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guerre - Page 18

  • Ukraine : une guerre si parfaite...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bruno Mégret, cueilli sur Polémia et consacré à la guerre en Ukraine.

    Ancien haut-fonctionnaire, numéro 2 et organisateur du Front national dans les années 90, puis fondateur du Mouvement national républicain, Bruno Mégret est retiré de la politique depuis 2008 et a publié en 2016 un roman de politique-fiction intitulé Le temps du phénix.

     

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    Ukraine : une guerre si parfaite

    Imaginons un instant que la guerre en Ukraine ne soit pas exactement ce qu’en disent les médias et que ce soit en réalité des stratèges américains qui aient conçu ce scénario ukrainien pour mettre Poutine échec et mat. Si tel était le cas, les auteurs de ce plan mériteraient d’entrer dans les livres d’histoire pour l’intelligence et l’efficacité de leur savoir-faire. Car ils ont réussi à faire de ce conflit entre les États-Unis et la Russie ce que j’appellerais, au risque de choquer certains, une guerre parfaite.

    Une guerre sans risque

    Cette guerre ne présente pour les Américains aucun risque de quelque nature que ce soit. L’action se déroule sur un autre continent, très loin de leur territoire et, comme l’avait annoncé le président Biden, il n’y a aucun soldat américain sur le terrain à côté des Ukrainiens. Il n’y aura donc, quoi qu’il arrive, aucun blessé ni aucun mort dans le camp américain.

    Une guerre gagnée même sans victoire sur le terrain

    Le combat est en réalité mené par les Ukrainiens, massivement soutenus si ce n’est dirigés par les États-Unis. Mais les but de guerre ukrainiens et américains ne sont pas les mêmes. Les uns se battent pour sauvegarder leur souveraineté et l’intégrité de leur territoire. Les autres ne se préoccupent que secondairement de la liberté des Ukrainiens, car leur but de guerre vise avant tout à jeter l’opprobre sur la Russie pour l’isoler durablement du monde occidental et la couper définitivement de l’Union européenne. Peut-être même veulent-ils provoquer la chute de Poutine, obtenir la mise en place à Moscou d’un régime qui leur soit plus favorable, voire démanteler la Fédération de Russie. Aussi fallait-il que les Russes prennent l’initiative d’attaquer l’Ukraine pour que les Américains et leurs alliés puissent lancer l’anathème sur l’adversaire russe et dénoncer son président comme l’incarnation du « mal absolu ». C’est maintenant chose faite et les Américains ont d’ores et déjà atteint leur objectif premier quelle que soit l’issue militaire du conflit. La guerre est gagnée même si les troupes ukrainiennes ne la gagnent pas sur le terrain.

    Une guerre par procuration

    Les Ukrainiens se retrouvent dès lors dans la situation de devoir mener la guerre contre les Russes. Une guerre dont on peut dire que ce sont les Américains qui ont tout fait pour la déclencher sous la forme d’une agression caractérisée des Russes. Tout se passe donc comme si les Ukrainiens se battaient par procuration pour le compte des États-Unis. Car avant l’ouverture des hostilités, la souveraineté et la liberté des Ukrainiens auraient pu être assurées pacifiquement par un accord diplomatique dont les bases avaient été jetées à Minsk avec l’aide des Français et des Allemands. Un accord qui prévoyait de donner aux provinces russophones de l’Ukraine un statut constitutionnel d’autonomie et qui aurait pu être complété du côté ukrainien par une déclaration de neutralité comparable à celle qu’avaient adoptée en leur temps l’Autriche ou la Suède.

    Malheureusement, cette perspective de paix, que les Ukrainiens auraient pu accepter si les États-Unis les y avaient poussés et à laquelle les Russes auraient dès lors pu donner leur accord, aurait privé les stratèges américains de leur guerre par procuration. Aussi les États-Unis n’ont-ils pas incité le gouvernement ukrainien à appliquer cet accord. De même qu’ils ont fermé la porte à toute négociation avec les Russes, n’hésitant pas à provoquer ceux-ci en laissant ouverte la possibilité d’une adhésion de l’Ukraine à  l’Otan comme à l’Union européenne. Ce faisant, les Américains ont poussé Poutine dans une impasse dont il a cru pouvoir sortir par l’agression militaire de l’Ukraine.

