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gauche - Page 13

  • Déchéance, confusion politique, clarification idéologique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et consacré au débat sur la déchéance de la nationalité et à ses conséquences idéologiques... Spécialiste de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe est l'auteur de nombreux essais et a publié dernièrement Think tanks : Qand les idées changent vraiment le monde (Vuibert, 2013).

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    Déchéance, confusion politique, clarification idéologique

    L'interminable affaire de la déchéance de nationalité provoque une confusion politique qui dissimule une paradoxale clarification idéologique.

    La confusion politique s'est développée à partir d'une manœuvre présidentielle, habile au départ. Pour un Hollande commémorant et incarnant à tout va, tout ce qui évoque fermeté et unité nationale est bon à prendre. Et s'il peut d'un même mouvement se présenter comme au-dessus des partis, envoyer un signal fort à l'électorat de droite dans la perspective de 2017 et susciter la confusion chez les Républicains, obligés de voter une mesure qu'ils ont réclamée, pourquoi s'en priver ? Une occasion de rassurer neuf Français sur dix ne se refuse pas.
    Puis l'affaire est partie dans tous les sens dès que la gauche morale se soit opposée à la gauche pragmatique autour du syndrome de la stigmatisation (le fameux risque de faire "deux catégories de Français").
    Du coup, au lieu d'un consensus pour exclure de la Nation ceux qui combattent la République les armes à la main, la classe politique se divise en :
    - partisans de ne rien changer
    - partisans d'une indignité qui priverait les terroristes de leurs droits civiques (au cas où l'un d'entre eux désirerait se présenter à la présidence de la République ou s'engager dans l'armée une fois purgée sa peine) mais ce qui ne permettrait pas de les expulser
    - partisans d'une déchéance applicable un binationaux nés Français, dont on peut penser qu'à la sortie de prison ils seraient renvoyés dans leur autre pays. Encore faudrait-il que celui-ci n'ait pas eu la bonne idée de les déchoir de l'autre nationalité entretemps, ou qu'il ne leur réserve pas des châtiments tellement effroyables que nous serons obligés de les garder...
    - partisans d'un déchéance applicable à tous les Français à titre de peine emblématique, quitte à faire des apatrides et à jouer des trous du droit international (nous n'avons pas exactement ratifié la convention de l'ONU, etc.). Là encore, l'affaire reste hypothétique et on imagine mal ce que l'on ferait d'un apatride, ex Français, ayant purgé une longue peine. Le remettre à l'UNHCR ? Mais au moins la valeur d'anathème de la mesure serait manifeste.
    - partisans de toute exigence supplémentaire conditionnant l'acception du projet gouvernemental et qui donnerait un prétexte pour ne pas le voter sans perdre la face (stratégie Sarkozy si nous avons bien compris)
    - partisans de n'importe quelle autre option qui permettrait de compliquer encore le pataquès qui précède.

    Ce débat ne touche que la classe politique, les médias et les élites en général, le bon peuple étant, lui, partisan de la déchéance sans chichis et méprisant les états d'âme des prescripteurs d'opinion en cette affaire comme en beaucoup d'autres.

    Sur le plan idéologique, en revanche, la chose se simplifie. Elle reflète deux conceptions de la Nation et de la souveraineté.
    On connaît les arguments des opposants : le soutien objectif apporté aux thèses d'extrême droite et le scandale de distinguer "deux catégories de Français" (comme si la séparation entre mono et bi nationaux ne constituait pas déjà cette différence).
    Le premier reproche s'est un peu usé par répétition. Mais ici Hollande commet le péché dont fut si souvent accusé son prédécesseur : libérer la parole, prononcer les mots interdits, stimuler les mauvaises peurs....
    Mais c'est surtout le second reproche qui peut faire des ravages. La proposition du gouvernement viole en effet plusieurs tabous : le droit du sol présenté comme consubstantiellement républicain (ce qui historiquement douteux), le principe d'égalité poussé à l'extrême et l'obsession de ne rien faire qui soit discriminant (ici, la peur d'envoyer un "mauvais signal" à nos compatriotes musulmans).

    Pour le dire autrement, il y a trois totems menacés :
    - les "valeurs" dont l'évocation rituelle est sensée servir de pierre de touche (ce qu'elles font d'autant plus facilement que personne ne se prononce ouvertement contre la liberté, l'égalité ou la fraternité) ;
    - le refus des appartenances héritées : tout ce qui peut faire un lien entre nationalité et transmission est réputé réactionnaire par une pensée qui ne connaît que des individualités ;
    - le culte de l'Autre, qui semble réduire le malheur du monde par un facteur unique : le repli sur soi, le déni de la différence.
    Tout cela se résume en une peur d'offenser (offense au droit naturel, offense passée faite à l'étranger ex colonisé, offense future infligée au citoyen "de seconde zone" binational et qui nourrirait son ressentiment). Comme si le dernier marqueur d'une gauche fantasmique était de présenter perpétuellement des excuses et de "respecter" toujours mieux les sensibilités de communautés. Ou comme si le combat pour l'égalité sociale se transformait en compétition de bienveillance. On peut penser ce que l'on veut de cette attitude - et le lecteur a compris que nous sommes plutôt d'une école pour qui la Nation accueille, protège et sanctionne, a des frontières, ennemis et des amis, etc. -, mais là n'est pas la question. Il y a quelque chose de pathétique dans la transformation d'une exigence historique de justice, sensée être de gauche, en une exhibition de supériorité morale, totalement coupée des préoccupations populaires. Et sans doute quelque chose d'inquiétant pour le fonctionnement de notre système politique.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 8 janvier 2017)

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  • Michéa: “Nous entrons dans la période des catastrophes”...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné au mois de décembre 2015 par Jean-Claude Michéa au quotidien italien la Repubblica. L'entretien a été cueilli sur le site Euro-Synergies et sa traduction a été assuré par le site Le Blanc et le Noir. Il est consacré aux errances de la gauche française, à l'occasion de la traduction en italien de son livre Les mystères de la gauche (Climats, 2013).

