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violence - Page 13

  • "Aujourd'hui, on a d'autant plus le droit a la parole qu'on n'a rien à dire !"

    Vous pouvez visionner ci-dessous un entretien, réalisé par Jean Robin pour Enquête&Débat, avec David Mascré, essayiste, docteur en mathématiques et en philosophie et professeur de géopolitique à l'école des Hautes Etudes Commerciales. Depuis la réalisation de cet entretien en août 2010, David Mascré a rejoint le bureau politique du Front National.

     


    Quart d'heure de célébrité de David Mascré par enquete-debat

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  • Fessée et contrôle totalitaire...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Claude Bourrinet, publié sur Voxnr, consacré à la campagne télévisée de la Fondation pour l'enfance qui milite en faveur de l'interdiction de l'utilisation des claques et des fessées dans l'éducation des enfants.

    Pendant des semaines, l'"empire du Bien" va marteler son message : "La violence engendre la violence". Comme le souligne Natacha Polony, dans un excellent article publié sur son blog, Eloge de la transmission :

    "Le plus grave réside évidemment dans la manipulation intellectuelle dont relève ce message. Grave, parce qu’il s’agit de focaliser l’attention sur des gestes, gifles et fessées, qui sont courants, pour faire croire que les parents qui en usent sont des monstres, au même titre que ceux qui attachent leur enfant à un radiateur ou lui assènent des coups de ceinture. Le meilleur moyen, bien sûr, de laisser ceux-là agir en toute impunité.[...] Les milliers d’enfants qui verront ce petit film (car le premier renoncement au bon sens se manifeste face à cette télévision qu’on laisse allumée devant eux) comprendront parfaitement le message : sanction et brutalité aveugle sont de même nature, et le parent qui voudrait leur imposer quoi que ce soit, éventuellement par la force, est un bourreau. Détruire ainsi l’image d’un parent aux yeux de son enfant est une grave responsabilité. Car on ne sait jamais quels modèles de substitutions celui-ci se choisira."

     

     

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    Fessée et contrôle totalitaire

    Une campagne télévisuelle destinée à dénoncer les réprimandes corporelles perpétrées par les parents contre leur progéniture va sévir à une heure de grande écoute publicitaire. On voit à l’occasion une charmante maman péter les plombs et gifler sa mignonne fillette braillant comme un porcelet qu’on égorge, sous l’œil chagriné et désapprobateur de la grand-mère, qui va finalement compatir à la détresse de l’exécutrice des basses œuvres. Parce que pour l’idéologie dominante, héritière d’un Socrate parfois mal inspiré, il n’existe pas de véritable méchanceté, il n’y a que des personnes qui se trompent. Le mélodrame est tout trouvé : la victime n’est pas tant l’être qui éprouve la violence que celui qui l’engendre, car l’erreur rend malheureux, et, dans notre société où les excès sont traduits en termes cliniques, tout égarement est signe de maladie. Le scénario est donc conçu pour ne diaboliser personne, la scélératesse relevant d’un imaginaire quasi fantasmatique, presque hors du monde, innommable, livrée au monde légendaire des Hitler et des Staline, lesquels règnent en enfer aux côtés de Belzébuth. Mais nous sommes, en ce glorieux 21e siècle, qui voit le triomphe du dernier homme, entre gens biens, normalement voués à prendre leur pied dans les parcs d’attraction, à communier dans les supermarchés, et à n’imaginer de fessée qu’entre adultes consentants.

    Si l’on voulait pousser le vice jusqu’au petit bout, il nous faudrait invoquer notre Jean-Jacques Rousseau, qui, crypto-calviniste, comme certains contempteurs de la fessée, n’était pas avare de contradictions, notamment entre une conception irénique, idéaliste, béatifiante, de l’homme, vu comme un bon sauvage égaré dans la civilisation mauvaise et corruptrice, et les faits, rien que les faits. Par exemple, que l’homme est naturellement violent, ce qu’aucun psychologue, aucun psychiatre ne niera, et que même cette violence, à condition qu’elle soit canalisée et obéisse à des finalités de sociabilité, peut s’avérer utile. Au fond, on voit des animaux supérieurs utiliser la patte, la griffe ou le croc pour corriger, éduquer les petits, et l’être humain user de ce moyen depuis l’aube des temps, sans qu’on y ait trouvé à redire.

