Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

violence - Page 9

  • La France redécouvre la violence politique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Valentin Moret, cueilli sur le site de Philitt et consacré au retour de la violence politique en France.

    Attaque terroriste 7 janvier 2015.jpg

    Charlie Hebdo : quand la France redécouvre la violence politique

    L’histoire de France est violente. Assassinats, émeutes et coups d’État la jalonnent. Depuis les attentats anarchistes de 1910 jusqu’aux mouvements skinheads des années 1980 et 1990 en passant pas la mort de Jean Jaurès, la crise du 6 février 1934, les agissements du FLN et de l’OAS, la France s’est faite dans le sang. Aujourd’hui, beaucoup s’obstinent à expliquer l’attentat de Charlie Hebdo par la folie. Cet acte relève pourtant de la stricte violence politique.    

    Nul besoin d’avoir lu Hobbes pour enfoncer cette porte ouverte : « L’homme est un loup pour l’homme ». La violence est inscrite au patrimoine de l’humanité depuis le péché originel. Mais le Vieux Continent, plus encore que le reste du monde occidental, a voulu bannir toute violence de son territoire, en la rangeant systématiquement du côté du mal. Une mentalité qui marque jusqu’à notre façon d’être et de faire la guerre : peu de morts, peu de dommages collatéraux. Aujourd’hui, une bonne guerre est une guerre où tous nos soldats rentrent vivants. Nous sommes loin de 1914 et de la valorisation du combattant tombé sous le feu ennemi. La modernité se veut pacifiste et pacifiée, elle méconnaît le phénomène de la violence comme instance de régulation des conflits. Pour l’anecdote, le dernier duel en France s’est déroulé en 1967.

    La réalité est pourtant toute autre : la violence n’a pas disparu du territoire. L’analyse du sociologue de la guerre Gaston Bouthoul permet de dresser le portrait des deux France qui s’expriment à travers les évènements récents. Du fait d’un grand écart démographique et culturel, le pays est clivé : d’un côté, une France des quartiers où la forte natalité et la figure patriarcale rendent la mise en péril de la vie acceptable – c’est le mythe d’Abraham – et, de l’autre, une France bourgeoise où la faible natalité aboutit à la domination des valeurs féminines et hédonistes qui, selon Bouthoul, sont plus enclines à la préservation de la vie. Une fracture qui trace la frontière entre ceux qui comprennent et usent de la violence et ceux qui en rejettent l’idée même. C’est parce qu’une grande partie de la population ignore la violence qu’elle n’admet pas qu’elle puisse être politique.

    Violence et politique

    « Il faut être intellectuel et violent », disait Charles Maurras. Aujourd’hui l’un exclut l’autre de facto, comme si la violence appartenait nécessairement au domaine de la passion, de la réaction. Comme si la novlangue s’était emparée des concepts de violence et d’intelligence pour les rendre incompatibles. On ne conçoit pas qu’on puisse être intellectuellement violent sans être un « idéologue dangereux », un « manipulateur », un « agitateur de la haine ». On ne conçoit pas non plus qu’on puisse être violent dans ses actes en les ayant pensés, réfléchis, prémédités et menés en conscience. C’est pourtant ce qui arrive.

    À déplorer la violence comme on déplore la folie, on tombe dans la petite réaction émue, hystérique et inutile. Aveu d’impuissance : l’émotivité comme seule façon de penser et d’agir est la méthode des professionnels de l’indignation qui s’insurgent contre les idées violentes. Pleurer ne sauve pas. Un paradoxe que le criminologue Xavier Raufer appelle « aveuglement ». Aveuglement face à des menaces omniprésentes sur les réseaux sociaux et jusque dans les gestes réalisés par certains devant les caméras de télévision. L’aveuglement empêche de déceler le moment du passage à l’acte. Car on ne peut prévoir le passage à l’acte d’un fou. Celui d’un idéologue, si.

    « La guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens. » Carl von Clausewitz

    Tout le monde s’accorde sur le terme de terrorisme pour décrire l’attentat de Charlie Hebdo. Et pourtant, beaucoup veulent réduire cet acte à un délire. C’est méconnaître la définition même du terrorisme : une violence politique en temps de paix, sporadique et isolée, certes, mais néanmoins politique.

    Au vu des revendications des auteurs, nous aurions tort de ne pas accepter cette conception clausewitzienne, politique, de la violence. L’un des deux terroristes a fait, à plusieurs reprises, entendre ses revendications : « On a vengé le prophète ». Le discours est clair, et calmement déroulé. L’auteur défend sa cause en affirmant qu’il n’a pas été « assoiffé de sang » durant les deux jours de traque qui ont suivi l’attentat. Il avait un objectif, il l’a rempli, et n’avait alors plus qu’à mourir en martyr. Cet objectif est éminemment politique : contraindre au silence les auteurs, les dessinateurs et les journalistes qui s’attaquent à l’Islam. Le discours était celui d’un « extrémiste », pas d’un fou.

    Pourtant,  la France ne découvre pas la violence politique en 2015. Et nul n’avait pensé qualifier de fous les terroristes du GIA, du FLN ou d’Action directe. Les réactions d’aujourd’hui sont le signe de cette fracture entre deux France qui ne se connaissent et ne se comprennent plus. La rencontre d’un pays sécularisé en guerre permanente contre le Moyen-Orient et d’une violence politique exercée au nom de l’Islam.

    L’insoumission appelle une réponse politique

    Le fait qu’il n’y ait plus d’équilibre, plus d’autre réponse que l’instantanée réaction émue, est problématique. Dans d’autres circonstances, dans une France moins vieillissante, nous aurions probablement vu se multiplier des réactions concrètes et rationnelles. Le surplus d’émotion télévisée semble faire l’effet d’une catharsis collective qui vient inhiber le réflexe sensé qu’a été celui du résistant sous l’Occupation. L’immense majorité des réactions, qu’elles viennent des médias ou de la population sont silencieuses, à l’image des « marches républicaines » affectées.

    Le gouvernement convainc peu également. Lorsqu’il parle d’une « guerre contre le terrorisme » sur notre territoire, il formule une ineptie juridique puisque la guerre appelle l’usage d’une violence proactive alors que l’État a seulement fait usage d’une violence réactive dans le cadre d’opérations de police. La violence, qu’elle soit politique ou non, terrorise. La France en a pourtant vu d’autres tout au long de son histoire et ne devrait pas jouer la vierge effarouchée qu’elle n’est pas.

    Valentin Moret (Philitt, 13 janvier 2015)

     

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Radiographie de quelques clichés "bien pensants" sur l'immigration...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Guylain Chevrier et Xavier Raufer, cueilli sur Atlantico et consacré à ce que différents organes du système veulent nous faire gober à propos de l'immigration...

    Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant , formateur et consultant. Il est membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Xavier Raufer, pour sa part, est un criminologue et directeur des études au Département de Recherches sur les Menaces Criminelles Contemporaines à l'Université Paris II.


    Avis de recherches.jpg

    Aucun lien entre immigration et délinquance ? Une France peu généreuse avec ses immigrés ? Radiographie de quelques clichés “bien pensants” à la peau dure

    A l’aide du journaliste John Paul Lepers, Gilles Cayatte et Christophe Nick se sont attaqués dans deux documentaires diffusés sur France 2, "L’Enquête qui dérange" puis "La Fabrique du préjugé", à déconstruire l'idée, fausse selon eux, qu'immigration et délinquance seraient liées en France.

    Atlantico : Selon un rapport Eurostat, être immigré en France, c'est avoir plus d'une chance sur deux d'être pauvre. En effet, 55,8% des étrangers non-communautaires âgés de plus de 18 ans étaient en risque de pauvreté ou d'exclusion sociale en 2013 en France. Dans le viseur notamment, le taux d'emploi, les revenus dont ils disposent après transferts sociaux et les caractéristiques du logement. La France est-elle si peu généreuse en termes de versement des prestations sociales avec ses populations immigrées hors Union européenne ?

