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  • «Narcissisme idéologique et mysticisme illuminé»: les logiques à l’œuvre derrière l’écriture inclusive...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par le linguiste Jean Szlamowicz au Figaro Vox, à l'occasion de la sortie de son essai , Le sexe et la langue (Intervalles, 2023), dans lequel il évoque la question de l'écriture inclusive.

     

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    «Narcissisme idéologique et mysticisme illuminé»: les logiques à l’œuvre derrière l’écriture inclusive

    LE FIGARO. - L’écriture inclusive s’est largement répandue dans notre société, on peut la lire à l’université, sur de nombreux panneaux publicitaires... Comment expliquer son succès?

    Jean SZLAMOWICZ. - L'écriture inclusive n'existe que par la bonne volonté de certains décideurs convaincus qu'il faut adopter cette mode pour ne pas être ringardisé. Elle n'est pas une pratique spontanée des locuteurs. D'ailleurs, même ceux qui la pratiquent le font avec une grande incohérence. On la trouve essentiellement dans certains milieux sociaux qui s'imaginent être «progressistes»: c'est avant tout une image de soi que l'on propage avec l'écriture inclusive. Ce narcissisme idéologique consiste à montrer que l'on est une bonne personne et que l'on est au courant des dernières tendances du conformisme idéologique. La pression militante que chacun exerce sur les autres est le moteur de ce panurgisme politique.

    Peut-on «rééduquer» une société par le biais de la langue?

    C'est précisément sur ce point que l'écriture inclusive se révèle comme un mysticisme illuminé: peut-on sérieusement croire que le social est contenu dans la grammaire? Il est impensable d'imaginer que, mécaniquement, l'orthographe contribue aux progrès sociaux. Le monde ne dépend pas de la grammaire et les langues ne sont pas des objets dont on pourrait améliorer la conception: la recherche de «la langue parfaite» qui apporterait la rédemption au monde est une utopie relevant du fétichisme et de la sorcellerie!

    Réformer le monde en ajoutant des petits «–e» pour symboliser le féminin est une farce. C'est un pur marketing politique, une exhibition vertuiste et une contrainte idéologique. Et puis, à partir de quels critères déciderait-on de cette «rééducation»? Cela suppose une élite éclairée qui se sent suffisamment arrogante pour définir ce que le peuple doit penser, ce qui est la définition d'un totalitarisme. Et, franchement, si ces savants sont assez stupides pour imaginer que le genre des mots conditionne la structure de la société, il ne faut leur accorder aucun crédit car leur magistère moral est fondé sur des interprétations farfelues! Personne ne devrait se sentir obligé d'adopter de telles élucubrations.

    En 2021, le dictionnaire «Le Robert» a ajouté le pronom «iel». L'institutionnalisation de l'écriture inclusive est-elle inéluctable?

    Un dictionnaire n'est pas une institution, justement, mais un éditeur privé. Or, il y a là un paradoxe: celui de l'adoption d'initiatives militantes, comme l'écriture inclusive ou le marquage des identités sexuelles, dans des cadres institutionnels, par exemple l'Éducation nationale. La laïcité, c'est avant tout la recherche d'une neutralité, par opposition à l'affichage d'une opinion, qu'elle soit religieuse, politique, sexuelle, etc. L'écriture inclusive pose une question de fond: si on l'accepte, alors cela signifie qu'il n'y a plus de référence commune.

    Chacun peut alors introduire sa préférence comme norme et imposer sa pratique au nom de la cause qu'il défend. C'est introduire une forme de séparatisme dans les usages collectifs, ce que l'institution ne peut accepter sans faire exploser ses propres cadres. Par ailleurs, l'écriture inclusive signale une opinion idéologique, ce qui est discriminatoire —qu'on songe au signalement politique que cela représente sur une copie d'examen. La conventionalité et l'arbitraire de l'orthographe protègent justement des interprétations idéologiques sauvages et de l'interventionnisme militant.

    Les féministes affirment que la règle grammaticale du masculin qui l'emporte sur le féminin est sexiste. La langue française est-elle par essence sexiste?

