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italie - Page 10

  • L'Euro n'est pas sauvé !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de l'économiste Jacques Sapir, cueilli sur le site de Marianne et consacré à la crise de l'euro et de la dette européenne. Jacques Sapir a publié récemment un essai intitulé La démondialisation (Seuil, 2011) qui a rencontré un écho favorable.

     

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    Euro : pourquoi il est loin d'être sauvé

    Trop peu, trop tard !
    Dans les batailles mal préparées et tardivement engagées, ce constat sonne comme un glas quand il a cessé d’être un regret. 

    Trop peu :le Fond Européen de Stabilisation Financière a vu son montant fixé à 447 milliards d’Euros le 21 juillet. À l’époque, c’était déjà insuffisant. Aujourd’hui, alors que l’Espagne et l’Italie vont d’ici quelques semaines ne pas avoir d’autre choix que de demander de l’aide, ce sera encore plus évident. Ce sont des sommes de plus de 1000 milliards qu’il faudra alors engager.

    Trop tard : les Eurobonds (Euro-obligations) et surtout ma monétisation de la dette (le fait que les États puissent directement emprunter à la Banque Centrale Européenne) auraient pu être mis en œuvre si l’on s’y était pris à l’hiver 2009-2010. Les lecteurs de Marianne2 se souviennent sans doute de ma polémique avec Benoît Hamon en ces colonnes au début du mois d’octobre 2009. Aujourd’hui, nous allons nous heurter à l’obstacle de la Constitution allemande et à de longues négociations qui repousseront la monétisation au mieux à la fin du printemps 2012, c’est-à-dire trop tard.

    Car la situation est incontestablement grave. La déroute menace désormais sur trois fronts. 

    La Grèce tout d’abord, ou un défaut est inéluctable, et pourrait survenir dans les semaines qui viennent. L’économie Grecque est en fait à l’arrêt depuis la fin du mois d’août. Les impôts ne rentrent plus, une situation quasi-insurrectionnelle se développe et la fuite des capitaux y est intense. La chute du PIB y sera nettement plus importante que les -5,5% admis au début septembre par le gouvernement. Avec cette chute, nous aurons évidemment une chute plus que proportionnel des recettes fiscales et un déficit qui explosera.

    La contagion au Portugal, à l’Espagne et à l’Italie ensuite qui s’accélère. Le gouvernement Portugais vient d’admettre le 1er octobre que le déficit sera bien plus important que prévu. En Espagne, la montée inéluctable du taux de défaut dans les banques laisse présager une nouvelle crise bancaire et la nécessité d’une nouvelle consolidation du système financier, qui demandera beaucoup d’argent. En Italie, qui jusqu’à maintenant était capable de financer sa dette mais qui, depuis le mois d’août ne le peut plus. La raison ici en est simple. Les grandes entreprises italiennes mais aussi les déposants riches ou aisés retirent leurs fonds des banques de la péninsule pour les placer qui en dollars qui en francs suisses (au grand dam de la Banque Centrale de Suisse qui tente désespérément d’éviter une réévaluation de sa monnaie par rapport à l’Euro). Le résultat de cette défiance des riches Italiens a été de faire monter rapidement les taux d’intérêts sur la dette Italienne ; ils sont désormais supérieurs à ceux de l’Espagne et s’approchent des 6% (taux à dix ans), limite qu’ils auraient franchi si la BCE ne rachetait pas en sous-main les titres de dette tant Italiens qu’Espagnols.

    La crise des banques en France et en Allemagne enfin, dont nous voyons se développer les effets à la Bourse, où elles ont perdu plus de 50% de leur capitalisation, depuis près de deux mois. Un mensonge énorme plane sur la situation des banques. Leurs dirigeants affirment que l’exposition au risque y est limitée. C’est certes vrai pour le risque direct, encore qu’il faille y inclure les pays qui sont susceptibles d’être touchés par l’effet de contagion (ou qui sont d’ores et déjà touchés). 

    L’entêtement dans l’erreur

    Euro : pourquoi il est très loin d'être sauvé


    On voit ainsi que le risque sur les trois pays les plus exposés n’est que de 16,93 milliards, et celui sur les pays de la zone de contagion se monte à plus de 100 milliards. 

    Mais, on oublie alors de parler des assurances de crédit (les Credit Default Swaps) qui ont été achetées massivement par les banques et les compagnies d’assurances. Il est vrai que ceci ne figure pas aux bilans des banques, et peut donc être passé sous silence.

    Mais, rien que pour la Grèce, on estime de 70 à 90 milliards d’Euros le montant de ces CDS qui deviendraient exigibles en cas de défaut du pays.

    La bataille qui est menée par le gouvernement pour tenter de sauver l’Euro est une bataille perdue, il faut avoir l’honnêteté de le reconnaître. Il n’était pas inévitable qu’il en soit ainsi. Cependant, à force de nier la réalité, de vivre dans le déni, on ne s’est résolu que sur des montants trop faibles, engagées trop tardivement. Les sorties de capitaux s’accélèrent, l’Euro est tombé en quelques semaines de 1,44 Dollars à 1,34 Dollars, et elles ne sont pas – de loin – toutes le fait des fonds spéculatifs américains. La panique commence à gagner les acteurs, qu’ils soient publics ou privés, de ce drame.

    Il faut replacer cette bataille dans son contexte. Ce qui est en jeu, c’est le dynamisme économique de l’Europe (où la zone Euro a connu la croissance la plus faible depuis 2001) et le principe d’une coordination monétaire entre États européens. À s’acharner sur la défense de l’Euro, nous risquons de tout abandonner.

    S’il faut ici en appeler aux mânes des grands hommes, rappelons ce que De Gaulle disait le 18 juin 1940 : la perte d’une bataille n’est pas la perte de la guerre. Il n’y a rien d’inéluctable dans le chemin qui mène au désastre, au chacun pour soi, à la dépression ravageant nos économies et nos sociétés. Mais pour que ceci ne soit pas inéluctable, il faudra du courage.

    Faire acte de courage, c’est accepter de regarder la réalité en face. Il importe de penser un « plan B », en l’occurrence une dissolution ordonnée et coordonnée de la zone Euro qui laisse intacte certaine des institutions dont nous aurons besoin pour des accords collectifs une fois que nous aurons retrouvé nos monnaies nationales. Cette dissolution décidée de concert devrait s’accompagner de mesures communes, ou du moins réalisées par un certain nombre de pays, pour limiter la spéculation en réduisant drastiquement les mouvements de capitaux et en interdisant certaines opérations. Elle doit enfin permettre ce qui est interdit aujourd’hui, soit la possibilité pour les États de refinancer une partie de leur dette auprès de la Banque Centrale. 

