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  • De la diplomatie publique à la guerre du vrai...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte de François Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et consacré à l'émergence d'une compétition des visions du monde... Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018). Avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, François-Bernard Huyghe vient de publier Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019).

     

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    De la diplomatie publique à la guerre du vrai

    Le projet d’influencer politiquement une population étrangère ou de mener une expansion idéologique hors de ses frontières est tout sauf neuf : il est fait mention d’agents d’influence chez Énée le Tacticien (IV° siècle avant notre ère) ou chez Sun Tsu (probablement mort en 470 av. J.C.). Mais les moyens techniques de diffusion de chaque époque limitent longtemps de telles stratégies : les idées des Lumières ou celles de 89 se répandent au rythme de l’imprimerie ou des voyageurs en diligence et ne touchent qu’une minorité. Et si, au moment de la guerre de 14-18, le cinéma et la photo ouvrent des espoirs de « conquérir les cœurs et les esprits » aux premiers théoriciens de la propagande (Creel, Ponsonby, Lippmann), il faut bien que les idées trouvent leurs vecteurs.

    Parler aux populations

    Pour simplifier, nous partirons de la guerre froide et du projet théorisé aux États-Unis sous le vocable de « diplomatie publique », terme qui se popularise au milieu des années 60 et une discipline qui s’enseigne toujours aujourd’hui. C’est d’abord une réponse à la propagande internationale soviétique. Vue de Washington, celle-ci paraît d’autant plus redoutable qu’elle s’appuie sur une double médiation : les partis frères de la III° internationale et le succès des idées marxistes ou anti-impérialistes auprès des intelligentsias, plus peut-être un peu de desinformatsya pour tromper la presse du monde libre. Après quelques essais de guerre culturelle surtout menée par la CIA - subventions cachées à des intellectuels anti-totalitaires, à des livres ou à des films pensant bien, voire à des expressions plastiques ou musicales plus modernes que le « réalisme soviétique » - la chose est systématisée par la création de l’US Information Agency fondée en 1953.

    Cette diplomatie qui s’adresse aux peuples par dessus la tête (et la censure) de leurs dirigeants est surtout connue pour avoir subventionné des radios (Voice of America, Radio Free Europe) émettant au-delà du rideau de fer en plusieurs langues. Elles devaient présenter une vitrine politique, économique et culturelle, qui fasse contraste avec l’univers communiste et surtout qui fasse envie. Plus subtilement, la diplomatie publique crée aussi des réseaux humains, à travers, par exemple, les bourses de la fondation Fullbright : elles servent à attirer les jeunes élites internationales, les futurs dirigeants de leur pays, pour leur faire connaître et aimer le mode de vie américain et les idées qui l’inspirent. Après le 11 septembre, certains plaideront aux États-Unis pour une « nouvelle diplomatie publique » destinée à combattre les idées islamistes ou obscurantistes et qui s’appuierait cette fois davantage sur les réseaux sociaux et la « société civile » (au sens des ONG, des think tanks ou des mouvements d’opinion internationaux). Mais globalement la stratégie reste la même. Elle résume dans la trilogie contrer, montrer, former.

    Contrer implique de combattre et délégitimer une idéologie adverse structurée, dans un jeu planétaire à deux où un seul doit l’emporter. Cette action de réfutation se réclame du principe de réalité : si seulement les gens réalisaient, ils seraient guéris des illusions de l’esprit malade et ils penseraient comme nous. Il s’agit donc de les guérir des mensonges des régimes autoritaires ou des doctrinaires. Montrer veut dire que la diplomatie publique est envisagée comme une révélation de vérités factuelles : en voyant notre mode de vie, notre véritable politique, notre culture, notre bonheur de vivre, notre liberté, sans la déformation qu’impose la propagande adverse, les gens ne peuvent manquer de se convertir à nos valeurs évidentes et universelles. Former, enfin, est sensé produire des individus libres et conscients qui participeront à ce processus de libération. Beaucoup à Washington, surtout chez les républicains, pensent que leur camp l’emportera parce que la supériorité politique intrinsèque des régimes occidentaux, leurs performances, la cohérence idéologique du libéralisme et, maintenant, la force de la communication des médias sans frontière vont dans le même sens.

    La diplomatie publique repose sur un volontarisme : créer des médias ad hoc, diffuser de bons messages, animer des réseaux, produire un contre-discours, autant de techniques qui s’apprennent et se subventionnent. Tout cela suppose un ennemi avec un projet de domination, sa rhétorique et ses moyens de diffusion, éventuellement prêt à profiter de la liberté d’expression occidentale pour désinformer les médias et contaminer les esprits. L’affrontement entre deux représentations du monde est symétrique dans ses objectifs (convertir) s’il ne l’est pas dans ses moyens (partis frère nationaux contre médias internationaux par exemple). À une déstabilisation/conquête de l’est doit répondre une subversion/libération de l’ouest et quelqu’un comme Reagan, qui n’avait probablement pas lu Gramsci, pensait volontiers que les idées (celles des think tanks par exemple) et les images que l’on produit comptent dans une lutte planétaire pour l’hégémonie idéologique.