    Une langue ne possède pas d'intention et n'impose pas de contenus idéologiques. C'est un anthropomorphisme simpliste de penser ainsi. L'interprétation de la règle que vous mentionnez fait semblant de confondre les signes linguistiques et les personnes pour faire comme si «le masculin» et «le féminin» des mots décrétaient une inégalité entre les individus: il ne s'agit que de l'accord de types de mots, ce qui est sans rapport avec le sexe des gens! Et la formulation d'une règle n'est pas la langue elle-même.

    Vous écrivez qu'il ne faut pas «confondre le genre des mots et le sexe des gens». Qu'est-ce que le genre des mots?

    La notion de genre est très confuse. C'est un anglicisme qui recouvre des significations différentes: pour les gens, on parle normalement de sexe, et pour les mots, la linguistique parle de classe nominale. Cela décrit des phénomènes d'accord et de catégorisations sémantiques qui ne recouvrent pas forcément le sexe: une vedette peut être un homme ou une femme… Il y a des langues avec une dizaine de classes nominales, d'autres avec trois, ou deux, etc. Et que penser des langues sans genre comme le persan ou le finnois, le turc ou le vietnamien? Leurs locuteurs auraient-ils du mal à distinguer les femmes des hommes?

    Les fonctionnements grammaticaux ne sont pas superposables aux propriétés présumées des choses ou des êtres, sinon cela supposerait que leur identité intrinsèque devrait être marquée par leur forme, ce qui est une pensée magique. L'inclusivisme décrète que l'on devrait aligner les formes grammaticales sur l'identité sexuelle, mais les langues ne fonctionnent pas ainsi. C'est pareil pour le pluriel: on renvoie à une pluralité de personnes, il s'accorde pourtant au singulier et personne n'en tire une interprétation psycho-idéologique. De la même manière que le nombre grammatical n'est pas le nombre mathématique, le «genre» grammatical n'est pas le genre sexuel.

    Vous parlez de «féminisme dévoyé». En quoi l'écriture inclusive trahit-elle la cause des femmes?

    On ne peut pas fonder la défense d'une cause sur le mensonge, l'intimidation et la manipulation sans l'abîmer. Inventer un complot masculiniste pour expliquer le «masculin» du pronom dans il fait beau, imaginer qu'il existerait un privilège grammatical qui serait une injustice, exiger une représentativité sociopolitique de la morphosyntaxe, ce sont des démarches délirantes. De fait, l'égalité entre les personnes se joue ailleurs que dans la grammaire. Or, le militantisme orthographique se moque complètement des situations d'oppression réelles que vivent les femmes qui doivent subir excision, mariage forcé, pression morale du rigorisme religieux ou violences claniques. Cela signifie que cet inclusivisme n'est rien d'autre qu'une hypocrisie et un faire-valoir social pour une classe privilégiée et donneuse de leçons.

    Jean Szlamowicz, propos recueillis par Emile Douysset (Figaro Vox, 1er septembre 2023)

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  • Quand le français n'est plus perçu comme un héritage mais comme une mise à jour d'iPhone sans fin...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de Carl Bergeron cueilli sur Figaro Vox et consacré à la volonté de certaines associations de généraliser l'écriture inclusive. Carl Bergeron est un écrivain québécois.

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    « Au Québec aussi, le français n'est plus perçu comme un héritage mais comme une mise à jour d'iPhone sans fin »

    Dans mon pays, une «Association des professeur.e.s de français» a dénoncé la «langue poussiéreuse» que ses membres auraient le fardeau d'enseigner et de transmettre. À en croire son porte-parole, ils rêveraient la nuit de «moderniser» l'usage du participe passé avec l'auxiliaire avoir pour le rendre invariable. Enseigner des règles «décidées il y a 400 ans» prendrait trop de temps, et ne serait pas en phase avec la «réalité des jeunes».

    Les «professeur.e.s.» ne savent plus faire ce que les « professeurs » savaient faire (ah bon, que s'est-il passé ?). Il serait donc urgent, non de corriger leur pédagogie, mais de changer les règles de grammaire, en affectant d'assouplir une langue qu'on aura pris soin de décréter raidie par les siècles. Ô Passé rigide, que de crimes commet-on en ton nom !

