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  • Un nouveau partage du monde est en train de se structurer...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Caroline Galactéros à Figaro Vox, dans lequel elle commente les récentes déclaration d'Emmanuel Macron à l'hebdomadaire The Economist sur la situation de l'Europe. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019) et intervient régulièrement dans les médias. Elle a créé récemment, avec Hervé Juvin entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    Caroline Galactéros: «Un nouveau partage du monde est en train de se structurer»

    FIGAROVOX.- Le magazine The Economist consacre son dernier numéro et sa couverture à une interview d’Emmanuel Macron dans laquelle il affirme que le monde est au bord du précipice. La situation internationale est-elle aussi apocalyptique que celle que décrit le chef de l’État?

    Caroline GALACTEROS.- Il me semblait que le Président, dans son interview, avait appliqué cet oracle à l’Europe et non du monde. Le monde n’est pas du tout au bord du précipice. Il se rééquilibre autour de puissances qui assument leur souveraineté, définissent leurs ambitions et se donnent les moyens de les mettre en œuvre. Ce sont nos utopies qui sont en déroute et c’est bien l’Europe qui tombe dans l’insignifiance stratégique (une forme de mort cérébrale) subitement privée de la béquille mentale que lui fournissaient le lien transatlantique et son alignement servile sur les injonctions américaines. Quant à la France, elle danse sur un volcan et pas seulement au plan extérieur. Si la présente lucidité présidentielle se consolide par des actes et des dynamiques durables, alors nous éviterons le pire et peut-être même renverserons-nous enfin la vapeur à notre avantage. Ce serait là, sur le plan stratégique, une vraie et salutaire «disruption». Après Biarritz, Moscou, la Conférence des Ambassadeurs et désormais cette interview, la grande question est désormais la suivante: Jusqu’à quel point sommes-nous déterminés à désobéir et à assumer les critiques ou la résistance active de certains de nos partenaires européens?

    Le rôle de pionnier, de défricheur d’une voie nouvelle est périlleux et demandera beaucoup de ténacité. Jusqu’au moment où certains de nos partenaires, entrevoyant la liberté, voleront au secours de la victoire et nous emboîteront le pas, notamment en Europe du sud mais pas seulement. Notre vieux continent est en pleine dépression post-traumatique non traitée. Le choc? Notre abandon sans états d’âme par la figure paternelle américaine. Sur le fond, rien de bien nouveau mais le verbe trumpien nous a brutalement ouvert les yeux sur le profond mépris et l’indifférence en lesquels Washington nous tient. La servilité ne paie jamais vraiment. Emmanuel Macron a bien raison de douter de l’applicabilité de l’article 5 du Traité de l’Alliance atlantique. Le problème n’est pas de savoir si les États-Unis voleraient au secours d’un État européen attaqué par la Russie ou Chine. La Russie a vraiment d’autres chats à fouetter et la Chine «attaque» déjà l’Europe tous azimuts économiquement. Non, le problème est bien celui d’un fatal entraînement de la France ou d’un autre membre de l’Otan si jamais la Turquie venait à être prise à partie militairement par la Syrie en réponse à sa violation caractérisée de la souveraineté syrienne. Scénario peu probable à vrai dire, car Moscou ne laissera sans doute pas un tel engrenage ruiner ses patients efforts pour en finir avec la déstabilisation de son allié moyen oriental. Même chose si l’Iran venait à réagir à une provocation savante téléguidée par Washington. Moscou, Téhéran et Ankara ont partie liée pour régler le sort de la Syrie au mieux de leurs intérêts respectifs et Washington comme Damas n’y peuvent plus rien. Ce qui est certain, néanmoins, c’est que la Turquie n’agit à sa guise en Syrie qu’avec l’aval américain. Washington laisse faire ce membre du flanc sud de l’Alliance qui lui sert en Syrie de nouvel agent de sa politique pro islamiste qui vise à empêcher Moscou de faire totalement la pluie et le beau temps dans le pays et la région. Ankara gêne aussi l’Iran. Bref, ce que fait Erdogan est tout bénéfice pour Washington. Et les Kurdes ne font pas le poids dans ce «Grand jeu»? En conséquence, c’est bien l’Amérique qui dirige toujours et complètement l’Otan. S’il est bien tard pour s’en indigner ou faire mine de le découvrir, il n’est pas trop tard pour se saisir de cette évidence et initier enfin une salutaire prise de distance de l’Europe par rapport à une Alliance qui ne traite nullement ses besoins de sécurité propres.

    Nous restons extrêmement naïfs. Nous n’avons jamais eu voix au chapitre au sein de l’Alliance pas plus d’ailleurs depuis que nous avons rejoint le commandement intégré pour nous faire pardonner notre ultime geste d’autonomie mentale de 2003 lorsque nous eûmes l’audace de ne pas rejoindre la triste curée irakienne. Il faut que nous ayons aujourd’hui le courage d’en sortir et de dire que l’OTAN ne correspond pas à la défense des intérêts sécuritaires de l’Europe et d’ailleurs que l’épouvantail de la prétendue menace russe est une construction artificielle destinée à paralyser le discernement des Européens, à les conserver sous tutelle, à justifier des budgets, des postures, des soutiens résiduels au lieu de construire enfin une véritable stratégie propre à l’Europe en tant qu’acteur et cible spécifique stratégique. Je rejoins là notre président. Mais je ne crois pas du tout que L’OTAN soit en état de mort cérébrale. Il devient juste clair que ce qui pouvait, aux yeux de bien des atlantistes, justifier notre alignement silencieux et quasi inconditionnel a vécu. Trump veut faire payer les Européens pour qu’ils achètent des armes…américaines et obéissent aux décisions d’intervention américaines qui ne les concernent pas. Il est temps de ne plus supporter ce chantage et de sortir de l’enfance stratégique. Nous en avons les moyens. Il ne manquait que la volonté.

    De son côté l’UE peine à définir une politique étrangère commune, croyez-vous la diplomatie européenne encore?

    Je n’y ai jamais cru! Je ne vous rappellerai pas le cruel sarcasme de Kissinger «l’Europe? Quel numéro de téléphone?» Ce qui est possible, c’est de faire sauter un tabou ancien qui veut que l’affirmation de la souveraineté des nations européennes soit antinomique de la puissance collective et un autre, qui veut que l’élargissement de l’UE ait été destiné à la rendre puissante et influente. C’est précisément tout l’inverse. Mais il est trop tard pour regretter cet élargissement brouillon et non conditionnel stratégiquement. Il faut partir du réel et le réel, c’est qu’il existe une très grande divergence entre les intérêts stratégiques américains et ceux des Européens qui doivent se désinhiber. La France peut prendre la tête de cette libération et favoriser une conscience collective lucide et pragmatique des enjeux communs sécuritaires et stratégiques.

    Il faut commencer par une véritable coopération industrielle à quelques-uns en matière de défense, sans attendre une unanimité introuvable. Il faut créer des synergies, faire certaines concessions et en exiger d’autres, et ne plus tolérer la moindre critique de Washington sur les contributions à une Alliance enlisée dans d’interminables et inefficaces opérations.

    Alors qu’Emmanuel Macron rentre d’un voyage officiel en Chine, vous écrivez, «La Chine a émergé tel un iceberg gigantesque». La Chine est en train de tisser son empire autour du globe, est-elle en train d’imposer son propre contre modèle à l’Occident?

