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libéralisme - Page 7

  • Dr. Emmanuel et M. Macron : chronique d'une imposture écologique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Joachim Imad cueilli sur Figaro Vox et consacré à la politique d'Emmanuel en matière d'écologie. l'auteur est vice président de l'association Critique de la Raison européenne.

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    Dr. Emmanuel et M. Macron : chronique d'une imposture écologique

    Avec l'ouverture ce mardi à Paris du sommet pour le climat, Emmanuel Macron réaffirme son ambition de faire de la France un acteur décisif sur la question écologique. Ce projet trouve ses racines dans son intention consistant à «Make our planet great again», exprimé habilement suite au retrait du président américain Donald Trump de l'Accord de Paris. Si nous ne pouvons que déplorer la décision de ce dernier, il importe tout de même d'admettre que malgré sa puissance symbolique indéniable, l'Accord de Paris demeure largement insuffisant pour espérer endiguer le processus de destruction de notre planète. Cette destruction menace l'Homme lui-même et des experts estiment que près de 200 millions de personnes seront considérées comme des déplacés environnementaux, mais l'indifférence sur ce sujet semble généralisée. Brandir l'étendard du bien en se posant comme le défenseur de l'Accord de Paris comme le fait Emmanuel Macron est moralement coupable en plus d'être concrètement inefficace. Une telle posture vise certainement à nous aveugler sur ses incohérences en matière écologique. Il est en effet légitime de craindre que la sensibilité écologique revendiquée d'Emmanuel Macron, relativement nouvelle et probablement opportuniste, ne finisse par se heurter à son adhésion sans faille à l'Union européenne et à la mondialisation néolibérale. Emmanuel Macron n'échoue jamais à afficher son européisme béat comme nous l'avait montrée la cérémonie de célébration de sa victoire à la présidentielle, placée sous les auspices de l'hymne à la joie. Pourtant, l'Union européenne telle qu'elle est construite et pensée idéologiquement est incompatible avec tous les engagements qu'il conviendrait de prendre pour défendre un programme résolument écologique et capable de sauver notre «maison commune».

    L'Union européenne est tout d'abord anti-écologique de par son ADN authentiquement libéral. L'Acte Unique de 1986, qui sanctifie la libre-circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes, représente la quintessence de cette vision du monde, tout comme l'ensemble des traités qui l'ont suivi et n'ont en rien abdiqué cette croyance folle aux vertus de la circulation sans limites.

    L'Union européenne acte le refus d'un modèle de société fondé sur la réhabilitation du local et des circuits courts, pourtant davantage respectueux des savoir-faire des producteurs et dont le rôle est salvateur pour nos terroirs comme pour l'environnement. L'UE soutient même une philosophie fondamentalement antithétique à l'écologie en ceci que ses règlements et les traités de libre-échange qu'elle promeut, à l'instar du CETA qui est déjà appliqué sans pourtant avoir été ratifié par la France, imposent une distance toujours plus accrue entre le producteur et le consommateur et promeuvent des modèles de production allant toujours plus loin en matière d'élevage intensif.

    La construction de la ferme-usine des 1000 vaches en Picardie était déjà suffisamment inquiétante, mais plus rien ne semble en mesure de s'opposer à la marche néo-libérale de l'Europe lorsque l'on découvre l'existence d'une ferme industrielle aux 2000 vaches à Kemberg en Allemagne. Une telle course au gigantisme, qui consacre par ailleurs notre droit à traiter l'animal comme un produit à l'usage des besoins humains et à le soumettre à l'inquiétante ivresse de notre toute-puissance, est évidemment encouragée par les traités de libre-échange qui poussent au nivellement par le bas des normes mais aussi par la logique de la PAC. L'attribution des aides de la PAC dépend en effet du nombre d'hectares et pousse donc inexorablement les exploitants agricoles à agrandir leurs fermes. Cela va évidemment de pair avec le développement de modes de production qui contaminent l'environnement, notamment en raison de l'emploi d'engrais et pesticides très concentrés et nocifs. L'agriculture fait figure d'exemple parmi tant d'autres des erreurs funestes de l'Union européenne en matière d'écologie, mais c'est bien la logique de libre-échange qui lui est inhérente qui constitue le fond du problème. Emmanuel Macron ne compte aucunement revenir sur ce postulat fondateur des traités européens. Pire encore, il y souscrit.