    Guylain Chevrier : Les prestations sociales sont les mêmes pour les Français et les étrangers, auxquels on ne fait pas un sort à part comme en Angleterre où la préférence nationale ne fait pas de problème ou en Allemagne, où on peut perdre du jour au lendemain le droit d’y résider si on n’a pas un revenu autonome indépendamment de toute prestation sociale si l’on est étranger.

    Atlantico : En termes de versement de prestations sociales, comment s'établit réellement en France le rapport de force entre nationaux et immigrés hors UE ?

    Guylain Chevrier : Aucun pays au monde ne donne plus de droits aux immigrés qu’en France : la loi impose qu’un enfant arrivant sur notre sol avec sa famille sans papier soit scolarisé sans délai ; que tout enfant étranger sans autorité parentale connue sur le territoire (mineur isolé) soit pris en charge par l‘Aide Sociale à l’Enfance au moins jusqu’à ses dix-huit ans, et pris en charge avant l’âge de 15 ans, il aura un accès par simple déclaration à la nationalité française ; qu’une famille immigrée se trouvant à la rue et ayant au moins un enfant de moins de trois ans soit immédiatement prise en charge en hôtel aux frais de la collectivité comme toute famille quelle que soit son origine ; que toute famille d’origine immigrée peut accéder au droit opposable au logement si elle dispose d’un titre de séjour selon les dispositions légales ; que toute personne immigrée résidant depuis plus de trois mois sur le territoire français en situation irrégulière bénéficie de l’Aide Médicale de l’Etat (AME) permettant l’accès aux soins ; que l’égalité de traitement est la règle pour tous dans les services publics, les services sociaux bénéficiant tout particulièrement aux populations d’origine immigrée dans une proportion supérieure à leur poids dans la populations française (CMU, RSA, aides financières, allocations familiales, allocations logements…) 

    Du fait de la taille de leur famille, de la faiblesse de leurs revenus et de leur concentration dans les grandes villes, les immigrés sont plus souvent allocataires du secteur social, ce qui souligne combien ils sont bien accueillis au pays des Droits de l’homme. La France est une destination d’ailleurs très prisée.

    L’un des plus sérieux problèmes reste encore dans l’ombre, c’est celui des mineurs isolés étrangers. Il existe aujourd’hui sur notre sol des milliers de mineurs isolés étrangers et il ne cesse d’en arriver, alors que l’on parle d’un taux multiplié au moins par dix en un an. Les départements qui gèrent l’Aide sociale l’enfance ont même tendance à ne plus faire presque que cela. C’est vrai spécialement depuis que Mme Taubira a initié un nouveau protocole de sélection de ces dits mineurs isolés étrangers pour savoir s’ils sont mineurs ou pas, confié à France Terre d’Asile dont on sait que le directeur prêche en faveur de la fin des frontières, en donnant à cette association d’aide aux migrants à l’action louable ainsi un rôle de juge et partie. Ce protocole a remplacé le calcul de l’âge du migrant, réalisé jusque là par une radiographie permettant de déterminer l’âge osseux, par un simple entretien. Il faut savoir qu’une large partie de ceux-ci sont des majeurs qui, lorsque par hasard à trop en faire ou à paraitre d’un âge canonique au regard de l’état de mineur, se voient déclarés majeurs, peuvent encore faire appel de la décision auprès du Juge des enfants pour obtenir d’être placés comme mineur. La prise en charge d’un jeune placé, tel un mineur isolé étranger, est de l’ordre de 150 à 280 euros par jour. Ce qui constitue un scandale qui commence à créer une situation d’exaspération chez de nombreux travailleurs sociaux dont les missions éducatives sont détournées à la faveur d’une immigration économique déguisée, ce que sait parfaitement le gouvernement qui donne sa caution à cette situation potentiellement explosive. La France est ici outrageusement généreuse… Où sont donc les chiffres officiels de ces mineurs isolés dans le calcul de la place de la France en matière de dépenses sociales ?

    Atlantico : Un taux élevé de pauvreté d'après le même rapport, comparé à celui de l'Allemagne (40,4%), du Royaume-Uni (34,9%), des Pays-Bas (35,4%), ou de l'Italie (46,7%). La France est ainsi 18ème sur les 21 pays de l'UE. Les seuls pays à faire moins bien sont l'Espagne (59,5%), la Belgique (68,4%), et la Grèce (72,1%). Un des biais de ce rapport est-il de nier la nature même de l'immigration en fonction des pays de destination ?

    Guylain Chevrier : Mais de quoi parle-t-on et comment compare-t-on ? Le salaire médian sert à calculer le taux de pauvreté en France, il est calculé avec un SMIC plus élevé qu’en Allemagne où il n’existait d’ailleurs pas jusqu’il y a peu, un smic protecteur plus élevé que dans la plupart des pays européens pour ceux qui en ont un.

    L’immigration fait partie majoritairement des populations populaires de notre pays et plus peut-être que les autres, parce qu’elle est d’abord une immigration familiale, qui ne vient pas en ayant au préalable trouvé un travail comme cela est exigée en Allemagne par exemple. Nous sommes le troisième pays au monde pour les demandeurs d’asile (2013) derrière l’Allemagne, particulièrement touché du fait de sa situation géographique par les réfugiés qui affluent de pays connaissant la guerre et les Etats-Unis. Tout d’abord, il faut constater que nous assistons à une hausse continue du nombre de demandeurs avec une augmentation de plus de 100 %, car ils étaient 29.387 (plus 6133 réexamens) en 2007 pour être 60.095 en 2013 (plus 5799 réexamens), et la hausse continue. Sans compter que ces demandeurs sont pris en charge le temps de l’étude de leur dossier qui est évalué de 600 jours à deux ans en moyenne, aux frais des pouvoirs publics. Mais surtout, sur l’ensemble des décisions prises, 13 % sont favorables (5965), une majeure partie des autres qui sont déboutés demeurent sur le sol français, alimentant une situation de précarité et de pauvreté qui pèse dans cette analyse globale.

    Le maintien de la diversité des différentes catégories sociales sur un même territoire, les milliards dépensés pour la politiques de la ville des années dans ce sens, alors que les populations d’origine immigrée font partie majoritairement des couches populaires et sont donc particulièrement concernées par cette politique, n’apparaissent nulle part dans l’évaluation de ce taux de pauvreté. Cela serait pourtant important au regard de pays qui pratiquent le multiculturalisme et laisse les communautés gérer les problèmes économiques et sociaux qui s’y réfèrent, faisant écran à une évaluation rigoureuse prenant cette complexité en compte.

    Les critères d’intégration de pays qui favorisent la séparation communautaire et prédestinent tout migrant à rejoindre une communauté identitaire et à ne pas ou peu se mélanger, n’ont rien à voir avec les enjeux d’une société comme la notre qui poursuit le but de valoriser l’individu du point de vue de l’égalité de ses droits avant ses différences et donc le mélange, et avec lui la mixité sociale et culturelle. Une ambition humaniste qui devrait être positivement remarquée et n’a pas moralement de prix mais représente un investissement à haute valeur ajoutée.

    Atlantico : Un rapport qui pointe la mauvaise intégration sociale des immigrés hors UE en France. Sur ce plan, avec des programmes d'apprentissage culturels et de la langue, ainsi que des ponts en direction du monde professionnel, les pays nordiques font figure de modèles. Une fois encore, ce rapport nie-t-il les questions pourtant essentielles du volume de l'immigration, ces spécificités culturelles ou historiques ?

    Guylain Chevrier : Tout d’abord, on ne peut penser la difficile question de l’intégration en la décontextualisant pour faire dire aux chiffres ce que l‘on veut, à la façon dont en histoire on parlerait de la personnalité de Jules César sans le situer à Rome au Ier siècle avant JC ! Pour un pays de 65 millions d’habitants comme la France qui a des millions d’immigrés sur son sol, avec un apport de centaines de milliers de migrants chaque années, intégrer ne se mesure absolument pas de la même façon que quelques milliers d’immigrés arrivant dans un petit pays, même s’ils représentent plus proportionnellement à la population globale à laquelle ils se rapportent.  