    Pékin agit très exactement comme Washington et joue l’Europe en ordre dispersé. Oui le «contre monde» comme je l’appelle est en marche. La Chine profite du tirage entre Washington et les Européens au fur et à mesure que les pays européens prennent conscience qu’ils ne comptent plus pour l’Amérique, mis à part pour justifier un dispositif otanien contre Moscou et empêcher le rapprochement stratégique avec la Russie qui seule pourrait donner à l’Europe une nouvelle valeur ajoutée dans le duo-pôle et triumvirat Washington -Moscou-Pékin. C’est Sacha Guitry je crois qui disait que les chaînes du mariage sont si lourdes qu’il faut être trois pour les porter. L’adage est valable pour l’Europe à mais aussi pour Moscou qui sait combien «le baiser de la mort» chinois peut à terme lui être fatal. L’Europe n’a donc pas encore tout à fait perdu de son intérêt aux yeux de Moscou même si, en ce qui concerne la France, la charge affective et historique du lien a été très abîmée. Il me semble donc que l’initiative française d’une relance d’un «agenda de confiance et de sécurité» est un pas important dans cette direction qu’il faut jalonner à bon rythme de réalisations concrètes.

    La guerre commerciale semble être la forme conflictuelle privilégiée par l’administration de Donald Trump. Les sanctions américaines pleuvent sur les entreprises chinoises, en Iran, en Russie. La guerre commerciale devient-elle un des éléments structurant d’un monde Yalta 2.0?

    La fin de l’utopie d’une mondialisation heureuse a permis la résurgence d’un politique de puissance et d’influence décomplexée. Or le commerce est l’instrument privilégié de ces relations. Il n’y a qu’en France que l’on croit encore aux pures amitiés et aux affections qui guideraient les rapprochements entre États. Attention! Je ne veux pas dire que les relations personnelles, l’empathie ou l’animosité ne comptent pas, bien au contraire. Mais ce qui compte dans l’établissement du rapport de force et dans la consolidation des rapprochements, ce sont les complémentarités économiques mais aussi culturelles et même civilisationnelles et surtout la fiabilité de la parole donnée et la crédibilité interne des dirigeants.

    Votre livre donne un aperçu global de l’état des relations diplomatiques depuis les cinq dernières années. Le monde depuis 1989, puis 2001 est en constante restructuration. Le jeu des puissances est mouvant. Quelle place la France peut-elle occuper dans un monde géopolitique si instable et imprévisible? Comment peut-on participer à construire une «coexistence optimale»?

    La France doit se voir en grand car elle a de sérieux atouts de puissance et d’influence mais elle n’en use pas à bon escient. Elle se complaît dans la repentance et l’alignement. Notre place dépendra en premier lieu de notre capacité à structurer une vision et un chemin puis dans notre ténacité à défendre nos intérêts et à affirmer nos principes.

    Il nous faut effectuer un tournant pragmatique en politique étrangère et en finir avec l’idéologie néoconservatrice. Celle-ci a dramatiquement vérolé toute une partie de notre administration et de nos élites qui ne savent plus ce qu’est l’intérêt national. La France est toujours une puissance globale. Plus que nombre d’autres. Simplement elle doit retrouver une économie florissante, restructurer son industrie, remettre son peuple au travail autour d’un projet de prospérité lié à l’effort et non à l’incantation. Un État puissant est un État sûr, qui sait d’où il vient, n’a pas honte de son passé et embrasse l’avenir avec confiance.

    La Russie de Vladimir Poutine s’est imposée aux puissances occidentales comme un acteur majeur des relations géopolitiques. Son attitude sur la crise syrienne incarne ce positionnement dans l’échiquier mondial. La Russie peut-elle être un allié «fréquentable» des puissances européennes? La distance entre les Européens et les Russes en termes de politique internationale est-elle encore légitime?

    La Russie est tout à fait fréquentable. La diabolisation infantile à force d’être outrancière, dont elle fait l’objet chez nous, nous ridiculise et surtout la conforte dans une attitude de plus en plus circonspecte envers ces Européens qui ne savent plus penser ni décider par eux-mêmes.

    En 30 ans, la Russie a vécu le pire durant les années 90 puis a entamé sans violence une remarquable reconstruction nationale. Tout n’y est pas parfait, mais pouvons-nous réellement donner des leçons et nous imaginer être encore pris au sérieux après les sommets de cynisme démontrés dans nos propres ingérences étrangères, avec les résultats que l’on sait? C’est là une posture qui sert essentiellement à se défausser, à ne pas aller de l’avant notamment sur les dossiers où nous pourrions et aurions tout intérêt à tendre la main à la Russie: sanctions, Ukraine Syrie, Libye, Union économique eurasiatique (UEE), etc… Sur ce dernier point, il faut nous montrer un peu plus lucides et anticipateurs que sur les Nouvelles Routes de la Soie sur lesquelles nos diplomates ironisaient il y a encore quelques années. L’UE doit se projeter vers l’Union Économique Eurasiatique (UEE) et nouer avec elle de très solides partenariats. Je souhaite de tout cœur que la récente inflexion imprimée par notre président à la relation franco-russe après une sombre et triste période, passe rapidement dans les faits et que nous soyons le maillon fort d’une nouvelle ère collaborative, intelligente et humaine entre la Russie l’Europe.

    La solution diplomatique peut-elle encore jouer un rôle dans le dossier syrien?

    Une solution diplomatique ne peut exister que si l’on a atteint un équilibre militaire acceptable. La Syrie doit d’abord recouvrer son intégrité territoriale. Après les Syriens décideront de ce qu’ils souhaitent politiquement pour leur pays.

    Notre implication a été si humainement et politiquement désastreuse qu’il est possible de prétendre encore pouvoir décider du sort de ce pays à la place de son peuple. Évidemment, la guerre n’est pas finie. Il y a encore des dizaines de milliers de djihadistes fondus dans la population civile d’Idlib. Il y a la Turquie, la Russie et l’Iran qui consolident dans un vaste marchandage leurs influences respectives. Et il y a tous les autres acteurs régionaux et globaux qui cherchent à tirer leur épingle du jeu et à faire oublier leurs méfaits. Nous avons eu tout faux sur le dossier syrien. Je l’ai assez expliqué, démontré et je n’épiloguerai pas. J’en parle abondamment dans mon recueil. Il est trop tard pour pleurer mais sans doute pas pour faire amende honorable, intégrer le processus d’Astana et son actuel dérivé - le Comité constitutionnel en cours de formation à Genève. Cela aussi, nous le devons à l’approche diplomatique inclusive et non idéologique de Moscou, ne nous en déplaise. Essayons, pour une fois, d’être intelligents et d’avancer pour que le peuple syrien sorte au plus tôt de son interminable martyr.

    Caroline Galactéros (Figaro Vox, 9 novembre 2019)

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  • Relations internationales et antagonismes idéologiques...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre de Lauzun, cueilli sur Geopragma et consacré à l'impact des antagonismes idéologiques dans le champ des relations internationales.

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    Relations internationales et antagonismes idéologiques

    A côté du schéma des relations internationales classique depuis les traités de Westphalie, fondé sur des rapports entre entités plus ou moins souveraines, d’autres facteurs sont régulièrement venus colorer ces relations. On peut citer ici les conflits de civilisations chers à S. Huntington, bien qu’historiquement on trouve peu d’exemples où un conflit significatif oppose ce qu’on peut décrire comme deux aires de civilisation (voir un billet précédent). Même si des différences culturelles profondes ont souvent contribué à renforcer les antagonismes et à les radicaliser : les conflits étaient et sont en général d’abord des conflits entre puissances. Ce n’est que dans le cas de l’Islam que ce terme pouvait acquérir plus de vraisemblance, dans son opposition avec le monde chrétien d’un côté, le monde hindou de l’autre. Mais justement l’Islam est spécifique par l’association étroite qu’il fait entre religion et politique, et donc sa proximité potentielle avec une idéologie politique.

