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violence - Page 13

  • Que peut (vraiment) faire la police ?...

    Le nouveau numéro du Choc du mois, daté de février-mars 2011, est disponible en kiosque. On pourra lire un premier dossier consacré à la lutte contre l'insécurité, comprenant, notamment, un entretien avec Sébastien Roché. Un deuxième dossier est consacré à la peur de la fin du monde... Et on retrouvera comme toujours, les rubriques "Monde", "Société" et "Culture"...

    Bonne lecture !

     

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    Au sommaire :

    Le bloc-notes de François-Laurent Balssa

    Monde

    Reportage : La jeunesse néofasciste déferle sur l’Italie

    Offensive américaine en Afrique

     

    Société

    Cocaïne : de la jet-set aux cours de lycées

    Repenser le patriotisme économique

    Jacqueline de Romilly : La leçon de grec

    Le prince Charles, vice-roi de l’écologie

    Chronique : Simone veille

     

    Dossier : Que peut (vraiment) faire la police

    Entre les idéologies politico-médiatiques

    Le mauvais polar de la chasse aux flics

    Reportage avec la BAC

    Pourquoi les politiques ne pensent pas la sécurité ?

    Mais de quoi parle-t-on ?

    Entretien avec Sébastian Roché

    Libre propos sur les violences urbaines

     

    Dossier: La fin du monde

    L’apocalypse molle : Entretien avec Nicolas Bonnal

    Ce que disent les philosophes

    Pourquoi on a tort d’avoir peur : Entretien avec Jean de Kervasdoué

    Pourquoi on a raison d’avoir peur : Entretien avec André Lebeau

    Armageddon attacks !

    Vivement 2013 : Entretien avec Alexandre Rougé

    Ces menaces dont personne ne parle

     

    Culture

    Essais

    La ligne féconde

    Les cartouches d’un tireur d’élite

    Littérature

    La petite musique de Paraz

    Chronique : Miracle en Roumanie

    La première contre-révolution

    Hommage à Georges Haldas

    Richard Millet : Leçon de ténèbres pour le roman

    Exposition

    Vasari avait tort

    Arts

    Riche Moisson

     

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  • Le droit de porter une arme !...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte fort intéressant, cueilli sur le blog de Laurent Schang, écrit par Bernard Wicht, géopoliticien et historien suisse, auteur notamment de L'OTAN attaque (Georg, 2000) ou de Guerre et hégémonie (Georg, 2002). Cet auteur , à l'occasion d'un référendum organisée le 13 février 2011 en Suisse, autour d'un projet visant à réduire le droit des citoyens à posséder une arme, prend position sur cette question...

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    Le « port d’arme citoyen » et le nouvel équilibre de la terreur

