dont il marque les plus beaux lieux de notre patrimoine, comme un enfant qui n’arrive pas à se retenir. Sans aucune retenue, Kapoor transforme le tapis vert en « coin sale » (Dirty corner) – Freud aurait vu dans ces « petit coins » le symptôme typique d’une régression au stade anal. Symptôme, donc, et pas seulement d’une crise de l’art, mais de ce qu’il est généralement convenu d’appeler une « perte de sens », et de sens du corps en particulier. De la chair ne reste que le sexe, de la femme qu’un vagin, de l’altérité que le conflit (car ce vagin « prend le pouvoir »). Dans le « coin sale » d’Anish Kapoor, comme dans toute notre société, la pornographie a tué jusqu’à l’érotisme.

     

    L’œuvre de Kapoor, qui se complaît dans le « chaos », règne en majesté sur une culture en ruines. C’était le propre de la culture que d’ordonner, de clarifier, de distinguer. En elle pouvait mûrir, dans le silence, un sens à donner à nos vies : la culture contemporaine est criarde, mais elle ne dit rien. Pour masquer ce vide, on dira qu’elle « nous interroge ». Mais où est l’interrogation ? Le bavardage du commentaire masque mal notre impuissance. Le grand critique Didi-Huberman proposait une équation hélas encore vérifiée à Versailles : « Moins l’art transmet, plus il communique. »

     

    Il ne reste qu’une occasion de sourire. Bien sûr, la provocation faisant son œuvre, on va parler d’Anish Kapoor. Ceux qui oseront exprimer une réserve feront l’objet de l’habituel mépris des commentateurs autorisés. La cote de l’artiste va monter, nul doute que l’opération sera bonne. Mais après ? Dans cinquante ans, qui connaîtra Monsieur Kapoor ? Selon toute probabilité, un art qui ne veut rien transmettre n’engendrera pas d’héritiers. Il ne reste qu’à espérer que cet effondrement intérieur n’aura pas été définitif ; et que, dans cinquante, cent, et cinq cents ans, on écoutera encore dans le silence ce que, à chaque détour des jardins de Versailles, le sourire vivant des statues aura toujours à dire…

    François-Xavier Bellamy (Pensées pour le jour qui vient, 6 juin 2015)

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  • Le Populisme américain au cinéma de DW Griffith à Clint Eastwood...

    Les éditions LettMotif viennent de publier un essai de David da Silva intitulé Le populisme américain au cinéma de D.W. Griffith à Clint Eastwood. Journaliste, David da Silva prépare actuellement une thèse sur le populisme américain.

     

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    " L'objectif de cet ouvrage est de présenter la pensée populiste dans la culture américaine. Si on estime son apparition dès la guerre d'indépendance des colons britanniques d'Amérique du Nord contre la Grande-Bretagne de 1775 à 1783, le populisme américain a surtout connu son heure de gloire avec The People's Party en 1892. De fait, ce parti populiste a cristallisé la colère des fermiers américains (dont des Afro-américains) très endettés de la fin du XIXe siècle. Ce mouvement agraire était très attaché aux idéaux pionniers et se méfiait du développement économique et du salariat (qu'il jugeait incompatible avec la liberté et la démocratie). Les Populistes défendaient l'égalité des chances, une libre entreprise tempérée par le Common Sense (le bon sens) et un pouvoir détenu par des hommes vertueux. De plus, ils soutenaient également toute forme d'opposition à la haute-finance, aux machines politiques centralisées, au fédéralisme omniprésent, à l'intellectualisme citadin. Les héros des Populistes se nomment Thomas Jefferson, Andrew Jackson et Abraham Lincoln. Ce dernier incarne, en plus de l'humanisme, la possibilité pour l'homme ordinaire de devenir Président des États-Unis. /// L'idéologie populiste apparaît dans les premiers films américains. D'abord chez D.W. Griffith ou King Vidor avant de connaître son heure de gloire avec les films de John Ford, Frank Capra ou Leo McCarey dans les années trente. Après son déclin lors des années cinquante, le populisme hollywoodien va renaître dans les années soixante-dix avec des personnalités comme Clint Eastwood, Sam Peckinpah ou Michael Winner. Les années quatre-vingt vont prolonger ce retour avec le double mandat de Ronald Reagan. Oliver Stone, Sylvester Stallone ou encore John Carpenter ont continué à propager un message très proche de la tradition populiste américaine, avec notamment la mise en valeur de l'homme de la rue face à la corruption et la trahison des élites. Nous verrons donc si, de D.W. Griffith à Clint Eastwood, la fonction du héros populiste est de diviser ou d'unir le peuple américain ? "

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  • L'utopie progressiste débouche sur l'enfer...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec le philosophe Robert Redeker, cueilli sur le Figaro Vox et consacré à la question du progrès. Robert Redeker vient de publier un essai intitulé Le progrès ? Point final. (Ovadia, 2015).