    D’autre part, il faut regarder l’origine de l’immigration, il se trouve que celle-ci en France est fortement marquée par l’immigration africaine, Maghreb inclus, dont la part des étrangers ayant acquis la nationalité française représente en 2013, 60739 des bénéficiaires sur un total de 97276. Il va sans dire que la question de l’intégration de ces populations demande des moyens particuliers, surtout au regard d’un accès à la langue qui est moins facile que lorsqu’une immigration d’un pays où on parle l’anglais comme l’Inde, fournit une partie importante de l’immigration d’un pays comme l’Angleterre. Le Contrat d’accueil et d’intégration en France prévoit des obligations en matière d’accès à la langue avec un volume de formation qui est déjà conséquent, mais qui mériterait d’être encore mieux soutenu pour réaliser les conditions d’une réelle unicité autour de la langue française qui est désignée à l’article 2 de notre Constitution comme le Français, seule langue commune. C’est l’un des moteurs de l’intégration, qui est la condition d’un accès aux droits, comme à la compréhension des devoirs, du sens qu’ils prennent au regard d’une citoyenneté qui prend racine dans les grandes références de notre République.

    Selon le ministère de l’Intérieur, la primo-délivrance des titres de séjour progresse en 2013 représentant un total de 203 996 titres de séjour. L’immigration étudiante, deuxième source d’immigration, a augmenté de 6,4 %. Cette progression s’explique par un regain d’attractivité de la France, après l’abrogation de la circulaire du 31 mai 2011 relative à la maîtrise de l’immigration professionnelle. L’immigration professionnelle est aussi en nette augmentation (+11,4 %). Une immigration en forte progression. Une réalité qu’il faut pouvoir gérer qui, s’il elle peut représenter un apport, a aussi un coût dans un pays riches de droits comme le notre.

    La France, selon le recensement de 2009, comptait 5,4 millions d’immigrés, soit l’équivalent de 8,4 % de sa population. Parmi ces immigrés, 3,7 millions étaient étrangers et 1,7 million avaient acquis la nationalité française. Si les immigrés ne représentaient qu’à peine 3 % de la population française au début du siècle dernier, le niveau actuel est dit stable depuis 1975.

    Mais là commence le problème pour savoir de quoi l’on parle en matière de politique d’immigration. Tous les pays n’ont les mêmes conditions d’accès à la nationalité par exemple, la France ayant une politique de droit du sol très favorable, mais qui fait aussi écran à la façon dont on peut chiffrer l’immigration. Aussi, qu’est-ce que l’immigration ? L’immigration regroupe la population vivant en France et née à l’étranger, qu’il s’agisse d’étrangers avec un titre de séjour ou ayant acquis la nationalité française. Donc, échappe à toute analyse, les enfants de l’immigration qui sont nés sur le sol français et sont devenus Français qu’on ne considère pas comme immigrés.

    Ils sont pourtant concernés fréquemment par les enjeux de l’intégration qui mobilisent des moyens considérables, ne serait-ce qu’en termes de réussite scolaire et de dispositifs d’intégration sociale et professionnelle de droit commun qui leurs profitent largement. Si on élargit la notion d’immigration à la première génération qui en est issue (dite seconde génération), qui est née sur le sol français et a acquis la nationalité, au lieu des 1,7 millions d’étrangers ayant acquis la nationalité française on arrive à un chiffre de 2.402.810 seulement sur la période de 1995 à aujourd’hui. On voit bien que l’on ne peut se fier uniquement aux chiffres officiels tels qu’ils nous sont présentés pour mesurer le niveau auquel se situe l’investissement des politiques de l‘Etat dans ce domaine.

    L’analyse qui nous est apportée vise à donner une vision des flux migratoires qui les banalise pour ancrer l’idée qu’il n’y aurait de ce côté aucune question à se poser. On fait comme si l’apport de populations migrantes, marquées par le fait de venir de pays où les droits sociaux sont quasi inexistant, ayant des régimes fréquemment infréquentables ou dans le meilleur des cas peu démocratiques, venues de loin d’autres sociétés faites d’autres cultures, étaient des données, qui ne comptaient pas… Il ne suffit pas de faire de l’inclusion sociale en ne s’attachant qu’à l’insertion sociale et professionnelle, mais d’intégrer ces personnes sous toutes les dimensions de l’intégration sociale, facteur d’égalité, à moins de vouloir fabriquer une catégorie de membres de seconde classe de notre société. Mais cela implique nécessairement une politique de maîtrise et de contrôle des flux migratoires selon des exigences en dehors desquelles on ne peut que dérocher de ce but. 

    Dans le prolongement de cette analyse, la stratégie européenne en matière d’immigration professionnelle va vers une instrumentalisation par le marché de l’immigration. Elle passe par une porosité des frontières sciemment organisée pour satisfaire une exploitation qui y voit un cheval de Troie pour les droits sociaux et les salaires. Les riches actionnaires ainsi que les politiques qui sont leurs gestionnaires ne font pas là dans l’altruisme. On voudrait derrière ce qui nous est proposé aller plus loin et organiser une mise en concurrence des salariés à une grande échelle en ouvrant les robinets de l’immigration économique hors UE, aboutissant à monter les salariés les uns contre les autres. Dans le contexte d’une économie de sous-emploi ce serait un facteur de crise sociale à haut risque, alors que l’immigration économique a été arrêtée depuis 1974, largement modérée pour alimenter uniquement les secteurs tendus, et essentiellement organisée sur le mode du regroupement familial.

    Atlantico : A l’aide du journaliste John Paul Lepers, Gilles Cayatte et Christophe Nick s’attaquent à déconstruire un préjugé selon lequel immigration et délinquance en France seraient liées. Pourtant d’après vous, les immigrés sont bien sur-représentés dans la délinquance. Que nous disent réellement les chiffres ?

    Guylain Chevrier : Oui effectivement, ils sont sur-représentés, et il n’y a rien de stigmatisant à le dire. Ce sont les chiffres du ministère de l’Intérieur qui le montrent, ce qu’entend nier ce documentaire en ne les citant pas, et plus, en jouant sur un tour de passe-passe qu’il faut mettre au grand jour, car il y a là comme une supercherie.

     
     

    L’objectif de ce documentaire est de faire accepter l’idée que le lien entre immigration et délinquance n’existerait pas et donc que le sentiment que cela existe correspondrait à un racisme qui s’ignorerait. On s’imagine les réactions de rejet de ce type de discours fondé sur une démarche qui est autant fausse que pernicieuse, la colère à en récupérer et ce que peut en faire un FN qui est en embuscade à n’attendre que cela.

    D’emblée, le documentaire commence sur une énormité, qui constitue un véritable tour de passe-passe. C’est le concept sur lequel se fonde l’étude menée, dont découle toute la lecture du sujet, qui consiste à savoir s’il y a un lien entre immigration et délinquance. De quoi parle-t-on ? Rappelons que l’immigration regroupe la population vivant en France et née à l’étranger et donc, qu’elle ne prend pas en compte les enfants qui en sont issus qui eux sont nés sur le sol français, ont acquis la nationalité française de ce fait, qui sont en âge de commettre des délits. Ils n’existent pas, ainsi pour cette enquête, ce qui est assez extraordinaire. C’est l’angle mort qui permet de tout dire et son contraire. Il se trouve que ceux qui commettent les délits qui empoisonnent le quotidien de bien des quartiers se trouvent être, au moins pour une part, de cette catégorie de jeunes qui reste invisible aux yeux ce documentaire.

    Mais plus, on ne s’intéresse même pas aux chiffres des étrangers écroués selon l’étude du ministère de l’Intérieur accessible si facilement en ligne. Si les étrangers représentent près de 18% des détenus en milieu carcéral tel que les chiffres du ministère de l’Intérieur le montrent et y sont donc sur-représentés, on ne connaît pas ce que représente en réalité la place de l‘immigration dans la population carcérale, car il faudrait s’intéresser de savoir combien de personnes qui sont incarcérés sont nées à l‘étranger qui sont aujourd’hui françaises. Un critère absent des statistiques. Les chiffres d'une enquête relayée par la revue Sciences humaines (Sciences Humaines -Les Grands Dossiers n°18 France 2010, les grands défis Mars-avril-mai 2010) prenant en compte les détenus français selon la nationalité du père montrent que dans "51 % des cas, le père d’un détenu est né hors de France", ce qui ramène une certaine réalité crue. 

