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libéralisme - Page 4

  • Le Grand Empêchement...

    Les éditions Perspectives Libres viennent de publier un essai de Pierre Le Vigan intitulé Le Grand Empêchement. Urbaniste, collaborateur des revues Eléments, Krisis et Perspectives libres, Pierre Le Vigan a notamment publié Inventaire de la modernité avant liquidation (Avatar, 2007), Le Front du Cachalot (Dualpha, 2009), La banlieue contre la ville (La Barque d'Or, 2011), Écrire contre la modernité (La Barque d'Or, 2012), Soudain la postmodernité (La Barque d'or, 2015), Métamorphoses de la ville - De Romulus à Le Corbusier (La Barque d'Or, 2017) et dernièrement Achever le nihilisme (Sigest, 2019).

     

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    " Pourquoi le monde de toutes les licences laisse-t-il un tel dégoût de vivre à beaucoup de nos contemporains ?

    Pourquoi le monde de l’abondance est-il un monde du manque à vivre ?

    Qu’est-ce qui empêche une vie réellement humaine alors que les conditions matérielles n’ont jamais été aussi favorables ?

    C’est le « Grand Empêchement », que cet ouvrage analyse et propose de conjurer. "

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  • « Il n’existe pas de lien philosophique indissoluble entre le libéralisme politique et la démocratie »...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien, traduit par le site Le Comptoir et cueilli sur le site Les Crises, que Jean-Claude Michéa a donné en janvier dernier au magazine américain Dissent. Il y évoque à cette occasion la question du libéralisme et celle du mouvement des Gilets jaunes.

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    Jean-Claude Michéa : « Il n’existe pas de lien philosophique indissoluble entre le libéralisme politique et la démocratie »

    Dissent : Vos écrits montrent que le capitalisme ne peut pas exister sans la quête inlassable de l’individualisme et des désirs individuels. Ce qui inclut donc des valeurs – qui pour beaucoup d’entre nous sont devenus une seconde nature – telles que la réalisation de soi et la critique des normes sociales. Vous en concluez que le libéralisme économique ne peut pas exister sans le libéralisme culturel. « Une économie de droite – écrivez-vous – ne peut pas exister sans une culture de gauche. »Est-ce que la principale leçon de vos livres c’est bien que la gauche doit rompre une fois pour toutes avec le libéralisme ?

    Jean-Claude Michéa : Je suis toujours sidéré, en effet, par la facilité avec laquelle la plupart des intellectuels de gauche contemporains (c’est-à-dire ceux qui, depuis la fin des années 1970, ont progressivement renoncé à toute critique radicale et cohérente du système capitaliste) opposent désormais de façon rituelle le libéralisme politique et culturel − tenu par eux pour intégralement émancipateur − au libéralisme économique dont ils s’affirment généralement prêts, en revanche, à condamner les “excès” et les “dérives” financières. Non seulement, bien sûr, parce qu’une telle manière de voir invite inévitablement à jeter par-dessus bord, dans le sillage de Foucault, toute l’armature intellectuelle du socialisme originel (au sens où Marx, par exemple, soutenait que le système capitaliste était incompatible avec toute notion de « limite morale ou naturelle » et que sa véritable devise, loin d’être culturellement conservatrice, était en réalité « Liberté, Égalité, Propriété, Bentham »).

    Mais aussi parce qu’elle conduit, dans la foulée, à oublier que pour Adam Smith et les premiers défenseurs du libéralisme économique (un courant idéologique dont, soit dit en passant, l’intelligentsia de gauche a toujours autant de mal à reconnaître la filiation logique avec la philosophie des Lumières) les progrès de la liberté économique et du “doux commerce” apparaissaient indissolublement liés à ceux de la tolérance, de l’esprit scientifique et des libertés individuelles. Ce qui se comprend du reste assez bien. Comme le rappelait en effet Hayek dans The Road to Serfdom, une véritable économie libérale ne peut fonctionner de façon à la fois cohérente et efficace − et contribuer ainsi à « libérer l’individu des liens traditionnels ou obligatoires qui entravaient son activité quotidienne » − que si « chacun est libre de produire, de vendre et d’acheter tout ce qui est susceptible d’être produit ou vendu », sans que ni l’État ni la collectivité n’aient à se mêler de ses choix.

    Si l’on veut bien assumer jusqu’au bout l’ensemble des implications de ce postulat “émancipateur”, il est donc clair que toute prétention à limiter la liberté économique des individus au nom d’une quelconque “préférence” morale, religieuse ou philosophique (en s’opposant par exemple à la libéralisation du commerce des drogues, au droit de travailler le dimanche ou à la gestation pour autrui) ne peut que contredire ce droit naturel de chacun à “vivre comme il l’entend” qui constitue l’essence même du libéralisme politique et culturel. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ces deux versions parallèles et complémentaires de l’idéologie libérale – celle (version de “gauche”) qui privilégie le moment du Droit et celle (version de “droite”) qui privilégie le moment du Marché – trouvent leur point de départ dans la même fiction métaphysique : à savoir l’idée − anthropologiquement absurde − d’un individu “indépendant par nature” (et donc déjà pleinement humanisé avant même l’existence du langage et de la société !), “propriétaire absolu de lui-même” et censé n’agir, en dernière instance, que pour “maximiser son utilité”. Bref, une de ces « plates fictions du XVIIIe siècle » (« le chasseur et le pêcheur individuels et isolés par lesquels commencent Smith et Ricardo ») que Marx avait l’habitude de tourner en dérision sous le nom de “robinsonnades”.

    Pour nous en tenir à des événements récents, quelle appréciation portez-vous sur le mouvement des “Gilets jaunes” ? Exprime-t-il une critique de la société contemporaine comparable à celle que vous avez formulée dans vos livres ?