    Prétendue élitiste, la langue française souffrirait de la comparaison avec un certain anglais mondialisé, qui emporterait l'adhésion de la jeunesse branchée. Pour «s'adapter» aux Gafam, il nous faudrait un français «liquide», débarrassé de ses scories et ouvert aux manipulations des linguistes, qui prendrait le pli du monde tel qu'il se décide en Californie. La langue n'est plus un héritage : elle devient une mise à jour d'iPhone sans fin.

    Telle serait la manifestation du «sens de l'Histoire», qui nous placerait devant le choix de l'adhésion enthousiaste ou de l'exclusion aigrie. Les réfractaires qui trouveraient quoi que ce soit à y redire seraient ou des bêtes de cirque délirantes, qu'il importerait de calmer par de pédantesques appels à la mesure, ou des grincheux sous le joug de passions tristes (il est bien connu que ceux qui veulent soumettre la langue à leurs fantasmes politiques et en appellent à la mort sociale de leurs adversaires sont de joyeux drilles).

    C'est la base du mensonge révolutionnaire : déclarer «mort» tant du point de vue du sens de l'Histoire («poussiéreux»), de la démocratie («discriminatoire»), de l'esthétique («ringard») que de l'efficacité («inutile») ce que l'on cherche à liquider. Le mensonge se pare de l'apparence de l'évidence, par des formules truquées, censées introduire des principes démocratiques inédits, que peu de citoyens auront l'idée de remettre en cause, sous peine de se voir expulsés du «cercle de la raison», cette nouvelle nef des fous.

    Ainsi ladite «écriture inclusive», qui ment sur ce qu'elle est, en expropriant la langue qu'elle se propose de moraliser. D'abord parce qu'il ne s'agit pas d'écriture, mais bien de réécriture, soit de falsification : ladite «écriture inclusive» est un parasite qui se greffe sur la langue pour la vider de son sens – ou de son sang. Les complications qu'elle introduit par la porte d'en arrière n'augmentent pas la puissance ou la beauté du français, comme les «vieilles règles décidées il y a 400 ans», présumées vermoulues par les incultes, mais multiplient dans le maillage de la phrase les verrous contre la pensée, au nom de la vertu.

    Que nous dit l'«Association des professeur.e.s. de français» lorsqu'elle se présente sous ce nom dégradé, sinon que la langue qu'elle revendique n'est justement plus le français, tel qu'il nous a été transmis par nos ancêtres, mais un ersatz qui promeut le faux et interdit le vrai ? Une non-langue, qui n'est pas, ne peut penser et exprimer ce qui est. Elle ne peut que ratifier le faux en rendant impraticable le vrai. Et séduire trois catégories de gens : les terroristes intellectuels, les notables qui «collaborent» et les conformistes.

    L'apathie des élèves est-elle vraiment due aux Gafam, au manque d'heures d'enseignement, ou au mépris à peine voilé que leur vouent les adultes en autorité, qui leur destinent un français à rabais et plastifié, tout en ayant le culot de prétendre au passage que 1) c'est ce qu'ils demandent ; 2) c'est ce que la «réalité d'aujourd'hui» exige ?

    Disons que j'offre à un adolescent de choisir entre un jeu vidéo ou un roman de Flaubert, et qu'il opte pour le jeu vidéo, dis-je toute la vérité si je prétends que c'est ce qu'il demande ? Rien ne suscite plus l'apathie des jeunes gens que d'être placés devant des adultes inconséquents, qui ne croient pas en ce qu'ils doivent enseigner et transmettre.

    Lorsqu'une association de professeurs de français assume la falsification du langage jusque dans son nom, elle fait plus que d'y céder : elle y consent pour en faire un point de doctrine. Elle invite ses membres à s'effacer derrière le signe abstrait du collectif. Faites le test, pour voir. Inscrivez-vous à une association avec un nom en «inclusif» et à une autre avec un nom régulier, et osez dire que vous y avez la même liberté de parole ?