    Il n’est pas question de dire que délinquance et immigration seraient la cause de tout, mais on ne saurait nier, pour le moindre sociologue digne de ce nom, qu’il y a là un phénomène sur lequel travailler pour faire progresser les choses. On sait que les crimes et délits les plus graves reculent régulièrement alors que les délits du quotidien avec violence eux ne faiblissent pas, dont les cambriolages et les vols avec violences, les violences autour de la drogue et la délinquance autour de sa diffusion.

    On veut faire croire que le seul sentiment que l’immigration poserait, au-delà même de la question de la délinquance, des interrogations à la société française, serait se laisser aller au racisme, ce qui est faux et dangereux. Une opération qui tourne à la psychanalyse de bazar pour nier une réalité sérieuse qu’il faut absolument questionner pour trouver les réponses nécessaires afin d’aider de nombreux jeunes en difficultés à sortir de l’ornière. Ce n’est pas en niant les problèmes qu’on peut y trouver des solutions adaptées. Ce documentaire est de ce point de vue un cadeau empoisonné fait à l’opinion public autant qu’à ces jeunes eux-mêmes.

    Ce serait parce que les jeunes issus de l’immigration seraient la cible de la police qu’ils seraient plus en prison que les autres, dit le journaliste. Là, on touche le fond ! John Paul Lepers pour prouver ce qu’il dit prend l’exemple de la Seine-Saint-Denis, là où se situe la plus importante concentration de population d’origine immigrée et de pauvreté, mais tout cela serait le fait d’une police raciste. Une affirmation qui mériterait de la part du ministère de l’Intérieur une réaction, à tout le moins.

    Un modèle de propagande qui serait une sorte "d’idéaltype", comme cas d’espèce, pour des étudiants en communication.

    Xavier Raufer : Il faut définir préalablement de ce dont on parle, la criminalité et la délinquance des rues, pas celle des cols blancs. Il n’est pas question de faire des jugements de valeur, ces deux formes de criminalité sont tout aussi contestables, mais elles sont de forme différente.

    La criminalité dont nous parlons est celle qui rend la vie insupportable à la population : cambriolages, vols de toutes sortes, agressions, vols avec violence sans armes à feu, etc. Dans ces cas de figure, 7 de ces crimes sur 10 sont commis par des gens qui directement (la 1ère génération arrivée sur le territoire français, clandestins ou avec permis de séjour) ou indirectement (la seconde génération) sont issues d’une forme ou une autre d’immigration.

    Dans toute la France rurale ou suburbaine, soit 70 à 80% du territoire, on observe, rapport de la gendarmerie nationale à l’appui (été 2014), région par région que la criminalité des cités est un problème majeur, comme celle de la zone suburbaine plus globalement. Dans la campagne profonde, les vols sont le fait de nomades, sédentarisés (avec une carte nationale d’identité) ou nomades (ceux qui viennent des Balkans). Si vous retirez ces deux grandes catégories de criminels, 70% à 80% des infractions recensées disparaissent sur le champ dans un ensemble comprenant la périphérie des grandes villes, les grandes villes et les campagnes. Telle est la réalité.

    Atlantico : D'après les chiffres, les étrangers sont donc sur-représentés dans la délinquance ?

    Xavier Raufer : Récemment, des personnes comme Malek boutih, dans une émission, reconnaissait qu’il suffisait d’aller à la porte des prisons pour constater qu’il y a une surreprésentation de la population issue du Maghreb ou de zone subsaharienne dans la délinquance des rues. Il faut appeler les choses par leurs noms, quand on tire à la Kalachnikov sur un rival, c’est un crime, pas un délit, tout simplement. Pas besoin d’édulcorer les termes.

    Et surtout, le fait de reconnaître cette réalité est crucial, car tant que vous n’avez pas admis en tant que patient que le diagnostic est le bon, comment voulez-vous que le médecin vous soigne ? Ne pas admettre cela est un déni de justice et un pousse au crime.

    Atlantico : Qu'en est-il de son évolution dans le temps ? La délinquance étrangère (tous délits confondus) est-elle ou non en pleine expansion ?

    Xavier Raufer : Pour répondre, les seules agressions violentes connues et recensées ont dépassé la barre des 500 000 au cours de l’année 2013.

    Reste que rien ne permet de le savoir vraiment puisque les statistiques ethniques sont interdites. Qui a commis tel acte ? Ce n’est certes pas l’apocalypse, les Huns et Attilas ne sont pas en train d’envahir la France, mais s’agissant des délits et crimes les plus pénibles pour la population, les plus effrayants pour les gens qui ne vivent pas dans des quartiers favorisés, ce sont des actes qui augmentent soit se maintiennent à des niveaux dramatiquement élevés. Cela continue comme la veille et c’est insupportable. Pas besoin que les chiffres explosent.


    Atlantico : Le constat est-il le même du côté de la population carcérale ? En milieu carcéral ouvert, comme pour les personnes écrouées ?

    Xavier Raufer :  Ces chiffres sont évidents puisqu’on met de moins en moins de gens en prison. Depuis 3 ans, le nombre de gens incarcérés a diminué de manière drastique et les chiffres en question n’incluent pas les étrangers porteurs d’un passeport français.

    Je vous donne une réponse indirecte : l’imam de la mosquée de Lyon disait que dans la prison de Lyon, 70% des incarcérés étaient des fidèles musulmans. Et je rappelle que la proportion des convertis français représente globalement moins de 5%.

    Les chiffres avancés ne prennent en considération que les étrangers détenteurs de papiers d’identité ou passeports étrangers.

     

    Les gens ne sont ni fous ni idiots. Mao Zedong disait que "l’œil de l’ouvrier voit juste" et il avait tout à fait raison. Quelqu’un qui se fait agresser par un étranger maghrébin ne va pas prétendre qu’il s’agit d’un Norvégien.

    Atlantico : Dans ces conditions, comment expliquer cette tendance à nier la réalité chiffrée dans son ensemble ?

    Xavier Raufer : Rien n’enrage plus une population que de douter des constats qu’elle pose.

    Les élites ont en définitive une profonde horreur de la réalité. L’être humain est ainsi, il préfère tout à la réalité. Clément Rosset a d’ailleurs écrit cette phrase merveilleuse : la réalité est insupportable et irrémédiable. L’être humain éprouve une détestation violente pour la réalité, parce que cette dernière est qu’il va mourir un jour. Ce que vous soulevez n’est qu’une des innombrables facettes de ce déni de réalité. C’est quand c’est grave que les gens rejettent le réel.

    C’est très classique, cela a toujours été. A Byzance, les Turcs étaient sur les murailles et les dirigeants ne voulaient pas être interrompus sur leurs conversations à bâtons rompus sur le sexe des anges, beaucoup plus intéressantes.

    Atlantico : En niant certaines facettes de la réalité au profit d'autres, font-ils finalement état d'une forme de logique raciste inversée ou simplement d'un déni de réalité et de justice ?

    Xavier Raufer : Tout le monde a le droit de s’exprimer, mais avec le reportage de Jean-Paul Lepers, ils ont marché sur les dents du râteau et vont se recevoir le manche sur la figure. Naturellement, les gens ne peuvent pas supporter qu’on les tienne pour des imbéciles au point de ne pas se rendre compte qu’on reste dans le déni.

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • Politique : la force de la violence ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Yves Le Gallou, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la force, toujours actuelle, de la violence dans la lutte politique...

    Cocktail Molotov.jpg

    Echec de LMPT, victoire des « zadistes » : la force de la violence

    La Manif pour tous a fait descendre dans la rue des centaines de milliers de personnes. C’est une formidable réussite sociétale : à terme, la génération 2013 remplacera la génération 68. Mais c’est un échec politique.