     

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    Jean-Claude Michéa: “Nous entrons dans la période des catastrophes”

    Repubblica. Le score du Front national aux récentes élections régionales constitue-t-il une surprise ?

    Jean-Claude Michéa. Rien de plus logique, au contraire, que cette progression continuelle du vote FN parmi les classes populaires. Non seulement, en effet, la gauche officielle ne jure plus que par l’économie de marché (la «gauche de la gauche» n’en contestant, pour sa part, que les seuls «excès» néolibéraux), mais – comme Pasolini le soulignait déjà – elle semble mettre son point d’honneur à en célébrer avec enthousiasme toutes les implications morales et culturelles. Pour la plus grande joie, évidemment, d’une Marine Le Pen qui – une fois rejeté le reaganisme de son père – peut donc désormais s’offrir le luxe de citer Marx, Jaurès ou Gramsci !

    Bien entendu, une critique purement nationaliste du capitalisme global ne brille jamais par sa cohérence philosophique. Mais c’est malheureusement la seule – dans le désert intellectuel français – qui soit aujourd’hui en prise avec ce que vivent réellement les classes populaires. Si nous ne savons pas opérer une révolution culturelle analogue à celle de Podemos en Espagne, le FN a donc un boulevard devant lui.

    Comment expliquez-vous une telle évolution de la gauche ?

    Ce qu’on appelle encore la « gauche » est un produit dérivé du pacte défensif noué, à l’aube du XXe siècle (et face au danger alors représenté par la droite nationaliste, cléricale et réactionnaire) entre les courants majoritaires du mouvement socialiste et ces forces libérales et républicaines, qui se réclamaient d’abord des principes de 1789 et de l’héritage des Lumières (lequel inclut aussi – on l’oublie toujours – l’économie politique d’Adam Smith et de Turgot !).

    Comme Rosa Luxemburg l’avait aussitôt relevé dans ses textes sur l’affaire Dreyfus, il s’agissait donc d’une alliance particulièrement ambigüe, qui a certes rendu possibles - jusque dans les années 60 - nombre de combats émancipateurs, mais qui ne pouvait aboutir, une fois éliminés les derniers vestiges de la droite d’Ancien régime, qu’à la défaite d’un des deux partenaires en présence.

    C’est exactement ce qui va se passer à la fin des années 70, lorsque l’intelligentsia de gauche – Michel Foucault et Bernard-Henri Levy en tête – en viendra à se convaincre que le projet socialiste était «totalitaire» par essence. De là le repli progressif de la gauche européenne sur le vieux libéralisme d’Adam Smith et de Milton Friedman, et l’abandon corrélatif de toute idée d’émancipation des travailleurs. Elle en paye aujourd’hui le prix électoral.

    En quoi ce que vous appelez la «métaphysique du Progrès» a-t-elle pu conduire la gauche à accepter le capitalisme?

    L’idéologie progressiste se fonde sur la croyance qu’il existe un «sens de l’Histoire» et donc que tout pas en avant constitue toujours un pas dans la bonne direction. Cette idée s’est révélée globalement efficace tant qu’il ne s’agissait que de combattre l’Ancien régime. Le problème, c’est que le capitalisme – du fait qu’il a pour base cette accumulation du capital qui ne connaît «aucune limite naturelle ni morale» (Marx) – est lui-même un système dynamique que sa logique conduit à coloniser graduellement toutes les régions du globe et toutes les sphères de la vie humaine.

    En l’invitant à se focaliser sur la seule lutte contre le «vieux monde» et les «forces du passé» (d’où, entre autres, l’idée surréaliste – que partagent pourtant la plupart des militants de gauche – selon laquelle le capitalisme serait un système structurellement conservateur et tourné vers le passé), le «progressisme» de la gauche allait donc lui rendre de plus en plus difficile toute approche réellement critique de la modernité libérale. Jusqu’à la conduire à confondre – comme c’est aujourd’hui le cas – l’idée qu’on «n’arrête pas le progrès» avec l’idée qu’on n’arrête pas le capitalisme.

    Comme si, en d’autres termes, la bétonisation continuelle du monde, l’aliénation consumériste, l’industrie génético-chimique de Monsanto ou les délires transhumanistes des maîtres de la Silicon Valley pouvaient constituer la base idéale d’une société libre, égalitaire et conviviale !

    Dans ce contexte, comment la gauche peut-elle encore se différencier de la droite ?

    Une fois la gauche officielle définitivement convaincue que le capitalisme était l’horizon indépassable de notre temps, son programme économique est naturellement devenu de plus en plus indiscernable de celui de la droite libérale (qui elle-même n’a plus grand-chose à voir avec la droite monarchiste et cléricale du XIXe siècle). D’où, depuis trente ans, sa tendance à chercher dans le libéralisme culturel des nouvelles classes moyennes – c’est-à-dire dans le combat permanent de ces «agents dominés de la domination» (André Gorz) contre tous les «tabous» du passé – l’ultime principe de sa différence politique.

    C’était évidemment oublier que le capitalisme constitue un «fait social total». Et si la clé du libéralisme économique c’est bien d’abord – comme le voulait Hayek – le droit pour chacun de «produire, vendre et acheter tout ce qui peut être produit ou vendu» (qu’il s’agisse donc de drogues, d’armes chimiques, d’un service sexuel ou du ventre d’une «mère porteuse»), on doit logiquement en conclure qu’il ne saurait s’accommoder d’aucune limite ni d’aucun «tabou». Il conduit au contraire - selon la formule célèbre de Marx - à noyer progressivement toutes les valeurs humaines «dans les eaux glacées du calcul égoïste».

