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gauche - Page 17

  • La gauche et ses mystères...

    Les éditions Flammarion viennent de rééditer, dans leur collection de poche Champs, Les mystères de la gauche, le dernier essai de Jean-Claude Michéa. Nous reproduisons ci-dessous la recension qu'en avait fait Alain de Benoist dans la revue Éléments.

     

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    Vers un nouveau bloc historique

    Dans ce nouveau livre, dont chaque page serait à citer, Jean-Claude Michéa approfondit le sillon creusé avec Le complexe d'Orphée (2011). Il rappelle que la « gauche» moderne est née, au moment de l'affaire Dreyfus, d'un compromis tactique entre l'aspiration ouvrière à la justice sociale et l'idéologie bourgeoise du progrès illimité. Cette fusion contre-nature ne pouvait qu'être provisoire, car le socialisme, s'il rejette assurément les institutions d'Ancien Régime, n'implique nullement le refus d'un modèle de vie communautaire hérité du passé, et moins encore celui de l'idée que la capacité de l'homme à agir indépendamment de ses seuls intérêts égoïstes est le fondement de toute attitude honorable. Aujourd'hui totalement coupée du peuple et convertie au modèle du marché, la «gauche» reconnaît implicitement dans le capitalisme le meilleur moyen de « progresser» dans la fuite en avant vers l'éradication du passé, le déracinement intégral, la suppression des frontières et la suraccumulation des profits. Son libéralisme « sociétal» (le « pourtoussisme») rejoint alors tout naturellement le libéralisme économique d'une« droite» acquise à l'individualisme rapace - Caroline Fourest pourrait épouser Laurence Parisot! -, l'un et l'autre dérivant d'une même pulsion, aujourd'hui mise au service de la construction d'une Europe procédurière et marchande. Le « nom de gauche», dit Michéa, est devenu «inutilement diviseur». Le clivage droite-gauche n'a dès lors plus lieu d'être. Il n'est plus qu'imposture et mystification, ainsi que Cornelius Castoriadis l'avait déjà constaté il y a plus d'un quart de siècle.

    Le caractère révolutionnaire de la Forme-Capital s'opposant au goût de la « décence commune» du socialisme véritable, la coupure essentielle ne passe plus entre la droite et la gauche, mais entre une oligarchie qui aspire à l'« atomisation du monde» (Engels) et les classes populaires de toutes origines. Signe avant-coureur d'un nouveau bloc historique? Intelligent et lucide, perspicace et exaltant.

    Alain de Benoist (Éléments n°147, avril - juin 2013)

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  • Michéa face à la stratégie Godwin...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec le philosophe Jean-Claude Michéa, publié dans l'hebdomadaire Marianne (n°871, du 20 décembre 2013 au 3 janvier 2014) et consacré aux attaques par les chiens de garde du système dont il fait l'objet depuis plusieurs mois...

     

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    Michéa face à la stratégie Godwin

    Marianne : Un hebdomadaire faisait sa une, il y a quelques semaines, sur les «néocons», vous bombardant comme l'idéologue le plus emblématique d'une véritable lame de fond identitaire, souverainiste et protectionniste, et amalgamant votre nom à celui de Marine Le Pen, soi-disant admirative de vos écrits. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

    Jean-Claude Michéa : N'exagérons rien ! Le magazine de François Pinault a d'ailleurs bien pris soin - sans doute pour brouiller un peu plus les pistes - d'inclure également, dans sa liste noire des «néoconservateurs à la française», des personnalités telles que Régis Debray, Arnaud Montebourg, Natacha Polony, Benoît Hamon ou Yves Cochet. Liste dont l'absurdité devrait sauter aux yeux puisque la nébuleuse «néoconservatrice», telle qu'elle a pris naissance aux Etats-Unis, est plutôt connue pour son soutien constant aux politiques de Reagan et de Bush père et fils - trois présidents qu'il est difficile de tenir pour de farouches contempteurs du capitalisme ! Naturellement, la pratique qui consiste à inverser délibérément le sens des mots afin de rendre plausibles les amalgames les plus fantaisistes n'a rien de nouveau.

    Clemenceau et Staline avaient ouvert la voie - le premier en forgeant, en 1906, la notion de «complot anarcho-monarchiste» et le second, dans les années 30, celui d'«hitléro-trotskisme». Ce qui est nouveau, en revanche, c'est l'agenda idéologique qui préside à ce type d'amalgame. Au XXe siècle, en effet, les évangélistes du capital se contentaient généralement de dénoncer la «main de Moscou» dans toute critique - fût-elle simplement keynésienne - de l'économie de marché. Or, une telle stratégie est devenue sans objet une fois l'empire soviétique disparu et actée la conversion définitive des gauches occidentales au culte du libéralisme économique et culturel. De ce point de vue, c'est certainement la publication, en 2002, du Rappel à l'ordre, de Daniel Lindenberg (ouvrage qui entendait déjà dresser la liste des «nouveaux réactionnaires»), qui symbolise au mieux la nouvelle donne idéologique. Ce petit livre, écrit à la demande de Pierre Rosanvallon (alors l'un des membres les plus actifs du Siècle, le principal club de rencontre, depuis 1944, de la classe dirigeante française), est en effet le premier à avoir su exposer de manière aussi pédagogique l'idée selon laquelle le refus «d'acquiescer à l'économie de marché» et l'attachement corrélatif aux «images d'Epinal de l'illibéralisme [sic]» constituait le signe irréfutable du retour des «idées de Charles Maurras». C'est, bien sûr, dans le cadre de cette stratégie (que j'appellerais volontiers, en référence au point du même nom, la stratégie Godwin) qu'il faut interpréter la récente initiative du Point (magazine dont la direction compte d'ailleurs dans ses rangs certains des membres les plus éminents du Siècle). Tous ceux qui pensent encore que la logique folle de la croissance illimitée (ou de l'accumulation sans fin du capital) est en train d'épuiser la planète et de détruire le principe même de toute socialité ne devraient donc nourrir aucune illusion. Si, comme Bernard-Henri Lévy en avait jadis exprimé le vœu, le seul «débat de notre temps» doit être «celui du fascisme et de l'antifascisme», c'est bien d'abord au prétexte de leur caractère «conservateur», «réactionnaire» ou «national-nostalgique», que les contestations radicales futures seront de plus en plus diabolisées par les innombrables serviteurs - médiatiques, «cybernautiques» ou mandarinaux - de l'élite au pouvoir.