    Un pouvoir sans contrainte

    La situation change avec la chute du communisme et son implosion idéologique, accélérée en partie grâce à la diplomatie publique pensent les uns, davantage par la culture mondiale de masse, diffusée par exemple par les chaînes télévisée de RFA visibles en RDA, diront les autres.
    Dans les années 90, un concept s’impose comme prophétie autoréalisatrice (le succès du mot prouvant celui de la chose) : soft power. En inventant ce vocable, lui-même assez « doux » ou mou pour mêler les idées d’attractivité, d’automaticité et de non coercition, le doyen Joseph Nye synthétise des tendances qui paraissent alors évidentes. Souvent présenté comme la « capacité de faire faire à d’autres ce qu’ils n’auraient pas fait autrement », donc ayant des finalités et une efficacité géopolitiques, le soft power tient à la fois de l’indéniable séduction de la culture américaine (allant du prestige de ses universités au succès des ses fast foods) et de la capacité du pays à amener les autres à adopter son point de vue, ses normes et ses objectifs. Le soft power serait donc à la fois ce qui plaît universellement - que l’on désire imiter ou acquérir- et ce qui s’imposera universellement - pourvu, notamment, que l’administration US sache paraître multilatérale et compréhensive avec les autres nations. La logique du soft power est celle de l’image d’un pays incarnant le futur de la globalisation. Mais cette image est exportée par des relais (des médias, des organisations gouvernementales et non gouvernementales, des élites formées au mode de penser du futur). Répandre le soft power consiste aussi à trouver des alliés et à répandre des codes juridiques, économiques, moraux, culturels, etc.
    Mais qui dit universel (ou naturel) pense souvent idéologique. L’idée va pourtant être contestée que valeurs et modèles made in U.S.A. s’imposent par le double effet de leur triomphe historique et de leur accord avec les aspirations de l’homme éternel.
    Bien entendu, l’anticipation d’un soft power s’imposant en douceur connaît vite ses ratés. Ni la conflictualité, ni la contradiction des valeurs (à commencer par celles qu’exprime l’antiaméricanisme), ni la résistance à l’unification de la planète ne se dissipent si vite au profit de la mondialisation heureuse. Le soft power américain se trouve confronté à ce que beaucoup analysent d’abord un peu hâtivement comme les derniers soubresauts de l’archaïsme.

    Il y a d’abord la nécessité morale supposée d’intervenir militairement contre un Saddam, un Milosevic, un Kadhafi stigmatisés par la conscience internationale. La criminalisation du coupable (tyran présenté d’abord comme ennemi de son propre peuple, massacreur, envahisseur, détenteur d’armes qui menacent le monde...) et la pédagogie d’une coalition internationale désintéressée, n’ayant d’ennemis que ceux du genre humain, tout cela nécessite des dispositifs de persuasion. La synergie des télévisions internationales par satellite (CNN en tête), des dispositifs militaires de psyops, guerre de l’information et autres, plus l’intervention d’agences de communication spécialisées dans la diabolisation de l’ennemi, les fameux spin doctors opère le travail de persuasion de l’opinion. Et la théorie s’adapte vite à la pratique : Joseph Nye produit le concept de smart power. Son principe est qu’une politique étrangère doit combiner « intelligemment », au mieux, séduction culturelle, pressions diplomatiques et économiques et actions militaires. Hillary Clinton adoptera le principe avec enthousiasme.

    Toute stratégie de changement de régime ne passe pas forcément par les armes. Dès la décennie 1990, l’exportation de la démocratie est soutenue par des dispositifs qui brouillent un peu la frontière entre la diplomatie publique stratégie et le soft power processus. Dès 1961, l’USAID (US Agency for International Development) finançait outre l’aide au développement des organisations comme le National Endowment for Democracy chargé d’aider à l’expansion démocratie libérale, pendant que la Freedom House, une Ong datant de la seconde guerre mondiale soutenait des organismes extérieurs « favorables aux droits civiques ». Selon la même logique le Freedom Support Act de 1992 est voté par le Congrès pour implanter« la liberté et le marché ouvert » dans l’ex-empire soviétique.

    Après la chute du Mur, les organisations publiques ou privées (dont les fameuses Fondations pour une Société Ouverte de G. Soros) engagent de gros moyens soit pour « former » de futurs dirigeants à la démocratie libérale, soit pour aider des groupes activistes pro-occidentaux à contrôler les élections dans leur pays, pour leur apprendre à mener des actions non violentes, les inciter à se doter de médias, notamment numériques. Et finalement leur montrer comment renverser leurs gouvernements autocratiques et antiaméricains. Sur un modèle testé en Serbie par OTPOR (mouvement de jeunes activistes serbes) en 2000, le schéma ressert dans toutes les révolutions dites de couleur : des roses en Géorgie 2003, orange en Ukraine 2004, des tulipes au Kirghizistan 2005, « en jean » en Bieléorussie 2005, « du cèdre » au Liban 2005. Bien entendu qu’il y ait une volonté « subversive » du Département d’État ou de fondations comme la Albert Einstein, qui enseigne littéralement l’art de la révolte ou de la résistance non violente, n’implique pas que le renversement de tous les autocrates soit l’œuvre de conspirations internationales, ni qu’il n’y ait pas de causes objectives à ces révoltes. La dimension technologique du processus est importante : dès 2010, H. Clinton déclare que les États-Unis soutiendront partout le droit de l’homme à se connecter sur Internet et aideront les cyberdissidences.

    Au moment du printemps arabe, une jeunesse qui n’est ni nationaliste ni islamiste, qui se réclame d’un idéal de démocratie à l’occidentale a appris à employer les réseaux sociaux comme outil international de mobilisation. Et ce à la barbe des autocrates qui pensaient leur pouvoir assuré par le contrôle des médias locaux. Du coup, les commentateurs sont tentés de prêter comme un pouvoir intrinsèquement libérateur au Web 2.0 et de suggérer un quasi déterminisme numérique : là où il y a Google, Facebook et Twitter, il y aura ouverture, libéralisme et démocratie. L’Histoire balaiera vite ces illusions.