    Zelensky, le président ukrainien qui est aujourd’hui présenté comme un héros, porte à cet égard une lourde responsabilité. Car, en s’alignant sur les Américains il a exposé ses compatriotes à l’agression russe. Une politique qui n’avait d’ailleurs aucune rationalité puisqu’elle a consisté finalement à déclencher l’invasion russe pour avoir cherché à entrer dans l’Otan afin de se prémunir d’une telle agression.

    En choisissant de suivre les injonctions américaines, plutôt que de rechercher une solution reposant sur la négociation et la neutralité de son pays, Zelensky a donc délibérément entraîné son peuple dans une guerre contre la Russie au bénéfice des États-Unis. Une guerre dont le bilan en destructions, en blessés et en morts sera lourd.

    Une guerre financièrement et économiquement profitable

    Aux États-Unis, elle coûtera quelques dizaines voire quelques centaines de milliards de dollars en armements, en équipements, en renseignements et en formation. Une somme, certes importante, mais qui sera plus que largement compensée par les bénéfices que tireront les Américains et leurs entreprises de la reconstruction de l’Ukraine et des conséquences économiques du conflit.

    Car cette guerre offre aux États-Unis l’occasion de renforcer leurs positions commerciales. Les sanctions économiques qu’ils ont demandé à leurs alliés d’appliquer à la Russie pénalisent en effet de nombreux pays européens mais nullement les États-Unis. Ainsi en est-il par exemple du boycott du gaz russe qui va leur redonner une certaine maîtrise de ce marché stratégique. Cette mesure, catastrophique pour les États européens, oblige en effet beaucoup d’entre eux à acheter le gaz de schiste que les Américains possèdent en abondance ou à se fournir au Moyen-Orient auprès de pays qu’ils contrôlent pour la plupart.

    Ajoutons que la crise économique qui résulte de cette crise énergétique va fragiliser les entreprises du vieux continent sur les marchés internationaux, favorisant de ce fait leurs concurrents américains.

    Une guerre qui rend plus fort

    Cette guerre permet aussi aux États-Unis de renforcer l’Otan qui demeure l’instrument principal par lequel les Américains assurent  leur tutelle sur l’Europe. Ainsi deux nouveaux pays, la Finlande et la Suède, ont rejoint le volet militaire de l’Alliance atlantique, une organisation qui perdait peu à peu de sa légitimité et qui, avec cette guerre, a retrouvé de  la crédibilité auprès des dirigeants européens, renforçant ainsi la suprématie américaine sur le vieux continent et notamment à Bruxelles.

    Avec cette guerre, les Américains ont aussi pu tester leur capacité à contrôler leurs alliés européens, que ce soit au niveau de leur opinion publique ou de leur classe politique et médiatique. Ainsi, les stratèges d’outre-atlantique ont-ils pu constater avec satisfaction à quel point leurs mots d’ordre et leurs opérations de désinformation sont adoptés par leurs alliés sans la moindre réserve. Une sujétion qui leur a permis d’obtenir de leurs vassaux qu’ils prennent des mesures aussi contraires à leurs intérêts vitaux que le boycott du gaz russe. Et cela avec les encouragements militants de la Commission européenne et de sa présidente Ursula Von der Leyen, dont on ne sait si ses positions relèvent de l’aveuglement idéologique ou de la simple bêtise. Ils ont pu observer de même le succès de la manipulation visant à faire croire que les gazoducs Nord Stream 1 et 2 en mer Baltique ont été sabotés par les Russes alors que cette action s’inscrit parfaitement dans le projet américain de désarrimer dans la durée la Russie de l’Europe.

