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souveraineté - Page 16

  • L'UE est une hydre technocratique manipulée par les lobbies...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Anne-Marie Le Pourhiet au Cercle Poincaré. Professeur de droit public à l'université de Rennes-I et spécialiste du droit constitutionnel, Anne-Marie Le Pourhiet s'est fait connaître par la publication dans la grande presse de tribunes libres percutantes dans lesquelles elle défend avec talent des positions souverainistes orthodoxes.

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    Entretien avec Anne-Marie Le Pourhiet sur l'Union européenne - « Renationaliser le pouvoir de décision pour le repolitiser »

    Les élections des députés européens approchent. Les dernières échéances ont montré un fort désintérêt des citoyens de presque tous les pays pour ce suffrage, et certains sondages annoncent une majorité eurosceptique au Parlement européen. Dans cette hypothèse, quelle influence pourrait avoir cette « chambre introuvable » eurosceptique sur le fonctionnement, voire la réforme, de l'Union européenne ?

        Vous savez, je suis constitutionnaliste et non politologue et encore moins voyante, je serais donc bien incapable de vous dire ce que serait et ferait exactement cette chambre à majorité eurosceptique. Mais la logique voudrait qu’elle refuse d’adopter une grande partie de la législation envahissante que propose la Commission en invoquant systématiquement les principes de proportionnalité et de subsidiarité auxquels est consacré un protocole additif au traité de Lisbonne. Défendre l’autonomie des États et saboter les prétentions fédéralistes de l’Union devrait être le premier souci d’une telle chambre.

    Sauf que la nouveauté des élections européennes de 2014, introduite par le traité de Lisbonne, c'est que les têtes de liste des partis européens sont désormais transnationales, désignées au niveau de l'Union, et celle dont le parti sortira premier du scrutin aura de grandes chances d'être élue, à la majorité absolue de la nouvelle chambre, à la tête de la Commission européenne. Le traité de Lisbonne réalise-t-il ainsi l'aspiration que Jacques Delors exprimait en 1990 - rejetée avec vigueur par Margaret Thatcher à la Chambre des Communes, avec son fameux « No ! No ! No ! » - de créer un régime parlementaire fédéral en Europe, où l'exécutif procéderait du législatif et serait responsable devant lui ?

        Que le traité de Lisbonne ait des prétentions constitutionnelles n’a rien d’étonnant puisqu’il est la copie conforme du traité constitutionnel que les Français avaient rejeté et que Nicolas Sarkozy a cependant fait ratifier par les parlementaires, de gauche et de droite, réunis pour contourner le verdict populaire. Le divorce ne peut que s’accroître entre des institutions à prétention fédérale et des peuples rétifs à la supranationalité. Élire des listes anti-fédéralistes aux européennes est donc une bonne stratégie pour essayer de torpiller le système de l’intérieur.

    Ces élections européennes, instaurées en 1979, ont eu pour vocation de démocratiser le fonctionnement de l'UE, en instaurant un corps représentatif émanant directement des citoyens des États-membres. Or l'idée même de « démocratie européenne » est discutée, notamment par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, en Allemagne, qui, dans sa décision du 30 juin 2009, estime qu'en l'absence de peuple européen, il ne saurait y avoir de démocratie européenne possible. Dépourvue de demos, l'UE n'a-t-elle pas vocation à n'être qu'une organisation internationale ?

        Je vous rappelle que le Conseil constitutionnel lui-même a affirmé clairement, dans sa décision du 30 décembre 1976 (n°76-71 DC) relative à l’élection au suffrage universel direct de ceux que l’on appelait encore à l’époque les  « représentants des peuples des États-membres des communautés européennes », qu’ « aucune disposition de nature constitutionnelle n’autorise des transferts de tout ou partie de la souveraineté nationale à quelque organisation internationale que ce soit », que l’élection des eurodéputés au suffrage universel direct n’est pas « de nature à modifier la nature de cette assemblée qui demeure composée de représentants de chacun des peuples de ces États », que «  la souveraineté qui est définie à l’article 3 de la Constitution de la République française, tant dans son fondement que dans son exercice, ne peut être que nationale et que seuls peuvent être regardés comme participant à l’exercice de cette souveraineté les représentants du peuple français élus dans le cadre des institutions de la République ». Le Conseil conclut que « l’acte du 20 septembre 1976 est relatif à l’élection des membres d’une assemblée qui n’appartient pas à l’ordre institutionnel de la République française et qui ne participe pas à l’exercice de la souveraineté nationale ». Dans sa décision du 19 novembre 2004 (n° 2005-505 DC) relative au traité constitutionnel, il a encore rappelé que le parlement européen « n’est pas l’émanation de la souveraineté nationale ».