    Si donc, avec George Orwell, on admet que les classes populaires, à la différence des élites politiques, économiques et culturelles, sont encore massivement attachées aux valeurs morales - notamment celles qui fondent la civilité quotidienne et le sens de l’entraide – on s’explique alors sans difficulté leur peu d’enthousiasme devant cette dérive libérale de la gauche moderne.

    Cela ne signifie évidemment pas qu’il faille se désintéresser des questions dites «sociétales» (comme, par exemple, de la lutte contre le racisme ou de celle contre l’homophobie). Mais il suffit d’avoir vu Pride – le merveilleux film de Matthew Warchus – pour comprendre qu’une lutte de ce type n’est jamais si efficace que lorsqu’elle parvient à s’articuler réellement à un véritable combat populaire. Or c’est là une articulation dont la gauche moderne a clairement perdu le secret.

    Vous considérez le fait que la gauche ait accepté le capitalisme comme une erreur. Certains pourraient y voir, au contraire, une preuve de réalisme. Pourquoi dans ces conditions jugez-vous nécessaire d’appeler à penser «avec la gauche contre la gauche»?

    La phase finale du capitalisme – écrivait Rosa Luxemburg en 1913 – se traduira par «une période de catastrophes». On ne saurait mieux définir l’époque dans laquelle nous entrons. Catastrophe morale et culturelle, parce qu’aucune communauté ne peut se maintenir durablement sur la seule base du «chacun pour soi» et de l’«intérêt bien compris».

    Catastrophe écologique, parce que l’idée d’une croissance matérielle infinie dans un monde fini est bien l’utopie la plus folle qu’un esprit humain ait jamais conçue (et cela sans même parler des effets de cette croissance sur le climat ou la santé).

    Catastrophe économique et financière, parce que l’accumulation mondialisée du capital (ou, si l’on préfère, la «croissance») est en train de se heurter à ce que Marx appelait sa «borne interne». A savoir la contradiction qui existe entre le fait que la source de toute valeur ajoutée – et donc de tout profit – est le travail vivant, et la tendance contraire du capital, sous l’effet de la concurrence mondiale, à accroître sa productivité en remplaçant sans cesse ce travail vivant par des machines, des logiciels et des robots (le fait que les «industries du futur» ne créent proportionnellement que peu d’emplois confirme amplement l’analyse de Marx).

    Les «néo-libéraux» ont cru un temps pouvoir surmonter cette contradiction en imaginant – au début des années 1980 – une forme de croissance dont l’industrie financière, une fois dérégulée, pourrait désormais constituer le moteur principal. Le résultat, c’est que le volume de la capitalisation boursière mondiale est déjà, aujourd’hui, plus de vingt fois supérieur au PIB planétaire !

    Autant dire que le «problème de la dette» est devenu définitivement insoluble (même en poussant les politiques d’austérité jusqu’au rétablissement de l’esclavage) et que nous avons devant nous la plus grande bulle spéculative de l’histoire, qu’aucun progrès de l’«économie réelle» ne pourra plus, à terme, empêcher d’éclater. On se dirige donc à grands pas vers cette limite historique où, selon la formule célèbre de Rousseau, «le genre humain périrait s’il ne changeait sa manière d’être».

    Or c’était précisément toute la force de la critique socialiste originelle que d’avoir compris, dès l’aube de la révolution industrielle, qu’un système social orienté par la seule recherche du profit privé finirait inéluctablement par conduire l’humanité dans l’impasse. C’est donc, paradoxalement, au moment même où ce système social commence à se fissurer de toute part sous le poids de ses propres contradictions, que la gauche européenne a choisi de se réconcilier avec lui et d’en tenir pour «archaïque» toute critique un tant soit peu radicale. Il était difficile, en vérité, de miser sur un plus mauvais cheval !

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  • Le clivage droite-gauche a-t-il encore un sens ?....

    Dans ce nouveau numéro de l'émission de TV Libertés, « Les idées à l’endroit », Alain de Benoist et Olivier Francois évoquent la question du clivage droite-gauche et de sa pertinence.
    Pour en débattre, ils ont invité sur le plateau :
    Marco Tarchi, politologue italien, professeur à l’université de Florence et chef de file de la « Nouvelle Droite » transalpine,

    Vincent Coussedière, professeur agrégé de philosophie, auteur d’Éloge du populisme ( Elya, 2012),

    Paul-Marie Couteaux, essayiste, ancien député européen.

    Christophe Geffroy, journaliste, directeur de la revue La Nef.

     

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  • Face à l'UMPS, un rassemblement pour le peuple français ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 15 décembre 2015 et consacrée aux résultats des élections régionales qui ont vu le FN échouer face à l'alliance objective des Républicains et de la gauche...

     


    "Marine Le Pen avait raison. L'UMPS existe... par rtl-fr

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  • «L'appel aux valeurs républicaines, ce bouche trou de la pensée»...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Paul-François Paoli  au Figaro Vox et consacré à l'instrumentalisation des "valeurs républicaines" dans le débat public...

    Journaliste, Paul François Paoli est l'auteur de plusieurs essais dont Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (Bourin, 2012) et Malaise de l'Occident - Vers une révolution conservatrice (Pierre-Guillaume de Roux, 2014).

     

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    Paul-François Paoli : «L'appel aux valeurs républicaines, ce bouche trou de la pensée»

    Après le premier tour des élections régionales, nous avons assisté à un retour du Front républicain face au FN. Quel est le sens politique de ce front contre front?