    J’ai bien entendu appelé à soutenir le mouvement des Gilets jaunes dès le premier jour, quand le clergé intellectuel − et notamment son extrême gauche − portait encore sur lui le même regard horrifié que les Elois de The Time Machine sur le monde des Morlocks ! Le premier mérite, à mes yeux, de cette révolte authentiquement plébeienne (dans laquelle les femmes, comme c’est le cas dans tous les grands mouvements populaires, ont joué un rôle déclencheur absolument décisif), c’est en effet d’avoir fait voler en éclats le mythe fondateur de la nouvelle gauche selon lequel le concept de “peuple” aurait définitivement perdu, de nos jours, toute signification politique, sauf à s’appliquer aux seules populations immigrées vivant à proximité immédiate des grandes métropoles mondialisées. Or c’est bien ce peuple théoriquement “disparu” qui non seulement fait aujourd’hui son retour en force sur la scène de l’Histoire mais qui a même déjà commencé à obtenir − grâce à sa spontanéité rafraîchissante et sa pratique obstinée de la démocratie directe (“nous ne voulons plus élire, nous voulons voter !” est l’un des slogans les plus populaires parmi les Gilets jaunes des ronds-points) − plus de résultats concrets, en quelques semaines, que toutes les bureaucraties syndicales et d’extrême gauche en trente ans.

    Bien entendu, le fait que cette France de la ruralité, des villes petites et moyennes et des territoires d’outre-mer (cette France “périphérique”, en d’autres termes, sur laquelle un Bernard-Henri Levy vomit chaque jour sa haine de classe alors qu’elle subit de plein fouet, depuis plus de trente ans, toutes les conséquences pratiques de son évangile libéral, au point même de connaître dans ses régions rurales les plus déshéritées, des conditions de vie infiniment plus précaires et dramatiques que celles des banlieues “à problèmes”), le fait, donc, que cette France qui regroupe plus de 60% de la population ait fini par disparaître entièrement des écrans-radars de l’intelligentsia de gauche ne devrait étonner personne. Il n’est que la suite logique du processus qui a conduit la gauche moderne, depuis sa conversion accélérée aux principes du libéralisme économique et culturel, à liquider progressivement sa base sociale d’origine au profit de ces nouvelles classes “moyennes-supérieures” des grandes métropoles mondialisées – surdiplômées et hyper-mobiles – qui ne représentent pourtant que 10 à 20% de la population, tout en étant structurellement protégées contre les principales nuisances de la globalisation libérale (quand encore elles n’en profitent pas directement !). Inutile de préciser que c’est seulement au sein de ces nouvelles catégories sociales incroyablement imbues d’elles-mêmes, dont la bonne conscience “progressiste” n’est que l’envers logique de leur mode de vie privilégié et de leur pratique systématique de l’“entre-soi”, que pouvait fleurir l’idée profondément mystificatrice (quoique très réconfortante pour elles) que seuls les 1% les plus riches appartiendraient véritablement à la classe dominante !

    C’est donc avant tout, selon moi, cette véritable “contre-révolution sociologique” qui explique qu’aujourd’hui les mouvements populaires les plus radicaux (ou ceux, du moins, dont le potentiel révolutionnaire est le plus prometteur) prennent presque toujours naissance en dehors du cadre traditionnel des syndicats et des partis de gauche (quand ce n’est pas contre eux !). À partir du moment, en effet, où les élites intellectuelles de la nouvelle gauche sont devenues désespérément incapables − une fois acté leur renoncement définitif à toute remise en question radicale de la logique capitaliste − de percevoir dans ceux qui produisent de leurs mains l’essentiel de la richesse collective (y compris les robes de soirée d’Hillary Clinton ou les costumes d’Emmanuel Macron !) autre chose qu’un sinistre et repoussant « panier de déplorables », « raciste, sexiste, alcoolique et homophobe par nature » (selon la description phobique que ne cesse d’en donner la nouvelle “minorité civilisée”), toutes les conditions se trouvent alors réunies pour favoriser, dans tous les milieux populaires, une prise de conscience de plus en plus nette du fait qu’à l’ère du capitalisme terminal (je reprends ici le concept d’Immanuel Wallerstein) le clivage gauche/droite a fini par perdre l’essentiel de son ancienne signification historique, pour ne plus recouvrir désormais que ce que Guy Debord appelait déjà, en 1967, les « fausses luttes spectaculaires des formes rivales du pouvoir séparé ».

    C’est d’abord dans ce contexte historique en grande partie inédit (celui, encore une fois, où les contradictions internes du processus d’accumulation sans fin du capital − comme Marx l’avait prévu dans le Livre III du Capital − apparaissent de plus en plus insurmontables, du fait de la diminution constante et inexorable de la part du travail vivant dans le processus de production moderne) qu’il devient alors possible de comprendre dans toute son ampleur la thèse révolutionnaire que défendaient au départ les fondateurs de Podemos. Le clivage politique décisif – remarquaient en effet Pablo Iglesias, Juan Carlos Monedero et Inigo Errejon – ne peut plus être, aujourd’hui, celui qui oppose rituellement l’aile droite et l’aile gauche du château libéral (avec les brillants résultats que l’on sait !). C’est, au contraire, celui qui divise de façon infiniment plus tranchante – comme c’est d’ailleurs le cas dans toutes les sociétés de classe − “ceux d’en bas” (autrement dit, ces classes “subalternes” dont Machiavel rappelait qu’elles ont d’abord en commun le désir de « ne pas être commandé ni opprimé par les Grands ») et ceux d’en haut” (autrement dit ces “Grands” que le souci permanent de maintenir et d’étendre leurs privilèges de classe contraint inexorablement à vouloir “commander et opprimer le peuple”).

     

    De ce point de vue, le mouvement des Gilets jaunes marque clairement le retour au premier plan de cette insubmersible “question sociale” que la nouvelle gauche s’était pourtant efforcée de noyer, depuis plus de trente ans, sous le flot continu de ses revendications “sociétales” ( et on peut, par conséquent, être absolument certain que les “gardes rouges du capital” − Black blocs et “antifas” en tête − feront tout ce qui est en leur pouvoir, avec la complicité habituelle des grands médias libéraux, pour donner de cette révolte spontanée de la France périphérique et “provinciale” l’image profondément trompeuse d’un phénomène essentiellement parisien, pouvant même finir par trouver, à ce titre, un écho favorable chez certains universitaires de gauche). Et de fait, s’il est bien un point, depuis quelques semaines, qui saute aux yeux de tous les observateurs sérieux (et que confirme à chaque instant la moindre discussion politique entre parents, amis ou collègues de travail) c’est qu’il est devenu presque aussi difficile, à l’heure où je parle, de trouver de véritables partisans des Gilets jaunes chez ceux – qu’ils soient de droite ou de gauche – qui gagnent plus de 3000 € par mois (soit 17 % de la population française) que d’opposants résolument hostiles à ce mouvement populaire chez ceux ( plus de 60 % de la population) qui “vivent” avec moins de 2000 € par mois !