    Cette dissolution s’accompagnera aussi d’une prise de contrôle des banques, qui permettra de les restructurer et d’en garantir la partie qui gère les dépôts de la population et qui fait les crédits, quitte à laisser mourir la partie engagée dans des opérations spéculatives qui ne font pas sens du point de vue d’un intérêt collectif.

    Nos partenaires doivent alors être avertis que nous mettrions en œuvre unilatéralement ces mesures si un accord ne pouvait être rapidement obtenu.

    Il est encore temps de se réveiller, de regarder la réalité et de se reprendre. Mais nos élites doivent savoir que faute de cela elles s’exposent à être balayées par une révolution citoyenne.

    Après tout, « dégage » est un mot français…

     

    Jacques Sapir ( Marianne, 3 octobre 2011)

    Lien permanent Catégories : Economie, En Europe, Points de vue 1 commentaire Pin it!
  • Le commencement de la fin ?....

    Nous reproduisons ci-dessous un texte d'analyse de Frédéric Lordon, publié sur son blog du Monde diplomatique, La pompe à phynance, et consacré aux développements estivaux de la crise financière. Economiste et auteur de nombreux essais, Frédéric Lordon a récemment publié D'un retournement l'autre (Seuil, 2011), une comédie sérieuse - en alexandrins ! - sur la crise financière.

     

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    Le commencement de la fin

    Pareilles aux images aériennes du front de tsunami avançant inexorablement vers une côte japonaise dont le sort est scellé, le déploiement de la crise financière depuis trois ans donne une impression d’irrésistible fatalité, avec en prime cette sorte d’incrédulité un peu stupide de dirigeants qui croient encore pouvoir tout sauver quand tout est déjà compromis. 

    Un choc de la magnitude de la crise dite « des subprime », crise dont on ne redira jamais assez qu’elle a été celle de la finance privée, était voué à produire, via le canal du crédit, une récession dont les conséquences sur les finances publiques s’annonçaient désastreuses.

    Plus encore impliquées dans la détention de titres souverains qu’elles ne l’ont été dans les titres privés hypothécaires, un choc massif dans l’un puis l’autre compartiment menace de mettre à bas tout le système des institutions financières. A ceci près que la puissance publique qui était encore disponible pour ramasser les morceaux du premier accident sera par construction aux abonnés absents si le second vient à survenir – ce qu’il est en train de faire. Et l’on admirera au passage cet élégant jeu de chassés-croisés privé/public (le sinistre des banques sinistre les Etats qui menacent de (re)sinistrer les banques) et Etats-Unis/Europe (les subprime, par récession interposée, ruinent les Etats européens qui, par la crise des dettes publiques, ruineront en retour le système bancaire étasunien (juste après l’européen), soit métaphoriquement : Lehman-Grèce-Goldman – ou le charme absolu de la mondialisation et de ses interdépendances qui rapprochent les peuples (dans le même bac à mouscaille).

    Quand les agences font de la politique

    Il n’est même pas certain que la dégradation de la note étasunienne ait suffi à produire le dessillement complet, mais quitte à ce que cette « fin » prenne encore quelque temps, on dira peut-être plus tard qu’elle aura trouvé ici son commencement symbolique. Standard & Poor’s pourrait donc bien avoir eu raison, mais pas du tout pour les raisons qu’elle imagine – probablement même exactement opposées à celles qu’elle allègue, non d’ailleurs sans difficulté pour les rendre présentables. A l’image de sa mise sous surveillance négative d’avril 2011, alors suivie en bon ordre par ses consœurs Moody’s et Fitch, il y a beau temps que les agences, en matière de notation souveraine, ne font plus d’analyse financière, mais bien de la politique. Tout au long du printemps, il s’agissait de mettre les pouvoirs publics étasuniens sous pression pour forcer la passation d’un compromis budgétaire (coextensif au relèvement du plafond de la dette). Pour avoir été finalement obtenu, mais in extremis et dans les pires conditions possibles, le résultat du Budget Control Act signé le 2 août n’a pas l’heur de plaire à Standard. Certes, l’agence s’emmêle un peu les crayons et, dans une première version de sa note, majore la dette à dix ans de 2 trillions de dollars puis, constatant son erreur, la déclare en fait négligeable et procède dans une deuxième version à un renversement souverainement ad hoc de son argumentaire pour expliquer que le problème n’est pas tant dans les chiffres que dans la situation politique étasunienne… C’était en fait déjà la raison avancée dans la note de mise sous surveillance négative d’avril dont le fond tient génériquement que le dissensus démocratique est un problème – et en effet : on ne sait pas à l’avance ce qui va en sortir ! A la vérité, ça n’est pas tant qu’on ne sache pas qui inquiète la finance que la possibilité qu’il sorte autre chose que ce qu’elle désire – un programme fermement anti-finance de marchés s’annoncerait-il comme issue certaine du débat démocratique, il y a tout lieu de croire que la finance n’aimerait pas cette certitude-là.

    Les Etats-Unis à leur tour dans la lessiveuse


    Et pourtant, aux boulettes à deux trillions près, Standard pourrait bien avoir raison – mais pas du tout comme elle croit. Signalons rapidement que sa place dans la structure générale de la finance libéralisée, au point focal de la production de l’opinion collective, la dote des moyens d’avoir plus probablement raison que le commun des agents, en fait même de se donner raison, puisque les effets qui suivent d’une telle dégradation à grand fracas sont tout à fait susceptibles, indépendamment du bien-fondé de la dégradation en question, d’entraîner une série de réactions parmi lesquelles les séquences : 1) dégradation → tension brutale sur les taux → renchérissement du coût de la dette → détérioration de la situation budgétaire et emballement de la dette → tension supplémentaire sur les taux, etc. ; et 2) dégradation → austérité forcée → récession → détérioration de la situation budgétaire et emballement de la dette → austérité renforcée, etc. – I told you so ! triomphe alors l’agence.

    La Grèce, l’Irlande, le Portugal ont connu tour à tour ces enchaînements fatals par lesquels l’opinion financière transforme des situations parfaitement gérables en inextricables crises. Voilà maintenant que les Etats-Unis sont invités à prendre leur place dans la lessiveuse. Bien sûr, toutes choses égales par ailleurs, les taux étasuniens résisteront mieux et plus longtemps que les autres, car, par sa profondeur, ses volumes de transactions et sa liquidité, le marché des Treasuries reste le biotope de la finance mondiale – qui est sans doute très capable de détruire son propre habitat, mais seulement après avoir rompu avec d’anciennes habitudes et que se soient dissipés les effets d’hystérésis de la croyance dollar. Par une incohérence typique de la finance, la chute présente des marchés d’actions étasuniens, entraînée par le remous sur la dette publique, a encore pour effet… un mouvement de report vers les bons du Trésor US, l’actif toujours réputé « sans risque » alors même que la dégradation signifie explicitement qu’il ne l’est pas !