    Dans moins d'un mois nous sommes appelés à voter sur une initiative tendant à limiter fortement l'accès et la possession d'armes par les particuliers. La motivation principale des initiants est d'augmenter la sécurité des habitants de notre pays et de limiter les suicides et la violence domestique.
    On peut adhérer ou non à ces arguments, mais force et de constater que la violence fait peur et que nos sociétés contemporaines veulent l'éradiquer du champ des relations humaines. Historiquement les groupes sociaux se sont toujours méfiés de la violence, en particulier intestine, et ont cherché par tous les moyens à la canaliser pour en éviter les débordements[1]. Or c'est là que l'on peut déjà relever une différence importante entre notre comportement actuel vis-à-vis de la violence et celui répertorié aux autres périodes de l'histoire : auparavant on cherchait à la « canaliser » (c.à.d. à en contrôler les effets), aujourd'hui on veut l' « éradiquer » (c.à.d. la supprimer purement et simplement). Nos sociétés post-modernes, post-industrielles et post-nationales ne considèrent plus la violence comme un phénomène social qu'il faut gérer avec la plus grande précaution, mais comme un mal absolu à bannir au même titre que les hérésies au Moyen Âge.
    D'où vient ce changement d'attitude, cette idée collective que nous pourrions désormais vivre dans un monde sans violence régie par la tolérance ? Car c'est bel et bien de cela dont il s'agit en l'espèce : alors que l'initiative parle de limiter les suicides, paradoxalement l'idée de suicide assisté (association EXIT) et d'euthanasie active (voir le récent acquittement de la médecin cantonale de Neuchâtel ayant pratiqué un tel acte) se propage et recueille de plus en plus de soutien. Il en va de même de la légalisation croissante de l'avortement depuis quelques décennies. Ces contradictions soulignent ce changement d'attitude de nos sociétés au point qu'il est possible de parler de rupture par rapport au passé : en cherchant à éradiquer la violence, on ne veut pas nécessairement protéger la vie ! Le paradoxe est frappant et semble indiquer qu'à ce sujet, nous nous situons aujourd'hui plutôt dans le domaine de l'émotionnel que du rationnel : un peu selon le refrain « peu importe la mort, pourvu qu'elle soit douce » (on pense ici à la chanson de Georges Brassens, « mourir pour ses idées, oui mais de mort lente »).
    À partir de ce premier constat, on débouche sur deux questions : d'une part, comment expliquer cette dérive émotionnelle des sociétés contemporaines et, d'autre part, se dirige-t-on vers un monde sans violence ?
    La première question trouve sans doute une grande partie de sa réponse dans le long drame du court XXe siècle (Verdun - Auschwitz - Hiroshima - le Goulag). Pour comprendre les comportements actuels, leurs tendances autodestructrices ou excessivement émotionnelles, on ne prendra jamais suffisamment en compte les destructions morales engendrées par les interminables conflits du XXe siècle, de la Première Guerre mondiale à la décolonisation et à l'explosion de l'ex-Yougoslavie. En d'autres termes, une Longue Guerre s'étendant de 1914 à 1991, de Sarajevo à Sarajevo[2]. Cette Longue Guerre a détruit la structure interne des sociétés européennes. Ainsi, l'univers concentrationnaire nazi et communiste, le nettoyage ethnique et les autres génocides ont supprimé la distinction fondamentale entre « genre humain » et « espèces animales ». Comme le disait à cet égard Primo Levi, « les nazis vaincus ont néanmoins gagné parce qu'ils ont fait de nous des animaux ! » (citation de mémoire). Dans le même sens, les boucheries de Verdun et de la Somme, les hécatombes de Stalingrad, d'Iwo Jima et du Vietnam notamment ont remis en cause les fondements de l'idéal masculin (force, honneur, courage)[3]. Répétons-le, nous n'avons pas encore vraiment pris toute la mesure de cette destruction morale, de cette atomisation du corps social, de cette réduction darwinienne de l'homme à ses seules fonctions animales... et surtout des conséquences d'une telle destruction.
    Autrement dit et pour faire court, le long drame du siècle passé − la Longue Guerre − a détruit deux des principaux remparts sociaux face à la violence : « ne pas se comporter comme des bêtes », « agir avec honneur et courage ». Avec pour résultat, d'un côté une violence débridée et anarchique de type testostérone pouvant surgir n'importe où et, de l'autre, une population atomisée et effrayée cherchant à fuir cette réalité avec les réactions émotionnelles que l'on vient de voir.
    Dans ces conditions, faut-il poursuivre l'objectif d'une société sans violence avec notamment comme moyen d'y parvenir, une limitation très stricte de l'accès et de la possession d'armes par les particuliers ? C'est la seconde question. Or, si la réaction émotionnelle y répond par l'affirmative, une analyse historique de la situation débouche sur un tableau assez différent.
    En effet, malgré l'injonction de Francis Fukuyama, l'histoire ne s'est pas arrêtée avec la chute du Mur de Berlin. Indépendamment des réactions émotionnelles des populations européennes, le monde a continué d'évoluer. En particulier, la guerre n'a pas disparu ; comme le caméléon elle s'est transformée et, avec son corollaire l'équilibre de la terreur, s'est insinuée à l'intérieur des sociétés, en lieu et place des affrontements entre États des siècles précédents. Cette transformation, ce passage de la guerre interétatique à la guerre intra-étatique est un des caractères majeurs de la période actuelle[4]. Cela signifie que la confrontation armée ne se déroule plus essentiellement sur le champ de bataille entre unités régulières, mais à l'intérieur même du corps social... au milieu des populations. On vient de le dire, les acteurs de ces combats ne sont plus les armées nationales régulières ; ce sont de nouvelles entités telles que les différents groupes armés (ETA, Al Quaïda, PKK, FARC, etc.), les mafias et les autres formes de crime organisé, les gangs composés du sous-prolétariat des grandes banlieues urbaines, les anciens services spéciaux de l'ex-bloc soviétique. Contrairement aux armées régulières que l'on peut voir dans leurs casernes ou lors des grands défilés, ces nouveaux acteurs de la guerre restent généralement invisibles, leur financement est indépendant des États et repose sur l'économie grise et informelle garantissant de la sorte leur "stabilité" et la poursuite de leur action dans la durée. Étant donné l'invisibilité relative de ces nouveaux acteurs, il importe de donner quelques estimations chiffrées afin de pouvoir prendre un peu la mesure de la mutation intervenue :
    - le chiffre d'affaires annuel des différents groupes armés équivaut à deux fois le PIB du Royaume-Uni[5] ;
    - le chiffre d'affaires annuel des activités mafieuses est de plus de 1'000 milliards $[6] ;
    - dans les grands États européens, l'économie grise et informelle représente 15% à 18% du PNB[7] ;
    - environ 500 armes lourdes (mitrailleuse, lance-roquette, explosif, etc.) entrent chaque semaine dans les banlieues des grandes villes françaises[8].