    Très significative, de ce point de vue, est l’incroyable mésaventure survenue au journal Le Monde (le plus important quotidien de la gauche libérale française) le 16 décembre 2018. Ayant commis, en effet, l’imprudence de laisser passer un reportage plein d’empathie sur les conditions de vie incroyablement précaires et difficiles d’une famille de Gilets jaunes (« Arnaud et Jessica, la vie à l’euro près »), le quotidien libéral a aussitôt vu son site internet submergé de commentaires enragés et haineux de la part de ses lecteurs de gauche, littéralement scandalisés qu’on puisse ainsi éprouver une telle compassion pour ces “parasites sociaux” et ces “assistés” qui osaient se plaindre de leur sort alors qu’ils n’avaient même pas l’excuse d’avoir la bonne couleur de peau ! De quoi donner raison, en somme, au grand écrivain socialiste américain Upton Sinclair lorsqu’il notait, dans les années 1930, qu’il est toujours « difficile d’amener quelqu’un à comprendre une chose quand son salaire dépend précisément du fait qu’il ne la comprend pas ».

    Quel que soit, par conséquent, le destin politique qui attend dans les mois qui viennent le mouvement des Gilets jaunes (car on ne doit pas oublier qu’Emmanuel Macron − en bon thatchérien de gauche − n’hésitera pas un seul instant à employer tous les moyens, y compris les plus sanglants, pour briser leur révolte et défendre les privilèges de sa classe sociale), il est d’ores et déjà acquis qu’il aura permis d’élever de façon spectaculaire − en seulement quelques semaines − le niveau de conscience politique de “ceux d’en bas” (notamment quant aux limites structurelles de ce système dit “représentatif” qui prend aujourd’hui l’eau de toute part). Autant dire que pour les classes dirigeantes − et malgré le soutien sans faille que continueront à leur apporter jusqu’au bout leurs fidèles blacks blocs et leurs grotesques foulards rouges (puisque c’est ainsi que s’auto-désigne, en France, la fraction de la bourgeoisie la plus impatiente d’en découdre avec les classes populaires) − la fin de la “fin de l’histoire” est d’ores et déjà à l’ordre du jour !

    De nos jours, le libéralisme (au moins sous sa forme politique) semble menacé par le retour de l’autoritarisme. Dans un tel contexte, ne pourrait-il pas être nécessaire, au moins à court terme, de soutenir les individus et les forces sociales qui sont en position de protéger ce qui reste de la démocratie – même si ce sont des néolibéraux déclarés ?

    « J’en sais assez sur l’impérialisme britannique pour ne pas l’aimer – écrivait Orwelldans sa lettre à Noel Willmett du 18 mai 1944 –, mais je le soutiendrai contre l’impérialisme nazi ou japonais, parce qu’il représente un moindre mal ». Honnêtement, je ne vois pas grand-chose à changer à cette analyse. Chaque fois qu’un mouvement totalitaire apparaît réellement sur le point de prendre le pouvoir dans une société libérale et d’y détruire, dans la foulée, tout ce qui peut encore subsister d’institutions libres (je laisse de côté la question cruciale de savoir quelle succession d’“erreurs” ont alors forcément dû commettre les élites de cette société libérale pour que la situation se dégrade à un tel point), il n’y a évidemment plus d’autre solution possible pour un ami du peuple que d’opter pour “le moindre mal”. Quitte, en effet, à s’allier provisoirement pour cela avec des “néolibéraux déclarés”.

    Il y a néanmoins quelque chose qui me dérange un peu dans la manière dont cette question est formulée. Elle semble sous-entendre, en effet, qu’il existerait un lien philosophique indissoluble entre le libéralisme politique et la démocratie au sens strict, c’est-à-dire (car je ne connais pas d’autre définition) le “pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple”. Or cette thèse est contestable pour au moins deux raisons. La première, c’est que les libéraux − du fait de leur individualisme constitutif (l’individu comme “indépendant par nature” et “propriétaire absolu de lui-même”) − éprouvent habituellement une profonde méfiance envers les idées républicaines de “souveraineté populaire” et de bien commun” − qu’ils soupçonnent même, la plupart du temps, de contenir en germe la “tyrannie de la majorité” et le “collectivisme”. Telle est d’ailleurs la véritable raison d’être historique de ce système politique dit “représentatif” que les révolutionnaires de 1789 prenaient encore bien soin de distinguer de la démocratie radicale “à l’ancienne”. Il repose en effet sur la conviction − théorisée par Montesquieu – que le peuple a assez de sagesse pour choisir ceux qui le représenteront, mais pas pour se gouverner directement lui-même. Le libéralisme politique est donc clairement indissociable de cette professionnalisation de la vie politique (et du règne parallèle des “experts”) dont presque tout le monde s’accorde aujourd’hui à reconnaître qu’elle joue un rôle essentiel dans le “déficit démocratique” grandissant qui caractérise les sociétés libérales.