     Il n’empêche que les révisions constitutionnelles ad hoc auxquelles nous procédons avant la ratification de chaque nouveau traité obscurcissent la situation juridique et que le Conseil est contraint de rédiger des motivations complexes. Dans la même décision, après avoir constaté que les stipulations du traité constitutionnel concernant son entrée en vigueur, sa révision et sa possibilité de dénonciation lui conservent « le caractère d’un traité international » et que sa dénomination (constitution pour l’Europe) est « sans incidence sur l’existence de la constitution française et sa place au sommet de l’ordre juridique interne », il affirme cependant que « l’article 88-1 de la Constitution française, issu de la révision de 1992, consacre l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à l’ordre juridique interne et distinct de l’ordre juridique international ». C’est peu dire que le raisonnement est confus et que sa cohérence laisse à désirer. La Constitution française reste donc au sommet d’un ordre juridique interne auquel un traité international intègre cependant un ordre juridique externe distinct de l’ordre juridique international mais dont les normes priment sur le droit interne ! Allez comprendre !

    En tout état de cause, il eût fallu s’entendre effectivement, depuis longtemps, sur le fait que l’Europe ne devait pas dépasser le stade d’une confédération et d’un marché, mais nul n’a été capable d’arrêter le délire mégalomaniaque qui inspire cette machine infernale.

    — À ce propos, les évolutions récentes de la construction européenne laissent transparaître l'ascendant qu'a l'Allemagne sur le fonctionnement présent et futur de l'Union européenne. Pour autant, avec la décision de la Cour de Karlsruhe mentionnée plus haut, le juge constitutionnel allemand a clairement identifié les domaines où tout nouvel approfondissement de l'intégration européenne requerrait préalablement une réforme substantielle – et improbable - de la Loi fondamentale allemande. L'idée de construire les « États-Unis d'Europe », si elle existe encore, est-elle vouée à mourir à Karlsruhe ?

       Par rapport au Conseil constitutionnel français, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe est obligée d’être beaucoup plus rigoureuse car les justiciables qui la saisissent produisent des recours rédigés par des juristes pointus, dont les arguments ne peuvent être évacués par des pirouettes. En outre la Constitution allemande consacre une forme de supra-constitutionnalité interdisant de réviser les principes posés à l’article 20, essentiellement le principe démocratique de souveraineté du peuple. La Cour est donc en effet condamnée à se montrer sévère et à déterminer un seuil au-delà duquel il ne serait plus possible de renforcer la supranationalité européenne dans le cadre de la loi fondamentale existante.

    Dès après sa réélection, Angela Merkel annonçait vouloir une réforme des traités européens pour 2015, notamment en faveur d'un renforcement de la gouvernance de la zone euro. David Cameron a quant à lui instauré une forme d'ultimatum à la réforme de l'Union européenne en fixant à 2017 le référendum d'appartenance du Royaume-Uni à l'UE. François Hollande préfère, de son côté, jouer la montre. Face à ces aspirations centrifuges des trois grandes puissances européennes, quelles devraient être, selon vous, les priorités d'une refonte de l'UE ?

        Les aspirations de Hollande et de Merkel ne me semblent pas « centrifuges », contrairement à celles de Cameron. Je dois dire que nous devons une fière chandelle aux conservateurs britanniques et que je ne peux m’empêcher de penser avec satisfaction : « Messieurs les Anglais, tirez-vous les premiers ! ». C’est aussi à eux, et à la conférence de Brighton qu’ils avaient convoquée, que l’on doit le protocole n°15 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme introduisant expressément dans son préambule le respect du « principe de subsidiarité » et de la « marge nationale d’appréciation » que la Cour de Strasbourg a une fâcheuse tendance à piétiner.