    Bien qu'il ne s'agisse que d'estimations (les nouveaux acteurs de la guerre ne publient pas de bilan), ces chiffres sont néanmoins éloquents et traduisent la réalité de cette nouvelle forme de conflictualité qui avait progressivement disparu en Europe avec l'avènement de l'État moderne et des armées nationales. Bien qu'ils n'apparaissent pas sur la place publique, on peut dire que les nouveaux acteurs de la guerre se sont structurés de manière proto-étatique avec, d'une part, les moyens de coercition et, d'autre part, les moyens de financement, c'est-à-dire deux des attributs principaux de tout phénomène étatique. Cette forme de guerre ne poursuit plus des buts politiques mais économiques (prédation, pillage, rançonnement des populations, etc.). Par conséquent, nous ne sommes ni face à un phénomène passager, ni face à des adversaires occasionnels et désorganisés, ni face à une simple recrudescence du banditisme ou de la délinquance : il y a mutation de l'art de la guerre, mutation dont nous commençons à peine à prendre conscience.
    Signalons au passage que l'argument invoqué habituellement à la présentation de cet état de fait consiste à dire que c'est le travail de la police de lutter contre ce type de menaces internes. Cependant, l'argument tourne court étant donné l'affaiblissement général de l’État en Europe depuis la fin de la Guerre froide. Ajoutons que la crise financière de 2008 a mis les États européens dans une situation encore plus précaire, avec des programmes d'austérité budgétaire affectant fortement les fonctions régaliennes de l'État, dont la sécurité. À ce propos, l'exemple français est très parlant : le pays dispose du plus haut taux de forces de police en Europe, pourtant il ne contrôle plus ses banlieues et les gangs qui y sévissent. En ce qui concerne la Suisse, le rapport USIS (Réexamen du système de sécurité intérieure de la Suisse : Forces et faiblesses du système actuel, 2001) avait relevé il y a quelques années qu'il manquait entre 2'000 et 3'000 policiers pour garantir la sécurité du pays. Ce rapport est resté sans suite.
    À ce stade, il convient de faire intervenir la notion d'équilibre de la terreur. Car, si la guerre s'insinue dorénavant dans le corps social, son corollaire − l'équilibre de la terreur − change également d'échelle. Alors qu'au XXe siècle il se situait entre les États, notamment avec l'équilibre nucléaire entre les grandes puissances, il redescend aujourd'hui directement au niveau des individus. Ce changement d'échelle, aussi difficile soit-il pour nous de le concevoir et de l'accepter, est pourtant une des principales conséquences de la transformation de la guerre. Au même titre que l'État devait protéger sa souveraineté par la dissuasion armée, l'individu doit aujourd'hui veiller à sa propre sécurité, à celle de ses biens inaliénables que sont la vie, l'intégrité corporelle, la liberté et la propriété[9]. Comme l'État se dotait des outils propres à garantir sa souveraineté, l'individu doit pouvoir − s'il le souhaite − disposer des armes nécessaires. C'est là la conséquence pratique de ce changement d'échelle de l'équilibre de la terreur.
    À l'appui de cet argument, il est intéressant de se remémorer les limites que Hobbes fixe lui-même à son Léviathan : l'individu abandonne sa liberté au profit de l'État en contrepartie de la sécurité, mais cet abandon ne dure que tant que l'État peut garantir cette sécurité, lorsque ce n'est plus le cas l'individu récupère immédiatement son droit à l'autodéfense parce que c'est un droit naturel qui n'est soumis à aucune convention.
    Dans un tel contexte, il apparaît donc peu rationnel de vouloir « désarmer » les citoyennes et les citoyens pour tenter de vivre dans une société sans violence. Pour paraphraser une formule connue, « si vous ne vous intéressez pas à la guerre, la guerre en revanche s'intéresse à vous ». En témoigne la tuerie programmée (heureusement déjouée) de Copenhague, les attaques de supermarchés à l'explosif et à la kalachnikov, les rezzous nocturnes sur les dépôts et les magasins.
    À la lumière de ces quelques éléments, on constate qu'en dépit des réactions émotionnelles des individus, l'histoire continue : une fois de plus l'Europe se recompose à l'échelle macro-historique, une fois de plus cette recomposition se déroule de manière hautement conflictuelle, une fois de plus les individus seront amenés à défendre leur vie et leurs biens.