    Nous assistons à un chantage plus effréné que jamais concernant ces «valeurs républicaines» qui, bien souvent, servent de mantra à des hommes politiques en mal d'inspiration. Et comme d'habitude c'est la gauche qui demande des comptes à la droite, comme si elle était la dépositaire de la quintessence républicaine. Ce qui est intéressant dans l'affaire est l'incroyable mauvaise foi d'un camp politique que la défaite historique qu'il vient de subir ne rend pas plus modeste. Qui a, ces dernières années, bradé les symboles républicains auxquels les Français sont, dans leur ensemble, attachés, sinon la gauche? Souvenons-nous des sifflets du stade de France lors du fameux match France Algérie, en 2002. La gauche écolo-socialo communiste de l'époque, acquise au thème de la repentance coloniale, y était allée de sa «compréhension». Quelques semaines plus tard, Jean Marie Le Pen accédait au second tour des présidentielles. Souvenons-nous des régulières railleries des Verts concernant les défilés du 14 juillet ou des protestations de Mme Dominique Voynet contre La Marseillaise ce «chant guerrier archaïque». Souvenons-nous des milliers de supporters algériens, notamment à Marseille et à Paris qui, durant le dernière coupe du monde de football, ont brandi leur drapeau en clamant leur identité algérienne alors qu'ils sont, pour beaucoup, Français de droit. Protestation ou étonnement à gauche? Mais vous rêvez. A l'époque, Mme Aurélie Filippeti avait même trouvé sympathique ces débordements. Et elle ne fut pas la seule. De son côté, le philosophe Alain Badiou, icône de la gauche intellectuelle, ne s'est pas gêné, au lendemain de l'attentat contre Charlie hebdo pour exprimer tout le mépris que lui inspirent le drapeau tricolore et l'idée de république française dans une tribune du Monde, parue le 28 janvier 2014. C'est un secret de polichinelle: la gauche- à l'exception de Jean Pierre Chevènement, Le Drian et quelques autres- n'aime pas une République française toujours trop française à son goût.

    Après les attentats du vendredi 13 novembre, la gauche s'est cependant réappropriée certains symboles: le drapeau, la Marseillaise et même l'idée de frontière …

    François Hollande et Manuel Valls ont été habiles sur ce plan là. Hollande est un maître de l'ambivalence et sa culture politique n'est peut être pas très éloignée de celle d'un Jacques Chirac. L'un et l'autre ont en commun cet habillage républicain qui peut toujours servir en état de crise. Du reste on ne voit pas très bien ce qu'il aurait pu faire d'autre. Les symboles républicains, depuis le drapeau jusqu'à la Marseillaise, rassurent les Français. D'un autre côté il est aussi un fossoyeur du principe républicain, notamment quand il revient agiter le thème du droit de vote des étrangers, une sorte de chiffon rouge symbolique qui affaiblit l'idée même de citoyenneté nationale.

    Pour la gauche et même une partie de la droite, l'idée de la préférence nationale défendue par le FN exclut ce parti du champ républicain

    Certains s'insurgent contre toute idée de préférence nationale, laquelle serait par nature anti républicaine. Ils oublient que la République radicale socialiste a, entre les deux guerres, renvoyé des dizaines de milliers d'ouvriers italiens ou polonais dans leurs foyers avec l'accord de la CGT qui souhaitait réserver l'emploi aux travailleurs français. Ils oublient le fameux décret-loi du 2 mai 1938 sur la police des étrangers signé par le président du conseil Edouard Daladier et le garde des sceaux Paul Reynaud, tous deux membres du part radical qui œuvra durant le Front populaire. Le rapport au président de la République française stipulait ceci: «Et tout d'abord la France ne veut plus chez elle d'étrangers «clandestins», d'hôtes irréguliers: ceux-ci devront dans le délai d'un mois fixé par le présent texte, s'être mis en réglé avec la loi, ou s'ils préfèrent, avoir quitté notre sol». Dans le décret lui-même il était écrit ceci: «Pour déceler et identifier les étrangers clandestins et ceux qui ne sont pas en règle, il nous aura paru indispensable d'étendre à tout logeur professionnel ou bénévole l'obligation de déclarer qu'il héberge un étranger. Rien de vexatoire dans une telle obligation, simple mesure d'ordre dont on aperçoit toute la portée pratique, comme toute l'efficacité». La délation n'est plus antirépublicaine quand c'est la gauche républicaine qui l'instaure. De même: la déchéance de la nationalité n'est plus antirépublicaine dès lors que c'est François Hollande qui la propose. Dans ce pays il suffit que la gauche mette en œuvre une disposition proposée par la droite pour qu'elle devienne aussitôt compatible avec les «valeurs républicaines». C'est une chance quand on prétend donner aux autres des leçons de valeurs. Mais n'est-ce pas à la droite, aujourd'hui, de demander des comptes aux socialistes sur ce qu'ils ont fait de la République?

    La gauche de la troisième République se reconnaitrait-elle dans la gauche d'aujourd'hui?

    Je ne crois pas car il y a eu la rupture de Mai 68. La gauche hollandaise est acquise est thèmes sociétaux de la post modernité, notamment la parité des sexes et le mariage pour tous. On imagine mal Pierre Mendès France ou Guy Mollet défiler pour le mariage gay. En réalité la gauche hollandaise a vidé le principe républicain de sa substance. La république chère à Mendès France, pour évoquer celui qui fut une des grandes figures de la gauche française au XX e siècle, était indissociable de la souveraineté nationale et d'une certaine conception de la vertu.

    Une certaine presse de gauche accuse les intellectuels d'avoir basculé à droite. La gauche conserve-t-elle vraiment l'hégémonie culturelle?

    La gauche est entrain de perdre l'hégémonie culturelle et cela constitue un événement de la plus grande importance. Et ce pour la première fois depuis la Libération! Il ne va plus de soi désormais qu'un intellectuel soit de gauche en France, ce qui constitue un changement inoui. Le lien, quasiment génétique, entre la gauche et l'intelligentsia est entrain de rompre. D'où l'affolement de la gauche institutionnelle. Elle a déjà égaré le monde ouvrier en route et voilà qu'elle se retrouve sans ténors intellectuels! Qui plus est, comme je l'explique dans mon prochain essai , la république des bons sentiments, le dernier grand penseur que la gauche pouvait revendiquer, à savoir Michel Foucault, dont l'œuvre entre dans la Pléiade, fut un des plus grands fossoyeurs de la gauche, aussi bien républicaine que social démocrate ou marxiste. Michel Foucault a déconstruit les fondamentaux du progressisme qui reposent sur la croyance au Progrès et en la Raison. Pour lui la notion de valeur républicaine n'avait aucun sens. Ni celle de nation et encore moins celle d'Etat. Les grands thèmes sociétaux, notamment celui de la théorie du genre ou du mariage pour tous, lui doivent beaucoup. A gauche on se croit intelligent en se référant en même temps à Michel Foucault, qui a ruiné toute idée de morale et aux valeurs républicaines, qui sont très moralisatrices. Si la droite politique était tant soit peu intellectualisée elle enfoncerait le clou et renverrait la gauche politique à son néant philosophique.