    Et la seconde raison, c’est que ce sont précisément les nouvelles contraintes qui pèsent à présent sur le processus d’accumulation mondialisée du capital – rôle démesurément accru, entre autres, du crédit, de la dette et des produits spéculatifs (tout ce que Marx, en un mot, rassemblait sous le concept de “capital fictif”) – qui conduisent de plus en plus les États libéraux à voir dans les institutions démocratiques traditionnelles, et tout particulièrement dans le principe même du suffrage universel, une véritable menace pour le bon fonctionnement de l’économie de marché (il suffit de lire, sur ce point, le témoignage hallucinant de l’ancien ministre grec Yanis Varoufakis sur les propos que peuvent tenir en privé les actuels dirigeants de l’Union européenne). Comme le fait ainsi remarquer le critique social allemand Wolfgang Streeck, lorsque l’“État fiscal” fordiste et keynésien (celui qui reposait, en dernière instance, sur l’impôt) doit progressivement céder la place à l’“État débiteur” néolibéral (celui qui doit emprunter sans cesse sur les marchés financiers), chacun devrait pouvoir comprendre immédiatement que tout gouvernement nouvellement élu – qu’il soit de droite ou de gauche – aura forcément beaucoup plus de comptes à rendre à ses créanciers internationaux (ceux-là mêmes que les États libéraux avaient pourtant contribué à sauver de la faillite en 2008 !) qu’à ses propres électeurs.

    Telle est bien, du reste, l’une des raisons majeures de cet inquiétant mouvement de fond qui pousse depuis quelques décennies la plupart des gouvernements libéraux, à rétrécir sans cesse le champ d’application du suffrage universel, notamment en le plaçant de plus en plus sous le contrôle “constitutionnel” de “sages”, de juges ou d’“experts” (voire – avec les nouveaux traités de libre échange – de tribunaux privés) nommés directement par l’élite au pouvoir et donc dépourvus, à ce titre, de toute véritable légitimité populaire (en France, certains juristes de gauche et d’extrême gauche – idéologiquement très proches d’Emmanuel Macron − vont même, désormais, jusqu’à soutenir l’idée qu’un véritable “État de droit” est celui dans lequel ces juges supposés “impartiaux” et censés incarner mieux que le peuple lui-même les “valeurs ultimes de la démocratie” − auraient en permanence le pouvoir d’annuler ou de suspendre toutes les décisions “populistes” qui pourraient surgir des urnes !). Mais, après tout, n’est-ce pas Friedrich Hayek lui-même qui justifiait déjà, le 12 avril 1981, et au nom même de la défense de la démocratie et des libertés individuelles, le renversement du président populiste Salvador Allende – pourtant légalement élu – par ce disciple excité de Milton Friedman qu’était le tortionnaire Augusto Pinochet ?

    Jean-Claude Michéa, propos recueillis Michael C. Behrent (Les Crises, 15 août 2019)

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  • Aucune convergence possible entre libéralisme et populisme !...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Patrick Buisson au quotidien libéral L'Opinion et consacré à la question de l'avenir de la droite dans le contexte politique actuel. Politologue et historien, Patrick Buisson est l'auteur d'une étude historique, 1940-1945, années érotiques (Albin Michel, 2008), et d'un essai politique important, La cause du peuple (Perrin, 2016).

     

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    Patrick Buisson: «Il n’y a aucune convergence possible entre libéralisme et populisme»

    La stratégie d’union des droites peut-elle devenir réalité en 2022 ?

    Vouloir bâtir un projet d’alternance pour 2022 avec les outils conceptuels de la fin du siècle dernier témoigne à tout le moins d’une certaine paresse intellectuelle. Cela revient à occulter l’apparition des nouveaux clivages qui sont venus distordre l’axe de polarité droite-gauche, autour duquel tout semblait figé. A bien des égards, le clivage qui oppose libéraux et anti-libéraux, et qui passe désormais à l’intérieur de chaque camp, est aujourd’hui le plus pertinent. A gauche, il a pris forme avec le tournant de la rigueur impulsé par le tandem Mitterrand-Delors en 1983 et, par la suite, à travers la montée des thématiques sociétales de l’individualisme libertaire. De l’autre côté, le fait majeur tient à la renaissance d’une droite anti-libérale, hybride du légitimisme et du catholicisme social, que La Manif pour tous – ce que j’ai appelé le populisme chrétien – a su tirer d’un long coma historique. La crise des Gilets jaunes n’a fait que souligner l’acuité du clivage entre cette droite-là et la droite libérale. L’une privilégie les solidarités collectives, l’esprit communautaire, le localisme et l’enracinement. L’autre met l’accent sur les sociabilités contractuelles, l’émancipation des individus, la mobilité et les bienfaits de la globalisation.

    L’union entre Les Républicains et le Rassemblement national est donc un horizon obsolète ?

    L’union impliquerait à terme la formation d’un mélange homogène.Or la propriété des droites aujourd’hui, c’est précisément de ne pas être miscibles. Il y a des convergences possibles entre populisme et conservatisme, il n’y en a aucune entre libéralisme et populisme. En outre, la base électorale de ces droites est devenue chroniquement minoritaire, et par là même très insuffisante pour servir d’axe stratégique à une reconquête du pouvoir. En y faisant arbitrairement entrer la totalité de l’électorat RN, les droites n’ont recueilli, lors des dernières élections européennes, que 36% des suffrages. Au premier tour de la présidentielle de 1995, les droites de Balladur à Le Pen rassemblaient près de 60% des votants…

    Ce clivage entre libéraux et anti-libéraux recoupe-t-il l’opposition peuple-élite ?

    Si être libéral, c’est croire que la logique du contrat et celle du marché suffisent à faire vivre ensemble une société disparate, alors oui, il y a bien là une fracture profonde entre le bloc élitaire et le bloc populaire. En moins d’un demi-siècle, l’action conjuguée de l’Etat-providence et du marché a fait tomber les uns après les autres tous les murs porteurs de notre affectio societatis. Depuis le début des années 1960, les politiques publiques ont toutes, peu ou prou, œuvré à la promotion de l’individualisme aux dépens de ce qui contribuait à la formation du lien social. Elles n’ont plus fabriqué du vivre ensemble, mais du vivre côte-à-côte. Le mouvement des Gilets jaunes aura été une révolte contre cette vaste entreprise d’arasement des communautés naturelles et des anciens réseaux de sociabilités.En proclamant la supériorité normative du commun sur les intérêts privés, en cherchant à redéployer les solidarités perdues, il s’est inscrit dans la filiation des « Communes », ces grandes émotions populaires qui ont jalonné notre histoire.

    «Bellamy 2019 aura été le négatif absolu de Sarkozy 2007. Sa candidature a rendu visible le gentrification de la droite, et du même coup, la coupure irréversible entre cette droite-là et le peuple»

    Comment expliquez-vous l’effondrement de LR aux européennes ?

