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  • Joe Biden : le retour de la guerre ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Lhomme, cueilli sur Métainfos et consacré à la victoire de Joe Biden et à ses conséquences pour l'Europe.

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    Joe Biden : le retour de la guerre ?

    Les journalopes françaises sont en pleine période d’euphorie depuis la victoire de Biden et il est impossible pour un Français qui se limiterait à ce qui reste de la presse hexagonale moribonde de se faire une idée juste de ce qui s’est passé aux Etats-Unis. Il faut chercher avec la plus grande objectivité possible ailleurs et on mesure alors stupéfait la rapidité avec laquelle les commentateurs se sont félicités de la défaite de Trump. Il y a forcément anguille sous roche. 

    Tout d’abord la fraude du côté démocrate est manifeste.

    Les images abondent de bulletins détournés, de sacs postaux remplacés, de comptage rapide. La fraude incombe au vote par correspondance justifié par la pandémie covid et dont certains en France hument déjà l’intérêt pour voler une fois de plus le choix des français en 2022. La fraude américaine fut proprement gigantesque et elle indique déjà le niveau d’honnêteté et la capacité au mensonge dont seront capables les démocrates qui prendront le pouvoir en janvier.

    Dans les westerns hollywoodiens, on attaquait le train postal, aujourd’hui, c’est le vote postal qu’on falsifie dans les wagons.

    Sans doute pour les raisons déjà évoquées, la réaction molle face à la sédition de Chop dont nous avons parlé, Trump a perdu mais de toute évidence avec un écart moindre que celui annoncé, avec un très faible écart de voix qui le rend – et c’est une situation que les Etats-Unis n’ont pas connu depuis longtemps – le leader incontesté et tonitruant d’une opposition intérieure qui a ses nombreux partisans et de plus en plus d’ailleurs, fait surprenant, dans la dite diversité (noir, latino) excédé par l’extrémisme suicidaire des Black Lives Matter.   

    Nous voudrions donc revenir ici sur un point capital que dans leur aveuglement partisan aucun éditorialiste n’a relevé. Donald Trump fut le premier président américain à ne pas avoir déclaré une guerre. Pour la première fois depuis bien longtemps, les Etats-Unis, état voyou et criminel sur bien des aspects, ne sont pas rentrés en guerre sur une quelconque partie du monde. C’est proprement du jamais vu. Le prix Nobel Barack Obama s’était lui illustré comme le président qui avait le plus bombardé et lâché de bombes durant tout son mandat. Trump n’a déclaré la guerre à personne : il a au contraire ramené nombre de boys à la maison. Nous n’osons imaginer ce qu’aurait été une présidence Hillary Clinton mais ce fait indéniable, indiscutable, passe partout aux oubliettes, ne risque-t-il pas cependant de nous revenir comme un boomerang, cette fois teinté d’explosifs avec la Présidence Biden.

    Il reste certes beaucoup à faire, surtout dans le domaine des opérations américaines à l’étranger, où des nations sont perdues et réduites au chaos avec toutes les conséquences sur les destins collectifs des peuples que cela entraîne, mais la situation actuelle, à la fin du mandat de Trump est bien meilleure qu’à la fin du mandat d’Obama. Les attentes sont de nouveau grandes maintenant avec l’arrivée de Joe Biden, mais je ne suis pas sûr que cela suscitera un avenir brillant.

    Déjà, on connaît l’inflexion : « l’Amérique comme guide du monde », titre de son programme de politique étrangère. Les préoccupations de ce programme restent les obsessions démocrates : la Russie, l’Iran et la Chine, vers laquelle Obama avait déjà infléchi toute la stratégie offensive et de défense des intérêts américains.

    Soyons clair : le siège de la Russie, comme celui que l’Entente a exercé contre l’Allemagne au siècle dernier, se résoudra forcément dans une série de guerres de faible intensité ou par une folie toujours possible en une confrontation radicale sur l’espace européen. Or nous savons déjà que matériellement (les coupures dans les budgets de la défense, véritables castrations des armées nationales) et psychologiquement, les Européens, prenons le cas des Français par exemple, seront incapables de faire face à un conflit qui durerait plus d’une semaine et qui leur causerait des sacrifices de sang et de leurs propres biens.

    Nonobstant, et certaines déclarations de nos plus hauts gradés récemment le confirment, le monde s’approche d’une montée de tension qui risque de ne pas être soutenable avec l’arrivée de Biden à la présidence des États-Unis, s’il revenait aux mêmes politiques agressives d’Obama et d’Hillary Clinton. La Chine s’y est déjà longuement préparé et a remporté cet été un atout décisif avec les alliances nouées dans le sud-est asiatique (nous y reviendrons).

    Les options de tir sont multiples et variés: le Cachemire, le Ladakh, la mer de Chine, le Caucase, la Biélorussie, la Crimée, la Syrie, un incident aéronaval en Baltique ou en Arctique, la Libye, des bouleversements dans une Arabie saoudite impliquée dans des différends successoraux, la mer Égée gréco-turque… Les occasions ne manquent pas, même une future balkanisation de l’Espagne ou du Royaume-Uni ne doivent pas être écartées. La capacité d’une puissance mineure à provoquer un second Sarajevo et à conduire le monde dans un conflit aux conséquences plus graves n’est plus seulement une hypothèse de travail dans certaines officines stratégiques mais Trump ne l’aurait pas permis.

    En Libye, en Syrie, dans les îles de la mer Égée, en Azerbaïdjan, et à l’avenir en Bosnie, en Albanie ou dans les quartiers très turcs de l’Allemagne, les drapeaux de Erdogan, le nouveau «sultan» se déploient, qui convertit la Turquie en un possible empire régional. Or, sans le soutien américain, quel pouvoir réel a-t-il face à une intervention russe ? 

    Qu’annonce en fait Biden ? « Tandis que “le président Trump a diminué, affaibli et abandonné alliés et partenaires, et abdiqué du leadership américain, comme président j’accomplirai immédiatement des actes pour renouveler les alliances des États-Unis, et faire en sorte que l’Amérique, encore une fois, conduise le monde”

    Comme “le monde ne s’organise pas tout seul”, souligne Biden, les États-Unis doivent de nouveau “jouer le rôle de guide dans l’écriture des règles« , comme ils l’ont fait pendant 70 ans sous les présidents aussi bien démocrates que républicains, jusqu’à ce que Trump n’arrive.

    Ce n’est pas un programme qui sent réellement le pacifisme ! Reste alors ce qui doit nous importer le plus : l’avenir de l’Europe.  