    Sur le plan intellectuel les lignes bougent, sur le pan politique c'est plus compliqué …

    Les politiques sont en retard sans doute. La droite politique n'a pas pris la mesure du bouleversement en cours et Eric Zemmour a raison de dire qu'ils sont, pour beaucoup, incapables de penser par eux mêmes, sans l'autorisation normative de la gauche. D'où la surenchère rhétorique sur les «valeurs républicaines», ce bouche trou de la pensée. Alain Juppé va vers la gauche et liquide les fondamentaux du gaullisme quand les Français se radicalisent à droite, c'est étonnant quand on y pense!

    Les élections régionales vont-elles accoucher d'une recomposition ou d'un grand brouillage idéologique?

    Il est possible qu'un bouleversement se produise au niveau des Républicains car je ne vois pas comment faire tenir ensemble une base qui pense majoritairement comme Nadine Morano et des notables qui ont une peur bleue d'être réprouvés par les médias. Churchill plaisantait avec Staline au Kremlin qui est un des plus grands criminels du XX e siècle, mais eux ont peur de discuter avec les responsables du Front national, on croit rêver!

    Paul-François Paoli, propos recueillis par Alexandre Devecchio (Figaro Vox, 11 décembre 2015)

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  • « La postmodernité, c’est l’excès inverse de la modernité »...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Pierre Le Vigan au site Philitt à l'occasion de la parution de son essai Soudain la postmodernité (La Barque d'Or, 2015).

    Urbaniste, collaborateur des revues Eléments, Krisis et Perspectives libres, Pierre Le Vigan a notamment publié Inventaire de la modernité avant liquidation (Avatar, 2007), Le Front du Cachalot (Dualpha, 2009), La banlieue contre la ville (La Barque d'Or, 2011), Écrire contre la modernité (La Barque d'Or, 2012), Chronique des temps modernes (La Barque d'Or, 2014) et L'effacement du politique (La Barque d'Or, 2014).

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    Pierre Le Vigan : « La postmodernité, c’est l’excès inverse de la modernité »

    PHILITT : Vous avez édité cette année, un ouvrage intitulé Soudain la postmodernité (La Barque d’or). D’où vient ce terme, « postmodernité » ?

    Pierre Le Vigan : Je ne connais pas l’origine exacte du terme. Ce qui est certain, c’est que Jean-François Lyotard a beaucoup contribué à diffuser le thème de la postmodernité. La notion de postmodernité désigne ce qui vient après la modernité, donc ce qui vient après le culte du progrès, le culte de l’homogénéité, de l’égalité, du jacobinisme. La postmodernité est ce qui vient après les grands récits historiques, tels le communisme, la social-démocratie, le fascisme, qui n’ont été qu’une brève parenthèse, et d’une manière générale, redisons-le, après la religion du progrès. Il y a bien sûr des éléments de postmodernité dans les temps actuels, mais il y a aussi des éléments qui relèvent en fait de l’intensification de la modernité. Prenons l’exemple de la théorie du genre : en un sens, on peut croire qu’elle valorise les différences entre les sexes en mettant en lumière leur dimension culturelle, en un autre sens, elle les minimise puisque avant d’appartenir à un sexe, nous serions en quelque sorte sans détermination et choisirions « librement » notre genre. Le genre prétendument choisi serait plus important que la sexuation héritée. Sur le fond, en fait, la théorie du genre pousse à l’extrême et jusqu’à l’absurde le constructivisme. Or, le constructivisme est un élément de la modernité. Il est pourtant bien évident que la France déjà moderne des années 1960 était à des années-lumière de la théorie du genre. Tout dépend donc du niveau où l’on situe l’analyse. S’agit-il de l’histoire des idées ? De leur généalogie ? Ou sommes-nous au contraire dans le domaine de la sociologie historique ? Il faut à chaque fois préciser quel est le niveau d’analyse choisi. Ce qui est certain, c’est que, sous couvert d’apologie des différences, nous vivons, comme le voyait déjà Pasolini il y a plus de quarante ans, dans « un monde inexpressif, sans particularismes ni diversités de cultures, un monde parfaitement normalisé et acculturé » (Écrits corsaires).

    Comment définir, ou du moins comment situer, la « postmodernité » par rapport à la « prémodernité » et à la « modernité » ?

    Votre question me permet de préciser un point. J’ai expliqué que la postmodernité était avant tout la fin des grands récits, et surtout du récit du progrès sous ses différentes formes (qui incluaient par exemple le nazisme, qui était un darwinisme social et racial « progressiste » puisqu’il voulait « améliorer la race »). Sous une autre forme, qui amène à en souligner les aspects néfastes, la postmodernité c’est aussi l’excès inverse de la modernité. C’est le présentisme, c’est la jouissance (je n’ai rien contre, mais elle doit avoir sa place, rien que sa place) contre la raison, c’est le laisser-aller (l’esprit « cool ») contre l’effort, c’est l’informe contre la tenue. Voilà la question que pose la postmodernité : si on ne croit plus au progrès, qu’est ce qui nous fait tenir debout ? Nous : je veux dire nous en tant qu’individus, et il faudrait dire en tant que personne humaine, mais aussi nous en tant que peuple. C’est là qu’intervient la référence à la pré-modernité. Si on prend comme exemple de moment de pré-modernité la période du Moyen Âge, avant le culte du progrès, mais aussi avant le culte de l’homme, et en fait avant le culte de la puissance et surpuissance de l’homme, la pré-modernité faisait se tenir debout les hommes par la religion, et en l’occurrence par le christianisme (je parle bien sûr de l’Europe). Cela amène bien sûr à relever qu’il y eut plusieurs pré-modernités, précédant elles-mêmes plusieurs modernités. Les modernités des pays catholiques et des pays protestants n’ont ainsi pas tout à fait été les mêmes.