    Mais le bouleversement le plus marquant est que l’Occident s’est redécouvert un ennemi principal avec le terrorisme djihadiste. Le onze septembre non seulement déclenche la spirale des engagements militaires, mais l’attentat pose un question douloureuse : « pourquoi nous haïssent-ils ? » qui devient vite « comment les déradicaliser ? ». La lutte contre la contagion idéologique suppose un contre-discours : réapparition d’actions de diplomatie publique, coopération avec les ONG, rechercher de méthodes quasi thérapeutiques pour guérir de cet extrémisme violent considéré comme une maladie psychologique. Les djihadistes savent jouer dans tous les registres : affrontement militaire ou de guérilla sur le terrain, terrorisme qui est, après tout, une propagande par le fait et un acte symbolique et propagande tout court. Al Qaïda (plus « web 1.0 » avec ses sites et ses forums de discussion) puis Daech (produisant pour le Web 2.0 des messages vidéos sophistiqués mais aussi capable de mettre en contact ses partisans sur les réseaux sociaux) sont parfaitement adaptés numérique. Le spectre du cyberdjihadisme capable de faire du prosélytisme et de la coordination en ligne et, demain peut-être, de mener de grandes cyberattaques de sabotage hante le monde. Et, en sens inverse, les recettes de guerre froide - mettre en contradiction les mensonges avec la réalité heureuse et tolérante de l’Occident - ne sont plus adaptés à un adversaire qui connaît notre culture ou notre technique mais possède un autre codes de valeur et un autre système d’autorité.

    De façon générales, deux des postulats du soft power commencent à poser question : que l’expansion « horizontale » d’une culture ou vision du monde (américaine, occidentale, globale ?) soit irrésistible et que la solidarité « verticale » de la mondialisation entraîne dans le même sens le changement technologique, l’économique, le politique et le culturel vers un modèle ouvert et global.

    Peurs occidentales

    La dernière phase que nous vivons est celle d’une inquiétude occidentale et du passage à une attitude défensive. Le phénomène a une dimension politique : les régimes autoritaires ne disparaissent pas et nombre de démocraties deviennent illibérales, tandis que monte l’influence de la Russie et de la Chine, les deux puissances dites « révisionnistes » de l’ordre mondial. Une second dimension est idéologique : les populismes avancent avec leurs idées conservatrices et identitaires. La troisième est médiologique : les moyens de communication internationaux, et surtout les réseaux sociaux, ne véhiculent pas nécessairement les idées « d’ouverture », bien au contraire. C’est donc un renversement de la trilogie sur laquelle se fondait théoriquement le soft power.

    Du reste, jamais en panne de néologismes, les think tanks ont produit des concepts sensés décrire ce changement :
    - la guerre hybride (hybrid warfare), un mélange d’interventions militaires classiques, de soutien à des mouvements de rébellion armée et de propagande internationale que mènerait la Russie
    - la weaponization de l’information, c’est-à-dire sa transformation en arme de déstabilisation que ce soit sous la forme de cyberattaque ou de désinformation et intoxication
    - le sharp power (pouvoir « aigu » qu’exerceraient la Chine et surtout la Russie) équivalents négatifs ou nihilistes du soft power occidental
    - etc.
    Tout un vocabulaire, qu’il serait trop long d’analyser ici, se met en place, en particulier dans les milieux proches de l’Otan, et tente de décrire des périls inédits qui constituent autant d’explications à la marche déplorable du monde.

    Ainsi, le Brexit, l’élection de Trump, voire le referendum catalan attribués à l’interférence russe (fake news et propagande par ses médias internationaux), à l’action déstabilisatrice des réseaux populistes, écosystème des fantasmes et des rumeurs, plus, d’une certaine façon à la technologie elle-même qui permet à chacun de s’enfermer dans sa « bulle de confirmation » en ligne avec ceux qui pensent comme lui. Ces explications oscillent entre la responsabilité d’une intervention déloyale facilitée par Internet et une sorte d’abaissement de l’esprit critique de la population, désormais prête à croire n’importe quoi, l’efficacité machiavélienne du message et la réceptivité niaise du public. Dans tous les cas, la perte d’attractivité de nos « valeurs » d’ouverture, de libéralisme et de progrès est assimilée à une sorte de panne de la vérité (certains philosophent déjà sur le thème de l’ère de la « post-vérité ») ; le faux serait serait trop convaincant et le vrai ne saurait plus se faire connaître (en dépit du soutien des gouvernements, des experts, des élites, des médias classiques, etc. pour rétablir la vérité). C’est un peu court : la crise du soft power ne peut s’expliquer ni par une manipulation d’un quelconque service, ni par les désordres psychiques des classes inférieures.

    À l’évidence, il faut revenir sur bien des espérances. Il y d’abord concurrence sur le strict plan du soft power. La Chine combine de plus en plus offensives de charme et de prestige avec des discours plus rassurants sur le multilatéralisme. On parlera aussi de soft power indien, coréen, qatari, etc., tant ces politiques se sont banalisées. Et, bien sûr, l’Europe jouit de son capital de sympathie et d’attractivité, la diplomatie culturelle de la France n’étant pas le plus mauvais moyen de la développer. Mais la conversion à des valeurs ou à des idées (à supposer que la Chine ou la Russie veuillent vraiment nous convertir à une quelconque doctrine) n’est pas seulement affaire de télévisions internationales, de trolls, de journalistes sympathisants ou d’algorithmes. Ni de bonne conduite à l’ONU. Il y a aussi des facteurs objectifs et, en dehors même de la personnalité de Trump - qui n’incarne guère le soft power - et de ses velléités isolationnistes qui déstabilisent ses alliés européens : les États-Unis ne sont plus l’hyperpuissance hard et soft en même temps. Pour ne donner qu’un exemple, la semaine où nous écrivons (en Juin 2018) l’échec du G7 chaotique fait contraste avec l’harmonie de l’Organisation de coopération de Shangaï. Peu de gens soutiendraient encore que l’ordre international libéral s’impose spontanément partout où pénètre Internet et où se développe le libre-échange.