    Une guerre parfaite donc menée par les Américains contre les Russes. Une guerre sans risque, une guerre par procuration, une guerre financièrement et économiquement profitable, une guerre qui rend plus fort, une guerre déjà gagnée même si les troupes ne gagnent pas sur le terrain.

    Mais, bien sûr, rien de tout cela ne correspond à la réalité ! Du moins si l’on en croit les discours assurés de nos politiques et les messages du président Zelensky, calibrés comme les textes d’une agence de communication anglo-saxonne.

    Bruno Mégret (Polémia, 14 octobre 2022)

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  • Guerre d’Ukraine, l’impasse intellectuelle...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Maxime Tandonnet, cueilli sur son blog personnel et consacré à la guerre en Ukraine et à l'impasse intellectuelle dans laquelle se trouve l'occident.

    Ancien haut-fonctionnaire, spécialiste des questions d'immigration, et désormais enseignant, Maxime Tandonnet a été conseiller à l’Élysée sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Il a donné un témoignage lucide et éclairant de cette expérience dans Au cœur du volcan (Flammarion, 2014). Il a également publié des biographies d'André Tardieu (Perrin, 2019) et de Georges Bidault (Perrin, 2022).

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    Guerre d’Ukraine, l’impasse intellectuelle

    L’un des grands problèmes de ce conflit tient au déclin intellectuel du monde occidental. Les débats sur les chaînes d’information en sont une illustration. Voyez par exemple la sottise des stratèges de plateau, comme nous avions jusqu’alors des médecins de plateau au plus fort de l’épidémie de covid. Et même parfois les mêmes: ils vont récupérer d’anciens médecins de plateau pour commenter la guerre d’Ukraine! Tout se passe comme si l’une des causes de l’impasse tenait à l’affaiblissement de la capacité à penser les choses. Il ne se trouve presque personne, ou bien peu de monde, pour réfléchir, apporter une lueur d’intelligence dans ce conflit. Ou alors, ceux qui s’y essayent sont marginalisés, ignorés, insultés.

    Depuis le début de cette guerre la position du monde occidental est entre deux chaises. Elle s’éloigne du principe de réalité pour se soumettre à l’émotionnel. Car de fait, pour en sortir, car il faut bien sortir un jour ou l’autre d’une guerre – il existe deux possibilités:

    Soit l’occident estime que l’un de ses intérêts vitaux est menacé par l’annexion les 4 régions russophones ukrainiennes par la Russie et il choisit de les reconquérir – en y ajoutant peut-être la Crimée. Dans ce cas, il doit entrer ouvertement en guerre contre la Russie, former une coalition occidentale pour la combattre (comme contre l’Irak en 1991). Cela revient à assumer que des soldats occidentaux vont mourir pour le Donbass, une déflagration majeure, peut-être à terme la mobilisation des jeunes Français non militaires de carrière qui iront eux aussi se faire tuer, des bombardements de villes (nucléaires ou non nucléaires), de gigantesques destructions et pénuries. C’est un choix qui peut avoir sa justification s’il est avéré qu’aucune autre solution [pour des raisons nous échappant] n’est envisageable pour la sécurité du monde occidental et de l’Europe. Il ne peut pas être écarté.

    Soit, l’occident juge que la perte par l’Ukraine de ces quatre régions est certes scandaleuse, monstrueuse au regard du droit international mais qu’elle ne change pas fondamentalement l’avenir de l’Europe et de la planète, en tout cas pas plus que la destruction du Haut Karabakh par l’Azerbaïdjan bientôt l’Arménie, et les massacres qui y sont tout autant commis dans l’indifférence. Il juge que l’hypothèse d’un déferlement de l’armée russe sur l’Europe (comme on le craignait du temps de Staline) ou même une politique de reconquête des pays de l’ex URSS par la Russie est rigoureusement inconcevable pour une armée russe qui piétine depuis sept mois face à l’Ukraine, 50ème puissance mondiale. Il se dit qu’il faudra en finir tôt ou tard avec ce conflit et il s’oriente vers une solution de cessez-le feu, de recherche d’un compromis par la négociation. C’est possible aussi. En tout cas, il n’est pas interdit d’y réfléchir.