    Donald Trump, – décidément un grand président – avait donné indirectement la plus grande impulsion à la Défense européenne depuis la naissance de l’Union avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier en 1951. En étant farouchement isolationniste, avec des manifestations constantes de désaffection envers les pays européens, il est vrai pas exempt de quelques débordements –mais il vaut mieux avoir du style qu’être aussi terne que Macron ! – Trump a permis un réveil européen sur les questions de défense, il a servi à mettre la peur dans le corps des dirigeants européens qui, du coup ces dernières années, coïncidant avec sa présidence, ont mené un énorme effort dans la construction d’une nécessaire Défense européenne, avec le Fonds européen de Défense, au sein de la Coopération structurée permanente. Il s’agit là d’une réalisation européenne majeure parmi d’autres également significatives et nous la devons à Trump. Le problème est qu’avec une lecture superficielle de l’ « Amérique comme guide et gendarme du monde », pilier de l’OTAN qui depuis la fin du Pacte de Varsovie aurait  dû être dissout, avec surtout les Atlantistes qui noyautent la classe politique française et européenne, cela peut amener de nombreux partenaires européens à penser qu’avec Biden et la protection américaine de nouveau assurée, il ne vaut plus la peine de poursuivre la construction de la Défense européenne.

    C’est la position de l’esclave et cela nous laisse nu au milieu d’un monde en ébullition, alors qu’aucune des menaces n’a disparu, alors qu’au contraire, les menaces se réactivent en douceur, lentement mais sûrement (voir le retour des euro-missiles nucléaires sur le sol européen).

    Mais au final qu’elle le sache, l’Union européenne se retrouvera seule avec ses démons et sur un terrain de bataille pour lequel, elle n’est pas préparée.

    Michel Lhomme (Métainfos, 3 janvier 2021)

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  • L’Amérique méprise ses courtisans...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Renaud Girard, cueilli sur Figaro Vox et consacré aux dirigeants américains qui ne respectent que les nations qui savent leur tenir tête. Renaud Girard est correspondant de guerre et chroniqueur international du Figaro.

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    L’Amérique méprise ses courtisans

    Boris Johnson prépare psychologiquement le Royaume-Uni au scénario du pire dans ses relations avec l’Union européenne, à savoir le même statut que l’Australie (que son premier ministre a qualifié d’exécrable). Dans la campagne qu’il avait menée pour le Brexit au premier semestre de 2016, le tonitruant Boris avait promis à ses électeurs eurosceptiques monts et merveilles dans la relation commerciale privilégiée que la Grande-Bretagne allait établir avec les Etats-Unis. Une fois élu premier ministre, il avait flatté Donald Trump plus que de raison, afin d’établir un partenariat stratégique d’égal à égal avec les Américains. Rien n’est venu. Boris Johnson s’est trompé, il n’obtiendra jamais son partenariat privilégié, avec les Républicains comme avec les Démocrates. Car l’Amérique est une nation puritaine méprisant la flatterie et une superpuissance sûre d’elle-même, ne concevant aujourd’hui de dialogue d’égal à égal avec aucun autre Etat, hormis la Chine.

    Jusqu’à présent, le premier ministre de sa Gracieuse Majesté n’a pas obtenu autre chose d’outre-Atlantique que la joyeuse perspective d’une invasion de poulets chlorés et de veaux aux hormones, et la réalité concrète d’une hausse de 25% des droits de douane sur le whisky écossais, provoquant une chute de 65% de ses ventes sur le marché américain. Le 1er octobre 2020, Boris Johnson avait fait un discours pour obtenir la fin de cette surtaxe qualifiée de « scandaleuse ». Elle est, à ce jour, toujours perçue par les douanes américaines.

    Le premier ministre britannique aurait tort de croire que l’Amérique est prête à accepter des alliés lui parlant d’égal à égal. Est révolue l’époque de la conférence de l’Atlantique entre Roosevelt et Churchill (août 1941). En novembre 1956, la nouvelle réalité éclata au grand jour lorsque le président Eisenhower ordonna à l’Angleterre et à la France de retirer leurs corps expéditionnaires de la ville de Suez et que le gouvernement de Sa Majesté s’exécuta, suivi par celui de la Quatrième République française. La réalité est que, dans les relations internationales, l’Amérique admet des valets mais pas d’alliés européens lui parlant sur un pied d’égalité. Car, depuis toujours, elle se conçoit comme une nouvelle Jérusalem, dotée d’une « destinée manifeste », qui est de libérer les nations européennes (et leurs anciennes colonies) de leur corruption originelle et d’imposer sa démocratie et sa justice au monde entier. Voilà pourquoi les procureurs américains estiment que le droit américain doit s’appliquer partout sur la planète et qu’ils se permettent d’infliger des amendes gigantesques aux entreprises étrangères prises en flagrant délit de violation des lois américaines.

    Ce n’est pas un hasard si le 44ème président des Etats-Unis a intitulé « Terre Promise » le volume de Mémoires qu’il vient de publier. Il y a, dans ce livre, un passage hallucinant, consacré au 6ème président de la République française. Ce dernier est moqué pour sa petite taille, pour ses talonnettes, pour son langage des mains, pour sa « poitrine bombée de coq nain », pour son allure de personnage de Toulouse-Lautrec, pour son « anglais limité ». Avec son arrogance tranquille d’ancien professeur de droit constitutionnel à l’université de Chicago, Barack Obama ne prend pas la peine de nous expliquer pourquoi, lui, ne parle pas un mot de français, alors que les Pères fondateurs de la République américaine avaient, eux, pour la plupart, lu, dans le texte original, L’esprit des lois de Montesquieu. L’estocade vient à la fin, quand Obama écrit que la conversation de Nicolas Sarkozy « passait de la flatterie à la fanfaronnade ». Obama montre fort peu de reconnaissance au plus pro-américain des présidents de la Cinquième République, à l’homme qui prit la décision de réintégrer la France dans l’organisation militaire de l’Alliance atlantique – décision d’autant plus sympathique à l’Amérique qu’elle fut prise à un moment (2008) où l’OTAN commençait à montrer de sérieuses faiblesses en Afghanistan. Ne souhaitant pas voir les officiers français prendre leurs ordres auprès d’officiers américains, le président de Gaulle avait retiré, en 1966, la France de la structure militaire atlantique.

    Le général avait parfaitement compris que lécher les bottes des Américains n’apporterait jamais rien à la France. Contre leur avis, il l’avait dotée d’une force atomique autonome et d’une politique étrangère indépendante. Et il n’avait pas eu peur de les critiquer ouvertement sur le « privilège exorbitant » de leur monnaie comme sur leur guerre au Vietnam. Mais quand Nixon arriva au pouvoir, sa première visite fut pour de Gaulle, qu’il traita d’égal à égal.

    Dans le programme de Joe Biden, il y a l’idée intéressante d’une union économique Amérique-Europe contre les Chinois. Sachons ne l’accepter que si elle est édifiée d’égale à égale.

    Renaud Girard ( Figaro Vox, 14 décembre 2020)

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  • Les marches des empires sous haute tension...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alexis Feertchak, cueilli sur Geopragma et consacré à la multiplication des frictions entre puissances régionales au Levant . Alexis Feertchak est journaliste au Figaro et membre fondateur de Geopragma.

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    Les marches des empires sous haute tension

    Et de trois. Les drones turcs qui officiaient déjà en Syrie et en Libye survolent désormais le Haut-Karabakh, cette zone montagneuse où les Arméniens affrontent les Azéris soutenus par Ankara non seulement dans les airs, mais également au sol. Les supplétifs syriens à la solde de la Turquie, qui combattaient d’abord les Kurdes, ont migré vers la Tripolitaine libyenne puis aujourd’hui vers le Caucase, troisième front militaire pour le régime nationaliste de Recep Erdogan.