    Si, toutes choses égales par ailleurs, la première séquence vicieuse (par les taux) s’activera plus tardivement que pour n’importe quel autre pays, la seconde (par l’austérité) est d’ores et déjà enclenchée. Car l’avis de Standard a pour effet de constituer la situation de la dette publique étasunienne comme problème, c’est-à-dire comme objet de préoccupation, désormais inscrit dans les têtes de la finance – dont on ne sort pas facilement –, matière à commentaire kilométrique et à surveillance permanente, par conséquent : entrée dans un régime tout autre que celui de benign neglect où la politique économique étasunienne a jusqu’ici trouvé ses marges de manœuvre. C’est précisément ce régime de focalisation de l’attention financière qui, dans la situation présente de récession, jette les politiques économiques dans de parfaites impasses en exigeant d’elles d’impossibles réductions de ratio de dette, et ceci par le simple fonctionnement mécanique de la logique démente voulant qu’une fois qu’un « problème » a été déclaré, fût-il imaginaire, alors il lui faut impérativement une solution – mais, elle, réelle. Ces réductions sont impossibles à obtenir en effet car l’environnement de récession et (surtout) de politiques d’austérité généralisées rend toute tentative d’ajustement budgétaire autodestructrice, comme l’ont déjà expérimenté les Grecs et comme le feront à leur tour tous les pays européens… Il y avait matière à s’étonner l’an dernier que les Anglo-saxons (Etats-Unis, Royaume-Uni) fussent passés si facilement sous les écrans radars. Voici les Etats-Unis rattrapés, et le Royaume-Uni ne perd rien pour attendre, son tour viendra très vite.

    Le chaos cognitif de la finance

    Avec le concours des décideurs publics, incapables de penser autrement, la finance se trouve alors plongée dans une situation de parfait chaos cognitif en exigeant des politiques d’ajustement draconiennes, dont elle observe rapidement les effets désastreux (il n’aura pas fallu un an pour que le contresens soit avéré à propos du cas grec), à quoi elle réagit en exigeant d’approfondir cela-même qu’elle voit échouer ! Aussi les différents locuteurs autorisés de la finance demandent-ils tout et son contraire : ils veulent la rigueur sans faille mais exigent le redémarrage de la croissance. Le dernier rapport du FMI consacré à l’économie britannique [1] est de ce point de vue éloquent qui s’alarme de ce que la croissance en plein effondrement rend très improbable d’atteindre les objectifs affichés, qui va même jusqu’à établir un lien possible entre cette improbabilité et la restriction forcenée que le pays s’impose (comme les autres)… pour finir par lui recommander de surtout bien se tenir à sa présente ligne de conduite et de n’en pas dévier ! Ce genre d’aberration cognitive va devenir monnaie courante et l’on verra de plus en plus l’opinion financière – agences, FMI, presse économique – osciller entre ces demandes contradictoires sans être capable d’en tirer la moindre synthèse.

    Car si la contradiction patente entre politiques d’austérité et relance de la croissance (qui en fait peut seule stabiliser les ratios Dette/PIB) est en effet intordable instantanément, elle pourrait cependant être résolue intertemporellement, mais à la condition bien sûr d’être capable de projection dans un horizon de moyen terme – c’est-à-dire de patience. La stimulation coordonnée relancerait les économies, moyennant d’abord une dégradation consentie des déficits et des dettes, mais temporaire seulement dès lors que les recettes fiscales reviendraient et stabiliseraient (par le dénominateur) le ratio Dette/PIB. Cette dynamique réenclenchée, il y aurait alors matière à réduire progressivement le dispositif de relance. C’est bien cette trajectoire que l’administration Obama avait l’intention d’emprunter… jusqu’à ce que les Républicains s’emploient à faire tout ce qu’il fallait de bruit pour faire prendre consistance à un « problème de la dette » s’imposant dès lors à l’agenda du débat public et à la préoccupation des marchés.

    Gageons que même sans les Républicains, la finance toute seule aurait fini par se saisir du « dossier » car voilà bien sa caractéristique principale : quoiqu’elle soit souvent complaisamment présentée comme l’art de la projection temporelle par excellence, la finance de marché est la plupart du temps incapable de moyen terme. Aussi imaginer pouvoir conduire un ajustement macroéconomique sous sa surveillance, sans tout lui accorder ou sans le secours de circonstances externes favorables, est-il un rêve de singe.

    L’entrée des Etats-Unis, et bientôt du Royaume-Uni, dans le club en expansion rapide des pays « à problème » a alors pour effet, en détruisant l’incarnation de « l’actif sans risque », de signifier symboliquement qu’il n’y aura bientôt plus nulle part de refuge offert au flight to quality, c’est-à-dire plus d’extériorité – nowhere to hide, comme disent les Américains –, et ceci même s’il faut sans doute attendre encore quelque temps pour que l’impasse de politique économique dans laquelle la dégradation vient de jeter les Etats-Unis commence à produire ses effets, c’est-à-dire à détériorer le ratio de dette publique et à « prouver » que, oui, il y avait bien, il y a bien, un problème !


    Le néolibéralisme, régime du surendettement généralisé

    Maintenant que sont bruyamment signifiées, à propos du cas a priori le plus favorable, l’impossibilité de le régler dans un horizon de moyen terme et l’injonction sans appel d’aller se jeter dans l’impasse de l’austérité, la certitude de la catastrophe finale commence à se profiler. C’est sous cette perspective qu’il est plus judicieux de reformuler le problème général de la dette – mais évidemment en de tout autres termes : la mondialisation néolibérale va périr par la dette parce que, à l’encontre de l’idée reçue qui le présente comme la raison économique même, le néolibéralisme est fondamentalement le régime économique du surendettement généralisé. Dette des ménages, dette des institutions financières, dettes des Etats : la dette globale a monstrueusement explosé en vingt ans de mondialisation dans la plupart des pays : de 220 à 500 points de PIB pour le Royaume-Uni entre 1990 et 2010, de 130 à 370 points de PIB pour l’Espagne, de 200 à 350 points de PIB pour la France, de 200 à 280 points de PIB pour les Etats-Unis [2]…

    La dette des ménages explose parce que seul le crédit leur permet de rester à flot pour leur consommation courante quand leur revenu est sous compression constante, du fait de la concurrence par les coûts du libre-échange et de la pression actionnariale à la rentabilité financière. La dette des institutions financière explose pour mobiliser l’effet levier et propulser les ROE (Return on Equity, rendement des capitaux propres). La dette des Etats explose sous l’effet du choc récessionniste occasionné par la crise financière, expression parfaite des désordres mêmes du néolibéralisme [3], mais surtout, en moyenne période, sous l’effet de la contre-révolution fiscale, un autre de ses produits typiques [4], qui réduit la contribution du capital et des plus fortunés. Vient forcément un moment où cette divergence proportionnelle n’est plus soutenable et où il n’y a plus d’autre solution que des annulations massives – nous en sommes là.