    L’idée même d’un modèle idéologico-culturel destiné à remporter une sorte de compétition planétaire a trouvé ses limites : d’autres visions du monde qui s’implantent chacune dans leur aire géographique, culturelle ou spirituelle. Ne plus avoir d’ennemi unique est aussi un grand désavantage, et personne ne peut songer sérieusement à mettre dans le même sac le djihadisme sunnite et les ambitions chiites, le révisionnisme de l’ordre international préconisé par Pékin et par Moscou, les populismes européens, etc. L’idéologie de la fin des idéologie, plus qu’à des rhétoriques efficaces, s’est surtout heurtée à la pluralité indéracinable des identités et des croyances.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 31 juillet 2019)

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  • Guerre Commerciale Chine – Etats-Unis (suite) : la Guerre des OS aura bien lieu...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Christopher Coonen cueilli sur Geopragma et consacré à la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis sur la question du contrôle des données transitant par la téléphonie 4G et bientôt 5G. Membre de Geopragma, Christopher Coonen a exercé des fonctions de directions dans des sociétés de niveau international appartenant au secteur du numérique.

     

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    Guerre Commerciale Chine – États-Unis (suite) : la Guerre des OS aura bien lieu

    Depuis notre Billet du Lundi du 14 janvier dernier, qui traitait du déploiement de la 5G à l’échelle mondiale et de la confrontation entre la Chine et les Etats-Unis au sujet de la société Huawei, voici que ce conflit s’envenime plus encore, déclinaison numérique de la rivalité géopolitique tous azimuts entre ces deux empires.

    Pour rappel, Huawei est un leader mondial de construction de réseaux de communication et l’un des tous premiers fournisseurs de la dernière génération de technologie de téléphonie mobile 5G en cours de déploiement à l’échelle planétaire. Grâce au débit phénoménal de la 5G et à sa puissance logarithmique par rapport aux capacités du standard actuel 4G, nous assisterons à une très forte accélération de la quantité de données générées, échangées et analysées au niveau planétaire.

    Dans ce chapitre de ladite guerre commerciale, les enjeux de l’accès aux données et de leur traitement sont donc colossaux.

    D’une part, certains gouvernements sont inquiets de voir une puissance étrangère capter des données sensibles. Non seulement dans le cadre de l’utilisation de smartphones, mais aussi dans le contexte d’une myriade d’usages concernant les villes et engins connectés, qu’ils soient d’application civile ou militaire : les voitures autonomes, la domotique, mais aussi le ciblage de missiles seront de plus en plus dépendants de la 5G. Une opportunité certes, mais aussi une vulnérabilité si ces données et/ou leurs usages venaient à être captés et détournés par des parties adverses et tierces, soit directement sur les smartphones ou objets connectés, soit via des « portes » installées au sein des réseaux terrestres et sous-marins.

    Depuis le début de l’année, les Etats-Unis ont mis une pression maximale sur leurs propres opérateurs Verizon et AT&T et sur ceux d’autres pays, afin qu’ils interdisent à Huawei leurs appels d’offre pour équiper leurs réseaux avec la technologie 5G, leur préférant les prestataires occidentaux Cisco, Nokia, Alcatel ou encore Ericsson.  L’Australie, l’Allemagne, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Pologne, la République Tchèque, et le Royaume-Uni ont ainsi banni Huawei et son concurrent chinois ZTE de leurs appels d’offre … Jusqu’à faire chanter les Polonais en brandissant la menace d’annuler la construction d’une base de l’OTAN chiffrée à $2 milliards. En revanche, la Corée du sud, la Russie, la Thailande et la France testent la technologie Huawei et/ ou l’installent avec des caveats : la France par exemple, interdira à Huawei de géolocaliser ses utilisateurs français. D’autres pays comme l’Italie et les Pays-Bas explorent toujours la possibilité d’utiliser Huawei ou ZTE versus d’autres fournisseurs occidentaux.

    D’autre part, l’autre enjeu de tout premier ordre dans le déploiement de la 5G est celui de l’intelligence artificielle. Une façon de l’illustrer est d’imaginer les meta et micro données comme le « pétrole » nourrissant cette forme d’intelligence et le « machine learning » et les algorithmes comme « l’électricité » pour obtenir le résultat final qui permet de connecter toutes sortes d’objets chez les particuliers, au sein des villes, dans les applications militaires et de proposer des services qui vont préempter les souhaits des personnes ou des institutions avant même qu’elles n’en fassent la demande.

    Puisque la puissance de la 5G augmentera de manière significative la quantité de données générées et échangées, ce pipeline sera un facilitateur et un conduit stratégique pour abreuver les algorithmes de ce « pétrole ». La quantité des données est donc absolument primordiale pour offrir un niveau inégalé dans la qualité de cette intelligence artificielle. Et la Chine, avec sa démographie cinq fois supérieure à celle des Etats-Unis, a d’emblée un avantage concurrentiel dans la quantité de données pouvant être captées et traitées. Plus encore si elle a accès aux données des populations d’autres nations via les applications des smartphones …

    C’est donc sans surprise que la détérioration de la relation sino-américaine s’est creusée et qu’une escalade des tensions se manifeste de plus en plus explicitement depuis quelques semaines :  Google, Facebook et d’autres géants américains du Net ont annoncé qu’ils interdisaient à Huawei et aux autres acteurs chinois l’accès à leur Operating System/OS comme Androïd et à leurs applications.