    Cela nous conduit à mettre en lumière une autre type d’opposition, plus caractéristique de l’époque moderne au sens large, qui sont les conflits idéologiques. La guerre froide vient immédiatement ici à l’esprit, mais la seconde guerre mondiale dans une très large mesure aussi ; voire la première, du moins si on prend au pied de la lettre la propagande de l’époque. Comme si, à l’époque démocratique tout particulièrement, il fallait justifier les conflits par autre chose que les simples oppositions de puissance : par des oppositions entre un bien et un mal, moyennant bien sûr simplification éventuellement caricaturale de la réalité. Cette opposition idéologique n’oblitère évidemment pas la dimension de conflit de puissance, évidente dans tous ces cas, mais elle lui donne une caractère et une intensité toutes particulières ; elle peut en outre orienter les décisions prises, du fait de sa logique propre. C’est cette époque qu’on a pu croire un bref instant terminée en 1991 avec la fin de l’URSS.

    Qu’en est-il aujourd’hui ? Apparemment la domination de ce qu’on peut appeler l’idéologie occidentale, est considérable sinon massive : elle donne sa substance au discours international de tout côté, depuis les débats de l’ONU jusqu’aux argumentaires donnés par les faucons américains, en Iraq et ailleurs. Idéologie utilisée abondamment pour justifier des politiques, et notamment des interventions ici ou là, militaires ou non. Mais sans qu’il y ait désormais un adversaire idéologique clair.

    Les tentatives pour dresser une protestation, ou un début d’alternative, sincère ou pas, contre cette idéologie dominante sont timides et locales. C’est même vrai dans le cas de l’islamisme, sous ses différentes formes. Certes il représente un phénomène majeur. Soit comme prétexte à intervention, soit comme boutefeu, il peut jouer un rôle important dans les évènements. Mais il ne se situe pas à ce stade au niveau des grands rapports de force entre puissances, car il faudrait pour cela qu’une vraie puissance l’incarne. Sur la scène internationale il s’exprime en fait surtout sous la forme spécifique du terrorisme, dont la connexion avec de vraies puissances reste limitée. Certes un certain islamisme militant est revendiqué sous des formes diverses et souvent antagonistes par l’Arabie saoudite, l’Iran, et d’autres comme de plus en plus la Turquie. La première répand sa version rigide et extrême de l’Islam, à coups de dizaines de milliards, depuis plus de 50 ans (avec ses amis ou rivaux du Golfe), mais sans fédérer un véritable camp structuré comme tel. L’éventail de ses amis est pour le moins éclectique. Le second a su rassembler et mobiliser les communautés chiites dans un arc traversant tout le Moyen Orient, qui a actuellement le vent en poupe, mais sans sortir de ce cousinage par nature limité. Le chiisme reste fort peu missionnaire. La Turquie, importante comme puissance régionale, est peu suivie comme leader et reste à dominante nationaliste. Dans les faits donc, même si l’idéologie conditionne ces antagonismes et d’autres, le conflit de puissances reste prépondérant au niveau des relations de pouvoir. Reste que la résurgence indéniable de l’islamisme est un fait géopolitique majeur, qui peut l’être plus encore à l’avenir, si elle conduit à une modification suffisante des équilibres internes, et par là des priorités des pays concernés. C’est donc dans la patte humaine des pays musulmans qu’est l’enjeu, avant les relations internationales entre puissances.

    Une autre source majeure d’alternative idéologique, potentiellement plus massive et plus significative, est l’évolution possible de la Chine. Au stade actuel, l’ancien antagonisme entre marxistes et occidentaux ne joue plus de rôle significatif au niveau mondial. Mais la Chine reste fondée sur des principes indéniablement différents et antagonistes de ceux qui constituent la doxa internationale, notamment américaine. A ce stade, cela ne prend pas chez elle la forme d’un programme idéologique conquérant. On peut même avancer que sa situation idéologique interne n’est elle-même pas stabilisée : il est clair que le régime cherche une justification à ce niveau, mais pour réussir il faudrait que cela prenne une forme différente et surtout plus élaborée. Elle pourrait tourner autour de l’idée actuellement latente d’un régime « éclairé », possédant une vision à long terme, qui est dégagée et mise en œuvre par des élites intellectuelles et sociales elles-mêmes sélectionnées à partir du peuple par le tamis du parti : on mêlerait ainsi une certain héritage léniniste plus ou moins maoïste (cher au président chinois actuel) avec des éléments de confucianisme récupéré (l’idée ancienne d’une élite supposée vertueuse au service du peuple, mue par le culte de la moralité publique). Mais la formalisation théorique de cela reste à ce stade limitée et déficiente, et non exportable.

    A ce stade donc la Chine n’est pas mûre pour jouer un rôle international significatif à ce niveau, même si dans son mode d’intervention on voit l’impact de la différence avec les pays occidentaux, notamment dans son indifférence affichée à toute « démocratisation » dans les pays qu’elle aide. Ajoutons que la tradition chinoise séculaire était plus introvertie que messianique ; même si la Chine ancienne avait progressivement assimilé des zones vastes, grâce à son modèle culturel et politique attractif pour ses voisins ou les pays dominés. Mais outre qu’elle n’a plus cette puissance d’attraction à ce stade, sous cette forme cela ne donnerait de réponse que pour les pays de son environnement immédiat, culturellement proches (Japon, Corée, Vietnam) – et ce n’est en rien le cas actuellement. En bref la Chine actuelle commence à faire sentir sa puissance, mais elle rayonne bien plus par son pragmatisme que par son modèle ou ses idées. Elle n’a en outre aucune expérience historique des relations de puissance. Mais le temps travaille pour elle. Et à terme, on ne peut pas exclure qu’elle construise un modèle alternatif plus puissant, idéologiquement rival du modèle américain ou occidental. On peut par ailleurs trouver dans la tradition chinoise ancienne, si elle est quelque peu revisitée, un modèle politique fort, et même des motifs à interventionnisme, y compris sur base moralisante ; ainsi chez Mencius, successeur principal de Confucius, qui justifiait la guerre s’il s’agit d’éliminer des « tyrans » opprimant leur peuple. La situation reste donc mouvante et pourrait nous surprendre.

    D’autres sources encore peuvent émerger à terme long : pensons à une civilisation ancienne comme celle de l’Inde, désormais en voie d’affirmation politique elle aussi.