    Il est certain que la postmodernité ne peut qu’avoir des points communs avec certains aspects de la pré-
    modernité. On pourrait espérer, au lieu du culte du présent, une attention au présent, au lieu d’un enlisement dans le présent, la recherche d’une transcendance dans l’immanence. Le dépassement de la modernité a bien des aspects positifs. Qui peut regretter le nationalisme agressif entre peuples européens qui a mené aux guerres du XXème siècle ? Mais qui peut sérieusement penser que ce dépassement d’un certain nationalisme doive amener à nier tous les enracinements, toutes les mémoires historiques ? Il faut redécouvrir toutes les communautés, dont certaines ont été broyées par un nationalisme (plus exactement un stato-nationalisme) niveleur mais il ne faut pas pour autant se défaire des constructions nationales qui figurent parmi les réalisations les plus belles du politique en Europe. Autant, par exemple, je suis pour l’autonomie de la Catalogne, autant je suis hostile à sa sécession d’avec l’Espagne.

    Vous écrivez que la seule libre-circulation dont ne veut pas le libéralisme, c’est la libre-circulation des idées (p. 32). Comment expliquer que l’actuel triomphe du libéralisme s’accompagne d’un recours étatique à la censure ?

    L’intolérance actuelle du pouvoir, et plus largement du système face à tout ce qui relève de l’indépendance d’esprit et face à tous les propos non consensuels est d’un niveau assez stupéfiant. L’intolérance des hommes du système est, à beaucoup d’égards, proportionnelle à leur inculture. Il y a aussi un formidable formatage des esprits, qui va du plus haut niveau à tous les cadres intermédiaires de la société. Dans les faits, le libéralisme économique se développe sur fond de libéralisme politique. Ce libéralisme politique est une démocratie purement procédurale qui est de moins en moins démocratique. Le peuple ne peut se prononcer sur les sujets importants et, plus encore, quand il se prononce, on ne tient pas compte de son avis. Ce « règne de l’On » est en fait le règne de l’hyperclasse. Cette dernière mène une guerre de classe contre le peuple. En matière de relations internationales, nous sommes face à un système à tuer les peuples, qui s’appuie sur les États-Unis et ses relais, dont malheureusement la France, parfois même à l’avant-garde de l’atlantisme belliciste et déstabilisateur. Au plan intérieur, institutionnel et politique, nous avons un système à tuer le peuple, basé sur le mépris de celui-ci. Ce sont les deux faces d’un même système.

    « L’écologie poussée jusqu’au bout amène inévitablement à deux rejets. Rejet du libre-échangisme économique, rejet de l’immigration de masse » (p. 31). N’est-il pas pourtant en vogue, dans le monde de l’entreprise et au sein de la politique française, de parler d’« écologie », de « développement durable » ?

    Le développement, c’est une façon de dire « toujours plus ». C’est souvent le cache-sexe de la pure et simple course aux profits. Si on souhaite un développement vraiment durable, il y a des choses à ne pas développer, par exemple le développement de l’automobile. C’est la contradiction du terme « développement durable ». Il faut donc demander aux partisans du développement durable ce qu’ils veulent vraiment développer. S’agit-il des systèmes d’échanges locaux ? Nous serons alors d’accord. S’agit-il des biens collectifs qui échappent à la marchandisation ? Très bien. S’agit-il de développer toujours plus de routes qui éventrent les paysages ? Ou de stupides créations d’aéroports inutiles ? Alors non. Faut-il toujours plus de smartphones ? Toujours plus d’informatisation de tous les processus de décision ? Encore non.

    Prenons l’urbanisme comme exemple. Une ville durable, ce n’est pas forcément une ville qui se « développe », ce peut être une ville qui se stabilise, qui améliore ses équilibres. La notion de développement durable est donc ambiguë. Il faut pousser ses partisans dans leurs retranchements et les amener à reconnaître, s’ils sont de bonne foi, qu’il y a des choses à ne pas développer.

    Quant à l’écologie, tout le monde est pour. C’est comme la santé et la bonne humeur : comment ne pas être pour ? Mais, concrètement, les gens qui se réclament de l’écologie sont pour l’immigration de masse. Alors, que se passe-t-il ? L’écologie s’appliquerait aux petits oiseaux, mais pas aux hommes ? (La critique de l’immigration qui est la nôtre ne saurait occulter ce que nous pensons être les responsabilités énormes de l’Occident dans le chaos au Proche-Orient et donc dans les flux migratoires vers l’Europe, et cela a commencé dès la première guerre du Golfe déclenchée après le rattachement de la « 19ème province », le Koweït à l’Irak, un piège, sous beaucoup d’aspects, tendu à l’Irak).

    Revenons à l’immigration, qui n’est qu’un des aspects des équilibres humains, de l’écologie humaine et de l’éthologie humaine. Le respect des équilibres s’appliquerait à la nature mais pas aux hommes, qui pourtant ne cessent d’agir sur la nature ? L’écologisme des « Verts » n’a ainsi guère de rapport avec l’écologie. La thèse du réchauffement climatique anthropique (dû à l’homme) n’est elle-même pas prouvée. L’écologie officielle sert en fait de nouveau totalitarisme et d’instrument de contrôle social renforcé. Il est pourtant parfaitement exact que l’homme détruit ou abîme son propre environnement mais ce ne sont pas les écologistes, le GIEC ou les gouvernements qui « font de l’écologie » une sauce additionnelle à leur prêchi-prêcha culpabilisateur et moralisateur qui aideront à trouver des solutions. Il leur faudrait d’abord rompre avec le culte du progrès et de la croissance, et avec une vision de l’homme qui est fausse car les écologistes ne croient pas qu’il existe des différences entre les peuples : les écologistes, tout comme nos libéraux et socio-libéraux, pensent que les hommes et les peuples sont parfaitement interchangeables.

