Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

chine - Page 6

  • Actualité de Carl Schmitt...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Pierre-Antoine Plaquevent à Xavier Moreau pour Stratpol et consacré à Carl Schmitt et à son actualité. Il anime le site métapolitique Les Non-Alignés ainsi que le site Strategika, et vient de publier Soros et la société ouverte (Le Retour aux Sources, 2018).

     

                                        

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Multimédia 0 commentaire Pin it!
  • La géopolitique des terres rares...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Christopher Coonen, cueilli sur Geopragma et consacré aux rivalités géopolitiques autour de la question des terres rares. Secrétaire général de Geopragma, Christopher Coonen a exercé des fonctions de directions dans des sociétés de niveau international appartenant au secteur du numérique. 

     

    Terres rares.jpg

    La Géopolitique des Terres rares 

    C’est un sujet de plus en plus géostratégique.

    Qu’est-ce que les terres rares ? Les terres rares sont un groupe de métaux aux propriétés voisines comprenant le scandium, l’yttrium, et les quinze lanthanides. Elles sont appelées ainsi car on les a découvertes à partir de la fin du 18ème siècle dans des minerais oxydes réfractaires au feu, peu courants à cette époque, et à l’exploitation commerciale rendue compliquée par le fait que ces minerais étaient éparpillés et les terres difficiles à séparer les unes des autres.

    Il faudra attendre le projet Manhattan, c’est-à-dire l’invention de la Bombe A américaine pendant la Seconde Guerre mondiale, pour que les terres rares soient purifiées à un niveau industriel, et les années 1970 pour que l’une d’elles, l’yttrium, trouve une application de masse dans la fabrication des tubes cathodiques utilisés dans les téléviseurs couleur. Du point de vue de l’économie mondiale, les terres rares font désormais partie des matières premières stratégiques.

    Leurs applications sont diverses et variées.
    Voici quelques exemples :

    Le Scandium est utilisé pour la confection d’alliages légers composés d’aluminium-scandium dans l’aéronautique militaire.
    L’Yttrium est retrouvé dans les supraconducteurs haute température et les filtres micro-onde.
    Le Cérium est lui est un agent chimique oxydant utilisé pour la poudre de polissage du verre, comme colorant jaune des verres et des céramiques, pour les revêtements de fours auto-nettoyants, le craquage des hydrocarbures, ou encore dans la fabrication des pots d’échappement.
    Le Néodyme permet la production d’aimants permanents pour les éoliennes, les voitures hybrides, et les centrales hydrauliques.
    Le Prométhium est intégré dans la fabrication des peintures lumineuses, des batteries nucléaires, et constitue une source d’énergie pour les sondes spatiales.
    Enfin, le Gadolinium permet la création de lasers, et est utilisé dans les réacteurs nucléaires et comme additif dans les aciers. Il possède de plus des propriétés de contraste pour l’imagerie à résonance magnétique.

    Du fait de leur dimension stratégique, les terres rares font l’objet d’une communication restreinte de la part des États, de sorte que les statistiques à leur sujet restent rarissimes.

    Premièrement, en termes de réserves mondiales, elles étaient estimées par l’Institut d’études géologiques des États-Unis à 120 millions de tonnes fin 2018, détenues à 37 % par la Chine, devant le Brésil (18 %), le Viêt Nam (18 %), la Russie (10 %), l’Inde (6 %), l’Australie (2,8 %), et les États-Unis (1,2 %). La Chine quant à elle dit détenir seulement 30% des réserves mondiales, bien qu’elle fournisse 90% des besoins de l’industrie. Pour y parer, de nombreux pays développent des techniques de recyclage des déchets électroniques. Mais aujourd’hui, moins d’ 1% des terres rares est recyclé. Afin d’ économiser les ressources primaires ou leur approvisionnement, le développement du recyclage des terres rares est donc une solution même s’il reste à ce jour très limité en raison de leur dilution dans de nombreux appareils à durée de vie très courte, d’un coût de recyclage supérieur à celui de l’extraction primaire, et du risque de ruptures technologiques qui rendraient ces ressources inexploitables d’un point de vue économique à long terme. 

    Du fait des conséquences environnementales de l’extraction et du raffinage des terres rares, de nombreuses exploitations ont été fermées en particulier dans les pays occidentaux, y compris aux Etats-Unis.

    Et il n’est pas surprenant que la Chine convoite des ressources supplémentaires en terres rares afin d’asseoir son hégémonie, via son projet des Routes de la Soie, notamment au Brésil, dont elle est devenue le premier partenaire commercial. Et ceci explique l’intérêt qu’elle porte sur deux des autres principaux détenteurs des terre rares que sont l’Inde et le Vietnam, là aussi au travers de la BRI.

    Deuxièmement, en termes de production, toujours selon l’Institut d’études géologiques des États-Unis sur les 170 000 tonnes produites en 2018, 71% soit 120 000 tonnes l’ont été par la Chine. Les autres producteurs dans le Top 3, à savoir l’Australie avec 20 000 tonnes et les États-Unis avec 15 000 tonnes sont loin derrière.