    Le deuxième problème majeur que pose l'Union européenne à tout écologiste convaincu réside dans le poids pris par les lobbies dans ses institutions et dans ses cercles de décisions. Comme l'a brillamment montré la juriste Anne-Marie Le Pourhiet, la Commission européenne est ainsi courtisée par des lobbies de grandes entreprises qui manœuvrent dans l'ombre afin de défendre des intérêts privés, par essence, contraires à l'intérêt général, et particulièrement à l'intérêt de la planète.

    Les débats sur l'interdiction du glyphosate, un herbicide particulièrement controversé, ont constitué une démonstration probante de la tyrannie des lobbies à Bruxelles. Nous savons à présent que l'agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) a copié-collé, dans son rapport sur le glyphosate, plus d'une centaine de pages émanant d'un document produit directement par Monsanto, une entreprise américaine qui utilise du glyphosate pour produire son produit phare, le Roundup.

    Cependant, le refus de voir le réel semble être la chose la mieux partagée au monde par les dirigeants européens. Quiconque s'interroge sur la prégnance des lobbies dans l'Union européenne ou encore sur l'existence de conflits d'intérêts, qui conduisent souvent à sacrifier les intérêts de la planète par ailleurs, est immédiatement voué aux gémonies au nom de l'accusation de complotisme. Emmanuel Macron, s'il était sincèrement animé de la sensibilité écologique qu'il prétend porter, dénoncerait le poids des lobbies à Bruxelles. Il ne le fera pas, pas plus qu'il ne le fait à l'échelle nationale. Cela n'est évidemment pas une surprise lorsque l'on connaît le poids des intérêts privés et des grandes fortunes dans sa campagne, mais n'en reste pas moins grave pour autant. Entre l'Union européenne et sa promesse d'interdire le glyphosate en France d'ici trois ans, Emmanuel Macron choisira certainement la première pour ne pas risquer toute querelle avec les commissaires européens.

    Au-delà des pudeurs, voire de la servitude, d'Emmanuel Macron sur la question européenne, on peut regretter que son entourage soit traversé par des contradictions irréconciliables. La nomination au ministère de l'écologie de Nicolas Hulot aurait pu être de bon augure, mais la ligne qu'il incarne semble de plus en plus marginalisée, ce qui n'est pas surprenant lorsque l'on mesure l'étendue des différences qui l'opposent au Premier ministre Edouard Philippe, l'ancien directeur des affaires publiques d'Areva.

    Le projet du président français de prendre la tête du mouvement écologique au niveau mondial n'est rien d'autre qu'une façade idéologique, un excellent coup de communication, discipline dans laquelle Emmanuel Macron règne en maître. Son hypocrisie sur la question écologique est à l'image de sa gouvernance de la France, entièrement fondée sur l'ambivalence et l'ambiguïté, la volonté de satisfaire toutes les sensibilités intellectuelles, par la manipulation sémantique. Après avoir théorisé l'idée de souveraineté européenne sans demos européen, Macron nous vend l'écologie libre-échangiste comme nouvelle fin de l'histoire. Le monde décrit par George Orwell n'est jamais bien loin.

    Emmanuel Macron espère en effet s'appuyer sur des mesures techniciennes, sur les progrès de la science et sur le bon vouloir des entrepreneurs pour régler le drame écologique dont notre terre est le théâtre. Il refuse néanmoins d'interroger les idéologies et le rapport fou à la consommation qui encadrent la vie des habitants des sociétés occidentales. Il existe une contradiction fondamentale entre la philosophie libérale qui l'anime et l'écologie politique. Tandis que le libéralisme repose sur le refus de toute entrave au marché, au nom du dogme de la concurrence libre et non faussée, l'écologie est conservatrice par essence et nous invite à nous donner des limites. Or notre société se meurt précisément du fait qu'elle a oublié l'idée chère à Aristote de juste mesure et criminalise toute éthique de la transmission.