    Au moins, si nos puritains, qui veulent rendre l’homme, ce pécheur involontaire, parfait, propre et reluisant comme un article des droits de l’homme, avaient argué des conséquences perverses d’une correction appliquée au bon endroit. Ne voyons-nous pas notre Rousseau jouir à dix ans des mains sévères de Mademoiselle Lambercier, et avouer qu’il ne peut prendre de plaisir sexuel que de cette façon-là ? On est bien fesse-mathieu ! Voilà pourtant qui pourrait accroître le marché du sexe, lequel se porte bien dans l’univers des tartuffes libidineux qui s’occupent de nos fesses. Ce sont ces gens qui considèrent que la condition de travailleuse sexuelle est légitime, et doit même contribuer aux ressources de la sécurité sociale, tout en s’inquiétant, sur le ton indigné qu’on connaît bien, de l’intégrité de femmes abandonnées au dangereux environnement machiste. Ce sont ces eux aussi qui désirent préserver l’innocence des enfants, si tant est qu’une telle singularité existe, et qui les livrent aux jeux vidéo ultraviolents, à une télévision débilitante, à une accumulation sans bornes d’images pornographiques, invoquant dans la rhétorique jésuitique qui est la leur, la liberté du consommateur, celle du marché, et la réalité de temps permissifs.

    Ce qui ne les empêche pas de s’immiscer de façon intolérable dans l’univers privé de la famille. Déjà, dans certains pays scandinaves, les enfants ont le droit de dénoncer leurs parents et de leur intenter des procès. Par la même occasion, l’Etat obtient le droit de juger de l’éducation que donnent les adultes. D’aucuns, il y a quelques années, auraient même voulu traîner devant les tribunaux ceux dont les enfants auraient proféré des propos jugés racistes. Le délit de mauvaise éducation ne va pas tarder à être instauré. On croyait ces abus propres aux sociétés totalitaires, pourtant si dénoncés dans nos régimes « démocratiques ».

    En fait, si l’on écarte les cas notoires (il n’y a qu’à ouvrir les yeux et les oreilles) des dérangés du bocal, qui semblent prospérer parmi notre élite travaillée par les tensions contradictoires de la répression et de la permission, du contrôle universel et de l’anarchie marchande, et si l’on met aussi de côté les lubies pudibondes, nombreuses chez les scandinaves et les anglo-saxons, les travaillés du droit-à, et les fanatiques d’une société écologiquement purifiée, dont certains, comme on le sait, boivent abondamment de l’alcool fort, sans doute pour se fouetter le sang, ou s’hallucinent avec certaines substances, pour se donner des airs de Big Brother planant, on mettra en parallèle cette entreprise ubuesque avec d’autres qui visent à dénoncer les mâles (souvent de type européens) qui violentent les femmes, les Occidentaux (souvent blancs) qui maltraitent les sans papiers ou les enfants du tiers-monde, ou encore les personnes d’une autre race, les chasseurs, qui massacrent vilainement les animaux et, de toute façon, ont le tort d’être des beaufs, les curés, qui sont tous des pédophiles, les profs, qui se lèvent le matin en tirant au sort les élèves qu’ils tortureront dans la journée, les flics, qui sont d’affreux gestapistes … bref, qui s’en prennent à tout ce qui, de près ou de loin, paraît tenir lieu d’autorité ou de modèle susceptible de lier le présent au passé, et d’asseoir, si tant est que ce soit encore possible, la société européenne sur une base quelque peu solide.

    Le symbole vaut ce qu’il peut. Mais quand les parents ne pourront plus donner de gifle à leurs enfant, le marché aura le loisir absolu de leur foute un bon coup de poing dans la gueule.