    Dans les mêmes régions, la Russie pèse également de tout son poids, quoique plus discrètement qu’Ankara. En Syrie très officiellement pour soutenir coûte que coûte le gouvernement de Damas. En Libye, où elle appuie sans le dire le régime du maréchal Haftar, sis en Cyrénaïque. Moscou est également une alliée historique de l’Arménie, quoi qu’elle maintienne aussi des relations de bon voisinage avec l’Azerbaïdjan, ancienne république d’URSS. Nous saurons certainement dans les prochains jours quelle attitude le plus grand pays orthodoxe adoptera dans le conflit du Haut-Karabakh. Une chose est sûre, la Russie et la Turquie ont montré en Syrie et en Libye qu’elles savaient s’entendre, nouant une étrange relation mêlant compétition et coopération, ce que le management nomme parfois “coopétition”. Pour la Syrie en tout cas, une autre grande puissance régionale est de la partie : l’Iran. La République islamique a su depuis longtemps maintenir des relations relativement cordiales avec la Turquie, tout en projetant ses ambitions géopolitiques le long de l’« arc chiite », avec, dans le cas syrien, l’appui russe, là aussi mêlé de rivalité.

    Trois puissances régionales (dans le cas de Moscou également mondiale, vestige atomique de la Guerre froide) ; trois anciens empires. Ils se jaugent, rivalisent tout le temps, s’affrontent parfois, rarement directement, coopèrent souvent. Les points de friction qui deviennent objets de négociation se cristallisent naturellement dans leurs “marches”, le mot prenant ici un sens géopolitique. Les marches sont situées aux confins des empires et servent le plus souvent de zone tampon. Elles sont métissées et mélangées, ethniquement et religieusement. Leur identité est multiple, selon que l’on appartient à telle ou telle communauté, l’ensemble formant une mosaïque insaisissable. Pour un Européen de l’ouest, habitué à l’Etat-nation et à des frontières qui délimitent distinctement un dedans et un dehors, la notion de marche apparaît mystérieuse. Elles sont pourtant une réalité historique, souvent tragique, que l’on ne peut écarter d’un revers de la main. L’Arménie est un cas intéressant : elle est pour le coup un Etat-nation, mais est en même temps une marche aux confins des trois empires turc, russe et iranien. L’enclave arménienne du Haut-Karabakh en est la manifestation la plus criante.

    Ces marches sont aujourd’hui sous haute tension au Levant. Les Etats-Unis se retirant progressivement du Moyen-Orient, les trois anciens empires se repositionnent derechef pour définir ensemble, mais au mieux de leurs intérêts, de nouveaux équilibres régionaux. Depuis 2015, la Russie tente de jouer les arbitres musclés, mais ouverts aux négociations. L’Iran, lui, joue un jeu plus solitaire pour consolider l’axe qui le mène à la Méditerranée. Quant à la Turquie, elle apparaît aujourd’hui comme l’acteur le plus véhément et le plus offensif de cette triade.

    Les actions géopolitiques de ces trois vieux empires sont le signe de la nouvelle multipolarité de notre monde. Des puissances moyennes déroulent leur propre agenda sur les ruines d’un monde bipolaire qui a vécu. L’Asie n’est pas en reste. Aux confins de la Chine, du Pakistan et de l’Inde, la tension militaire est à son comble dans la région disputée du Cachemire, autre mosaïque de populations au sang mêlé, où les armes résonnent de plus en plus, depuis des mois. Sans parler d’une autre marche chinoise, le Xinjiang, peuplé de Ouïghours contre lesquels Pékin exerce une emprise de plus en plus puissante.

    Etonnant paradoxe : en Europe, on ne cesse de vanter la diversité, les mosaïques, les mélanges, le métissage, mais le discours dominant ne sait comment penser ces “marches” géopolitiques, symboles d’une histoire longue et tragique qui n’entre pas dans les cases trop binaires du “droit-de-l’hommisme” ou du “néo-conservatisme”. Le vieux continent, du reste, n’échappe pas à ce phénomène des marches sous tension. Que l’on pense à l’Ukraine et, aujourd’hui, à la Biélorussie. Le schéma de pensée que l’on calque sur ces deux pays est de deux ordres. D’un côté, le logiciel de la Guerre froide : il faudrait absolument que l’Ukraine devenue pro-européenne entrât dans l’OTAN pour endiguer la Russie. En 2014, certains intellectuels et politiques, qui, comme Cassandre n’ont pas été écoutés, ont senti le danger immense de jouer sur cette corde sensible qui ne ferait qu’augmenter la douleur des Ukrainiens. “Ukraine”, en russe, signifie justement “marche”. Le nom même d’Ukraine aurait dû nous mettre en garde : jouer ce pays contre la Russie était incroyablement dangereux. L’histoire de ces cinq dernières années n’a fait qu’augmenter le syndrome d’encerclement russe. La seule solution sage aurait consisté à faire du rapprochement – heureux ! – de l’Ukraine avec l’Europe un pont vers la Russie. Encore aurait-il fallu, pour cela, que l’Europe eusse été indépendante des Etats-Unis, qui se refusent d’en finir avec la Guerre froide. En l’occurrence, le maintien d’une logique bipolaire dans les relations Est/Ouest attisent la tension qui existe dans les anciennes marches de l’empire russe. L’autre lecture dangereuse est celle de l’opposition démocratie contre dictature. Car si la Biélorussie est bien une dictature et que l’on ne peut que souhaiter qu’elle ne le soit plus à l’avenir, elle n’est pas qu’un régime politique, mais aussi un pays complexe, composite, indissociablement lié à la Russie par son histoire. Heureusement, jusqu’à présent, les Européens ont fait preuve de davantage de prudence qu’en Ukraine. L’avenir dira ce qu’il adviendra du régime dictatorial de Loukachenko. Mais une chose est sûre : la Biélorussie ne devra jamais servir de bouclier contre la Russie. Transformer une marche en un mur est un risque que l’on ne peut se permettre de prendre.

    Cette leçon devra aussi servir pour l’avenir, alors que le couple formé par les Etats-Unis et la Chine fait peser sur le monde le risque d’une nouvelle bipolarité à l’échelle internationale, laquelle ne sera pas forcément contradictoire avec une multipolarité à des échelles plus régionales. Samuel Huntington a trop souvent été mal lu : le concepteur américain du “choc des civilisations” n’était pas partisan de l’ingérence militaire, bien au contraire d’une forme d’isolationnisme assez particulière. Selon lui, les Etats-Unis ne devaient pas intervenir partout mais s’appuyer sur les grandes puissances régionales pour trouver un équilibre global qui soit le moins mauvais possible. Un projet qui, malheureusement, n’a pas été suivi. Il devrait pourtant l’être, me semble-t-il. Aujourd’hui, pour le bien des Arméniens comme des Azéris, et plus globalement pour le bien de toutes les minorités du Moyen-Orient qui vivent dans les “marches” des vieux empires, l’Europe devrait encourager vivement mais fermement la formation d’un nouvel équilibre, le moins précaire possible, entre la Russie, la Turquie et l’Iran. Mais il nous faudra pour cela abandonner notre vieille Guerre froide avec la Russie, en finir avec nos rêves d’une Turquie européenne qui existerait à notre image et arrêter de voir l’Iran comme un pays dont l’histoire aurait commencé en 1979. Bref, assumer un monde multiple, divers et fragile, à l’image de ses marches qui souffrent dans leur chair.