    L'urgence n'est plus au changement ou à la recherche effrénée de croissance, mais à la modestie et à l'acceptation de la finitude du monde et de l'homme lui-même. Une formule somptueuse d'André Thérive gagnerait à être méditée de tous, tant elle s'applique à l'écologie: «Ce que nous voulons poser par simple prudence, c'est le mécanisme du frein. La pente n'a pas besoin de défenseur.» Nous sommes cependant en droit de douter qu'Emmanuel Macron, comme la Commission européenne, qui se rejoignent dans une même soumission à l'hubris, sauront se montrer à la hauteur de l'histoire et tirer les leçons que l'urgence de la situation climatique rend pourtant indispensables.

    Joachim Imad (Figaro Vox, 15 décembre 2017)

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  • PMA : "Les pauvres, par leurs cotisations, paieront les caprices des riches"...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 15 septembre 2017 et consacrée à la décision prise par le gouvernement d'ouvrir la procréation médicalement assistée à toutes les femmes...

     

                                        

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  • La soumission à l'idéologie libérale est en marche...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 11 juillet 2017 et consacrée à la réforme du Code du travail et à ce qu'elle signifie...

     

                                      

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  • Faire sécession avec Julien Rochedy... (4)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous l'émission Sécession avec Christopher Lannes et Julien Rochedy sur TV Libertés. Nos deux analystes reviennent sur l'actualité politique avec les premiers jours du président Macron et les législatives, et réfléchissent sur les libéralismes de droite et de gauche...

     

                                

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  • Pour en finir avec un certain libéralisme...

    Les éditions Avatar viennent de publier un essai de Michel Soriano intitulé Pour en finir avec ce libéralisme qui fabrique les crises et désespère les peuples. Chef d'entreprise, Michel Soriano a exercé dans la métallurgie, l’automobile et les énergies nouvelles, notamment, mais il a aussi dirigé un syndicat professionnel. Il connaît donc les égarements de l’économie libérale et de la finance ainsi que les processus qui conduisent à la spéculation, aux délocalisations et à la globalisation des flux de marchandises et de capitaux.

     

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    " Non, l’élection de Trump, le Brexit, la montée des « populismes » et des « extrémismes » en Europe, ne sont pas des accidents de l’histoire… le malaise est profond ! 

    Les populations occidentales n’acceptent plus un libéralisme sans règles ni lois qui engendre les délocalisations, l’endettement colossal des états, l’accroissement des inégalités et de la précarité, les outrances de la finance, l’insécurité au quotidien…

    Après avoir chiffré et analysé les dérives économiques, sociales et financières du système, l’auteur nous propose les règles pour redonner des valeurs et du sens à l’économie libérale. Un système financier assaini et une économie de proximité libérale et ouverte permettraient de refabriquer chez nous les produits que nous consommons !… Il ne serait plus possible de s’enrichir impunément par la spéculation pendant que nos agriculteurs se suicident, que nos usines ferment et que nos technologies s’en vont. Une Europe fédérale verrait ainsi le jour, indispensable et puissant contrepoids face aux Etats-Unis et à la Chine. Une Europe qui trace le chemin, qui décide, forte mais apaisée, où le travail serait à nouveau source de richesse pour construire enfin le « rêve européen » que nous attendons tous ! "

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  • La boucle est bouclée...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte de Slobodan Despot publié dans le n°80 d'Antipresse, lettre d'information gratuite, disponible par abonnement et financée par les dons de ses lecteurs. Editeur et écrivain, Slobodan Despot vient de publier, après Le miel (Gallimard, 2014), un deuxième roman intitulé Le rayon bleu (Gallimard, 2017).

     

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    La boucle est bouclée

    Ce que j’ai cru comprendre du temps où nous sommes

    Bref retour aux origines

    Je suis né dans un pays sans liberté. L’économie y était contrôlée par l’État, à l’exception des toutes petites entreprises. L’éducation y était affaire d’État, sans exception. L’information y était affaire d’État. Tout, en somme, y était affaire d’État, et l’État était socialiste. Il œuvrait en théorie au bonheur futur de tous et en pratique à la satisfaction immédiate de quelques-uns. Les autres devaient se taire et faire semblant de ne pas voir ce qui crevait les yeux: qu’ils subissaient au nom de l’égalité et du progrès un système de castes dramatiquement sclérosé.