    Claude Bourrinet (Voxnr, 28 avril 2011)

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  • Le citoyen de verre...

    Les éditions de L'Herne ont publié en fin d'année 2010 Le citoyen de verre - entre surveillance et exhibition, un essai de Wolfgang Sofsky. Sociologue et journaliste allemand, Wolfgang Sofsky s'interesse principalement à la question de la violence et de la guerre et publie régulièrement des articles dans Die Welt ou le Frankfurter Allgemeine Zeitung.

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    "Sociologue majeur, auteur de plusieurs ouvrages sur l’univers concentrationnaire et la violence, Wolfgang Sofsky discerne dans les pratiques de surveillance de notre époque, et plus encore dans les motivations de ceux qui les mettent en place, une menace réelle et immédiate contre la liberté des citoyens, y compris dans les démocraties qui semblent les plus solides.

    Il dresse au début de son ouvrage un inventaire glaçant des mesures d’observation ou d’espionnage auxquelles chacun de nous est exposé dans ses actes les plus quotidiens.

    [...] Un maillage dense de surveillance de l’individu se met en place, susceptible, à tout moment de se refermer sur lui comme un filet, d’autant plus que chaque progression de la surveillance suscite de nouveaux interdits, et donc de nouvelles techniques de répression.

    Wolfgang Sofsky, dont L’organisation de la terreur a prouvé l’originalité et la force de la pensée, apporte ici une pierre importante à la réflexion sur l’organisation et la préservation des libertés individuelles dans les démocraties occidentales."

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  • Que peut (vraiment) faire la police ?...

    Le nouveau numéro du Choc du mois, daté de février-mars 2011, est disponible en kiosque. On pourra lire un premier dossier consacré à la lutte contre l'insécurité, comprenant, notamment, un entretien avec Sébastien Roché. Un deuxième dossier est consacré à la peur de la fin du monde... Et on retrouvera comme toujours, les rubriques "Monde", "Société" et "Culture"...

    Bonne lecture !

     

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    Au sommaire :

    Le bloc-notes de François-Laurent Balssa

    Monde

    Reportage : La jeunesse néofasciste déferle sur l’Italie

    Offensive américaine en Afrique

     

    Société

    Cocaïne : de la jet-set aux cours de lycées

    Repenser le patriotisme économique

    Jacqueline de Romilly : La leçon de grec

    Le prince Charles, vice-roi de l’écologie

    Chronique : Simone veille

     

    Dossier : Que peut (vraiment) faire la police

    Entre les idéologies politico-médiatiques

    Le mauvais polar de la chasse aux flics

    Reportage avec la BAC

    Pourquoi les politiques ne pensent pas la sécurité ?

    Mais de quoi parle-t-on ?

    Entretien avec Sébastian Roché

    Libre propos sur les violences urbaines

     

    Dossier: La fin du monde

    L’apocalypse molle : Entretien avec Nicolas Bonnal

    Ce que disent les philosophes

    Pourquoi on a tort d’avoir peur : Entretien avec Jean de Kervasdoué

    Pourquoi on a raison d’avoir peur : Entretien avec André Lebeau

    Armageddon attacks !

    Vivement 2013 : Entretien avec Alexandre Rougé

    Ces menaces dont personne ne parle

     

    Culture

    Essais

    La ligne féconde

    Les cartouches d’un tireur d’élite

    Littérature

    La petite musique de Paraz

    Chronique : Miracle en Roumanie

    La première contre-révolution

    Hommage à Georges Haldas

    Richard Millet : Leçon de ténèbres pour le roman

    Exposition

    Vasari avait tort

    Arts

    Riche Moisson

     

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  • Le droit de porter une arme !...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte fort intéressant, cueilli sur le blog de Laurent Schang, écrit par Bernard Wicht, géopoliticien et historien suisse, auteur notamment de L'OTAN attaque (Georg, 2000) ou de Guerre et hégémonie (Georg, 2002). Cet auteur , à l'occasion d'un référendum organisée le 13 février 2011 en Suisse, autour d'un projet visant à réduire le droit des citoyens à posséder une arme, prend position sur cette question...