    Les deux sont possibles, la première comme la seconde. Aucune des deux ne doit être écartée. Mais parfois, il faut faire des choix et les assumer en prenant des risques.

    La formule actuelle, entre deux chaises, est absurde, signe d’indécision à l’image du pathétique de M. Biden. Elle consiste à ne pas combattre soi-même, mais à armer l’Ukraine pour combattre la Russie par procuration. Cette position n’a rien d’antimunichois. A Munich, la question était de céder à Hitler ou de prendre soi-même les armes contre lui. En occident, nul ne parle aujourd’hui d’entrer soi-même en guerre contre la Russie – de mourir pour le Dombass – et d’envoyer la jeunesse occidentale (nos enfants) se faire tuer. Non. Le principe est de combattre Poutine avec les armes de l’occident et le sang des Ukrainiens. C’est toute autre chose que de résister soi- même.

    Et dans quel but? Le rêve des occidentaux est au fond, grâce au sang versé des ukrainiens, d’acculer Poutine à sa perte et à sa chute. Mais après, en admettant même que cette issue soit réaliste? Imagine-t-on que d’aimables pro-occidentaux vont lui succéder pour rendre la Crimée et le Donbass et tendre les bras à l’occident? Douteux… Quant à l’idée de battre la Russie militairement – avec les armes occidentales et le sang ukrainien – la forcer à reculer, abattre son régime peut-être même en allant chercher Poutine jusqu’à Moscou pour le faire juger comme tant de belles consciences le réclament (un peu comme Saddam Hussein) cela revient à faire fi de l’histoire et de ce qu’il en a coûté à tous ceux qui ont voulu terrasser l’immense Russie dans le passé… Dans l’histoire, bien d’autres stratèges ont parié un peu vite sur une chute d’un régime russe (ou soviétique).

    Maxime Tandonnet (Blog de Maxime Tandonnet, 1er octobre 2022)

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  • Ukraine : les vraies raisons d'une guerre...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par le général Vincent Desportes à Elucid dans lequel il propose une analyse à contre-courant du conflit en Ukraine, qui lui a valu d'être évincé des médias de grand chemin... 

    Spécialiste de la stratégie, le général Desportes est notamment l'auteur de Comprendre la stratégie (Economica, 2001), de Décider dans l'incertitude (Economica, 2004) et, dernièrement, de Entrer en stratégie (Robert Laffont, 2019).

     

                                              

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  • Tour d'horizon... (231)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur Euro-Synergie, Nicolas Bonnal livre une interprétation originale de l'avant-dernier chapitre ("Le nettoyage de la Comté")  du Seigneur des Anneaux de Tolkien...

    Tolkien et la révolution libertarienne

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    - sur Theatrum Belli, on peut découvrir un dossier établi par Armasuisse sur la pensée low-tech adaptée à la chose guerrière...

    Le soldat "low-tech"

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  • Hervé Coutau-Bégarie, entre stratégie et géopolitique...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Martin Motte à Jean-Baptiste Noé à l'occasion du dixième anniversaire de la mort d'Hervé Coutau-Bégarie. Historien et stratégiste, fondateur de l’Institut de Stratégie Comparé et de la revue Stratégique, professeur à l’École de guerre, Hervé Coutau-Bégarie (1956-2012), qui a formé des générations d’officiers, a derrière lui une œuvre considérable.  Martin Motte lui a succédé à la chaire de l’École de guerre.

     

                          

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  • Alain de Benoist : « La guerre qui se déroule actuellement en Ukraine est en fait une guerre des Etats-Unis contre la Russie »

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Breizh-Info, dans lequel celui-ci donne son sentiment sur l'actualité récente, et notamment sur la guerre russo-ukrainienne.

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (La Nouvelle Librairie, 2021) et L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021).