    Plus l'idéologie progresse dans son usurpation de la réalité et de l'être, plus elle prétend que la réalité et l'être ne sont qu'une fiction. Le critère de vérité ne se voit plus convoqué dans l'examen de la légitimité d'un propos : est «vrai» ce qui est digne d'exister, soit ce qui est jugé idéologiquement conforme. L'humilité devant le donné, qu'il vienne de la nature (différence sexuelle) ou de la culture (langue française), fait place à un orgueil prométhéen déviant, qui prétend pouvoir tout : changer arbitrairement les règles de grammaire ; décréter le bien et le mal, le moderne et le ringard ; mais aussi désigner dans la cité qui est le citoyen, le résident ou le paria – l'intellectuel, le polémiste ou le facho.

    Puisqu'il ne leur a pas été donné de convertir les cœurs, de renouveler la langue de l'intérieur dans des œuvres belles qui leur survivent, ils se vengent en «moralisant» et en «changeant» le patrimoine de l'extérieur. «La-langue-qui-évolue» n'est qu'un alibi.

    La langue française, ce continent englouti et ce merveilleux jardin, qu'une vie ne suffirait pas à explorer, fût-ce en partie (il suffit de plonger dans un gros tome Littré du XIXe siècle pour être saisi de vertige devant ce qu'elle peut), n'est plus reçue en tant que réalité organique, co-création des hommes et des siècles, mais comme un bibelot poussiéreux qu'on peut tripatouiller selon ses caprices. C'est toute une vision du monde qui se révèle.

    Pour s'ouvrir au génie d'une langue ou entrer dans une œuvre, l'on commence par se mettre en retrait et par enlever ses sandales. Je m'inspire pour l'allégorie d'un prêtre, présent à la table ronde de la «Nuit Pascal», organisée récemment par le Figaro Histoire au collège des Bernardins, qui évoquait pour lors non le génie d'une langue ni l'esprit d'une œuvre, mais le geste de Moïse devant le Buisson-ardent. «Je me suis souvent demandé, a-t-il dit selon mon souvenir, ce qui se serait passé si Moïse n'avait pas retiré ses scandales, s'il n'avait pas fait ce que lui avait demandé le Seigneur.» La réponse du prêtre est extraordinaire : « je crois que le Buisson se serait tout simplement éteint ».

    Si l'art et la littérature ne sont pas le sacré, ils en sont des reflets : la Lumière dont ils témoignent veut que l'homme diminue pour qu'Elle grandisse. Ce n'est qu'à cette condition que leur floraison peut donner ses fruits et élever les pauvres créatures que nous sommes. Or, les usurpateurs de la «réécriture inclusive» refusent de retirer leurs sandales. Ils s'en font même une fierté et y voient la marque de leur «indépendance».

    «Écriture inclusive» et censure, «réécriture inclusive» et réécriture exclusive» marchent main dans la main. On inclut dans la langue des greffes artificielles qui la désarticulent et la défigurent, tandis qu'on viole l'intégrité des œuvres en excluant tout ce qui exprime l'altérité, la «négativité» de l'existence. Le projet : démettre le langage de son socle symbolique pour en faire un code binaire, une série de 0 et de 1 chargés de transmettre «l'information» ; réduire les langues nationales à l'état de flux marchand (l'anglais interchangeable des Gafam). Chaque jour, les esclaves des réseaux sociaux actualiseront leur fil pour savoir qui insulter ou qui applaudir, qui lyncher ou qui adorer.

    Ne vous demandez pas si « Parent 1 » et « Parent 2 » et « personne qui s'identifie comme homme » ou « comme femme » est français et humain ; si cela sonne correctement dans la bouche et l'oreille d'un être pourvu d'entendement ; mais si les mêmes termes dans le microphone de ChatGPT sont plausibles. Demain, l'histoire des peuples ne sera plus racontée avec le verbe des écrivains et des artistes, qui peut seul dire l'unité concrète d'un destin, mais sera réécrite par une machine avec des mots qui n'existent pas, pour l'inculper de crimes qui auront été fabriqués en laboratoire. L'idole du progrès le veut.