    Le choix de Bellamy ciblait l’électorat très participationniste des seniors et des inclus qui forment le grand parti de l’ordre. C’était oublier qu’en période de troubles, ce parti de la peur se regroupe instinctivement derrière le pouvoir en place, pourvu que celui-ci sache exercer sans trop mollir le monopole de la violence légitime. Pour le reste, Bellamy 2019 aura été le négatif absolu de Sarkozy 2007. Sa candidature a brusquement rendu visible l’achèvement du processus de gentrification de la droite, et du même coup, la coupure irréversible entre cette droite-là et le peuple. Plutôt qu’au «métro à six heures du soir» dont parlait Malraux, elle s’est identifiée aux héritiers des Versaillais.Galliffet plutôt que Gavroche.

    Est-ce la fin de cette droite que vous décrivez comme écartelée « entre un moi libéral et un surmoi conservateur » ?

    La contradiction permanente dans laquelle elle se débat, son incohérence idéologique ont été lourdement sanctionnées par les électeurs. On ne peut à la fois prôner le libre marché et combattre la PMA et la GPA. Sauf à se retrouver dans la situation ubuesque que décrivait Philippe Muray : le parti des conséquences portant plainte contre le parti des causes.

    Y-a-t-il une voie pour la droite entre progressisme et populisme ?

    Je ne suis pas d’accord avec Alain Finkielkraut qui enjoint à la droite de répudier conjointement l’économisme et le populisme. Le populisme exprime l’instinct de survie des peuples victimes d’une dérégulation et d’une relégation sans précédent. Il faut le civiliser, et non l’anathématiser. Et s’en tenir au précepte énoncé jadis par Aragon : « Quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat ».

    Qui sera le candidat de la droite en 2022 ?

    Macron, sans aucun doute. Après avoir digéré la gauche post-sociale en 2017, il a naturellement vocation à absorber la droite post-nationale, celle qui rejette par principe tout accord avec le RN. On ne voit pas qui, sur le marché politique, pourrait porter une offre libérale plus cohérente et attractive.

    Macron peut-il être cette fois battu ?

    Ce n’est pas impossible, dans un contexte marqué par le retour de la question sociale et l’élargissement de la fracture ethno-culturelle. L’élection présidentielle reste le seul scrutin où les classes populaires et la classe moyenne inférieure fournissent une majorité de votants. Seule une candidature opérant la jonction entre ces deux catégories serait susceptible de l’emporter face à Macron.

    Comment expliquez-vous l’intérêt autour d’un possible retour de Marion Maréchal ?

    L’intérêt des médias n’est pas toujours le critère le plus pertinent.Le storytelling produit davantage d’images que de suffrages. Les cas de Simone Veil et de Michel Rocard, stars médiatiques répudiés par les électeurs, l’ont démontré. Le moment choisi par Marion Maréchal pour revenir dans le débat laisse perplexe. D’abord en raison de l’échec de Bellamy, qui a fait apparaître l’insigne faiblesse électorale de la ligne libérale et conservatrice dont elle se réclame également. Ensuite parce que Marine Le Pen a fait montre d’une résilience dont bien peu la croyaient capable après le débat raté de 2017, réduisant les marges de manœuvre de sa nièce. Enfin, parce que son offre d’union à LR – une OPA sur une coquille vide et une main tendue à des gens qui n’en veulent pas – va vite trouver ses limites.

    Patrick Buisson (L'Opinion, 31 juillet 2019)

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  • Quand l’argent gouverne ...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré à la corruption systémique que le système organise.

    Économiste de formation, vice-président de Géopragma et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

     

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    Quand l’argent gouverne

    « One dollar, one vote ». Depuis qu’une décision de la Cour suprême américaine a supprimé tout plafond aux contributions des entreprises et des groupes d’intérêt aux partis politiques, au nom de la liberté d’expression, le vote censitaire est de retour. Sous une forme que ses derniers promoteurs, au XIXe siècle, n’auraient pu imaginer ; l’argent ne donne pas de droits de vote, l’argent achète les votes. Des organisations, dont Cambridge Analytica n’est qu’un exemple, s’y emploient par milliers. Au paradis des réseaux, chaque candidat se veut sûr de récolter les voix qu’il a achetées auprès de prestataires spécialisés dans la fabrique du suffrage.

    Quand l’argent tue le débat démocratique

    À coup de Commissions de déontologie et de surveillance des élus, de limitations du financement des partis et de déclarations d’intérêt, la France et l’Union européenne veulent se croire indemnes d’une dérive qui touche toutes les démocraties. Avec une faculté d’oubli manifeste ; par exemple, l’opacité qui continue d’entourer la naissance du parti présidentiel français, « En Marche ». Les menaces exercées contre toute enquête à ce sujet ridiculisent les prétentions françaises à moraliser la vie publique. De la corruption par l’argent de ceux qui veulent plier la France à leurs intérêts, ou faire de la politique l’instrument de leurs intérêts patrimoniaux, l’exemple vient d’en haut. Avec une complaisance étonnante pour un système d’achat des votes qui tend à supplanter le débat démocratique, la confrontation des idées et des programmes, et le suffrage universel.

    Le combat pour la « moralisation » de la vie publique se trompe de cible. L’achat du vote et de la décision publique est d’abord l’effet de la captation réglementaire par les sociétés privées, leurs associations et leurs cabinets d’influence, qui travaillent à écrire eux-mêmes les lois, qui imposent plus encore l’idée que des engagements négociés valent mieux que la loi. Il est le résultat de conditions insatisfaisantes de financement de la vie politique, tout étant fait pour étrangler les partis reposant sur des bénévoles, des militants et des organisations de masse, au profit de ceux qui bénéficient de la complicité acquise du monde bancaire et financier ; il faudra y revenir.