    Il y aura alors une période plus ou moins longue de décomposition chaotique avant que la finance, et les gouvernements, ne se rendent à cette solution. La dégradation des Etats-Unis en est l’un des éléments, qui signifie à terme la perte de l’ancrage-référence de tous les portefeuilles d’actifs. Incidemment, le simple fait que des titres de dette (quels qu’ils soient) aient pu être tenus pour « l’actif sans risque » en dit long sur la voracité de la finance et le déplacement de normes qui s’en est suivi. Car normalement, l’actif sans risque ne peut offrir autre chose qu’un rendement… nul. Fut un temps – antérieur à la déréglementation financière – où seul le cash pouvait être authentiquement considéré comme « actif sans risque » – et encore, compte non tenu des pertes de valeur réelle éventuellement impliquées par une détérioration inflationniste de la monnaie. Mais être protégé du risque sans rien gagner, c’était bien trop peu pour la finance et ses nouveaux appétits. Du rendement, mais à coup absolument sûr, voilà le désir qu’elle a formé et dont elle a investi certains titres particuliers. C’était méconnaître la possibilité toujours ouverte de conjonctures financières dans lesquelles la clé de voûte du système général de la liquidité peut être emportée à son tour, sans qu’un remplaçant indiscutable et capable de tenir le même rôle, à la même échelle, ait émergé pour prendre la suite. Tous les modèles de mesure du risque et de contrôle de la solvabilité bancaire supposent cette référence de l’actif sans risque, mais que se passe-t-il quand celui-ci fait défaut ? Vers quoi d’autre se tourner ?

    Quoiqu’il grimpe à des sommets, l’or n’est en aucun cas un actif de portefeuille au sens plein du terme : il n’est pas dématérialisé (ça n’est pas le tout d’acheter de l’or, il faut bien le stocker quelque part !), son marché n’est pas liquide car les transactions s’accommodent moins facilement des lingots que des écritures électroniques, et en fin de compte l’or n’est qu’une rémanence de fétichisme métallique, la ruée dont il est l’objet devant être surtout tenue pour un indicateur de l’extrême désarroi des investisseurs.

    Les autres titres souverains ayant conservé leur triple-A ? Mais aucun n’offre un marché d’une surface comparable à celui des Treasuries. Et surtout : caparaçonnée d’une impeccable logique, la finance est en train de raisonner que si les Etats-Unis, qui étaient la meilleure signature du monde, ont été dégradés, alors les autres, qui étaient moins bons, doivent nécessairement être révisés à leur tour… La grande revue de détail de tous les triple-A (enfin, ceux qui restent) s’annonce donc et il ne devra pas manquer un bouton de guêtre. Mais, à ce compte-là, le défilé promet d’être maigrelet. Le candidat le plus sérieux à la dégradation est évidemment la France. Depuis le lendemain (boursier) de la dégradation, la scie du commentaire financier s’acharne sur le spread des bons du Trésor contre le Bund allemand, et chaque point de base supplémentaire écartant le premier du second est salué avec des frissons d’horreur et de jubilation mêlées – oui, la France n’est pas très populaire auprès de la finance anglo-saxonne. Or le drame dans cette affaire c’est que lorsqu’on est dans le collimateur de la « préoccupation » de la finance, on n’en sort plus : avoir été constitué par elle en « problème », c’est être voué par elle à avoir des problèmes…

    Fin de partie en Europe

    Dans le cas de la France, il faut bien reconnaître que cette construction n’est pas complètement dénuée de fondement. Car pour tous les remous survenus à la suite de la dégradation de la note étasunienne, il s’agirait de ne pas perdre de vue que, dans le paysage de la finance en implosion, la cause majeure demeure l’imbroglio européen. Dès l’origine, on pouvait identifier la malfaçon constitutive de l’EFSF (European Financial Stability Facility, le fonds de secours européen), qui consiste à fabriquer des surendettés futurs pour sauver les surendettés présents, quitte à croire aux propriétés magiques du bootstrapping à l’image du baron de Münchausen imaginant se sortir de la vase en tirant sur ses propres cheveux. Le vice congénital pouvait passer inaperçu tant qu’il s’agissait de secourir un petit nombre de « petits » pays et que la dilution de la contribution sur l’ensemble des participants à l’ESFS demeurait tolérable.

    Mais d’abord, le nombre des petits pays a crû, certains comme la Grèce réclamant même un deuxième service, de sorte que le cumul des sommes à mobiliser a commencé à grossir. Et voilà surtout que s’annoncent deux sérieux candidats au bureau des pleurs : l’Espagne et l’Italie. Il est à craindre que le coup soit fatal pour l’EFSF qui enregistrera le choc des deux côtés de son bilan.

    D’abord du côté de ses emplois, car le volume des opérations change d’un coup singulièrement de format. L’Espagne affiche un encours de dette souveraine de 638 milliards d’euros, et l’Italie de 1 840 milliards d’euros (données Eurostat, fin 2010), à comparer aux 328 milliards de la Grèce, 148 milliards de l’Irlande et 160 milliards du Portugal… et venant s’y ajouter ! Sachant que les plans « Grèce (1 et 2) », « Portugal » et « Irlande », représentent un engagement total de l’EFSF de 236 milliards d’euros [5], l’extrapolation à l’Espagne et à l’Italie du coefficient Concours EFSF / Dette publique calculé pour les trois précédents [6] aboutit à l’estimation (tout à fait grossière) d’un total d’engagement de l’EFSF de 1 150 milliards d’euros… The Economist, qui propose un autre calcul sur la base d’une hypothèse où l’EFSF aurait à couvrir les deux tiers des dettes maturant à l’échéance de 2015, arrive à une estimation d’environ 800 milliards d’euros [7] – toutes estimations à comparer à la capacité actuelle de l’EFSF de 250 milliards d’euros et à sa capacité rehaussée de 440 milliards d’euros (laquelle ne sera active que lorsqu’aura été satisfaite la condition de validation par tous les Etats-membres des décisions du sommet européen du 21 juillet 2011…).

    La situation de l’EFSF n’est pas moins grave du côté de ses ressources. Car, par un délicieux effet de vases communicants, les entrants dans la colonne « à sauver » sont ipso facto des sortants de la colonne « sauveteurs » (garants). Le poids des garanties est alors à répartir entre ceux qui restent, et la clause initialement prévue par l’accord-cadre instituant l’EFSF selon laquelle toute sortie d’un contributeur se solderait par une réduction à due concurrence de l’enveloppe globale du fonds ne tient pas une seule seconde : il n’est question que de son insuffisance et de l’augmenter comme on peut. L’Espagne et l’Italie supposées passées du mauvais côté du guichet, ce sont évidemment l’Allemagne et la France qui apparaîtront pour les garants-en-chef [8], mais alors au prix de quelques inquiétudes quant aux dangereux cumuls d’engagements variés (liabilities) auxquels elles sont en train de se soumettre. Alors oui, la France doit déjà lutter pour conserver son triple-A envers et contre la progression de sa propre dette publique interne, mais que sera-ce quand, les défauts européens se succédant, les garanties seront appelées ?...