    Alexis Feertchak (Geopragma, 5 octobre 2020)

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  • Le nouveau parapluie atomique iranien...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros cueilli sur Geopragma et consacré au traité militaro-commercial en cours de négociation entre l'Iran et la Chine. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

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    Le nouveau parapluie atomique iranien

    L’été fut chaud, prodigue en incendies dévastateurs de nos forêts, mais aussi en foyers savamment entretenus pour de futurs brasiers.

    L’officialisation tonitruante, le 15 septembre à la Maison Blanche, de l’alliance tactique conclue par Israël avec les Emirats arabes unis (EAU) et Bahreïn pourrait bien, le Gotha mondial n’étant pas à une indécence près, valoir à Donald Trump un Nobel de la Paix… Mais ce n’est pas le plus important. Car cet accord n’est pas un accord de paix. Il traduit la consolidation d’axes d’hostilité et de concurrence économico-militaro-idéologiques. Il s’inscrit dans un contexte hautement inflammable conjuguant l’affaiblissement aggravé de l’Europe sous les coups de boutoir turcs impunis en Méditerranée orientale, la poursuite des opérations en Syrie et en Libye, la déstabilisation du Liban et le chantage américain exercé sur Paris pour que la France boive le calice de la servitude jusqu’à la lie, et laisse tomber le pays du Cèdre en déniant au Hezbollah son rôle d’interlocuteur incontournable (que cela nous plaise ou non) dans l’équilibre politique libanais. Une façon efficace de nous décrédibiliser définitivement au Levant et de nous condamner à ne plus y servir à rien. Car, si le Hezbollah reste le rempart des communautés chrétiennes locales face à une emprise sunnite croissante, il est surtout, aux yeux de Washington, le prolongement de la capacité de nuisance Iranienne dans toute la région. Il s’agit donc de tarir son influence locale et régionale en s’attaquant aux avoirs économiques de certains leaders économiques du Hezbollah, et de démontrer que le Liban est un « Etat failli ».

    Derrière cette tragédie humaine et économique, c’est donc bien évidemment l’Iran qui est la cible ultime de Washington et de Tel-Aviv, et c’est avant tout le JCPOA (Accord sur le nucléaire iranien) qui a été le catalyseur de la conclusion de l’accord du 15 septembre. Le Liban, comme la Syrie, la Lybie, l’Irak ou le Yémen, ne sont que des espaces de manœuvre pour atteindre « l’effet final recherché » par les stratèges étatsuniens : affaiblir politiquement et financièrement le régime des Mollahs, pour le désolidariser de la population, couper les ressorts de la résilience patriotique, déstabiliser l’équilibre interne entre courants réformateur et conservateur, pousser le régime à la radicalisation puis à la faute. Et avoir enfin un prétexte pour frapper. Les salves de sanctions, les manœuvres au sein du Conseil de sécurité, les déclarations menaçantes du secrétaire d’Etat américain Pompeo et son intimidation ouverte de tous ceux, entreprises et pouvoirs européens, qui oseraient encore « travailler ou commercer avec l’Iran » ne laissent aucun doute sur sa détermination à poursuivre la diabolisation tous azimuts de la République islamique pour la pousser à la faute. Au point d’avoir fait du sanguinaire prince héritier saoudien MBS un parangon de démocratie et de modernité dans un assourdissant silence occidental et notamment français. Nous sommes dans une telle schizophrénie stratégique et diplomatique que l’on n’est plus même capables de réfléchir, moins encore de réagir. C’est l’histoire de la paille et de la poutre. Seul le Qatar, et Moscou avec prudence, semblent encore se ranger du côté de Téhéran sur qui pleuvent les sanctions unilatérales américaines (le 17 septembre contre 47 individus et entités iraniens pour détruire la capacité de nuisance cyber du régime) et désormais onusiennes, après la tragique activation le 20 septembre du mécanisme retors de « Snap Back » (piège destiné à en finir avec ce multilatéralisme récalcitrant et à neutraliser les droits de véto russe et chinois notamment sur la question de l’embargo sur les livraisons d’armes à Téhéran) qui vient de permettre la réimposition automatique de toutes les sanctions multilatérales contre l’Iran. La Russie grogne, la France, l’Allemagne et la Grande Bretagne se désolent. Mais il est trop tard. Notre impuissance consentie et finalement notre indifférence sont manifestes. Vive donc l’unilatéralisme brutal !

    Mais il y a un os dans ce brouet insipide qui sent le soufre et la poudre : l’Iran n’est pas, n’est plus seul. Il y a certes l’axe tactique d’Astana, qui le lie à Moscou et Ankara en Syrie et a empêché depuis 2015 le démembrement du pays et à son abandon aux milices islamistes sous label Daech ou Al Qaeda avec notre complaisante et suicidaire bénédiction. En Libye, le jeu est plus complexe et l’alignement aléatoire. Washington y laisse bon gré mal gré agir Ankara contre l’Egypte, la Grèce, Chypre et même contre certains intérêts israéliens dans le gazoduc East-Med, car la Turquie joue ici utilement contre l’influence russe et gêne la convergence du « format d’Astana ». Mais, si Erdogan fait merveille en tant que nouveau proxy américain en Syrie et contre l’Allemagne grâce au chantage migratoire – qui fragilise la chancelière Merkel et fait espérer aux néocons qu’elle renoncera à l’achèvement de Nord Stream 2 – Washington ne parvient pas à contrôler tout à fait les ambitions néo-ottomanes de cet éminent membre de l’Otan qu’on laisse sans états d’âme menacer Paris en haute mer ou Berlin, mais qui s’appuie aussi sur la munificence qatarie pour s’opposer à Ryad et à la bascule actuelle des EAU et de Bahreïn sous contrôle américano-saoudo-israélien.