        La priorité d’une refonte de l’Union consiste à changer complètement le mode de définition des compétences de l’union en s’inspirant d’un modèle confédéral et d’une répartition centrifuge et  statique à l’américaine plutôt que d’une répartition centripète et dynamique à l’allemande. Il faut impérativement renationaliser le pouvoir de décision pour le repolitiser et faire reculer cette hydre technocratique manipulée par des lobbies.

    Mais les adversaires d'une réforme de l'Union en faveur des États arguent souvent du caractère irréversible de la construction européenne. Le traité de Maastricht était d'ailleurs écrit dans cet esprit, alors que celui de Lisbonne ouvre une brèche avec l'article 50 du Traité sur l'Union européenne (TUE) qui permet le « retrait volontaire » d'un État-membre de l'Union. Que l'on parle de rapatriement de compétences ou d' « Europe à la carte » avec des coopérations renforcées entre certains États, comment pourrait-on concrètement, et juridiquement, mettre en œuvre cet éventuel détricotage de l'UE actuelle ?

        C’est d’une simplicité biblique ! Vous prenez les traités actuels, vous raturez partout et surtout vous réécrivez les dispositions essentielles définissant les « objectifs » de l’Union en des termes filandreux et sans fin, car ce sont partout ces objectifs qui justifient les compétences, rendant par là-même celles-ci illimitées. Il faut revoir tout cela « au karcher ». C’est très facile, il suffit de le vouloir.

    À l'occasion de l'adoption du pacte de stabilité, vous aviez dénoncé un texte qui, par le biais de la « règle d'or » budgétaire que certains voulaient inscrire dans la Constitution, importait en France la préférence allemande pour la règle. Votre position se fondait alors sur les différences de nature qui existent entre les modèles constitutionnels français et allemand ; ce dernier étant centré sur une Loi fondamentale précise et, dans une certaine mesure, exhaustive. Quels risques cette tendance fait-elle courir sur la lettre et l'esprit de la Constitution de la Ve République, et sur l'équilibre institutionnel qu'elle consacre ?

        Hélas, ce risque est depuis longtemps consommé. Voyez les révisions constitutionnelles qui se sont accumulées depuis les années 1990 et qui ont multiplié les dispositions lourdingues et indigestes dont certaines incompréhensibles avec des renvois à un arsenal complémentaire de lois organiques et ordinaires en cascade, c’est un hamburger juridique inspiré des façons de légiférer germaniques et européennes. Ceci s’observe dans des révisions qui ne sont pourtant pas directement « commandées » par l’Europe elle-même, comme celle de 2003 sur l’organisation décentralisée (encore que la Charte européenne de l’autonomie locale ait inspiré l’ensemble)  ou celle de 2008 sur la modernisation des institutions.  C’est une mode, un travers calamiteux, une véritable « addiction » à la norme, un « maldroit »  que je compare volontiers à la « malbouffe » nutritionnelle et qui débouche sur la même obésité. Voyez la proposition de loi constitutionnelle socialiste sur la ratification de la Charte européenne des langues régionales, c’est une parfaite caricature de cette pathologie.

    D'ailleurs, l'Union européenne semble se construire et se légitimer par la norme justement, que ce soit par l'orthodoxie budgétaire dans la gouvernance de la zone euro ou par l'inflation normative qui résulte de l'activisme de la Commission et du Parlement. En quoi est-ce un problème que le projet européen, à défaut d'avoir un objectif et une forme clairs, repose au moins sur un appareil juridique « solide » ?


        Solide ? Ce n’est sûrement pas l’accumulation de normes tatillonnes, envahissantes et illégitimes qui rend un système juridique solide. Envoyez un obèse aux jeux olympiques, vous allez voir son degré de performance et de compétitivité !

    Certes. Mais dans le cas de la France, cette « importation » de la préférence allemande pour la règle n'a-t-elle pas au moins l'intérêt d'être un rempart contre les errements d'une classe politique française accaparée par la compétition politicienne, elle-même permise par diverses évolutions du régime de 1958 ?