    Or l’effet « collimateur-et-problème » n’est pas près de s’arrêter. Il l’est même d’autant moins que la gestion européenne de la crise depuis mars 2010 fait un parcours à peu près sans faute… de toutes les erreurs possibles à commettre. Juridisme (qui rend difficiles les décisions rapides – à l’image de la montée en puissance de l’EFSF qui devra attendre la rentrée), fractionnement décisionnel du fait du contexte institutionnel et intergouvernemental, et surtout divergences stratégiques profondes, d’où résultent conflits intestins, atermoiements et mauvais gré dans l’exécution. Ainsi l’ajustement des capacités de l’EFSF est-il l’objet d’une épuisante guerre de tranchées pour fléchir l’Allemagne. Mais le pire vient sans doute de la position de la BCE. On lui devait déjà l’invraisemblable psychodrame qui a précédé le sommet de juillet, lorsqu’il s’est agi de décider d’un second paquet grec et qu’elle s’est opposée autant qu’elle l’a pu à toute formule d’implication des créanciers. On lui doit maintenant ses hésitations à endiguer l’extension de la crise souveraine à des débiteurs, l’Espagne et l’Italie, dont on est au moins bien certain qu’ils feront sauter tout le dispositif européen si jamais ils viennent à tomber.

    La Banque centrale en effet est la seule à pouvoir se mettre en travers d’une dynamique spéculative naissante, comme celle qui est déjà en train de prendre à parti les taux italiens et espagnols (belges également). Or on ne saurait davantage traîner les pieds que la BCE dans cette affaire-là, en faisant savoir qu’elle n’entendait offrir qu’une solution aussi transitoire que possible avant que l’EFSF « augmenté » soit en charge des opérations de rachats sur les marchés secondaires. Confier des opérations d’intervention et de soutien de cours à un fonds est pourtant le plus sûr moyen d’échouer, car, par définition, un fonds a des ressources limitées, incapables de faire face aux masses de capitaux mobilisables par la communauté des investisseurs, et qu’il s’en trouve bon nombre parmi ceux-ci qui n’ont pas d’autre idée que d’aller « tester » la capacité de l’« intervenant » et de l’amener aux limites. Seule une banque centrale, en tant qu’elle est capable de mobiliser des moyens par définition illimités, est capable d’intimider la spéculation qui sait dès le départ qu’elle n’en verra pas le bout. Le retard à intervenir, le contrecœur manifeste avec lequel elle le fait, et pour finir l’annonce de son retrait programmé : tout concourt à miner le rempart indécis élevé par la BCE pour protéger l’Espagne et l’Italie, comme si personne ne semblait avoir conscience parmi les décideurs européens que nous sommes pour ainsi dire à la dernière station avant l’autoroute – soit en parcourant de l’aval à l’amont les enchaînements prévisibles du désastre : que l’Italie et l’Espagne sautent et tout saute ; que la spéculation contre leurs dettes souveraines ait pris tant soit peu d’ampleur et elle sera inarrêtable ; que les « autorités européennes » ne fassent pas tout pour tuer la spéculation naissante et elle passera le seuil critique…

    L’illusion du « miracle fédéraliste »

    Légèrement transpirants, les euro-réjouis, ceux-là mêmes qui ont répété pendant deux décennies que l’Europe n’avait rien de libéral, qu’elle était même le bouclier contre la mondialisation, que jamais main de l’homme n’avait produit construction institutionnelle si merveilleusement agencée, fondent leurs derniers espoirs d’éviter la ruine finale sur un miraculeux sursaut politique qui au tout dernier moment accoucherait enfin du « fédéralisme ». Mais cet espoir-là ne vaut pas mieux que tous ceux qui avaient précédé. Car le fédéralisme raisonnablement à portée de main politique sera encore très incomplet – le plus probablement consistera-t-il en la fusion des dettes publiques européennes, ou d’une part d’entre elles, en eurobonds communs et indifférenciés.

    Mais c’est faire l’hypothèse héroïque que les marchés oublieraient instantanément que sous la surface commune des eurobonds se tient toujours une pluralité d’émetteurs d’inégales signatures. Les investisseurs savent encore faire la différence du tout et de ses parties, à plus forte raison quand le tout ne peut offrir qu’un degré d’intégration limité et demeure hautement composite. Aussi des eurobonds n’empêcheraient-ils nullement que les analystes continuent de guetter les déficits de la Grèce, du Portugal, de l’Italie, etc. Dira-t-on que les parties seront soumises à de rigoureuses règles encadrant leurs politiques économiques ? Mais c’est redécouvrir exactement l’actuel problème de la zone euro, qui s’est déjà dotée de telles règles… avec le succès que l’on sait. Voudra-t-on imposer d’irréfragables « règles d’or » à tous les Etats-membres ? Mais c’est oublier que, dans des circonstances telles qu’une crise financière géante, la « règle d’or » n’est que la forme constitutionnalisée de l’austérité autodestructrice. Quant à l’idée que l’inscription dans les textes sacrés vaudrait certitude granitique d’application, il suffit d’en parler aux Argentins, qui ont envoyé paître leur currency-board en 2002, tout constitutionnel qu’il fût, pour ne pas même évoquer les multiples offenses dont les traités européens sont déjà silencieusement l’objet.

    Mais surtout : pour que le « saut fédéral » soit à la hauteur du problème, il faudrait bien davantage, et notamment une intégration si poussée qu’elle ne laisserait aux nations membres qu’une importance financière résiduelle, le poids relatif de l’Etat fédéral et des Etats fédérés basculant jusqu’à atteindre des proportions équivalentes à celle des Etats-Unis, ou de l’Espagne dans ses rapport avec ses régions – et encore : une possible déconfiture des munibonds, ces titres émis par les Etats et les collectivités locales des Etats-Unis, ne manquerait pas d’attirer l’attention sur l’alourdissement supplémentaire de la dette fédérale, de même que les déficits des régions sont en train de devenir un motif de préoccupation pour les investisseurs exposés aux titres souverains espagnols. Mais qui peut imaginer le surgissement d’un Etat fédéral européen pesant budgétairement autant que les Etats-membres réunis (comme aux Etats-Unis) avec tout ce qu’il appelle de progrès politiques : de vraies institutions politiques fédérales, la constitution d’une citoyenneté politique européenne unique, primant sur les citoyennetés « locales », etc., seules avancées capables de soutenir une politique financière commune ? Ou, plus exactement, qui peut imaginer que ce qu’il faut bien nommer par son nom : un authentique processus constituant, puisse survenir avant que nous ne finissions au milieu des ruines fumantes ?