    En interdisant à leurs troupes, le 24 mars 2013, de descendre sur les Champs-Élysées (et en condamnant ceux qui s’y sont retrouvés), les dirigeants de LMPT ont permis le vote de la loi Taubira. En se félicitant de l’absence de tout incident le 5 octobre 2014 (et en collaborant avec la préfecture de police contre les « trublions » possibles), les dirigeants de LMPT ont donné quitus au gouvernement pour ses mauvaises actions ; tout en lui donnant un feu vert pour démanteler le principe d’universalité des allocations familiales. En deux ans, jamais autant de mesures antifamiliales n’ont été adoptées.

    Les « zadistes », les occupants illégaux de terrains menacés par des projets d’aménagement, sont moins propres sur eux que les manifestants LMPT et beaucoup moins nombreux : quelques centaines d’activistes, quelques milliers de manifestants à Sivens, quelques dizaines de milliers à Notre-Dame-des-Landes.

    Mais leurs violences ont débouché. À l’arrêt du projet d’aéroport après l’action des « casseurs » à Nantes. À la suspension du barrage dans le Tarn après la mort de Rémi Fraisse, dans le cadre d’une action pourtant normale de rétablissement de l’ordre par la gendarmerie. Je me réjouis, pour ma part, de ces retraits : en luttant contre l’artificialisation infinie des sols français, les « zadistes » défendent de facto nos paysages et notre patrimoine, et par là même …l’identité de la France. Comme les « terroristes » corses l’ont fait en retardant le bétonnage de leur île.

    Reste que c’est deux poids, deux mesures. Une action bon enfant contre le « mariage gay » devient aux yeux des médias un « débordement violent de l’extrême droite ». Et il devient interdit de contester l’application de la loi Taubira : « une loi de la République » que maires UMP et FN mettent en œuvre scrupuleusement. En revanche, les actions infiniment plus violentes des « zadistes » bénéficient de l’indulgence des médias. Et José Bové les justifie au nom de la « désobéissance civique ». Un terme qui n’est pas sans force et qui rappelle Antigone. D’autant qu’aujourd’hui la démocratie dite « représentative » a été détournée par les lobbys. La conclusion est sans appel. À l’aube du XXIe siècle, la violence illégale, mais parfois légitime, reste un acteur majeur des décisions politiques. On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs.

    Jean-Yves Le Gallou (Boulevard Voltaire, 6 novembre 2014)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 1 commentaire Pin it!
  • Essais sur la violence

    « II est grand temps d’apprécier ce qu’on peut appeler pour l’immédiat la violence, ou la dissidence, comme un élément structurel du fait social, et non comme le reliquat anachronique d’un ordre barbare en voie de disparition. »

     

    Les éditions du CNRS viennent de rééditer en collection de poche l'ouvrage de Michel Maffesoli intitulé Essais sur la violence. Sociologue, ancien élève de Julien Freund et de Gilbert Durand, et penseur de la post-modernité, Michel Maffesoli est l'auteur de nombreux ouvrages marquants comme La violence totalitaire (1979), L'ombre de Dionysos (1982), Le temps des tribus (1988) ou La part du diable (2002). Il a récemment publié, avec Hélène Strohl, Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014).

     

    Essais sur la violence.jpg

    " Comment comprendre l’ambivalence de la violence, son aspect polyphonique, la fascination qu’elle ne manque pas d’exercer, et sa constance dans les histoires humaines ? Sans donner une solution unique, Michel Maffesoli entend faire ressortir les aspects institutionnels de la violence, insister sur sa dimension fondatrice, et montrer qu’on peut la voir à l’oeuvre dans la résistance banale de la vie de tous les jours. Il est vrai que cette mystérieuse violence nous obnubile, occupe notre vie et nos débats, tarabuste nos passions et nos raisons. Mais peut-être est-elle préférable à l’ennui mortifère d’une vie aseptisée. "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Quand la peur pathologique de la stigmatisation vire à l'aveuglement...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien, cueilli sur Atlantico et consacré à la montée de la violence en France, avec Alexandre Baratta, psychiatre et expert en justice,  Guylain Chevrier, enseignant et docteur en histoire, et Tarik Yildiz, chercheur en sociologie politique et auteur de l'essai intitulé Le racisme anti-blanc - Ne pas en parler: un déni de réalité.

     

    Politique de l'autruche.jpg

     

    Ce qu’on dit et ce qu’on ne dit pas sur le lynchage... Quand la peur pathologique de la stigmatisation vire à l’aveuglement

    Atlantico : Alors que les condamnations du lynchage d'un jeune Rom de 16 ans à Pierrefitte sur Seine ont été nombreuses et unanimes, aucune trace de mise en perspective du contexte et de l'environnement dans lequel cette agression a eu lieu. Aucune mention n'est faite du climat de violence qui peut généralement régner dans cette ville de Seine-Saint-Denis. Pourtant  les témoignages et faits divers ne manquent pas : gynécologue ou journalistes agressés, tirs de mortiers sur des CRS... Le degré de barbarie de l'acte commis est-il vraiment sans lien avec l'environnement violent dans lequel il a été perpétré ? Un tel acte aurait-il pu avoir lieu dans n'importe quel endroit en France ?


    Guylain Chevrier : On se demande de quoi l’on parle effectivement, alors qu’il n’est ici aucunement question de stigmatisation pour expliquer la cause de ce lynchage épouvantable. C’est plutôt l’argument massue qui sert un discours qui soigneusement élude le questionnement sur les véritables causes de ce type d’acte. Des actes d’une violence qui choquent l’opinion en n’ayant plus de limite et marquent de plus en plus les quartiers sensibles de la banlieue. Ce qui vient de se passer est le reflet d’une dégradation abyssale du lien social qui lui, a bien des causes.
    On apprend que ce lynchage a été la conséquence d’un cambriolage, commis par le jeune Rom qui en a été victime, dans un appartement d’une cité proche qui aurait concerné l’un des membres d’une bande locale qui aurait vu rouge. On a ici les ingrédients de ce qui en ce moment s’installe dans le paysage de certaines banlieues, selon un mode qui se généralise. On voit se développer une logique de bandes et de communautés, avec une ethnicisation même parfois des quartiers, qui pose déjà potentiellement le risque de ce genre de basculement dans une violence qui n’a pas de limite. Il s’y développe un rejet de l’autre sur le fondement des codes propres à chaque communauté, pouvant à tout moment se traduire par des violences intercommunautaires, ou entre groupes rivaux. Le territoire devient alors un enjeu de rivalité dans l’occupation de l’espace qui n’a plus rien à voir avec la nation mais avec des zones dont des groupes d’intérêts particuliers concurrents prennent, sous une forme ou sous une autre, possession, en se croyant en situation de faire leur loi. Il est évident que certains quartiers, certaines villes et départements sont plus marqués par la concentration de ces phénomènes, qui vont avec ce type de logiciel se définissant entre dégradation sociale profonde, phénomène de bandes et multiculturalisme local.
    Une situation que l’on doit pour une part à un échec de l’intégration de trop d’enfants d’immigrés qui n’ont pu trouver leur place dans la société française et en viennent même à en rejeter les valeurs, le modèle, par perte de signification. On joue même trop souvent sur une promotion des communautés qui va avec un repli communautaire que l’on peut penser donner des facilités pour gérer certains phénomènes d’exclusion, et ce, de façon totalement erronée. Cela se retourne vite contre la société en se manifestant par un recul du sentiment d’appartenance et un rejet du pays d’accueil ainsi que de ses lois. On peut même en arriver à une délinquance qui se justifie par le rejet de la loi française pour ceux qui s’identifient à une communauté qui ne la reconnait déjà pas.