    Des faits isolés, sans lien les uns avec les autres, seront fondus en une unité abstraite, pour raconter toujours la même « histoire » (on sait laquelle). Le reste sera rejeté en tant que « fabulation mythique ». Rien n'échappera au révisionnisme de cette époque qui n'aime qu'elle-même, et ne veut voir dans l'histoire que la confirmation de sa supériorité.

    Je suis Québécois. C'est au XVIIe siècle que nos ancêtres quittent la France. Une partie passe par l'Acadie, avant de migrer au Québec puis ailleurs en Amérique, notamment en Louisiane, dans la foulée de ce qu'on a appelé «le Grand dérangement». Entre 1755 et 1763, l'Acadie connaît un «nettoyage ethnique à grande échelle» (John Mack Faragher).

    Le régime qui se met en place après la Conquête britannique (1760) et, davantage, après les Rébellions matées de 1837-38, s'établit sur la primauté anglaise et la servitude française. La survivance» qui s'inaugure au Québec au XIXe siècle, sous l'égide de l'Église, n'est pas déshonorante mais laisse un souvenir ambigu. La ponction sur ce peuple réduit à la pauvreté fut énorme. Si les rapports avec la France n'ont certes jamais cessé dans la période, ce n'est qu'avec les années 1960 qu'ils prennent un tour plus souverain.

    Je suis ce que le poète Gaston Miron appelait un «Québecanthrope», un homme qui porte dans son corps, dans son esprit et dans son âme la mémoire de la patrie humiliée. Je me souviens de la honte ; je me souviens de l'espérance ; je me souviens de la langue tordue, verrouillée, nouée par l'humiliation de ne pas ressembler au maître, mais aussi de la langue rétablie, libérée, dénouée. Je me souviens de «l'effort inouï, inimaginable, qu'il nous a fallu pour nous mettre au monde, qui nous a pompé jusqu'à notre ombre» (Miron). Mais plus encore, je me souviens du rêve de nos pères et du cœur de nos mères.

    Je me souviens des grands départs de La Rochelle, Honfleur et Dieppe ; de Champlain et de la Grande Tabagie de Tadoussac ; de Marie de l'Incarnation, venue couronner « ses petites princesses » au bout du monde ; de la Grande Paix de 1701, et du discours et de la mort de Kondiaronk ; de Brébeuf et des Grands Lacs, de La Vérendrye et de l'Ouest, de Cavelier de La Salle et du Mississippi ; de Guillaume Couture et du baron de Saint-Castin, que la forêt américaine a convertis et baptisés, avant d'en faire des héros de légende.

    Bien avant que le fleuve Hudson fût le fleuve Hudson, le Français qui n'était déjà plus Français, y chantait sur son canot d'écorce À la claire fontaine, au Canadien qu'il devenait.

    Le Québec et l'Acadie sont les orphelins, ou les bâtards mal-aimés, d'une Amérique qui aurait pu être franco-amérindienne, et que le Godon (surnom de l'Anglais) a parqué dans des enclaves. Résultat : deux siècles après la Conquête et la Déportation des Acadiens, nous étions « l'un des rares lieux dans le monde où le français est un signe d'infériorité », selon Miron en 1981 à Apostrophes. C'était quatre ans après l'adoption, par Camille Laurin et le gouvernement de René Lévesque, de la Loi 101, qui avait remis la langue française à sa juste place - la première ; ce qui ne s'était pas vu depuis la Nouvelle-France.

    La langue, qui est symbolique, réunit ce qui a été séparé. La non-langue sépare ce qui avait été réuni, et introduit la division en interdisant toute communion. Plus que d'une « guerre culturelle », nous nous trouvons au milieu d'un combat métaphysique à même le langage, entre ce qui cherche à réunir par le haut (symbolus) et à désunir par le bas (diabolus). L'agressivité nihiliste contre la langue, contre les nations et leur histoire est une gifle à tous les dépossédés, qui attendent en périphérie de l'empire la fin du délire.

    Dans L'homme rapaillé («rassemblé» et, par métaphore : «réconcilié»), Miron voit la langue comme l'instrument de l'unité retrouvée. Le poète y fait apparaître le pays blessé, par les « chemins défoncés de son histoire / aux hommes debout dans l'horizon de la justice » : il annonce une histoire de dignité reconquise qui reste à écrire, non à réécrire.