    Bernard Wicht
    Privat-docent, Institut d'études politiques et internationales, UNIL

     

    [1] Cf. notamment René GIRARD, La violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972. Dans son explication de ce qu'il appelle l'économie de la violence, l'auteur insiste sur le nécessaire exutoire dont celle-ci a besoin : « Quand elle n'est pas satisfaite, la violence continue de s'emmagasiner jusqu'au moment où elle déborde et se répand aux alentours avec les effets les plus désastreux » (p. 21).

    [2] Les historiens de la longue durée considèrent la suite presque ininterrompue de conflits entre 1914 et 1991 comme le véritable moteur de l'histoire au XXe siècle : d'où l'expression de Longue Guerre. Cf. notamment Philipp BOBBITT, The shield of Achilles : war, peace and the course of history, Londres, Allen Lane, 2002.

    [3] C'est le constat de George L. MOSSE, L'image de l'homme : l'invention de la virilité moderne, trad., Paris, Abbeville, 1997. L'auteur relève, après 1945, ce passage de l'idéal viril vers des contretypes (androgynie, mouvement gay). De son côté, la psychologie détecte dans le même sens l'émergence de ce qu'elle appelle le « mâle doux » en lien avec cette transformation de l'idéal masculin, cf. notamment Robert BLY, L'homme sauvage et l'enfant : l'avenir du genre masculin, trad., Paris, Seuil, 1992.

    [4] Cf. en particulier Martin VAN CREVELD, La transformation de la guerre, trad., Monaco, éditions du Rocher, 1998.

    [5] Loretta NAPOLEONI, Terror Inc : tracing the money behind global terrorism, Londres, Penguin Books, 2004.

    [6] Thierry CRETIN, Mafias du monde : organisations criminelles transnationales, actualité et perspectives, Paris PUF, 3e éd., 2002.

    [7] Jean-Paul GOUREVITCH, L'économie informelle : de la faillite de l'Etat à l'explosion des trafics, Paris, Le Pré aux Clercs, 2002.

    [8] Estimation de la police française

    [9] Ces biens inaliénables de l'individu sont ceux définis par la philosophie politique moderne à partir des travaux de John Locke et des Lumières, qui constituent la base des droits fondamentaux de l'individu.

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  • La Joie Armée...

    François-Bernard Huyghe, dans un article consacré aux attentats anarchistes de Rome, signale la parution de La Joie Armée, aux éditions Entremonde, un manifeste en faveur de l'insurrection et de la lutte armée, écrit par le théoricien anarchisant Alfredo Bonanno et publié intialement en 1977. Un texte dont la radicalité donne une bonne idée du climat qui régnait en Italie pendant les Années de plomb...

    "Mais pourquoi ces foutus jeunes ont-ils tiré dans les jambes de Montanelli (directeur d'un quotidien) ? N'aurait-il pas été mieux de lui tirer dans la bouche ? Bien sûr que ça aurait été mieux. Mais ça aurait été aussi plus grave. Plus vindicatif et plus sombre. Estropier une bête comme celle-là peut aussi avoir un côté plus profond ou plus significatif; au-delà de la vengeance, de la punition pour sa responsabilité en tant que fasciste et valet des patrons. L'estropier signifie l'obliger à boiter, l'obliger à se souvenir. Par contre, ça aurait été un divertissement plus agréable de lui tirer dans la gueule avec le cerveau qui lui sort par les yeux."

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    "La joie s’arme. Son attaque est le dépassement de l’hallucination marchande, de la machine et de la marchandise, de la vengeance et du leader, du parti et de la quantité. Sa lutte brise la ligne tracée par la logique du profit, l’architecture du marché, le sens programmé de la vie, le document final de l’archive. Son explosion bouleverse l’ordre des dépendances, la nomenclature du positif et du négatif, la loi de l’illusion marchande."