    Cela dit, ne tombons pas dans le pathos. Ce n’était pas si grave que ça. On était dans la Yougoslavie de Tito. Comme me l’a résumé une amie roumaine: «Pour nous, sous Ceausescu, la Yougoslavie, c’était l’Amérique!» Le dictateur socialiste était habile et jouisseur. Pourquoi se priver? On construisait l’avenir radieux avec le sale pognon du capitalisme. On se faisait photographier en costume blanc, cigare au bec, une Sophia Loren pendue au bras. Les vedettes de la jet-set croisaient à bord du Galeb, le yacht du nabab rouge, à quelques encablures de Goli Otok, l’«Ile nue» de l’Adriatique où ce bon vivant avait organisé l’enfer sur terre pour ses opposants qui s’y surveillaient et s’y torturaient entre eux, presque sans l’aide de personne. Admirable économie de moyens!

    Mais même cela n’était pas grave. La part de répression brute était négligeable. Tout le monde profitait un peu de la poussière d’étoiles semée dans le sillage du beau bateau blanc. Il suffisait de connaître la ligne rouge — ne jamais parler politique —, et l’absence de liberté se trouvait compensée par un agréable éventail de libertés.

    Or, c’est cela qui compte. Si la liberté est un sujet pour les philosophes, les libertés sont l’affaire de M. Tout-le-monde. En même temps qu’il s’endettait pour des siècles auprès des Américains, le dictateur avait ouvert les frontières, s’assurant ainsi un flux de cash venu du travail des gastarbeiter, cette première vague d’immigrés yougos qui convertissaient leur sueur dépensée sur les chantiers d’Allemagne en maisons prétentieuses et bagnoles kitschdu côté de Belgrade et de Sarajevo.

    Cette alliance déjantée entre l’utopie et le carpe diem a façonné une époque folle, indescriptible et passionnante à vivre. Le cinéma yougoslave se permettait des audaces qui le rendent aujourd’hui improjetable sur une chaîne de grand public. Le rock s’était développé en une contreculture de masse à l’époque où les Polonais et les Russes écoutaient Brassens sous leur couette. Le succès mondial d’un Goran Bregović ne repose que sur le resuçage, à la sauce world-music, de son propre patrimoine rock and roll des années 1970. Et ne parlons pas du paysage halluciné des films d’Emir Kusturica, dont les plans les plus surréalistes, les plus sardoniques, ne sont que des tranches de vie puisées dans ce happening permanent qu’était la Yougoslavie des dernières années. Comme l’a observé quelque part un connaisseur, Patrick Besson, les jeunes Yougoslaves étaient trop occupés à faire l’amour pour penser à l’avenir du pays.

    De toute façon, on y pensait pour eux. Au-dessus des stades bondés, des concerts en plein air, des plages interminables de l’Adriatique où l’on copulait à toute heure, veillaient des hommes mornes en manteaux noirs dont le seul souci était que personne ne lève la tête ni n’ouvre les yeux. L’économie stagnait ou s’effondrait par pans entiers. D’Argentine ou d’Allemagne, les oustachis croates injectaient dans le pays des terroristes fanatisés tandis que leur branche «sortable» restée au pays préparait l’insurrection nationaliste en commençant par ergoter sur l’appellation de la langue serbo-croate. Au Kosovo, le programme de conquête des Albanais s’étalait au grand jour dans des manifestations violentes. Mais dans une société gouvernée par le plaisir et le rêve, rien n’apparaît plus irréel que la blessante rugosité des faits.

    L’illusion dura jusqu’à la mort de Tito dont on différa l’aveu de plusieurs mois, tout le système étant fondé sur son immortalité. Il y eut quelques années de flottement. Puis, du jour au lendemain, les grandes claques dans le dos qu’on s’administrait d’une communauté à l’autre devinrent des coups de poignard ou de kalachnikov. Les mass media qui jusqu’alors n’avaient servi qu’à bercer les foules se transformèrent en dresseurs de chiens de combat. Les doux anesthésistes d’hier — les mêmes journalistes et bateleurs! — se mirent à haranguer les meutes enragées et à leur pointer les prochaines cibles.