        Oh la-la ! Vous m’entraînez dans la sociologie politique. Allez voir le dernier film de Roberto Ando « Viva la libertà » qui ressasse l’éternel problème de la classe politique italienne, sans toutefois faire encore autre chose que de s’indigner et d’en appeler de façon incantatoire à  la repolitisation et au réenchantement… Les belles paroles et les leçons de morale ne suffisent pas à révolutionner les hommes et leurs mœurs ! Les Italiens comme les Français ont sûrement la classe politique qu’ils méritent : elle est sans doute à leur image. Il n’y pas de société politique corrompue sans société civile corruptrice. Mais je ne pense pas  que la solution à cette « catastrophe » (selon le terme du film) consiste à accepter de se soumettre à la schlague allemande. Je n’oublierai jamais la lettre péremptoire adressée en pleine crise financière par le commissaire européen Olli Rehn à Guglio Tremonti (ministre italien de l'économie et des finances de 2008 à 2011) et le priant de répondre « in english »…. L’horreur absolue, une gifle à la démocratie, mais Rome s’est couchée ! Et à quel terrible spectacle avons-nous assisté lorsque le Premier ministre grec a proposé d’organiser un référendum sur la mise sous tutelle de son pays … On venait tuer la démocratie à domicile ! Pierre-André Taguieff a écrit en 2001 sur l’Union une phrase dure mais vraie: «  L’Europe est un empire gouverné par des super-oligarques, caste d’imposteurs suprêmes célébrant le culte de la démocratie après en avoir confisqué le nom et interdit la pratique » (« Les ravages de la mondialisation heureuse », in Peut-on encore débattre en France ? Plon – Le Figaro, 2001).

    Pour terminer l'entretien et élargir le propos, éloignons-nous (quoique) de l'Union européenne et parlons du Conseil de l'Europe, et de sa célèbre charte sur les langues régionales et minoritaires. D'aucuns décrient une atteinte d'une rare gravité contre le modèle républicain français. Qu'en pensez-vous ?


        Je ne peux que vous renvoyer à mon article récemment publié dans Marianne le 31 janvier 2014. Mon point de vue est clair : cette charte et ses promoteurs sont anti-républicains.

    Vous avez parfois dénoncé la dimension anglo-saxonne qui tend à caractériser de plus en plus le droit européen, incompatible selon vous avec le droit continental, et a fortiori avec le droit républicain français. En quoi consiste cette incompatibilité ? Quelles conséquences produit cette différence de nature entre les différents droits applicables en France ?

        Outre les vieilles différences de système juridique entre la common law et le droit continental, il y a surtout une différence culturelle colossale entre le multiculturalisme anglo-saxon et le modèle républicain français. Lorsque nous organisons des colloques juridiques communs entre l'université de Rennes 1, celle de Louvain-la-Neuve en Belgique et celle d'Ottawa, au Canada, je me rends compte que nous sommes tous francophones mais que les Belges et les Canadiens ne raisonnent pas comme nous. C’est frappant. Tous les conflits qui traversent actuellement la société française résultent de cette confrontation entre le modèle républicain et le multiculturalisme (féminisme compris) anglo-saxon. Et vous remarquerez que tous ces conflits atterrissent dans la Constitution puisque c’est elle qui fonde notre contrat social et notre « tradition républicaine » (cf. révisions sur la Nouvelle-Calédonie, l’organisation décentralisée version fédéralisme asymétrique, parité, Europe, langues régionales, etc …). C’est incontestablement notre « identité constitutionnelle » qui est en jeu. 

    Vous avez mentionné plus tôt la Cour européenne des Droits de l'Homme, parlons-en. Ses juges sont réputés pour les controverses politiques que créent leurs jugements dans certains États, et plus généralement pour l'interprétation extensive qu'ils auraient de leur office. La justice ayant pour but de faire appliquer les lois qu'une société se donne, et en l'absence de société européenne, quelle est la légitimité d'une justice européenne s'appliquant uniformément à des pays de cultures et de traditions différentes ? Quelle place et quel crédit accorder à la supranationalité normative ?