    De plus en plus de figures de la droite dure, d'Eric Zemmour à Alain de Benoist, le directeur de la revue «pour la civilisation européenne», Eléments, se réclament de vous depuis deux ou trois ans. Comment expliquez-vous cet intérêt, au-delà du simple bénéfice de voir vos écrits désosser idéologiquement la gauche molle ? Cela relève-t-il clairement d'une interprétation abusive de vos thèses ?

    J.-C.M. : Une partie de ce que vous appelez «la droite dure» a effectivement pris l'habitude de placer sa nouvelle critique du libéralisme sous le patronage privilégié de ses anciens ennemis, qu'il s'agisse de Jaurès, de Marx ou de Guy Debord [lire le dossier de décembre de l'excellente revue Fakir, justement intitulé «Quand Marine Le Pen cause comme nous»]. On doit certes s'interroger sur le degré de sincérité de ces hommages récurrents. Mais que cette droite puisse me citer aux côtés de ces grandes figures de la tradition radicale n'a donc, en soi, rien d'illogique. Je serais plus inquiet, en vérité, si ma critique du libéralisme culturel rencontrait l'approbation enthousiaste d'une Laurence Parisot ou d'un Pierre Gattaz. Il s'agit donc seulement de déterminer dans quelle mesure ce nouvel antilibéralisme de droite recoupe, ou non, une partie de la critique socialiste.

    Passons très vite sur le cas des véritables «néoconservateurs à la française», c'est-à-dire cette fraction de la droite classique qui, selon le mot du critique américain Russell Jacoby, «vénère le marché tout en maudissant la culture qu'il engendre». On comprend sans peine que ces «néoconservateurs» puissent apprécier certaines de mes critiques du libéralisme culturel (notamment dans le domaine de l'école). Le problème, c'est que leur vision schizophrénique du monde leur interdit d'utiliser ces critiques de façon cohérente. Si le libéralisme se définit d'abord comme le droit pour chacun de «vivre comme il l'entend» et donc «de produire, de vendre et d'acheter tout ce qui est susceptible d'être produit ou vendu» (Friedrich Hayek), il s'ensuit logiquement que chacun doit être entièrement libre de faire ce qu'il veut de son argent (par exemple, de le placer dans un paradis fiscal ou de spéculer sur les produits alimentaires), de son corps (par exemple, de le prostituer, de le voiler intégralement ou d'en louer temporairement l'usage à un couple stérile), ou de son temps (par exemple, de travailler le dimanche). Faute de saisir cette dialectique permanente du libéralisme économique et du libéralisme culturel, le «néoconservateur à la française» (qu'il lise Valeurs actuelles ou écoute Eric Brunet) est donc semblable à ces adolescents qui sermonnent leur entourage sur la nécessité de préserver la planète mais qui laissent derrière eux toutes les lumières allumées (analyse qui vaut, bien sûr, pour tous ceux, à gauche, qui vénèrent le libéralisme culturel, tout en prétendant maudire ses fondements marchands).

    Tout autre est la critique du libéralisme par les héritiers modernes de l'extrême droite du XIXe siècle. Sous ce dernier nom, j'entends à la fois les ultras qui rêvaient de restaurer l'Ancien Régime et les partisans de ce «socialisme national» - né des effets croisés de la défaite de Sedan et de l'écrasement de la Commune - qui, dès qu'il rencontre les conditions historiques de ce que George Mosse nommait la «brutalisation», risque toujours de basculer dans le «national-socialisme» et le «fascisme». Or, ici, l'horreur absolue que doivent susciter les crimes abominables accomplis au nom de ces deux dernières doctrines a conduit à oublier un fait majeur de l'histoire des idées. Oubli dont les moines soldats du libéralisme tirent aujourd'hui le plus grand bénéfice. C'est le fait que les fondateurs du socialisme partageaient consciemment avec les différentes droites antilibérales du temps un postulat anthropologique commun. Celui selon lequel l'être humain n'est pas, comme l'exigeait le libéralisme des Lumières, un individu «indépendant par nature» et guidé par son seul «intérêt souverain», mais, au contraire, un «animal politique» dont l'essence ne peut se déployer que dans le cadre toujours déjà donné d'une communauté historique. Bien entendu, en dehors de ce refus partagé des «robinsonnades» libérales (le mot est de Marx), tout, ou presque, séparait l'idéal socialiste d'une société sans classe dans laquelle - selon le vœu de Proudhon - «la liberté de chacun rencontrera dans la liberté d'autrui non plus une limite mais un auxiliaire», des conceptions alors défendues par la droite monarchiste et le «socialisme national». La première, parce que son intérêt proclamé pour les anciennes solidarités communautaires masquait d'abord son désir d'en conserver les seules formes hiérarchiques (le «principe d'autorité» de Proudhon). Le second, parce qu'en dissolvant tout sentiment d'appartenance à une histoire commune dans sa froide contrefaçon «nationaliste» il conduisait à sacrifier l'idéal d'autonomie ouvrière sur l'autel ambigu de l'«union sacrée». Comme si, en d'autres termes, un métallurgiste lorrain ou un pêcheur breton avaient plus de points communs avec un riche banquier parisien qu'avec leurs propres homologues grecs ou anglais.