    Le faible taux de sites de traitement en dehors de la Chine, ainsi que la capacité de production que possède le pays, font de Pékin le principal acteur du marché des terres rares. L’importance de la Chine dans la chaîne d’approvisionnement de ces métaux a de quoi donner des sueurs froides aux États-Unis, dont les entreprises de hautes technologies, qu’elles soient civiles et militaires, dépendent énormément de ces terres rares.

    Ces craintes se sont cristallisées en 2019 lorsque le président chinois Xi Jinping a effectué une visite dans une usine de traitement de terres rares en pleine guerre commerciale avec Washington, laissant ainsi planer la menace d’un blocage par la Chine des exportations de terres rares raffinées. C’est une tactique que la Chine a déjà mise en pratique par le passé, notamment en 2010, quand Pékin avait brutalement interrompu ses exportations de terres rares vers le Japon en représailles à un différend territorial.

    C’est donc un enjeu et une arme géopolitiques majeurs dans la guerre d’influence que se livrent la Chine et les États-Unis.

    Ces deux hyperpuissances vont sans doute migrer leur rivalité sur les terres rares aux planètes Lune et Mars, car elles y sont abondantes en surface. Il n’y a donc pas de hasard si les USA et la Chine ont annoncé, depuis quelques années déjà, qu’ils avaient l’objectif d’envoyer ou de renvoyer des astronautes et des taïkonautes cinquante-deux ans après le premier alunissage humain. Somme toute, un effort lunaire très coûteux pour peu de retours d’expérience nouveaux pour l’avancée de la science spatiale en ce qui concerne la réaction et le comportement humain. Mais un retour sûr en ce qui concerne le minage. C’est donc assumé : « Un grand bond en avant pour l’extraction des terres rares, et un petit pas facile pour l’Humanité ».

    Depuis la fin des années 1990, la Chine est devenue le premier producteur mondial de terres rares au détriment des pays occidentaux qui ont perdu au fil des ans leur capacité de production et leur savoir-faire industriel et technologique. C’est donc devenu aussi un enjeu de souveraineté nationale.


    Face à cette autre tenaille sino-américaine, que peut faire l’Europe ?

    Deux importants projets miniers sont à l’étude, à Norra Karr en Suède et à Kvanefjeld au Groenland. On comprend mieux pourquoi le Président Trump avait proposé au Danemark de lui racheter le Groenland, outre l’intérêt des bases militaires, l’existence de cette mine avait aiguisé son appétit. Ce n’était pas une blague, mais une proposition géopolitique réfléchie, délibérée et sensée de la part du président américain. Rares sont ceux qui en parlent. C’est donc sans doute sur le terrain du recyclage et du développement de mines éco-responsables que l’Europe a une carte à jouer.

    En proposant une offre plus vertueuse sur le plan environnemental à des consommateurs plus exigeants et responsables, et des investissements importants dans de nouvelles technologies, les pays occidentaux devraient pouvoir concurrencer à moyen terme le modèle chinois.

    Christopher Coonen (Geopragma, 12 juillet 2021)

    Lien permanent Catégories : Géopolitique, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Afghanistan, Pakistan : l’échec américain...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du général Jean-Bernard Pinatel, cueilli sur Geopragma et consacré à l'échec américain en Asie centrale... Officier général en retraite et docteur en sciences politiques, Jean-Bernard Pinatel a déjà publié plusieurs essais dont Russie, alliance vitale (Choiseul, 2011) et Carnet de guerres et de crises 2011-2013 (Lavauzelle, 2014).

     

    Afghanistan_Retrait américain.jpg

    Afghanistan, Pakistan : l’échec américain

    Le 4 juillet 2021, jour de  l'« independance day », les Etats-Unis achèveront leur retrait d’Afghanistan mettant un terme à 20 ans de guerre, la plus longue de leur histoire au cours de laquelle au 13 avril 2021  ils avaient perdu 2 349 soldats et avaient déploré 20 149 blessés.

    Pour effectuer un retrait de leurs troupes d’une façon honorable, le 12 septembre 2020, les Américains ont lancé la nième négociation intra afghane avec les Talibans. Mais pas un seul observateur de bonne foi peut croire que les Talibans voudront les poursuivre après le 4 juillet. Pourquoi ? Parce qu’en Afghanistan les Etats-Unis ont fait face à une guerre révolutionnaire dans laquelle les objectifs religieux des talibans « instaurer un ordre islamique et vertueux pour remplacer l’ordre païen et corrompu » se sont entremêlés avec les objectifs mafieux des trafiquants de pavot. En effet, devant la nécessité de financer leur guerre et de s’attacher la complicité des campagnes, les Talibans ont décidé de faire des producteurs et des trafiquants de pavot, leurs compagnons de route alors qu’avant l’invasion américaine ils les exécutaient. Cette interdépendance nous la retrouvons dans nos banlieues. Elle est la cause des échecs de la politique de réconciliation que le Président Kasaï a tenté plusieurs fois de négocier. Pour les Talibans il n’est pas question de composer avec un pouvoir corrompu, pour les trafiquants, la paix est synonyme de développement économique et donc de fin de leur business alors qu’en temps de guerre, la culture du pavot et leur trafic sont une condition de survie pour la population rurale.