    Alexandre Baratta : Dans ma pratique d’expert judiciaire portant sur les régions Alsace, Lorraine et parisienne, je suis régulièrement confronté aux affaires de violences de toutes sortes. Dont la fréquence et la cruauté atteint un niveau de banalité déconcertant. Règlements de comptes au pistolet automatique ; home-jacking avec séquestration du locataire du logement pouvant aller jusqu’à la torture et actes de barbarie (crâne défoncé à coups de pelle), agressions gratuites à l’arme blanche dans les transports en commun... Le lynchage du jeune Rom de 16 ans aurait pu survenir n’importe où en France, pour la simple raison que de tels faits surviennent régulièrement partout en France. Souvenons-nous de l’octogénaire de 89 ans séquestrée chez elle à Bar-le-Duc en octobre 2013, battue, puis enfermée dans sa voiture et jetée dans le canal. Souvenons-nous des 3 jeunes ayant séquestré chez lui un vieillard à Montigny-les-Metz avant de le torturer jusqu’à entrainer son décès en avril 2012.

    De telles violences se produisent régulièrement en France, sans qu’elles ne connaissent la même couverture médiatique. J’y suis confronté en moyenne deux fois par semaine dans le cadre de mes missions d’expertises judiciaires. Bien entendu, de tels actes de violence sont plus régulièrement observés dans des quartiers à risque, de véritables zones de "non-droit". La Seine Saint Denis en fait partie. Le point commun  de ces zones : une grande précarité, le désengagement de l’Etat (grande précarité, absence de politique sanitaire et criminologique efficace).
    Il est remarquable de souligner la gradation grandissante des actes de cruauté, chez des délinquants et des criminels de plus en plus jeunes. Il n’est pas rare de voir des adolescents de 14 ans auteurs de violences gratuites particulièrement sordides.


    Tarik Yildiz : Il y a un environnement qui est plutôt violent, et ce n’est pas uniquement Pierrefitte. C’est quelque chose qui est assez caractéristique de ce qui se passe aujourd’hui en France. On a de plus en plus de zones qui, par le passé, pouvaient être localisées uniquement dans les cités, et qui maintenant prennent de l’ampleur dans les banlieus des grandes aglomérations (Paris, Marseille, Lyon, Strasbourg, etc) et on a une atmosphère faite de violences, qui peut être de la petite délinquance. Ce sont les vols à l’arrachée, les violences aux personnes, des agressions a répétition. C’est très courant à Pierrefitte, notamment sur la Nationale 1 qui passe à proximité de la cité et quasiment chaque jour il y a des gens qui se font agresser avec leur voiture, avec un bris de glace, et après ils volent des sacs à main. cela arrive quotidiennement. J’ai pu le constater à plusieurs reprises.
    Mais pour moi le problème est vraiment global, et ce n’est pas pour minimiser ce qui se passe à Pierrefitte, mais malheureusement ça peut se passer aujourd’hui dans beaucoup d’endroits en France, et de plus en plus. Cela peut arriver dans ce qu’on appelle les "banlieues", c’est-à-dire les banlieues plutôt pauvres des grandes agglomérations françaises. Dans ces endroits je pense que ça peut se passer partout, particulièrement dans les quartiers et les villes difficiles. Il n’empêche que c’est d’autant plus inquiétant que le problème n’est pas borné à une seule zone en particulier et que, au contraire, il est en train de progresser un petit peu partout. Ajoutons que la démission perçue de l’Etat favorise les règlements de comptes en direct.


    En avril 2010, un habitant de Pierrefitte sur Seine avait signé sur le site Mediapart un billet de blog dénonçant les œillères des élus sur la progression de la violence dans les cités difficiles. Peut-on parler d'un aveuglement collectif sur cette question ? Par peur de stigmatiser certaines populations, en vient-on à refuser de regarder en face leur réalité, au détriment finalement des plus faibles d'entre eux ?


    Guylain Chevrier : On laisse les choses se dégrader actuellement en envoyant comme seul message de ne pas stigmatiser les populations en question sous prétexte de victimisation. On le fait, de plus, sous le signe d’un recul constant des sanctions face à des actes graves, parlant de substituer systématiquement à la prison des peines alternatives qui maintiennent les individus en cause dans leur milieu ordinaire aménagées de quelques contraintes, comme le prévoit en le généralisant la réforme pénale de la garde des Sceaux, Mme Taubira. Ainsi, quel message délivre-t-on ? "Allez-y, continuez !", parce que l’on ne veut pas ou l’on n’est pas en situation de leur dire,  "arrêtez !", on va vous proposer autre choses, une société qui vous permette de trouver votre place, mais avec des exigences et des obligations qui soient les mêmes pour tous.
    Le discours laxiste actuel en matière de répression des délits a à voir avec une perte de considération pour ceux dont les conditions sociales les exposent plus que les autres au risque de la délinquance. Ce contexte est comme une invitation à un piège qui se referme sur eux. Il faut en réalité changer complètement de philosophie en se ré-intéressant à ce qui fait le bien commun, dont le respect de la loi égale pour tous est une dimension essentielle.
    Les mineurs aujourd’hui sont, lorsqu’ils commettent des actes de délinquance, trop souvent confrontés à une absence de réponse rapide et proportionnée, capable de leur  faire prendre conscience de la responsabilité de leurs actes. Les réponses prennent de longs mois avec des sanctions qui ont souvent peu de signification dans la façon dont elles sont mises en œuvre, tels les "travaux d’intérêt général", les fameux TIG. Aussi, ce manque de réponse est bien connu des jeunes, un phénomène qui se collectivise sous la forme d’un laisser-faire qui est pris pour un laissez-passer aux lourdes conséquences, car les premières victimes de ce laxisme sont les jeunes en risque de délinquance eux-mêmes, et leurs futures victimes.


    Alexandre Baratta : En effet, la France se caractérise par une peur de la stigmatisation. Il s’agit même d’un leitmotiv particulièrement prégnant : "il ne faut pas stigmatiser…". Un discours similaire est retrouvé dans le cas de la schizophrénie : il est de bon ton d’affirmer que les personnes souffrant de schizophrénie ne sont pas plus dangereuses que les autres, et qu’il ne faut pas les stigmatiser. C’est faire fi des données criminologiques : la schizophrénie multiplie le risque de violence par deux ; risque multiplié par neuf si elle s’associe à la consommation de stupéfiants.
    Le même déni de réalité se retrouve face aux phénomènes de violences dans les zones urbaines dites à risques.


    Tarik Yildiz : je pense qu’il y a surtout un aveuglement des élites au sens large. Il s’agit d’une certaine caste politico-médiatique. En revanche, les gens sur le terrain, quand on les interroge, ne sont pas dupes du tout et d’ailleurs les habitants de ces villes-là sont les premiers à se plaindre et à faire remonter des choses, que ce soit à la mairie, au commissariat ou ailleurs. Au quotidien, quand on discute avec les uns et les autres, et même dans les enquêtes d’opinion, on se rend compte que les préoccupations majeures des gens, ce sont des questions liées à la petite délinquance et à la sécurité en général. C’est donc quelque chose de très ancré dans la population, qui est devenu un sujet majeur. En revanche, cela ne se traduit jamais par des actes au niveau politique d’une part, et dans le traitement médiatique de l’autre. Je crois que c’est dramatique parce que, étant donné qu’on ne pose pas le constat de façon sereine, on n'arrive pas à répondre aux problématiques, et c’est ce qu’il y a de plus dangereux.

    Cette situation existe forcément au détriment des plus faibles. les premiers concernés, ce ne sont pas les gens qui vivent dans les beaux quartiers, les gens qui ont une vie confortable. Ce sont tous les autres, c'est-à-dire une grande majorité des Français. Ensuite, il peut y avoir en arrière-plan la peur de stigmatiser certaines populations, mais c’est une culture politique qui s’est un peu installée en France, qui fait qu’on est toujours très frileux avec ces questions. D’une part, parce que tous ceux qui véhiculent cette culture ne vivent pas cela au quotidien. On s’aperçoit que parmi les sociologues, parfois les responsables associatifs, l’élite politique, la presse , etc.