    Pensez-vous que la réconciliation de la gauche moderne avec les dogmes de l'anthropologie libérale soit irréversible ?

    J.-C.M. : Ce sont hélas eux qui expliquent qu'on ne puisse trouver beaucoup d'esprits, à gauche, encore capables de critiquer - comme jadis Engels - la dynamique aveugle qui conduit peu à peu le marché capitaliste à «désagréger l'humanité en monades dont chacune a un principe de vie particulier et une fin particulière» (ou - version saint-simonienne - à transformer la société en «une agrégation d'individus sans liens, sans relations et n'ayant pour mobiles que l'impulsion de l'égoïsme»). Et qui expliquent donc aussi pourquoi, de nos jours, ce sont des intellectuels issus de la droite anticapitaliste qui parviennent le plus souvent (sous des formes, on s'en doute, souvent très ambiguës et parfois même ouvertement antisémites) à proposer - à l'image, effectivement, d'un Alain de Benoist - certaines des critiques les plus lucides de l'individualisme libéral, de ses fondements anthropologiques et de ses conséquences morales et culturelles désastreuses sur la vie quotidienne des gens ordinaires. Critiques qui constituaient, il y a trente ans encore, l'un des axes majeurs des contestations radicales du capitalisme mais qui ont aujourd'hui presque entièrement disparu du discours de la gauche.

    Cette situation paradoxale - qui n'est, encore une fois, que la contrepartie logique de la conversion de la gauche à l'idée que le capitalisme est «l'horizon indépassable de notre temps» - n'a évidemment rien pour enthousiasmer les partisans d'une sortie aussi «civilisée» que possible du système capitaliste. Elle risque même de conférer une apparence de sérieux à cette stratégie Godwin qui est devenue l'idéologie du Siècle. Car, si le vide idéologique créé par les renoncements successifs de la gauche ne devait plus être rempli que par les seuls penseurs issus de la droite radicale (quels que soient leurs mérites individuels), ce serait, en effet, un jeu d'enfant pour les Godwin boys de convaincre les nouvelles générations (déjà privées par les réformes libérales de l'école de toute culture historique un peu solide) que ce qui constituait jadis l'essence même du socialisme ouvrier ne représente, en fait, qu'une idéologie «nauséabonde» et «réactionnaire». Il suffirait, en somme, de marteler avec encore un peu plus d'aplomb que toute volonté de protéger les peuples de la folie du capitalisme globalisé ne peut être, par essence, que «barrésienne, avec juste ce qu'il faut de xénophobie» (Pascal Lamy, dans le Point du 19 janvier 2012). Dans cette hypothèse glaçante, les ultimes héritiers de la tradition révolutionnaire devraient donc apprendre très vite à vivre sous les lois d'un monde paradoxal (mais dont Orwell, avec sa double intuition d'une «novlangue» et d'une «police de la pensée», avait su anticiper le principe). Celui où, d'un côté, et pour la première fois dans l'histoire moderne, toute opposition officielle à la dynamique aveugle du capital aurait définitivement disparu, mais dans lequel, simultanément, les nuisances de cette dynamique seraient devenues plus manifestes que jamais. Sombre hypothèse, assurément. Mais qui a prétendu que la révolution serait un dîner de gala ?

    Jean-Claude Michéa, propos recueillis par Aude Lancelin (Marianne, 4 janvier 2013)

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  • Le FN doit devenir le parti du peuple !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré au Front national de Marine Le Pen...

    Alain de Benoist vient de publier un essai important, Les démons du Bien, aux éditions Pierre-Guillaume de Roux, dans lequel il se livre à une brillante analyse de l'enfer postmoderne.

     

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    Pour s'imposer, le FN doit liquider l'UMP !

    Les médias continuent de classer le Front national à droite ou à l’extrême droite de l’échiquier politique. Est-ce toujours pertinent ? D’ailleurs, cela l’a-t-il jamais été ?

    Le Front national est à l’origine un mouvement d’extrême droite qui s’est mué progressivement en mouvement national-populiste. Le populisme est un phénomène complexe, que les notions de droite et de gauche ne permettent pas d’analyser sérieusement. Non seulement le FN est aujourd’hui une force montante, qui touche les hommes aussi bien que les femmes et marque des points dans toutes les catégories d’âge ou professionnelles, mais il arrive maintenant en tête des intentions de vote aux élections européennes, loin devant le PS ou l’UMP, ce qui revient à dire qu’il est en passe de s’imposer comme le premier parti de France. Par ailleurs, Marine Le Pen est aux yeux de 46 % des Français la personnalité politique qui incarne le mieux l’opposition (sondage CSA/BFMTV). Comme l’a reconnu Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP, « il n’y a plus désormais de sympathisants types du Front national ». Dès lors, son assignation à l’extrême droite relève d’une simple paresse intellectuelle ou d’une propagande qui ne vise qu’à le délégitimer (les deux n’étant pas incompatibles). Mais cette catégorisation n’est plus crédible aujourd’hui. Elle repose sur des arguments qui ont fait long feu.