    Même la représentante spéciale de l’ONU Mme Lyons n’y croit pas. Tout en saluant diplomatiquement les avancées dans les pourparlers de paix entre l’Afghanistan et les Talibans, puisque les deux parties ont annoncé le 2 décembre 2020 « qu’elles avaient formé un comité de travail chargé de discuter de l’ordre du jour », elle s’est inquiétée d’une violence incessante qui reste « un obstacle sérieux à la paix ». 

    En effet, entre le 13 juillet et le 12 novembre 2020, 9600 atteintes à la sécurité attribuées aux Talibans à Al Qaida ou à Daech ont été recensées dans tout le pays. En octobre et novembre 2020, les engins explosifs improvisés ont ainsi causé 60% de victimes civiles de plus qu’à la même période en 2019. Et au dernier trimestre 2020, le nombre d’enfants victimes de violences a augmenté de 25% par rapport au trimestre précédent.  Les attaques contre les écoles ont été multipliées par quatre.

    Même à Kaboul, les Américains et les forces gouvernementales n’arrivent pas à assurer la sécurité.  Le 8 mai 2021, deux mois avant le retrait total des forces américaines, une explosion devant une école pour filles à Kaboul fait au moins 85 morts et des centaines de blessés ; 8 jours plus tard le 15 mai 2021, un attentat revendiqué par Daech dans une mosquée soufi, a occasionné plus de 60 morts et plusieurs centaines de blessés.  

    Comment expliquer cet échec de la première puissance militaire et économique du monde.

    La première cause de cet échec est l’inadaptation totale de la politique de défense, de la stratégie opérationnelle et de l’armée américaine à la menace.

    La première erreur stratégique des conseillers de Bush junior a été de croire que l’on pouvait gagner cette guerre sans modifier la doctrine d’emploi de leurs forces classiques prévue pour des combats de haute intensité. Conformément à la doctrine militaire américaine, ils ont mené comme en Irak jusqu’en 2009 une guerre à distance sans mobiliser et entrainer des troupes locales et en causant des pertes considérables à la population.

    L’inadaptation de cette stratégie opérationnelle est résumée par le colonel Michel Goya dans ses « impressions de Kaboul », je cite : « une mission moyenne de deux heures de vol, sans tir, d’un chasseur bombardier américain équivaut presque à la solde mensuelle d’un bataillon Afghan ».

    Bien plus, Michel Goya dans « les armées du chaos » donne un exemple édifiant de l’inefficacité de cette guerre à distance, je cite : « des statistiques montrent qu’il faut aux américains une moyenne de 300 000 cartouches pour tuer un rebelle en Irak ou en Afghanistan ». Le chef de bataillon d’Hassonville du 2ème REP écrivait en écho dans le Figaro du 20 avril 2010 : « L’une des clés du succès du contingent français dans sa zone de responsabilité est d’être parvenu à contrôler nos ripostes et de ne tirer que pour tuer des cibles parfaitement identifiées ».

    Ce choix initial a entrainé des pertes considérables dans la population tant en Afghanistan qu’au Pakistan. L’étude « Body count » menée par des médecins légistes anglo-saxons, que l’on peut télécharger sur le web, chiffre entre 2003 et 2011 à au moins de 150 000 civils tués par les frappes américaines en Afghanistan et de l’ordre de 50 000 au Pakistan.

    Cette analyse est confirmée par le Général Stanley Cristal qui, prenant le commandement du théâtre d’opérations en juin 2009, déclare dans son premier discours aux troupes américaines « je crois que la perception causée par les pertes civiles est un des plus dangereux ennemis auquel nous devons faire face ».

    La seconde raison de cet échec est que Washington a cru qu’il pourrait gagner ce conflit local sans adapter sa stratégie diplomatique et militaire mondiale qui considérait la Chine et la Russie comme les deux menaces principales. C’est une erreur récurrente des Américains, ils croient toujours qu’ils peuvent ménager la chèvre et le chou.

    Ainsi depuis le début du XXIème, les Etats-Unis confrontés à la montée en puissance de la Chine, ont initié un partenariat stratégique avec l’Inde. En 2005, les deux pays ont signé un accord-cadre de défense de dix ans, dans le but d’étendre la coopération bilatérale en matière de sécurité. Ils se sont engagés dans de nombreux exercices militaires combinés et l’Inde a acheté d’importantes quantités d’armes américaines ce qui fait des États-Unis l’un des trois principaux fournisseurs d’armement de l’Inde après la Russie et Israël.