    Outre l’interdiction d’accès aux données, ce sont des décisions lourdes de conséquences et de risques in fine d’ordre stratégique car elles vont pousser l’entreprise chinoise (et peut-être aussi les Russes qui sait ?), à développer leur propre OS. Huawei a d’ailleurs réactivé son OS « Hongmeng » en sommeil depuis 2012.

    Cette récente rétorsion américaine va donc engendrer une réaction en chaine à l’issue ultime encore imprévisible. Dans l’immédiat, c’est la complexité de gestion et les risques de confusion pour les consommateurs mais aussi les opérateurs téléphoniques et tout l’écosystème des développeurs d’applications qui vont exploser. En effet, au lieu de développer deux versions d’une même application et d’obtenir les certifications nécessaires de la part d’Apple et d’Android/Google, les développeurs devront désormais le faire à trois voire quatre reprises. Les coûts de maintenance et de mises à jour des applications vont exploser.

    Malgré tout, cette action s’inscrit logiquement dans cette « ruée vers les données » car du point de vue des Etats-Unis, toute démarche qui limite l’accès des données afférentes aux milliards de comptes des applications est bonne à prendre.  « Malgré eux », les acteurs chinois vont s’affranchir de la domination américaine et exercer une nouvelle forme de souveraineté technologique et économique en développant leurs propres OS.

    Il est probable que Huawei équipera de nombreux pays avec sa technologie 5G ; c’est logique par rapport à son expertise et à son poids dans le secteur et au rôle de premier plan de la Chine dans l’économie mondiale. Après tout, les Etats-Unis n’ont-ils pas équipé depuis les années 1920 la plupart des pays avec des ordinateurs personnels, des réseaux informatiques, des serveurs et des smartphones ? Nous sommes-nous posé les mêmes questions avec autant de discernement depuis lors sur l’accès aux données par leurs sociétés et le gouvernement américain ? Il est certain que les activités de la NSA et l’adoption des lois US « Cloud Act I et II » ont permis aux GAMFA (Google, Apple, Microsoft, Facebook et Amazon) et à l’Oncle Sam d’accéder aux données de milliards d’inter- et mobinautes.

    L’appréciation de cette rivalité sino-américaine est sans doute le fruit de l’hypocrisie d’un empire jaloux envers la montée en puissance d’un autre, et nous ne pouvons que déplorer à nouveau l’absence de l’Europe comme acteur incontournable de ces développements technologiques et économiques majeurs. La guerre des OS aura bien lieu, et le « Vieux » continent sera en plein tir croisé.

    Christopher Th. Coonen (Geopragma, 18 juin 2019)

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  • Dynamiques eurasiennes...

    Nous vous signalons la publication du numéro 24-25 de la revue Perspectives libres consacré à la perspective eurasienne.

    La revue Perspectives libres, dirigée par Pierre-Yves Rougeyron, est publiée sous couvert du Cercle Aristote et est disponible sur le site de la revue ainsi qu'à la Nouvelle Librairie.

     

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    Au sommaire :

    Pierre Yves Rougeyron – Dévoilement 

    DOSSIER

    James O’Neill – La géopolitique mouvante de l’Eurasie : un panorama

    Clément Nguyen – Le flanc occidental du Heartland : théâtre des interactions stratégiques

    Romain Bessonnet – Politique eurasiatique de la Russie : histoire d’un pivot géostratégique

    Dmitry Mosyakov – « La politique russe en Mer de Chine méridionale ».

    Dr Pavel Gudev – Les problématiques et perspectives de la route maritime arctique

    Martin Ryan –  « Belt and Road Initiative » : nouvelle étape dans l’autonomisation des pays du Caucase du Sud ?

    Paulo Duarte – La place de l’Afghanistan dans la « Belt and Road Initiative »

    Shebonti Ray Dadwal – Les approvisionnements énergétiques de l’Inde sous le gouvernement Modi.

    Clément Nguyen – La  « Belt & Road Initiative » s’étend à l’Afrique

    Nicolas Klein – Les miettes du festin : Commentaire succinct sur l’insertion de l’Espagne dans la Nouvelle Route de la soie

    Francisco José Leandro – Géopolitique de la  « Belt ans Road Initiative» : Le nouvel institutionnalisme financier

    Kees van der Pijl- La mondialisation et la doctrine de la Guerre Perpétuelle

    Yves Branca – Tianxia : Le monde en tant que corps et sujet politique ?

    LIBRES PENSEES

    Thierry Fortin – Les accords de Lancaster House face au BREXIT : consolidation ou décomposition ?

    Philippe Renoux – La dictature du dollar

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  • Réseaux 5G : encore une révolution qui échappe à l’Europe ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Christopher Coonen cueilli sur Geopragma et consacré aux enjeux pour l'Europe de la technologie 5G. Membre de Geopragma, Christopher Coonen a exercé des fonctions de directions dans des sociétés de niveau international appartenant au secteur du numérique.

     

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    Réseaux 5G : encore une révolution qui échappe à l’Europe ?

    Le mot « 5G » sera sur toutes les lèvres lors du « Mobile World Congress » du 25 au 28 février prochains, grand-messe mondiale annuelle de la téléphonie mobile à Barcelone. Pourquoi ? Car c’est l’héritier tant attendu du standard actuel, la 4G.

    Nous utilisons nos smartphones en France et en Europe depuis 2012 à leur plein potentiel grâce à la 4G. Ce fut alors une petite révolution, car la 4G offrait deux atouts : premièrement, elle permettait la circulation des appels vocaux directement par Internet et non plus par le réseau téléphonique. Deuxièmement, la 4G s’appuyait sur le « multiplexage » (passage de différents types d’information par le même canal) permettant d’augmenter les flux d’informations et des données.

