Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Paul-François Paoli, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la détestation qu'une grande partie de la gauche éprouve pour la nation... Journaliste, Paul-François Paoli est l'auteur de plusieurs essais comme La tyrannie de la faiblesse (Bourin, 2010), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (Bourin, 2012) ou Malaise de l'occident (Pierre-Guillaume de Roux, 2014).
De Sartre à Taubira : cette gauche qui combat la nation
Le débat sur la déchéance de la nationalité est révélateur de la vision, ou plutôt de l'absence de vision, que la gauche et une partie des élites de ce pays se font de la nationalité réduite à une collection de droits et de prétendus devoirs. On peut évidemment arguer que cette mesure de déchéance n'aura aucune portée puisque, par définition, les radicaux de l'islam se fichent comme d'une guigne de la nationalité. L'islamisme, comme le communisme hier, est un messianisme révolutionnaire qui nie les distinctions entre les peuples et il n'est pas anodin de constater qu'une certaine gauche fait preuve d'indulgence, voire de complaisance, à l'endroit de l'islam politique. N'a-t-on pas vu, en juillet 2014, lors des fameuses émeutes de Barbès à Paris, les militants du NPA de Besancenot mêler leurs drapeaux à ceux du Hamas? A gauche le refus de se désolidariser avec les ennemis de leur propre pays est une vieille histoire. Nul ne met plus en question, aujourd'hui, l'allégeance du PCF à l'égard de l'Urss stalinienne. Stéphane Courtois a récemment rappelé que Maurice Thorez fut déchu de sa nationalité par la République en février 1940. «Le Parti communiste n'est pas à gauche mais à l'Est» dira un jour Léon Blum. Jacques Duclos, dirigeant historique du PCF, a été sa vie durant, ainsi que l'a montré Frédéric Charpier dans L'agent Jacques Duclos (Seuil), un serviteur zélé de l'Urss sans pour autant passer pour un traître au regard des Mélenchon de l'époque. C'est que, pour une certaine gauche, trahir la France comme réalité c'est encore la servir comme idée. Le sophisme fonctionne ainsi et il est imparable: la France est le pays de la Révolution et de la fameuse «fraternité» entre les peuples, si elle n'est plus digne de ses valeurs, il faut la combattre au nom des idéaux qu'elle a elle-même prônés. Comme l'expliquera Sartre, les valeurs républicaines d'égalité et de fraternité exigent le socialisme pour ne pas rester lettre morte, incantation fumeuse.
C'est ainsi que les trotskistes ont, en 1940, prôné le pacifisme et refusé de combattre les «prolétaires allemands» de la Wehrmacht. C'est ainsi que les mêmes trotskistes ont porté des valises pour le FLN, de même qu'ils s'étaient solidarisés avec le Vietminh. C'est ainsi que le lugubre Georges Boudarel, communiste rallié au Vietminh, finit par persécuter ses camarades français dans les camps du Vietminh après la chute de Dien Bien Phu. Ces gens ne se sont jamais perçus comme les collaborationnistes mais comme des internationalistes conséquents. Marx n'a t'il pas écrit que les prolétaires n'avaient pas de patrie? N'a-t-il pas mis en valeur le processus historique qui allait rendre obsolète les Etats et les frontières? Aujourd'hui encore, pour beaucoup d'hommes et de femmes de gauche, depuis Taubira à Duflot, en passant par Lang ou Mélenchon, la France est moins un pays qu'une idée. Langue, sensibilité aux régions et aux terroirs, sentiment d'appartenance, tout cela n'existe pas. Le jeune Pol Pot, qui admirait la terreur de 1793 était plus français aux yeux d'un Badiou, qui tressera des lauriers au Kampuchéa démocratique en 1979, que le paysan du Berry, car le paysan du Berry n'est pas une figure de l'Universel, il incarne l'horrible puanteur du particulier.