    La révolution se manifeste quand la vérité et le mensonge deviennent une question de vie ou de mort, selon Soljénitsyne ; l'illusion de la mise en scène sociale, de la gauche et de la droite éclate. Chacun est renvoyé à sa conscience : dois-je continuer de consentir au mensonge ? Ou dois-je dire la vérité, en prenant le risque de me faire bannir de la cité ?

    D'une certaine façon, par-delà ses horreurs qui ne sont pas souhaitables, on peut penser à l'instar d'un Berdiaeff que la révolution recèle un sens caché, pour des nations qui ont pensé pouvoir vivre indéfiniment de la rente du passé, à l'abri de l'épreuve de la liberté et du combat spirituel pour la vérité. Le mensonge de la «réécriture inclusive», qui scelle l'alliance de la perversité intellectuelle et de la lâcheté mondaine, ne veut pas la justice mais la parodie de la justice, au point de nous faire oublier et la justice et la possibilité du mal. C'est la ruse du diable, ce ringard absolu, que de se faire passer pour neuf, lui qui ne sait pas créer ; qui ne sait que parodier l'Esprit en altérant tout ce qu'il touche et réécrit.

    Carl Bergeron (Figaro Vox, 4 mai 2023)

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  • « L’écriture inclusive est à la langue ce que les éoliennes sont au paysage »...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Robert Redeker cueilli sur Figaro Vox et consacré à l'écriture inclusive.  Philosophe, Robert Redeker est notamment l'auteur de Egobody (Fayard, 2010), Le soldat impossible (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Le progrès ? Point final. (Ovadia, 2015), L'école fantôme (Desclée de Brouwer, 2016), L'éclipse de la mort (Desclée de Brouwer, 2017) ou dernièrement Les Sentinelles d'humanité (Desclée de Brouwer, 2020).

     

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    «D’un point de vue civilisationnel, l’écriture inclusive est comparable à la destruction des paysages»

    Il arrive à notre pays une catastrophe qui le blesse à mort, qui le blesse dans son âme, qui est littéraire ; cette catastrophe porte un nom: l’écriture inclusive. La langue est cette réalité qui rapporte chaque homme à son peuple. Le développement de l’écriture inclusive est appelé à changer la nature du fait d’être français.

    Après l’écriture inclusive, l’on ne pourra plus être français de la même façon qu’avant son despotisme. Les politiciens qui dans certaines municipalités essaient de la propager sont parfaitement conscients de l’objectif politique à long terme: changer le fait national français. L’écriture inclusive signe la fin de l’intime compagnonnage de la France avec sa littérature.

    Pour que l’écriture inclusive s’impose, il a fallu d’abord que la langue ait été affaiblie par la déconstruction. Et surtout, qu’elle ait subi la plus infamantes des accusations, celle d’être fasciste. Gilles Deleuze et Roland Barthes se sont chargés de la dénonciation préparatoire à la liquidation

    Selon le livre de Deleuze, écrit en duo avec Guattari, Mille Plateaux, en 1980, l’essence de la langue tient dans le mot d’ordre. Retenons-en quelques citations croustillantes: «Le langage n’est pas fait pour être cru, mais pour obéir et faire obéir» ; «une règle de grammaire est un marqueur de pouvoir, avant d’être une règle syntaxique» ; «le langage est transmission du mot fonctionnant comme mot d’ordre, et non communication d’un signe comme information». Le langage n’informe pas, ne communique pas, il ordonne.

    Barthes de son côté, affirme avec un sérieux de procureur en procès stalinien ou maoïste, dans sa Leçon inaugurale au Collège de France, prononcée en 1977: «la langue n’est ni réactionnaire ni progressiste ; elle est tout simplement fasciste, car le fascisme ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire». Passons sur le fait que cette définition du fascisme - «obliger à dire» - soit particulièrement faible.

    Au Moyen Âge l’anthropomorphisme traînait des animaux devant le tribunal. Deleuze et Barthes poussent le ridicule beaucoup plus loin: c’est la langue qui comparaît devant un tribunal révolutionnaire, à cause de sa fusion supposée avec toutes les formes de la domination.