    Le réseau 4G donne un aspect superlatif au terme haut débit. A juste titre : ses débits théoriques sont nettement supérieurs à la génération précédente (3G), allant de 42 Megabits / seconde à 300 Megabits / seconde pour la « LTE » (Long Term Evolution). La « LTE Advanced » va au-delà de 1 Gigabit/seconde.

    Les inventeurs de WhatsApp ne s’y étaient pas trompés, lançant en 2009 une application Android et iOS permettant un service de messagerie, de MMS (envoi de messages enrichis de photos, vidéos et messages vocaux), et d’appels vocaux, tous gratuits sous réseau WIFI, faisant trembler les opérateurs traditionnels de téléphonie mobile qui voyaient déjà leurs millions d’abonnés les déserter. Pour la petite histoire, ces démissionnaires de Yahoo! avaient postulé chez Facebook et vu leurs candidatures rejetées, avant de se faire racheter à prix d’or quelques années plus tard en 2014 par le même Facebook pour la modique somme de 19 milliards de dollars…Facebook impliqué dans le scandale de l’usurpation de données via Cambridge Analytica, et décrié par certains de ses anciens employés pour une insoutenable légèreté de l’être s’agissant du traitement des données personnelles. Facebook a 1,7 milliard d’abonnés au niveau mondial, WhatsApp 1,5 milliard – de lourds enjeux.

    Nous voici au cœur du sujet : avec la 5G, le débit de données sera 10 à 100 fois plus puissant qu’avec la 4G. Au-delà des calculs et des quantités de débit, il existe un calcul de pouvoir, d’influence et de renseignement qui devrait inquiéter au plus haut point tous dirigeants politiques, militaires et d’entreprises. En effet, contrairement à la 4G, les données ne seront plus uniquement transportées d’un point A vers un point B, mais bien interactives dans tous les sens et depuis de multiples sources, rendant la gestion des villes connectées, les utilisations des voitures autonomes ou encore des drones civils et militaires bien plus efficaces avec des réactions en contexte et en temps infiniment réel. C’en sera fini de la « latence technologique ».

    Or, face à ces enjeux de souveraineté colossaux, comme d’ailleurs sur bien d’autres sujets, l’Europe se retrouve de nouveau coincée entre les Etats-Unis et la Chine.

    Les grandes manœuvres ont débuté pour l’attribution des licences 5G à l’échelle mondiale, ainsi que les appels d’offre organisés pour la construction de ce réseau révolutionnaire qui comprendra des « backbones » de fibre optique terriens et sous-marins, des routeurs et des réseaux du dernier kilomètre. Les entreprises qui les installeront auront à gérer leur part de réseau et les données y transitant, et pourraient assez facilement créer des « portes arrière » pour capter et potentiellement copier celles-ci.

    Imaginons le revers de la médaille. Ces applications tellement plus puissantes et versatiles auront aussi leur talon d’Achille : les hackers d’Etat, petits ou grands, ou des pirates informatiques privés, pourront créer de véritables crises et failles en déréglant la circulation de véhicules en ville, paralysant totalement ces mêmes villes, ou encore en faussant le ciblage de la livraison d’un colis ou d’un missile…Il n’existe pas pour le moment de standard de cryptographie et de sécurité associé à la 5G.

    Entre temps, sur l’autre rive de l’Atlantique, le Président Trump a pourtant adressé aux agences fédérales en octobre 2018 l’un de ses « Memorandum » : « il est impératif que les Etats-Unis soient les premiers dans la technologie cellulaire de cinquième génération (5G) », soulignant que la course à la 5G avec la Chine était une priorité de sécurité nationale. Mais en oubliant de mentionner l’importance de la cyber-sécurité de ces nouveaux réseaux et abrogeant même des dispositions prises par la « Federal Communications Commission » de l’administration du Président Obama pour que les réseaux de la 5G soient sécurisés en amont par des standards pour réduire les risques d’intrusions et de cyberattaques…

    C’est donc un vide sidéral de part et d’autre face à des dangers très tangibles et incroyablement destructeurs. S’affrontent sur cette question de standards gouvernements et acteurs privés, et ces derniers ont bien plus de chance d’innover rapidement et de se mettre en ordre de bataille avant que ne le fassent les bureaucraties d’Etat ou pire la bureaucratie communautaire avec telle ou telle « directive » ; notre regard peut s’arrêter sur l’impuissance et même l’inconscience des nations sur ces sujets depuis vingt ans sur toutes sortes de questions liées à la technologie… En l’absence de standards et de supervision, tout est possible.

    Avec la 5G se dessine donc un combat mondial entre les géants qui construisent et gèrent déjà nos réseaux 4G en Europe : Cisco (US), Ericsson, Nokia et Alcatel (EU) –qui tous trois possèdent des parts de marché minoritaires aujourd’hui – et deux géants chinois, ZTE et Huawei. Cette dernière a fait les choux gras des quotidiens récemment, avec la détention de sa DAF (surtout fille du fondateur) au Canada sous mandat d’arrêt des Etats-Unis pour violation potentielle des sanctions mises en place contre l’Iran. Huawei s’est vue qualifiée par la Commission Européenne de société « inquiétante » car les terra datas qu’elle traite pourraient tomber dans la nasse des services de renseignements chinois. Huawei est en pleine ascension en Europe, ayant doublé ses effectifs entre 2013 et 2018 pour atteindre 14.000 employés, avec une part de marché des infrastructures de réseaux européens estimée à 15-20%. Son chiffre d’affaires en 2018 s’est établi à 100 milliards de dollars, plus que Cisco et même IBM. Elle a détrôné Apple pour devenir le deuxième vendeur de smartphones au monde, derrière Samsung.