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    Robert Redeker : l'utopie progressiste débouche sur l'enfer

    FIGAROVOX. - L'idée de progrès, expliquez-vous, n'est plus le moteur des sociétés occidentales. Partagez-vous le constat de Jacques Julliard qui explique que le progrès qui devait aider au bonheur des peuples est devenu une menace pour les plus humbles?

    Robert REDEKER. - Le progrès a changé de sens. De promesse de bonheur et d'émancipation collectifs, il est devenu menace de déstabilisation, d'irrémédiable déclassement pour beaucoup. Désormais, on met sur son compte tout le négatif subi par l'humanité tout en supposant que nous ne sommes qu'au début des dégâts (humains, économiques, écologiques) qu'il occasionne. Le progrès a été, après le christianisme, le second Occident, sa seconde universalisation. L'Occident s'est planétarisé au moyen du progrès, qui a été sa foi comme le fut auparavant le christianisme. Il fut l'autre nom de l'Occident.

    Aujourd'hui plus personne ne croit dans le progrès. Plus personne ne croit que du seul fait des années qui passent demain sera forcément meilleur qu'aujourd'hui. Le marxisme était l'idéal-type de cette croyance en la fusion de l'histoire et du progrès. Mais le libéralisme la partageait souvent aussi. Bien entendu, les avancées techniques et scientifiques continuent et continueront. Mais ces conquêtes ne seront plus jamais tenues pour des progrès en soi.

    Cette rupture ne remonte-t-elle pas à la seconde guerre mondiale et de la découverte des possibilités meurtrières de la technique (Auschwitz, Hiroshima)?

    Ce n'est qu'une partie de la vérité. L'échec des régimes politiques explicitement centrés sur l'idéologie du progrès, autrement dit les communismes, en est une autre. L'idée de progrès amalgame trois dimensions qui entrent en fusion: technique, anthropologique, politique. Le progrès technique a montré à travers ses possibilités meurtrières sa face sombre. Mais le progrès politique -ce qui était tenu pour tel- a montré à travers l'histoire des communismes sa face absolument catastrophique. Dans le discrédit général de l'idée de progrès l'échec des communismes, leur propension nécessaire à se muer en totalitarismes, a été l'élément moteur. L'idée de progrès était depuis Kant une idée politique. L'élément politique fédérait et fondait les deux autres, l'anthropologique (les progrès humains) et le technique.

    Les géants d'Internet Google, Facebook, promettent des lendemains heureux, une médecine performante et quasiment l'immortalité, n'est-ce pas ça la nouvelle idée du progrès?

    Il s'agit du programme de l'utopie immortaliste. Dans le chef d'œuvre de saint Augustin, La Cité de Dieu, un paradis qui ne connaît ni la mort ni les infirmités est pensé comme transcendant à l'espace et au temps, postérieur à la fin du monde. Si ces promesses venaient à se réaliser, elles signeraient la fin de l'humanité. Rien n'est plus déshumanisant que la médecine parfaite et que l'immortalité qui la couronne. Pas seulement parce que l'homme est, comme le dit Heidegger, «l'être-pour-la-mort», mais aussi pour deux autres raisons.

    D'une part, parce qu'un tel être n'aurait besoin de personne, serait autosuffisant. D'autre part parce que si la mort n'existe plus, il devient impossible d'avoir des enfants. C'est une promesse diabolique. Loin de dessiner les contours d'un paradis heureux, cette utopie portée par les géants de l'internet trace la carte d'un enfer signant la disparition de l'humanité en l'homme. Cet infernal paradis surgirait non pas après la fin du monde, comme chez saint Augustin, mais après la fin de l'homme. Une fois de plus, comme dans le cas du communisme, l'utopie progressiste garante d'un paradis déboucherait sur l'enfer.

    La fin du progrès risque-t-elle de réveiller les vieilles religions ou d'en créer de nouvelles?

    Le temps historique des religions comme forces de structuration générale de la société est passé. Cette caducité est ce que Nietzsche appelle la mort de Dieu. La foi dans le progrès -qui voyait dans le progrès l'alpha et l'oméga de l'existence humaine- a été quelques décennies durant une religion de substitution accompagnant le déclin politique et social du christianisme. Du christianisme, elle ne gardait que les valeurs et la promesse d'un bonheur collectif qu'elle rapatriait du ciel sur la terre. Bref, elle a été une sorte de christianisme affaibli et affadi, vidé de toute substance, le mime athée du christianisme. Les conditions actuelles -triomphe de l'individualisme libéral, règne des considérations économiques, course à la consommation, mondialisation technomarchande-, qui sont celles d'un temps où l'économie joue le rôle directeur que jouaient en d'autres temps la théologie ou bien la politique, sont plutôt favorables à la naissance et au développement non de religions mais de fétichismes et de fanatismes de toutes sortes. L'avenir n'est pas aux grandes religions dogmatiquement et institutionnellement centralisées mais au morcellement, à l'émiettement, au tribalisme du sentiment religieux, source de fanatismes et de violences.