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    Alain de Benoist : « La guerre qui se déroule actuellement en Ukraine est en fait une guerre des Etats-Unis contre la Russie »

    Breizh-info.com : Tout d’abord, vous qui avez traversé la moitié du XXe siècle et le début du XXIe, diriez-vous que nous assistons actuellement, depuis quelques mois, à une accélération folle de l’histoire ?

    Tout dépend de quelle accélération vous parlez. Il y a incontestablement une accélération sociale, qui vient du fait que nous vivons aujourd’hui en temps zéro : tout événement qui se produit dans un endroit donné est immédiatement connu dans le monde entier. Cet accélérationnisme nourrit le présentisme (et le stress qui va avec) et a notamment pour conséquence de rendre éphémère tout ce qui auparavant cherchait à s’inscrire dans la durée. Mais cela concerne surtout les pays occidentaux : sous d’autres latitudes, on n’a pas nécessairement le même sens de la temporalité.

    Sur le plan historique, c’est plus complexe. On a effectivement le sentiment que beaucoup de choses sont en train de bouger, comme c’est souvent le cas lorsque différents cliquets jouent les uns sur les autres et déclenchent un ébranlement général. Mais s’agit-il vraiment d’une accélération ? On pourrait tout aussi bien penser qu’après une période glaciaire de quelques décennies, l’histoire reprend ses droits et que, comme dans toutes les époques de transition, on rebat les cartes. Mais il ne suffit pas de regarder ce qui se passe « depuis quelques mois », il faut aussi prendre un peu de recul. En l’espace de quatre ou cinq ans, il s’est plus passé d’événements sous la Révolution française qu’il ne s’en passe aujourd’hui ! Les processus en cours sont en outre loin d’être arrivés à leur terme. Sans vouloir cultiver le paradoxe, je leur trouve même une certaine lenteur… Quand on voit, par exemple, l’ampleur de la révolte sociale qui gronde, on se demande quand elle finira par éclater !

    Breizh-info.com : Que vous a inspiré l’assassinat de Darya Douguine, et le traitement médiatique occidental qui en a découlé ? Que pouvez-vous nous dire sur elle, mais aussi sur son père à qui on a voulu l’assimiler d’office comme s’il s’agissait presque du même personnage ?

    L’assassinat de Darya Douguine m’inspire ce qu’il devrait inspirer à tout homme normalement constitué : le dégoût qu’on ressent devant quelque chose d’abject. Les réactions des médias, elles, suscitent plutôt en moi un sentiment d’effroi. Que certains puissent trouver « remarquable » l’atroce attentat dont cette jeune intellectuelle, journaliste et philosophe – qui n’avait jamais fait qu’exprimer des idées –, a été la victime, certains n’hésitant même pas à s’en réjouir, montre que nous vivons dans le monde où, comme le disait Guy Debord, le vrai n’est plus qu’un moment du faux. C’est un monde orwellien, le monde de la terreur au nom du Bien.

    J’ai bien connu Darya, comme j’ai bien connu son père. C’était une jeune femme délicieuse, charmante, intelligente, cultivée, intense, dotée d’un vif sens de l’humour, qui adorait la France depuis son adolescence. Elle adhérait en effet totalement aux idées de son père, mais elle en donnait une image plus légère, comme régénérée par l’eau fraîche. Quant à Douguine, son itinéraire et ses idées sont aujourd’hui bien connus, notamment pour ce qui concerne la géopolitique et l’eurasisme. On peut être en désaccord avec sa pensée, mais on ne peut nier qu’il s’agisse d’une pensée personnelle, qui ne s’est jamais ramenée à ânonner les slogans de tel ou tel milieu. C’est à mes yeux l’essentiel.

    Breizh-info.com : La guerre en Ukraine semble faire perdre la raison à beaucoup. On sent une haine par procuration entre « supporteurs » d’un camp ou de l’autre, quasi pathologique désormais. Comment expliquez-vous cela ?