    Ce partenariat stratégique avec leur ennemi héréditaire, a inquiété les stratèges pakistanais qui ont revu à la baisse leur engagement aux côtés des Etats-Unis au moment même où les américains avaient besoin d’une collaboration sans faille du Pakistan pour gagner la guerre en Afghanistan.  En effet, les Talibans sont majoritairement des Pachtounes qui représentent 40% de la population afghane et leur ethnie est présente de part et d’autre de la frontière avec le Pakistan. Ainsi les Américains n’ont jamais pu obtenir une coopération efficace pour éviter que le Pakistan ne constitue une base arrière pour les Talibans. En effet les dirigeants pakistanais, obnubilés par leur conflit avec l’Inde, doivent prendre en compte la possibilité que les Talibans puissent revenir un jour au pouvoir à Kaboul. Or l’Afghanistan est pour eux un allié vital car il leur offre la profondeur stratégique qui leur manque face à l’Inde.

    De même, en se rapprochant de l’Inde, les Américains ouvraient la porte à la Chine qui s’est empressée de nouer un partenariat stratégique avec le Pakistan.  Il s’est rapidement concrétisé par une très importante coopération militaire et économique. Le New-York Times du 19 décembre 2018 écrit je cite : « depuis 2013, année de lancement des routes de la Soie le Pakistan est le site phare de ce programme : le corridor industriel actuellement en travaux à travers le Pakistan – environ 3 000 kilomètres de routes, de voies ferrées, d’oléoducs et de gazoducs – représente à lui seul un investissement de quelque 62 milliards de dollars ». 

    Pour la partie chinoise, un double impératif stratégique a guidé sa signature : la sécurisation de ses voies d’approvisionnement en pétrole et en gaz en bâtissant une voie terrestre d’acheminement évitant le détroit de Malacca et pouvant à terme aller jusqu’à l’Iran et la lutte « contre les trois fléaux » qui menacent le Xinjiang chinois : terrorisme, extrémisme, séparatisme. Trois mois après cette signature Ben Laden était exécuté par des navy seals américains ; coïncidence troublante quand on sait qu’il était l’instigateur de nombreux attentats islamistes en Chine.

    Depuis cette coopération stratégique n’a fait que se renforcer. En mai 2019, le vice-président chinois Monsieur Wang a effectué une visite au Pakistan au cours de laquelle il s’est entretenu avec le président et le Premier ministre pakistanais du renforcement des relations bilatérales. M. Wang a déclaré que la Chine et le Pakistan étaient des “amis de fer”.

    Par ailleurs les Américains ont rejeté avec dédain l’aide des Russes que Poutine a proposée juste après le 9/11. Le 2 octobre Poutine avait rencontré le secrétaire général de l’OTAN à Bruxelles et lui a proposé l’aide de la Russie contre Al-Qaida notamment au Tadjikistan où stationnait la 201 division de fusiliers motorisés russe ; en Ouzbékistan où ils possèdent une base aérienne à Ghissar. Mais pour le complexe militaro-industriel américain l’opposition avec la Russie était à l’époque vitale car elle leur permettait de justifier un budget militaire qui était pourtant dix fois supérieur à celui de la Russie alors que la menace militaire chinoise était alors insignifiante.

    20 ans plus tard pour Biden et ses conseillers, il est temps de tourner la page et d’éviter une alliance stratégique de la Russie avec la Chine et je partage l’analyse de Renaud Girard qui dans Figaro vox met la rencontre Biden-Poutine du 16 juin 2021 à Genève sous la raison de leur intérêt commun : freiner l’ascension de la Chine. Certes cela ne se fera pas en un jour mais cela permet d’identifier que l’absence de vision stratégique à long terme des hommes politiques occidentaux et par conséquence l’absence de prise en compte des conséquences des stratégies mondiales des grands acteurs internationaux sur les théâtres d’opération régionaux ne permet pas de gagner les guerres régionales.

    Macron devrait s’en inspirer et, plus que l’appui significatif des européens que nous recherchons désespérément sans succès depuis 10 ans, c’est de celui de la Russie dont nous avons besoin au Sahel. J’ai publié en 2011 un livre intitulé « Russie alliance vitale » où je montrai que ce pays était notre meilleur allié face à l’islamisme et à la montée en puissance de la Chine. Malheureusement Sarkozy, Hollande et Macron, vassaux zélés de Washington, se sont lancés en Libye, Syrie et Sahel dans des opérations extérieures sans mettre en place le contexte diplomatique qui aurait permis de transformer nos victoires militaires en succès politiques.

    En conclusion :

    Le retrait américain marque la fin de la domination anglo-saxonne sur l’Asie centrale que les britanniques avaient établis depuis le milieu du XIXème siècle et une preuve de plus de la montée en puissance de l’Asie face à l’Occident. La France qui se prépare à modifier sa stratégie dans le Sahel devrait tirer les leçons de cet échec américain en Afghanistan et au Pakistan.

    Jean-Bernard Pinatel (Geopragma, 28 juin 2021)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • L’Union européenne ne fait peur à personne !

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Renaud Girard, cueilli sur Geopragma et consacré à la faiblesse géopolitique de l'Europe. Renaud Girard est correspondant de guerre et chroniqueur international du Figaro.

     

    Europe_Faiblesse.jpg

    L’Union européenne ne fait peur à personne !

    Lorsque, le 10 septembre 2019, la Présidente de la Commission européenne, l’Allemande Ursula Von der Leyen, installa son Vice-président, l’Espagnol Josep Borrell, dans ses fonctions de Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, elle lui dit : « Nous devons être une Commission géopolitique ! ».