    Mais il n’est pas inintéressant de considérer un autre cas beaucoup plus d’actualité, quoique bien moins dramatique que les exemples cités : celui des populismes. Bien entendu les mouvements ou personnages classés comme tels sont censés faire partie du monde des démocraties à l’occidentale. En outre, ils sont hétérogènes, et ne constituent ni un front ni même une alliance. Rien ne dessine à ce stade un antagonisme d’ensemble entre eux et les autres régimes se disant démocratiques. Néanmoins la manière dont ils sont perçus, tant par les médias que par la diplomatie de ces autres pays, présente des traits caractéristiques, où la dimension idéologique (en l’espèce de réprobation) est manifestement prégnante : PIS polonais, Orban, Lega de Salvini, Brexiters à la Boris Johnson, personnages comme Trump ou Bolsonaro sont fondamentalement ressentis dans le discours dominant comme des anomalies moralement condamnables, dans leur discours même. On les rapproche parfois même d’un autre réprouvé comme V. Poutine, malgré les différences évidentes – mais justement ce rapprochement est symptomatique. Certes, le phénomène n’en est qu’à ses débuts, et peut faire long feu. Le succès ou l’échec du Brexit, l’avenir politique de D. Trump, l’évolution de l’Est de l’Europe ou de l’Italie seront ici des tournants importants, parmi d’autres. Certes, même si le phénomène subsiste, la possibilité d’un front de tout ou partie de ces dirigeants paraît plutôt improbable à ce stade. Mais on ne pourrait pas exclure qu’une fracture durable s’installe dans la belle unanimité antérieure, colorant alors les relations internationales de façon appréciable, vu l’importance des pays concernés. Le consensus idéologique occidental pourrait se trouver alors fortement altéré.

    Pierre de Lauzun (Geopragma, 4 novembre 2019)

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  • Désastre pour l’Europe, le rapprochement militaire entre Moscou et Pékin s’accélère...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alexis Feertchak cueilli sur Geopragma et consacré au rapprochement de la Russie avec la Chine au détriment de l'Europe. Membre de Geopragma, Alexis Feertchak est journaliste au Figaro.

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    Désastre pour l’Europe, le rapprochement militaire entre Moscou et Pékin s’accélère

    Le président Emmanuel Macron a indéniablement raison de marteler la nécessité d’un dialogue ambitieux avec la Russie. Pour l’heure, il ne s’agit cependant que de mots et d’images fortes, qui ont certes le mérite d’énerver les « néoconservateurs » de « l’Etat profond » – pour reprendre une formule désormais présidentielle – mais qui n’apportent pas le moindre début de commencement de réponse concrète à la question naguère lancée par Mitterrand et Gorbatchev : comment construire une « maison commune » européenne qui contienne Moscou ? Autrement dit, comment faire rentrer politiquement la Russie en Europe alors même que l’Europe demeure dans un état de soumission envers les Etats-Unis qui, eux, continuent follement de définir la Russie comme leur ennemi éternel ? Peut-on imaginer voir cohabiter, sous le toit d’une même maison, deux adversaires aussi résolus ? Certes, on peut attendre de ce rapprochement une avancée sur le dossier ukrainien, mais celle-ci serait plus conjoncturelle que structurelle. Le format Normandie pourrait bien aboutir à une percée diplomatique (tous les acteurs y ont aujourd’hui intérêt), mais les raisons anciennes et profondes de la défiance qui ont conduit à la crise ukrainienne demeureraient intactes.

    Le temps presse pourtant car, entre Moscou et Pékin, les signes d’une relation de plus en plus rapprochée se font sentir. Il ne s’agit certes pas encore d’une alliance, mais, dans un contexte d’antagonisme croissant entre la Chine et les Etats-Unis, plus ce partenariat sino-russe sera solide, moins Moscou disposera de latitude pour faire, le jour venu, un pas vers l’Europe, quand bien même celle-ci le souhaiterait. Autrement dit, si une rebipolarisation du monde (quoiqu’incomplète) se dessine dans les prochaines années et que la Russie s’ancre dans le bloc mené par Pékin, le mur de l’Est, dont la logique aurait voulu qu’il tombât réellement en 1991 pour raccrocher la Russie au continent européen, se reformera pour de bon. Ironie de l’histoire : les Etats-Unis, à force de considérer à tort que le mur n’était pas réellement tombé, pourraient finir par avoir raison. C’est le propre des prophéties de malheur auto-réalisatrices, dont les Etats-Unis se sont fait une spécialité. Comme l’avait prédit John Keenan, pourtant père du concept de containment, l’avancée de l’OTAN dans les années 1990 allait nécessairement pousser les Russes à réagir… L’histoire ukrainienne a montré la justesse de ce raisonnement décrit dès 1998 dans Foreign Policy.   

    Si demain, le mur de l’Est était réellement reconstitué, son tracé serait peu ou prou le même que pendant la Guerre froide, mais le bloc qu’il délimiterait serait différent, puisque son centre ne serait plus à Moscou, mais à Pékin. Raison pour laquelle, à moyen terme, la Russie n’a aucun intérêt à voir se reconstituer de tels blocs. Les Européens sauront-ils le voir ? Mais, même s’ils le voient, sauront-ils quoi faire ?

    Le dernier signal faible de ce rapprochement sino-russe touche – et c’est l’une des premières fois – à un domaine par nature stratégique puisqu’il a trait, indirectement, à la dissuasion nucléaire. La Russie a en effet annoncé cette semaine qu’elle va aider la Chine à développer un « système d’alerte avancée », technologie dont seuls Washington et Moscou disposent depuis les années 1970 et qui permet de détecter et de suivre le tir d’un missile balistique (notamment intercontinental) afin d’avoir le plus de temps possible pour l’intercepter. En pratique, ce système repose à la fois sur des radars particulièrement puissants et sur des satellites d’alerte qui, au moyen de détecteurs infrarouges, peuvent détecter la chaleur dégagée par un missile lors de sa phase propulsée.

    « Nous sommes en train d’aider nos collègues chinois à créer un système d’alerte d’attaque par missile. C’est quelque chose de très sérieux, ce qui va fondamentalement, drastiquement muscler la défense de la République populaire. Parce qu’aujourd’hui, il n’y a que les États-Unis et la Russie qui disposent de ce type de système », a déclaré Vladimir Poutine. S’exprimant lors de la seizième édition du Club Valdaï, à Sochi, le président de la Fédération de Russie n’a pas donné davantage de précisions techniques sur l’objet de cette collaboration.

    En 1972, l’URSS avait signé avec les Etats-Unis un traité bilatéral encadrant très fortement le développement de systèmes d’interception d’engins balistiques. Poussée trop loin, la création d’un bouclier antimissiles peut en effet affaiblir la dissuasion nucléaire si la « destruction mutuelle assurée » n’est plus garantie ou seulement plus ressentie par tous les acteurs. Le Traité ABM offrait le choix aux deux signataires entre deux protections possibles : la protection d’un site de lancement de missiles (solution choisie par les Américains) ; la protection de leur capitale (solution choisie par Moscou).

    En pratique, le Système d’alerte d’attaque de missile (SPRN) russe se compose de radars d’alerte précoce de nouvelle génération dite «Voronezh» (actuellement installés sur huit sites) qui sont en train de remplacer les radars plus anciens «Dnper» (toujours en service) et «Daryal» (retirés du service en 2011). En matière de satellite d’alerte précoce, la Russie disposerait d’au moins deux « Toundras » lancés en 2015 et 2017, nouvelle génération de satellites de cette catégorie chargés de remplacer les anciens «Oko», dont le dernier exemplaire lancé est hors service depuis 2014. 