    Les ONG et les fondations : le vrai danger

    Le détournement de la démocratie et du suffrage universel est enfin et surtout le fait de ces ONG et de ces Fondations financées de l’étranger qui bénéficient d’un a priori favorable, qui affirment détenir le Bien, et qui l’utilisent pour acclimater dans les médias et dans l’opinion les idées qu’elles servent. La première et la plus dangereuse est qu’ONG et Fondations peuvent avec avantage se substituer à l’action de l’État et des systèmes sociaux en vigueur. Pas besoin de chercher très loin pour reconnaître la logique puissamment à l’œuvre aux États-Unis, où la charité remplace la justice. Médias et autopromotion aidants, non seulement les pauvres doivent reconnaître qu’ils n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes, mais ils doivent remercier les milliardaires qui laissent tomber quelques miettes pour eux — après avoir mobilisé les meilleurs experts leur vie durant pour échapper à l’impôt !

    Bien des tenants de la justice sociale, de la solidarité nationale et d’une citoyenneté exigeante en Europe ont fait fausse route en désignant les Fondations et organisations de Georges Soros comme leur unique cible. Ils feraient mieux de dénoncer l’accueil réservé à Bill Gates par Emmanuel Macron, un Bill Gates qui est parvenu à installer les outils de Microsoft (par exemple, l’outil de mesure des connaissances) dans les systèmes éducatifs de divers pays comme seul un ministre pourrait le faire !

    Ils feraient mieux d’étudier comment, sous couvert de lutte contre le changement climatique, d’aide à l’éducation, à la santé et de combat contre la corruption, des ONG et Fondations attaquent les systèmes d’éducation publique obligatoire et gratuite, comment ils détruisent les médecines traditionnelles et la médecine familiale, appuyée sur une connaissance intime du cadre de vie et de l’environnement social, pour les remplacer par des dispositifs à distance qui traitent le corps humain comme une machine dont les pièces se montent et se démontent à l’envie ; ils feraient mieux d’étudier comment l’écologie est détournée pour fragiliser les agricultures traditionnelles, pour organiser la concentration industrielle (par des normes inapplicables par les artisans) ou détruire les industries concurrentes, ce que des réseaux de lutte contre la corruption savent aussi remarquablement faire, combien d’entreprises françaises peuvent en témoigner !

    La corruption affichée, désignée, dénoncée, est un parfait alibi qui protège la corruption structurelle, systémique, que le modèle libéral organise. La supercherie est manifeste ; que seraient les Gates, les Bezos, les Zuckerberg, sans les recherches universitaires, sans la police et le FBI, sans l’armée ou l’administration américaine et leurs commandes, sans la diffusion mondiale que l’histoire assure aux innovations américaines ? Le libertarisme auquel ils souscrivent volontiers leur permet de bénéficier de systèmes auxquels ils ne contribuent pas, ou si peu, ou si mal ! Leur complicité affichée avec toutes les minorités leur permet de se dispenser de toute forme de solidarité nationale ; ils choisissent leurs pauvres !

    Et le « libertarianisme» leur permet de se donner à peu de frais une image flatteuse, anti-étatiste et anti-establishment, alors même que leurs milliards viennent d’abord de la commande publique (voir les contrats de l’Us Army pour Amazon ou Google), ensuite des institutions américaines (l’armée et l’université avec Arpanet), et enfin de la protection qui leur est assurée ; il leur suffit de consacrer une part de l’impôt qu’ils auraient dû payer à financer ONG ou Fondations, et ils cumulent l’avantage fiscal personnel correspondant à leur don avec le capital moral qu’ils accumulent au détriment de l’action publique et de la justice. Qui a parlé d’hypocrisie ?

    Les Nations européennes, la France, doivent choisir la justice, pas la charité. Et la justice sociale passe par le refus inconditionnel d’abandonner l’action publique et la solidarité nationale aux milliardaires étrangers, qu’ils soient Américains, Chinois, Qataris ou Saoudiens. La pauvreté, le désaménagement du territoire, le recul des services médicaux, éducatifs, ou de sécurité, sont des sujets politiques qui requièrent l’action de l’État, pas des sujets d’engagement individuel qui relèvent de la charité.

    Les systèmes de santé publique, d’enseignement, de retraite sont des biens publics qui ne peuvent être inclus dans des traités de libre-échange et livrés à des prestataires privés. La lutte contre les groupes de pression, les opérations d’influence, les actions de déstabilisation, qui travaillent à abaisser les Etats, à affaiblir la fonction publique et le régalien, doit être à l’agenda de l’Union européenne si elle veut accomplir sa mission ; préparer l’alliance européenne des Nations. Car cette lutte est le préalable décisif à l’indépendance des Nations d’Europe, au retour de la justice et de l’égalité entre citoyens dans leur Nation, car cette lutte doit réveiller le souffle révolutionnaire qui en a fini avec les privilèges de l’aristocratie et d’une élite prétendue, le premier étant d’accumuler par ses bonnes œuvres, à la fois satisfaction morale et avantages financiers.

    Le commerce des indulgences est d’actualité ! Face à la corruption qui remplace le politique par l’économie et subordonne le vote à l’argent, les Nations européennes doivent réaffirmer l’égalité de tous les citoyens devant la loi, la primauté du citoyen sur l’individu, et le choix d’une société où l’argent ne remplace pas la justice par la charité.

    Hervé Juvin (Site personnel d'Hervé Juvin, 11 juin 2019)        

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  • Quand le monde des vieux partis est en train de disparaître...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque les résultats des dernières élections européennes... Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « le monde des vieux partis est en train de disparaître ! »

    Pour la première fois depuis longtemps, voire pour la première fois tout court, deux intellectuels, Raphaël Glucksmann et François-Xavier Bellamy, figuraient parmi les têtes de liste aux élections européennes. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

    Cela n’a apparemment pas porté bonheur aux partis qui s’étaient adressés à eux ! L’un et l’autre se trouvent en effet associés à un échec retentissant.

    L’essayiste bobo Raphaël Glucksmann, libéral de gauche, avait déjà coulé le Magazine littéraire, il n’obtient que 6,1 % des voix avec sa liste « Envie d’Europe », qui n’a visiblement pas fait envie à grand monde. Alors qu’il voulait « reconstruire la gauche », pieux souhait s’il en est, il s’est retrouvé comme un petit ours polaire sur une banquise en train de fondre, godillant comme il le pouvait entre les écologistes, les insoumis, l’« Europe des gens » de Ian Brossat et la « liste citoyenne » de Benoît Hamon, pour ne rien dire des « animalistes » qui, contrairement à ce que l’on aurait pu croire, ne soutenaient pas la dame Loiseau. La « gauche » se retrouve éclatée comme jamais. C’est pathétique.