    Historiquement, sous l’influence du géographe allemand Friedrich Ratzel, le terme géopolitique désigne l’étude des rapports de pouvoir entre Etats. Ratzel (1844-1904), premier théoricien du Lebensraum (l’espace vital), estimait que la politique étrangère de l’Allemagne devait veiller à toujours maintenir des rapports de force favorables avec ses voisins. C’est d’ailleurs ce que fit son compatriote Bismarck, le Chancelier de fer, qui dirigea, avec talent, les affaires allemandes de 1870 à 1890. L’Allemagne bismarckienne était un Etat respecté dans le monde, tout en sachant éviter tout aventurisme.

    Bien que dotée depuis un an et demi d’une « Commission géopolitique », on ne peut pas dire que l’Union européenne (UE) apparaisse vraiment comme une puissance respectée dans le monde. Non seulement elle ne fait peur à personne, mais elle se laisse marcher dessus avec une singulière complaisance. Il y a la forme (qui compte beaucoup en diplomatie) et il y a le fond.

    Sur la forme, on a vu, au cours du premier tiers de l’année 2021, la Commission européenne se faire humilier par les deux grandes autocraties expansionnistes voisines de l’Union. Le 5 février 2021, alors même que M. Borrell était en visite à Moscou, les autorités russes expulsaient trois diplomates européens (un Allemand, un Polonais, un Suédois), sous prétexte qu’ils auraient participé à un rassemblement de soutien à l’opposant Navalny.

    Le 6 avril 2021 à Ankara, lors d’un sommet entre l’UE et la Turquie, on assista à une scène hallucinante : le président du Conseil européen, Charles Michel, et le président Recep Erdogan s’assirent face à face dans des fauteuils confortables, sans penser à en avancer un pour Madame Ursula Von der Leyen qui, plutôt que rester debout, décida d’aller s’asseoir sur un sofa au fond de la salle. Cet incident – aussitôt qualifié de sofagate par les journalistes – n’a pas seulement illustré l’absence de courtoisie élémentaire de ces deux hommes politiques belge et turc. Il a aussi – ce qui est plus grave – souligné l’absence d’unité à la tête de l’UE et l’existence d’une rivalité délétère entre son Conseil (organe de nomination et de décision représentant les 27 Etats membres) et sa Commission (organe de gestion des intérêts européens, détenant le monopole de l’initiative).

    Sur le fond, abondent hélas les preuves que l’UE ne se fait plus respecter.

    Le 23 mai 2021, le dictateur biélorusse Loukachenko a fait atterrir de force à Minsk un avion européen, de la compagnie Ryanair, reliant deux capitales européennes, Athènes et Vilnius. Tout cela pour s’emparer d’un opposant de 26 ans, qui fut l’un des principaux journalistes biélorusses à avoir dénoncé la fraude des élections présidentielles d’août 2020.

    Une semaine plus tôt, à l’autre extrémité du territoire de l’Union en diagonale, se déroula un incident montrant également un manque de respect pour l’UE. En représailles du fait que l’Espagne ait accepté de soigner chez elle le chef du Polisario (mouvement des Réguibats, tribu saharienne militant pour l’autodétermination de l’ex-Sahara espagnol, annexé par le Maroc en 1975), les autorités marocaines ont lancé, à l’assaut de l’enclave espagnole de Ceuta, des milliers de jeunes hommes et adolescents problématiques, dont elles furent ravies de se débarrasser. Le gouvernement marocain sait très bien que, sur le territoire de l’UE, on n’expulse jamais les mineurs isolés.

    Il n’y a pas qu’aux trafiquants de drogues et d’êtres humains que l’UE ne fait pas peur. Les hackers, qu’ils soient étatiques ou non, ne la craignent pas non plus. Le territoire de l’UE est devenu le ventre mou du monde de toutes les attaques cyber. Le 4 mai 2021, Belnet, le réseau informatique de la Belgique, a été paralysé par une attaque, au moment où son Parlement s’apprêtait à tenir une réunion sur la minorité chinoise persécutée des Ouïghours… Autre exemple incriminant la Chine, elle essaie régulièrement de voler informatiquement ses plans à Airbus.

    La Russie, quant à elle, tolère sur son sol quantité de cyber-corsaires. Pour obtenir des rançons, ceux-ci attaquent des sociétés privées ou des institutions publiques, telles que les hôpitaux. Les services russes et chinois ne se gênent pas pour déposer des « implants » (des logiciels dormants activables à distance) sur les grandes infrastructures européennes.

    Face à ses adversaires, il est grand temps que l’UE élabore une politique de sécurité digne de ce nom. Pour passer enfin à la contre-offensive. 

    Renaud Girard (Geopragma, 28 mai 2021)

     

    Lien permanent Catégories : Géopolitique, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Feu sur la désinformation... (333)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un numéro de l'émission I-Média sur TV libertés consacrée au décryptage des médias et animée par Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polémia, et Nicolas Faure.