    Par où la sortie ? Création monétaire et révolution institutionnelle ! Retour à la table des matières

    Il faut s’y faire : les ruines fumantes, l’insuffisance générale des dynamiques politiques européennes, nous y conduit tout droit. Si l’Espagne et l’Italie basculent, adieu Berthe ! L’EFSF saute comme un bouchon de champagne, la spéculation se déchaîne contre toutes les dettes souveraines, plus aucun dispositif ne peut l’enrayer, une série de défauts importants devient quasi-certaine, les systèmes bancaires européens, puis étasunien, s’écroulent dans un fracas qui fera passer la chute de Lehman pour une animation d’ambiance. Rendu à cette extrémité, il n’y a plus qu’une voie de recours : on ne sortira de pareil effondrement que par une opération de création monétaire inouïe et tout ça se finira dans un océan de liquidités.

    Incapables de faire face à leurs engagements de paiement interne, les Etats qui sont en déficit primaire se tourneront vers la banque centrale pour financer leur solde. Mais, sans même s’attarder à la lettre des traités, la BCE est-elle capable de répondre favorablement à une demande de ce genre ? Poser la question c’est y répondre. Tout l’habitus du banquier central européen s’y oppose. Dans ces conditions, les pays concernés reprendront barre sur leur banque centrale nationale, de fait extraite du SEBC (le Système Européen de Banques Centrales), pour lui faire émettre des euros en quantité ad hoc. A ce moment précis, constatant l’apparition dans la zone euro d’une source de création monétaire anarchique, affranchie des règles du SEBC, donc susceptible de mélanger ses euros impurs aux euros purs (et par là de les corrompre), l’Allemagne considérera que le point de l’intolérable a été atteint et, faute d’avoir les moyens d’exclure le(s) contrevenant(s) [9], jugera que sa propre conservation monétaire lui fait devoir de quitter les lieux. Fin du voyage pour l’euro, en tout cas dans sa forme originelle.

    Mais la création monétaire massive sera également nécessaire pour ramasser les banques effondrées, puisque cette fois-ci, par construction, il ne faudra pas compter sur les bonnes grâces des finances publiques… Recapitalisation et garantie des diverses catégories de dépôts (sous un certain plafond, par là doté de bonnes propriétés de justice sociale : il y a des très riches qui vont beaucoup perdre…) se feront par émission monétaire.

    La garantie des dépôts n’entraîne d’ailleurs pas nécessairement une création monétaire nette : s’agissant des dépôts à vue, elle viendrait simplement compenser la destruction monétaire qui suivrait de l’effondrement des banques et de la perte des encaisses en comptes courants. S’agissant des produits d’épargne, la garantie, si elle est crédible, n’a pas à être tirée : la banque n’était qu’un intermédiaire, si les comportements des déposants restent stables (comprendre : ne versent pas dans le run bancaire), il suffit d’attendre normalement l’arrivée à maturité des créances sur les débiteurs finaux (les agents à qui les fonds épargnés avaient été passés) pour que se débouclent toutes ces opérations sans qu’il soit besoin d’intervenir [10]. Quant aux recapitalisations bancaires, elles peuvent se faire par le truchement même des concours que la Banque centrale devrait de toute manière accorder aux banques privées pour les maintenir dans la liquidité : au lieu que ces concours prennent la forme usuelle de crédits, il consisteraient en avances non remboursables dont la contrepartie serait des titres de propriété, inscrits comme participation au bilan de la Banque centrale et comme fonds propres à celui des banques privées. Sous ces deux précisions, il en restera sans doute encore pour hurler au désastre de la création monétaire. On leur demande simplement d’essayer de se figurer la situation dans laquelle toutes les banques sont écroulées et les finances publiques définitivement incapables d’y remédier – puis de déclarer ce qu’ils auraient d’autre à proposer.

    Par une ironie dont l’histoire a le secret, le néolibéralisme pourrait donc bien mourir par sa dénégation préférée : la dette – dont il n’a cessé de crier les dangers… quand tous ses mécanismes conduisaient à son emballement généralisé. La création monétaire massive n’est pas une perspective réjouissante en soi. Mais lorsqu’il ne reste plus qu’elle pour extraire un corps social du dernier degré de la ruine – et il ne faut pas douter que l’effondrement bancaire total nous ramènerait en quelques jours à l’âge de pierre –, lorsque, donc, il ne reste qu’elle, il ne faut ni en diminuer les possibilités ni en exagérer les périls.

    Mais l’essentiel est ailleurs : il est dans le fait que jamais un groupe d’intérêt aussi puissant que celui qui s’est constitué autour de la finance lato sensu ne renoncera de lui-même au moindre de ses privilèges, et que seuls peuvent le mettre à bas la force d’un mouvement insurrectionnel – puisqu’il est bien clair par ailleurs qu’aucun des partis de gouvernement nulle part n’a le réel désir de l’attaquer –, ou bien la puissance dévastatrice d’une catastrophe que son système aura lui-même engendré. A l’évidence, c’est cette dernière hypothèse qui tient la corde, et puisqu’elle déploie maintenant ses effets avec la force de fatalité du tsunami évoqué en ouverture, il ne reste plus qu’à attendre qu’elle accomplisse pleinement ses virtualités… pour en tirer le meilleur parti : reconstruire les institutions de la création monétaire souveraine [11], avec tout ce qu’elle suppose et de possibilités rouvertes et aussi de rigoureux encadrements [12] ; réinventer des structures bancaires qui à la fois échappent aux prises d’otage de la banque privée et dépassent la forme « nationalisation » vers un système socialisé du crédit [13] ; réduire au minimum minimorum la structure des marchés de capitaux pour lui ôter tout pouvoir de nuisance et d’usurpation [14]. Soit, sur les ruines, enfin tout rebâtir.
     
     
    Frédéric Lordon (La pompe à phynance, 11 août 2011)
     
     
     
     

    Notes

    [1] IMF Country Report n° 11/220 (PDF), juillet 2011.

    [2] McKinsey Global Institute, « Debt and deleveraging. The global credit bubble and its economic consequences – updated research » (PDF), 2011.

    [3] Voir Frédéric Lordon, Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières, épilogue, Raisons d’agir, 2008.

    [4] Voir sur ce blog « La dette publique, ou la reconquista des possédants », 26 mai 2010.

    [5] 45 milliards pour l’Irlande, 52 milliards pour le Portugal, 80 milliards pour Grèce-1, 59 milliards pour Grèce-2 (qu’on estime grossièrement à partir du total du paquet Grèce-2 de 109 milliards dont on retranche les 28 milliards de recettes de privatisation, soit 81 milliards d’euros, auxquels on applique un « coefficient de participation » des institutions européennes égal à celui de Grèce-1 – ce dernier était de 80/110, les 30 résiduels étant pris en charge par le FMI).