    Contre ce mastodonte, les Etats-Unis mènent une campagne de pressions notamment envers les opérateurs télécom en Europe, ainsi qu’envers nos gouvernements pour sortir Huawei de cette « course aux armements » du 21ème siècle d’un nouveau genre. L’Administration américaine a dépêché des émissaires au Royaume-Uni, en Allemagne, et en Pologne en 2018 pour faire passer un message très clair : les gains de coûts associés au fait d’utiliser un prestataire tel que Huawei sont sans commune mesure avec les risques (et coûts) d’intrusions chinoises dans les infrastructures de l’OTAN…et la possible remise en cause de la construction d’une base de l’armée américaine en Pologne évaluée à USD $ 2 milliards. L’effet de cette campagne s’est même fait ressentir jusqu’en Australie qui a sorti Huawei des appels d’offres liés à la 5G.

    Lorsque Huawei et ZTE ont remplacé les puces américaines par des chinoises dans leurs smartphones, le gouvernement des Etats-Unis a sommé ses deux plus importants opérateurs de téléphonie mobile, AT&T et Verizon, d’arrêter la vente de ces smartphones dans leurs boutiques. Ils s’y sont pliés sans broncher.

    La crainte des Etats-Unis repose en partie sur une loi de l’Empire du Milieu datant de 2017, la « Loi Nationale d’Intelligence », qui enjoint les sociétés chinoises de soutenir et de coopérer avec les services de renseignement chinois, où qu’elles opèrent.

    Mais cette posture du gouvernement américain est imprégnée d’une hypocrisie sans vergogne. Car dans cette affaire, il existe aussi un angle « NSA » (National Security Agency), les « Grandes Oreilles » de notre grand allié qui sont allées jusqu’à épier les téléphones mobiles de chefs d’Etat « amis ». En 2013, son directeur, l’Amiral Michael S. Rogers, avait interdit aux dirigeants des opérateurs télécom américains d’inclure Huawei ou tout autre acteur chinois dans leurs appels d’offre. Ensuite, grâce aux révélations d’Edward Snowden, nous savons qu’une opération de piratage conduite à partir de 2010 par cette même agence, nommée « Shotgiant », lui a permis de s’immiscer dans les systèmes d’information du géant à son QG à Shenzhen. Cette intrusion n’aurait apparemment pas révélé l’existence de codes sources « malins » ou de programmes systématiques de collecte de données.  Le gouvernement américain continue à ce jour de démentir l’existence d’une telle opération.

    Et l’Europe, où est-elle dans tout cela ? Elle est loin sur son propre territoire, de reconstruire et même simplement de rénover son propre réseau avec les seuls acteurs nordiques et français. Elle se retrouve coincée entre les acteurs publics et privés chinois et américains. Peut-être pourrait-elle donner l’exemple comme elle l’a fait avec la RGPD, encore faudrait-il qu’il y ait une véritable prise de conscience et une ambition stratégique de la part de nos leaders politiques pour « sécuriser » cette révolution technologique, protéger les données confidentielles de nos entreprises et de nos gouvernements, et même pour s’en emparer. Il y a urgence. La mise en place de la RGPD est en effet d’ores et déjà elle-même menacée par le « Cloud Act II » voté par le Congrès américain en 2018.

     

    Christopher Th. Coonen (Geopragma, 11 février 2019)

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  • Vers la guerre ?...

    Les éditions Odile Jacob viennent de publier un essai de Graham Allison intitulé Vers la guerre - L'Amérique et la Chine dans le Piège de Thucydide ? . Politologue, professeur à Harvard, Graham Allison a exercé des fonctions de conseiller politique au secrétariat de la défense sous plusieurs administrations.

     

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    " La Chine et les États-Unis se dirigent vers une guerre dont ils ne veulent pourtant ni l’un ni l’autre. Pour éclairer ce paradoxe, Graham Allison invoque ce qu’il appelle le Piège de Thucydide, qui se met en place quand une puissance émergente vient défier la puissance régnante. C’est Athènes se dressant face à Sparte.

    Au cours des cinq derniers siècles, cette configuration mortelle s’est présentée seize fois ; à douze reprises, elle s’est soldée par une guerre. Aujourd’hui, alors que Xi Jinping comme Donald Trump prétendent « restaurer la grandeur » de leur pays, la dix-septième occurrence se profile à l’horizon de manière sinistre.

    À moins que Pékin n’accepte de modérer ses ambitions ou que Washington ne renonce à sa suprématie dans le Pacifique, un conflit commercial, une cyberattaque ou un simple incident maritime pourraient bien entraîner une rapide escalade vers la guerre…

    Vers la guerre offre la meilleure grille de lecture pour comprendre les relations sino-américaines au XXIe siècle. En s’appuyant sur de nombreux cas historiques, Graham Allison rappelle que les puissances rivales d’hier ont su bien souvent préserver la paix. Reste à espérer que la Chine et les États-Unis sauront prendre les difficiles mesures qu’il préconise, seules à même d’éviter le désastre. "

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  • Quand la santé de l’économie américaine n’est qu’apparente…

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la question du dollar et de l'économie américaine... Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et L'écriture runique et les origines de l'écriture (Yoran, 2017). Son dernier essai est intitulé Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « La bonne santé de l’économie américaine n’est qu’apparente… »

    On connaît la phrase fameuse de Henry Kissinger : « Le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème. » On en est toujours là ?

    Cela s’est même aggravé. En 1973, la fin du système de Bretton Woods avait consacré le règne de l’étalon-dollar comme première monnaie de réserve mondiale et inauguré l’ère de la mondialisation, en permettant aux États-Unis d’acheter ses produits à crédit au reste du monde et de financer des déficits courants extraordinairement élevés en vendant des obligations du Trésor à leurs partenaires commerciaux au lieu de payer leurs importations avec de l’or.