    Or, avant de vouloir sauver l’homme et la planète, il faudrait commencer par les comprendre. Les écologistes, tout comme nos gouvernements mondialistes, pensent que les hommes sont tous pareils. Leur vision du monde est une vision de touriste. Pourquoi ne peut-on pas s’installer dans n’importe quel pays, de même que quand on part en voyage on regarde le catalogue ou le site adéquat ou autre et on coche la case « soleil », « bain de mer », etc. Croire que les migrations relèvent de la « liberté » est la dernière des imbécillités. Les migrations ont toujours été essentiellement des actes de guerres. Croit-on que les Allemands des Sudètes ont quitté leur pays en 1945 parce que les paysages bavarois sont plus gais, ou que les dancings de Munich sont d’un standing supérieur à ceux de Pilsen ? C’était parce qu’ils avaient le choix entre l’expulsion ou le massacre. Croit-on que les Juifs ont quittés l’Allemagne en 1933 par simple fascination pour l’Amérique ? Ou bien plutôt parce qu’on (les nazis) voulait les réduire à la misère, à l’humiliation, au suicide ou à la déportation ?

    Vous écrivez que vous avez souvent été considéré « comme un homme de gauche par les gens de droite et comme un homme de droite par les gens de gauche » (p. 85). Est-ce là pur esprit de contradiction ou bien assiste-t-on à un effacement du clivage gauche-droite ?

    Esprit gratuit de contradiction : non. Goût de la complexité, oui. « La complexité est une valeur », écrit Massimo Cacciari. J’aime avant tout les nuances. Quant aux contradictions, il peut être fécond de les creuser si elles permettent d’arriver à une synthèse de plus haut niveau. Je crois au juste milieu non comme médiocre moyenne mais comme médiété. C’est ce qu’Aristote appelait : éviter l’excès et le défaut. Telle est la vertu selon Aristote. Ainsi, le courage n’est ni la témérité (l’excès) ni la lâcheté (le défaut). Mais le stagirite expliquait que l’opposé du courage reste néanmoins la lâcheté – et non la témérité.

    Les notions de droite et de gauche n’ont cessé d’évoluer. C’est un clivage qui a toujours été mouvant. Aujourd’hui, ce qui est très clair, c’est que c’est un rideau de fumée. Droite et gauche sont d’accord sur l’essentiel : l’Europe du libre-échange et du dumping social, le partenariat privilégié avec les États-Unis, l’antirussisme primaire, la société de marché, l’idéologie des droits de l’homme contre le droit des peuples et l’immigrationnisme forcené. C’est en fait une fausse droite qui fait face à une fausse gauche. Les deux en sont au degré zéro de la pensée. Fausse droite et fausse gauche partagent la même croyance que l’Occident peut continuer à fabriquer de l’universel seul dans son coin et à l’imposer au reste du monde.

    Tous les intellectuels qui pensent vraiment finissent par se fâcher avec le système politico-médiatique. Alors, celui-ci les exclut au motif de pensées « putrides », d’arrières-pensées encore plus « nauséabondes », d’appartenance à la « France moisie », de « relents de pétainisme », de statut d’ « ennemis de l’avenir » (Laurent Joffrin) et autres anathèmes. Michel Onfray, Jean Claude Michéa, Alain Finkielkraut, Alain de Benoist et d’autres sont mis dans le même sac, ce qui dispense de les lire. Or, ces intellectuels sont très différents. Ils ont comme seul point commun d’essayer de penser vraiment les problèmes même s’ils arrivent à des conclusions qui ne sont pas conformes à l’irénisme dominant : les richesses des cultures qui « se fécondent mutuellement » en se mélangeant, les « bienfaits de la diversité », les vertus d’un « vivre-ensemble » toujours plus épanouissant, le bonheur de la société « inclusive », etc. Michel Onfray est ainsi accusé d’avoir « viré à droite ». Cela ne devrait pas être une accusation mais une hypothèse non infamante en soi, relevons-le. Mais, au demeurant, c’est faux. Michel Onfray a toujours été un libertaire et il n’a pas changé. C’est toujours au nom des mêmes idées qu’il se heurte désormais aux esprits étroits du système, notamment depuis qu’il a relevé les responsabilités de Bernard-Henri Lévy dans le désastre libyen dont l’une des conséquences est le déferlement migratoire. Les propos de Michel Onfray sont dans le droit fil de sa conception du rôle de l’intellectuel, conception qu’il a notamment développée dans son livre sur Albert Camus, mais aussi dans nombre de chapitres de sa Contre-histoire de la philosophie.

    Plutôt qu’une fausse droite et une fausse gauche, j’aimerais voir une vraie droite et une vraie gauche. Mais je crois aussi que les vraies droites sont toujours quelque peu de gauche à leur façon (voir Bernanos), tandis que les vraies gauches sont en un sens aussi de droite (voir Auguste Blanqui ou Georges Sorel).