    [6] Ce coefficient moyenné sur la Grèce, le Portugal et l’Irlande est de (45 + 52 + 80 + 59)/636, soit 0,37.

    [7] « Bazooka or peashooter », The Economist, 30 juillet 2011.

    [8] Dans la configuration originelle de l’EFSF (mai 2010), elles portaient déjà respectivement 27% et 20% du total des garanties.

    [9] Puisque, curieusement, le traité de l’UE ne contient aucune disposition permettant l’exclusion d’un Etat membre.

    [10] Evidemment, il y aura création monétaire nette à concurrence de la part des épargnes ayant pour contrepartie le débiteur souverain puisque celui-ci aura fait défait sur sa dette.

    [11] Et cela quelle que soit la circonscription territoriale de cette souveraineté. A propos de ce débat, voir sur ce blog « Qui a peur de la démondialisation ? », 13 juin 2011, et dans Le Monde diplomatique d’août, actuellement en kiosques, « La démondialisation et ses ennemis ».

    [12] Voir sur ce blog « Au-delà de la Grèce : déficits, dettes et monnaie », 17 février 2010.

    [13] Voir sur ce blog « Pour un système socialisé du crédit », 5 janvier 2009 (également in La Crise de trop, Fayard, Paris, 2009).

    [14] Voir sur ce blog « Quatre principes et neuf propositions pour en finir avec les crises financières », 23 avril 2008 (également in Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières, Raisons d’agir, Paris, 2008) ; et aussi « Si le G20 voulait... », 18 septembre 2009
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  • L'Europe face au défi de l'immigration...

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    Le communiqué de Romain Lecap pour l'émission du samedi 7 mai 2011 sur radio Courtoisie :

    Chers amis, 

    Samedi midi vous êtes pris!
    En première partie de ce nouveau Libre Journal, nous aborderons le sujet de l'Europe face au défi de l'immigration. Nous évoquerons notamment les situations françaises et italiennes et les réactions parfois surprenantes des dirigeants de ces pays.
    En seconde partie d'émission, nous recevrons Louise Demory qui nous présentera le nouveau Webzine politiquement incorrect, Belle & Rebelle.
    En fin d'émission, les chroniques de Pascal Lassalle et du reste de l'équipe.

    Bonne écoute à tous.

    Romain Lecap

    Pour écouter Radio Courtoisie :
    Paris 95,6 MHz   Caen 100,6 MHz   Chartres 104,5 MHz
    Cherbourg 87,8 MHz   Le Havre 101,1 MHz   Le Mans 98,8 MHz ;
    Pour toute la France, en clair, sur les bouquets satellite Canalsat (canal 179 ou 496) et TNTSAT
    pour le monde entier sur www.radiocourtoisie.fr.
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  • Immigration : l'incohérence française...

    En attendant le nouveau numéro du Choc du mois, le numéro 42, consacré au populisme, qui doit sortir en kiosque  le 5 mai 2011, nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Eman consacré aux gesticulations du pouvoir dans l'affaire de Lampedusa...

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    Immigration : l’incohérence française

    Bien sûr, dans la crise de Lampedusa, chacun peut fort légitimement être choqué par l’attitude du gouvernement italien qui ne semble envisager, comme solution au débarquement rapide et massif (bien que, par comparaison aux flux globaux, numériquement « relativement » faible…) d’immigrés clandestins tunisiens sur son sol, que le fait de se délester du problème sur son voisin français.

    D’un point de vue « identitaire » comme « européen », cette « panico generale » du gouvernement berlusconio-leganordien est incontestablement éminemment condamnable.

    Pour autant, face à elle, les rodomontades « frontiéristes » de Nicolas Sarkozy, via son porte-flingue électoraliste Claude Guéant, n’apparaissent guère plus efficientes ni défendables, bien au contraire.

    Une l’analyse un tant soit peu dépassionnée fait rapidement apparaître le triste constat suivant : égoïsme national (de circonstance), politique à courte vue, déclarations démagogiques, stratégies électoralistes et incohérence générale prévalent de la même façon des deux côtés des alpes.

    Côté français, c’est surtout l’incohérence absolue qui domine de façon tout particulièrement éclatante le psychodrame de Lampedusa.

    Tout d’abord, on aimerait bien que Messieurs Sarkozy et Guéant nous expliquent en quoi les 25 000 clandestins de Lampedusa sont un problème plus urgent et plus dramatique que les 200 000 autres clandestins qui arrivent tout au long de l’année dans notre beau pays par d’autre voies d’immigration.

    Parce que, en cette période pré-électorale, les premiers sont plus visibles et médiatiques que les seconds ? Sans doute. Et c’est ainsi, qu’an nom de considérations de politique politicienne intérieure et dans l’optique notamment de la lutte contre la progression du Front National, le petit Nicolas, malgré son bilan absolument catastrophique en matière de gestion de l’immigration, nous rejoue Fort Alamo à Vintimille, au risque d’enterrer les derniers espoirs de solidarité européenne.

    C’est pourtant aux frontières extérieures de l’Europe que se joue l’avenir de nos peuples et non dans des bisbilles picrocholines internes et des tenatives de maintenir en vie l’illusion du « souverainisme » et du possible contrôle de frontières nationales que les actuels Davy Crocket de L’Elysée et de Matignon ont passé toute leur carrière politique à démanteler.

    Mille immigrés clandestins arrivant par Roissy, ça va, dix arrivant par l’Italie, bonjour les dégâts !

    Ensuite on aimerait aussi beaucoup que nos gouvernants nous expliquent pourquoi il convient de se fâcher tout rouge contre nos cousins italiens au nom des 25 000 immigrés qu’ils nous envoient (il est vrai assez « lâchement »…) alors que, parallèlement, nos élites ne cessent de nous rabâcher, dans un grand concerto libéral et nihiliste (pléonasme), que la France va devoir impérativement accueillir dans les prochaines décennies plusieurs millions (sic) de nouveaux immigrés pour à la fois assurer son renouvellement démographique, pérenniser son système de retraites et relancer son développement économique (Alleluïa !).

    Immigré Medef, très bien, Immigré transalpin, chagrin ?

    Enfin, on aimerait également savoir comment reprocher à l’Italie d’être moins attractive que la France pour les populations immigrées quand nous nous enorgueillissons quotidiennement des merveilleux mécanismes « sociaux et sociétaux » (CMU, RSA, AME, criminalisation de la « préférence nationale »…) qui ont fait de notre pays un eldorado fantasmé pour toute la misère du monde.