    Ce texte a été écrit dans le contexte tendu de la vague révolutionnaire italienne des années 70. Alfredo M. Bonanno y attaque avec virulence la soi-disant mission historique du parti communiste. Opposant à la spécialisation militaire des Brigade Rouges, il militera au contraire pour un insurectionalisme assumé et généralisé à l’ensemble du mouvement social.

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  • Violence et "doux commerce"...

    Nous reproduisons ici un article de Dominique Venner, intitulé "Violence et « doux commerce »", publié initialement dans la Nouvelle Revue d'Histoire et récemment mis en ligne sur le site personnel de son auteur.

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    Violence et « doux commerce »

    La violence n’est pas seulement celle des armes. Depuis un demi-siècle, s’est imposé un système mondial, celui du « doux commerce ». Doux comme les bombes. Il domine les peuples sous les apparences de la démocratie, brisant les coutumes les plus sacrées. Décryptage d’une nouvelle violence qui règne grâce à la drogue de la consommation et à la repentance. Elle rencontre pourtant des résistances.

     

    Georges Sorel est célèbre pour avoir publié en 1906 des Réflexions sur la violence (Librairie Marcel Rivière), souvent rééditées (1). Partisan du socialisme révolutionnaire, lu par Lénine et Mussolini, Sorel se faisait l’apologiste de la violence comme moteur de l’histoire.

     

    Dans son essai, il s’inquiétait d’une anémie de la violence sociale qu’il croyait observer en Europe occidentale et aux Etats-Unis : «L’éducation est dirigée en vue d’atténuer tellement nos tendances à la violence que nous sommes conduits instinctivement à penser que tout acte de violence est une manifestation d’une régression vers la barbarie. […] On peut se demander s’il n’y a pas quelque niaiserie dans l’admiration de nos contemporains pour la douceur.» Ces remarques, datant d’un siècle, pourraient sembler d’aujourd’hui. Cela retient l’attention et intrigue.

     

    Moins de dix ans après le constat morose de Sorel, commençait une Grande Guerre qui manifesta bien autre chose qu’un penchant général pour la douceur. Cette guerre fut suivie en Russie et en Europe d’une série de révolutions et de guerres civiles, dont le trait dominant ne fut pas la tranquillité. Et la Seconde Guerre mondiale qui se déchaina ensuite, assortie de séquelles comme la généralisation du terrorisme, ne fut pas non plus la manifestation de tendances paisibles.

     

    L’Europe en dormition et en repentance

    Cela pour dire que l’on s’égare souvent dans les prévisions en imaginant l’avenir comme le prolongement du présent. Sous l’effet d’émotions ou de commotions collectives inattendues, la douceur ou la mollesse d’une époque peuvent se muer soudain en violence irrésistible. L’histoire des peuples et des sociétés n’est pas régie par une loi de continuité, mais par d’imprévisibles accidents.

     

    Dans l’Europe actuelle (mais pas ailleurs), tout laisserait supposer qu’a été mis un terme définitif à l’histoire, à ses violences et au politique. Ceux qui ont lu notre Siècle de 1914 savent que nous avons interprété l’époque qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, comme une entrée en dormition de l’Europe après un demi-siècle de folies violentes. Cette dormition n’est pas étrangère à une entreprise de culpabilisation et de démoralisation sans précédent. Avec courage et lucidité, cela fut analysé en 2003 par des intellectuels qu’inquiétait la montée en France de l’antisémitisme dans l’immigration maghrébine. Selon ces auteurs, l’immigration avait été favorisée par certains Juifs qui, « faisant un contresens tragique, ont cru à une alliance possible entre l’affirmation identitaire juive et la célébration des minorités et des localismes, bref, de “l’Autre” contre la nation (2) ». C’était reconnaître que l’intense propagande immigrationniste avait été une erreur. Mais, disaient les auteurs, il fallait remonter aux années soixante, pour chercher les racines de la démoralisation française et européenne, quand le souvenir de la « Shoah s’est imposé comme […] repère décisif d’une culpabilité qui ne concerne pas seulement les nazis mais […] un peu tout le monde en Europe, les peuples dans leur ensemble. » Depuis, « la Shoah barre aux peuples d’Europe toute espérance historique et les enferme dans le remord. » Inquiétant constat. Cinquante ans après, les Européens sommeillent toujours, écrasés de remords, comme « interdits d’histoire ». Pour combien de temps ? Voilà ce que nous ignorons. Mais cela ne saurait être éternel.