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    Le « port d’arme citoyen » et le nouvel équilibre de la terreur

    Dans moins d'un mois nous sommes appelés à voter sur une initiative tendant à limiter fortement l'accès et la possession d'armes par les particuliers. La motivation principale des initiants est d'augmenter la sécurité des habitants de notre pays et de limiter les suicides et la violence domestique.
    On peut adhérer ou non à ces arguments, mais force et de constater que la violence fait peur et que nos sociétés contemporaines veulent l'éradiquer du champ des relations humaines. Historiquement les groupes sociaux se sont toujours méfiés de la violence, en particulier intestine, et ont cherché par tous les moyens à la canaliser pour en éviter les débordements[1]. Or c'est là que l'on peut déjà relever une différence importante entre notre comportement actuel vis-à-vis de la violence et celui répertorié aux autres périodes de l'histoire : auparavant on cherchait à la « canaliser » (c.à.d. à en contrôler les effets), aujourd'hui on veut l' « éradiquer » (c.à.d. la supprimer purement et simplement). Nos sociétés post-modernes, post-industrielles et post-nationales ne considèrent plus la violence comme un phénomène social qu'il faut gérer avec la plus grande précaution, mais comme un mal absolu à bannir au même titre que les hérésies au Moyen Âge.
    D'où vient ce changement d'attitude, cette idée collective que nous pourrions désormais vivre dans un monde sans violence régie par la tolérance ? Car c'est bel et bien de cela dont il s'agit en l'espèce : alors que l'initiative parle de limiter les suicides, paradoxalement l'idée de suicide assisté (association EXIT) et d'euthanasie active (voir le récent acquittement de la médecin cantonale de Neuchâtel ayant pratiqué un tel acte) se propage et recueille de plus en plus de soutien. Il en va de même de la légalisation croissante de l'avortement depuis quelques décennies. Ces contradictions soulignent ce changement d'attitude de nos sociétés au point qu'il est possible de parler de rupture par rapport au passé : en cherchant à éradiquer la violence, on ne veut pas nécessairement protéger la vie ! Le paradoxe est frappant et semble indiquer qu'à ce sujet, nous nous situons aujourd'hui plutôt dans le domaine de l'émotionnel que du rationnel : un peu selon le refrain « peu importe la mort, pourvu qu'elle soit douce » (on pense ici à la chanson de Georges Brassens, « mourir pour ses idées, oui mais de mort lente »).
    À partir de ce premier constat, on débouche sur deux questions : d'une part, comment expliquer cette dérive émotionnelle des sociétés contemporaines et, d'autre part, se dirige-t-on vers un monde sans violence ?
    La première question trouve sans doute une grande partie de sa réponse dans le long drame du court XXe siècle (Verdun - Auschwitz - Hiroshima - le Goulag). Pour comprendre les comportements actuels, leurs tendances autodestructrices ou excessivement émotionnelles, on ne prendra jamais suffisamment en compte les destructions morales engendrées par les interminables conflits du XXe siècle, de la Première Guerre mondiale à la décolonisation et à l'explosion de l'ex-Yougoslavie. En d'autres termes, une Longue Guerre s'étendant de 1914 à 1991, de Sarajevo à Sarajevo[2]. Cette Longue Guerre a détruit la structure interne des sociétés européennes. Ainsi, l'univers concentrationnaire nazi et communiste, le nettoyage ethnique et les autres génocides ont supprimé la distinction fondamentale entre « genre humain » et « espèces animales ». Comme le disait à cet égard Primo Levi, « les