    Depuis, les États-Unis ont imposé la règle selon laquelle toute transaction utilisant des dollars américains relève automatiquement de la juridiction américaine, même si elle ne concerne que des sociétés non américaines effectuant une transaction en dehors des États-Unis. Tous les pays sont également dans l’obligation de s’aligner sur les sanctions décrétées par les États-Unis sous peine d’être sanctionnés à leur tour. En 2014, BNP Paribas avait ainsi écopé d’une amende de près de neuf milliards de dollars pour avoir violé des embargos décidés par les États-Unis en effectuant des transactions en dollars. Plus récemment, la Chine a été sanctionnée pour avoir acheté des systèmes d’armement à des entreprises russes. En France, Total et Peugeot ont dû rompre leurs relations commerciales avec l’Iran au seul motif que Donald Trump a décidé de sortir de l’accord conclu par son prédécesseur avec Téhéran.

    Enfin, l’adoption, l’an dernier, du « Cloud Act » (Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act) permet maintenant à l’État américain d’accéder à sa guise aux données sensibles de tout acteur économique sous le coup d’une enquête de la Justice américaine, y compris les données stockées à l’étranger.

    On dit que l’économie américaine se porte bien et que le chômage est au plus bas (moins de 4 %).

    Parce qu’on ne comptabilise plus tous les chômeurs ! Si l’on réintègre dans les statistiques les « discouraged workers », c’est-à-dire ceux qui ont renoncé à chercher un emploi, soit 23 millions de personnes, on constate que le véritable taux de chômage est beaucoup plus élevé : 10,5 %, selon les plus optimistes, et jusqu’à 23 %, selon les autres. La population active a augmenté de 21 millions depuis 2007, mais seulement deux millions d’entre eux ont aujourd’hui un travail à plein temps. Au total, il y a aujourd’hui 95 millions d’Américains aptes au travail qui n’ont pas d’emploi. Le tout sur fond de stagnation des salaires et des revenus, de désindustrialisation et d’envol des inégalités entre les 1 % les plus riches et la grande majorité de la population.

    La bonne santé de l’économie américaine est seulement apparente. Vous savez qu’en février 2017, les États-Unis ont purement et simplement décidé d’abandonner le plafonnement de leur dette, que George W. Bush avait déjà fait doubler, suivi par Obama, qui en a fait autant. L’endettement public, qui n’était que de 280 milliards de dollars en 1960, a atteint 22.000 milliards de dollars en 2018, et l’on prévoit déjà que l’on arrivera à 30.000 milliards d’ici à dix ans, soit une augmentation de trois milliards de dollars par jour ! Si l’on ajoute à la dette fédérale brute (108 % du PIB) celle des États (state debt), des comtés et des municipalités (local debt), on arrive à près de 120 % du PIB. Et si l’on ajoute encore la dette des particuliers et des ménages, on arrive au chiffre astronomique de 72.000 milliards de dollars, soit 86 % du PIB mondial et 3,5 fois le PIB américain !

    Les chiffres publiés le mois dernier montrent, par ailleurs, que le déficit commercial américain vis-à-vis de la Chine a pulvérisé, une fois encore, son record historique en s’établissant à 43,1 milliards de dollars pour le seul mois d’octobre. Ce qui signifie que Trump a déjà perdu la guerre commerciale qu’il a lancée contre Pékin ; ce qui n’a rien d’étonnant, car les États-Unis dépendent beaucoup plus de la Chine pour leurs importations que la Chine ne dépend des États-Unis pour les siennes.

    En fait, les États-Unis sont un pays virtuellement en faillite, qui ne peut plus survivre qu’en s’endettant à un rythme de plus en plus rapide. La dette ne sera, bien sûr, jamais remboursée, et il n’est pas exclu que même les intérêts ne puissent plus être payés. À l’heure actuelle, le seul service de la dette représente 333 milliards de dollars par an ! Dans ces conditions, le dernier atout des Américains tient au fait qu’un effondrement des États-Unis aurait des conséquences catastrophiques pour la plupart de ses partenaires, à commencer par la Chine. Mais cela ne signifie pas qu’à la faveur d’un nouveau krach mondial, cet effondrement ne puisse pas se produire, ce qui serait dramatique pour les épargnants et les cotisants des sociétés d’assurances et des fonds de pension. On ne peut écarter, dans cette perspective, la possibilité d’une guerre civile dans un pays où 300 millions d’armes à feu sont en circulation.

    Il y a quatre ans, nous avions déjà parlé de cette « dédollarisation » qui pourrait mettre un terme à l’hégémonie mondiale de la monnaie américaine. Où en est-on ?

    Même si la majeure partie des échanges internationaux restent réglés en dollars, les efforts de dédollarisation se poursuivent, malgré les menaces de Washington contre quiconque tente de fuir le système. Les États-Unis représentent une part de plus en plus petite de l’économie mondiale et subit la pression d’autres acteurs, à commencer par les BRICS*. Mais il faut bien comprendre qu’il n’est pas facile de s’entendre sur une unité de compte mondiale de remplacement. Les propriétaires étrangers de dette américaine savent très bien qu’ils ne seront jamais remboursés, mais ils savent aussi qu’en cherchant à se débarrasser de leurs bons du Trésor américains, ils risquent de provoquer un effondrement du marché des obligations qui leur serait préjudiciable. Si nombre de partenaires commerciaux des États-Unis continuent d’investir leurs surplus de dollars dans des actifs libellés en dollars, c’est aussi qu’une conversion de ces surplus dans leur propre monnaie entraînerait une appréciation de leur monnaie et, donc, une baisse de leurs exportations.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 16 janvier 2019)

    * NDLR : BRICS, acronyme anglais pour désigner un groupe de cinq pays : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.

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