    Un boulevard s’ouvre aujourd’hui devant le Front national, car il n’est pas de jour que les événements ne creusent encore un peu plus le fossé béant qui sépare désormais la Nouvelle classe et le peuple. Dans une telle situation, il n’est plus de « cordon sanitaire » ou de « front républicain » qui tienne. Pas plus qu’on ne fera croire aux Français qu’ils sont devenus « racistes » parce qu’un hebdomadaire a fait une comparaison déplorable qui diffamait stupidement nos amis les singes et les guenons.

    On dit que Marine Le Pen a « dédiabolisé » le Front. Il faudrait plutôt dire qu’elle s’est affirmée comme une véritable femme politique – j’entends par là quelqu’un qui a compris ce qu’est la politique : un moyen d’accéder au pouvoir, pas une façon de « témoigner » ou de rassembler une « famille ». C’est ce qui la distingue de son père, et plus encore du brave Bruno Gollnisch. Personnellement, je porte à son crédit d’être restée sourde aux piaillements des excités de tout poil, des anciens combattants des guerres perdues, des revenants de ceci ou de cela, des nostalgiques des régimes d’avant-hier et des époques révolues. C’est dans cette voie qu’elle doit persévérer si elle veut doter son mouvement de cadres dignes de ce nom.

    Marine Le Pen semble avoir opéré un virage « à gauche ». Certes, dans les années 80, son père se présentait comme le « Reagan français ». Mais, dès 1972, année de sa création, le Front national publiait un programme économique éminemment « social », voire « socialiste ». Gérard Longuet en fut l’un des principaux signataires. Alors, « virage » ou « retour aux sources » ?

    Quelle importance ? L’important est que ce tournant « à gauche » ait été pris. C’est dire que je ne suis pas de ceux qui, devant le programme économique et social du Front, parlent de « démagogie gauchiste ». Que le FN semble avoir compris que la priorité est de lutter contre l’emprise du système capitaliste libéral, contre la logique du marché, contre la globalisation libre-échangiste, contre la colonisation des imaginaires par les seules valeurs commerciales et marchandes, est d’une importance que je n’hésiterai pas à qualifier d’historique, après quarante ans d’« orléanisation » des milieux « nationaux ». C’est ce qui lui permet de toucher les classes populaires, les ouvriers, les artisans, les anciens communistes que scandalise le ralliement au système dominant des anciens révolutionnaires « repentis ».

    Pour s’imposer définitivement, le FN doit en priorité liquider l’UMP. C’est la condition première pour que Marine Le Pen soit présente au deuxième tour en 2017. Notons que, de son côté, François Hollande a lui aussi tout intérêt à affronter Marine Le Pen à la prochaine présidentielle plutôt qu’un Sarkozy, un Fillon ou même un Copé. C’est donc là que les choses se joueront.

    Certains, souvent dans les milieux identitaires, reprochent à Marine Le Pen sa fibre jacobine. Est-ce aussi simple ? Est-ce aujourd’hui une priorité que d’aller chercher un clivage entre régionalistes et colbertistes ?

    Européen et régionaliste, antijacobin dans l’âme, je suis moi-même en désaccord avec Marine Le Pen sur ce point. Mais je suis également conscient que l’Europe politiquement unifiée, l’Europe puissance autonome et creuset de civilisation que je souhaite n’est pas pour demain. L’Union européenne n’est aujourd’hui qu’une caricature d’Europe. À bien des égards, c’est même le contraire de l’Europe. Cela dit, je crois que le souverainisme jacobin demeure une impasse. Voyez la révolte des « Bonnets rouges » en Bretagne : on ne peut rien comprendre à ce mouvement si l’on ne prend pas aussi en compte sa dimension identitaire et régionaliste.

    En 1995, Samuel Maréchal, patron du Front national de la jeunesse, publiait un ouvrage intitulé Ni droite ni gauche, Français ! La présidente du Front national semble avoir fait évoluer ce concept en ce que l’on pourrait résumer par un autre slogan : « À la fois de droite et de gauche, mais Français ! »… Progrès ou régression ?

    Outre qu’il a déjà une histoire, le slogan « ni droite ni gauche » ne veut pas dire grand-chose. « Et droite et gauche » est bien meilleur. À un moment où de telles notions ne sont plus opérationnelles pour analyser les nouveaux clivages qui se mettent en place, il s’agit de rassembler des idées justes d’où qu’elles viennent. Au lendemain de l’élection présidentielle de 2007, j’avais écrit ceci : « L’avenir du FN dépendra de sa capacité à comprendre que son “électorat naturel” n’est pas le peuple de droite, mais le peuple d’en bas. L’alternative à laquelle il se trouve confronté de manière aiguë est simple : vouloir incarner la “droite de la droite” ou se radicaliser dans la défense des couches populaires pour représenter le peuple de France. » J’ajoutai « qu’il reste au FN à apprendre comment devenir une force de transformation sociale dans laquelle puissent se reconnaître des couches populaires au statut social et professionnel précaire et au capital culturel inexistant, pour ne rien dire de ceux qui ne votent plus ». Cette alternative est toujours présente. Le FN n’a de chances de l’emporter que s’il devient le parti du peuple. C’est même le nom que j’aimerais lui voir porter.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 3 décembre 2013)

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  • "La bipolarisation droite-gauche n'existe plus en milieu populaire"...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec le géographe et sociologue Christophe Guilluy, publié cet été dans le quotidien Le Figaro. Christophe Guilluy est l'auteur d'un essai intitulé Fractures françaises (Bourin, 2010) qui a suscité de nombreux commentaires lors de sa publication. Cet essai, devenu introuvable, sera réédité début octobre chez Flammarion, dans la collection de poche Champs.