    Le cas des Républicains est encore pire. François-Xavier Bellamy, jeune philosophe de talent, n’a certes pas démérité, mais les résultats qu’il a obtenus (8,4 % des voix) sont une catastrophe comme on en a rarement vu. La droite bourgeoise, qui aurait pu être sensible à son côté bien élevé, a préféré rallier Macron, au point que le petit prince-philosophe a même été battu dans son fief versaillais. Quant aux classes populaires, qu’il n’avait évidemment rien pour séduire, elles lui ont visiblement préféré un candidat encore plus jeune que lui, Jordan Bardella, qui a grandi dans les cités « difficiles » de Drancy, et non dans les beaux quartiers.

    Bruno Retailleau a tenté d’expliquer l’échec en disant que Bellamy avait été une victime collatérale du duel Macron-Le Pen. Après quoi les dirigeants de LR ont répété leurs mantras habituels : on va « convoquer des états-généraux pour refonder la droite », on va « retrouver nos valeurs », on va « rassembler » Nadine Morano et Valérie Pécresse, et autres calembredaines. Bref, on va maintenir l’équivoque et continuer à tourner en rond. Ces gens-là sont incorrigibles : ils n’ont pas compris qu’ils vont connaître le sort du PS parce que le monde des vieux partis est en train de disparaître. Ils n’ont pas compris que, dans le monde actuel, on ne peut atteler au même cheval la droite et le centre, les conservateurs et les libéraux. C’est tout aussi pathétique.

    De façon plus générale, est-ce le rôle des intellectuels de chercher à faire une carrière politique ? Vous avez naguère écrit que les intellectuels et les politiques vivaient sur deux planètes différentes, les premiers ayant tendance à complexifier les choses, les seconds à les simplifier pour d’évidentes raisons électorales. Ces deux mondes ne sont pourtant pas totalement étanches…

    Il y a une différence bien connue entre l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. “Cela ne signifie pas”, disait Max Weber, “que l’éthique de conviction est identique à l’absence de responsabilité et l’éthique de la responsabilité à l’absence de conviction”. Il faut au contraire souhaiter que les hommes politiques aient des convictions fortes, et tenir compte aussi de ce qu’il est parfois nécessaire de théoriser la praxis. Mais il reste que la politique est l’art du possible (ou de rendre possible ce qui est nécessaire), tandis que la théorie cherche à dire le vrai sans toujours se soucier des conséquences.

    Les intellectuels peuvent parfaitement s’engager en politique, mais s’ils en font une carrière, ils ne pourront plus assumer leur rôle d’intellectuels. Ils devront participer à toutes sortes de magouilles auxquelles ils répugnent (ou devraient répugner). Ils devront s’abstenir d’exprimer trop fortement leurs opinions personnelles, et s’ils n’y consentent pas, on leur fera très vite comprendre, comme cela a été maintes fois le cas, que leur place est ailleurs.

    N’oublions pas en outre que nous ne sommes plus à l’époque où les intellectuels jouaient encore le rôle de grandes consciences morales ou de porte-parole des sans-voix. Aujourd’hui, il n’y a plus d’Émile Zola, de Jean-Paul Sartre, de Raymond Aron ni même de Michel Foucault. Il y a une multitude d’auteurs de talent, mais qui n’influencent pas vraiment le cours du temps. La figure de l’intellectuel a largement été détrônée au profit de l’« expert », quand ce n’est pas au profit de l’amuseur public ou de l’imposteur. Il faut donc revenir à l’essentiel. Le rôle d’un théoricien, c’est d’abord de produire une œuvre qui expose sa conception du monde, sa conception de l’homme et de la société. Le rôle d’un intellectuel, c’est d’analyser le monde actuel pour aider à comprendre le moment historique que l’on vit. Cela ne l’empêche évidemment pas de donner un avis ou de signer des pétitions !

    J’en conclus, avec un sourire, que vous n’accepteriez pas de figurer sur une liste électorale ?

    En effet, et pour au moins trois raisons. La première est que je ne suis pas un homme de puissance, mais un homme de connaissance. La seconde est que je ne suis pas un acteur, mais un observateur de la vie politique. La troisième, pour être franc, est que je trouve la politique au jour le jour extrêmement ennuyeuse et qu’elle ne vient pas, et de loin, au premier rang de mes centres d’intérêt.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 30 mai 2019)

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  • Immigration  : « Oser combattre, oser vaincre » (1)...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré à la question de l'immigration.

    Économiste de formation, vice-président de Géopragma, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

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    Immigration  : « Oser combattre, oser vaincre » (1)

    L’immigration de masse est moralement condamnable, politiquement destructrice, socialement détestable, écologiquement dangereuse.

    Il faut le dire. Il faut en finir avec ces convenances qui interdisent de désigner l’ennemi, avec cette étrange timidité qui paralyse ceux qui ont compris, qui ont vu, mais qui se sentent coupables d’avoir vu ce qu’ils voient et compris ce qu’ils comprennent. L’établir sur la base d’expériences historiques multiples et valides, c’est interroger la complaisance qui a laissé des idées fausses et des émotions manipulées interdire un débat qui n’a jamais eu lieu, et qui est pourtant le plus essentiel à la démocratie ; quelles conditions d’accès et de résidence sur nos territoires, quelles conditions d’accès à la citoyenneté française et aux prestations financées par la solidarité nationale ?

    Monopole verrouillé, le camp du Bien n’a jamais voulu tolérer le débat. Terrorisme médiatique et magistère moral aidant, jamais depuis l’Occupation allemande, les Français n’ont pu dire qui ils étaient, ni la France qu’ils voulaient.