    Pour l’interception, la Russie possède aujourd’hui un système anti-balistique A-135 qui remplace depuis 1995 l’A-35 mis en service en 1971. Ce système relativement récent, qui fonctionne en tandem avec le système d’alerte avancée, repose sur un radar de gestion de combat « Don-2N » et sur deux types de missiles. Le premier, le 53T6 (ou Gazelle), est un missile à courte portée (80 km) chargé d’intercepter des missiles balistiques une fois que ceux-ci sont rentrés dans l’atmosphère (autrement dit dans la dernière phase de vol). Le second, le 51T6 (ou Gorgon), est un missile à plus longue portée (350 km) capable d’intercepter des missiles balistiques en dehors de l’atmosphère. Particularité : ces deux types de missiles disposent tous les deux de têtes nucléaires… En matière d’ABM russe, le nucléaire arrête en quelque sorte le nucléaire ou, comme il est écrit dans la Bible, « Satan expulse Satan ». Il y a actuellement cinq sites mettant en œuvre un total de 68 53T6 qui assurent la protection de Moscou. Le 51T6, lui, a été retiré du service, mais les Russes travaillent sur un nouveau système, l’A-235 (ou «Samolet-M»).

    Pour les Russes, le maintien de leur capacité de détection avancée et d’interception est une nécessité stratégique alors que les Etats-Unis se sont retirés du traité ABM (désormais caduque) en 2003, qu’ils déploient progressivement leur propre bouclier anti-missiles aussi bien en Europe de l’Est qu’en Asie et que leurs capacités de frappes stratégiques s’améliorent (systèmes de plus en plus sophistiqués de mirvage des missiles intercontinentaux à têtes nucléaires) et se diversifient avec le développement d’une dissuasion également conventionnelle (planeurs hypersoniques et autres engins à très haute vélocité). Les Chinois eux-mêmes sont en pointe en la matière, comme l’a montré le défilé militaire de la semaine dernière pour l’anniversaire des 70 ans de la République populaire de Chine, avec la mise en avant de missiles balistiques à portée intermédiaire (y compris anti-navires, ce qui représente une menace mortelle pour les porte-avions américains) et le dévoilement d’un planeur hypersonique, le DF-17. Il faut maintenant aux Chinois exceller aussi en matière de détection avancée, ce qu’une coopération avec les Russes leur permettra de faire plus rapidement. Déjà, contrairement aux années 1990, en matière d’exportations, Moscou n’hésite plus à livrer en premier à Pékin ses armements les plus sophistiqués : chasseurs Su-35 et systèmes anti-aériens S-400. Jeté dans les bras des Chinois par Washington, Vladimir Poutine pousse désormais son amitié avec Xi Jinping sur des terrains qui ont trait indirectement à la dissuasion nucléaire. La maison commune européenne, qui aurait pu être construite dans les années 1990, a fait long feu. En la matière, aucun système de détection avancée ne permet d’observer de mise à feu sérieuse, sinon le filet de mots prononcés par le président Macron, qui ne permettent pas, à eux seuls, de calculer une trajectoire réellement ambitieuse.

    Alexis Feertchak

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  • De la diplomatie publique à la guerre du vrai...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte de François Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et consacré à l'émergence d'une compétition des visions du monde... Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018). Avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, François-Bernard Huyghe vient de publier Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019).

     

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    De la diplomatie publique à la guerre du vrai

    Le projet d’influencer politiquement une population étrangère ou de mener une expansion idéologique hors de ses frontières est tout sauf neuf : il est fait mention d’agents d’influence chez Énée le Tacticien (IV° siècle avant notre ère) ou chez Sun Tsu (probablement mort en 470 av. J.C.). Mais les moyens techniques de diffusion de chaque époque limitent longtemps de telles stratégies : les idées des Lumières ou celles de 89 se répandent au rythme de l’imprimerie ou des voyageurs en diligence et ne touchent qu’une minorité. Et si, au moment de la guerre de 14-18, le cinéma et la photo ouvrent des espoirs de « conquérir les cœurs et les esprits » aux premiers théoriciens de la propagande (Creel, Ponsonby, Lippmann), il faut bien que les idées trouvent leurs vecteurs.

    Parler aux populations

    Pour simplifier, nous partirons de la guerre froide et du projet théorisé aux États-Unis sous le vocable de « diplomatie publique », terme qui se popularise au milieu des années 60 et une discipline qui s’enseigne toujours aujourd’hui. C’est d’abord une réponse à la propagande internationale soviétique. Vue de Washington, celle-ci paraît d’autant plus redoutable qu’elle s’appuie sur une double médiation : les partis frères de la III° internationale et le succès des idées marxistes ou anti-impérialistes auprès des intelligentsias, plus peut-être un peu de desinformatsya pour tromper la presse du monde libre. Après quelques essais de guerre culturelle surtout menée par la CIA - subventions cachées à des intellectuels anti-totalitaires, à des livres ou à des films pensant bien, voire à des expressions plastiques ou musicales plus modernes que le « réalisme soviétique » - la chose est systématisée par la création de l’US Information Agency fondée en 1953.

    Cette diplomatie qui s’adresse aux peuples par dessus la tête (et la censure) de leurs dirigeants est surtout connue pour avoir subventionné des radios (Voice of America, Radio Free Europe) émettant au-delà du rideau de fer en plusieurs langues. Elles devaient présenter une vitrine politique, économique et culturelle, qui fasse contraste avec l’univers communiste et surtout qui fasse envie. Plus subtilement, la diplomatie publique crée aussi des réseaux humains, à travers, par exemple, les bourses de la fondation Fullbright : elles servent à attirer les jeunes élites internationales, les futurs dirigeants de leur pays, pour leur faire connaître et aimer le mode de vie américain et les idées qui l’inspirent. Après le 11 septembre, certains plaideront aux États-Unis pour une « nouvelle diplomatie publique » destinée à combattre les idées islamistes ou obscurantistes et qui s’appuierait cette fois davantage sur les réseaux sociaux et la « société civile » (au sens des ONG, des think tanks ou des mouvements d’opinion internationaux). Mais globalement la stratégie reste la même. Elle résume dans la trilogie contrer, montrer, former.

    Contrer implique de combattre et délégitimer une idéologie adverse structurée, dans un jeu planétaire à deux où un seul doit l’emporter. Cette action de réfutation se réclame du principe de réalité : si seulement les gens réalisaient, ils seraient guéris des illusions de l’esprit malade et ils penseraient comme nous. Il s’agit donc de les guérir des mensonges des régimes autoritaires ou des doctrinaires. Montrer veut dire que la diplomatie publique est envisagée comme une révélation de vérités factuelles : en voyant notre mode de vie, notre véritable politique, notre culture, notre bonheur de vivre, notre liberté, sans la déformation qu’impose la propagande adverse, les gens ne peuvent manquer de se convertir à nos valeurs évidentes et universelles. Former, enfin, est sensé produire des individus libres et conscients qui participeront à ce processus de libération. Beaucoup à Washington, surtout chez les républicains, pensent que leur camp l’emportera parce que la supériorité politique intrinsèque des régimes occidentaux, leurs performances, la cohérence idéologique du libéralisme et, maintenant, la force de la communication des médias sans frontière vont dans le même sens.

    La diplomatie publique repose sur un volontarisme : créer des médias ad hoc, diffuser de bons messages, animer des réseaux, produire un contre-discours, autant de techniques qui s’apprennent et se subventionnent. Tout cela suppose un ennemi avec un projet de domination, sa rhétorique et ses moyens de diffusion, éventuellement prêt à profiter de la liberté d’expression occidentale pour désinformer les médias et contaminer les esprits. L’affrontement entre deux représentations du monde est symétrique dans ses objectifs (convertir) s’il ne l’est pas dans ses moyens (partis frère nationaux contre médias internationaux par exemple). À une déstabilisation/conquête de l’est doit répondre une subversion/libération de l’ouest et quelqu’un comme Reagan, qui n’avait probablement pas lu Gramsci, pensait volontiers que les idées (celles des think tanks par exemple) et les images que l’on produit comptent dans une lutte planétaire pour l’hégémonie idéologique.