     

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    "La bipolarisation droite-gauche n'existe plus en milieu populaire"

    LE FIGARO. - Vous êtes classé à gauche mais vous êtes adulé par la droite. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

    Christophe GUILLUY.- Je ne suis pas un chercheur classique. Ma ligne de conduite depuis quinze ans a toujours été de penser la société par le bas et de prendre au sérieux ce que font, disent et pensent les catégories populaires. Je ne juge pas. Je ne crois pas non plus à la posture de l’intellectuel qui influence l’opinion publique. Je ne crois pas non plus à l’influence du discours politique sur l’opinion. C’est même l’inverse qui se passe. Ce que j’appelle la nouvelle géographie sociale a pour ambition de décrire l’émergence de nouvelles catégories sociales sur l’ensemble des territoires.

    Selon vous, la mondialisation joue un rôle fondamental dans les fractures françaises. Pourquoi ?

    La mondialisation a un impact énorme sur la recomposition des classes sociales en restructurant socialement et économiquement les territoires. Les politiques, les intellectuels et les chercheurs ont la vue faussée. Ils chaussent les lunettes des années 1980 pour analyser une situation qui n’a aujourd’hui plus rien à voir. Par exemple, beaucoup sont encore dans la mythologie des classes moyennes façon Trente Glorieuses. Mais à partir des années 1980, un élément semble dysfonctionner : les banlieues. Dans les années 1970, on avait assisté à l’émergence d’une classe moyenne, c’est la France pavillonnaire.

    Vous avez théorisé la coexistence de deux France avec, d’une part, la France des métropoles et de l’autre la France périphérique.

    On peut en effet diviser schématiquement la France en deux : la France périphérique, que certains ont dénommée mal à propos France périurbaine, est cette zone qui regroupe aussi bien des petites villes que des campagnes. De l’autre côté, il y a les métropoles, complètement branchées sur la mondialisation, sur les secteurs économiques de pointe avec de l’emploi très qualifié. Ces métropoles se retrouvent dans toutes régions de France. Bien évidemment, cela induit une recomposition sociale et démographique de tous ces espaces. En se désindustrialisant, les villes ont besoin de beaucoup moins d’employés et d’ouvriers mais de davantage de cadres. C’est ce qu’on appelle la gentrification des grandes villes, avec un embourgeoisement à grande vitesse.

    Mais en même temps que cet embourgeoisement, il y a aussi dans les métropoles un renforcement des populations immigrées.

    Au moment même où l’ensemble du parc immobilier des grandes villes est en train de se « gentrifier », l’immobilier social, les HLM, le dernier parc accessible aux catégories populaires de ces métropoles, s’est spécialisé dans l’accueil des populations immigrées. On assiste à l’émergence de « villes monde » très inégalitaires où se regroupent avec d’un côté des cadres, et de l’autre des catégories précaires issues de l’immigration. Dans ces espaces, les gens sont tous mobiles, aussi bien les cadres que les immigrés. Surtout, ils sont là où tout se passe, où se crée l’emploi. Tout le monde dans ces métropoles en profite, y compris les banlieues et les immigrés. Bien sûr cela va à l’encontre de la mythologie de la banlieue ghetto où tout est figé. Dans les zones urbaines sensibles, il y a une vraie mobilité : les gens arrivent et partent.

    Pourtant le parc immobilier social se veut universel ?

    La fonction du parc social n’est plus la même que dans les années 1970. Aujourd’hui, les HLM servent de sas entre le Nord et le Sud. C’est une chose fondamentale que beaucoup ont voulu, consciemment ou non, occulter : il y a une vraie mobilité dans les banlieues. Alors qu’on nous explique que tout est catastrophique dans ces quartiers, on s’aperçoit que les dernières phases d’ascension économique dans les milieux populaires se produisent dans les catégories immigrées des grandes métropoles. Si elles réussissent, ce n’est pas parce qu’elles ont bénéficié d’une discrimination positive, mais d’abord parce qu’elles sont là où tout se passe.

    La France se dirige-t-elle vers le multiculturalisme ?

    La France a un immense problème où l’on passe d’un modèle assimilationniste républicain à un modèle multiculturel de fait, et donc pas assumé. Or, les politiques parlent républicain mais pensent multiculturel. Dans la réalité, les politiques ne pilotent plus vraiment les choses. Quel que soit le discours venu d’en haut, qu’il soit de gauche ou de droite, les gens d’en bas agissent. La bipolarisation droite-gauche n’existe plus en milieu populaire. Elle est surjouée par les politiques et les catégories supérieures bien intégrées mais ne correspond plus à grand-chose pour les classes populaires.

    Les classes populaires ne sont donc plus ce qu’elles étaient…

    Dans les nouvelles classes populaires on retrouve les ouvriers, les employés, mais aussi les petits paysans, les petits indépendants. Il existe une France de la fragilité sociale. On a eu l’idée d’en faire un indicateur en croisant plusieurs critères comme le chômage, les temps partiel, les propriétaires précaires, etc. Ce nouvel indicateur mesure la réalité de la France qui a du mal à boucler les fins de mois, cette population qui vit avec environ 1 000 euros par mois. Et si on y ajoute les retraités et les jeunes, cela forme un ensemble qui représente près de 65 % de la population française. La majorité de ce pays est donc structurée sociologiquement autour de ces catégories modestes. Le gros problème, c’est que pour la première fois dans l’histoire, les catégories populaires ne vivent plus là où se crée la richesse.