        Vous savez, Jean Foyer, quand il était garde des sceaux du général de Gaulle, avait compris que si le texte de la Convention européenne des droits de l’homme ne soulevait aucune objection en lui-même, c’est l’existence d’une Cour chargée de l’interpréter qui allait poser de graves problèmes de souveraineté. Il avait donc mis le général de Gaulle en garde contre le risque qu’il y avait à placer ainsi la France sous tutelle de juges européens. Au Conseil des ministres suivant, après que Couve de Murville eut exposé l’intérêt de ratifier la Convention, le Général conclut, en s’adressant à son garde des Sceaux: « J’ai lu votre note. Vous m’avez convaincu. La Convention ne sera pas ratifiée. La séance est levée ». Il lui avait précédemment enseigné : « Souvenez-vous de ceci : il y a d’abord la France, ensuite l’État, enfin, autant que les intérêts majeurs des deux sont sauvegardés, le droit ». Et il avait raison. Le droit n’est légitime que s’il traduit la volonté populaire, la « supranationalité » normative n’est évidemment pas légitime dès lors qu’elle échappe au contrôle des représentants de la nation.

    Anne-Marie Le Pourhiet (Cercle Poincaré, 2 mars 2014)

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  • Tour d'horizon... (63)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur son blog La voie de l'épée, le colonel Michel Goya rappelle que la souveraineté et la puissance de notre pays passent par la possession d'une armée disposant d'effectifs suffisants...

    Des soldats, des soldats et encore des soldats

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     - sur le Figaro, l'avocat Thibaut de Montbrial dénonce le laxisme de la justice face à la délinquance hyper-violente...

    Les Français contraints de se faire justice eux-même ?

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  • Comment les USA vont continuer de dépecer l’Europe…

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la question du Grand marché transatlantique (GMT)...

     

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    GMT : comment les USA vont continuer de dépecer l’Europe…

    Alors que François Hollande vient tout juste d’annoncer, depuis les États-Unis, une accélération des négociations concernant le Grand marché transatlantique (GMT), Alain de Benoist revient pour Boulevard Voltaire sur les conséquences dramatiques d’un tel Traité…

    Le GMT, gigantesque zone de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis, est le grand projet du moment. Mais les médias n’en parlent que fort peu. Pourquoi ?

    Parce que l’opinion est tenue à l’écart, et que les négociations se déroulent à huis-clos. C’est pourtant une affaire énorme. Il s’agit en effet de mettre en place, en procédant à une déréglementation généralisée, une immense zone de libre-échange, correspondant à un marché de plus de 800 millions de consommateurs, à la moitié du PIB mondial et à 40 % des échanges mondiaux. Le projet porte le nom de « Partenariat transatlantique de commerce et d’investissements ». S’ajoutant au « Partenariat transpacifique » également lancé en 2011 par les États-Unis, il vise à créer la plus grande zone de libre-échange du monde grâce à une vaste union économique et commerciale préludant à une « nouvelle gouvernance » commune aux deux continents.

    En créant une sorte d’OTAN économique, l’objectif des Américains est d’enlever aux autres nations la maîtrise de leurs échanges commerciaux au bénéfice de multinationales largement contrôlées par leurs élites financières. Parallèlement, ils veulent contenir la montée en puissance de la Chine, aujourd’hui devenue la première puissance exportatrice mondiale. La création d’un grand marché transatlantique leur offrirait un partenaire stratégique susceptible de faire tomber les dernières places fortes industrielles européennes. Elle permettrait de démanteler l’Union européenne au profit d’une union économique intercontinentale, c’est-à-dire d’arrimer définitivement l’Europe à un grand ensemble « océanique » la coupant de sa partie orientale et de tout lien avec la Russie.

    Ces négociations se font à haut niveau, sans que les gouvernements concernés aient leur mot à dire. Nouvelle défaite du personnel politique ?

    La « libéralisation » totale des échanges commerciaux est un vieil objectif des milieux financiers et libéraux. Le projet de grand marché transatlantique a discrètement mûri pendant plus de vingt ans dans les coulisses du pouvoir, tant à Washington qu’à Bruxelles. Les premières négociations officielles se sont ouvertes le 8 juillet 2013. Les deuxième et troisième rounds de discussion ont eu lieu en novembre et décembre derniers. Une nouvelle réunion est prévue à Bruxelles en mars prochain. Les partenaires espèrent parvenir à un accord d’ici 2015. Les gouvernements européens ne sont pas partie prenante aux discussions, qui sont exclusivement menées par les institutions européennes. Les multinationales y sont en revanche étroitement associées.