    Un pouvoir sans contrainte

    La situation change avec la chute du communisme et son implosion idéologique, accélérée en partie grâce à la diplomatie publique pensent les uns, davantage par la culture mondiale de masse, diffusée par exemple par les chaînes télévisée de RFA visibles en RDA, diront les autres.
    Dans les années 90, un concept s’impose comme prophétie autoréalisatrice (le succès du mot prouvant celui de la chose) : soft power. En inventant ce vocable, lui-même assez « doux » ou mou pour mêler les idées d’attractivité, d’automaticité et de non coercition, le doyen Joseph Nye synthétise des tendances qui paraissent alors évidentes. Souvent présenté comme la « capacité de faire faire à d’autres ce qu’ils n’auraient pas fait autrement », donc ayant des finalités et une efficacité géopolitiques, le soft power tient à la fois de l’indéniable séduction de la culture américaine (allant du prestige de ses universités au succès des ses fast foods) et de la capacité du pays à amener les autres à adopter son point de vue, ses normes et ses objectifs. Le soft power serait donc à la fois ce qui plaît universellement - que l’on désire imiter ou acquérir- et ce qui s’imposera universellement - pourvu, notamment, que l’administration US sache paraître multilatérale et compréhensive avec les autres nations. La logique du soft power est celle de l’image d’un pays incarnant le futur de la globalisation. Mais cette image est exportée par des relais (des médias, des organisations gouvernementales et non gouvernementales, des élites formées au mode de penser du futur). Répandre le soft power consiste aussi à trouver des alliés et à répandre des codes juridiques, économiques, moraux, culturels, etc.
    Mais qui dit universel (ou naturel) pense souvent idéologique. L’idée va pourtant être contestée que valeurs et modèles made in U.S.A. s’imposent par le double effet de leur triomphe historique et de leur accord avec les aspirations de l’homme éternel.
    Bien entendu, l’anticipation d’un soft power s’imposant en douceur connaît vite ses ratés. Ni la conflictualité, ni la contradiction des valeurs (à commencer par celles qu’exprime l’antiaméricanisme), ni la résistance à l’unification de la planète ne se dissipent si vite au profit de la mondialisation heureuse. Le soft power américain se trouve confronté à ce que beaucoup analysent d’abord un peu hâtivement comme les derniers soubresauts de l’archaïsme.

    Il y a d’abord la nécessité morale supposée d’intervenir militairement contre un Saddam, un Milosevic, un Kadhafi stigmatisés par la conscience internationale. La criminalisation du coupable (tyran présenté d’abord comme ennemi de son propre peuple, massacreur, envahisseur, détenteur d’armes qui menacent le monde...) et la pédagogie d’une coalition internationale désintéressée, n’ayant d’ennemis que ceux du genre humain, tout cela nécessite des dispositifs de persuasion. La synergie des télévisions internationales par satellite (CNN en tête), des dispositifs militaires de psyops, guerre de l’information et autres, plus l’intervention d’agences de communication spécialisées dans la diabolisation de l’ennemi, les fameux spin doctors opère le travail de persuasion de l’opinion. Et la théorie s’adapte vite à la pratique : Joseph Nye produit le concept de smart power. Son principe est qu’une politique étrangère doit combiner « intelligemment », au mieux, séduction culturelle, pressions diplomatiques et économiques et actions militaires. Hillary Clinton adoptera le principe avec enthousiasme.

    Toute stratégie de changement de régime ne passe pas forcément par les armes. Dès la décennie 1990, l’exportation de la démocratie est soutenue par des dispositifs qui brouillent un peu la frontière entre la diplomatie publique stratégie et le soft power processus. Dès 1961, l’USAID (US Agency for International Development) finançait outre l’aide au développement des organisations comme le National Endowment for Democracy chargé d’aider à l’expansion démocratie libérale, pendant que la Freedom House, une Ong datant de la seconde guerre mondiale soutenait des organismes extérieurs « favorables aux droits civiques ». Selon la même logique le Freedom Support Act de 1992 est voté par le Congrès pour implanter« la liberté et le marché ouvert » dans l’ex-empire soviétique.

    Après la chute du Mur, les organisations publiques ou privées (dont les fameuses Fondations pour une Société Ouverte de G. Soros) engagent de gros moyens soit pour « former » de futurs dirigeants à la démocratie libérale, soit pour aider des groupes activistes pro-occidentaux à contrôler les élections dans leur pays, pour leur apprendre à mener des actions non violentes, les inciter à se doter de médias, notamment numériques. Et finalement leur montrer comment renverser leurs gouvernements autocratiques et antiaméricains. Sur un modèle testé en Serbie par OTPOR (mouvement de jeunes activistes serbes) en 2000, le schéma ressert dans toutes les révolutions dites de couleur : des roses en Géorgie 2003, orange en Ukraine 2004, des tulipes au Kirghizistan 2005, « en jean » en Bieléorussie 2005, « du cèdre » au Liban 2005. Bien entendu qu’il y ait une volonté « subversive » du Département d’État ou de fondations comme la Albert Einstein, qui enseigne littéralement l’art de la révolte ou de la résistance non violente, n’implique pas que le renversement de tous les autocrates soit l’œuvre de conspirations internationales, ni qu’il n’y ait pas de causes objectives à ces révoltes. La dimension technologique du processus est importante : dès 2010, H. Clinton déclare que les États-Unis soutiendront partout le droit de l’homme à se connecter sur Internet et aideront les cyberdissidences.

    Au moment du printemps arabe, une jeunesse qui n’est ni nationaliste ni islamiste, qui se réclame d’un idéal de démocratie à l’occidentale a appris à employer les réseaux sociaux comme outil international de mobilisation. Et ce à la barbe des autocrates qui pensaient leur pouvoir assuré par le contrôle des médias locaux. Du coup, les commentateurs sont tentés de prêter comme un pouvoir intrinsèquement libérateur au Web 2.0 et de suggérer un quasi déterminisme numérique : là où il y a Google, Facebook et Twitter, il y aura ouverture, libéralisme et démocratie. L’Histoire balaiera vite ces illusions.

    Mais le bouleversement le plus marquant est que l’Occident s’est redécouvert un ennemi principal avec le terrorisme djihadiste. Le onze septembre non seulement déclenche la spirale des engagements militaires, mais l’attentat pose un question douloureuse : « pourquoi nous haïssent-ils ? » qui devient vite « comment les déradicaliser ? ». La lutte contre la contagion idéologique suppose un contre-discours : réapparition d’actions de diplomatie publique, coopération avec les ONG, rechercher de méthodes quasi thérapeutiques pour guérir de cet extrémisme violent considéré comme une maladie psychologique. Les djihadistes savent jouer dans tous les registres : affrontement militaire ou de guérilla sur le terrain, terrorisme qui est, après tout, une propagande par le fait et un acte symbolique et propagande tout court. Al Qaïda (plus « web 1.0 » avec ses sites et ses forums de discussion) puis Daech (produisant pour le Web 2.0 des messages vidéos sophistiqués mais aussi capable de mettre en contact ses partisans sur les réseaux sociaux) sont parfaitement adaptés numérique. Le spectre du cyberdjihadisme capable de faire du prosélytisme et de la coordination en ligne et, demain peut-être, de mener de grandes cyberattaques de sabotage hante le monde. Et, en sens inverse, les recettes de guerre froide - mettre en contradiction les mensonges avec la réalité heureuse et tolérante de l’Occident - ne sont plus adaptés à un adversaire qui connaît notre culture ou notre technique mais possède un autre codes de valeur et un autre système d’autorité.