    Mais l’obscurantisme est ici le même que dans les procès médiévaux. Sans cette mise en accusation de la langue, qui passera pour involontairement comique auprès de tout esprit doué de bon sens, qui pourrait passer pour une farce si elle n’était ce qu’elle est, une condamnation réelle émise depuis les hauteurs pédantes de l’esprit de sérieux, l’écriture inclusive n’aurait jamais pu voir le jour.

    Une fois la langue condamnée comme fasciste, tout devient possible: elle ne mérite plus ni respect, ni vénération.

    L’écriture inclusive est en réalité le contraire de ce qu’elle affirme d’elle-même: elle est exclusive, elle exclut la langue de son histoire. Elle l’expulse la langue de son passé, de sa tradition, de son logis, de sa logique. Toute langue est une vision du monde. Sa logique - qu’on appelle grammaire - est la mise en ordre de cette vision du monde, sa structuration.

    Bref, toute langue est un cosmos, au sens étymologique du mot. Comprenons: l’écriture inclusive arrache la langue à la vision du monde dont elle est l’une des expressions, elle en détruit le cosmos. L’écriture inclusive est un séparatisme: il s’agit pour elle de séparer la langue française d’avec ce que fut la France jusqu’ici. D’avec la manière française de voir le monde, de l’écrire et de le parler.

    L’affaire n’est pas seulement de séparer la langue d’avec la nation ; elle est surtout de garantir la colonisation de la langue par une idéologie, le post-féminisme. La nation, jusqu’à nos jours et depuis plusieurs siècles, au moins depuis les poètes de la Pléiade, du Bellay, Ronsard, depuis La défense et illustration de la langue française, l’important livre de Joachim du Bellay, était l’âme de la langue française ; avec l’écriture inclusive, l’âme de notre langue ne sera plus la nation, mais une idéologie.

    L’écriture inclusive véhicule le mythe ultrarévolutionnaire de la tabula rasa: du passé de la langue l’on doit faire table rase, afin de se laisser habiter par les fantasmes de ses adversaires. La substitution, de 1792 à 1806, du calendrier révolutionnaire au calendrier traditionnel, s’est faite dans un état d’esprit analogue, quoique pour d’autres motifs.

    Deux aspects frappent dans la propagande en faveur de ce type d’écriture: le refus d’assumer un héritage, doublé de la non-reconnaissance d’une dette envers le passé. Le mythe de la tabula rasa ne chemine jamais sans son alter ego: le mythe de l’auto-engendrement.

    La langue française nouvelle, inclusive, libre de toute dette devant le passé, dégenrée, désexualisée, dépatriarcalisée, déblanchie, déracisée, intersectionnalisée, est supposée s’engendrer elle-même à partir des énoncés et prescriptions idéologiques dont on persille la langue française traditionnelle.

    Une nation est une entité qui apparaît dans l’histoire, une entité dont l’essence est d’apparaître. La langue n’est pas «la nation même», comme le croyait Guillaume de Humboldt, elle est la visibilité d’une nation. Identifions dans la littérature, aussi bien orale qu’écrite, le lieu où cette visibilité atteint son degré d’intensité indépassable.

    La langue de Shakespeare, de Keats, de Shelley, rend à jamais la nation anglaise visible à l’univers. La langue de Racine, de Molière, de Bossuet, rend, elle aussi, visible la nation française. La langue rend une nation visible, à la fois à ceux qui la composent, qui lui appartiennent, et aux autres nations.

    Existent également de par le monde force nations sans État, qui restent visibles par la perdurance de leur langue. La langue est la visibilité de l’histoire d’une nation, si bien que la parler procure le sentiment de faire partie de cette histoire, ainsi que de faire partie d’une communauté qui plonge ses racines dans le passé. La langue rend visible une continuité, l’inscription de chacun dans une continuité qui implique de recevoir un héritage et de payer, sous la forme du respect, une dette.