    Las ! L’Iran a désormais un nouvel « ami » officiel, un protecteur discret mais redoutable, infiniment plus gênant pour Washington que Moscou : Pékin ! La Chine en effet, engagée dans un jeu planétaire de consolidation de ses zones d’influence, de captation de nouvelles clientèles et de marchés, mais aussi de sécurisation de ses approvisionnements notamment énergétiques, vient de pousser un pion cardinal en volant au secours de la République islamique au moment où celle-ci se préparait à essuyer un désaveu au Conseil de sécurité de l’ONU de la part des Européens. Car le multilatéralisme est en miettes, la loi de la jungle plus implacable que jamais et le nombre de grands animaux type « mâles dominants » augmente dangereusement…

    Pékin a donc saisi l’occasion de la curée américaine sur Téhéran pour lancer une contre-offensive redoutable à la manœuvre américaine, plus puissante qu’un droit de véto…. en offrant à Téhéran (l’accord en cours de négociations a opportunément « fuité » en juillet ) 400 milliards de dollars d’aide et d’investissements (infrastructures, télécommunications et transports) assortis de la présence de militaires chinois sur le territoire iranien pour encadrer les projets financés par Pékin, contre une fourniture de pétrole à prix réduit pour les 25 prochaines années… et un droit de préemption sur les opportunités liées aux projets pétroliers iraniens. Cet accord, véritable « Game changer », n’a quasiment pas fait l’objet d’analyse ni de commentaire…

    Ses implications sont pourtant cardinales : à partir de maintenant, toute provocation militaire américaine orchestrée pour plonger le régime iranien dans une riposte qui lui serait fatale reviendra à défier directement Pékin… En attaquant Téhéran, Washington attaquera désormais Pékin et son fournisseur de pétrole pour 25 ans à prix doux. Pékin qui se paie d’ailleurs aussi le luxe de mener parallèlement des recherches avec Ryad pour l’exploitation d’uranium dans le sous-sol saoudien…. Manifeste intrusion sur les plates-bandes américaines et prolégomènes d’un équilibre stratégique renouvelé.

    Ainsi, il est en train de se passer quelque chose de très important au plan du rapport de force planétaire et des jeux d’alliances. Les grandes manœuvres vont bien au-delà du seul Moyen-Orient qui comme le reste du globe, est réduit au statut de terrain de jeu pour le pugilat cardinal qui oppose désormais, dans une « guerre hors limites » assumée, Washington à Pékin.

    Dans ce contexte, notre incapacité à désobéir et surtout à définir enfin les lignes simples d’une politique étrangère indépendante et cohérente, nous coupe les ailes, sape notre crédibilité résiduelle et nous rend parfaitement incapables de protéger les « cibles » américaines qui ne sont pourtant pas les nôtres et ne servent en rien nos intérêts nationaux, qu’ils soient économiques ou stratégiques. Il faut sortir, et très vite, de cet aveuglement.

    Caroline Galactéros (Geopragma, 21 septembre 2020)

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  • Une histoire globale des empires...

    Les éditions Nouveau Monde viennent de publier une étude historique de John Darwin intitulée Une histoire globale des empires - Après Tamerlan, de 1400 à nos jours. Spécialiste de l'empire britannique, John Darwin enseigne l'histoire à l'Université d'Oxford.

     

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    " Tamerlan, les Ottomans, les Moghols, les Mandchous, les Britanniques, les Soviétiques, les Japonais, les Nazis... Tous ces empires, construits dans l’espoir de durer éternellement, étaient finalement destinés à échouer. Mais, selon l’auteur, leur construction et leur expansion ont façonné le monde que nous connaissons aujourd'hui.
    Ce récit magistral remet notamment en question le récit conventionnel de la «  montée de l'Occident  », montrant que l'ascension européenne n'était ni prédestinée ni linéaire, mais plus probablement une phase transitoire.
    De la mort de Tamerlan en 1405 –  dernier des conquérants du monde  – à la montée et à la chute des empires européens, en passant par la présence coloniale croissante des Amériques et la résurgence de l'Inde et de la Chine comme puissances économiques mondiales, Une histoire globale des empires offre une perspective fascinante sur le passé, le présent et le futur de nos civilisations. "

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  • L’irrésistible ascension de « l’État-civilisation »...

    Nous reproduisons ci-dessous un article d'Aris Roussinos, cueilli sur Le Saker Francophone et consacré à la montée, face à l'Occident, du modèle de l'Etat-civilisation. Aris Roussinos est un journaliste gréco-britannique.

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    L’irrésistible ascension de « l’État-civilisation »

    Un spectre hante l’Occident libéral : la montée de « l’État- civilisation ». Alors que le pouvoir politique de l’Amérique s’effrite et que son autorité morale s’effondre, les nouveaux adversaires eurasiens ont adopté le modèle de l’État-civilisation pour se distinguer d’un ordre libéral paralysé, qui va de crise en crise sans vraiment mourir, ni donner naissance à un successeur viable. Résumant le modèle de l’État-civilisation, le théoricien politique Adrian Pabst observe qu’« en Chine et en Russie, les classes dominantes rejettent le libéralisme occidental et l’expansion d’une société de marché mondiale. Elles définissent leurs pays comme des civilisations distinctes, avec leurs propres valeurs culturelles et institutions politiques uniques ». De la Chine à l’Inde, de la Russie à la Turquie, les grandes et moyennes puissances d’Eurasie tirent un soutien idéologique des empires pré-libéraux dont elles se réclament, remodèlent leurs systèmes politiques non démocratiques et étatiques pour en faire une source de force plutôt que de faiblesse, et défient le triomphalisme libéral-démocrate de la fin du XXe siècle.

    Le déclin de l’Amérique est impossible à dissocier de l’ascension de la Chine, il est donc naturel que la rapide remontée de l’Empire du Milieu vers sa primauté mondiale historique domine les discussions sur l’État-civilisation. Bien que cette expression ait été popularisée par l’écrivain britannique Martin Jacques, le théoricien politique Christopher Coker a observé dans son récent, et excellent, livre sur les civilisations et les États que « le virage vers le confucianisme a commencé en 2005, lorsque le président Hu Jintao a applaudi le concept confucéen d’harmonie sociale et a demandé aux cadres du parti de construire une « société harmonieuse »« . Ce n’est pourtant que sous le règne de son successeur Xi que la Chine, en tant qu’État-civilisation rivale, a réellement pénétré la conscience occidentale. L’avènement de Xi Jinping comme président chinois en 2012 a propulsé l’idée d’ » État-civilisation » au premier plan du discours politique », remarque le spécialiste indien des relations internationales Ravi Dutt Bajpai, « car Xi croit qu’une civilisation porte sur son dos l’âme d’un pays ou d’une nation ».

    Cette éthique civilisationnelle émane de l’analyse chinoise de l’avenir du pays. Dans son influent livre de 2012, The China Wave : Rise of a Civilizational State, le théoricien politique chinois Zhang Weiwei observe avec fierté que « la Chine est désormais le seul pays au monde qui a fusionné la plus longue civilisation continue du monde avec un immense État moderne… Le fait d’être la plus longue civilisation continue du monde a permis aux traditions de la Chine d’évoluer, de se développer et de s’adapter dans pratiquement toutes les branches des connaissances et des pratiques humaines, telles que la gouvernance politique, l’économie, l’éducation, l’art, la musique, la littérature, l’architecture, l’armée, les sports, l’alimentation et la médecine. La nature originale, continue et endogène de ces traditions est en effet rare et unique au monde ». Contrairement à l’Occident en constante évolution, en quête de progrès et réorganisant ses sociétés en fonction des modes intellectuelles du moment, Weiwei observe que « la Chine s’inspire de ses traditions et de ses sagesses anciennes », et que son retour à la prééminence en est le résultat naturel.