    Au sommaire :

    • 1 : L’image de la semaine
      Emmanuel Macron a invité à l’Elysée les deux Youtubeurs McFly et Carlito pour un improbable concours d’anecdotes. Une vidéo dérangeante qui pose question...
    • 2 : L’énorme bobard des médias sur l’origine du Covid-19
      Pendant des mois, les médias nous l’avaient assurés d’un ton docte : le virus Sars-Cov-2, à l’origine du Covid-19, n’était pas sorti du laboratoire de virologie de Wuhan. Finalement, tous les médias reviennent aujourd’hui sur leurs affirmations et admettent que cette hypothèse reste une possibilité.
    • 3 : Revue de presse
    • 4 : Les aides à la presse : pluie d’argent public sur les médias en 2019
      La Lettre A a mis la main sur les données des aides publiques à la presse en 2019. Analyse de cette pluie de subventions pour un montant total minimal de 225 millions d’euros.

                                                  

     

    Lien permanent Catégories : Décroissance et résilience, Manipulation et influence, Multimédia 0 commentaire Pin it!
  • Le recul de l’Occident, une si mauvaise nouvelle que cela ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alexis Feertchak, cueilli sur Geopragma et consacré au recul de l'Occident et à ses conséquences potentielles. Alexis Feertchak est journaliste au Figaro et membre fondateur de Geopragma.

     

    Chine_Occident.jpg

    Le recul de l’Occident, une si mauvaise nouvelle que cela ?

    Rien n’y fait, les Etats occidentaux ont beau savoir que la Chine se rapproche chaque jour qui passe de la place de première puissance mondiale – sur le plan économique, c’est en réalité déjà le cas en parité de pouvoir d’achat -, ils ont trop pris le pli de la puissance pour vraiment réaliser qu’ils devront, dans les années qui viennent, partager avec elle l’influence qu’ils exercent sur le cours du monde. Alors qu’ils semblent, y compris les Etats-Unis, douter en même temps d’eux-mêmes, leur puissance peut donc paraître des plus paradoxales.

    C’est que cette puissance de l’Occident a quelque chose de quasi-naturelle, relevant d’un autre ordre que celui des seuls classements macroéconomiques ou militaires. Elle est une force mystérieuse, sédimentée pendant des générations, qui offre des fondations discrètes mais solides que l’on pourrait ainsi résumer : la puissance occidentale est d’autant plus forte qu’elle avance de conserve avec le « bien ». Qu’entend-on par « bien » ? Ce qui serait naturellement bon pour le monde, au-delà et souvent contre la volonté des Etats souverains qui peuplent la planète : libre-échange, démocratie, état de droit, droits de l’homme, droits fondamentaux, droits subjectifs, pluralisme, liberté de la presse, d’opinion, tolérance, etc. sont quelques-uns des qualificatifs juridico-politiques de ce « bien ».

    La fin de la fin de l’histoire ?

    Même si le concept de « fin de l’histoire » a pris à partir du début des années 2000 un sérieux coup sur la tête quand on s’est rendu compte que les Etats-Unis – toute unique hyperpuissance qu’elle était – ne maîtrisaient pas tout, demeure pourtant au fond de nos inconscients collectifs l’idée d’une téléologie dont le terme serait ce « bien » et dont nous serions les gardiens pas forcément exclusifs mais privilégiés. Lors, si ce « bien » est le terme inéluctable et que, même s’il existe des soubresauts historiques, il est nécessairement inscrit dans notre avenir, cela signifie que, d’une façon ou d’une autre, la puissance restera du côté du bien et donc de l’Occident. Que la Chine puisse gagner à court terme nous paraît possible et même peut-être probable, mais qu’elle puisse gagner à long terme nous paraît encore farfelu.

    L’histoire semble d’ailleurs nous conforter dans cette idée. Par le passé, l’Allemagne nazie ou l’URSS ont pu donner l’impression d’ébranler profondément cette téléologie, mais sur des échelles de temps historiques finalement relativement courtes, de quelques années à quelques décennies. De la même façon, peut-être la Chine l’emportera-t-elle provisoirement, mais, le « bien » devant finalement l’emporter, elle finira par perdre ou s’y rallier. Et nous, Occidentaux, étant du bon côté de l’histoire, nous finirons par gagner, avec ou sans Pékin. De façon plus ou moins consciente, ce raisonnement renforcé paradoxalement par l’ombre portée de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide demeure la pierre angulaire de la confiance en soi, certes affaiblie, de l’Occident. La marche vers l’état de droit et la consécration des droits subjectifs des individus prendront certes du temps, seront même marquées par des échecs transitoires, mais ne pourront jamais être réellement dépassées en tant que telles. La Chine, en tant que régime totalitaire disposant encore d’un parti unique et méprisant l’individu comme valeur suprême, ne le sait pas encore, mais elle a déjà perdu, nous dit une petite voix au fond de nous.