    Surtout, la vraie question me parait être de sortir de l’abjection anthropologique qu’est la modernité, et sa version récente l’hypermodernité. Le « chacun dans sa bulle », avec son oreillette et son smartphone me parait être un recul formidable de l’humain, la joignabilité tout azimut me parait une horreur. Je dis : abjection des temps modernes. De quoi s’agit-il ? Ce sont les gens qui sont appareillés d’oreillettes dans les transports en commun, qui restent les yeux figés sur leur téléphone cellulaire ou sur leur tablette numérique, ce sont les gens qui filment un drame ou une brutalité sans jamais intervenir, ce sont les gens qui ne proposent jamais à un clochard en perdition de l’aider à se relever, ce sont les gens qui veulent bien être témoin mais à condition de ne rien risquer (« Je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger », disait Pascal. On voit que nous en sommes loin). Ce sont les hommes de la société de l’insignifiance. En sweat-shirt du nom d’une compagnie aérienne d’un émirat pétrolier, ou en capuche de survêtement, parlant fort dans les transports en commun pour faire profiter tout le monde de leurs préoccupations égotistes, ils représentent le summum du mauvais goût. C’est le tsunami de l’abjection. Faut-il préciser qu’un Africain en habit traditionnel lisant le Coran ne me fait pas du tout la même impression ? Serait-ce là le dernier refuge de l’humanité ? Ce n’est pas le seul. Reste une évidence : le coefficient de modernité est exactement équivalent au coefficient d’abjection.

    Cette question de la modernité, postmodernité par rapport aux années soixante et soixante-dix, ou simple hypermodernité, est très liée aux nouvelles formes du capitalisme, analysées par exemple fort bien par Pierre Dardot et Christian Laval. Sortir de l’hypermodernité, ce sera nécessairement aussi sortir du turbocapitalisme. Or, le dépassement du capitalisme ne se fera par les droites telles qu’on les connaît, mais se fera encore moins par la gauche actuelle. Celle-ci est devenue l’avant-garde du turbocapitalisme, elle déblaie le terrain, elle détruit les enracinements, les industries et la classe ouvrière. Elle a détruit les ethos (manière d’être au sens de demeure anthropologique) ouvriers. Elle est pour cela plus efficace qu’aucune extrême-droite n’aurait pu l’être. L’hypermodernité a permis de comprendre ce qu’était la modernité. Marx écrit « L’anatomie de l’homme est une clef pour l’anatomie du singe. Les virtualités qui annoncent dans les espèces animales inférieures une forme supérieure ne peuvent au contraire être comprises que lorsque la forme supérieure est elle-même connue. Ainsi l’économie bourgeoise fournit la clef de l’économie antique » (Introduction à la critique de l’économie politique, 1857). Dans le même temps, l’hypergauche actuelle a permis de comprendre ce qu’était la logique de la gauche : faire la table rase de tout être. Nier toutes différences, faire des nouveaux codes (théorie du genre, nouvel antiracisme négateur des races et des cultures) le contraire de l’histoire, en allant plus loin que Rabaut Saint-Etienne avec sa fameuse formule (« L’histoire n’est pas notre code »). Il s’agit en fait de liquider pour l’Europe la possibilité de faire une quelconque histoire.

    La vraie question est donc de comprendre qu’on ne peut dépasser le capitalisme par la gauche (surtout celle de Pierre Bergé). La vraie question est aussi de prendre conscience à la fois que les thèses du GIEC sont biaisées par l’idéologie officielle du réchauffement dû à l’homme, mais que l’homme abîme vraiment la terre, que la pollution est une réalité, la croissance une impasse pour notre environnement, qu’elle détruit et enlaidit. La question est de prendre conscience que, comme dit le pape François, « l’heure est venue d’accepter une décroissance dans quelques parties du monde et d’en finir avec le mythe moderne du progrès matériel sans limite » (encyclique Laudato si’). L’heure est venue de la postcroissance pour une vraie postmodernité qui soit autre chose que l’intensification de la modernité.

    La polémique autour des propos de Michel Onfray sur Alain de Benoist a révélé qu’il existe encore une « gauche du non » (Jacques Sapir, Christophe Guilluy, Jean-Claude Michéa…). Qu’en pensez-vous ?

    Le phénomène va au-delà d’une « gauche du non » (au référendum sur le traité de 2005). Jean-Claude Michéa est un historien des idées, novateur et important. Jacques Sapir est un géopolitologue, un économiste et d’une manière générale un intellectuel atypique comme il y en a peu. Christophe Guilluy est un sociologue qui apporte un éclairage neuf mais n’est pas un intellectuel généraliste. Michel Onfray est un littéraire et un philosophe touche à tout doué et attachant – quoique, cela n’aura échappé à personne, un peu dispersé. Ce qui est important s’agissant de cette « gauche du non » qui est, plus largement, une gauche rebelle aux séductions de l’hypermodernité capitaliste, c’est de comprendre qu’un certain nombre de dissidents du système (certains l’étaient depuis longtemps et d’autres le sont devenus) commencent à se parler. Leurs réponses ne sont sans doute pas les mêmes mais du moins certains comprennent-ils qu’il n’y a pas de questions tabous.

    Il y a un autre élément de reclassement entre les intellectuels : la question de la pauvreté spirituelle de notre temps émerge tout comme la question de la nécessaire préservation des cultures qui consiste à ne pas les noyer dans un grand mélange informe.

    Face à la postmodernité, pensez-vous qu’il faille adopter un positionnement conservateur ? Réactionnaire ?

    Réactionnaire n’est pas un gros mot. On a le droit, voire le devoir de réagir face à certains processus. Mais réagir ne suffit jamais. Conservateur ? Tout dépend de ce qu’il convient de conserver. Certainement pas le système capitaliste et productiviste. Certainement pas le nouvel ordre mondial dominé par les États-Unis. Certainement pas les orientations internationales de la France depuis trente ans et le retour dans l’Otan. Certainement pas l’Union européenne telle qu’elle est. Il faut conserver le meilleur de la France. Mais existe-t-il encore ? Bien plutôt, il faut le retrouver, le réinventer. En retrouver l’esprit plus que les formes, par nature périssables. Pour conserver le meilleur, il faut révolutionner l’existant. C’est la formule du conservatisme révolutionnaire. Elle me convient bien.

    Pierre Le Vigan, propos recueillis par Thomas Julien (Philitt, 7 décembre 2015)

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