    C’est à ces traditions sacrées, un État centralisé avec une histoire de 4 000 ans, une classe bureaucratique efficace adhérant aux valeurs confucéennes et un accent mis sur la stabilité et l’harmonie sociale plutôt que sur la liberté, que les théoriciens chinois attribuent l’essor de leur État-civilisation, désormais « apparemment imparable et irréversible ». Faisant le point sur un Occident en déclin et un Moyen-Orient enlisé dans un chaos sanglant, Weiwei remarque avec un détachement froid que « si l’ancien empire romain ne s’était pas désintégré et avait pu se transformer en un État moderne, alors l’Europe d’aujourd’hui pourrait aussi être un État civilisationnel de taille moyenne ; si le monde islamique actuel, composé de dizaines de pays, pouvait s’unifier sous un régime de gouvernement moderne, il pourrait aussi être un État civilisationnel de plus d’un milliard d’habitants, mais la possibilité de réaliser tous ces scénarios a disparu depuis longtemps et, dans le monde actuel, la Chine est le seul pays où la civilisation continue, la plus longue du monde, et un État moderne ont fusionnés en un seul. ”

    Pourtant, l’attrait du modèle État-civilisation ne se limite pas à la Chine. Sous Poutine, l’autre grand empire eurasien, la Russie, a publiquement abandonné les projets de libéralisation centrés sur l’Europe des années 1990 – une période d’effondrement économique et sociétal dramatique due à l’adhésion aux politiques des théoriciens libéraux occidentaux – pour son propre sonderweg culturel c’est à dire le chemin spécial d’une civilisation uniquement russe centrée sur un État tout-puissant. Dans un discours prononcé en 2013 devant le Club Valdai, Poutine a fait remarquer que la Russie « a toujours évolué comme une civilisation d’État, renforcée par le peuple russe, la langue russe, la culture russe, l’Église orthodoxe russe et les autres religions traditionnelles du pays. C’est précisément le modèle d’État-civilisation qui a façonné notre politique d’État ». Dans un discours prononcé en 2012 devant l’Assemblée fédérale russe, Poutine a également affirmé que « nous devons valoriser l’expérience unique que nous ont transmise nos ancêtres. Pendant des siècles, la Russie s’est développée comme une nation multiethnique (depuis le tout début), un État-civilisationnel lié par le peuple russe, la langue et la culture russes qui nous sont propres, nous unissant et nous empêchant de nous dissoudre dans ce monde diversifié ».

    Il convient de noter que si la Russie est souvent considérée par les commentateurs libéraux et les partisans de l’extrême droite, en particulier les Américains, comme un terreau fertile pour le nationalisme blanc soutenu par l’État, cette affirmation découle plus des obsessions raciales des États-Unis que de l’idéologie réelle de l’État russe. En effet, pour Poutine, c’est l’héritage de la Russie en tant qu’empire polyglotte qui fait que l’État qu’il dirige est un État-civilisation plutôt qu’une simple nation, soulignant explicitement que « l’autodéfinition du peuple russe est celle d’une civilisation multiethnique ».

    Dans un essai révélateur de 2018, le conseiller de Poutine, Vladislav Surkov, qui a été licencié en février dernier, a mis en avant cette hybridité, mi-européenne et mi-asiatique, comme la caractéristique centrale de l’âme russe. « Notre identité culturelle et géopolitique rappelle l’identité volatile de celui qui est né dans une famille métisse », écrit Surkov. « Un métis, un métissage, un type bizarre. La Russie est une nation métisse de l’Ouest et de l’Est. Avec son statut d’État bicéphale, sa mentalité hybride, son territoire intercontinental et son histoire bipolaire, elle est charismatique, talentueuse, belle et solitaire. Tout comme un métis l’est ». Pour Surkov, le destin de la Russie en tant que État-civilisation, comme celui de la Byzance à laquelle elle a succédé, est celui d’une « civilisation qui a absorbé l’Orient et l’Occident. Européenne et asiatique à la fois, et pour cette raison ni tout à fait asiatique ni tout à fait européenne ».

    Cette tension non résolue entre l’Est et l’Ouest, l’Europe et l’Asie définit la position politique de l’autre État successeur de Byzance et enfant à problèmes de l’Otan, la Turquie. Comme la Chine, un grand empire prémoderne éclipsé par la montée de l’Occident vers sa domination mondiale, la Turquie d’Erdogan dissimule désormais ses désirs revanchards sous le somptueux manteau du passé ottoman, insultant l’Occident alors même qu’Erdogan dépend de l’Amérique de Trump et de l’Allemagne de Merkel pour la survie de son régime. Lorsque le nouvel imam de la nouvelle mosquée Sainte-Sophie est monté en chaire le mois dernier, sabre en main, pour proclamer la renaissance de la Turquie et maudire la mémoire d’Ataturk, le modernisateur du pays qui l’a tourné vers l’Europe, c’était pour souligner que l’avenir glorieux de la Turquie dépend de la renaissance de son passé ottoman. La date de la cérémonie, le 97e anniversaire du traité de Sèvres qui a dissout l’Empire ottoman et l’a remplacé par la République turque, était tout aussi symbolique. Tout comme Justinien, en entrant dans sa nouvelle grande cathédrale, a fait remarquer qu’il avait dépassé Salomon, Erdogan a dépassé Atatürk. L’ère de la supplication pour rejoindre l’Europe, en tant que suppliant appauvri, est terminée ; l’ère de la conquête est revenue.

    Piégés dans les rêves post-historiques du libéralisme, de nombreux observateurs occidentaux de l’agression croissante d’Erdogan ont manqué ces indices symboliques, ou les ont rejetés comme une rhétorique vide, un luxe dont ne peuvent bénéficier les anciens peuples sujets de la Turquie dans les Balkans et au Moyen-Orient. Lorsqu’en mars, la Turquie a tenté de forcer l’ouverture des frontières grecques avec des milliers de migrants rassemblés depuis les bidonvilles d’Istanbul, le drone Bayraktar qui planait au-dessus de la clôture frontalière contestée portait l’indicatif 1453, date de la chute de Constantinople, tout comme les navires de forage qui menacent constamment de violer la souveraineté grecque et chypriote portent les noms des amiraux et des corsaires ottomans qui ont ravagé les côtes de la Grèce et de l’Europe.

    L’intention de la Turquie, dont le ministre de l’intérieur du pays, Suleyman Soylu, s’est vanté lors de la crise frontalière, est de détruire l’Union européenne. « L’Europe ne peut pas supporter cela, ne peut pas gérer cela », a-t-il affirmé. « Les gouvernements en Europe vont changer, leurs économies vont se détériorer, leurs marchés boursiers vont s’effondrer. » Dans un discours ce mois-ci, au moment même où la marine turque menaçait la Grèce de guerre, Soylu a exposé la vision civilisationnelle du nouvel ordre mondial de la Turquie : « Sur cette voie », a-t-il dit à l’assemblée des dignitaires militaires, « nous concevrons en embrassant le monde entier avec notre civilisation, en tenant l’Ouest et l’Est d’une main, le Nord et le Sud de l’autre, le Moyen-Orient et les Balkans d’une main, le Caucase et l’Europe de l’autre ».