nazis vaincus ont néanmoins gagné parce qu'ils ont fait de nous des animaux ! » (citation de mémoire). Dans le même sens, les boucheries de Verdun et de la Somme, les hécatombes de Stalingrad, d'Iwo Jima et du Vietnam notamment ont remis en cause les fondements de l'idéal masculin (force, honneur, courage)[3]. Répétons-le, nous n'avons pas encore vraiment pris toute la mesure de cette destruction morale, de cette atomisation du corps social, de cette réduction darwinienne de l'homme à ses seules fonctions animales... et surtout des conséquences d'une telle destruction.
    Autrement dit et pour faire court, le long drame du siècle passé − la Longue Guerre − a détruit deux des principaux remparts sociaux face à la violence : « ne pas se comporter comme des bêtes », « agir avec honneur et courage ». Avec pour résultat, d'un côté une violence débridée et anarchique de type testostérone pouvant surgir n'importe où et, de l'autre, une population atomisée et effrayée cherchant à fuir cette réalité avec les réactions émotionnelles que l'on vient de voir.
    Dans ces conditions, faut-il poursuivre l'objectif d'une société sans violence avec notamment comme moyen d'y parvenir, une limitation très stricte de l'accès et de la possession d'armes par les particuliers ? C'est la seconde question. Or, si la réaction émotionnelle y répond par l'affirmative, une analyse historique de la situation débouche sur un tableau assez différent.
    En effet, malgré l'injonction de Francis Fukuyama, l'histoire ne s'est pas arrêtée avec la chute du Mur de Berlin. Indépendamment des réactions émotionnelles des populations européennes, le monde a continué d'évoluer. En particulier, la guerre n'a pas disparu ; comme le caméléon elle s'est transformée et, avec son corollaire l'équilibre de la terreur, s'est insinuée à l'intérieur des sociétés, en lieu et place des affrontements entre États des siècles précédents. Cette transformation, ce passage de la guerre interétatique à la guerre intra-étatique est un des caractères majeurs de la période actuelle[4]. Cela signifie que la confrontation armée ne se déroule plus essentiellement sur le champ de bataille entre unités régulières, mais à l'intérieur même du corps social... au milieu des populations. On vient de le dire, les acteurs de ces combats ne sont plus les armées nationales régulières ; ce sont de nouvelles entités telles que les différents groupes armés (ETA, Al Quaïda, PKK, FARC, etc.), les mafias et les autres formes de crime organisé, les gangs composés du sous-prolétariat des grandes banlieues urbaines, les anciens services spéciaux de l'ex-bloc soviétique. Contrairement aux armées régulières que l'on peut voir dans leurs casernes ou lors des grands défilés, ces nouveaux acteurs de la guerre restent généralement invisibles, leur financement est indépendant des États et repose sur l'économie grise et informelle garantissant de la sorte leur "stabilité" et la poursuite de leur action dans la durée. Étant donné l'invisibilité relative de ces nouveaux acteurs, il importe de donner quelques estimations chiffrées afin de pouvoir prendre un peu la mesure de la mutation intervenue :
    - le chiffre d'affaires annuel des différents groupes armés équivaut à deux fois le PIB du Royaume-Uni[5] ;
    - le chiffre d'affaires annuel des activités mafieuses est de plus de 1'000 milliards $[6] ;
    - dans les grands États européens, l'économie grise et informelle représente 15% à 18% du PNB[7] ;
    - environ 500 armes lourdes (mitrailleuse, lance-roquette, explosif, etc.) entrent chaque semaine dans les banlieues des grandes villes françaises[8].