    Plus de prudence, moins d’hubris

    Certains idéologues néoconservateurs ont poussé très loin ce fondement de la puissance occidentale en voulant – de bonne ou de mauvaise foi – accélérer la réalisation de ce destin de la démocratie libérale, quitte à plonger certains pays comme l’Irak, l’Afghanistan ou la Libye dans des guerres sans fin. Si encore cela fonctionnait à ce prix… mais cet interventionnisme ne fabrique aucun démocrate libéral et au contraire pléthore de djihadistes dont l’un des principaux carburants reste le ressentiment qu’ils nourrissent à l’endroit d’une puissance occidentale d’autant plus écrasante qu’elle se présente sous les atours du bien. Néanmoins, le néoconservatisme n’est que la face la plus visible (et néfaste) de la puissance occidentale. Dans des proportions bien moindres que chez les authentiques néoconservateurs, ne reste-t-il pas chez la grande majorité d’entre nous au moins une trace de cette idée que le modèle occidental, quels que soient les soubresauts historiques, est fondamentalement le moins mauvais de tous les modèles et celui qui finira inéluctablement par s’étendre au monde ? Ce modèle politique est bien sûr perfectible, mais le destin auquel il est associé sert d’horizon régulateur à l’Occident. Même quand tout semble aller à rebours de cette vision téléologique qui demeure la nôtre, reste la pensée qu’une ruse de l’histoire interviendra un jour pour en quelque sorte remettre « l’histoire dans le bon sens ».

    L’idée que nous aurions atteint « la fin de la fin de l’histoire » est excessive. Nous sommes plutôt comme les premières générations de chrétiens qui se rendent peu à peu compte que le Christ ne reviendra finalement pas de leur vivant… ce qui n’a pas empêché l’Eglise de prospérer, bien au contraire ! La chute de l’URSS était un moment, mais pas le dernier. L’histoire tragique est bien de retour, illustrée notamment par la réaffirmation de certains Etats-puissances ou le spectre de catastrophes globales (le Covid en étant un parfait exemple). Si elle supprime l’espérance d’une victoire à portée de main, cette histoire tragique n’emporte pas avec elle cet horizon régulateur qui demeure là, quoique cerné de brumes. Depuis au moins le 18e siècle, l’Occident s’est fondé sur le mythe d’un progrès qui ne serait pas seulement matériel mais également moral. Abandonner d’un coup d’un seul ce fil qui nous relie à l’avenir paraît aussi difficile que peu souhaitable. On est là face à un exemple typique de pharmakon, ce terme signifiant en grec « poison » autant que « remède ». Ce progrès qui est à la source de notre civilisation est en même temps notre plus grand danger puisqu’il nous expose à une hubris infinie. Colonialisme, totalitarisme et impérialisme en sont autant de manifestations.

    Le piège de Thucydide 

    A cet égard, l’affaiblissement relatif que connaît aujourd’hui l’Occident pourrait paradoxalement être une bonne nouvelle. Le décentrement du monde vers l’Asie ne détruit pas notre horizon régulateur mais nous empêche – par limitation physique et matérielle – de continuer à nous croire partout chez nous et à croire que la victoire est pour demain. Nous n’aurons plus d’autre choix que d’abandonner notre toute-puissance et de mieux mesurer chacun de nos gestes. Ce peut être une source de prudence, vertu dont l’histoire récente a révélé combien nous en avions manqué en Irak, en Syrie, en Afghanistan ou en Libye. Elle rappelle aussi la finitude tragique du politique : il y aura des drames face auxquels nos moyens manqueront certainement. Mais, au-delà de la satisfaction narcissique évidente que cette idée nous procure, est-il vraiment heureux que l’on appelle l’Occident à la rescousse dès qu’un problème se pose ? La réaffirmation d’autres puissances (Turquie, Russie, Iran, Egypte, Inde, Chine, etc.) dans certaines régions du monde induit certes des risques nouveaux qu’il ne faut pas sous-estimer (comme le retour des rivalités étatiques, y compris militaires), mais peut en même temps nous tenir éloignés du poison de la démesure.

    A la condition bien sûr que, dans les années qui viennent, les Etats-Unis comprennent qu’il est dans leur intérêt de ne pas refuser cette nouvelle réalité d’un monde dont toutes les puissances ne sont pas occidentales. Cela les oblige à accepter de recevoir une leçon de modestie, qui n’est pas une leçon d’impuissance mais la reconnaissance que toute puissance est par nature limitée. Si ce n’était pas le cas et qu’ils se refusaient à l’admettre, leur duel systémique avec la Chine ne pourrait finir que funestement, en suivant la voie du piège de Thucydide. A cet égard, les Etats européens ont un rôle essentiel à jouer puisque, tout en ayant encore un poids non négligeable dans les affaires du monde, ils réalisent depuis bien longtemps – sans toujours se l’avouer – que leur marge de manœuvre est structurellement limitée.