    Les paradis brouillés

    On l’aura deviné, je ne déterre ce passé que pour parler du présent. Je ne fais que combattre l’amnésie. L’oubli instantané, le ravalement de la mémoire aux capacités de stockage du reptilien, est un outil clef de la manipulation des masses. Ironie de l’histoire: le souvenir de cette culture de l’oubli est le meilleur vaccin contre les illusions du temps présent.

    Quand on a vécu l’expérience du totalitarisme, ce ne sont pas les théories et les concepts qui remontent à la conscience, mais bien plutôt des ambiances et des comportements. La bienveillance obligatoire, l’irénisme — le «personne-ne-nous-en-veut-et-tout-ira-bien» —, et la réticence à appeler le mal par son vrai nom font partie des éléments inamovibles de ce décor. D’instinct, l’on sait quels sont les «sujets qui fâchent» — voire qui tuent — et comment les éviter. La censure n’a pas grand-chose à voir là-dedans. L’autocensure est infiniment plus efficace, parce que spontanée. Rien de tel que le principe de confort égoïste contre les lancées de fièvre idéaliste.

    L’obligation de concilier le réel avec le souhaitable ressemble à la conduite d’une bicyclette. Tant qu’il y a de l’allure, on roule sans effort. Les régimes idéologiques forts n’ont pas trop de mal avec cela. La chape de plomb marxiste de l’URSS n’a pas empêché les savants de penser ni les artistes de créer. Pas autant, du moins, qu’on aurait pu le croire. On adopte un certain (double) langage, on sacrifie quelques chèvres sur l’autel de la doctrine officielle et l’on poursuit son travail dans son coin. Leurs fatwas officielles stipulant que la Terre est plate n’empêchent pas les principautés obscurantistes arabes d’avoir des compagnies aériennes tout à fait concurrentielles. La vie réelle est faite d’accommodements.

    La situation est plus complexe dans les régimes en perte de vitesse. Quand l’allure faiblit, on finit par investir toute son énergie dans le maintien de l’équilibre. Plus il devient évident que le roi est nu, et plus il devient vital d’empêcher ses sujets de voir ce qu’ils voient. A la longue, l’illusionnisme et la manipulation deviennent les occupations prédominantes du pouvoir.

    A force de s’accommoder, les peuples vivant sous le communisme avaient développé une résilience particulière, faite d’humour noir, de lucidité et de débrouillardise. On avait un masque public et un discours assorti, et puis, rentré chez soi, l’on se démaquillait et l’on se racontait des horreurs sur le régime. Personne n’était dupe. Personne n’aurait parié un sou sur la «réforme» d’un tel système. Le mieux qui pouvait lui arriver, c’était l’effondrement. C’est du reste ce qui est arrivé, et plus tôt que prévu.

    Le régime sous lequel nous vivons en Europe de l’Ouest aujourd’hui ressemble beaucoup à celui de la Yougoslavie déclinante. Il a su ménager, autour des centres inaccessibles du pouvoir, de vastes parcs de détente et de bien-être où les sujets peuvent évacuer leurs frustrations. Il les fait même voter. Mais il est en perte de vitesse et donc il se raidit. Là-bas, l’absence de liberté théorique était compensée par la multiplication des libertés. Ici, la Liberté est constitutionnellement garantie, mais ce sont les libertés qui fondent au jour le jour. A force de restreindre ses champs d’application, elles rendent la Liberté (avec L majuscule) vide de tout sens.

    Pour le reste, l’analogie — à mes yeux — est frappante, du moins jusqu’à un certain point. Au-delà, nous sommes en terre inconnue. Mais commençons par ce qui nous est familier.