    Ces gens qui véhiculent ces craintes ne vivent pas au jour le jour dans ces quartiers-là. Ils sont loin de cette réalité. Du coup, parfois ils sont de bonne foi et pensent que ceux qui utilisent ces questions-là le font avec de mauvaises intentions, parfois pour imposer une théologie. On n'arrive pas à avoir un débat serein en se disant qu’il y a de vraies préoccupations, majeures, et qu’il faut écouter les gens. Il y a effectivement d’autres craintes. Traditionnellement en France, on fait des liens entre la condition sociale et les actes de délinquance. C'est une conception un peu marxiste consistant à dire que si on a des problèmes c’est parce qu’on est pauvre, ce qui peut parfois se défendre, mais c’est devenu systématique dans la culture politique française.


    Quel prix payons-nous pour cet aveuglement ? Comment est-il instrumentalisé par ceux qui, dans ces territoires, ont intérêt au maintien de zones de non droit ?


    Guylain Chevrier : Les peines-plancher ont été supprimées, ainsi que les tribunaux correctionnels pour adolescents de 16 à 18 ans, la garde des Sceaux en appelle même à moins de répression encore. Mais qu’a-t-il été mis à la place, rien ! Le précédent président de la République avait supprimé ses moyens d’agir à la Protection judiciaire de la jeunesse, la majorité actuelle qui gouverne n’a pas réinvesti de moyens dans ce domaine. Si l’on veut garantir le primat de l’éducatif sur le répressif, il faut s’en donner les moyens et penser leur utilisation de telle façon que cela n’apparaisse pas comme un simple pis-aller, mais bien comme une politique de lutte contre la délinquance des mineurs. Il faut une politique d’action  éducative qui soit à la mesure des enjeux, ce qui n’est absolument pas le cas aujourd’hui ! Que ce soit du côté des moyens ou du projet, on en reste à une idéologie d’accompagnement de la situation qui fait des délinquants d’abord des victimes des dysfonctionnements sociaux, dont l’argument atteint aussi ses limites, et ne saurait amener à faire l’économie de réponses cohérentes qui rappellent à la loi.
    Nous sommes tout simplement en plein laxisme et désengagement de l’Etat de l’une de ses missions essentielles, la justice, ce qui conduit à ne plus respecter non seulement l’Etat mais par voie de conséquence la société, les autres. Lorsqu’on se fait respecter, on inspire le respect, on en fait une valeur collective de référence attractive. Ces jeunes des banlieues le savent bien, pour lesquels l’usage en est fait à coups de rapports de forces, à défaut que la société leur délivre un autre message.

    "L'excuse de minorité" - le principe selon lequel les peines applicables aux mineurs sont plus faibles, pour les mêmes faits, que celles visant les adultes - doit être maintenue. Mais aller uniquement dans ce sens pour ne pas sanctionner, lorsque l’on a affaire à des multirécidivistes, c’est tout simplement encourager la généralisation de ces faits pour des milliers de jeunes. C’est l’encouragement d’un modèle inspiré de ceux qui en ont déjà franchi le pas, à ne pas avoir eu à temps les réponses appropriées leur faisant percevoir l’intérêt de la loi, sa valeur de protection pour tous, le bien commun précieux qu’elle représente en dehors duquel aucune vie sociale n’est viable. C’est tout simplement la garantie des libertés individuelles et de la démocratie dont cet enjeu résonne.


    Alexandre Baratta : Le prix à payer est lourd, avec absence de politique de répression adaptée ; ainsi qu’une politique de prévention inadaptée (suivis addictologiques mis en échec avec les agressions des médecins par exemple). Nous précisons à ce sujet qu’en matière de criminologie, la France a un retard considérable par rapport à ses voisins européens et autres pays anglo-saxons.
    Les principales victimes sont les habitants de ces zones. Mais ne nous y trompons pas : ces zones urbaines sensibles ne doivent pas nous faire oublier que de nombreuses violences se produisent chaque jour sur le territoire ; avec une augmentation galopante de leur fréquence et de leur gravité.
    Pour s’en rendre compte, il suffit de vérifier le nombre d’agressions des personnels soignants dans les urgences de zones non étiquetées comme sensibles. Ces agressions, pouvant être graves, sont quotidiennes, et tendent à se banaliser.


    Tarik Yildiz : Etant donné que l’on ne pose pas le constat, on n'apporte pas les solutions adéquates. on ne prend pas le problème à bras le corps. On ne veut pas voir qu’il y a une certaine jeunesse qui est en manque d’autorité, qui veut des limites, où il y a besoin parfois de sanctions, de règles , de sanctions qui fixent une sorte d’ordre dans la société. C’est un grand problème parce que ces jeunes-là percoivent l’état en général comme étant mou. Dans ces âges et ces conditions-là, les jeunes testent les limites et ils vont de plus en plus loin dans la petite délinquance, et puis quand ils sont condamnés pour la quinzième fois ils font un petit passage en prison mais c’est presque considéré comme quelque chose de valorisant, parfois. C’est une culture qui s’est installée, et étant donné qu’on n'a pas posé le bon constat au départ, on n'arrive pas à trouver des réponses qui soient vraiment adéquates. Cela amène à des problématiques assez graves. C’est pour cela que ce qui s’est passé à Pierrefitte peut se passer autre part, dans le même contexte, et cela est voué à progresser.


    La force publique est accusée de démission. En quoi cette démission est-elle la conséquence de cet aveuglement ? Refuse-t-on de se donner les moyens de lutter ?


    Guylain Chevrier : La police ne peut jouer son rôle et être elle-même respectée, qu’à la condition de représenter une société qui se fait respecter et qui en même temps délivre un message de respect. Est-ce bien la meilleure façon de respecter ces jeunes que d’organiser ce laxisme, n’est-ce pas leur dire ainsi qu’ils ne valent finalement rien à nos yeux si on les laisse faire et s’enfoncer dans la délinquance au lieu de leur dire fermement et avec bienveillance "arrêtez" ! ? Dire non, c’est envoyer ce message qu’ils ont de la valeur aux yeux de la société et qu’elle tient à eux, et refuse de les laisser toucher le fond.
    Il faut évidemment aussi se donner les moyens de l’accompagnement éducatif et social de ces jeunes et de leurs familles. Faut-il encore ne pas non plus favoriser le regroupement de populations socialement sinistrées, sous prétexte de conditions sélectives d’accès au logement social  qui conduisent à une homogénéisation et à l’enfermement, à la ghettoïsation, au lieu de la mixité sociale qui est un facteur essentiel de la cohésion sociale, en favorisant cet équilibre du vivre ensemble qui s’y nourrit.


    Alexandre Baratta : Lorsque la force publique est incapable d’assurer la protection de ses propres agents (contrôleurs de train agressés ; pompiers caillassés ; véritables embuscades organisées contre des patrouilles de police) ; comment serait-elle en mesure d’assurer la protection du citoyen lambda ? Surtout lorsque celui-ci vit dans une zone urbaine gangrenée par une économie parallèle basée sur le trafic de stupéfiants ? Mais la priorité est ailleurs, parce qu’il ne faut surtout pas stigmatiser, toujours le même leitmotiv récité tel un mantra.


    Tarik Yildiz : Il y a une démission qui n’est pas assumée dans la mesure où il y a des problèmes très graves de délinquance qui se passent un peu partout en France, et cela ne date pas d’hier. tous les gouvernements y ont participé. C’est un problème très profond, et en réponse, on a de temps en temps des acteurs associatifs qui sont complètement à côté de la plaque parce que la jeunesse face à eux a besoin de repères, de choses fixes et d’ordre, et c’est dans ce sens qu’on ne veut pas évoluer. Si on a peur de donner une sanction très rapidement de manière efficace, c’est un problème. En fait, c’est toute la chaîne qui est à revoir, donc il faut un minimum de courage pour le mettre en place.
    Il y a certes l’aspect policier au départ - ils font ce qu'ils peuvent avec les moyens qu’ils ont -, et ensuite il y a le passage devant la justice, qui est long et fastidieux. Ensuite, à la première ou à la deuxième condamantion, cela ne se traduit pas forcément par une peine de prison, et puis les juges préfèrent ne pas envoyer ces jeunes en prison parce qu’ils considèrent, à juste titre, que quand ils vont en prison ils ressortent pires que lorsqu’ils sont rentrés. C'est l'effet "école du crime", quand ils vont en prison ils se radicalisent en devenant parfois des extrémistes islamistes, et certains s’en sortent en ayant appris d’autres techniques de cambriolage, etc.