    Protéger ses abords

    La situation de l’Europe est donc symétrique de celle des Etats-Unis : las, les pays européens ont conscience qu’ils ne pèsent plus autant que naguère, mais se rassurent en se disant qu’ils ont au moins la conscience pure. Certes, en Syrie, nous ne comptons plus, mais nous avons choisi le camp des « gentils », se dit-on. La morale est ainsi le dernier restaillon de notre puissance passée. L’idée que nous devrions accueillir toute la misère du monde en est un autre exemple. Remarquer que les déshérités de la planète souhaitent encore rejoindre l’Europe offre inconsciemment une certaine satisfaction narcissique. A ce triste égard, ne resterions-nous pas un peu le centre du monde ? Cette voie européenne de la morale dans l’impuissance est dangereuse et sans issue. Elle ne permet en rien de faire contrepoids à la toute-puissance américaine d’autant plus inquiétante aujourd’hui qu’elle s’érode rapidement (et peut donc sur-réagir).

    Le maintien d’une puissance occidentale réelle mais contenue dans des limites que nous imposent déjà les nouveaux rapports de force internationaux est le chemin de crêtes qu’il nous reste à emprunter. Il est celui d’une réaffirmation occidentale assumée mais mesurée. Par son histoire ancienne et par son affaiblissement relatif, le continent européen est probablement le mieux placé pour favoriser un tel équilibre, notamment entre la Chine et les Etats-Unis. Et particulièrement la France, qui a su pendant la Guerre froide continuer d’affirmer une certaine grandeur malgré le duel russo-américain qui se jouait au-dessus d’elle. Si cela revient à reconnaître que l’on ne pourra plus se projeter politiquement, militairement ou économiquement n’importe où dans le monde avec la force et la plasticité dont nous croyions disposer dans les années 1990, il faudra aussi réaliser que, dans un monde qui nous échappe partiellement, davantage contrôler nos marches et nos abords immédiats sera une nécessité vitale. Plutôt que de vouloir exporter à tout prix vers le marché chinois nos richesses, ne faudrait-il pas commencer par substituer certaines de nos importations pour regagner en autonomie et commencer tout simplement par dresser la liste de ce que nous voulons construire directement chez nous ? Et ce même si cela affecte un certain luxe auquel nous nous sommes habitués comme l’on devient dépendant à une drogue (des biens économiques vendus anormalement peu chers, favorisant un pouvoir d’achat artificiel et érodant nos propres structures économiques) ?

    Endiguer la Chine ?

    De même, pour prendre un exemple militaire, il est très heureux de voir que la Marine nationale est encore capable de se projeter en mer de Chine méridionale, comme l’a montré récemment la patrouille d’un sous-marin nucléaire d’attaque ou le passage du porte-hélicoptères amphibie Tonnerre. Pour tout amoureux de la Royale, le spectacle de ces navires portant le pavillon français à 10.000 kilomètres de Toulon est un spectacle émouvant. Le symbole est également fort, les renseignements acquis précieux, l’exercice formateur pour les marins, mais cette projection politiquement mâtinée de « containment » à l’américaine traduit en même temps un certain irréalisme eu égard à ce que sont devenus les rapports de force dans la région.

    Pourra-t-on réellement endiguer Pékin, qui joue à domicile ? En passe d’être dotée d’une flotte de « classe mondiale » (formule employée par les Chinois eux-mêmes pour signifier qu’elle sera au moins équivalente à l’US Navy dans un avenir proche, probablement bien avant 2049, date du  centenaire de la RPC), la Chine déploie a contrario sa marine avec une certaine retenue, se focalisant d’abord sur ses abords immédiats et n’élargissant de façon que très progressive son périmètre d’action, notamment aujourd’hui vers l’océan Indien. Son approche n’est pas globale et tous azimuts, mais au contraire mesurée et limitée sur le plan géographique, ce qui crédibilise d’autant plus sa puissance réelle que sa force est en accord avec sa stratégie. Plutôt que de nous projeter vers la Chine au risque de voir notre discours affiché et notre force réelle se découpler rapidement, ne nous faut-il pas en priorité renforcer nos abords ? Protéger davantage nos territoires ultramarins, notamment dans la zone Indo-Pacifique où ils font l’objet de la convoitise des Chinois ? Renforcer notre présence en Méditerranée, mer à laquelle nous sommes le plus directement exposés, où les Etats riverains remontent rapidement en puissance sur le plan naval, encouragés par des enjeux économiques, énergétiques, politiques et migratoires colossaux ?

    La Chine nous force aujourd’hui à abandonner notre rêve de toute-puissance qui, confronté au réel, se muait rapidement en une impuissance désespérante. Dans ce nouveau monde, l’Occident est voué à reculer en termes relatifs, ce qui n’est pas forcément une mauvaise nouvelle. N’est-il pas plus sain que la puissance soit mieux répartie à la surface de la planète, que des puissances régionales jouent également un rôle dans la définition des équilibres régionaux ? L’on ne pourra plus dire que l’Occident dominateur est la source de tous les maux. Libérés de cette accusation, nous pourrons de façon beaucoup plus réaliste redessiner les contours de notre puissance, une puissance bornée, limitée, maîtrisée et, par-là, peut-être beaucoup plus crédible et forte. 

    Alexis Feertchak (Geopragma, 10 mai 2021)

    Lien permanent Catégories : Géopolitique, Points de vue 0 commentaire Pin it!