    Le grand voyageur et magnifique écrivain Sylvain Tesson a lancé l’autre jour sur France Inter un aphorisme qui a fait mouche: «La France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer». Il le disait en considération de sa riche expérience du reste du monde, et il avait raison. Du moins pour l’instant présent: un pays magnifique, béni de Dieu, où la nourriture, l’eau et l’énergie abondent, où les terrasses restent pleines et les destinations de vacances surbookées. Des problèmes d’insécurité? Certes. Mais ne devait-on pas se munir de pistolets sur la route de Paris à Versailles, du temps de Chateaubriand? Des problèmes de cohabitation avec l’immigration islamique? Certes. Mais qu’on les compare, par exemple, avec la situation des joviaux Indiens avec leurs 150 millions de musulmans et leur extermination mutuelle il y a deux générations. Un déclin économique inexorable? Un chômage endémique? Certes. Mais on a trouvé le moyen de les évacuer des esprits. De leur enlever toute pesanteur!

    Comme des rats entraînés par un joueur de flûte

    Comment? Comme certains médecins préconisent de traiter les douleurs chroniques: par la diversion. En les masquant d’une douleur aiguë. Quelqu’un se rappelle-t-il de nos grands soucis d’il y a huit ans? De l’angoisse profonde que nous inspirait la récession économique de 2008? Vaguement. Irréellement. Car entretemps, nous avons eu droit à l’élixir d’oubli: l’irruption concomitante et proliférante du terrorisme, de la vague migratoire et du modèle de société islamique. Entre ces trois questions, nous avons pratiquement épuisé les sujets de préoccupation actuels des Français et des Européens de l’Ouest. Le reste du menu est meublé par des enjeux d’une haute importance morale mais d’un impact existentiel quasi nul: le sort des minorités sexuelles ou le réchauffement climatique contre lequel nous ne voulons (ni ne pouvons) rien entreprendre de concret.

    Ajoutez à cela une cascade inépuisable de décrets et de règlements de contrôle et de surveillance motivés par l’alignement idéologique, justifiés par le principe de précaution et rendus possibles par les avancées technologiques, et vous aboutissez à une société où l’Homme tel que défini par la charte des droits du même métal n’est plus qu’un souvenir baroque et encombrant remplacé dans la vie réelle par des unités calibrées et interchangeables, sans aspérités et sans volonté propre légitime.

    Comme dans le communisme, mais sans répression explicite et sans la lourde rhétorique d’un système de pensée, on a créé une humanité docile et hypocrite chez qui les sourires doucereux et la bienveillance obligatoire dissimulent l’annihilation des personnalités. L’humour qui protégeait l’homo sovieticus comme un sous-vêtement pare-balles n’existe pas en Occident. Il n’a pas eu le temps de s’installer. A sa place, règne un désespoir plus amer encore que derrière le Rideau de Fer, car on n’ose même pas souhaiter l’effondrement du système présent et encore moins lui envisager une alternative. L’ingéniérie sociale et la reprogrammation psychologique en milieu libéral-capitaliste ont atteint une profondeur de pénétration dans l’intimité des individus dont les «ingénieurs des âmes» marxistes pouvaient seulement rêver. La différence abyssale des réactions face à l’islam, au flux des migrants ou au terrorisme entre les «bons élèves» de la façade atlantique et les peuples de l’ex-bloc soviétique (ceux du «groupe de Višegrad», par exemple) est symptomatique de cette «réussite». On ne voit pas quel est ce stade de négation de soi, individuel ou collectif, que l’Européen occidental n’acceptera pas de franchir. Le voici déjà à se demander pour de bon — juste parce qu’on lui a ordonné de le faire — s’il est vraiment homme ou femme…

    Ainsi donc, si vous voulez encore cultiver vos traditions familiales, vanter les richesses de votre peuple et de votre littérature, fumer et pisser à l’aise dans votre jardin, voire balancer tous les gros mots qui vous viennent à l’esprit sans aussitôt vous retourner pour voir qui écoute, il ne vous reste plus qu’à émigrer vers l’Amérique du Sud ou, plus sûrement encore, vers l’Europe de l’Est, chez les vaccinés.

    Le Rideau de Fer a renversé ses barbelés et la boucle du communisme est ainsi bouclée. Un grand éclat de rire diabolique résonne de l’Atlantique à l’est de Vienne…

    Slobodan Despot (Antipresse, 11 juin 2017)

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