    Bien qu'il ne s'agisse que d'estimations (les nouveaux acteurs de la guerre ne publient pas de bilan), ces chiffres sont néanmoins éloquents et traduisent la réalité de cette nouvelle forme de conflictualité qui avait progressivement disparu en Europe avec l'avènement de l'État moderne et des armées nationales. Bien qu'ils n'apparaissent pas sur la place publique, on peut dire que les nouveaux acteurs de la guerre se sont structurés de manière proto-étatique avec, d'une part, les moyens de coercition et, d'autre part, les moyens de financement, c'est-à-dire deux des attributs principaux de tout phénomène étatique. Cette forme de guerre ne poursuit plus des buts politiques mais économiques (prédation, pillage, rançonnement des populations, etc.). Par conséquent, nous ne sommes ni face à un phénomène passager, ni face à des adversaires occasionnels et désorganisés, ni face à une simple recrudescence du banditisme ou de la délinquance : il y a mutation de l'art de la guerre, mutation dont nous commençons à peine à prendre conscience.
    Signalons au passage que l'argument invoqué habituellement à la présentation de cet état de fait consiste à dire que c'est le travail de la police de lutter contre ce type de menaces internes. Cependant, l'argument tourne court étant donné l'affaiblissement général de l’État en Europe depuis la fin de la Guerre froide. Ajoutons que la crise financière de 2008 a mis les États européens dans une situation encore plus précaire, avec des programmes d'austérité budgétaire affectant fortement les fonctions régaliennes de l'État, dont la sécurité. À ce propos, l'exemple français est très parlant : le pays dispose du plus haut taux de forces de police en Europe, pourtant il ne contrôle plus ses banlieues et les gangs qui y sévissent. En ce qui concerne la Suisse, le rapport USIS (Réexamen du système de sécurité intérieure de la Suisse : Forces et faiblesses du système actuel, 2001) avait relevé il y a quelques années qu'il manquait entre 2'000 et 3'000 policiers pour garantir la sécurité du pays. Ce rapport est resté sans suite.
    À ce stade, il convient de faire intervenir la notion d'équilibre de la terreur. Car, si la guerre s'insinue dorénavant dans le corps social, son corollaire − l'équilibre de la terreur − change également d'échelle. Alors qu'au XXe siècle il se situait entre les États, notamment avec l'équilibre nucléaire entre les grandes puissances, il redescend aujourd'hui directement au niveau des individus. Ce changement d'échelle, aussi difficile soit-il pour nous de le concevoir et de l'accepter, est pourtant une des principales conséquences de la transformation de la guerre. Au même titre que l'État devait protéger sa souveraineté par la dissuasion armée, l'individu doit aujourd'hui veiller à sa propre sécurité, à celle de ses biens inaliénables que sont la vie, l'intégrité corporelle, la liberté et la propriété[9]. Comme l'État se dotait des outils propres à garantir sa souveraineté, l'individu doit pouvoir − s'il le souhaite − disposer des armes nécessaires. C'est là la conséquence pratique de ce changement d'échelle de l'équilibre de la terreur.
    À l'appui de cet argument, il est intéressant de se remémorer les limites que Hobbes fixe lui-même à son Léviathan : l'individu abandonne sa liberté au profit de l'État en contrepartie de la sécurité, mais cet abandon ne dure que tant que l'État peut garantir cette sécurité, lorsque ce n'est plus le cas l'individu récupère immédiatement son droit à l'autodéfense parce que c'est un droit naturel qui n'est soumis à aucune convention.
    Dans un tel contexte, il apparaît donc peu rationnel de vouloir « désarmer » les citoyennes et les citoyens pour tenter de vivre dans une société sans violence. Pour paraphraser une formule connue, « si vous ne vous intéressez pas à la guerre, la guerre en revanche s'intéresse à vous ». En témoigne la tuerie programmée (heureusement déjouée) de Copenhague, les attaques de supermarchés à l'explosif et à la kalachnikov, les rezzous nocturnes sur les dépôts et les magasins.
    À la lumière de ces quelques éléments, on constate qu'en dépit des réactions émotionnelles des individus, l'histoire continue : une fois de plus l'Europe se recompose à l'échelle macro-historique, une fois de plus cette recomposition se déroule de manière hautement conflictuelle, une fois de plus les individus seront amenés à défendre leur vie et leurs biens.