    Je suppose que cela s’explique par la nature humaine. Peu d’hommes sont capables de faire la guerre sans haine, malheureusement. Mais dans le cas des « supporteurs », je crains que cette haine ne traduise bien souvent leur incapacité à décider de façon raisonnable de leurs positions et à argumenter pour les expliquer. En pareille occasion, beaucoup se déterminent par leurs sympathies ou leurs antipathies. Or, la sympathie et l’antipathie n’ont rien à faire en la circonstance. Seule importe l’analyse (on met les pour en abscisse et les contre en ordonnée) et les conclusions qu’on peut en tirer. Les gens de droite, je l’ai souvent écrit, ne sont pas des réflexifs, mais des réactifs. Au début de l’année, on les a vus s’emballer pour la candidature Zemmour alors qu’il suffisait d’en faire l’analyse pour comprendre que celle-ci déboucherait sur un échec. Il y a certes loin de la candidature Zemmour à la guerre en Ukraine, mais les réflexes sont les mêmes.

    Je n’ai pour ma part aucune sympathie pour le sinistre président Zelensky, mais j’en ai beaucoup pour le peuple ukrainien, qui se retrouve aujourd’hui bombardé en raison des orientations désastreuses de son gouvernement. Mais que montre l’analyse ? Que la guerre qui se déroule actuellement en Ukraine est en fait une guerre des États-Unis contre la Russie. La question n’est donc pas de savoir si l’on préfère les Ukrainiens ou les Russes, mais si l’on se sent ou non solidaire de l’Amérique. Le choix me semble alors pouvoir être vite fait.

    Breizh-info.com : Les répercussions en Occident, en plus des conséquences de la crise économique liée aux politiques covidistes, vont être énormes. Qu’avez-vous perçu dans le discours récent de M. Macron, qui, tel un mauvais Churchill, semble annoncer à son peuple du sang, de la sueur et des larmes ?

    Je pense qu’Emmanuel Macron a pris conscience de la gravité de la situation, mais qu’il sait en même temps qu’il ne peut plus revenir en arrière sans se déjuger. Il n’est que trop évident que les sanctions contre la Russie – des sanctions d’une ampleur encore jamais vue – auront les Européens pour premières victimes, puisque ces derniers sont moins autosuffisants que les Russes. Comme l’a dit Viktor Orban, l’Union européenne s’est « tiré une balle dans le poumon » en s’engageant dans une voie suicidaire et totalement contraire à ses intérêts industriels et énergétiques. S’y ajoute la menace de crise financière mondiale, qui est plus présente que jamais. Et aussi, disons-le, le risque d’une extension de la guerre jusqu’à un point qu’on peut seulement imaginer. Aujourd’hui, Macron cherche des arguments pour imposer le rationnement comme, au moment du Covid, il en a cherché pour imposer l’enfermement. Cela ne suffira pas à éviter le lent glissement vers le chaos.

    Breizh-info.com : La classe politique française est-elle selon vous aujourd’hui compétente, suffisamment qualifiée, pour être à la hauteur demain d’événements qui s’annoncent épiques mais aussi dramatiques pour nos populations ?

    La réponse est dans la question, et vous la connaissez aussi bien que moi. L’élément essentiel en politique est la décision, alors que la classe politique n’a été formée que pour la gestion. L’imprévu, le cas d’exception, la laissent ahurie comme un lapin pris dans les phares. La décision n’est pas affaire de dossiers techniques et de rapports d’experts. Elle requiert un sens quasi physiognomique. Il s’agit de prendre la mesure d’un moment historique, d’évaluer les rapports de force et de déterminer ce qu’il faut faire en fonction de la finalité qu’on s’est fixée. Les hommes d’État savaient faire cela, les politiciens ne le savent pas. Cela dit, on pourrait aussi se poser la question de savoir pourquoi les hommes qui ont le sens de la décision se dirigent aujourd’hui de plus en plus vers des domaines autres que la sphère politique. On s’apercevrait alors qu’en dernière analyse, la médiocrité de la classe politique est le résultat direct de la dévaluation du politique.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Yann Vallerie (Breizh-Info, 6 septembre 2022)

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