    Peut-on dire que vous exprimez en philosophie ce que Houellebecq montre dans Soumission: la fin des Lumières?

    Il doit y avoir du vrai dans ce rapprochement puisque ce n'est pas la première fois qu' l'on me compare à Houellebecq, le talent en moins je le concède. Ceci dit dans ma réflexion sur le progrès je m'appuie surtout sur les travaux décisifs de Pierre-André Taguieff auquel je rends hommage. Ce dernier a décrit le déclin du progrès comme «l'effacement de l'avenir». Peu à peu les Lumières nous apparaissent comme des astres morts, dont le rayonnement s'épuise. Rien n'indique qu'il s'agisse d'une bonne nouvelle. Cependant, cet achèvement n'est non plus la revanche des idées et de l'univers vaincus par les Lumières. Elle n'annonce pas le retour des émigrés! Cette fin des Lumières n'est pas la revanche de Joseph de Maistre sur Voltaire!

    Le conservatisme, vu comme «soin du monde» va-t-il remplacer le progressisme?

    Les intellectuels ont le devoir d'éviter de se prendre pour Madame Soleil en décrivant l'avenir. Cette tentation trouvait son origine dans une vision nécessitariste de l'histoire (présente chez Hegel et Marx) que justement l'épuisement des Lumières renvoie à son inconsistance. Pourtant nous pouvons dresser un constat. Ce conservatisme est une double réponse: au capitalisme déchaîné, cet univers de la déstabilisante innovation destructrice décrite par Luc Ferry (L'Innovation destructrice, Plon, 2014), et à l'illusion progressiste. Paradoxalement, il s'agit d'un conservatisme tourné vers l'avenir, appuyé sur une autre manière d'envisager l'avenir: le défunt progressisme voulait construire l'avenir en faisant table rase du passé quand le conservatisme que vous évoquez pense préserver l'avenir en ayant soin du passé. La question de l'enseignement de l'histoire est à la croisée de ces deux tendances: progressiste, l'enseignement de l'histoire promu par la réforme du collège est un enseignement qui déracine, qui détruit le passé, qui en fait table rase, qui le noie sous la moraline sécrétée par la repentance, alors que l'on peut envisager un enseignement de l'histoire qui assurerait le «soin de l'avenir» en étant animé par le «soin du passé».

    Robert Redeker, propos recueillis par Vincent Tremolet de Villers (Figarovox, 12 juin 2015)

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  • Davaï !... Du lac Baïkal aux plages de Ko Chang...

    Les éditions des Paraiges viennent de publier Davaï !  - Du lac Baïkal aux plages de Ko Chang, un récit de voyage de Patrick Wagner, préfacé par Alain Paucard. Passionné de littérature, Patrick Wagner dirige la revue Livr'arbitres...

     

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    " Fascinante Asie ! Éternelle génitrice des religions et des empires. Asie guerrière des hauts plateaux d'où les cavaliers descendaient sur l'Europe. J'ai fait un rêve. Traverser les grandes steppes mongoles, rejoindre l'Empire du Milieu et aboutir en Indochine pour y remonter le fleuve Mékong et suivre la route mandarine. Rêve éveillé, sous le galop de Michel Strogoff à la rencontre du baron Ungern Sternberg. De Jules Verne à Hugo Pratt, en compagnie de soldats de l'imaginaire, Francis Garnier, Pierre Loti ou André Malraux. Je ne sais où cela me mènera, mais il me faut lever l'ancre, me mettre à la proue du bateau de la vie et ouvrir les yeux. Rejoindre le rêve, la fiction par l'action. Vivre à livre ouvert.
    Tels mes aînés dans ce bout du monde, marchant un temps sur les pas de mon compatriote Jean de Pange, je deviendrai pour mes hôtes un long nez, caractéristique de l'Occidental au royaume des visages plats.
    Au gré du vent, l'âme légère et le cœur joyeux, ces pérégrinations m'entraîneront hors des sentiers battus de ma Moselle natale, pays parcouru jadis sac au dos par monts et par vaux. Il était temps pour moi d'aller voir comment le monde était fait ailleurs.
    Alors, Davaï, en route ! "

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