    Avec 65 % de la population en périphérie, peut-on parler de ségrégation ?

    Avant, les ouvriers étaient intégrés économiquement donc culturellement et politiquement. Aujourd’hui, le projet économique des élites n’intègre plus l’ensemble de ces catégories modestes. Ce qui ne veut pas dire non plus que le pays ne fonctionne pas mais le paradoxe est que la France fonctionne sans eux puisque deux tiers du PIB est réalisé dans les grandes métropoles dont ils sont exclus. C’est sans doute le problème social, démocratique, culturel et donc politique majeur : on ne comprend rien ni à la montée du Front national ni de l’abstention si on ne comprend pas cette évolution.

    Selon vous, le Front national est donc le premier parti populaire de France ?

    La sociologie du FN est une sociologie de gauche. Le socle électoral du PS repose sur les fonctionnaires tandis que celui de l’UMP repose sur les retraités, soit deux blocs sociaux qui sont plutôt protégés de la mondialisation. La sociologie du FN est composée à l’inverse de jeunes, d’actifs et de très peu de retraités. Le regard porté sur les électeurs du FN est scandaleux. On les pointe toujours du doigt en rappelant qu’ils sont peu diplômés. Il y a derrière l’idée que ces électeurs frontistes sont idiots, racistes et que s’ils avaient été diplômés, ils n’auraient pas voté FN.

    Les électeurs seraient donc plus subtils que les sociologues et les politologues… ?

    Les Français, contrairement à ce que disent les élites, ont une analyse très fine de ce qu’est devenue la société française parce qu’ils la vivent dans leur chair. Cela fait trente ans qu’on leur dit qu’ils vont bénéficier, eux aussi, de la mondialisation et du multiculturalisme alors même qu’ils en sont exclus. Le diagnostic des classes populaires est rationnel, pertinent et surtout, c’est celui de la majorité. Bien évidemment, le FN ne capte pas toutes les classes populaires. La majorité se réfugie dans l’abstention.

    Vous avancez aussi l’idée que la question culturelle et identitaire prend une place prépondérante.

    Les Français se sont rendu compte que la question sociale a été abandonnée par les classes dirigeantes de droite et de gauche. Cette intuition les amène à penser que dans ce modèle qui ne les intègre plus ni économiquement ni socialement, la question culturelle et identitaire leur apparaît désormais comme essentielle. Cette question chez les électeurs FN est rarement connectée à ce qu’il se passe en banlieue. Or il y a un lien absolu entre la montée de la question identitaire dans les classes populaires « blanches » et l’islamisation des banlieues.

    Vaut-il parfois mieux habiter une cité de La Courneuve qu’en Picardie ?

    Le paradoxe est qu’une bonne partie des banlieues sensibles est située dans les métropoles, ces zones qui fonctionnent bien mieux que la France périphérique, là où se trouvent les vrais territoires fragiles. Les élites, qui habitent elles dans les métropoles considèrent que la France se résume à des cadres et des jeunes immigrés de banlieue. Ce qui émerge dans cette France périphérique, c’est une contre-société, avec d’autres valeurs, d’autres rapports au travail ou à l’État-providence. Même s’il y a beaucoup de redistribution des métropoles vers la périphérie, le champ des possibles est beaucoup plus restreint avec une mobilité sociale et géographique très faible. C’est pour cette raison que perdre son emploi dans la France périphérique est une catastrophe.

    Pourquoi alors l’immigration pose-t-elle problème ?

    Ce qui est fascinant, c’est la technicité culturelle des classes populaires et la nullité des élites qui se réduit souvent à raciste/pas raciste. Or, une personne peut être raciste le matin, fraternelle le soir. Tout est ambivalent. La question du rapport à l’autre est la question du village et comment celui-ci sera légué à ses enfants. Il est passé le temps où on présentait l’immigration comme « une chance pour la France ». Ne pas savoir comment va évoluer son village est très anxiogène. La question du rapport à l’autre est totalement universelle et les classes populaires le savent, pas parce qu’elles seraient plus intelligentes mais parce qu’elles en ont le vécu.

    Marine Le Pen qui défend la France des invisibles, vous la voyez comme une récupération de vos thèses ?

    Je ne me suis jamais posé la question de la récupération. Un chercheur doit rester froid même si je vois très bien à qui mes travaux peuvent servir. Mais après c’est faire de la politique, ce que je ne veux pas. Dans la France périphérique, les concurrents sont aujourd’hui l’UMP et le FN. Pour la gauche, c’est plus compliqué. Les deux vainqueurs de l’élection présidentielle de 2012 sont en réalité Patrick Buisson et Terra Nova, ce think-tank de gauche qui avait théorisé pour la gauche la nécessité de miser d’abord sur le vote immigré comme réservoir de voix potentielles pour le PS. La présidentielle, c’est le seul scrutin où les classes populaires se déplacent encore et où la question identitaire est la plus forte. Sarkozy a joué le « petit Blanc », la peur de l’arrivée de la gauche qui signifierait davantage d’islamisation et d’immigration. Mais la gauche a joué en parallèle le même jeu en misant sur le « petit Noir » ou le « petit Arabe ». Le jeu de la gauche a été d’affoler les minorités ethniques contre le danger fascisant du maintien au pouvoir de Sarkozy et Buisson. On a pu croire un temps que Hollande a joué les classes populaires alors qu’en fait c’est la note Terra Nova qui leur servait de stratégie. Dans les deux camps, les stratégies se sont révélées payantes même si c’est Hollande qui a gagné. Le discours Terra Nova en banlieue s’est révélé très efficace quand on voit les scores obtenus. Près de 90 % des Français musulmans ont voté Hollande au second tour.