    Dans les régions nouvellement annexées du nord de la Syrie, les milices rebelles proxy turques, dominées par l’ethnie turkmène, portent le nom de sultans ottomans, adoptent le sceau ottoman comme logo et donnent des interviews devant des cartes de l’Empire ottoman à son époque la plus étendue, tout en expulsant les Kurdes et les chrétiens de la région. En Syrie comme en Libye et en Irak, la vision expansionniste d’Erdogan cite explicitement l’Empire ottoman comme légitimation de son chemin de conquête, traçant les « frontières du cœur » d’Erdogan bien au-delà de la portée de la Turquie moderne, de Thessalonique à l’Ouest à Mossoul à l’Est. Saisissant la faiblesse partout où il la trouve, même le cœur de l’Europe libérale elle-même se trouve dans le viseur de l’homme fort turc.

    Lorsque ses ministres se sont vu interdire de s’adresser à des foules de Turcs ethniques aux Pays-Bas et que ses partisans se sont révoltés à La Haye, Erdogan a traité le gouvernement néerlandais de « nazi » avant de dire aux turcs d’Europe : « Ne faites pas trois, mais cinq enfants. Parce que vous êtes l’avenir de l’Europe. Ce sera la meilleure réponse aux injustices dont vous êtes victimes ». Alternant, avec toute l’incohérence passionnée d’un étudiant de la SOAS, entre l’expansionnisme islamique triomphaliste et les accusations de racisme et d’islamophobie partout où sa volonté est contrariée, l’homme fort turc chante son rôle de vedette dans le déclin du continent, se vantant que « l’Europe paiera pour ce qu’ils ont fait. Si Dieu le veut, la question de l’Union européenne sera à nouveau sur la table », et exultant que « alors qu’il y a un siècle, ils disaient que nous étions « l’homme malade », maintenant ils sont « l’homme malade » ». L’Europe est en train de s’effondrer ».

    Comme pour les Pays-Bas, où il a exhorté les Turcs d’Europe à surpasser démographiquement leurs hôtes indigènes, puis a traiter les dirigeants européens de nazis lorsqu’ils protestent, le discours civilisationnel d’Erdogan est en étrange symbiose avec l’extrême droite occidentale, comme en témoigne de façon particulièrement dramatique sa réaction à la fusillade de Christchurch l’année dernière. Lorsque le tueur Brandon Tarrant a abattu 51 fidèles musulmans dans la mosquée de Christchurch, c’était avec un fusil sur lequel il avait griffonné les noms de diverses batailles européennes contre les Ottomans. Dans son manifeste, Tarrant avait explicitement cité Erdogan comme « chef de l’un des plus anciens ennemis de notre peuple » et avait menacé les Turcs, qu’il décrivait comme des « soldats ethniques occupant actuellement l’Europe », que « nous tuerons et chasserons comme des cafards de nos terres. Nous venons pour Constantinople et nous allons détruire toutes les mosquées et tous les minarets de la ville. Sainte-Sophie sera libérée de ses minarets et Constantinople redeviendra une ville chrétienne à part entière ». En réponse directe, Erdogan a diffusé le massacre de Tarrant lors de ses rassemblements de campagne, à l’horreur du gouvernement néo-zélandais, déclarant quelques jours après les meurtres que « vous ne transformerez pas Istanbul en Constantinople » et jurant que « Sainte-Sophie ne sera plus un musée. Son statut va changer. Nous l’appellerons une mosquée », une promesse qu’il a tenu le mois dernier, en menant les fidèles à la prière lors de la deuxième conquête de la grande cathédrale.

    Au grand dam des politiciens européens libéraux, comme le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, dont le ministre des affaires étrangères turc, Mevlut Çavuşoğlu, a averti qu’il « entraînait l’Europe dans l’abîme » et que « les guerres saintes commenceront bientôt en Europe », le parti AKP d’Erdogan se délecte de la rhétorique du conflit des civilisations. Intentionnellement ou non, Erdogan fait beaucoup pour entraîner les politiciens centristes du continent vers la droite. Par ses actions, il alimente la peur et la méfiance à l’égard de la minorité musulmane d’Europe, et récolte ensuite les fruits de la réponse que son discours guerrier apporte au niveau national. Mais comme pour beaucoup de ses fanfaronnades, les gains à court terme d’Erdogan peuvent avoir des conséquences involontaires qui se répercuteront loin dans le futur, à la fois pour la Turquie et pour l’Europe.

    Les provocations navales croissantes de la Turquie en Méditerranée suscitent une telle colère de la part des politiciens européens, colère dirigée par Emmanuel Macron, que le ministre des affaires étrangères de l’UE, Josep Borrell, a récemment déclaré avec exaspération au Parlement européen qu’en écoutant l’humeur des députés européens réunis, « j’ai cru voir dans l’hémicycle que le pape Pie V avait refait surface en appelant à la Sainte Alliance contre la Turquie et en mobilisant les troupes de la chrétienté pour faire face à l’invasion ottomane ». Il n’est pas difficile de prévoir que Macron, virant à droite alors qu’il se dirige vers la saison électorale, fusionnera sa campagne contre les Frères musulmans dans son pays avec une position européenne affirmée contre la Turquie en politique étrangère. Une civilisation, tout comme un groupe ethnique, se définit autant par son opposition à un autre rival que par son contenu culturel intrinsèque, et Erdogan et Macron ont peut-être trouvé en l’autre le parfait équilibre pour leurs projets civilisationnels.

    Il est en effet frappant que le soi-disant sauveur libéral de l’Europe soit l’occidental qui ait le plus adopté la nouvelle langue des États-civilisations : sans doute que cet ancien érudit de Hegel a discerné le Weltgeist. L’année dernière, lors d’un discours qui a peu attiré l’attention, prononcé devant une assemblée d’ambassadeurs de France, Macron a laissé entendre que la Chine, la Russie et l’Inde n’étaient pas seulement des rivaux économiques, mais « de véritables États-civilisation… qui ont non seulement perturbé notre ordre international, assumé un rôle clé dans l’ordre économique, mais ont également remodelé avec beaucoup de force l’ordre politique et la pensée politique qui l’accompagne, avec beaucoup plus d’inspiration que nous ». Macron a fait observer que « aujourd’hui ils ont beaucoup plus d’inspiration politique que nous les Européens. Ils ont une approche logique du monde, ils ont une véritable philosophie, une débrouillardise que nous avons, dans une certaine mesure, perdue ».

    Il a averti son auditoire que « nous savons que les civilisations disparaissent ; les pays aussi. L’Europe va disparaître », a salué les projets civilisationnels de la Russie et de la Hongrie, qui « ont une vitalité culturelle et civilisationnelle inspirante », et a déclaré que la mission de la France, son destin historique, était de guider l’Europe dans un renouveau civilisationnel, en forgeant un « récit et un imaginaire collectifs. C’est pourquoi je crois très profondément que c’est notre projet et qu’il doit être entrepris comme un projet de civilisation européenne ».