     

    Rêves de bonheur, « doux commerce » et violence

    En Europe, la fin provisoire de l’histoire et les rêves hédonistes ne peuvent être isolés d’une discours public nourri par le mythe du «doux commerce» inventé jadis par Adam Smith.

     

    Quels ont été ses effets pratiques sur l’histoire vécue ? L’expérience des deux derniers siècles montre que le « doux commerce » est rarement une garantie contre la violence. Il l’est d’autant moins qu’il a remplacé le politique (la raison) par la morale (l’émotion). L’émotion fait vendre plus que la raison. Mais, au-delà des rêveries, elle est souvent pourvoyeuse de tueries, comme on l’a vu lors des guerres de Religion, puis des guerres idéologiques du XXe siècle.

     

    En dépit des promesses d’Adam Smith, l’exercice intensif du « doux commerce » à l’échelle mondiale s’est ainsi accompagné de violences peu modérées. Si l’on adopte comme repère le XIXe siècle, on pensera entre autres aux guerres de l’Opium (1840-1842, 1858, 1860) qui associèrent la France et la Grande-Bretagne dans la volonté de forcer les frontières de la Chine. Il fallait ouvrir celle-ci à la morale biblique et à quelques bienfaits tels que le trafic de l’extrait de pavot ou la destruction de traditions millénaires. Réalisées au profit du « doux commerce », les interventions armées franco-britanniques conduisirent, par voie de conséquences, à ces nouveautés que furent, pour la Chine, les révolutions en chaîne, préludes aux grandes tueries du maoïsme (3).

     

    Au bénéfice du « doux commerce » on peut encore inscrire nombre d’autres conflits coloniaux ou interétatiques. Y figurent en bonne place les deux guerres mondiales, dont les mobiles économiques ne furent pas minces (4). Etendre au monde entier l’exigence anglo-américaine du « free market » ne s’est pas fait sans un peu de casse… L’un des plus récents épisodes de ces dégâts, masqué de justifications morales et démocratiques (pléonasme), est la guerre d’Irak qui se poursuit depuis 2003. Le contrôle d’une source importante d’hydrocarbures nécessaire au « doux commerce » justifiait probablement que l’on mette à feu et à sang un pays, peut-être assez rugueux (il y en a d’autres), mais stable.

     

    Logique interne du « doux commerce »

    Depuis qu’il s’est mondialisé vers la fin du XXe siècle, on doit cependant reconnaître à l’avantage du « doux commerce » une plasticité et une capacité de survie que peu de systèmes sociaux ont possédé à ce point.

     

    On a compris que le « doux commerce » est l’enveloppe qui recouvre des notions abstraites telles que «capitalisme» ou «libéralisme». Mais comme celles-ci ont servi à beaucoup de cuisines indigestes, leur signification s’est épuisée. Une autre notion, plus récente, est celle de « cosmocratie ». Elle est due à des auteurs américains, et fut reprise par Samuel Huntington dans son ultime essai Que sommes-nous ? (5). J’en ai moi-même fait usage. Elle est explicite. Elle suggère le caractère d’oligarchie mondialiste acquis peu à peu par le système depuis les années soixante du XXe siècle (6).

     

    Mais restons-en pour le moment à la logique interne du « doux commerce ». Quel est son but ? C’est le profit individuel et financier de ses bénéficiaires, quel qu’en soit le prix pour les autres. Etant devenu dominant dans nos sociétés, cet objectif a été promu au rang de valeur suprême, apte à tout justifier, notamment ce qui était naguère condamné par le sens commun et la morale sociale la plus élémentaire. Dans son Manifeste de 1848, Karl Marx avait décrit avec pertinence l’aptitude destructrice illimitée du système qu’il assimilait à la « bourgeoisie », quand bien même le comportement personnel de maint bourgeois contredisait la thèse. Rappelons pour mémoire ses lignes célèbres : « Partout où elle a pris le pouvoir, la bourgeoisie a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissaient l’homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d’autre lien, entre l’homme et l’homme, que le froid intérêt […]. Ce constant ébranlement de tout système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelle distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes. »

     

    Karl Marx se réjouissait de cette agitation perpétuelle et de l’ébranlement de l’ancienne société européenne par le « doux commerce ». Ils annonçaient à ses yeux l’avènement de la société post-bourgeoise, c’est-à-dire de l’utopie communiste. Ils annonçaient l’homogénéisation mondiale et la fin de l’histoire avec un grand H. Marx ne se trompait pas de beaucoup. A cette nuance près que le «doux commerce» s’est révélé finalement plus résistant, bien que tout aussi pervers que l’utopie communiste dont il réalise certaines attentes par d’autres moyens.