    De façon générales, deux des postulats du soft power commencent à poser question : que l’expansion « horizontale » d’une culture ou vision du monde (américaine, occidentale, globale ?) soit irrésistible et que la solidarité « verticale » de la mondialisation entraîne dans le même sens le changement technologique, l’économique, le politique et le culturel vers un modèle ouvert et global.

    Peurs occidentales

    La dernière phase que nous vivons est celle d’une inquiétude occidentale et du passage à une attitude défensive. Le phénomène a une dimension politique : les régimes autoritaires ne disparaissent pas et nombre de démocraties deviennent illibérales, tandis que monte l’influence de la Russie et de la Chine, les deux puissances dites « révisionnistes » de l’ordre mondial. Une second dimension est idéologique : les populismes avancent avec leurs idées conservatrices et identitaires. La troisième est médiologique : les moyens de communication internationaux, et surtout les réseaux sociaux, ne véhiculent pas nécessairement les idées « d’ouverture », bien au contraire. C’est donc un renversement de la trilogie sur laquelle se fondait théoriquement le soft power.

    Du reste, jamais en panne de néologismes, les think tanks ont produit des concepts sensés décrire ce changement :
    - la guerre hybride (hybrid warfare), un mélange d’interventions militaires classiques, de soutien à des mouvements de rébellion armée et de propagande internationale que mènerait la Russie
    - la weaponization de l’information, c’est-à-dire sa transformation en arme de déstabilisation que ce soit sous la forme de cyberattaque ou de désinformation et intoxication
    - le sharp power (pouvoir « aigu » qu’exerceraient la Chine et surtout la Russie) équivalents négatifs ou nihilistes du soft power occidental
    - etc.
    Tout un vocabulaire, qu’il serait trop long d’analyser ici, se met en place, en particulier dans les milieux proches de l’Otan, et tente de décrire des périls inédits qui constituent autant d’explications à la marche déplorable du monde.

    Ainsi, le Brexit, l’élection de Trump, voire le referendum catalan attribués à l’interférence russe (fake news et propagande par ses médias internationaux), à l’action déstabilisatrice des réseaux populistes, écosystème des fantasmes et des rumeurs, plus, d’une certaine façon à la technologie elle-même qui permet à chacun de s’enfermer dans sa « bulle de confirmation » en ligne avec ceux qui pensent comme lui. Ces explications oscillent entre la responsabilité d’une intervention déloyale facilitée par Internet et une sorte d’abaissement de l’esprit critique de la population, désormais prête à croire n’importe quoi, l’efficacité machiavélienne du message et la réceptivité niaise du public. Dans tous les cas, la perte d’attractivité de nos « valeurs » d’ouverture, de libéralisme et de progrès est assimilée à une sorte de panne de la vérité (certains philosophent déjà sur le thème de l’ère de la « post-vérité ») ; le faux serait serait trop convaincant et le vrai ne saurait plus se faire connaître (en dépit du soutien des gouvernements, des experts, des élites, des médias classiques, etc. pour rétablir la vérité). C’est un peu court : la crise du soft power ne peut s’expliquer ni par une manipulation d’un quelconque service, ni par les désordres psychiques des classes inférieures.

    À l’évidence, il faut revenir sur bien des espérances. Il y d’abord concurrence sur le strict plan du soft power. La Chine combine de plus en plus offensives de charme et de prestige avec des discours plus rassurants sur le multilatéralisme. On parlera aussi de soft power indien, coréen, qatari, etc., tant ces politiques se sont banalisées. Et, bien sûr, l’Europe jouit de son capital de sympathie et d’attractivité, la diplomatie culturelle de la France n’étant pas le plus mauvais moyen de la développer. Mais la conversion à des valeurs ou à des idées (à supposer que la Chine ou la Russie veuillent vraiment nous convertir à une quelconque doctrine) n’est pas seulement affaire de télévisions internationales, de trolls, de journalistes sympathisants ou d’algorithmes. Ni de bonne conduite à l’ONU. Il y a aussi des facteurs objectifs et, en dehors même de la personnalité de Trump - qui n’incarne guère le soft power - et de ses velléités isolationnistes qui déstabilisent ses alliés européens : les États-Unis ne sont plus l’hyperpuissance hard et soft en même temps. Pour ne donner qu’un exemple, la semaine où nous écrivons (en Juin 2018) l’échec du G7 chaotique fait contraste avec l’harmonie de l’Organisation de coopération de Shangaï. Peu de gens soutiendraient encore que l’ordre international libéral s’impose spontanément partout où pénètre Internet et où se développe le libre-échange.

    L’idée même d’un modèle idéologico-culturel destiné à remporter une sorte de compétition planétaire a trouvé ses limites : d’autres visions du monde qui s’implantent chacune dans leur aire géographique, culturelle ou spirituelle. Ne plus avoir d’ennemi unique est aussi un grand désavantage, et personne ne peut songer sérieusement à mettre dans le même sac le djihadisme sunnite et les ambitions chiites, le révisionnisme de l’ordre international préconisé par Pékin et par Moscou, les populismes européens, etc. L’idéologie de la fin des idéologie, plus qu’à des rhétoriques efficaces, s’est surtout heurtée à la pluralité indéracinable des identités et des croyances.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 31 juillet 2019)

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  • Guerre Commerciale Chine – Etats-Unis (suite) : la Guerre des OS aura bien lieu...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Christopher Coonen cueilli sur Geopragma et consacré à la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis sur la question du contrôle des données transitant par la téléphonie 4G et bientôt 5G. Membre de Geopragma, Christopher Coonen a exercé des fonctions de directions dans des sociétés de niveau international appartenant au secteur du numérique.

     

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    Guerre Commerciale Chine – États-Unis (suite) : la Guerre des OS aura bien lieu

    Depuis notre Billet du Lundi du 14 janvier dernier, qui traitait du déploiement de la 5G à l’échelle mondiale et de la confrontation entre la Chine et les Etats-Unis au sujet de la société Huawei, voici que ce conflit s’envenime plus encore, déclinaison numérique de la rivalité géopolitique tous azimuts entre ces deux empires.

    Pour rappel, Huawei est un leader mondial de construction de réseaux de communication et l’un des tous premiers fournisseurs de la dernière génération de technologie de téléphonie mobile 5G en cours de déploiement à l’échelle planétaire. Grâce au débit phénoménal de la 5G et à sa puissance logarithmique par rapport aux capacités du standard actuel 4G, nous assisterons à une très forte accélération de la quantité de données générées, échangées et analysées au niveau planétaire.

    Dans ce chapitre de ladite guerre commerciale, les enjeux de l’accès aux données et de leur traitement sont donc colossaux.

    D’une part, certains gouvernements sont inquiets de voir une puissance étrangère capter des données sensibles. Non seulement dans le cadre de l’utilisation de smartphones, mais aussi dans le contexte d’une myriade d’usages concernant les villes et engins connectés, qu’ils soient d’application civile ou militaire : les voitures autonomes, la domotique, mais aussi le ciblage de missiles seront de plus en plus dépendants de la 5G. Une opportunité certes, mais aussi une vulnérabilité si ces données et/ou leurs usages venaient à être captés et détournés par des parties adverses et tierces, soit directement sur les smartphones ou objets connectés, soit via des « portes » installées au sein des réseaux terrestres et sous-marins.