    Il y a beaucoup de choses ici qui plairaient aux conservateurs britanniques, certainement bien plus que les fantasmes de Grande Bretagne Global que les néoconservateurs et les penseurs néolibéraux s’obstinent à essayer de vendre au gouvernement Johnson. Écrivant pour un public britannique dans le Guardian, l’année dernière, Macron a fait remarquer que « les nationalistes sont malavisés lorsqu’ils prétendent défendre notre identité en se retirant de l’UE, parce que c’est la civilisation européenne qui nous unit, nous libère et nous protège ». Au contraire, il a insisté sur le fait que « nous sommes à un moment charnière pour notre continent, un moment où nous devons, ensemble, réinventer politiquement et culturellement la forme de notre civilisation dans un monde en mutation. Le temps est venu pour une renaissance européenne ». Pourtant, pour la Grande-Bretagne, comme pour le reste de l’Europe, définir la nature essentielle de cette civilisation est une question plus difficile que pour la Chine ou la Russie.

    Alors que les États civilisateurs émergents de l’Eurasie se définissent contre l’Occident libéral, l’Occident et l’Europe luttent pour définir leur propre nature et mettent davantage l’accent intellectuel sur sa déconstruction que sur sa défense : un besoin qui, comme l’impulsion à nier l’existence des civilisations en tant qu’entités ayant des frontières, est lui-même ironiquement un marqueur unique de notre propre civilisation. Peut-être qu’une civilisation n’est qu’un empire qui a survécu à l’ère des États-nations, et même au-delà, et pourtant ce sont les États-nations, taillés dans les décombres sanglants des empires passés, qui définissent l’Europe moderne. Peut-être Guy Verhofstadt, le risible Brexiter, avait-il raison après tout lorsqu’il observait que « l’ordre mondial de demain n’est pas un ordre mondial basé sur des États-nations ou des pays. C’est un ordre mondial qui repose sur des empires ».

    Mais alors, bien qu’il y ait de forts tabous politiques contre le fait de le dire, nous vivons déjà comme les sujets d’un empire américain, même si peu de gens voudraient prétendre que l’Amérique est une civilisation ; moins de gens, en effet, que ceux qui considèrent l’hegemon en difficulté comme une anti-civilisation, dissolvant les nombreuses cultures européennes et autres dans le dur solvant du capital mondial. L’Occident lui-même existe-t-il en tant qu’entité cohérente et limitée ? Comme le note Coker, « Ni les Grecs ni les Européens du XVIe siècle… ne se considéraient comme « occidentaux, un terme qui ne remonte qu’à la fin du XVIIIe siècle ». Macron nous exhorte à ancrer notre sentiment d’appartenance à une civilisation européenne spécifique dans le Siècle des Lumières, mais cette perspective est loin d’être convaincante. Après tout, ce sont les tendances universalistes contenues dans le libéralisme des Lumières qui nous ont conduits dans cette impasse. Comme l’a fait remarquer l’ancien ministre portugais des affaires étrangères, Bruno Macaes, dans un récent et perspicace essai, ce sont précisément les aspirations globales du libéralisme qui ont coupé l’Occident, et l’Europe en particulier, de ses propres racines culturelles.

    « Les sociétés occidentales ont sacrifié leurs cultures spécifiques au profit d’un projet universel », note Macaes. « On ne peut plus trouver dans ces sociétés la vieille tapisserie de traditions et de coutumes ou une vision de la belle vie ». Notre foi naïve dans le fait que le libéralisme, issu des traditions politiques et culturelles de l’Europe du Nord, allait conquérir le monde, a maintenant été brisée pour de bon. Au lieu de cela, ce sont les États-civilisation de l’Eurasie, non libéraux, qui menacent de nous engloutir. Où cela nous mène-t-il alors, et que devons-nous faire du libéralisme ? « Maintenant que nous avons sacrifié nos propres traditions culturelles pour créer un cadre universel pour toute la planète », demande Macaes, « sommes-nous censés être les seuls à l’adopter ? »

    En 1996, le théoricien politique Samuel P. Huntington observait que « dans le monde émergeant des conflits ethniques et du choc des civilisations, la croyance de l’Occident dans l’universalité de la culture occidentale souffre de trois problèmes : Elle est fausse, elle est immorale et elle est dangereuse. L’impérialisme est la conséquence logique nécessaire de l’universalisme ». Pourtant, Huntington, comme ses détracteurs, écrivait à une époque où la prééminence américaine était incontestée. Les critiques de la thèse civilisationnelle de Huntington, tout comme les critiques académiques modernes du concept d’États-civilisation, soutiennent une construction qui n’existe plus, celle d’un Occident tout-puissant qui rejette avec arrogance le reste du monde de toute sa supériorité politique. Mais aujourd’hui, c’est nous, en Occident, qui sommes en déclin et c’est dans les mythes universels du libéralisme que nos puissants rivaux civilisationnels trouvent les causes profondes de notre échec.

    En tout cas, même au sein de l’empire américain, l’effondrement de la puissance américaine à l’étranger et la défaveur croissante avec laquelle la civilisation européenne est tenue aux États-Unis mêmes ne sont pas de bon augure pour la survie à long terme d’une civilisation occidentale cohérente. Si l’Occident, comme le libéralisme, n’est à ce stade qu’une idéologie justifiant l’empire américain, nous serons alors contraints de le remplacer assez vite par autre chose. C’est précisément ce problème de détermination de ce que sera ce remplacement qui définira la politique de la Grande-Bretagne et de l’Europe pour le reste de notre vie. Les idéologues libéraux vieillissants de l’Europe, la génération de 1968 qui a dominé notre politique pendant si longtemps, ne semblent pas avoir de réponses à ces questions ; en fait, ils ne semblent même pas réaliser, encore maintenant, que ces questions existent.

    Ce n’est que lorsque nous voyons Macron lutter pour rallier la civilisation européenne à l’âge des empires à venir, ou que nous observons des hommes forts européens comme Viktor Orban, salué par de nombreux conservateurs anglo-saxons comme le sauveur de la civilisation occidentale, se dresser contre l’Occident avec toute la passion et la fureur d’un révolutionnaire anticolonialiste, que nous entrevoyons un futur plus étrange et plus complexe que ne le permet notre discours politique actuel. Lorsque nous voyons la Pologne imposer l’étude du latin à l’école afin d’inculquer aux élèves la compréhension des « racines latines de notre civilisation », ou la jeune étoile montante de la droite radicale néerlandaise, Thierry Baudet, affirmant que nous vivons un « printemps européen », « en contradiction avec le spectre politique qui domine l’Occident depuis la Révolution française », qui va  » changer la direction que tous nos pays vont prendre dans les deux générations à venir « , nous discernons, tout comme nous le faisons pour les manifestations Black Lives Matter ou la propagation de la foi américaine en la justice sociale dans nos rues et nos universités, les champs de bataille politiques de l’avenir européen.

    La critique la plus perspicace de la thèse civilisationnelle de Huntington a toujours été que les confrontations les plus sanglantes se déroulaient au sein des civilisations et non entre elles. Dans la nouvelle ère des États-civilisation, le plus grand défi à notre harmonie sociale vient peut-être non pas des adversaires au-delà de nos frontières culturelles, mais de la bataille qui se déroule dans nos frontières pour définir qui et quoi défendre.

    Aris Roussinos (Le Saker Francophone, 6 août 2020)

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