    Sachant qu’à l’heure actuelle, quelque 2,7 milliards de biens et de services s’échangent déjà tous les jours entre l’Europe et les États-Unis, la suppression des derniers droits de douane va-t-elle vraiment changer quelque chose ?

    La suppression des droits de douane n’aura pas d’effets macro-économiques sérieux, sauf dans le domaine du textile et le secteur agricole. Beaucoup plus importante est l’élimination programmée de ce qu’on appelle les « barrières non tarifaires » (BNT), c’est-à-dire l’ensemble des règles que les négociateurs veulent faire disparaître parce qu’elles constituent autant « d’entraves à la liberté du commerce » : normes de production sociales, salariales, environnementales, sanitaires, financières, économiques, politiques, etc. L’objectif étant de s’aligner sur le « plus haut niveau de libéralisation existant », « l’harmonisation » se fera par l’alignement des normes européennes sur les normes américaines.

    Dans le domaine agricole, par exemple, la suppression des BNT devrait entraîner l’arrivée massive sur le marché européen des produits à bas coûts de l’agrobusiness américain : bœuf aux hormones, carcasses de viande aspergées à l’acide lactique, volailles lavées à la chlorine, OGM (organismes génétiquement modifiés), animaux nourris avec des farines animales, produits comportant des pesticides dont l’utilisation est aujourd’hui interdite, additifs toxiques, etc. En matière environnementale, la réglementation encadrant l’industrie agro-alimentaire serait démantelée. En matière sociale, ce sont toutes les protections liées au droit du travail qui pourraient être remises en cause. Les marchés publics seront ouverts « à tous les niveaux », etc.

    Il y a plus grave encore. L’un des dossiers les plus explosifs de la négociation concerne la mise en place d’un mécanisme d’« arbitrage des différends » entre États et investisseurs privés. Ce mécanisme dit de « protection des investissements » doit permettre aux entreprises multinationales et aux sociétés privées de traîner devant un tribunal ad hoc les États ou les collectivités territoriales qui feraient évoluer leur législation dans un sens jugé nuisible à leurs intérêts ou de nature à restreindre leurs bénéfices, c’est-à-dire chaque fois que leurs politiques d’investissement seraient mises en causes par les politiques publiques, afin d’obtenir des dommages et intérêts. Le différend serait arbitré de façon discrétionnaire par des juges ou des experts privés, en dehors des juridictions publiques nationales ou régionales. Le montant des dommages et intérêts serait potentiellement illimité, et le jugement rendu ne serait susceptible d’aucun appel. Un mécanisme de ce type a déjà été intégré à l’accord commercial que l’Europe a récemment négocié avec le Canada.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 13 février 2013)

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  • Dérapages européens...

    Dans cette excellente chronique, mise en ligne sur Realpolitik.tv,  Hervé Juvin s'inquiète du mépris des eurocrates vis-à-vis des choix démocratiques des peuples qui s'est vu à l'occasion du référendum suisse sur l'immigration mais également dans la décision prise d'autoriser la culture des OGM.

     


    Dérapages européens, par Hervé Juvin par realpolitiktv

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  • Quelle idée saugrenue de vouloir rester suisse !...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 14 février 2014 et consacrée aux résultats du référendum suisse contre l'immigration massive ...

     


    Ah, quelle idée saugrenue que de rester suisse ! par rtl-fr

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  • La souveraineté numérique...

    Les éditions Stock viennent de publier un essai de Pierre Bellanger intitulé La souveraineté numérique. Vous trouverez ci-dessous la critique stimulante que Guillaume Faye a fait de ce livre sur son blog J'ai tout compris.

     

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    Internet, la pieuvre américaine ?