    C’est cette visibilité que l’écriture inclusive cherche à mettre à mort. L’écriture inclusive se propose d’invisibiliser ce que la langue visibilise: la nation. Abîmer la langue est rendre la nation plus invisible, la plonger dans de l’invisibilité, dans la nuit ; c’est aussi abîmer le lien national, montrer le chemin à l’anomie et au séparatisme. Abîmer la langue n’est pas seulement un acte linguistique, c’est un acte politique.

    Promouvant une néolangue persillée d’idéologie - quand on lit un texte en écriture inclusive, l’on s’imagine confronté à du français persillé, mais, au lieu d’être persillé d’une autre langue, il l’est d’idéologie - destinée à remplacer le français, l’écriture inclusive se veut à la fois a-historique (elle se prend pour la vérité de la langue indépendamment de son histoire), et post-historique (elle suppose l’histoire, c’est-à-dire la domination, enfin dépassée par le progrès linguistique avec lequel elle s’identifie).

    Elle se veut la victoire sur la nation et son histoire en les rejetant toutes deux non dans la mémoire, qui impliquerait une dette, obligerait à du respect, mais dans l’enfer de l’oubli.

    L’écriture inclusive est, d’un point de vue civilisationnel, exactement la même chose que la destruction des paysages, cet autre héritage des siècles: les éoliennes rendent le paysage invisible, effaçant le passé de la nation. L’écriture inclusive est à la langue ce que les éoliennes sont au paysage.

    Excluant la langue de son histoire, détruisant sa logique, arrachant sa langue au peuple pour lui imposer le sabir des nouvelles précieuses ridicules, expulsant le peuple de sa langue, l’écriture inclusive est l’écriture la plus exclusive qui se puisse envisager.

    Robert Redeker (Figaro Vox, 13 avril 3021)

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  • Tour d'horizon... (196)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur le site de la revue Conflits, Jean Szlamowicz, linguiste et auteur de plusieurs ouvrages de grammaire, explique les enjeux politiques autour de l'idéologie du genre, de l'écriture inclusive et des débats autour de la féminisation des mots...

    Langue, grammaire et usages politiques

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    - sur L'Observatoire de l'immigration et de la démographie, un article sur la population musulmane en France...

    Peut-on évaluer le nombre de musulmans vivant en France ?

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  • La guerre au français...

    Les éditions du Cerf ont récemment publié un essai de Marie-Hélène Verdier intitulé La guerre au français. Agrégée de Lettres classiques, Marie-Hélène Verdier a enseigné dans des lycées parisiens, dont le fameux lycée Louis-le-Grand.

     

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    " Ainsi donc, certains ont déclaré la guerre à la langue française ! Prétextant l’égalité et la modernité, voilà qu’ils féminisent à outrance (une pompière), kidnappent l’accent circonflexe (un fruit mur), inventent une langue plus étrange que des hiéroglyphes (les habitant·e·s et les soldat·e·s), tout en rêvant de nénufar et d’ognon…
    Vous croyez que ce sont de petits détails d’orthographe ? Non : ce sont les traces d’une nouvelle idéologie,
    plus néfaste encore que celle de la mondialisation.
    Dans ce manifeste vivant et très illustré, qui fait la part belle à l’analyse et à l’humour, Marie-Hélène Verdier,
    forte de sa longue expérience de professeur de Lettres, affirme que notre langue, loin de se laisser intimider, doit désormais entrer en résistance.
    Une langue ne se violente pas.
    Elle n’est pas soluble dans la modernité.
    Elle n’obéit pas à la loi d’un marché.
    Un essai audacieux et nécessaire, qui démontre à chaque page que l’égalité n’est pas l’inculture. "

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  • Libéral, réactionnaire, populiste ? La Nouvelle Vague du conservatisme...

    Dans cette émission du Plus d’Éléments, diffusée par TV Libertés, l'équipe de la revue, autour d'Olivier François, revient sur certains des sujets abordés dans le nouveau numéro, consacré, notamment, au retour en force du conservatisme, mais nous livre aussi ses coups de cœur du moment et pousse quelques coups de gueule ! On trouvera sur le plateau David L'Epée, Pascal Esseyric, Christophe A. Maxime et François Bousquet, qui sort sa bouteille de vitriol pour s'occuper de l'écriture inclusive.

     

                                        

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