    Depuis le début de l’année, les Etats-Unis ont mis une pression maximale sur leurs propres opérateurs Verizon et AT&T et sur ceux d’autres pays, afin qu’ils interdisent à Huawei leurs appels d’offre pour équiper leurs réseaux avec la technologie 5G, leur préférant les prestataires occidentaux Cisco, Nokia, Alcatel ou encore Ericsson.  L’Australie, l’Allemagne, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Pologne, la République Tchèque, et le Royaume-Uni ont ainsi banni Huawei et son concurrent chinois ZTE de leurs appels d’offre … Jusqu’à faire chanter les Polonais en brandissant la menace d’annuler la construction d’une base de l’OTAN chiffrée à $2 milliards. En revanche, la Corée du sud, la Russie, la Thailande et la France testent la technologie Huawei et/ ou l’installent avec des caveats : la France par exemple, interdira à Huawei de géolocaliser ses utilisateurs français. D’autres pays comme l’Italie et les Pays-Bas explorent toujours la possibilité d’utiliser Huawei ou ZTE versus d’autres fournisseurs occidentaux.

    D’autre part, l’autre enjeu de tout premier ordre dans le déploiement de la 5G est celui de l’intelligence artificielle. Une façon de l’illustrer est d’imaginer les meta et micro données comme le « pétrole » nourrissant cette forme d’intelligence et le « machine learning » et les algorithmes comme « l’électricité » pour obtenir le résultat final qui permet de connecter toutes sortes d’objets chez les particuliers, au sein des villes, dans les applications militaires et de proposer des services qui vont préempter les souhaits des personnes ou des institutions avant même qu’elles n’en fassent la demande.

    Puisque la puissance de la 5G augmentera de manière significative la quantité de données générées et échangées, ce pipeline sera un facilitateur et un conduit stratégique pour abreuver les algorithmes de ce « pétrole ». La quantité des données est donc absolument primordiale pour offrir un niveau inégalé dans la qualité de cette intelligence artificielle. Et la Chine, avec sa démographie cinq fois supérieure à celle des Etats-Unis, a d’emblée un avantage concurrentiel dans la quantité de données pouvant être captées et traitées. Plus encore si elle a accès aux données des populations d’autres nations via les applications des smartphones …

    C’est donc sans surprise que la détérioration de la relation sino-américaine s’est creusée et qu’une escalade des tensions se manifeste de plus en plus explicitement depuis quelques semaines :  Google, Facebook et d’autres géants américains du Net ont annoncé qu’ils interdisaient à Huawei et aux autres acteurs chinois l’accès à leur Operating System/OS comme Androïd et à leurs applications.

    Outre l’interdiction d’accès aux données, ce sont des décisions lourdes de conséquences et de risques in fine d’ordre stratégique car elles vont pousser l’entreprise chinoise (et peut-être aussi les Russes qui sait ?), à développer leur propre OS. Huawei a d’ailleurs réactivé son OS « Hongmeng » en sommeil depuis 2012.

    Cette récente rétorsion américaine va donc engendrer une réaction en chaine à l’issue ultime encore imprévisible. Dans l’immédiat, c’est la complexité de gestion et les risques de confusion pour les consommateurs mais aussi les opérateurs téléphoniques et tout l’écosystème des développeurs d’applications qui vont exploser. En effet, au lieu de développer deux versions d’une même application et d’obtenir les certifications nécessaires de la part d’Apple et d’Android/Google, les développeurs devront désormais le faire à trois voire quatre reprises. Les coûts de maintenance et de mises à jour des applications vont exploser.

    Malgré tout, cette action s’inscrit logiquement dans cette « ruée vers les données » car du point de vue des Etats-Unis, toute démarche qui limite l’accès des données afférentes aux milliards de comptes des applications est bonne à prendre.  « Malgré eux », les acteurs chinois vont s’affranchir de la domination américaine et exercer une nouvelle forme de souveraineté technologique et économique en développant leurs propres OS.

    Il est probable que Huawei équipera de nombreux pays avec sa technologie 5G ; c’est logique par rapport à son expertise et à son poids dans le secteur et au rôle de premier plan de la Chine dans l’économie mondiale. Après tout, les Etats-Unis n’ont-ils pas équipé depuis les années 1920 la plupart des pays avec des ordinateurs personnels, des réseaux informatiques, des serveurs et des smartphones ? Nous sommes-nous posé les mêmes questions avec autant de discernement depuis lors sur l’accès aux données par leurs sociétés et le gouvernement américain ? Il est certain que les activités de la NSA et l’adoption des lois US « Cloud Act I et II » ont permis aux GAMFA (Google, Apple, Microsoft, Facebook et Amazon) et à l’Oncle Sam d’accéder aux données de milliards d’inter- et mobinautes.

    L’appréciation de cette rivalité sino-américaine est sans doute le fruit de l’hypocrisie d’un empire jaloux envers la montée en puissance d’un autre, et nous ne pouvons que déplorer à nouveau l’absence de l’Europe comme acteur incontournable de ces développements technologiques et économiques majeurs. La guerre des OS aura bien lieu, et le « Vieux » continent sera en plein tir croisé.

    Christopher Th. Coonen (Geopragma, 18 juin 2019)

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  • Dynamiques eurasiennes...

    Nous vous signalons la publication du numéro 24-25 de la revue Perspectives libres consacré à la perspective eurasienne.

    La revue Perspectives libres, dirigée par Pierre-Yves Rougeyron, est publiée sous couvert du Cercle Aristote et est disponible sur le site de la revue ainsi qu'à la Nouvelle Librairie.

     

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    Au sommaire :

    Pierre Yves Rougeyron – Dévoilement 

    DOSSIER

    James O’Neill – La géopolitique mouvante de l’Eurasie : un panorama

    Clément Nguyen – Le flanc occidental du Heartland : théâtre des interactions stratégiques

    Romain Bessonnet – Politique eurasiatique de la Russie : histoire d’un pivot géostratégique

    Dmitry Mosyakov – « La politique russe en Mer de Chine méridionale ».

    Dr Pavel Gudev – Les problématiques et perspectives de la route maritime arctique

    Martin Ryan –  « Belt and Road Initiative » : nouvelle étape dans l’autonomisation des pays du Caucase du Sud ?

    Paulo Duarte – La place de l’Afghanistan dans la « Belt and Road Initiative »

    Shebonti Ray Dadwal – Les approvisionnements énergétiques de l’Inde sous le gouvernement Modi.

    Clément Nguyen – La  « Belt & Road Initiative » s’étend à l’Afrique

    Nicolas Klein – Les miettes du festin : Commentaire succinct sur l’insertion de l’Espagne dans la Nouvelle Route de la soie

    Francisco José Leandro – Géopolitique de la  « Belt ans Road Initiative» : Le nouvel institutionnalisme financier

    Kees van der Pijl- La mondialisation et la doctrine de la Guerre Perpétuelle

    Yves Branca – Tianxia : Le monde en tant que corps et sujet politique ?

    LIBRES PENSEES

    Thierry Fortin – Les accords de Lancaster House face au BREXIT : consolidation ou décomposition ?

    Philippe Renoux – La dictature du dollar

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