Plus généralement, et cela ne concerne pas que la gauche, les élites françaises sont frappées d'une étrange névrose: la prétention de s'identifier à l'universel alors que cette notion d'universel doit aujourd'hui se conjuguer au pluriel. Qui ne voit que l'islam est un universalisme rival du laïcisme républicain? Nous ne vaincrons pas l'islamisme avec des discours sur les valeurs de la République auxquels les jeunes radicaux sont imperméables puisqu'ils ont justement fait le choix d'autres valeurs, plus consistantes à leurs yeux: celles de la fraternité islamique. Nous devons affirmer que la France est un pays avant d'être une idée et que ce pays a une histoire qui ne doit rien à l'islam. Qu'il est porteur d'une langue et d'une culture, dont le rayonnement a été universel et l'est encore, dans une certaine mesure, grâce à la francophonie. Nous devons avoir le courage d'expliquer que la France n'est pas une formalité administrative et demander aux détenteurs extra-européens de la double nationalité de choisir entre leur nationalité affective et une nationalité fictive. Pourquoi Marocains et Algériens qui hissent leurs drapeaux à tout propos ne se contenteraient ils pas de la nationalité qui leur tient à cœur? Pourquoi la droite n'accepte-t-elle pas, comme le suggère Hervé Mariton, de mettre en cause un droit du sol qui est l'immaculée conception de ceux qui réfutent toute tradition? Qui ne sent que ce que l'on vous donne automatiquement, sans que vous l'ayez demandé, n'a guère de valeur, comme la rappelé un jour le psychanalyste Daniel Sibony? Redonner une valeur symbolique à la nationalité suppose de ne pas la partager avec qui la dénigre ou la tient pour rien. En réalité un formidable changement de perception de l'histoire nationale est intervenu dans les années 70, après la découverte des crimes de Vichy.
Les Français étaient si fiers autrefois de «descendre des Gaulois»- même si c'était une filiation mythique - qu'ils ont eu la prétention extravagante d'expliquer aux Africains colonisés qu'ils en descendaient aussi! Aujourd'hui c'est l'inverse, le mot de Gaulois est devenu suspect pour ceux qui se pâment d'admiration pour tous les peuples premiers du monde, depuis les Toubous aux Inuit en passant par les Aborigènes d'Australie! Cette dévaluation est emblématique de la haine que certains portent aux origines et à l'histoire de leur pays. Une dénégation dont témoigne le discours fallacieux sur la France «pays d'immigration», laquelle a débuté, au milieu du XIXème siècle, dans un pays qui n'a cessé d'être occupé depuis le néolithique. L'historien Jean-Louis Brunaux rappelle que la France gauloise, à l'époque de Jules César, était peuplée par près de 9 millions d'habitants, voire plus! Mais les élites de ce pays ont dénié aux Français le droit d'avoir des origines, comme tous les peuples du monde, car qui dit origine dit identité, notion oiseuse ou dangereuse aux yeux des apologues de l'Universel. La France, pays de Vercingétorix et de Gambetta, mais aussi de Robespierre et de Pétain, n'était plus assez bien pour elles.
De Gaulle lui-même, dont le nom est douteux, a eu les élites intellectuelles de ce pays sur le dos. Un homme qui, en plein mai 68, alors que les niais du quartier latin braillent «CRS SS», s'adresse aux Roumains à Bucarest en ces termes: «Roumains et Français, nous voulons être nous-mêmes... c'est à dire l'Etat national et non pas l'Etat cosmopolite» se devait d'être mis à pied. Dites-moi par qui vous voulez être reconnu, je vous dirais qui vous êtes. Cette vérité est celle de tous les snobismes. L'élite intellectuelle française a préféré les Etats-Unis de Kennedy et la Chine de Mao à la France gaullienne, trop petite pour le rayonnement de sa vanité. Enfin l'Europe est arrivée à point nommé comme heureux moyen d'en finir avec l'histoire de France. La caste issue de Mai 68 fait aujourd'hui grise mine car le peuple qu'elle prétendait alphabétiser mais aussi les intellectuels, ont tendance à la ringardiser. Elle sait que son temps est compté, d'où la haine qu'exprime à l'égard de Michel Onfray, traître qui revendique ses origines plébéiennes, Gaulois perdu parmi une intelligentsia hostile. Certains Français, c'est un fait, n'ont jamais aimé leur pays mais les valeurs des droits de l'homme. Quand la France leur paraît faible ou défaillante, ils se découvrent citoyens du monde. Les bobolandais font parfois la moue quand on leur rappelle qu'ils sont Français, eux qui «se croient quelque chose dans le monde» (Saint Simon) parce qu'ils racontent leur vie sur Facebook. La noblesse propre à un certain patriotisme est l'inverse de cet état d'esprit: on n'oublie pas son pays quand il est blessé, on ne l'accable pas quand il est affaibli. Péguy, Camus, Simone Weil sont là pour nous le rappeler: les vrais esprits forts sont toujours du côté des plus faibles.
Paul-François Paoli (Figaro Vox, 14 janvier 2016)