    Le fondateur et directeur de Skyrock, Pierre Bellanger, par ailleurs créateur du premier réseau social français (skyrock.com), expert en Internet et analyste des médias, signe un nouveau livre, La souveraineté numérique (Stock, 253 p.), qui est probablement l’analyse la plus originale et fouillée de la Toile – et de son futur – parue à ce jour. Au rebours de l’optimisme béat souvent de mise en ces matières, la thèse de l’auteur fait froid dans le dos. Il faut citer ici intégralement la quatrième de couverture : « la mondialisation a dévasté nos classes populaires. L’Internet va dévorer nos classes moyennes. La grande dépression que nous connaissons depuis cinq ans n’est qu’un modeste épisode en comparaison du cataclysme qui s’annonce. La France et l’Europe n’ont aucune maîtrise sur cette révolution. L’Internet et ses services sont contrôlés par les Américains. L’Internet siphonne nos emplois, nos données, nos vies privées, notre propriété intellectuelle, notre prospérité, notre fiscalité, notre souveraineté.

    Nous allons donc subir ce bouleversement qui mettra un terme à notre modèle social et économique. Y a-t-il pour nous une alternative ? Oui. »

     

    Comparant le réseau Internet à l’espace océanique trans-frontières, l’auteur fait un parallèle entre la thalassocratie anglo-saxonne et l’hégémonie américaine sur la Toile planétaire. Sans oublier de préciser que la Chine, puissance ascendante et sans scrupules, est comme un pirate en embuscade. Les Européens et les Français restent bras ballants, renonçant à utiliser leur  énorme potentiel économique, à le transformer en puissance, voire même à le protéger. Face à ce que l’auteur appelle le « complexe militaro-numérique américain », l’Europe reste un nain, qui prend à peine conscience de ce qui lui arrive. Comme si nous ne savions pas que nous sommes au XXIe siècle et que le ”nomos de la Terre”, pour employer le concept schmittien, a changé de fond en comble. (1)

    La question de la souveraineté numérique, de la maîtrise d’Internet, fait évidemment beaucoup de moins de buzz que des sujets nettement moins importants (je n’ai pas dit sans importance puisque j’en traite par ailleurs avec vigueur) tels que le mariage homo ou la théorie du genre.

    Bellanger use d’un néologisme pertinent : les « résogiciels » c’est-à-dire les conglomérats numériques en réseaux qui tendent à maîtriser les processus et les flux économiques, d’amont en aval et inversement, pour l‘instant tous américains : Google, Apple, Amazon, etc. Espionnage, captation de toutes les données personnelles et collectives, maîtrise des leviers politico-économiques, contrôle des industries : la panoplie de puissance des géants américains de l’Internet, qui fonctionnent la main dans le main avec les super agences de renseignement et le Pentagone, ne cesse de croître, comme une vigne vierge ou une pieuvre.      

    La thèse de Bellanger est qu’il faut reconquérir une indépendance et une souveraineté abolies par l’Internet tel qu’il est aujourd’hui.  Car pour lui, il ne s’agit pas de diaboliser Internet mais de se le réapproprier, d’y réintroduire des principes démocratiques mis à mal par une dérive orwelienne des maîtres américains oligopolistiques du web ; loin de fulminer avec rogne impuissante contre l’ ”impérialisme US”, l’auteur appelle à jouer le jeu de la vie, de la politique et de l’histoire, selon une logique au fond schumpeterienne : l’innovation compétitive et la reprise en mains de son destin en cessant d’accuser les autres par fulminations morales, coups d’épée dans l’océan.  

    En inventant le concept de « souveraineté numérique », Bellanger fait avancer la science politique en ce qu’il est le premier à formuler cette extension du domaine de la souveraineté – et partant celui du champ politique – au XXIe siècle. Il présente, dans la seconde partie de son essai, un véritable plan de bataille pour reconquérir (ou plutôt conquérir) en France et en Europe, cette souveraineté. En créant nos propres résogiciels, pour nous réapproprier Internet et ses innombrables synapses.

    Car, pour les résogiciels et le complexe militaro-numérique US, l’Europe, démontre Bellanger, est le maillon faible, la proie principale, bien plus que l’Asie. En raison de son énorme PIB global  et de son absence conjointe de volonté et de synergie.