     

    Convergence entre communisme et « doux commerce »

    La conjonction des deux systèmes a été remarquablement analysée par Flora Montcorbier dans un essai injustement oublié (7). Economiste et philosophe, avec une clarté vigoureuse, cette essayiste a délivré une clé d'interprétation convaincante du chaos organisé qui s'est substitué à nos anciennes sociétés.

     

    Nul avant elle ne s'était soucié de comprendre le curieux dénouement de la guerre froide, étape capitale du grand bouleversement. Qui était donc sorti vainqueur de cette fausse guerre ? Les Etats-Unis, bien entendu, et le « doux commerce ». Mais aussi leur religion commune, la religion de l'humanité (avec une majuscule), une, uniforme et universelle. Et ce n'était pas leur seule affinité.

     Que voulaient les communistes ? Ils voulaient une gestion planifiée des richesses de l'humanité. Ils voulaient aussi la création d'un homme nouveau , un homme rationnel et universel, délivré de toutes ces « entraves » que sont des racines, une nature et une culture. Ils voulaient enfin assouvir leur haine des hommes concrets, porteurs de différences, leur haine de la vieille Europe, multiple et tragique.

     

    Et le « doux commerce », autrement dit l’Occident américain (8), que voulait-il ? Eh bien, la même chose. La différence portait sur les méthodes. Récusant la planification et le collectivisme forcé (la terreur), le « doux commerce » voit dans le marché financier le facteur principal de la rationalité économique et des changements souhaités.

     

    Le « doux commerce », autre nom du mondialisme, ne partage pas seulement avec son ex frère ennemi soviétique la vision radieuse du but final. Pour changer le monde, lui aussi doit changer les hommes, fabriquer l'homo oeconomicus de l'avenir, le zombi, l'homme nouveau, homogène, vidé de contenu, possédé par l'esprit du marché universel et illimité. Le zombi est heureux. On lui souffle que le bonheur consiste à satisfaire tous ses désirs, puisque ses désirs sont ceux que suscite le marché.

     

    « Doux commerce » et immigration

    Il y a pourtant des résistances. Mais comme le dessein est grandiose, on ne lésine pas sur les moyens pour les abattre. Afin de «zombifier» les Européens, jadis si rebelles, on a découvert entre autres les avantages de l'immigration de masse. Celle-ci a permis d’importer de la main d’œuvre bon marché, tout en déstructurant les identités nationales. L'installation à demeure d’allogènes accélère aussi la prolétarisation des travailleurs européens. Privés de la protection d'une nation cohérente, ils deviennent des « prolétaires tout nus », des zombis en puissance, d’autant qu’ils sont culpabilisés par le rappel de la colonisation, et autres forfaits imputés à leurs aïeux.

     

    Une difficulté inattendue est venue cependant des immigrés eux-mêmes. Etrangers aux codes de conduite républicains, ils ont constitué dans les banlieues des communautés réislamisées, souvent rebelles au « doux commerce », hormis celui du shit. Dans leur univers, si l’on en croit les rapports officiels, la violence règne autant que le voile et la haine du policier. Une partie du territoire, jadis national, se trouve ainsi sous la menace d’émeutes endémiques. Celles-ci favorisent un transfert de la loi républicaine au profit de celle des « grands frères ».

     

    Quant à la cohabitation avec les « Gaulois », il n’y faut pas trop songer, sauf au cinéma. Ceux qui n’ont pu fuir vers des quartiers moins envahis, se terrent, manifestant leur souffrance par des votes de refus quand l’occasion leur est donnée (9). Une conséquence imprévue est que la lutte des classes cède devant le partage ethnique. Le résidu des anciens conflits sociaux n’est plus le fait des prolétaires, mais de fonctionnaires accrochés à leurs privilèges.

     

    Pourtant, il arrive que les indigènes en voie de « zombification » renâclent. Pour faire passer la pilule, le trait de génie du système a été d’utiliser les bons vieux staliniens et leurs pareils, tous plus ou moins recyclés dans la glorification du « doux commerce ». Ils fournissent l'important clergé inquisitorial de la religion de l'humanité, ce nouvel opium du peuple dont le foot est la grand-messe. Cette religion a ses tables de la loi avec les droits de l'homme, autrement dit les droits du zombi, lesquels sont les devoirs de l'homme. Elle a ses dogmes et son bras séculier, l’Otan et les tribunaux internationaux ou nationaux. Elle pourchasse le Mal, c'est-à-dire le fait d'être différent, individualisé, d'aimer la vie, la nature, le passé, de cultiver l'esprit critique, ne pas être dupe d’un écologisme de façade (réchauffement climatique), et ne pas sacrifier à la divinité humanitaire.