    La notion même de classe populaire a donc fortement évolué.

    Il y a un commun des classes populaires qui fait exploser les définitions existantes du peuple. Symboliquement, il s’est produit un retour en arrière de deux siècles. Avec la révolution industrielle, on a fait venir des paysans pour travailler en usines. Aujourd’hui, on leur demande de repartir à la campagne. Toutes ces raisons expliquent cette fragilisation d’une majorité des habitants et pour laquelle, il n’y a pas réellement de solutions. C’est par le bas qu’on peut désamorcer les conflits identitaires et culturels car c’est là qu’on trouve le diagnostic le plus intelligent. Quand on vit dans ces territoires, on comprend leur complexité. Ce que le bobo qui arrive dans les quartiers populaires ne saisit pas forcément.

    Christoph Guilluy (Le Figaro, 19 juillet 2013)

     

    *Christophe Guilluy est un géographe qui travaille à l’élaboration d’une nouvelle géographie sociale. Spécialiste des classes populaires, il a théorisé la coexistence des deux France : la France des métropoles et la France périphérique. Il est notamment l’auteur d’un ouvrage très remarqué : Fractures françaises.

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  • L'inquiétude monte...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Eric Conan, cueilli sur le site de Marianne et consacré à la montée du Front national de Marine Le Pen. Analyses, articles, couvertures d'hebdomadaires : on sent poindre comme une inquiétude au sein du système...

     

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    Comment la gauche a livré le peuple au FN

    Il y a un moment où une routine apparaît pour ce qu'elle est devenue : de l'inconscience faite autisme. « Nous aurons à tirer toutes les leçons de ce scrutin », a déclaré François Hollande sitôt connus les résultats de l'élection législative partielle de Villeneuve-sur-Lot.

    Exactement ce qu'il avait dit, comme premier secrétaire du PS, après le 21 avril 2002 qui avait vu Jean-Marie Le Pen souffler la place de Lionel Jospin au second tour de l'élection présidentielle. Au congrès de Dijon suivant, François Hollande avait précisé l'objectif : « retrouver les liens avec les catégories populaires ».

    Fracture sociale

    Dix ans de perdus. Aucune leçon tirée. Parce que la thèse jospiniste de « l'absurdité » du 21 avril avait prévalu - l'intellectuel du parti, Henri Weber, parlant même d'un « accident ». Hier, comme aujourd'hui, la principale explication crève pourtant les yeux : les catégories populaires ne cessent de fuir le principal parti d'une gauche censée les représenter !

    Et pour une raison qui n'a rien d'accidentel, mais parfaitement logique : il ne les représente plus et ne fait plus rien pour elles. Certes, médias et politiques en parlent de moins en moins, mais les classes populaires (ouvriers, employés, artisans, paysans, chômeurs) représentent toujours plus de la moitié de la population active.

    Or, ces bases sociologiques et géographiques de la gauche ont été ravagées par la mondialisation. Et, contrairement à ce qu'inspire souvent le mépris social à leur égard, elles ont une conscience aiguë de ce que leurs dirigeants ne veulent pas avouer : ils ne savent plus quoi faire d'elles, ils n'ont rien à leur proposer de convaincant.

    Les salariés au chômage, ceux qui le redoutent ou ceux qui ne voient que déclassement programmé pour leurs enfants se sont lassés des discours sur « l'adaptation » à une modernité qui les marginalise. Ils ont bien compris que les élus n'ont aucune prise sur les délocalisations, les fermetures d'usines et la régression des statuts professionnels. Ils ont compris aussi que la crise était surtout pour eux, et qu'il y avait des gagnants de la mondialisation sauvage : grands patrons et banquiers ne se jettent pas par la fenêtre comme en 1929 ; ils se payent en hypersalaires ou en retraites chapeau dignes du Loto, et l'argent public éponge les conséquences de leur cupidité.

    Les « bénéfices » de la mondialisation, dont la Commission de Bruxelles s'est faite le chantre, ils voient bien à qui ils reviennent tandis qu'eux n'ont droit qu'aux discours d'énarques pensionnés à vie dissertant sur le « populisme » et leur expliquant sans conviction qu'il faut s'« adapter », « bouger » et « changer de métier plusieurs fois dans sa vie ».

    « Pour la première fois dans l'histoire, les classes populaires ne font pas partie du projet économique », résume le géographe et sociologue Christophe Guilluy, qui analyse depuis vingt ans la relégation de ces nouveaux « invisibles » à l'écart, dans cette France périphérique faite de chômage, de bas salaires et d'aides sociales. Un peuple perdu de vue par des partis de gauche prisonniers de leur sociologie de cadres et de fonctionnaires ancrés dans les métropoles bobo bordées d'une ghettoïsation urbaine « multiculturelle » dont les désagréments ne sont pas plus maitrisés que ceux de « la » mondialisation heureuse.

    Comment la gauche a-t-elle pu abandonner ces « invisibles » qui se manifestent en venant gonfler l'électorat du FN (aujourd'hui en tête chez les ouvriers de 20 à 55 ans) alors qu'ils ont constitué son socle électoral jusqu'en 1981 ? Ce n'est pas faute d'avoir été alertée. Dès 1990, le clairvoyant Marcel Gauchet, inventeur de la notion de « fracture sociale », évoquant « les mauvaises surprises d'une oubliée », avait annoncé le « retour de la lutte des classes là où on ne l'attendait pas : pour alimenter la poussée électorale continue de l'extrême droite ». Et l'on se souvient de la colère prémonitoire de Pierre Mauroy, constatant, quelques jours avant le crash du 21 avril, que son parti n'osait plus employer le mot « ouvrier ».