    L’auteur explique, contrairement aux clichés, que la puissance US (et bientôt chinoise par un étrange paradoxe de l’histoire) dans la sphère numérique – et dans toutes les autres, d’ailleurs – repose sur une étroite collaboration, patriotique au fond, entre l’État, le système militaro-industriel et le mercantilisme privé. C’est la logique de l’économie organique, telle qu’elle avait été décrite par François Perroux, qui n’a absolument rien de ”libéral” au sens d’Adam Smith. (2)

     Refuser de reconquérir et de maîtriser la sphère numérique aujourd’hui, c’est comme si jadis on avait renoncé à contrôler l’imprimerie,  à posséder une flotte hauturière ou à construire des chemins de fer, laissant ce soin à d’autres. 

    Sur le plan strictement économique, outre le champ politico-stratégique, Bellanger ouvre une autre piste, une autre interrogation : et si l’économie numérique (Internet au premier chef) était fondamentalement destructrice d’emplois, notamment dans les pays qui ne la maitrisent pas ?

    Bellanger, qui ne néglige pas la science-fiction réaliste, nous brosse un monde dominé par le soft-totalitarisme des réseaux numériques. Ses prédictions sont parfaitement impensables et horriblement possibles. Il est comme le médecin qui vous dit : ”vous voyez  ce petit bouton sur votre fesse gauche ? C’est une tumeur. Si vous n’y prenez garde, elle vous emportera ”.

    Contrairement à la tradition de la critique pure (qui est hémiplégique et hélas très française), Bellanger propose des solutions argumentées pour reconquérir l’indépendance numérique. Ces dernières sont, à proprement parler, gaullistes. C’est-à-dire l’alliance synergique de la puissance publique et de l’économie privée. Dans ses propositions, il essaie aussi de surmonter les handicaps des institutions européennes, par des solutions innovantes. Il prône, pour la France et l’Europe la liberté individuelle et l’indépendance collective : n’était-ce pas déjà la leçon d’Aristote, il y a de cela des milliers de révolutions circumsolaires  ?  

    Guillaume Faye (J'ai tout compris, 3 février 2014)

     

    NOTES

    (1) La révolution d’Internet, extrêmement véloce, qui marque le début du XXIe siècle et se caractérise par la constitution d’un ”nouvel espace” (en sus de la terre, de l’océan et de l’atmosphère/ espace proche) peut se comparer à ce qui s’est produit à la charnière XVe/ XVIe siècles par l’irruption de la dimension océanique post-méditerranéenne. 

    (2)  L’idée selon laquelle l’économie américaine serait ”libérale” et anti étatiste est d’une prodigieuse fausseté, comme je l’ai montré dans plusieurs de mes essais. Les USA refusent l’État Providence social mais ont totalement adopté le modèle de l’État-pilote du colbertisme, évidemment avec d’énormes variantes. Mais cela mériterait un autre article.

     

    NOTE LIMINAIRE

     Pour le philosophe Martin Heidegger, l’innovation technique (à l’image de l’évolution naturelle), intégralement liée à sa diffusion par l’économie, est un mécanisme aveugle et tâtonnant, dont il est impossible de prévoir les conséquences. Il parle de « processus sans sujet ». Et de fait, depuis des siècles, les progrès de la technoscience produisent des effets imprévus sur les plans sociologiques, économiques, anthropologiques, politiques ; des effets qui n‘avaient jamais été planifiés mais qu’on découvre ”quand il est trop tard”. Et auxquels il faut s’adapter a posteriori. Il en fut ainsi de l’agriculture de jachère, comme de l’imprimerie, des métiers à tisser,  de la poudre, du chemin de fer, de l’automobile, du télégraphe et du téléphone, de la radio et de la télévision, de l’aviation, des antibiotiques, du nucléaire, etc. Il en est aujourd’hui de même avec l’informatique, le numérique et Internet. Pour paraphraser Heidegger, l’homme invente un procédé supranaturel (”technique”, du grec technè, qui signifie à la fois ”art” et ”fabrication”) qui produit une réalité augmentée, laquelle agit en retour sur la société humaine de manière imprévue. L’artéfact technique « arraisonne » l’écosystème naturel et humain. C’est l’allégorie juive du Golem : la poupée qui échappe à son créateur et devient autonome. Néanmoins, un pilotage a posteriori de l’innovation est possible, mais il faut faire très vite, être hyper réactif : c’est ainsi que procèdent les ”résogiciels” dont parle Bellanger, pour maîtriser un système économique devenu extrêmement fluide.

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