     

    Le système se nourrit d’une opposition factice

    L’une des particularités du système est qu’il se nourrit de son opposition en apparence la plus extrême. Mais quand on s’étonne de ce fait surprenant, on oublie que l’opposition dite « de gauche » partage avec le système la religion de l’humanité et la fringale de la déconstruction, donc l’essentiel. Ainsi, sans que personne ne s’esclaffe, les papiers d’un rebelle de tout repos (Guy Debord) ont-ils pu être classés « Trésor national » par le directeur des Archives nationales en juin 2009. Explication : le « doux commerce » a besoin de la contre-culture et de sa contestation pour nourrir l’appétit illimité du « jouir sans entraves » qui alimente le marché. La rébellion factice du monde culturel (les « cultureux ») a de la sorte été récupérée et institutionnalisée. Ses formes expérimentales les plus loufoques renouvellent le langage de la pub et de la haute couture qui se nourrissent de la nouveauté, du happening. Les droits des minorités ethniques, sexuelles ou autres, sont également étendus sans limites puisqu’ils se concrétisent par des nouveaux marchés, offrant de surcroît une caution morale au système. L’illimité est l’horizon du « doux commerce ». Il se nourrit du travail des taupes à l’œuvre dans la culture, le spectacle, l’enseignement, l’université, la médecine, la justice ou les prisons. Les naïfs qui s’indignent de voir célébrer de délirantes ou répugnantes bouffonneries, n’ont pas compris qu’elles ont été promues au rang de marchandises, et sont de ce fait à la fois indispensables et anoblies.

     

    La seule contestation que le système ne peut absorber est celle qui récuse la religion de l’humanité, et campe sur le respect de la diversité identitaire. Ne sont pas solubles dans le « doux marché » les irréductibles qui sont attachés à leur cité, leur tribu, leur culture ou leur nation, et honorent aussi celles des autres. C’est pourquoi, en dépit de leur éventuelle représentativité électorale à l’échelle européenne, ces dissidents sont rejetés dans une inflexible ségrégation (sauf en Italie). Sort inconfortable qui pourrait les désigner comme seule alternative potentielle lorsque, devant l’urgence et l’inattendu, le politique reprendra ses droits (10). Dès lors, le « doux commerce » pourrait être ramené à la place subalterne et dépendante qui est la sienne dans un monde en ordre.

     

     

    Dominique Venner

     

    Notes

    1. L’un des apports de Georges Sorel (1847-1922) à la pensée politique fut la notion de mythe pour désigner les images mobilisatrices autour desquelles se constituent les grands mouvements historiques (NRH 13, p. 20-22).

    2.Article publié dans Le Monde du 30 décembre 2003, sous la signature de Gilles Bernheim, grand rabbin et philosophe, Elisabeth de Fontenay, professeur de philosophie, Philippe de Lara, professeur de philosophie, Alain Finkielkraut, écrivain et professeur, Philippe Raynaud, professeur de philosophie, Paul Thibaud, essayiste, Michel Zaoui, avocat.

    3. On peut se reporter sur ce point à notre dossier La Chine et l’Occident, NRH n° 19, juillet-août 2005.

    4. Georges-Henri Soutou, L’or et le sang. Les buts de guerre économiques de la Première Guerre mondiale, Fayard, 1989. Nous avons traité ce sujet dans plusieurs dossiers, notamment dans nos n° 14 et 32.

    5. Samuel P. Huntington, Que sommes-nous ? Indentité nationale et choc des cultures, Odile Jacob, 2004.

    6. Dominique Venner, Le Siècle de 1914, Pygmalion, 2006, chapitre 10.

    7. Flora Montcorbier, Le Communisme de marché, L’Age d’Homme, 2000.

    8. Nous ne confondons pas le « système occidental-américain » et les Américains pris individuellement, qui souvent en souffrent.

    9. L’analyse que nous avions faite de l’immigration de peuplement dans notre n° 22, janvier-février 2006, p. 29-32, conserve toute sa pertinence (dossier : De la colonisation à l’immigration).

    10. « Le » politique désigne les principes supérieurs du pouvoir (commander, juger, protéger). «La» politique désigne la pratique.

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