    C’est toute la chaîne qui est à revoir. Il faudrait, par exemple, construire de nouvelles places de prison pour que les conditions soient décentes et qu’il n’y ait plus d’école du crime. Il faudrait apporter une réponse juste et très rapide de la justice au premier acte de délinquance. C’est très important. Et donner plus de moyens d’agir. C’est toujours la même chose, mais tant qu’on n'ira pas dans ce sens-là, avec des réformes, eh bien malheureusement on ne pourra pas avancer sur ce dossier-là et on ne pourra pas s’en sortir.


    Cet aveuglement ne se limite pas aux causes de la violence. Comment se manifeste-t-il dans les domaines de l'échec scolaire ? Avec quelles conséquences ?


    Guylain Chevrier : L’échec scolaire est lié à un manque évident de perspective mais aussi à ce laxisme devant l’exigence du respect de la loi, qui incite à son contournement et à la facilité du décrochage à la faveur des phénomènes de bandes. La baisse des exigences scolaires sous prétexte d’intégrer tout le monde, comme si tout tirer vers le bas allait le permettre, est un autre aspect de la dévalorisation de l’école. Le recul progressif de la culture générale et de l’histoire en nombre d’heures allouées, dans les programmes scolaires, est de ce point de vue significatif. La volonté d’intégrer la diversité des populations jusqu’à en abaisser les exigences, tout en développant des programmes où on encourage l’enseignement des religions et des cultures d’origines, est-elle bien la bonne voie ?
    L’enseignement des valeurs de la république devrait être pris bien plus au sérieux à condition qu’on leur donne le sens d’une réussite pour tous qui implique l’effort, l’élévation de soi et donc l‘estime de soi. Nous verrons de ce point de vue les résultats de ce qu’a mis en place le précédent ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, autour de la Charte de la laïcité à l’école, qui n’est pas à négliger. La décision de l’actuel ministre de l’éducation Benoît Hamon, de laisser à l’appréciation des établissements scolaires au cas par cas l’accompagnement des sorties scolaires par des mères voilées, contre le sens de la mission laïque de l’école qu’elle s’exerce à l’intérieur de ses murs ou à l’extérieur, est un très mauvais signe quant au respect de ces valeurs et particulièrement de notre République laïque. C’est un signe qui va à l’inverse de l‘intégration et des valeurs qui devraient la porter. C’est aussi encourager le malentendu entre les populations de quartiers marquées socialement ou/et par la diversité culturelle et le reste de la population française, avec tous les dangers de rupture que cela constitue, y compris sur le plan du décrochage politique et de la promotion des extrêmes.

    Tarik Yildiz : Sur le volet éducation, il y a moins de conséquences à court terme, davantage à long terme. On a créé une génération qui arrivait à faire des études, sans aller très loin, mais il y aussi toute une partie de la population qui décroche complètement du système scolaire, et c’est parfois les mêmes personnes que l’on retrouve dans la délinquance. Et puis, même quand il y a un certain niveau, celui des collèges, et des lycées dans une moindre mesure dans ces zones là, cela pose un gros problème. Les différences de niveaux sont extrémement fortes et notables, l’écart n’était pas aussi important il y a encore 20 ans. Aujourd’hui il existe donc une France à plusieurs niveaux avec des gens qui vont avoir une autre culture, d’autres codes, avec une culture "au rabais", où on va essayer d’adapter la connaissance en fonction des gens que l’on a en face de soi, et cela a des conséquences désastreuses. Cela se voit particulièrement dans les collèges, où violence plus échec scolaire donnent des résultats très inquiétants.


    Et en matière d'échec de l'intégration, de chômage, de lutte contre la pauvreté ?


    Guylain Chevrier : La lutte contre les exclusions passe par plus d’intégration sociale, dont la condition est la réduction des inégalités, alors que celles-ci ne font que se creuser. Pour lutter correctement contre l’exclusion sociale il faut aussi avoir un projet de société qui se tienne et réponde aux grands besoins sociaux et permette, au-delà de la grande cause économique, à chacun de trouver à se réaliser, à se sentir de la valeur, que la société s’intéresse à tous.
    Pour autant, la question économique n’est pas la seule en jeu. C’est pour cela qu’il faut rejeter la tendance à vouloir en passer aujourd’hui par la logique de "l’inclusion sociale", qui considère l’intégration économique comme une fin en soi jusqu’à utiliser pour cela le relai communautaire, en oubliant les valeurs qui conditionnent de se sentir appartenir à une même société. La notion d’intégration sociale a une portée plus large qui implique l’accession à un corpus de valeurs communes dans lesquelles tous se reconnaissent, car aucune société ne peut être une simple addition de différences.
    C’est aussi un signe fort à envoyer à la diversité des populations qui vivent sur le territoire commun. Il y a danger à encourager le repli communautaire à travers un clientélisme politique qui joue sur les revendications identitaires comme mise en jeu de l’influence électorale. Cela pousse dans le sens de la division du corps social et politique, qui provoque des ruptures qui elles aussi ont leurs conséquences sur la montée de la violence dans les quartiers. Il en va avec cela tout particulièrement de la cohésion sociale, c’est-à-dire du degré de la reconnaissance qui est celui des citoyens dans leurs institutions, dans notre République, sa promesse d’égalité et de solidarité sociale.


    Alexandre Baratta : L’échec scolaire, tout comme le chômage sont des avatars des phénomènes de violences grandissants. Nous savons depuis fort longtemps qu’une désinsertion socio-professionnelle, l’absence de qualification diplômante sont des facteurs de risque de délinquance. Il s’agit donc de leviers d’actions  efficaces dans une politique de lutte contre la délinquance, au même titre que les sanctions pénales de type répressif.
    Le problème des zones urbaines sensibles provient des économies parallèles. L’un des exemples est cet auteur d’homicide récemment  examiné en expertise. Déscolarisé à 16 ans, il a débuté une carrière de dealer en vendant du cannabis. Avec un bénéfice mensuel de 3000 euros, nets d’impôts. Il n’a jamais travaillé de sa vie. Lever entre 10h et 11h, son activité commerciale est effectuée l’après-midi ; pour ensuite consacrer la soirée à des sorties festives jusque tard dans la nuit. Aujourd’hui âgé de 34 ans, comment lui proposer une insertion sociale cohérente avec un projet professionnel incertain, nécessitant plus d’efforts pour un salaire divisé par 3 ? En passant par une  lutte contre cette économie parallèle, omniprésente dans les banlieues. Mais attention : la pauvreté n’est pas l’une des causes de la violence : elle en est davantage la conséquence.


    Tarik Yildiz : L’échec de l’intégration est très lié à l’éducation et à la violence. Je suis persuadé que si on règle ces deux questions en montrant un Etat fort sur ces deux volets-là, on aura gagné le pari de l’intégration. Pour le chômage je ne pense pas que ce soit l’Etat qui décrète de le supprimer. Ce sont des choses qui sont autrement plus complexes. Il y a des taux de chômage qui sont très importants dans d’autres zones en France, notamment dans certaines zones rurales. C’est un problème plus général et il y a des moyens qui sont mis à disposition pour aider l’emploi dans les ZUS, etc. Le chômage est un levier commun à un ensemble de la société. Faire des politiques différenciées vis-à-vis de ces populations, c’est un échec en soi.


    Guylain Chevrier, Alexandre Baratta et Tarik Yildiz (Atlantico, 18 juin 2014)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • Laurent Obertone : le retour...

    Les éditions Ring nous annonce le retour de Laurent Obertone dans les librairies pour janvier 2015 avec une nouvelle enquête et une édition mise à jour de La France orange mécanique...


    LAURENT OBERTONE : DEUX LIVRES EN JANVIER 2015 par Editions_Ring

    Lien permanent Catégories : Infos 0 commentaire Pin it!