    Nous en sommes là. De sorte que le plus urgent est de prendre les armes de la critique, pour regarder en face la situation de déni de démocratie que nous avons vécue, que nous subissons encore, et sous quels étrangers commandements nous subissons. De sorte qu’il est vital d’accélérer un basculement en cours pour reprendre l’initiative et affirmer clairement que le point de vue moral, politique, social, écologique, et aussi culturel donne raison à ceux qui entendent dénoncer le pacte de Marrakech, tenir nos frontières, et dire à tous et à tous : « on ne passe pas ! »

    Immigration : 50 années de déni de démocratie

    L’histoire rappelle qu’après le mouvement massif de rapatriement des Français d’Algérie et des harkis qui avaient combattu pour la France, l’immigration de travailleurs maghrébins et africains répondait au choix des entreprises industrielles de recruter de la main-d’œuvre bon marché en masse plutôt que d’automatiser. L’origine de ce mouvement migratoire est économique. Et ce sont des entreprises industrielles, automobiles et de bâtiment notamment qui en sont responsables. Cette immigration de travail formée d’hommes jeunes, en bonne santé, cotisant aux systèmes sociaux sans en percevoir de prestations, était présentée comme temporaire. Ils étaient de passage. Qui pouvait s’en inquiéter ?

    La majorité n’allait pas repartir au pays. Leur famille allait les rejoindre en France. Un changement majeur dans la population française a eu lieu sans anticipation, sans information publique, sans décision politique. Le décret permettant le regroupement familial a été pris sans débat public, sans même consultation, en catimini, un décret dont le Président Valéry Giscard d’Estaing déclare aujourd’hui que c’est la plus grave erreur de son septennat. Les Français qui auraient voulu interroger le phénomène se sont vu répondre qu’il n’y avait pas de problème, puis qu’ils étaient le problème, eux et leur incapacité de s’adapter à l’immigration (rapport Tuot, Conseil d’État, 2017). La gauche socialiste a abandonné l’ouvrier, le prolétaire, devenu le « beauf » pour sacrifier à la piété pour le migrant, devenu la figure de l’internationalisme.

    À partir des années 1980, émerge un autre discours, idéologique celui-là. S’affirment comme vérités incontestables trois affirmations ;

    1 –« Nous sommes tous des migrants ». Il suffit de consulter des registres paroissiaux pour constater combien d’habitants de Bourgogne, de Bretagne ou des Pyrénées sont établis depuis des siècles sur leur territoire !

    2 –« Tous ne désirent que devenir comme nous ». La montée de l’Islam sous sa forme radicale, voire terroriste, comme sous la forme d’une religion missionnaire attirant les nouveaux convertis, viendra montrer la fausseté de l’affirmation.

    3 –« Les sociétés multiculturelles sont les plus heureuses ». Partout dans le monde, les sociétés multiculturelles sont les plus violentes, les plus criminelles et les plus divisées. Les exemples du Brésil et du Mexique comme celui des États-Unis devraient suffire.

    Ce discours n’est pas imposé par hasard. Les pires ennemis de l’Europe, de sa civilisation, de son unité ethnique et de sa résistance à l’Islam, sont à l’œuvre. Leur discours est porté par des ordres venus d’ailleurs, il émane de dirigeants dont le but avoué est d’en finir avec les Nations européennes. Citons-en trois : 

    - Le général Wesley Clark, qui commandait les forces de l’OTAN lors des bombardements de la Serbie, affirme en 1999 ; «  ma mission est de détruire l’unité ethnique des nations européennes ». Cette mission sera poursuivie avec des moyens illimités par nombre de Fondations et d’ONG américaines. Elle porte notamment sur l’installation et la protection de populations musulmanes en Europe, le recrutement et la formation d’agitateurs, l’organisation de réseaux qui pourront déstabiliser telle ou telle Nation qui ne se conformerait pas à l’agenda américain pour l’Europe.

    - L’ancien dirigeant d’une firme pétrolière converti à l’humanitaire, Peter Sutherland, directeur du programme pour les réfugiés à l’ONU, ordonne à l’Europe de se préparer à accueillir « plus de cent millions d’Africains » dans la génération à venir.

    - Le pacte de Marrakech fait l’objet d’une promotion agressive de la part de l’ONU, d’ONG et d’institutions internationales qui entendent instituer un droit individuel aux migrations, sapant ainsi l’idée de citoyenneté et d’appartenance nationale et territoriale. Prétendument non contraignant, le pacte est calculé pour être formalisé par des tribunaux internationaux (CJUE) et peu à peu traduit en droit positif par les Nations. Sans débat public, la France le signe le 11 janvier 2019, alors que plusieurs pays européens refusent de le ratifier.

    Ce discours affiche ses bonnes intentions, il masque la montée du capitalisme criminel qui met fin au libéralisme et à la prétendue « loi du marché ». Pour étendre son empire et accroitre ses bénéfices, le système capitaliste n’a plus besoin de l’ordre social et de la paix civile, au contraire ; il entend tirer profit du désordre social, de la dissolution des Nations et de l’alliance avec le crime organisé. La subversion individualiste de tout ordre public, national, citoyen, devient l’une des ressources de la croissance des revenus des multinationales et des entreprises privées affranchies de tout lien territorial ou collectif. Et elle interdit toute prise de conscience et toute action en matière démographique ; des voix se font entendre qui attendent un surcroît d’activité économique et de profit de la hausse de la population mondiale ; 12 milliards de consommateurs, quel rêve !

    La fabrique du client devient le ressort de rendements en hausse ; voilà pourquoi interdire aux Européens de regarder en face le risque existentiel majeur que représente pour eux, pour leur mode de vie et pour leurs terres l’explosion démographique de l’Afrique, voilà pourquoi interdire d’évoquer l’action, certes brutale, de réduction des naissances conduite en Chine et en Inde comme l’une des décisions politiques qui ont sauvé le monde – à chacun d’imaginer un monde dans lequel la population de l’Inde et de la Chine dépasserait 4 milliards ! Qu’en disent les « écolos » politiques ?

    L’aveuglement de la gauche dite « sociale » à ce changement de nature du capitalisme est à l’origine de son étonnante complicité avec son moteur ; l’immigration de masse — ou comment le socialisme détruit la société qu’il prétendait défendre.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 11 avril 2019)

     

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