    Bernard Wicht
    Privat-docent, Institut d'études politiques et internationales, UNIL

     

    [1] Cf. notamment René GIRARD, La violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972. Dans son explication de ce qu'il appelle l'économie de la violence, l'auteur insiste sur le nécessaire exutoire dont celle-ci a besoin : « Quand elle n'est pas satisfaite, la violence continue de s'emmagasiner jusqu'au moment où elle déborde et se répand aux alentours avec les effets les plus désastreux » (p. 21).

    [2] Les historiens de la longue durée considèrent la suite presque ininterrompue de conflits entre 1914 et 1991 comme le véritable moteur de l'histoire au XXe siècle : d'où l'expression de Longue Guerre. Cf. notamment Philipp BOBBITT, The shield of Achilles : war, peace and the course of history, Londres, Allen Lane, 2002.

    [3] C'est le constat de George L. MOSSE, L'image de l'homme : l'invention de la virilité moderne, trad., Paris, Abbeville, 1997. L'auteur relève, après 1945, ce passage de l'idéal viril vers des contretypes (androgynie, mouvement gay). De son côté, la psychologie détecte dans le même sens l'émergence de ce qu'elle appelle le « mâle doux » en lien avec cette transformation de l'idéal masculin, cf. notamment Robert BLY, L'homme sauvage et l'enfant : l'avenir du genre masculin, trad., Paris, Seuil, 1992.

    [4] Cf. en particulier Martin VAN CREVELD, La transformation de la guerre, trad., Monaco, éditions du Rocher, 1998.

    [5] Loretta NAPOLEONI, Terror Inc : tracing the money behind global terrorism, Londres, Penguin Books, 2004.

    [6] Thierry CRETIN, Mafias du monde : organisations criminelles transnationales, actualité et perspectives, Paris PUF, 3e éd., 2002.

    [7] Jean-Paul GOUREVITCH, L'économie informelle : de la faillite de l'Etat à l'explosion des trafics, Paris, Le Pré aux Clercs, 2002.

    [8] Estimation de la police française

    [9] Ces biens inaliénables de l'individu sont ceux définis par la philosophie politique moderne à partir des travaux de John Locke et des Lumières, qui constituent la base des droits fondamentaux de l'individu.

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  • La Joie Armée...

    François-Bernard Huyghe, dans un article consacré aux attentats anarchistes de Rome, signale la parution de La Joie Armée, aux éditions Entremonde, un manifeste en faveur de l'insurrection et de la lutte armée, écrit par le théoricien anarchisant Alfredo Bonanno et publié intialement en 1977. Un texte dont la radicalité donne une bonne idée du climat qui régnait en Italie pendant les Années de plomb...

    "Mais pourquoi ces foutus jeunes ont-ils tiré dans les jambes de Montanelli (directeur d'un quotidien) ? N'aurait-il pas été mieux de lui tirer dans la bouche ? Bien sûr que ça aurait été mieux. Mais ça aurait été aussi plus grave. Plus vindicatif et plus sombre. Estropier une bête comme celle-là peut aussi avoir un côté plus profond ou plus significatif; au-delà de la vengeance, de la punition pour sa responsabilité en tant que fasciste et valet des patrons. L'estropier signifie l'obliger à boiter, l'obliger à se souvenir. Par contre, ça aurait été un divertissement plus agréable de lui tirer dans la gueule avec le cerveau qui lui sort par les yeux."

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    "La joie s’arme. Son attaque est le dépassement de l’hallucination marchande, de la machine et de la marchandise, de la vengeance et du leader, du parti et de la quantité. Sa lutte brise la ligne tracée par la logique du profit, l’architecture du marché, le sens programmé de la vie, le document final de l’archive. Son explosion bouleverse l’ordre des dépendances, la nomenclature du positif et du négatif, la loi de l’illusion marchande."

    Ce texte a été écrit dans le contexte tendu de la vague révolutionnaire italienne des années 70. Alfredo M. Bonanno y attaque avec virulence la soi-disant mission historique du parti communiste. Opposant à la spécialisation militaire des Brigade Rouges, il militera au contraire pour un insurectionalisme assumé et généralisé à l’ensemble du mouvement social.

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