    Un système que personne (ou presque.. et en tout cas nullement Sarkozy et son gang…) n’entend remettre en cause, ce qui serait pourtant autrement plus cohérent et efficace pour lutter contre la submersion migratoire que le grand guignol joué aujourd’hui par quelques compagnies de gendarmes à la frontière italienne…

    Xavier Eman (Blog du Choc du mois, 18 avril 2011)

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  • Machiavel l'Européen !...

    Nous reproduisons ci-dessous l'éditorial de Dominique Venner publié dans le dernier numéro de La Nouvelle Revue d'Histoire (mars-avril 2011), dont le dossier est consacré à l'Italie. Ce texte a été mis en ligne sur le site personnel de son auteur.

     

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    Machiavel l'Européen

    Son nom lui a joué des tours. C’est en effet peu flatteur d’être qualifié de «machiavélique». On voit aussitôt se dessiner un soupçon de violence madrée et de fourberie. Et pourtant ce qui avait conduit Machiavel à écrire le plus célèbre et le plus scandaleux de ses essais, Le Prince, était le souci de sa patrie, l’Italie. En son temps, dans les premières années du XVIe siècle, il était d’ailleurs bien le seul à se soucier de cette entité géographique. On était alors pour Naples, Gènes, Rome, Florence, Milan ou Venise, mais personne ne pensait à l’Italie. Il faudra pour cela attendre encore trois bons siècles. Ce qui prouve qu’il ne faut jamais désespérer de rien. Les prophètes prêchent toujours dans le désert des esprits avant que leurs rêves ne rencontrent l’attente imprévisible des peuples.

    Né à Florence en 1469, mort en 1527, Nicolas Machiavel était une sorte de haut fonctionnaire et de diplomate. Ses missions l’initièrent à la grande politique de son temps. Ce qu’il y apprit fit souffrir son patriotisme, l’incitant à réfléchir sur l’art de conduire les affaires publiques. La vie l’avait placé à l’école de bouleversements majeurs. Il avait 23 ans quand mourut Laurent le Magnifique en 1492. La même année, Alexandre VI Borgia devint pape. D’un de ses fils, César (en ce temps-là, les papes n’étaient pas toujours chastes), il fit provisoirement un très jeune cardinal, puis un duc de Valentinois grâce au roi de France. Ce César, que tenaillait une terrible ambition, ne sera jamais regardant sur les moyens. En dépit de ses échecs, sa fougue fascina Machiavel.

    Mais j’anticipe. En 1494, survint un événement immense qui allait bouleverser pour longtemps l’Italie. Charles VIII, jeune et ambitieux roi de France, effectua sa fameuse « descente », autrement dit une tentative de conquête qui bouscula l’équilibre de la péninsule. Après avoir été bien reçu à Florence, Rome et Naples, Charles VIII rencontra ensuite des résistances et dut se replier, laissant un joli chaos. Ce n’était pas fini. Son cousin et successeur, Charles XII, récidiva en 1500, cette fois pour plus longtemps, en attendant que survienne François Ier. Entre-temps, Florence avait sombré dans la guerre civile et l’Italie avait été dévastée par des condottières avides de butin.

    Atterré, Machiavel observait les dégâts. Il s’indignait de l’impuissance des Italiens. De ses réflexions naquit Le Prince, célèbre traité politique écrit à la faveur d’une disgrâce. L’argumentation, d’une logique imparable, vise à obtenir l’adhésion du lecteur. La méthode est historique. Elle repose sur la confrontation entre le passé et le présent. Machiavel dit sa conviction que les hommes et les choses ne changent pas. Il continue à parler aux Européens que nous sommes.

    À la façon des Anciens – ses modèles – il croit que la Fortune (le hasard), figurée par une femme en équilibre sur une roue instable, arbitre la moitié des actions humaines. Mais elle laisse, dit-il, l’autre moitié gouvernée par la virtus (qualité virile d’audace et d’énergie). Aux hommes d’action qu’il appelle de ses vœux, Machiavel enseigne les moyens de bien gouverner. Symbolisée par le lion, la force est le premier de ces moyens pour conquérir ou maintenir un Etat. Mais il faut y adjoindre la ruse du renard. En réalité, il faut être à la fois lion et renard. « Il faut être renard pour éviter les pièges et lion pour effrayer les loups » (Le Prince, ch. 18). D’où l’éloge, dépourvu de tout préjugé moral, qu’il fait du pape Alexandre VI Borgia qui « ne fit jamais autre chose, ne pensa jamais à autre chose qu’à tromper les gens et trouva toujours matière à pouvoir le faire » (Le Prince, ch. 18). Cependant, c’est dans le fils de ce curieux pape, César Borgia, que Machiavel voyait l’incarnation du Prince selon ses vœux, capable « de vaincre ou par force ou par ruse » (Ibid. ch. 7).

    Mis à l’Index, accusé d’impiété et d’athéisme, Machiavel avait en réalité vis-à-vis de la religion une attitude complexe. Certainement pas dévot, il se plie cependant aux usages. Dans son Discours sur la première décade de Tite-Live, tirant les enseignements de l’histoire antique, il s’interroge sur la religion qui conviendrait le mieux à la bonne santé de l’Etat : « Notre religion a placé le bien suprême dans l’humilité et le mépris des choses humaines. L’autre [la religion romaine] le plaçait dans la grandeur d’âme, la force du corps et toutes les autres choses aptes à rendre les hommes forts. Si notre religion exige que l’on ait de la force, elle veut que l’on soit plus apte à la souffrance qu’à des choses fortes. Cette façon de vivre semble donc avoir affaibli le monde et l’avoir donné en proie aux scélérats » (Discours, livre II, ch. 2). Machiavel ne se risque pas à une réflexion religieuse, mais seulement à une réflexion politique sur la religion, concluant cependant : « Je préfère ma patrie à mon âme ».

    Dominique Venner

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  • L'Italie : de la chute de Rome à l'unité...

    La Nouvelle Revue d'Histoire est en kiosque (n°53, mars - avril 2011). Le dossier central est consacré à l'Italie, de la chute de Rome à l'unité de 1861. On peut y lire, notamment, des articles de Jacques Heers, de Michel Ostenc ("L'Eveil du Risorgimento", "Mazzini ou le nationalisme républicain") ou de Philippe Conrad ("Napoléon III, l'acteur essentiel") et un entretien avec Marco Perruzi, intellectuel padanien, proche de la Ligue du Nord ("Vers une partition de l'Italie ?").  Hors dossier, on pourra lire, en particulier, une analyse du dernier ouvrage de Pierre Manent sous la plume de Dominique Venner, un article de François Bousquet sur l'oeuvre de D.H. Lawrence, un entretien avec Bernard Lugan sur le Maroc et un entretien sur le populisme européen avec le conseiller national suisse Oskar Freysinger, ainsi que la chronique de Péroncel-Hugoz.

     

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