    La gauche n'est plus marxiste, mais les électeurs, eux, continuent de se déterminer en fonction de leur situation économique et sociale ! « Les classes sociales n'ont ni raison ni tort, elles ont des intérêts et des manières d'être, a rappelé Jacques Julliard, ajoutant : Comment demander un comportement rationnel à des gens confrontés à un capitalisme aussi déraisonnable, aussi cupide que celui dont nous sommes affligés ? » Les catégories populaires se sont donc laissé tenter par les promesses de Nicolas Sarkozy en 2007, avant de chasser l'imposteur en votant pour Hollande et son engagement de lutter contre la finance, son « principal adversaire ».

    C'est leur déconvenue qui redynamise comme jamais le vote FN. Marine Le Pen leur paraît désormais comme la seule qui s'adresse à eux, ainsi que le faisaient naguère les communistes, les gaullistes et les socialistes. Et ils rejettent Jean-Luc Mélenchon dont le robespierrisme ne masque pas une apologie de l'immigration non régulée qui rejoint celle du Medef pour presser les salaires à la baisse.

    Contre cette hémorragie de son électorat vers le FN, la gauche a épuisé le registre de l'injure, version « les salauds » de Bernard Tapie (l'heureux bénéficiaire d'un « préjudice moral » de 45 millions d'euros) ou version « les cons » de Julien Dray (le collectionneur de montres à 20 000 €). Marine Le Pen, elle, qu'elle soit sincère ou non, peu importe, n'a pas le même effet répulsif que son père et les dernières partielles montrent que « le FN siphonne les voix du PS », comme l'analyse le politologue Dominique Reynié.

    Ajoutons que la prégnance de la culture communiste, qui a retenu nombre d'ouvriers ou d'ouvriers retraités, désormais abstentionnistes, de passer au vote FN, ne joue plus son rôle inhibiteur chez les jeunes ouvriers et employés. La dénonciation est inefficace parce que le vote FN n'est pas « contestation, mais demande de démocratie », selon Marcel Gauchet. Et le front républicain ne fonctionne plus parce qu'il est d'abord vu comme le programme commun droite-gauche de l'alignement sur une politique européenne qui ne protège pas les peuples de la mondialisation sauvage.

    Une réponse vitale

    En ciblant le fanatisme de José Manuel Barroso et son projet d'une Europe jungle sociale comme «carburant du FN», Arnaud Montebourg a le mérite de placer enfin le débat au niveau des causes plutôt que des symptômes : pourquoi la gauche et la droite françaises se sont-elles alignées sur cette politique européenne qui n'a rien d'inéluctable ? Il a raison de considérer les élites coresponsables des «tourments légitimes d'un peuple empoisonné», selon l'exigeante formule de Jean Daniel.

    Car, à l'origine des errements du peuple, il y a souvent son abandon. Les grands moments historiques français correspondent tous à l'articulation heureuse entre le peuple et ses élites : la Fronde, 1789, les débuts de la IIIe, le Front populaire, le gaullisme. Ce qui distingue l'élite digne de ce nom de l'oligarchie, c'est son souci du peuple et de ses intérêts. Gambetta demandait aux élites d'être les « frères aînés du peuple », François Mitterrand disait qu'il fallait toujours se soucier du sort des « bougres ». Peu importe que ce souci recouvre un paternalisme inspiré par l'intérêt bien compris, la crainte ou l'altruisme. L'important est la réponse qu'il donne aux inquiets. Pour François Hollande et le Parti socialiste, cette réponse devient vitale.

    Eric Conan (Marianne, 10 juillet 2013)

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  • Rome, ville éternelle...

    La Nouvelle Revue d'Histoire est en kiosque (n° 67, juillet - août 2013). A la suite de la mort de Dominique Venner, c'est Philippe Conrad qui reprend le flambeau et assure la direction de la revue.

    Le numéro s'ouvre, bien évidemment, par l'hommage que rendent à Dominique Venner de nombreux écrivains, historiens et journalistes.

    Le dossier central est consacré à Rome. On peut y lire, notamment,  des articles de Philippe Conrad ("Aux origines de l'Urbs, de la légende à l'histoire"), de Jean-Louis Voisin ("L'héritage de Rome"), de Dominique Venner ("Comment l'Empire est devenu chrétien"), de Bernard Fontaine ("La papauté romaine au Moyen Âge"), de Jean-Joël Brégeon ("La Rome de la Renaissance", "1527 : le sac de Rome"), de Martin Benoist ("La papauté face au défi de l'unité italienne"), de Michel Ostenc ("La Rome de Mussolini") et de Philippe d'Hugues ("De Rome à Cinecitta") ainsi que des entretiens avec Yann Le Bohec ("Le miracle romain") et Jean Delumeau ("La seconde gloire de Rome").

    Hors dossier, on pourra lire, en particulier, un entretien avec la sinologue Anne Cheng ("La Chine d'hier et d'aujourd'hui") ainsi que des articles de Dominique Venner ("De la gauche au capitalisme absolu"), de Jean-Jacques Langendorf ("Jomini l'incompris") ou de Francis Bergeron ("Henri Béraud, l'épuré qui n'avait pas collaboré ") et la chronique de Péroncel-Hugoz.

     

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